COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES
Mercredi 21 novembre 2012
La séance est ouverte à dix-sept heures quinze.
(Présidence de Mme Catherine Lemorton, présidente de la Commission)
La Commission des affaires sociales examine, en deuxième lecture, la proposition de loi, modifiée par le Sénat, visant à la suspension de la fabrication, de l'importation, de l'exportation et de la mise sur le marché de tout conditionnement à vocation alimentaire contenant du bisphénol A (n° 250) (M. Gérard Bapt, rapporteur).
Je souhaite la bienvenue à plusieurs de nos collègues d'autres commissions qui ont émis le souhait d'assister à nos travaux et qui pourront intervenir lors de la discussion générale.
Nous examinons en deuxième lecture la proposition de loi visant à suspendre la commercialisation de tout conditionnement alimentaire comportant du bisphénol A. Adoptée en première lecture par l'Assemblée nationale le 12 octobre 2011, elle a été examinée par le Sénat lors de sa séance du 9 octobre 2012.
Faut-il rappeler que le bisphénol A est plus que suspecté d'être responsable de perturbations endocriniennes et de troubles de la reproduction chez l'homme ? Il existe aujourd'hui des preuves scientifiques suffisantes pour que la suppression du bisphénol A dans notre alimentation constitue une priorité. Je signale à cet égard une étude américaine récente parue dans le Journal of the american medical association, une des revues médicales à comité de lecture les plus importantes, menée par le Dr Leonardo Trasande sur une cohorte de 2 800 jeunes âgés de 6 à 19 ans suivie par le service de pédiatrie de l'université de New York : il ressort de cette étude que les jeunes ayant le taux de bisphénol A dans le sang le plus élevé ont deux fois plus de risques d'être en surpoids que leurs camarades qui ont le taux de bisphénol A le plus bas.
Cette réalité n'est d'ailleurs aujourd'hui plus niée par les industriels, ce qui constitue une évolution notable. Il y a encore trois ans, ces derniers affirmaient, en s'appuyant sur les travaux des agences sanitaires, que le bisphénol A ne présentait aucun danger. La ministre de la santé de l'époque, Mme Roselyne Bachelot, répondait d'ailleurs de même aux questions posées par les parlementaires.
Les professionnels sont désormais engagés dans la recherche de substituts : il s'agit là d'un enjeu très important car le bisphénol A est largement utilisé, et pas seulement dans la fabrication des pare-chocs ou des boucliers des compagnies républicaines de sécurité (CRS), mais aussi dans les contenants alimentaires, que ceux-ci soient en plastique ou en métal.
En ce qui concerne les contenants de denrées alimentaires, les auditions que j'ai conduites ont montré qu'il existe d'ores et déjà des solutions alternatives. Les résultats de l'appel à contribution de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSES) publiés le 28 juin 2012 donnent une liste de 73 substituts disponibles, pour des usages différents. La plus grosse difficulté réside dans la recherche de substitut aux résines couvrant l'intérieur des boîtes métalliques destinées à contenir des aliments acides, mais une entreprise suédoise commercialise déjà des conserves, notamment de sauce tomate, réputée pour être acide, dans des contenants à base de carton. Ainsi, si ces solutions alternatives ne sont pas encore toutes opérationnelles, la fixation d'un délai contraignant pour la disparition du bisphénol A doit permettre de mobiliser les industriels. Certaines entreprises, pas forcément françaises, mais certaines sont françaises, ont pris de l'avance sur le sujet, il s'agit de ne pas manquer ce tournant.
S'il faut faire attention à ne pas pénaliser notre industrie par des contraintes trop fortes, il faut en même temps l'inciter à se moderniser. La pression du consommateur ainsi que des militants et des lanceurs d'alertes en réaction au rôle joué par les perturbateurs endocriniens dans le développement de certaines pathologies (cancers, obésité) a déjà porté ses fruits et il convient maintenant que les industriels se mobilisent pour être compétitifs dans la production d'emballages alimentaires garantis « sans bisphénol A ». Cela ne leur servirait à rien en effet de continuer à produire des emballages dont le consommateur ne voudrait bientôt plus.
Il s'agira aussi de convaincre nos partenaires européens, comme nous avons réussi à le faire à propos des biberons. À la suite de la notification par la France à la Commission européenne de la loi du 30 juin 2010, cette dernière a non seulement autorisé la mesure de sauvegarde mais l'a étendue à l'ensemble des États membres depuis le 1er mars 2011 en présentant une directive interdisant la commercialisation de biberons contenant du bisphénol A, alors même que l'agence sanitaire européenne, l'agence européenne de sécurité sanitaire des aliments (EFSA), ne recommandait pas une telle interdiction. Cette dernière est malheureusement très en retard et sujette à critiques en raison du nombre de conflits d'intérêts non traités en son sein, comme en témoigne la démission récente de la présidente de son conseil d'administration.
Trois pays européens ont d'ores et déjà décidé d'interdire la commercialisation des contenants de produits alimentaires comportant du bisphénol A et destinés à la petite enfance : le Danemark en 2010, la Belgique et la Suède en 2012. En France, 95 % des contenants des produits destinés à la petite enfance ne comportent déjà plus de bisphénol A.
La principale modification apportée par le Sénat concernant le bisphénol A est le report de dix-huit mois de l'entrée en vigueur de la suspension de la commercialisation de conditionnements alimentaires contenant du bisphénol A, soit du 1er janvier 2014 au 1er juillet 2015. Je vous propose de laisser cette date, dans la mesure où un an s'est écoulé depuis la première lecture, et où il faut permettre aux industriels de tester la fiabilité de leurs nouveaux produits. Il convient néanmoins d'insister sur le fait que le mouvement est lancé et qu'il est irrémédiable.
Je propose aussi qu'un rapport soit remis par le Gouvernement au Parlement un an avant cette date, afin de s'assurer qu'il existe des substituts fiables pour l'ensemble des applications du bisphénol A en matière de conditionnement alimentaire. En effet, tout l'enjeu est de trouver des substituts évalués, ayant fait la preuve de leur innocuité. Il ne s'agit pas de remplacer une substance toxique par une autre ayant les mêmes inconvénients.
Par ailleurs, le Sénat a étendu le champ de cette proposition de loi aux dispositifs médicaux au regard de la présence de phtalates et d'autres substances suspectées de toxicité dans les matériaux les composant.
Un amendement de Mme Chantal Jouanno a prévu l'interdiction de tous les dispositifs médicaux comportant des perturbateurs endocriniens ou des substances CMR (cancérogène, mutagène, reprotoxique), soit environ 400 substances. Ces dispositions à la portée beaucoup trop large me semblent inapplicables. Je vous propose donc de supprimer les alinéas 8 à 11 de l'article premier.
En revanche, le Sénat a adopté un amendement de M. Gilbert Barbier qui me semble plus réaliste : il s'agit d'interdire trois phtalates des dispositifs médicaux destinés aux services de maternité, de néonatalogie et de pédiatrie. J'ai rencontré les représentants du secteur : il existe des substituts à un de ces trois phtalates, qui est à la fois le plus utilisé et le plus décrié par les scientifiques, le di (2-éthylhexyl) phtalate (DEHP). Je propose donc de limiter l'article 3 au seul DEHP.
En ce qui concerne les deux autres phtalates, je propose que le rapport prévu par le Sénat à l'article 4 étudie la recherche de substituts et pousse l'expertise plus avant, car ces trois phtalates sont déjà interdits au niveau européen dans la composition des jouets et des objets de puériculture.
Au nom du groupe SRC, je souhaite saluer la constance dont fait preuve notre collègue Gérard Bapt sur cette question, qui n'a d'égale que la constance dont il a également fait preuve, de même que vous, Mme la Présidente, sur l'affaire du Mediator, ainsi que sa conscience du bien public et de l'intérêt général. Et ce texte correspond parfaitement à l'intérêt général.
Nous avons ainsi eu l'agréable surprise lors des auditions de constater que les industriels ne nient plus la réalité du problème. S'ils sont devenus croyants, ou, du moins, s'ils se sont soumis à l'intelligence du consommateur et de la population qui a très vite compris les effets néfastes du bisphénol A, ils doivent désormais devenir pratiquants.
Ce texte est un texte précurseur au niveau européen : il nous appartient donc de faire accélérer les choses au niveau de la Commission européenne, ne serait-ce qu'au regard des exportations : il ne serait pas admissible que des règles strictes soient respectées en France mais que l'on continue d'exporter des produits susceptibles d'empoisonner les autres populations. Nous ne devons donc pas être les seuls à avancer sur ce dossier.
Comme l'a rappelé le Premier ministre lors de la Conférence environnementale, l'interdiction du bisphénol A ne doit, en outre, pas conduire à remplacer celui-ci par des substituts tout aussi dangereux. C'est pourquoi je tiens à souligner que le travail parlementaire qui a été mené est un travail responsable laissant un délai suffisant aux industriels pour trouver des alternatives fiables. Les auditions de toutes les filières de production d'emballages alimentaires nous montrent que nous progressons. Par ailleurs, le Réseau environnement santé a indiqué que la présence de bisphénol A dans les emballages extérieurs ne posait pas de problème. Bon nombre d'industriels, dont certaines entreprises françaises, sont ainsi désormais sur le bon chemin. Des filières d'exception sont même en voie de constitution grâce à des chercheurs français à Toulouse, à Montpellier : je pense en particulier au recours à la biolignine ou aux tanins pour fabriquer des résines.
En conclusion, il s'agit d'un texte raisonné et responsable que votera le groupe SRC.
En tant que médecin, je suis moi-même très au fait du dossier du bisphénol A. Nous avons, en outre, déjà travaillé sur ces questions l'an dernier : peut-être trop d'ailleurs ? Je me demande en effet si la question des biberons ne pouvait pas être résolue par voie réglementaire.
Mais ce texte témoigne d'un travail continu. S'il ne doit pas mettre en difficulté notre industrie, notamment au niveau européen, il permettra à la France de jouer le rôle nécessaire d'aiguillon auprès de la Commission européenne.
On connaît depuis longtemps le danger de l'alumine dans les contenants alimentaires métalliques et son rôle dans le développement de la maladie d'Alzheimer. Là aussi, il conviendra de trouver un substitut. Pour cela, il faut laisser du temps aux industriels pour s'adapter et trouver les produits adéquats.
Il est bon néanmoins que la France ait initié cette démarche. C'est pourquoi le groupe UMP votera ce texte.
Il faut bien entendu se réjouir que ce texte puisse enfin être adopté par nos deux assemblées. Il est attendu depuis longtemps, chacun étant conscient, après l'adoption des dispositions tendant à suspendre la commercialisation de biberons produits à base de bisphénol A que ce problème de santé publique persistait, notamment pour les femmes enceintes. S'y joint la prise en compte de l'impact de ces substances sur plusieurs générations. Un consensus médical s'est donc aujourd'hui dégagé sur la dangerosité de ces composants et sur la nécessité d'en proscrire l'utilisation.
En revanche, le débat reste entier sur l'urgence de ces mesures, comme nous le verrons lors de l'examen des amendements. Il convient, en effet, de ne pas édulcorer le texte ni de l'amoindrir dans les délais qu'il prévoit ou la portée des mesures qu'il instaure, sous la pression des industriels concernés. Nous sommes évidemment tous soucieux de leur permettre de s'adapter aux nouvelles réglementations, mais en matière de santé publique, alors que la dangerosité d'un produit est établie aussi nettement, il est de notre devoir, tant moral que juridique, d'aller au-delà. Nous sommes responsables du droit qui s'élabore, comme le montrent les affaires récentes et la mise en examen, injuste, de Mme Martine Aubry sur l'amiante. Les victimes du bisphénol A pourraient un jour porter plainte contre le législateur ou les pouvoirs publics qui n'auraient pas su prendre leurs responsabilités. La question des délais et de la portée du texte est donc extrêmement importante, le recul des dates d'échéance dans le texte du Sénat ne me semble pas nécessaire, j'y reviendrai lors de l'examen des articles.
De même, certains des amendements du rapporteur me paraissent réduire le champ de la proposition de loi. Tout le débat va donc aujourd'hui porter sur les contraintes que nous imposerons aux industriels face à la responsabilité de santé publique qui est la nôtre.
Je suis membre de la commission des Affaires étrangères, mais la question du bisphénol A me concerne. Une usine de boîtes métalliques est installée dans ma circonscription. Le remplacement de cette substance est maintenant acquis, ce qui est une excellente chose. Mais il faut également se donner le temps de l'analyse des produits qui vont la remplacer. Les entreprises et les chercheurs travaillent sur un nombre important de produits, de vernis de substitution et leur évolution au contact des produits alimentaires doit être étudiée dans un laps de temps suffisant. Les entreprises doivent aussi disposer du délai nécessaire à leur mutation.
J'ai, comme vous, rencontré les employés et les dirigeants d'une entreprise concernée à Boulogne-sur-Mer, ils demandent un peu de temps pour que leurs recherches aboutissent. Ces dernières portent sur de nombreux produits, dans plusieurs pays d'Europe, je veux donc vous alerter sur des décisions qui s'imposeraient dès l'année prochaine ou l'année suivante, sans prendre en compte les conséquences qu'elles auraient sur l'emploi et sur les exportations, l'usine en question exportant 50 à 60 % de sa production.
Je suis membre de la commission du Développement durable et de l'aménagement du territoire. Comme ma collègue, j'ai dans ma circonscription des industriels confrontés à la question du bisphénol A. Ce texte est nécessaire et conforme à l'intérêt public, le débat porte donc sur les conditions et les échéances de sa mise en application. Les industriels travaillent sur les substituts, avec plus ou moins de moyens. Nestlé, dans ma circonscription, a pu réaliser des investissements dans ce domaine. Mais tous n'ont pas ses capacités de recherche et de financement.
Il conviendrait également de préciser l'utilisation du bisphénol A et de distinguer le contact direct avec l'aliment de sa présence dans l'emballage, afin que les échéances fixées soient en adéquation avec le niveau du risque estimé. Enfin les solutions retenues, proposées aux industriels, devront être testées et conformes aux réglementations dans le domaine alimentaire.
Je suis député de la Sarthe où se situe le centre de recherches, autrefois de Péchiney Emballage Alimentaire, maintenant de Ardagh. Le rapporteur a posé les bonnes questions et apporté les bonnes réponses sur la préservation de l'outil industriel pendant cette période de transition. Des efforts ont été faits dans tout le secteur du boîtage métallique, que ce soit sur l'acier ou l'aluminium, depuis plus de vingt ans. Les entreprises sont aujourd'hui très performantes, notamment à l'exportation : on fait ainsi de l'impression sur boîte en japonais comme dans la plupart des langues. C'est un outil industriel extraordinaire de l'arc Atlantique qui exporte bien au-delà de l'Europe, en Afrique et dans d'autres régions du monde.
Dans cette période de transition nous devons ensemble trouver les moyens de maintenir notre structure industrielle face à la concurrence européenne, puisque nous serons les seuls, pendant un certain temps, à appliquer cette nouvelle réglementation. Les amendements du rapporteur vont y contribuer, ma seule réserve portant sur les produits exportés, 30 à 40 % de la production, face à la concurrence dans ce nouveau contexte réglementaire.
Membre de la commission des Affaires économiques, je souhaite corroborer les propos de mes collègues. Personne, effectivement, ne remet en cause la toxicité et la nocivité de ces produits ni la nécessité de les supprimer des contenants. Les industriels en sont d'accord. Le groupe que j'ai rencontré produit déjà 7 ou 8 millions de boîtes avec des substituts. Ces derniers existent donc même si la question se pose de leur validation et de leur pérennité, afin qu'ils soient conformes aux réglementations en matière de sécurité et ne soient pas plus nocifs que ce qu'ils remplacent. Les industriels demandent donc simplement un peu de temps. La date proposée par le Sénat, le 1er juillet 2015 semble raisonnable.
Les industriels regrettent néanmoins que l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSES) n'ait pas publié son rapport avant nos délibérations, ce qui aurait pu nous éclairer et qu'il ne soit pas tenu compte des stocks de boîtes déjà fabriquées.
Les deux premières interventions, celles de Christian Hutin et Fernand Siré, se situent dans la même perspective que celle que j'ai défendue en présentant ce texte et les amendements que nous allons examiner. Nous allons revenir sur l'inquiétude de Jean-Louis Roumegas en matière de délais d'application. Thérèse Guilbert, Jean-Louis Ricout, Guy-Michel Chauveau et Annick Le Loch ont la même préoccupation que nous pour trouver les meilleures solutions garantissant à la fois les impératifs de santé publique et l'adaptation de l'appareil de production à ces impératifs. Des délais sont nécessaires.
Cependant, concernant les contenants alimentaires destinés à la petite enfance, il n'y aura pas de délai au-delà de la promulgation de la loi. Les deux principales entreprises de distribution d'aliments destinés à la petite enfance, Nestlé et Danone, déclarent que d'ores et déjà l'intégralité de leurs produits sont vendus dans des contenants sans bisphénol A. Le problème se pose, en revanche, pour les boîtes métalliques contenant des denrées liquides et, surtout, acides. La recherche est déjà largement engagée et des substituts ont été testés qui ne répondent pas, pour les contenus acides, au bout de deux ans, aux préconisations, des débuts d'oxydation étant intervenus. Un délai d'une année supplémentaire, que permet le texte, était donc demandé.
D'autres considérations, figurant dans les amendements, ont également été prises en compte. Le bisphénol A est également contenu dans des matières, comme le polychlorure de vinyle (PVC) ou les résines époxy n'entrant pas en contact avec les denrées alimentaires, mais entrant dans la composition de l'emballage. La protection devrait alors davantage porter sur la santé au travail, en particulier des employés, hommes ou femmes, en âge de procréer, ayant à manipuler souvent et de façon prolongée ce type d'emballages. Un amendement précisera donc l'interdiction du bisphénol A pour les contenants au contact direct des denrées alimentaires.
Nous demandons également un rapport au Parlement présentant l'évaluation par l'ANSES de la toxicité des substituts au bisphénol A. La voie serait alors ouverte, au Gouvernement comme au Parlement, pour prolonger éventuellement les délais dans le cas particulier d'emballage qui ne disposerait pas de substitut adéquat. Les préoccupations industrielles seraient ainsi prises en compte. En revanche, en matière d'exportations, il ne serait pas éthiquement défendable de continuer à exporter des produits interdits d'usage sur le marché intérieur, même à destination de pays qui estimeraient que l'utilisation du bisphénol A serait sans danger. En outre, nous espérons, à cet égard et comme cela s'est passé pour les biberons, que nous serons suivi par l'Union européenne et que nos préoccupations de santé publique dans ce domaine ne seront pas réservées à quelques pays nordiques et à la France, ce qui devrait limiter les distorsions de concurrence à l'exportation.
Enfin, le rapprochement avec l'amiante pour les conditions d'application de la loi ne me semble pas fondé. Les industriels ont été, on le sait, jusqu'à circonvenir les chercheurs qui tentaient d'affirmer la nocivité de l'amiante. De plus il n'est pas possible d'établir un parallèle complet entre la causalité univoque de l'exposition à l'amiante dans le développement du mésothéliome de la plèvre et le rôle du bisphénol A, qui intervient dans certains organismes, mais avec un caractère de causalité multifactoriel. Les effets divergent selon les individus, ce qui rend l'approche scientifique plus difficile.
Notre discussion montre bien les contraintes que nous pouvons rencontrer en voulant articuler les décisions que l'on souhaite prendre dans un pays de l'Union européenne avec le principe de la libre circulation des personnes et des biens. Pourtant le Traité de Lisbonne prévoit l'application aux États du principe de subsidiarité en matière de santé publique. Nous sommes donc des précurseurs dans ce domaine, et particulièrement notre rapporteur, Gérard Bapt, depuis longtemps…
Article 1er : Suspension de la fabrication, de l'importation, de l'exportation et de la mise sur le marché de tout conditionnement alimentaire comportant du bisphénol A
La Commission examine l'amendement AS 3 du rapporteur.
Cet amendement vise à remplacer les mots : « recevoir des produits » par les mots : « entrer en contact direct avec des denrées ». Il répond à une préoccupation exprimée par certaines entreprises mais aussi par les associations et les lanceurs d'alerte.
Le rapporteur va trop loin avec certains de ses amendements et édulcore trop le texte. Il est certes scientifiquement légitime de distinguer les parties en contact direct avec les aliments de celles qui ne le sont pas, comme l'ont rappelé aussi bien les scientifiques lanceurs d'alerte que l'ANSES. Cette distinction permet de fonder une différence de délai. Mais l'exonération complète, que permet l'amendement, de la suppression du bisphénol A en cas de non contact est excessive. L'entreprise Nestlé nutrition infantile faisait remarquer qu'elle était déjà prête pour la suppression du bisphénol A dans les contenants en contact direct avec les denrées alimentaires, et n'avait besoin que d'un délai pour le reste. Cet amendement me semble au contraire donner le signal de l'abandon de tout effort de suppression ultérieure. De plus l'absence de contact direct ne veut pas dire qu'il n'y a aucun risque sanitaire. Vous avez vous-même évoqué le cas des caissières manipulant des tickets de caisse comportant du bisphénol A et qui pouvaient ainsi s'exposer à des risques sanitaires, certes moindres qu'en cas d'ingestion répétée d'aliments acides en contact direct avec le bisphénol A. Il en va de même des contenants non en contact direct avec des denrées alimentaires mais qui peuvent être portés à la bouche par les enfants. Un délai supplémentaire pouvait s'envisager mais pas la restriction du champ d'application de la loi. Je ne voterai pas cet amendement.
Votre préoccupation est légitime, c'est pour cela que je précisais que, dans certaines conditions, il était nécessaire de donner des conseils de précaution aux personnes en âge de procréer amenées à manipuler régulièrement des produits et des emballages contenant du bisphénol A, notamment en les incitant à porter des gants. Nous ne légiférons pas pour l'éternité, notre demande d'un rapport d'évaluation des substituts vise également à adapter ultérieurement la législation. Le mouvement est lancé, la pression des consommateurs, la vigilance des agences et des parlementaires, comme vous, monsieur Roumegas, permettra la prise en compte de cette préoccupation.
Je suis persuadée de l'importance du marquage des produits pour alerter les consommateurs et leur permettre, par eux-mêmes, de les différencier.
La Commission adopte l'amendement AS 3.
Elle examine ensuite l'amendement AS 4 du rapporteur.
Dans la mesure où il n'est pas certain que ce texte puisse être promulgué avant le 1er janvier 2013, cet amendement propose de prévoir une entrée en vigueur au premier jour du mois suivant sa promulgation.
La Commission adopte l'amendement AS 4.
Elle examine ensuite l'amendement AS 1 de M. Roumegas.
Cet amendement porte sur le point principal de ce texte : celui des délais. Nous entendons les difficultés d'adaptation des industriels, mais il nous semble nécessaire de les relativiser face aux préoccupations qui sont celles des consommateurs et aux enjeux de santé publique. Lors des auditions menées par le rapporteur, auxquelles j'ai assisté, nous avons écouté des industriels, qui nous ont dit qu'il existait déjà des alternatives au bisphénol A, y compris pour les conserves. Nestlé nutrition infantile aurait ainsi besoin de six mois à un an de délai supplémentaire pour les emballages extérieurs, les éléments pour lesquels existe un contact indirect. Si les industriels eux-mêmes considèrent qu'un délai d'un an leur sera suffisant, pourquoi leur donner dix-huit mois de plus ? Cet amendement propose donc d'avancer au 1er janvier 2014 la date d'interdiction du bisphénol A, date qui satisferait les industriels. Fixer un délai courant jusqu'au 1er juillet 2015 ne paraît pas raisonnable, mais s'apparente davantage à une facilité qui serait donnée aux industriels. Reporter la date de l'interdiction du bisphénol A revient à accepter d'exposer de nombreuses personnes, en particulier des nouveaux-nés, à cette substance.
Il convient de ne pas être excessivement anxiogène. Le bisphénol A a des conséquences sur l'organisme en tant que perturbateur endocrinien, il ne s'agit tout de même pas d'un poison mortel.
Je réitère ma mise en garde d'autant plus que ce sont les scientifiques eux-mêmes qui confirment la dangerosité de ce produit. De nombreux réseaux de vigilance et d'associations se sont également mobilisés en faveur de l'interdiction du bisphénol A.
On ne peut tout de même pas comparer le bisphénol A à l'amiante. Contrairement au drame de l'amiante, nous prenons justement les mesures nécessaires pour éviter le maintien de cette substance. Les industriels nous ont bien expliqué, lors de la table-ronde qui a été organisée par le rapporteur, qu'il y a mille façons de conditionner des produits alimentaires. Certes, les grands groupes industriels disposent des moyens pour développer des alternatives rapides au bisphénol A : ce n'est néanmoins pas le cas de tous les acteurs concernés dans ce secteur. Il existe parfois de petites structures qui fabriquent des conditionnements, dont certaines dans la filière bio, et pour lesquelles une telle adaptation sera bien plus difficile. Un délai d'un an me paraît trop court pour elles.
Nous ne mesurons pas notre degré d'exposition au bisphénol A, qui est certainement présent dans de nombreux matériaux autres que les produits alimentaires. À partir du moment où nous ne disposons pas des moyens techniques pour évaluer la présence de bisphénol A dans tous les matériaux qui nous entourent, il me semble que l'on ne pourra pas garantir que son interdiction est bien respectée. Pour l'amiante, le problème était bien différent, puisque l'on savait pertinemment et depuis longtemps qu'il s'agissait d'un produit dangereux.
Nous avons bien entendu les préoccupations de nos collègues du groupe écologiste. Mais il y a un vrai problème d'effectivité des mesures proposées. Si certaines industries ont besoin d'environ un an pour trouver une alternative au bisphénol A, celle-ci ne concernera que certains produits, et en l'occurrence pas les produits acides, dont les différentes alternatives expérimentées jusqu'à maintenant ont conduit à une oxydation à plus ou moins long terme. Pour Bonduelle, par exemple, il n'existe pas de solution pour toutes les catégories de produits alimentaires non plus. Il faut bien rappeler que les industriels ont réellement pris conscience du problème de santé publique et des attentes très fortes des consommateurs. Ils travaillent aujourd'hui pour trouver des solutions alternatives. C'est pourquoi je demande à la commission de rejeter cet amendement. En revanche, je pourrais faire un pas dans votre sens en proposant d'avancer de six mois le délai adopté par le Sénat et de fixer la date d'interdiction au 1er janvier 2015.
Nous considérons que cette proposition du rapporteur constitue un nouvel amendement AS 17.
La Commission rejette l'amendement AS 1 et adopte l'amendement AS 17.
La Commission est ensuite saisie de l'amendement AS 6.
Il s'agit d'un amendement de conséquence de l'amendement AS 3 précédemment adopté relatif au contact direct avec les denrées alimentaires.
La Commission adopte l'amendement AS 6.
La Commission est saisie de l'amendement AS 7 du rapporteur.
L'ANSES sera sans doute en mesure, au début de l'année prochaine, de remettre un rapport définitif sur les substituts possibles au bisphénol A. Son rapport ne pourra toutefois aller au-delà d'une énumération de ces substituts, car il sera trop tôt, sauf exceptions, pour que leur innocuité puisse être attestée. Même les décisions déjà prises par la Food and Drug administration (FDA), par exemple à l'égard du Tritan™, ne seraient d'aucun secours. En revanche, l'ANSES sera mieux à même, dans les prochains mois, de se prononcer sur les substituts au bisphénol A pour ses applications industrielles au regard de leur éventuelle toxicité : l'amendement vise donc à demander au Gouvernement de remettre au Parlement un rapport sur cette question avant le 1er juillet 2014.
Cet amendement essentiel s'inscrit dans la lignée des propos tenus à l'occasion de la Conférence environnementale par le Premier ministre, qui a souligné que la substitution ne doit entraîner aucun risque. L'ANSES ne pourra, dans un premier temps, que présenter un catalogue des substituts, mais les scientifiques nous ont dit travailler déjà activement dans ce domaine, de telle sorte que des conclusions pourront être établies d'ici un an et demi à deux ans, au plus trois ans dans certains cas. C'est donc un amendement raisonnable.
La Commission adopte l'amendement AS 7.
Elle est saisie de l'amendement AS 8 du rapporteur.
Comme précédemment, il s'agit d'un amendement de conséquence avec les amendements AS 3 et AS 6.
Ce n'est pas d'un simple amendement de conséquence qu'il s'agit, car celui-ci aurait pour effet de supprimer l'exigence d'un avertissement sanitaire en l'absence de contact direct avec les denrées. Or, ainsi que l'a précédemment rappelé la présidente, l'information apporte une contribution importante à la prévention des risques liés au bisphénol A. Il faut éviter par exemple que les enfants portent à leur bouche des jouets ou objets contenant cette substance.
Les jouets ne sont pas en cause, car il est ici question de contact direct avec les denrées.
L'effet de l'amendement serait que si l'extérieur du contenant renferme du bisphénol A, l'étiquetage ne le mentionnera pas.
Ce point peut être réétudié d'ici la discussion en séance publique, mais il faut rappeler que l'avertissement sanitaire portera sur l'ensemble du conditionnement et non pas seulement sur la denrée contenue.
Il faut distinguer l'extérieur de l'intérieur du contenant, car beaucoup d'objets, tels ceux incorporant des produits mélaminés, contiennent du bisphénol A.
Je suis simplement favorable à la rédaction du Sénat, qui permet de gérer correctement le risque. La suppression de l'avertissement en l'absence de contact direct n'est pas souhaitable à partir du moment où l'extérieur de certains conditionnements contient du bisphénol A.
Certains industriels du secteur agro-alimentaire nous ont en effet indiqué qu'un délai leur serait nécessaire afin de résoudre ce problème, de même que les imprimeurs pour les tickets de caisse et reçus de distributeurs automatiques de billets. Mais il ne faut pas complexifier le dispositif en introduisant une distinction entre deux types d'avertissements.
La Commission adopte l'amendement AS 8.
Elle examine ensuite l'amendement AS 9 du rapporteur.
Pour l'application du dispositif relatif à la petite enfance, l'amendement reprend la définition des enfants en bas âge donnée par le droit européen, à savoir les nourrissons de 0 à 12 mois et les enfants de 1 à 3 ans inclus.
La Commission adopte l'amendement AS 9.
Elle est saisie de l'amendement AS 10 du rapporteur.
L'amendement revient sur l'interdiction, introduite par le Sénat à l'initiative de Mme Chantal Jouanno, de l'ensemble des substances cancérogènes, mutagènes et reprotoxiques (CMR) de catégorie 2 et des perturbateurs endocriniens dans les dispositifs médicaux. Plus de 400 molécules se trouvant ainsi visées, cette mesure apparaît de portée beaucoup trop large et fixe un objectif qui serait impossible à atteindre dans la pratique.
Cette pseudo-avancée est en fait totalement irréaliste. Un tel catalogue des dispositifs médicaux interdits serait en effet inapplicable et aurait pour conséquence de rompre très gravement la chaîne de santé, par exemple en interdisant les poches de sang.
Les conséquences d'une telle interdiction, qui empêcherait notamment de pratiquer des endoscopies chez les bébés, seraient très largement supérieures aux dangers occasionnels inhérents à la présence de bisphénol A.
La Commission adopte l'amendement AS 10.
Elle adopte ensuite l'article 1er modifié.
Article 2 : Contrôle de la conformité des produits
La Commission adopte l'article 2 sans modification.
Article 3 : Interdiction de certains phtalates dans les dispositifs médicaux des services de néonatalogie et de maternité
La Commission est saisie de l'amendement AS 11 du rapporteur.
À l'initiative de M. Gilbert Barbier, le Sénat a interdit l'utilisation, dans les services de néonatalogie et de maternité, de dispositifs médicaux contenant l'un des trois phtalates suivants : le di (2-éthylhexyl) phtalate (DEHP), le dibutyl phtalate (DBP) et le butyl benzyl phtalate (BBP). Or, les effets de ces substances ne sont pas encore suffisamment connus s'agissant des deux derniers. L'amendement vise donc à limiter cette interdiction au DEHP, substance dont les conséquences sur la santé sont les plus documentées, notamment en termes de reprotoxicité, et pour laquelle il existe d'ores et déjà des substituts en matière de dispositifs médicaux.
La Commission adopte l'amendement AS 11 et l'article 3 modifié.
Article 4 : Rapport sur les perturbateurs endocriniens
La Commission adopte successivement les amendements rédactionnels AS 12, AS 13, AS 14 et AS 15 du rapporteur.
Elle examine ensuite l'amendement AS 16 du rapporteur.
Prenant en compte les préoccupations exprimées par le Sénat au travers de l'article 3, l'amendement vise à étendre le champ du rapport sur les perturbateurs endocriniens que l'article 4 demande au Gouvernement de présenter au Parlement, en prévoyant qu'au vu des éléments d'information disponibles quant aux matériaux de substitution existants et à leur innocuité, il étudie l'opportunité d'interdire le DEHP, le DBP et le BBP dans l'ensemble des dispositifs médicaux.
La Commission adopte l'amendement AS 16.
Elle adopte ensuite l'article 4 modifié.
Elle adopte enfin l'ensemble de la proposition de loi visant à la suspension de la fabrication, de l'importation, de l'exportation et de la mise sur le marché de tout conditionnement à vocation alimentaire contenant du bisphénol A modifiée.
La séance est levée à dix-huit heures quarante-cinq.