La séance est ouverte à 14 heures.
Présidence de Mme Catherine Coutelle, présidente.
La Délégation procède à l'examen du rapport d'information sur le projet de loi relatif à la santé (n° 2302) (Mmes Catherine Coutelle et Catherine Quéré, corapporteures)
Mes chères collègues, la Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes a souhaité être saisie du projet de loi relatif à la santé, qui sera examiné prochainement par l'Assemblée nationale, à partir de la mi-mars en commission des Affaires sociales et au début du mois d'avril en séance publique.
Mme Catherine Quéré, corapporteure, vous présentera les grandes lignes du projet de rapport d'information qui vous a été communiqué ainsi que les recommandations correspondant à la première partie de celui-ci, concernant certaines thématiques relatives à la santé des femmes en matière de prévention, d'accès aux soins et de prise en charge. Je vous présenterai par ailleurs les recommandations relevant de la seconde partie du rapport consacrée à la santé sexuelle et reproductive. Nous pourrons ensuite échanger sur les recommandations susceptibles d'être adoptées.
Le projet de loi relatif à la santé se fonde essentiellement sur trois axes : prévenir avant d'avoir à guérir, faciliter la santé au quotidien et innover pour conforter l'excellence du système de santé. Deux dispositions de ce texte concernent directement les femmes et les jeunes filles, avec la possibilité donnée aux sages-femmes de pratiquer des interruptions volontaires de grossesse (IVG) par voie médicamenteuse et la levée des restrictions concernant la délivrance de la contraception d'urgence par les infirmier-e-s scolaires.
Le droit des femmes à disposer de leur corps doit être conforté. C'est notamment pourquoi la délégation a souhaité travailler sur ce projet de loi important. Elle en a été saisie par la commission des Affaires sociales à la fin du mois de novembre 2014. Dans cette perspective, nous avons auditionné une vingtaine de personnes au cours de neuf réunions de la délégation. Au terme de nos travaux, ce rapport comporte une vingtaine de recommandations portant, d'une part, sur la prévention, l'accès aux soins et la prise en charge des femmes, et, d'autre part, sur la santé sexuelle et reproductive.
Sur le premier axe, et pour réduire les inégalités sociales et territoriales de santé et mieux prendre en compte les enjeux spécifiques aux femmes, nous formulons tout d'abord cinq recommandations visant à adapter le pilotage des politiques de santé :
– en intégrant des objectifs spécifiques sur les femmes dans la Stratégie nationale de santé et dans les plans régionaux de santé (PRS) : c'est l'objet de la première recommandation ;
– en publiant tous les deux ans un « Baromètre Santé des femmes », avec une sélection d'indicateurs correspondant à des priorités de santé publique, comme le tabagisme, le renoncement aux soins chez les femmes ou encore l'accès à l'IVG (recommandation n° 2) ;
– en développant le recueil et la publication régulière de données sexuées en matière de santé au travail – au cours de nos travaux, il est en effet apparu un manque de données sexuées dans ce domaine – en s'appuyant notamment sur le rapport de gestion de la Caisse nationale de l'assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS) et sur les rapports annuels des médecins du travail (recommandation n° 3) ;
– en améliorant l'accès des femmes aux postes de direction dans les différentes instances sanitaires – il y a beaucoup de progrès à faire – et publiant rapidement l'ordonnance prévue par la loi du 4 août 2014 pour l'égalité réelle entre les femmes et les hommes concernant les autorités administratives indépendantes (AAI) : tel est l'objet de la quatrième recommandation ;
– enfin, en associant mieux les femmes à l'évaluation et à la conception des politiques de santé, notamment grâce à des questionnaires en ligne (recommandation n° 5).
En deuxième lieu, nous proposons d'améliorer la prévention et l'accès aux soins à travers trois mesures :
– renforcer la justice sociale en matière de santé par la généralisation du tiers payant avec les solutions techniques adaptées dès que possible (recommandation n° 6) ;
– rendre obligatoire le logo nutritionnel prévu par ce texte (recommandation n° 7) ;
– préciser les compétences des sages-femmes en matière de vaccination et de prescription de substituts nicotiniques en prévoyant , à l'article 31 du projet de loi, que les sages-femmes pourront « prescrire et » pratiquer des vaccinations pour les personnes qui vivent régulièrement dans l'entourage du nouveau-né ou assurent sa garde et à l'article 33, que la prescription de substituts nicotiniques soit possible pendant les deux premiers mois suivant l'accouchement (recommandation n° 8).
En dernier lieu, nous formulons trois préconisations visant à adapter la prise en charge en tenant compte des spécificités des femmes dans les diagnostics et les traitements :
– améliorer la formation des médecins, initiale et continue, et des professionnels de santé pour mieux prendre en compte les spécificités des femmes dans les diagnostics et les traitements (recommandation n° 9) ;
– diligenter une mission d'évaluation sur les conditions d'essais cliniques de médicaments et la représentation des femmes dans ces tests (recommandation n° 10) ;
– et développer un accompagnement de qualité en direction des parturientes pour faciliter le retour à domicile après la sortie de la maternité (recommandation n° 11). Puisque les femmes sortent désormais des maternités au bout de deux ou trois jours, il nous a semblé important de développer l'accompagnement de ces femmes à domicile.
Avant de vous présenter la deuxième partie du rapport consacrée à la santé sexuelle et reproductive, je souhaite insister sur plusieurs points.
Tout d'abord, le projet de loi comporte plusieurs dispositions qui ne sont pas spécialement destinées aux femmes mais qui contribueront à améliorer leur santé. Je salue à cet égard Mme Monique Orphé, rapporteure de la Délégation aux outre-mer sur ce texte, qui pourra utilement compléter nos réflexions sur la question de la santé des femmes outre-mer.
Nous sommes partis d'un constat partagé : les femmes ont une espérance de vie plus élevée que celle des hommes et – chose intéressante que j'ai découverte au cours de nos travaux – ce constat vaut également quelle que soit la situation sociale des intéressées, puisque mêmes les femmes ouvrières ont une espérance de vie plus longue que celle des hommes occupant des fonctions de cadre. Mais si les femmes vivent plus longtemps, elles ne bénéficient pas de cette longévité en bonne santé.
Par ailleurs, les femmes sont plus touchées par la précarité et la pauvreté que les hommes, en particulier les familles monoparentales et les femmes touchant de petites retraites, et renoncent à se faire soigner pour des raisons financières. Nous souhaitons donc, à travers ce texte, améliorer l'accès à la santé afin de rompre avec les inégalités qui caractérisent aujourd'hui l'accès aux soins, inégalités sociales et territoriales, car il y a des territoires dans lesquels il est plus difficile de se faire soigner que d'autres.
Pour ces raisons, nous tenons particulièrement au tiers payant généralisé. Je n'ignore pas que cette mesure suscite des inquiétudes compte de certaines difficultés, liées notamment aux mutuelles et à la complexité du dispositif, auxquelles craignent d'être exposées les médecins, mais une question d'ordre technique ne doit pas empêcher une avancée bénéficiant au plus grand nombre. J'ajoute qu'il est inexact d'affirmer que la généralisation du tiers payant conduira les patients à considérer que la médecine est gratuite. En effet, notre système de sécurité sociale est fondé sur l'idée que tout revenu et salaire doit contribuer à son financement : dans ces conditions, ce sont bien les cotisations sociales, salariales et patronales, qui financent les soins d'un salarié.
En outre, comme l'a indiqué Mme Catherine Quéré, nous avons constaté, à notre grande surprise, une connaissance insuffisante de la situation des femmes en matière de santé au travail.
La médecine du travail n'est quasiment pas abordée par ce texte et l'on constate aujourd'hui un cloisonnement concernant notamment la médecine scolaire, qui relève de l'éducation nationale, et la médecine du travail, qui dépend du ministère du travail. Ce cloisonnement devrait être remis en cause car force est de constater que le patient peut relever successivement de la médecine scolaire, lorsqu'il est à l'école ou à l'université, puis de la médecine du travail lorsqu'il exerce une activité salariée, et peut également avoir recours à la médecine libérale.
Pourquoi existe-t-il un manque de données sexuées sur la santé au travail ? Les médecins du travail que nous avons auditionnés nous ont indiqué que les statistiques qu'ils pouvaient faire remonter sur cette question n'étaient pas exploitées au niveau national aux fins de comparaison de la santé des femmes au travail avec celle des hommes. C'est pourtant un sujet essentiel. Je rappelle par exemple, et peut-être Mmes Bérengère Poletti, Marie-Noëlle Battistel et Brigitte Bourguignon s'en souviennent-elles, qu'à l'occasion de la discussion du projet de loi portant réforme des retraites, nous avions constaté que le travail de nuit favorisait le cancer du sein chez les femmes. Certains pays l'ont d'ailleurs reconnu comme une maladie professionnelle.
À propos du tiers payant, nous nous sommes aperçues que beaucoup de femmes ne se font pas soigner parce qu'elles ne peuvent pas avancer l'argent nécessaire au paiement des soins. Plus précaires que les hommes, les femmes pâtissent donc davantage qu'eux de l'absence de généralisation du tiers payant…
… et cela contribue à engorger les urgences où il n'y a pas d'avance de frais à faire. Voilà quel a été notre état d'esprit et je vous renvoie, pour plus de précisions, au rapport qui présente de nombreux éléments d'information et données très intéressantes sur la santé des femmes, en adoptant une vision large de ces questions, avec une double approche sexuée et sociale.
J'en viens à la seconde partie du rapport qui traite plus spécifiquement de la santé sexuelle et reproductive qui, initialement, avait particulièrement retenu notre attention compte tenu des avancées prévues par le projet de loi dans ce domaine. Je tiens toutefois à souligner que, comme le montre toute la première partie de ce rapport, notre travail ne s'est pas concentré uniquement sur les questions de santé sexuelle et reproductive.
Nous voulons accompagner et conforter les avancées qui ont été réalisées dans ce domaine, en particulier depuis 2012, et je me souviens également des travaux engagés par notre collègue Bérengère Poletti il y a quelques années dans le cadre de deux rapports d'information adoptés par la délégation sur ces questions.
Nous préconisons tout d'abord d'améliorer l'accès à l'avortement sur l'ensemble du territoire en simplifiant le parcours des femmes et en renforçant l'offre de soins. On s'aperçoit en effet que le parcours qui mène à l'interruption volontaire de grossesse (IVG) est toujours compliqué : il n'est pas simple d'obtenir des informations et beaucoup de centres d'IVG ont fermé. Je ne connais pas la situation outre-mer, mais sur le territoire métropolitain, plus de la moitié des cliniques privées ont fermé leur centre d'IVG au cours des dix dernières années. Le rapport dont vous disposez comporte des précisions chiffrées sur ce point.
Nous voulons que l'accès à l'IVG soit clair et simple. Je note d'ailleurs qu'aucun organisme n'est expressément dénommé « centre d'IVG » : il serait bon d'indiquer plus clairement quels sont les endroits où l'on pratique l'IVG pour améliorer leur visibilité.
Nous proposons par ailleurs de permettre à des professionnel-le-s qualifié-e-s non médecins, telles que les sages-femmes et les infirmier-e-s, de réaliser la première consultation pour une demande d'IVG et de délivrer l'attestation correspondante (recommandation n° 13).
La proposition suivante vise, d'une part, à supprimer l'obligation du délai de réflexion entre la première et la deuxième consultation pour une IVG et, d'autre part, à supprimer les dispositions spécifiques issues de la loi du 17 janvier 1975 qui prévoient qu'un médecin n'est pas tenu de pratiquer une IVG, compte tenu des dispositions déjà prévues par le code de la santé publique qui donnent le droit aux médecins, de façon générale, de refuser des soins pour des raisons professionnelles ou personnelles.
La suppression de l'obligation du délai de réflexion entre la première et la deuxième consultation pour une IVG avait été évoquée dans le cadre de discussions sur le projet de loi pour l'égalité réelle entre les femmes et les hommes, dans laquelle elle n'a pas été inscrite. Le Haut Conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes (HCEfh), qui a publié un rapport très complet sur l'accès à l'IVG, l'appelle de ses voeux, ainsi qu'un certain nombre d'associations et de professionnels. Il n'est pas normal que, pour cet acte uniquement, on impose un délai de sept jours aux patientes.
La loi du 4 août 2014 pour l'égalité réelle entre les femmes et les hommes, portée par Mme Najat Vallaud-Belkacem a supprimé la référence à une « situation de détresse ». Nous demandons aujourd'hui de supprimer l'obligation du délai de réflexion. La suppression de cette obligation n'implique pas la disparition des visites médicales. Si, lors de la première visite médicale, une femme est décidée à recourir à une IVG, le professionnel ou la professionnelle de santé (médecin, infirmier-e, sage-femme) lui expliquera alors les démarches à effectuer et les différentes possibilités de pratiquer une IVG (soit médicamenteuse, soit instrumentale). La femme reviendra pour une seconde visite au cours de laquelle soit l'IVG médicamenteuse sera pratiquée, soit, s'il s'agit d'une IVG instrumentale, des analyses médicales seront effectuées en vue de cette IVG. La suppression de cette obligation évitera simplement à des femmes d'avoir à effectuer une première visite médicale pour faire part de leur souhait de recourir à une IVG avant de revenir sept jours plus tard pour une deuxième visite médicale où elles signent un document constatant la volonté exprimée une semaine plus tôt.
De façon générale, je respecte totalement ce qu'avait décidé Mme Simone Veil lors du vote de la loi de 1975. Elle a eu raison de prévoir certaines mesures pour permettre l'adoption de cette loi qui a nécessité des concessions, et parmi lesquelles cette obligation d'un délai de réflexion d'une semaine, mais aussi les dispositions relatives à la « clause de conscience » en matière d'IVG.
Nous vous soumettons la proposition de supprimer ces dispositions spécifiques issues de la loi de 1975, qui prévoient qu'un médecin n'est pas tenu de pratiquer une IVG, dans la mesure où d'autres dispositions du code de la santé publique octroient déjà aux médecins le droit de refuser des soins pour des raisons professionnelles ou personnelles. Le code de la santé publique et le code de déontologie des professions médicales reconnaissent en effet aux médecins, infirmiers et sages-femmes une clause dite « de conscience » à portée générale. Pour faciliter l'adoption de la loi de 1975, Mme Simone Veil avait négocié l'inscription, dans cette loi, d'une « clause de conscience » spécifique à l'IVG. Lors de nos travaux, il est en effet apparu que ces dispositions pouvaient concourir à faire de l'IVG un acte médical à part. Par ailleurs, il nous semble important, de façon générale, de lever certains freins en matière d'accès à l'avortement et d'éviter l'allongement des délais à travers différentes mesures.
Nous proposons de supprimer ces dispositions spécifiques à l'IVG en maintenant par ailleurs la clause de conscience à portée générale reconnue aux médecins et à d'autres professionnel-le-s de santé, qui peuvent refuser de pratiquer un acte médical.
Nous recommandons par ailleurs de permettre la pratique des IVG instrumentales par anesthésie locale dans les centres de santé, mais aussi dans les centres de planification ou d'éducation familiale (CPEF), dans les maisons de santé pluridisciplinaires ainsi que par les sages-femmes, sous réserve qu'ils répondent au cahier des charges défini par la Haute autorité de santé concernant les conditions techniques et de sécurité nécessaires (proposition n° 14).
Dans le cadre du plan national pour améliorer l'accès à l'IVG, la ministre des Affaires sociales, de la santé et des droits des femmes, Mme Marisol Touraine, a déjà annoncé que les centres de santé auront la possibilité de pratiquer les IVG instrumentales, mais les maisons de santé et les centres de planification n'ont pas été mentionnés.
Les centres de planification dépendent en grande majorité des conseils généraux, et, en très faible part, du Planning familial, avec lequel ils ne se confondent pas. Tous les centres du planning familial ne sont pas des centres de planification et d'éducation familiale (CPEF), et inversement. Il s'agit en fait d'ajouter les maisons de santé, les CPEF et les sages-femmes à la liste des personnes et organismes habilités à pratiquer des IVG instrumentales. Nous préconisons par ailleurs :
– de renforcer l'offre d'IVG sur le plan qualitatif et quantitatif, en prévoyant dans la loi le principe de plans d'actions régionaux et en veillant à l'intégration de l'activité d'IVG dans les contrats pluriannuels d'objectifs et de moyens (CPOM) conclus entre les agences régionales de santé (ARS) et les établissements de santé (recommandation n° 15) ;
– de développer et financer des études et recherches pour mieux connaître les pratiques actuelles en matière d'IVG (proposition n° 16), car nous connaissons assez mal le nombre de médecins qui pratiquent l'IVG et le nombre de ceux qui la pratiquent dans un délai de 10 à 12 semaines. Il semblerait qu'il y ait des refus de pratiquer l'IVG passée la dixième semaine, mais la loi ne l'interdit qu'après la douzième semaine. Nous connaissons aussi insuffisamment les pratiques en matière de « clause de conscience » ainsi que l'estimation du nombre de femmes qui se rendent à l'étranger et du nombre de mineures qui avortent sans autorisation parentale.
Ce rapport propose, d'autre part, une série de mesures visant à faciliter l'accès à la contraception et à développer les actions d'éducation à la sexualité.
Il nous semble tout d'abord nécessaire améliorer la formation initiale et continue des personnels médicaux appelés à prescrire des contraceptifs (proposition n° 17). Je me souviens que notre collègue Bérengère Poletti avait indiqué à la délégation qu'on constatait en la matière une certaine méconnaissance ou, à tout le moins, une indication de contraceptifs centrée sur la « pilule » et qu'il ne paraissait pas toujours important aux professionnels de santé de présenter les différentes possibilités en matière de contraception, et notamment les solutions les mieux adaptées aux diverses situations des femmes.
Par ailleurs, nous préconisons :
– d'harmoniser la couverture géographique des centres de planification et d'éducation familiale (CPEF) et d'améliorer leur communication sur Internet en fournissant des informations pratiques sur les lieux, horaires et prestations (proposition n° 18) ;
– de prévoir la réalisation par la Haute Autorité de santé (HAS) d'une étude sur la possibilité et la pertinence de mettre en vente libre dans les pharmacies les micro-progestatifs (proposition n° 19). En l'absence d'étude, nous n'avons pas voulu recommander directement cette mise en vente libre. J'y serais personnellement assez favorable. Cependant, même pour l'usage de micro-progestatifs, une visite médicale peut être nécessaire, notamment pour s'assurer qu'il n'y a pas de problèmes de circulation sanguine ou autre. Il convient donc de disposer d'informations plus précises sur ce point. En tout état de cause, la mise en vente libre constituerait une simplification notable : c'est toujours compliqué pour les jeunes filles d'aller demander la délivrance de pilules. Mais nous souhaitons nous assurer qu'il n'y ait pas de contre-indications importantes.
À cet égard, je précise que nous avons pris l'initiative d'interroger les régions sur les initiatives qu'elles avaient pu prendre en matière de contraception et le rapport d'information comporte ainsi des informations inédites sur les dispositifs de type « Pass contraception ». Je pense qu'il s'agit d'une action importante et, dans le cadre de la réforme territoriale en cours d'examen par le Parlement, il faudrait que l'on souligne le rôle des régions dans ce domaine, à l'égard des lycées en particulier. Des changements de majorité dans certains territoires peuvent conduire à des orientations différentes et à considérer que ce rôle n'est plus prioritaire ou nécessaire.
Notre dernière préconisation vise à rendre effective l'application de la circulaire de 2003 en inscrivant l'éducation à la sexualité dans les programmes obligatoires et les horaires d'enseignement. Nous constatons toutes et tous que cette éducation à la sexualité n'est pas, pour l'instant, très suivie d'effets, non pas par manque de lois et de circulaires, dont tous s'accordent à dire qu'elles sont très bien faites, mais par une mise en oeuvre insuffisante. Cette éducation à la sexualité nous apparaît aujourd'hui prioritaire pour le développement d'une relation respectueuse entre filles et garçons. Tant que cette éducation est laissée à l'appréciation des établissements, sa mise en oeuvre risque de dépendre de la bonne volonté des acteurs. Nous pensons qu'en l'inscrivant dans les programmes obligatoires d'enseignement, elle sera plus effective.
Concernant la mise en place du tiers payant, c'est un sujet qui fait débat et politique et, si je soutiens l'objectif d'un accès gratuit aux soins, cela ne doit pas conduire à retirer du temps médical par rapport au temps administratif.
Les obstacles administratifs ou techniques ne doivent pas entraver la mise en place du tiers payant.
Les pharmaciens ont le même problème mais ils ont, me semble-t-il, un centre de gestion avec des informations sur les différentes mutuelles. Les médecins pourraient s'organiser pareillement.
On ne va pas refaire ici le débat sur le tiers payant. Je voulais seulement rappeler que le temps médical est quelque chose d'important. Je remercie la présidente d'avoir rappelé que le projet de loi relatif à la santé s'adresse aux femmes et aux hommes mais alors les recommandations ne doivent pas laisser ces derniers de côté. Pourquoi la recommandation n°5 ne vise-t-elle qu'à associer les femmes à l'évaluation des politiques de santé grâce à des questionnaires ?
Nous avons auditionné M. Claude Evin, directeur général de l'ARS d'Île-de-France et ancien ministre, qui a mis en place un programme régional pour favoriser la réduction des inégalités d'accès à l'avortement (FRIDA). Dans ce cadre, un questionnaire en ligne a été lancé pour recueillir l'avis des femmes en matière de recours à l'IVG en Île-de-France et cette initiative nous a semblé très intéressante. C'est notamment pourquoi cette recommandation visait les femmes, mais évidemment, nous sommes favorables à l'association des hommes et des patient-e-s à l'évaluation et à la conception des politiques de santé.
Concernant les compétences des sages-femmes en matière de vaccins et de substituts nicotiniques, il me semble que des médecins ont fait part de leur opposition à la possibilité pour les pharmaciens et les sages-femmes de pratiquer des vaccinations.
Dans le projet de loi, il est prévu que les sages-femmes puissent prescrire des substituts nicotiniques à l'entourage de la femme enceinte pour protéger la santé de l'enfant.
Il peut y avoir des réticences en matière de délégation de tâches, même si des médecins peuvent aussi se plaindre dans le même temps de leur charge de travail. Sur la recommandation n° 11 visant à développer l'accompagnement des parturientes, j'ai noté que la sécurité sociale a développé ces pratiques, surtout à partir du deuxième enfant, mais pour le premier enfant, je ne suis pas favorable aux sorties précoces.
Il y a une autre problématique qui n'est pas abordée dans ce rapport, c'est tout ce qui est lié à l'assistance médicale à la procréation (AMP). Il faut pratiquer des analyses de sang, les femmes sont fatiguées car le traitement est agressif, la vie professionnelle devient compliquée, existe-t-il des rapports sur ces aspects-là ?
On peut rajouter quelque chose sur ce thème dans le corps du rapport, mais en effet, le projet de loi n'évoque pas cette thématique.
Cela crée aussi un effet discriminatoire sur l'embauche et le maintien dans l'emploi. Il y a généralement plusieurs essais, des arrêts de travail et tout cela se révèle pénalisant pour décrocher un contrat à durée indéterminée (CDI).
Cela contribue à créer une notion de « grossesse précieuse », car la femme est souvent arrêtée plus tôt dans sa grossesse. Le traitement est dur et le profil est en effet défavorable pour accéder à un CDI.
Concernant la recommandation n° 12, cela signifie –t-il que les infirmiers feraient des diagnostics de grossesse ?
La première consultation pour une demande d'IVG ne vise pas à fournir une attestation de grossesse : la femme sait qu'elle est enceinte puisqu'elle présente cette demande. Elle commence ses démarches ce jour-là et cela marque le début du parcours.
Les sages-femmes sont compétentes sur toutes les questions relatives à la grossesse ; les infirmiers c'est plus douteux, ils ont d'autres compétences. Dès lors, pourquoi inclure les infirmiers dans cette recommandation ?
Concernant la recommandation n° 13, je n'ai pas de blocage pour revenir sur l'obligation du délai de réflexion d'une semaine mais la suppression de la clause de conscience me pose problème. En effet, on essaie, dans le cadre de ce projet de loi, d'étendre les compétences des sages-femmes pour leur permettre de pratiquer l'IVG médicamenteuse, mais si, dans le même temps, on devait supprimer la clause de conscience, on brandit un véritable épouvantail. Si l'on tient le discours selon lequel cette clause de conscience existe en fait déjà de manière générale mais qu'en même temps on dit on la retire pour lever un frein, ce qui suggère qu'on souhaite finalement accroître la contrainte sur le médecin pour pratiquer cet acte, c'est pour le moins contradictoire. Il faut faire attention à l'argumentaire qu'on utilise.
La loi Veil introduit la clause de conscience pour l'IVG, mais celle-ci existe déjà dans le code de déontologie médicale et dans le code de la santé publique. Je m'interroge d'ailleurs sur les cas dans lesquels les médecins peuvent la faire valoir en dehors de l'IVG.
En effet. Les associations et le Haut Conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes (HCEfh) nous disent que la clause de conscience est spécifique à l'IVG et qu'il y a redondance avec la clause générale de conscience du code de la santé publique. Il y a un mouvement anti-IVG et des médecins invoquent cette clause de conscience spécifique. Il y a aussi de l'entrave à l'IVG. On voudrait donc lever ce qui nous paraît comme une redondance et un frein.
C'est un argumentaire ambigu. Il a été dit que la société se raidit et que des professionnels se refusent à pratiquer cet acte, pour des convictions religieuses notamment, mais c'est aussi le contexte qui les y pousse, et non la loi. Si par ailleurs on dit que de toute façon la loi prévoit que les médecins peuvent faire valoir cette clause de conscience, l'argument ne tient pas ; cela va être compliqué de revenir dessus et, en tout état de cause, ce n'est pas le meilleur moment.
Le contexte est défavorable après les débats sur le mariage pour tous. Mais nous avons quand même enlevé la condition de détresse pour l'IVG. Je vois bien que les débats renaissent avec virulence et s'il l'on peut souhaiter avancer avec prudence, peut-être la situation est-elle mûre aujourd'hui pour toiletter les textes. C'est une proposition que je vous soumets.
La Délégation aux droits des femmes n'est-elle pas dans son rôle de le proposer ? Cela ne signifie d'ailleurs pas nécessairement qu'il y aura un amendement en ce sens.
En même temps, si on enlève la clause spécifique, on reste dans le cadre général pour l'ensemble de la profession. Le problème est plutôt que ce n'est pas le moment ?
C'est agiter un chiffon rouge, mais pour quel résultat ? Concrètement, les freins en matière d'accès à l'IVG ne tiennent pas à cela. Il y a une crispation de la société sur ces questions. J'ai peur que vous obteniez le résultat inverse de celui recherché.
Oui, peut-être. Mais en même temps pourquoi viser spécialement les femmes et l'acte d'IVG ? S'il est nécessaire de toiletter les textes, à un moment donné il faut y aller !
Si nous sommes interpellées sur ce sujet, il s'agira de rappeler que la clause générale sera maintenue, il ne faut pas soulever un problème qui n'existe pas.
Sur la recommandation n° 16 relative aux études et recherches sur la pratique de l'IVG, je voudrais dire que dans les départements d'outre-mer (DOM), l'IVG devient parfois un moyen de contraception, avec des taux plus élevés qu'en métropole. Par exemple, en Guadeloupe, on compte de l'ordre 31 IVG pour 1 000 jeunes filles de 15 à 17 ans. Il faut approfondir l'analyse des causes de recours à l'IVG, j'avais d'ailleurs reçu une chercheuse travaillant sur le VIH et sur les grossesses précoces en Guyane, car on manque de données dans les DOM. Sur les grossesses précoces, elles sont deux fois plus élevées dans les DOM. Il faut une vraie recherche sur ces sujets-là pour pouvoir mener ensuite des actions appropriées.
En outre, la suppression de la clause de conscience des médecins peut avoir un intérêt. Constate-ton d'ailleurs un refus massif des médecins dans ce domaine ?
En effet, les chiffres outre-mer et en métropole sont très différents, comme le font apparaître les chiffres présentés dans le rapport.
De même, le taux de mortalité infantile est bien plus élevé outre-mer alors même qu'il existe des moyens modernes de prévention, notamment à la Réunion. Sur ce point encore, nous manquons de données.
Nous proposons de rajouter à la recommandation n°16 la mention suivante : « et notamment outre-mer ».
La recommandation n° 18 prévoit notamment l'harmonisation de la couverture géographique des centres de planification et d'éducation familiale (CPEF). Il apparaît en outre essentiel d'harmoniser et d'améliorer leurs horaires d'ouverture. Par exemple, il est anormal qu'en Guadeloupe, ces centres ferment à 17 heures.
Enfin, le « Pass contraception » constitue une mesure très intéressante. En revanche, les retours ne sont pas toujours satisfaisants.
Selon l'enquête que nous avons réalisée, 110 jeunes ont sollicité des dispositifs de ce type en 2012 dans la région Champagne-Ardennes.
Il nous faut connaître le nombre de contraceptifs délivrés par le biais de ces coupons pour en mesurer l'efficacité réelle.
S'agissant de l'éducation à la sexualité, se pose la question des jeunes qui n'y ont pas accès, notamment du fait de leur déscolarisation ou de leur milieu culturel. Peut-être faudrait-il favoriser des campagnes de publicité sur ce point.
La ministre avait lancé une grande campagne de communication relative à la contraception il y a quelques années. Mais effectivement, cela pourrait être utile.
La délégation adopte le rapport d'information ainsi que les recommandations suivantes visant, d'une part, à réduire les inégalités sociales et territoriales de santé et mieux prendre en compte les enjeux spécifiques aux femmes (recommandations n° 1 à 11) et, d'autre part, à conforter les avancées en matière de santé sexuelle et reproductive (recommandations n°°12 à 21).
– Pour adapter le pilotage des politiques de santé :
1) intégrer des objectifs spécifiques sur les femmes dans la Stratégie nationale de santé et dans les plans régionaux de santé (PRS) ;
2) publier tous les deux ans un « Baromètre Santé des femmes », avec une sélection d'indicateurs correspondant à des priorités de santé publique (tabagisme, renoncement aux soins chez les femmes, IVG, etc.) ;
3) développer le recueil et la publication régulière de données sexuées en matière de santé au travail en s'appuyant notamment sur le rapport de gestion de la Caisse nationale de l'assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS) et sur les rapports annuels des médecins du travail ;
4) améliorer l'accès des femmes aux postes de direction dans les différentes instances sanitaires et publier rapidement l'ordonnance prévue par la loi du 4 août 2014 pour l'égalité réelle entre les femmes et les hommes concernant les autorités administratives indépendantes (AAI) ;
5) mieux associer les femmes à l'évaluation et à la conception des politiques de santé grâce à des questionnaires en ligne, etc.
– Pour améliorer la prévention et l'accès aux soins :
6) renforcer la justice sociale en matière de santé par la généralisation du tiers payant avec les solutions techniques adaptées dès que possible ;
7) rendre obligatoire le logo nutritionnel prévu par le projet de loi ;
8) préciser les compétences des sages-femmes en matière de vaccination et de prescription de substituts nicotiniques :
– en précisant à l'article 31 du projet de loi que les sages-femmes peuvent « prescrire et » pratiquer des vaccinations pour les personnes qui vivent régulièrement dans l'entourage du nouveau-né ou assurent sa garde ;
– en prévoyant, à l'article 33, que la prescription de substituts nicotiniques soit possible pendant les deux premiers mois suivant l'accouchement.
– Pour adapter la prise en charge en tenant compte des spécificités des femmes dans les diagnostics et les traitements
9) améliorer la formation des médecins, initiale et continue, et des professionnel-le-s de santé pour mieux prendre en compte les spécificités des femmes dans les diagnostics et les traitements ;
10) diligenter une mission d'évaluation sur les conditions d'essais cliniques de médicaments et la représentation des femmes dans ces tests ;
11) développer un accompagnement de qualité en direction des parturientes pour faciliter le retour à domicile après la sortie de la maternité.
– Pour améliorer l'accès à l'avortement sur l'ensemble du territoire ; simplifier le parcours des femmes, renforcer l'offre de soins et éclairer les zones d'ombre :
12) permettre à des professionnel-le-s qualifié-e-s non médecins, telles que les sages-femmes et les infirmier-e-s, de réaliser la première consultation pour une demande d'IVG et de délivrer l'attestation correspondante ;
13) supprimer l'obligation du délai de réflexion entre la première et la deuxième consultation pour une IVG et supprimer les dispositions spécifiques issues de la loi de 1975 prévoyant qu'un médecin n'est pas tenu de pratiquer une IVG, compte tenu des dispositions déjà prévues par le code de la santé publique qui donne le droit aux médecins de refuser ses soins pour des raisons professionnelles ou personnelles ;
14) permettre la pratique des IVG instrumentales par anesthésie locale dans les centres de santé mais aussi les centres de planification ou d'éducation familiale (CPEF), les maisons de santé pluridisciplinaires et par les sages-femmes, sous réserve qu'ils répondent au cahier des charges défini par la Haute Autorité de santé concernant les conditions techniques et de sécurité nécessaire ;
15) renforcer l'offre d'IVG sur le plan qualitatif et quantitatif, en prévoyant dans la loi le principe de plans d'actions régionaux et en veillant à l'intégration de l'activité d'IVG dans les contrats pluriannuels d'objectifs et de moyens (CPOM) conclus entre les agences régionales de santé (ARS) et les établissements de santé ;
16) développer et financer des études et recherches pour mieux connaître les pratiques actuelles en matière d'IVG, notamment outre-mer, concernant le nombre de médecins qui pratiquent l'IVG et le nombre de ceux qui la pratiquent dans le délai de 10 à 12 semaines, la clause de conscience, l'estimation du nombre de femmes se rendant à l'étranger, les avortements concernant des mineures sans autorisation parentale, le rôle des différents professionnel-le-s de santé, etc.
– Pour faciliter l'accès à la contraception et développer les actions d'éducation à la sexualité :
17) améliorer la formation initiale et continue des personnels médicaux appelés à prescrire des contraceptifs ;
18) harmoniser la couverture géographique des centres de planification et d'éducation familiale (CPEF) et améliorer leur couverture horaire et leur communication sur Internet en fournissant des informations pratiques sur les lieux, horaires et prestations ;
19) prévoir la réalisation par la Haute Autorité de santé d'une étude sur la possibilité et la pertinence de mettre en vente libre dans les pharmacies les micro-progestatifs ;
20) encourager le développement d'initiatives de type « Pass contraception » dans les régions ;
21) rendre effective l'application de la circulaire de 2003 en inscrivant dans les programmes obligatoires et les horaires d'enseignement l'éducation à la sexualité.
La séance est levée à 15 heures.