La question complexe de la prévention et de l'accompagnement par la puissance publique des plans de sauvegarde de l'emploi a connu récemment des bouleversements législatifs avec la transposition dans la loi de l'Accord national interprofessionnel du 11 janvier 2013 (ANI). Notre mission s'intéresse surtout aux engagements financiers de l'État, mais nous souhaitons évidemment savoir comment ces évolutions sont vécues dans les entreprises, en particulier chez Peugeot-Citroën qui a anticipé l'application de loi en ce qui concerne les accords d'entreprise accompagnant les plans sociaux.
Que pensez-vous de l'évolution sur le long terme de la législation en matière de plans sociaux ? En tant qu'acteurs privés, considérez-vous que l'accompagnement public est efficace ? Quels moyens manquent à votre sens en termes de coordination ou de gouvernance ? Que pensez-vous de la pratique de la prime supra-légale qui permet parfois « d'acheter » la paix sociale ? À l'échelle de grands groupes, qu'en est-il des plans sociaux diffus, parfois nécessaires, que nous avons connus dans l'industrie pharmaceutique et qui risquent de toucher demain le secteur de la grande distribution ?
La législation en matière de licenciement économique a connu depuis trente ans un extraordinaire mouvement de complexification et de sédimentation. Aucun pays n'a construit un droit du licenciement aussi complexe que le nôtre – directeur des relations sociales du groupe de Solvay-Rhodia, je crois pourtant avoir une bonne vision d'ensemble de la situation dans de nombreux pays du monde. Même en Europe, une telle situation n'existe pas ! Comment avons-nous pu laisser la création collective de droit, tant législative que jurisprudentielle, produire un tel enchevêtrement de normes et une telle confusion ?
Non seulement cette dérive se paie en termes de délais et d'insécurité juridique, mais elle ne donne satisfaction ni au management ni aux organisations syndicales. En effet la situation ne s'est pas améliorée au fur et à mesure que l'on créait un droit de plus en plus protecteur. Je rappelle qu'en 2009, alors que nous traversions la pire crise économique de l'après-guerre, notre pays a enregistré 230 000 licenciements économiques, soit deux fois moins qu'en 1985. La complexification du droit a ainsi entraîné une précarisation, car il a bien fallu que les entreprises trouvent des marges de manoeuvre où elles le pouvaient.
Une catégorie de salarié a été de plus en plus protégée alors qu'une autre se retrouvait sans protection. Au-delà d'une évolution juridique, il y a donc une société qui se disloque en groupes à statuts différents, celui qui est protégé devenant l'objet de toutes les préoccupations, y compris celles des syndicats. Les droits sont désormais différents, tout comme le rapport à l'entreprise, et les jeunes générations finissent par en payer le prix en subissant la précarité. On reproche parfois aux directeurs des ressources humaines d'être les acteurs de cette évolution, mais ils font avec ce qu'ils ont, et avec le droit. Pour répondre aux enjeux de compétitivité qui sont de premier ordre, nous ne pouvons qu'utiliser les outils dont nous disposons.
Contrairement à ce qui se répète souvent, l'ANI, qui vient d'être transposé dans la loi, ne crée pas de la flexibilité : il ne fait que transférer aux entreprises la responsabilité de mener des discussions en la matière. Pour que ce texte produise éventuellement des effets, des actes juridiques sont encore nécessaires – soit accord, soit homologation par l'administration. Si une étape a été franchie de façon symbolique, articulant de façon harmonieuse démocratie sociale et démocratie politique, nous nous retrouverons à pied d'oeuvre le 1er juillet prochain. Les choses vont dans le bon sens, mais des interrogations fortes demeurent.
Tout d'abord, pourquoi imagine-t-on que la négociation sera plus facile que la procédure unilatérale d'information-consultation ? Dans les entreprises qui se trouvent au bord du gouffre, la responsabilité des partenaires sociaux sera telle que la possibilité de la signature d'un accord deviendra envisageable, mais quand une entreprise sera en meilleure santé et qu'elle devra néanmoins s'adapter et se restructurer, la négociation deviendra très difficile.
Ensuite, est-on assez conscient des aléas que fait peser sur l'homologation l'incertitude de décisions prises par le juge du référé qui se prononce seul, sous la pression de l'actualité, du contexte et des médias ?
Il est judicieux de soustraire les procédures de plan de sauvegarde de l'emploi du contrôle du juge judiciaire, pour autant que l'on sache comment réagira l'administration du travail. Quelles instructions le ministre donnera-t-il aux directions régionales de l'économie, de la concurrence et de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE) ? Nous voudrions pouvoir discuter avec la direction générale du travail en amont d'une future circulaire, car la position générale de l'administration aura un effet considérable sur la posture des participants aux négociations, dont certains pourraient considérer qu'ils ont intérêt à les faire échouer.
Dans l'esprit de l'ANI, à savoir donner la plus grande place possible à la négociation au plus près du terrain, il faut que l'administration concentre son contrôle sur la loyauté et la transparence de la procédure, et qu'elle conserve une position d'équilibre sans trop s'intéresser au contenu et au détail. De la même façon, le juge administratif ne devra exercer qu'un contrôle minimum sur la décision de l'administration. Sauf situation extrême, ce que le droit administratif qualifie d'« erreur manifeste », il est nécessaire de laisser les partenaires négocier et décider : il n'y a pas une seule bonne réponse, contrairement à ce que pensait le juge judiciaire – cette immodestie expliquant les dérives constatées.
Le champ d'application du droit du licenciement économique est trop large dans notre pays ; il faut le redéfinir. Au moindre risque pour l'emploi, nous mettons en place un plan de sauvegarde de l'emploi, alors même que nous faisons tout pour éviter des licenciements économiques. Le lancement des procédures et l'utilisation des termes juridiques adéquats créent l'affolement. Nous nous trouvons dans l'obligation de prononcer des mots qui font peur, même lorsque, conformément au souhait du législateur, nous mettons tout en oeuvre pour qu'ils ne trouvent aucune traduction concrète. Cette dramatisation a des conséquences considérables, les uns et les autres étant tétanisés et s'enfermant souvent dans des postures dont ils ne peuvent plus sortir. Or il s'agit souvent d'une frayeur inutile : au bout du compte, malgré des suppressions de postes, 90 % des salariés ont généralement conservé un emploi – dans le cas que je viens de vivre, un an et demi après la procédure lancée au moment de la fusion de Rodhia et de Solvay, pas un seul départ contraint n'a été enregistré ! J'estime en conséquence que le « curseur » du déclenchement du licenciement économique devrait être déplacé et situé très en aval, au moment où il s'agit non plus d'un cas purement hypothétique, mais d'une solution très prévisible. Malheureusement, sur ce plan, l'ANI ne change guère les choses : les accords de maintien dans l'emploi ne devraient pas empêcher le licenciement économique dont le champ n'a pas été modifié. Toutefois, il ne sera pas mis en oeuvre dans le cadre des accords de mobilité géographique et professionnelle, ce qui constitue une amélioration.
Des progrès restent à faire en matière de licenciement économique, j'en citerai trois exemples. Le premier concerne l'articulation entre le comité d'entreprise et le comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT). Jean Auroux a fait une erreur en rendant le CHSCT autonome en 1982 : ce comité aurait dû rester une commission du CE avec lequel il ne se coordonne pas. Aujourd'hui, le comité d'hygiène et de sécurité seul peut tout bloquer et provoquer une expertise. Le deuxième exemple concerne l'étendue de l'obligation de reclassement. On comprend que les salariés puissent ne pas souhaiter un reclassement à l'autre bout de la France, mais pourquoi ne pas reconnaître la validité des limites géographiques qu'ils fixeraient eux-mêmes. Le droit doit aussi nous protéger de la mauvaise foi. Enfin, il faudrait revenir sur les obligations en matière de critères d'ordre de licenciement économique tels qu'ils sont énoncés par la jurisprudence. Au sein de la même catégorie professionnelle, un ordre doit par exemple être fixé avec l'attribution de points et un système de pondération sans tenir compte du site concerné. Encore une procédure complexe qui génère des inquiétudes souvent inutiles !
Je souscris à l'analyse essentiellement juridique que nous venons d'entendre, et centrerai mon propos sur la politique de l'emploi du groupe PSA. Pour ce faire, je mettrai en évidence quelques principes fondamentaux, lesquels définissent une méthode permettant d'appréhender la gestion des ressources humaines dans un groupe tel que le nôtre.
La première difficulté est que toute anticipation, par ailleurs nécessaire, suscite un émoi qui peut paradoxalement conduire à précipiter certaines procédures judiciaires. Les managers doivent donc trouver les moyens de garder la maîtrise du calendrier tout en clarifiant la stratégie de l'entreprise, stratégie qui dépend aussi des évolutions du marché, très rapides, auxquelles il faut s'ajuster. La communication sur cette stratégie est donc également un enjeu majeur. Reste que l'anticipation est une clé du succès des politiques de l'emploi.
Le deuxième élément majeur est le dialogue social : les partenaires syndicaux y sont prêts ; l'arsenal juridique doit donc lui donner toute sa place – aussi sommes-nous favorables au projet de loi transposant l'Accord national interprofessionnel (ANI). Un bon accord est toujours la meilleure solution : il serait dommageable de le remettre en cause parce que tel ou tel point contreviendrait à des dispositions législatives très secondaires. Le dialogue social est d'autant plus important au regard, par exemple, des indemnités extra légales, décidées lors de conflits qui se radicalisent sous l'influence de mouvements politiques alors que les syndicats, eux, essaient de trouver des solutions. L'approche contractuelle suppose bien entendu la confiance au sein de l'entreprise et la juste anticipation de la gestion des emplois. Quoi qu'il en soit, il est bien entendu préférable de privilégier le reclassement et le parcours sécurisé dans l'emploi plutôt que la « prime à la valise », qui n'a certes pas cours dans les grands groupes tels que PSA mais que j'ai pu observer, par exemple, dans des entreprises de sous-traitance du secteur automobile.
Le troisième principe est l'innovation, dans le cadre de laquelle nous entretenons un dialogue fécond avec l'administration et les autorités politiques. Je reste donc confiant sur les progrès que nous pouvons réaliser en ce domaine, à travers des dispositions telles que les congés de reclassement ou les mesures de transition professionnelle actuellement testées sur le site d'Aulnay, et qui le seront bientôt sur celui de Rennes. Nous réfléchissons aux moyens de sécuriser l'emploi au sein des filières en difficulté – par exemple à travers des « passerelles » sur des plateformes régionales –, ainsi qu'à l'emploi des seniors, auxquels pourraient être proposées des tâches dans d'autres entreprises ou des dispenses partielles d'activité ; cela peut d'ailleurs faire l'objet de contreparties en faveur de l'emploi des jeunes. La gestion des ressources humaines selon les âges est évidemment un enjeu du dialogue social dans une situation difficile pour l'emploi.
En 2007, PSA a signé son premier accord de gestion prévisionnelle de l'emploi et des compétences (GPEC) ; cet accord a été revu en 2010. C'est là un volet important de notre politique sociale pour les trois ans qui viennent – puisqu'il est difficile d'avoir une vision au-delà. Le retournement de la conjoncture s'est malheureusement confirmé, puisque les ventes de véhicules sur le marché européen sont passées de 18,5 millions en 2007 à 13,5 millions en 2012. Le groupe PSA détenant 13 % de parts de marché, il a donc vendu 550 000 voitures de moins, soit une baisse de 27 %. Encore ne s'agit-il que d'une moyenne européenne : si les ventes en Allemagne sont restées stables, elles ont chuté de 60 % en Espagne et de 35 % en Italie. Un tel tsunami impose d'avoir la bonne « boîte à outils », car il faut bien ajuster, non seulement l'emploi – 550 000 voitures représentent trois flux d'usines de montage –, mais aussi les structures globales du groupe.
Sans mesurer l'ampleur de ces évolutions, nous pressentions, en 2007, que le climat s'assombrirait ; c'est ce qui a justifié l'accord de GPEC, articulé selon trois chapitres. Le premier portait sur la définition de la stratégie du groupe avec les partenaires sociaux, dans le cadre de comités paritaires stratégiques et d'observatoires de l'emploi, grâce auxquels le groupe communique aux salariés sa vision, en termes d'évolution des emplois, sur les différents métiers. Le deuxième chapitre reprenait les outils habituels de gestion des emplois et des compétences « en temps de paix », tels que la mobilité interne, les entretiens individuels et tout ce qui contribue à la définition du parcours professionnel – autant d'éléments utilement éclairés par le premier chapitre. Le troisième chapitre portait sur la possibilité d'un accord de méthode en cas de difficultés, avec des mesures allant du congé de reclassement jusqu'au départ volontaire. Nous n'avions pas pris l'engagement, bien entendu, de ne jamais recourir à des plans de sauvegarde de l'emploi (PSE), qui suspendent nécessairement l'application des dispositions de ce dernier chapitre.
En tout état de cause, l'accord s'est appliqué jusqu'en 2012. Il nous a permis non seulement d'aborder certaines évolutions en matière d'emplois et de compétences, mais aussi, il ne faut pas s'en cacher, de diminuer le niveau de l'emploi au sein du groupe.
De l'ordre de 5 000 à 6 000 postes, mais, compte tenu des recrutements massifs en 2009 et 2010, la diminution nette, dont je n'ai pas le chiffre exact, est moindre.
Au reste, l'expression d'« accord de GPEC » est peut-être de nature à entretenir une certaine ambiguïté, dans la mesure où son chapitre 3 prévoyait la stricte application du code du travail sur la tenue de deux comités centraux d'entreprise (CCE), nonobstant le plan de redéploiement des emplois et des compétences, dit « PREC ». Cela dit, un engagement avait été pris, en l'absence de licenciements contraints, de renoncer aux expertises et d'organiser deux réunions au lieu de trois, afin d'aller plus vite.
En 2012, le contexte est devenu un peu différent : l'accord de GPEC est devenu insuffisant pour traiter le problème de la fermeture du site d'Aulnay qui employait quelque 3 000 personnes. Le groupe a donc dû recourir à un PSE classique. Pour autant, après avoir annoncé la fermeture du site en juillet, il est revenu à ses pratiques, avec l'assentiment des pouvoirs publics, pour proposer un accord de méthode en septembre, à cette différence près, cette fois, que l'accord fut précédé par la réunion du CCE – soit la procédure inverse de celle prévue par l'accord de GPEC.
Après une dizaine de réunions, un accord a été conclu en mars 2013 sur le contenu du PSE, accord qui s'est traduit par la tenue d'un troisième CCE et la mise en oeuvre du plan de départs. Cependant les principes que j'évoquais ont été respectés, qu'il s'agisse de l'anticipation, du dialogue social – l'accord a été signé par cinq organisations syndicales sur six – ou de l'innovation, avec le contrat de transition professionnelle (CTP), lequel s'ajoute, pour les salariés d'Aulnay, aux congés de reclassement ou aux départs volontaires. Cet accord permet à la SNCF, Aéroports de Paris et la RATP de présélectionner les salariés qu'ils souhaitent reclasser, moyennant un éventuel plan de formation pour ajuster les compétences. Du point de vue juridique, cette passerelle sécurisée passe par le congé de reclassement, même si le salarié ne connaît pas de période de chômage.
Sans lever le voile sur ce dont nous allons discuter avec les organisations syndicales dans les prochaines semaines, à commencer par l'accord de compétitivité, je crois nécessaire de renouer avec l'anticipation, le dialogue social et l'innovation. Cette méthode, au demeurant, me semble tout à fait compatible avec les dispositions de la nouvelle loi.
S'agissant du champ juridique du licenciement économique, dont a parlé M. Sciberras, le souhait est apparemment de différer l'application de certaines dispositions : vous avez vous-même évoqué la crainte que suscite la simple annonce d'un PSE. Ce souhait me semble contradictoire avec la nécessité d'anticiper, que vous avez aussi soulignée.
Avez-vous par ailleurs des suggestions sur les critères d'ordre du licenciement ? À défaut d'être suffisants – puisque votre groupe a eu recours aux contrats de transition professionnelle –, les principaux dispositifs publics vous paraissent-ils pertinents ?
Enfin, être-vous satisfait des relations que vous entretenez avec les acteurs publics qui interviennent dans les négociations, qu'il s'agisse des collectivités, des services de l'État ou du commissaire au redressement productif ?
Je commencerai par votre dernière question en répondant par l'affirmative, même si un peu plus de marges de manoeuvre seraient souhaitables – ce qui nous ramène au problème du cadre légal. La question du bon support juridique se pose par exemple pour le congé d'un senior dans le cadre d'une mesure de maintien dans l'emploi. Nos interlocuteurs me paraissent mobilisés et de bonne volonté pour trouver des solutions équilibrées – leur culture économique, d'ailleurs, s'est visiblement développée : peut-être la crise a-t-elle permis une prise de conscience –, même si les conseils qu'ils nous donnent peuvent s'apparenter à des injonctions paradoxales, compte tenu des contraintes financières qui empêchent des aides plus concrètes ; au moins pourrait-on, à défaut de ces aides, nous laisser davantage de souplesse pour innover. Nos interlocuteurs y semblent d'ailleurs disposés, mais nous butons vite sur des contraintes légales, de sorte que le risque juridique tend à « gripper » le système. Le contrôle par le juge est bien entendu normal, mais ce dernier ne se prononce que sur la base des textes votés par le législateur. Quoi qu'il en soit, je reste optimiste sur de futures améliorations.
Quant à votre question sur l'anticipation, les grandes entreprises comme PSA ont vraiment besoin d'outils complexes – on pourrait prendre l'image d'une boîte de vitesses, où l'on passe la première, la deuxième, la troisième. Or, dans notre cadre législatif, on a souvent l'impression d'entrer dans une procédure de licenciement économique dès la première ou deuxième vitesse, quand cela ne devrait concerner en réalité que la cinquième.
Au premier niveau, il y a la gestion courante de l'emploi et de la mobilité dans l'entreprise : il n'y a alors aucune baisse globale de l'emploi, mais des mouvements dus au fait que les besoins se modifient en permanence. On est alors tout à fait dans le champ de la GPEC, même si certains voient déjà là des licenciements économiques.
Au deuxième niveau, on redéploie l'emploi et les compétences de façon collective : un site qui ferme, des métiers qui périclitent ou, au contraire, qui prennent de l'ampleur. La GPEC permet alors d'éclairer les salariés ; tout repose encore sur le volontariat, on ne parle pas encore nécessairement de PSE, mais il y a déjà, légalement, deux réunions du CE. Il nous faut apprendre à gérer les transformations collectives de façon banale : le monde change, l'environnement économique change, l'entreprise doit être très agile, très réactive.
Le troisième niveau commence lorsqu'il y a une baisse globale de l'emploi, mais sans qu'il soit encore nécessaire de prendre des mesures contraignantes. Légalement, on est déjà dans le cadre d'un PSE, mais les mesures fondées sur le volontariat suffisent en général. Jusqu'à présent, nous avions toujours réussi à en rester là, et à éviter les licenciements.
Enfin, un jour, il faut fermer un site, arrêter complètement une activité. C'est ce qui se passe à Aulnay. Nous avons bon espoir, aujourd'hui, d'avoir trouvé une solution de reclassement pour tous les salariés de ce site au 31 décembre prochain ; mais, sinon, il faudra bien engager une phase de mesures de contrainte. C'est le dernier niveau.
Vous le voyez, mon approche est pragmatique : il y a différents niveaux d'action. Nous attendons des dispositifs légaux qu'ils nous permettent de régler toutes les situations qui se présentent sans recourir, sauf nécessité absolue, au licenciement économique.
Nous verrons, mais je suis plutôt optimiste sur ce point.
Estimez-vous qu'il serait utile d'établir des critères d'homologation, ou bien vous semblerait-il préférable de privilégier l'approche pragmatique au cas par cas, qui paraît souvent la plus adaptée ?
Faudrait-il que la nature des emplois sous tension, par exemple, soit obligatoirement précisée dans les accords de GPEC ? Une loi serait-elle utile pour encadrer ces accords ?
Faudrait-il plafonner ou encadrer la prime supra-légale ?
Enfin, vous n'avez guère évoqué la question de la revitalisation des territoires, qui est pourtant cruciale. Les entreprises de la taille de PSA ont des obligations financières. Comment abordez-vous ces questions ?
Il faut garder à l'esprit que nous n'avons jamais eu à recourir à des départs directs dans le cadre d'accords de GPEC : gérer de façon prévisionnelle l'emploi et les compétences, c'est faire bien d'autres choses qu'organiser des départs. Une loi sur la GPEC permettrait sans doute une meilleure sécurité juridique, mais cela ne me semble pas urgent – aucune menace ne pèse aujourd'hui sur la GPEC. On peut même craindre que la loi ne soit déviée, ce qui empêcherait de conclure de tels accords.
Franchement, je ne sais pas comment répondre à votre question sur les primes. Bien sûr, un plafonnement ou un encadrement permettrait d'éviter les pressions et l'inflation des montants ; cela nous aiderait parfois. Mais toutes sortes de cas individuels, de circonstances exceptionnelles peuvent se présenter. Aujourd'hui, de plus, beaucoup de plafonds de sécurité sociale ont été revus à la baisse, et les primes ont perdu de leur intérêt social et fiscal : cela freine les attitudes déraisonnables.
Je comprends bien votre souci de revitaliser les territoires. Mais, pour l'entreprise, il y a là une sorte de double peine : une entreprise qui rencontre des difficultés au point de devoir se séparer de certains de ses salariés se voit en plus pénalisée par un impôt supplémentaire. L'administration devrait, je crois, veiller à bien définir ces obligations pour éviter les disparités régionales et assurer l'équité, quelles que puissent être les pressions médiatiques ou politiques : il paraît donc normal que l'administration intervienne au niveau central. Elle doit aussi, je crois, veiller à la manière dont sont utilisés les fonds destinés à la revitalisation.
Il faudrait également valoriser les entreprises qui mettent en oeuvre, d'elles-mêmes, dans leurs PSE, des mesures de compensation, et éviter une sorte de double imposition en les taxant alors même qu'elles avaient déjà prévu des mesures et engagé des dépenses. À Aulnay, nous avons ainsi travaillé sur ce point – je note au passage que les agences de développement publiques ne sont pas toujours les mieux placées pour apporter des solutions de revitalisation : il existe aujourd'hui des entreprises privées bien plus efficaces.
Comment envisagez-vous l'articulation de la GPEC et des PSE ? Cette articulation n'a pas toujours été claire : la GPEC a été accompagnée d'aides financières de l'État, mais elle n'a pas toujours servi à éviter les licenciements économiques – qui ne sont bien sûr pas toujours évitables.
Serait-il utile d'inscrire dans la loi que la prime extra-légale n'est pas suffisante dans le cadre d'un plan de départs volontaires, ou bien est-ce une règle implicite que s'appliquent les grandes entreprises dotées de moyens suffisants ?
La question des primes est délicate. À Aulnay, certains demandent une prime de 130 000 euros, quand nous pensons accorder des primes allant de 25 000 à 40 000 euros ! C'est vous dire l'écart énorme entre ce qui est possible et ce qui est revendiqué par une petite frange très radicale. Mais les partenaires sociaux préfèrent s'en tenir à ce que prescrit le code du travail, c'est-à-dire donner la priorité au reclassement et à la sécurisation des parcours.
Aujourd'hui, ce ne sont pas les entreprises qui veulent se débarrasser de leurs obligations légales en donnant des primes supra-légales ; c'est la situation sociale qui fait naître les abus. Ce n'est pas le cas de PSA, mais j'ai des exemples de fournisseurs, d'équipementiers qui se trouvent dans l'obligation d'accorder des primes exorbitantes - 100 000 euros ! – parce qu'ils sont pris en otage, parce que leurs outils de travail sont pris, ce qu'ils ne peuvent pas se permettre.
Aujourd'hui, même les syndicats sont parfois débordés : la peur de perdre un contrat à durée indéterminée et de sombrer dans la précarité est telle que le blocage est insurmontable. En acceptant une prime, certains salariés ont l'impression de « vendre » leur CDI.
L'administration joue globalement le jeu de l'apaisement et de la médiation ; nous avons des interlocuteurs syndicaux responsables, et les directions des entreprises le sont aussi. Les abus sont plutôt des cas marginaux, mais qui font beaucoup parler.