La réunion commence à seize heures quinze.
Mes chers collègues, nous allons examiner aujourd'hui le rapport d'information sur la mise en oeuvre des conclusions du rapport d'information n° 3524 du 9 juin 2011 sur l'évaluation de l'aide médicale de l'État (AME).
Nos deux rapporteurs sont Christophe Sirugue pour la majorité et Claude Goasguen pour l'opposition.
Le premier rapport d'information du CEC sur l'aide médicale de l'État (AME), présenté le 9 juin 2011, se concluait par deux types de recommandations : des recommandations partagées et des contributions personnelles des rapporteurs, portant sur des points jugés prioritaires. Par la suite, un rapport de suivi a été présenté le 16 février 2012.
À la demande du groupe Les Républicains, un deuxième rapport de suivi a été décidé le 2 octobre 2014 par le CEC, dont l'objectif est de faire le point sur les modifications apportées au dispositif à la suite des préconisations faites tant par le CEC que par la Cour des comptes et les inspections générales des finances et des affaires sociales dans leur rapport de novembre 2010.
Nous avons procédé à cinq auditions et organisé une table ronde à l'Assemblée nationale, l'objectif de ce nouveau rapport n'étant pas de recommencer les travaux effectués, mais de prendre connaissance de l'évolution du dispositif, de son efficacité et de son coût après les mesures de réforme, et de le confronter au contexte que nous connaissons aujourd'hui.
Nous nous sommes rendus à l'hôpital Delafontaine à Saint-Denis, premier offreur de soins au titre de l'AME en Seine-Saint-Denis, ainsi qu'à la caisse primaire d'assurance maladie de Paris, caisse qui gère plus de 20 % des bénéficiaires de l'AME.
Il a été utile d'actualiser les informations disponibles sur la prise en charge sanitaire des étrangers en situation irrégulière chez nos partenaires européens : la comparaison de notre système avec celui en vigueur en Allemagne, au Danemark, en Espagne, en Italie, au Royaume-Uni, en Suède et en Suisse a pu être faite. Ces éléments montrent que la prise en charge effectuée en France est la plus complète, et que la dépense consentie par l'État français est plus élevée que celle des autres États pour lesquels un montant de dépense global peut être connu – avec des incertitudes sur la dépense en Allemagne et en Italie, où la prise en charge relève fortement des autorités locales.
Dans un contexte de progression régulière de la dépense d'AME, et compte tenu de l'arrivée de nombreuses personnes ayant fui leur pays en guerre, nous portons un regard différent sur le dispositif et son avenir.
Le nombre de bénéficiaires enregistrés à l'AME fin 2014 s'est élevé à 294 300, contre 282 400 fin 2013, dont 20 196 bénéficiaires en outre-mer. La progression de ce nombre a été de 4 % entre 2013 et 2014. L'hypothèse de progression s'établit à 4,9 % pour 2016.
La dépense totale d'AME a enregistré une forte hausse ces deux dernières années : elle a atteint 846 millions d'euros en 2013 et 831 millions d'euros en 2014, contre 703 millions d'euros en 2012. La prévision de dépense pour 2015 est de 780 millions d'euros. Les crédits inscrits au projet de loi de finances initiale pour 2016 augmentent de 10 %, soit 68 millions d'euros supplémentaires par rapport à la loi de finances initiale pour 2015.
La dotation globale en faveur de l'AME se compose de la dotation destinée à l'AME de droit commun, de la dotation forfaitaire de 40 millions d'euros pour les soins urgents, et d'une enveloppe allant de 3 à 5 millions d'euros pour les autres dispositifs.
L'écart récurrent entre la prévision et la consommation des crédits provient du dépassement de la dotation de l'AME de droit commun, dépense de guichet liée à la demande et à la hausse du nombre de bénéficiaires.
Nous avons tenu compte du résultat de plusieurs mesures de maîtrise des coûts qui ont été adoptées.
D'abord, la réforme de la tarification hospitalière, par la loi du 29 juillet 2011 de financement rectificative de la sécurité sociale. Les tarifs appliqués pour les prestations de médecine chirurgie obstétrique (MCO) pour les patients AME ont été progressivement alignés sur le droit commun. L'économie est évaluée à 26 millions d'euros en 2014, 55 millions d'euros en 2015 et 5 millions d'euros en 2016. La baisse de ressources qui en a résulté pour les hôpitaux a été partiellement compensée par l'augmentation du nombre de patients en 2014. Un décret du 17 octobre 2011 a ensuite exclu de l'AME les cures thermales et les actes techniques et examens de biologie médicale spécifiques à l'assistance médicale à la procréation.
Enfin, le décret du 3 février 2015 a exclu du champ de prise en charge les médicaments à service médical rendu faible dont le taux de prise en charge est fixé à 15 %. L'impact attendu de cette mesure est d'un peu plus de 4 millions d'euros pour 2015 et de 5 millions d'euros les années suivantes.
Ces mesures contribuent à la stabilisation de la dépense.
Enfin, l'article 69 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2015 a modifié le régime appliqué pour la tarification hospitalière des soins urgents : ils sont facturés comme ceux des patients AME de droit commun ; l'économie attendue est de 50 millions d'euros.
Les particularités des situations en Guyane et à Mayotte demeurent, et la dépense de soins y reste importante. En Guyane, la population étrangère recourt peu aux soins, et la prise en charge AME intervient à 82 % pour des maladies graves ou pour des femmes enceintes souhaitant une prise en charge obstétrique de meilleure qualité. À Mayotte, le coût de la prise en charge des non assurés sociaux est évalué à 77,6 millions d'euros en 2014 pour une dépense totale liée aux soins de 160,7 millions d'euros. Le budget du Centre hospitalier de Mayotte (CHM) s'élevait à 178 millions d'euros pour 2014. Les non assurés sociaux représentent 48 % des recettes sur la base d'une facturation à l'acte, et 42 % des séjours hospitaliers.
La proportion importante de la dépense et des hospitalisations s'explique par la gravité des états à prendre en charge et par le nombre important des femmes comoriennes venant accoucher à Mayotte.
Après avoir étudié pendant plusieurs années l'AME dans le cadre du CEC, mais aussi de la commission des finances – je vous invite à consulter mon rapport spécial sur les crédits de la santé pour 2016 –, j'ai la conviction que le système ne pourra pas se maintenir, pour plusieurs raisons.
Première raison : les chiffres présentés ne sont représentatifs de l'ensemble de la dépense. D'abord, ils sont minorés puisque les lois de finances rectificatives ouvrent selon les années entre 100 et 150 millions d'euros supplémentaires. Ensuite, ces chiffres ne tiennent pas compte des dettes de l'AME : une dette cumulée de l'État envers la sécurité sociale actuellement de 57 millions, d'une part ; une dette au titre des soins d'urgence, d'autre part, budgétés à 40 millions par le Gouvernement, mais atteignant en réalité 100 millions pour la sécurité sociale, soit une différence de 60 millions d'euros, qui s'ajoute encore aux coûts de l'AME.
J'ajoute que pour Mayotte, où l'immigration est considérable, il faudrait très certainement ajouter 100 millions d'euros supplémentaires. L'hôpital de Mayotte est le premier « fournisseur » d'enfants de toute l'Europe.
Enfin, en Guyane, la chambre régionale des comptes indique chaque année que les chiffres sont très en dessous de la réalité.
En bref, l'AME apportée par notre pays aux immigrés clandestins est bien plus élevée que ce que le Gouvernement veut bien nous le dire, ce qui me semble extrêmement malsain du point de vue budgétaire.
Deuxième raison : l'État abonde les caisses de la sécurité sociale qui n'exercent pas de contrôles. Les caisses n'ont pas les moyens d'effectuer les contrôles que même les préfectures ou les commissariats ne peuvent assurer eux-mêmes ! L'ouverture systématique de crédits supplémentaires en loi de finances rectificative est ainsi une incitation à l'absence de contrôles, lesquels ne concernent que quelques dizaines de cas sur 300 000 personnes.
Troisième raison : le Gouvernement annonce une économie de 50 millions d'euros pour 2016, sans produire des évaluations justes et cohérentes. D'abord, Mme Marisol Touraine m'a parlé d'économies attendues sur les médicaments ; or celles-ci ne représenteront que 5 millions. Ensuite, les économies sur la dépense générée par la suppression des coefficients de majoration des tarifs hospitaliers appliqués jusqu'en 2014 sont évaluées à 60 millions d'euros, dont 55 millions d'euros en 2015, soit une économie de seulement 5 millions en 2016. Enfin, il m'a été répondu que l'accélération des procédures en matière de droit d'asile permettrait, sur la base de 18 000 demandeurs d'asile déboutés, d'économiser les 40 millions restants. Or cela est impossible, car si les demandeurs d'asile sont déboutés rapidement, ils bénéficieront non de la CMU, mais de l'AME, ce qui grèvera d'autant plus son budget.
Quatrième raison : la France est désormais le seul pays européen à avoir ce système. Or je ne vois pas au nom de quoi notre pays maintiendrait cette spécificité, alors que la dépense des autres pays européens est plus contenue face à la pression migratoire. Malgré quelques restrictions, notre panier de soins est très complet par rapport à celui pris en charge gratuitement chez nos voisins.
Cela m'amène à mes propositions.
Il faudrait imaginer un système proche de celui de nos partenaires européens, avec un panier limité aux soins urgents et aux soins jugés prioritaires, à hauteur de 200 millions d'euros. Les soins urgents et ceux jugés prioritaires qui pourraient être pris en charge gratuitement figurent dans le rapport, page 40. Cette évolution pourrait s'accompagner de la suppression de la condition de résidence de trois mois, ce qui simplifierait les formalités administratives.
À côté des soins urgents ou jugés prioritaires, je préconise un basculement des autres soins dans l'assurance maladie selon un régime adapté, ce qui aurait pour effet de transférer la prise en charge des étrangers en situation irrégulière dans le régime de sécurité sociale. Ce transfert contribuerait à mieux contrôler la dépense.
Avec toute l'estime que j'ai pour Christophe Sirugue, je n'ignore pas qu'il est difficile de critiquer le Gouvernement que l'on soutient. Je me suis moi-même heurté à Mme Bachelot qui avait fait preuve sur le sujet d'une surdité exceptionnelle, ce qui a abouti à la pseudo-réforme de la contribution de 30 euros à la charge des bénéficiaires de l'AME !
En conclusion, il est clair que les hôpitaux subissent la désorganisation croissante provoquée par la gestion actuelle de l'AME. Ce système est devenu ingérable : je ne demande pas sa disparition, mais la prise en compte de mes propositions.
Si dans notre rapport Claude Goasguen et moi divergeons sur les propositions, ce n'est pas le cas à propos des chiffres qui y sont présentés. Je trouve indélicat d'expliquer publiquement que les chiffres de notre rapport son inexacts.
En outre, je ne soutiens pas le Gouvernement par principe : je suis résolument favorable à l'AME.
Notre premier rapport de 2011 a montré que la fraude ne permettait pas d'expliquer la croissance de la dépense. Nous partageons un constat préoccupant : l'augmentation de la charge financière et une sous-dotation régulière de l'AME.
Non seulement nos premières préconisations ont été suivies d'effet, mais elles ont permis une réduction importante de la dépense. Néanmoins, cette réduction a été annulée par l'augmentation du nombre de bénéficiaires, dont il faut souligner que ce sont plutôt des hommes seuls, avec un coût moyen de prise en charge inférieur à 1 000 euros, et non des familles entières comme certains le disent !
S'agissant de la dette de l'État envers la sécurité sociale, elle a été résorbée entre 2007 et 2009, pour augmenter à nouveau à partir de 2011, mais dans des proportions moindres que précédemment. Notre rapport précise que le solde restant dû au 31 décembre 2014, de 57 millions d'euros, est équivalent au montant d'un mois de prestations.
La subvention forfaitaire de l'État de 40 millions d'euros au titre du financement des soins urgents délivrés dans le cadre de l'AME représente 38 % de la dépense globale affectée aux soins urgents. Or si nous devions prendre en compte les propositions de Claude Goasguen, nous en viendrions inéluctablement à transférer une part des dépenses de l'AME de droit commun sur les soins urgents. Car si les gens n'ont pas accès à un dispositif d'accompagnement structuré, leur état de santé s'aggravera, si bien qu'ils se tourneront vers les soins d'urgence plus onéreux, ce qui alourdira encore cette charge financière.
J'en viens à mes propositions.
Premièrement, je considère que l'aide médicale de l'État doit être préservée dans ses modalités actuelles. Un ticket d'entrée est inutile, car non seulement cela complexifie le dispositif, mais cela ne règle rien – le droit de timbre de 30 euros était généralement pris en charge par le mouvement associatif –, sans compter le risque d'éloigner les gens du processus de soins au prix d'une aggravation de leur pathologie.
Deuxièmement, le travail d'examen des dossiers d'AME doit être poursuivi. Il est faux de dire que les contrôles sont inexistants. Pour avoir visité des caisses primaires d'assurance maladie, je peux vous dire que les processus de contrôle ont été substantiellement modifiés, grâce aux agents dédiés et aux outils mis en place – cartes infalsifiables, vérification de l'effectivité de la résidence sur le territoire, photographies, etc. Comme l'indique notre rapport, 54 cas de fraude ont été détectés en 2014, pour un préjudice subi de 130 000 euros – à comparer aux 450 000 euros de préjudice subi du fait de deux cas de facturation d'actes fictifs par des professionnels de santé.
Troisièmement, il faut prendre en compte les besoins des hôpitaux. Seuls quelques établissements sont confrontés à la problématique de l'AME, comme le centre hospitalier de Saint-Denis qui a besoin de dispositifs spécifiques pour accompagner les bénéficiaires de l'AME. Le premier dispositif est relatif à l'interprétariat, aspect très important au regard de la multitude de nationalités des patients. Le deuxième concerne le suivi social et la gestion financière des dossiers, notamment pour obtenir l'encaissement des facturations, qui ont nécessité l'adaptation des équipes pour mobiliser des effectifs. Le troisième dispositif est la mise en place d'assistantes sociales pour faire sortir les personnes du centre hospitalier – l'hôpital de Saint-Denis mobilise cinq ETP sur cette mission. Dans ce contexte, l'accompagnement de l'État au travers des missions d'intérêt général (MIG) est insuffisant au regard des enjeux auxquels sont confrontés les centres hospitaliers. Il faut veiller à ce que ces derniers ne se retrouvent pas dans des situations financières impossibles.
Il faut maintenir le caractère universel de l'AME. J'ai du mal à comprendre qu'on puisse préconiser l'attribution d'un numéro de sécurité sociale à des personnes en situation irrégulière. Une intégration du financement de l'AME au sein du budget de la sécurité sociale rendrait impossible le suivi du dispositif, ce qui entretiendrait les fantasmes sur les abus, la fraude, le déficit. S'agissant de la question du panier restreint, j'invite à la prudence sur la comparaison avec les autres pays européens, dont les systèmes de protection sociale sont différents du nôtre. En Espagne, par exemple, un décret a exclu de l'assistance sanitaire les personnes en situation irrégulière, si bien qu'elles se tourneront forcément vers les soins hospitaliers d'urgence.
En conclusion, l'aide médicale de l'État doit être confortée, mais également encadrée.
Chargé par la commission des finances du rapport sur les crédits de la santé, je ne suis pas responsable de la différence entre les chiffres fournis par Mme Touraine et ceux figurant dans le rapport.
Je redis que le système, dans ses modalités actuelles, ne peut être géré que grâce aux lois de finances rectificatives.
Il est faux de dire qu'une fusion du dispositif au sein de la sécurité sociale empêcherait les contrôles. En effet, grâce à l'objectif national de dépenses d'assurance maladie (ONDAM), le Parlement peut réguler les dépenses de santé.
En outre, il est incroyable de prétendre que seuls 54 cas de fraude ont été détectés sur 300 000 personnes. La sécurité sociale n'a pas les moyens de mener ces contrôles, ce qui mène à une situation d'illégalité permanente !
Quant à la dette cumulée, elle s'établit à 57 millions, ce que Mme Touraine ne nie pas. Cette dette a donc augmenté puisqu'elle était de 40 millions l'année dernière…
Mais non ! Monsieur le président, il y a un problème de méthode ! Si Claude Goasguen considère que notre rapport contient des chiffres inexacts, alors il ne peut pas demander de le publier !
Les chiffres fournis la semaine dernière par le ministère des affaires sociales sont ce qu'ils sont ! M. Sirugue se base sur les données figurant dans les documents budgétaires annexés au projet de loi de finances pour 2016, alors que je m'appuie sur une analyse plus exhaustive de l'aide octroyée aux immigrés clandestins. En particulier, si Mayotte ne relève pas de l'AME, elle participe à la prise en charge sanitaire des étrangers en situation irrégulière.
Les chiffres de notre rapport sont identiques à ceux du rapport spécial présenté par Claude Goasguen à la commission des finances. L'interprétation qu'en fait Claude Goasguen aboutit à des conclusions différentes que je ne partage pas.
Les chiffres ne sont pas contestables, c'est une question de périmètre. Monsieur Goasguen, vous rajoutez notamment Mayotte et vous avez expliqué pourquoi.
Les dispensaires qui existaient autrefois pour faire face à des problèmes de santé publique ont été supprimés. Or, dans un contexte d'augmentation constante de la dépense publique, ne permettraient-ils pas de contenir cette dépense en répondant aux besoins de soins de proximité et d'urgence ?
Je crois effectivement que l'opposition entre les deux rapporteurs tient à des différences de périmètre.
Est-il possible de distinguer les dépenses de prévention, les dépenses de soins urgents et les autres dépenses ? Connaissez-vous l'évolution des dépenses en fonction de ces catégories ?
Des dispositifs sont-ils mis en place pour mieux détecter les situations de fraude ?
La vraie question est de savoir pourquoi notre pays compte 300 000 « clandestins connus ». Une république incapable de faire respecter les règles qu'elle a mises en place risque de tomber dans l'anarchie et un régime autoritaire. Avant de songer à maîtriser la dépense de l'AME, il faudrait mener une politique de l'immigration permettant d'expulser rapidement les clandestins qui ne peuvent bénéficier du droit d'asile.
Ce rapport montre l'absence de coopération européenne. Des travaux sont-ils menés à l'échelle de l'Union européenne pour harmoniser la prise en charge ?
Concernant Mayotte et la Guyane, quand on en arrive à une situation où plus d'un tiers de la population est en situation irrégulière, cela veut dire qu'il n'y a plus de République ! Comme me l'ont dit des élus guyanais, 50 % des accouchements à l'hôpital de Saint-Laurent-du-Maroni concernent des femmes non françaises, qui viennent des deux territoires adjacents, sans compter le trafic d'état civil. En effet, le trafic de reconnaissance de paternité tarifé, par lequel un français reconnaît un enfant contre une somme de 1 000 à 2 000 euros, permet à l'enfant d'être né en France d'un père français. À Mayotte, les choses sont un peu différentes, m'a-t-on dit. Ne faudrait-il pas mettre en oeuvre des dispositifs spécifiques dans ces deux régions ?
Ce qui choque nos concitoyens, c'est qu'ils travaillent, paient des cotisations sociales et bénéficient d'une assurance de base avec ticket modérateur, alors que des personnes qui n'ont aucun droit en France et ne travaillent pas – au moins officiellement – bénéficient d'une meilleure couverture maladie qu'eux. Dans ces conditions, la marmite risque d'exploser ! La plupart des 300 000 « clandestins connus » travaillent au noir – sinon, comment vivraient-ils ? Serait-il possible d'évaluer les ressources réelles de ces personnes, afin de leur demander une contribution en fonction de leurs revenus ?
Je rejoins M. Sirugue sur deux points. D'une part, le retard d'accès aux soins entraîne un surcoût – un furoncle infecté peut provoquer une septicémie. D'autre part, si M. Goasguen considère que les chiffres ne sont pas les bons, il ne faut pas publier le rapport.
Monsieur de Courson, les politiques ne sont pas dédouanés de faire de la pédagogie pour éviter à la marmite d'exploser ! Si les gens travaillent au noir, c'est parce qu'un employeur veut bien les embaucher ! M. Goasguen propose d'inclure dans la couverture les soins en cas d'accident du travail, mais les personnes en situation irrégulière qui travaillent illégalement ne peuvent pas relever de la législation des accidents du travail ! Quant à celles qui sont régularisées par le travail, elles sont très peu nombreuses.
Il existe deux types de fraudes. D'une part, les fraudes au « panier de soins », lequel est défini. Il faut donc arrêter de faire croire à nos concitoyens que les personnes en situation irrégulière ont droit à tout sur notre territoire, car c'est faux ! Si elles bénéficient de soins prescrits en dehors du panier de soins, c'est parce qu'un prescripteur n'a pas fait son travail ! Il faut arrêter d'accuser les bénéficiaires. D'autre part, les fraudes aux conditions d'accès. Pour avoir travaillé avec des associations d'aide aux personnes en situation irrégulière, je vous certifie qu'entre l'arrivée d'un étranger en situation irrégulière sur notre territoire, sa détection et sa prise en charge, il s'écoule plus de trois mois. Beaucoup de personnes ne veulent pas « sortir du bois » pour ne pas être détectées, si bien qu'elles ne bénéficient pas de l'AME et se font soigner dans des centres de Médecins du monde. Je connais des personnes en situation irrégulière sur notre territoire depuis trois ans et qui ne bénéficient pas de l'AME !
Ceux qui disent que les personnes en situation irrégulière doivent entrer dans le droit commun sont les mêmes que ceux qui proposent des dispensaires réservés aux personnes en situation irrégulière ! Ce discours est totalement illogique. Ces dispensaires prendraient-ils la forme de centres de santé ? Beaucoup de familles en situation irrégulière sont suivies dans les centres de PMI, notamment pour la vaccination des enfants.
Autre point : d'aucuns préconisent des génériques pour l'AME, or la promotion des médicaments génériques concerne déjà nos concitoyens.
En conclusion, j'ai du mal à y voir clair après des conclusions aussi différentes entre deux rapporteurs ayant dressé un état des lieux commun. D'un côté, ces personnes pourraient entrer dans le droit commun. Pourquoi pas ? Cela leur éviterait une stigmatisation permanente dans les structures de santé. De l'autre, ces personnes peuvent rester « à part » – je n'y suis pas défavorable non plus –, ce qui permettra de les suivre correctement et d'évaluer la dépense.
Les flux migratoires ne peuvent qu'entraîner une augmentation de la dépense. Il faut donc agir.
Les propositions de M. Goasguen me paraissent correctes, en particulier la gestion par la sécurité sociale, ce qui mettrait fin à la direction bicéphale actuelle. M. Sirugue est sur une autre ligne, mais Mme Lemorton n'est pas défavorable à une telle mesure. Sans doute est-il possible de trouver un point d'équilibre.
La France a le devoir de prendre en charge les personnes en difficulté, notamment lorsqu'elles souffrent de pathologies sévères et ne peuvent être soignées dans leur pays d'origine. Néanmoins, il faut prendre en charge les soins urgents et jugés indispensables, ce qui nécessite de les définir.
Enfin, dans le cas où son visa de séjour n'est plus valable, un étranger doit repartir dans son pays s'il peut s'y faire soigner. Or beaucoup de personnes dans ce cas restent sur le territoire et entrent dans le cadre de l'AME. Votre rapport aborde-t-il ce sujet ?
En tant que nouveau membre du CEC, le malaise suscité par les chiffres me laisse perplexe. Dans un contexte de dépense à la hausse, la question est de savoir ce qu'il est possible de proposer afin d'améliorer l'efficience de l'AME.
Le propos de Claude Goasguen sur l'Europe est important. Notre système alimente-t-il les flux migratoires ? Cette question mérite d'être approfondie.
Au-delà des données sur le coût du dispositif, avez-vous mené une analyse sur le recours aux soins en fonction des pathologies ?
Même si les rapporteurs expriment des positions différentes, ils formulent dans le rapport une série de propositions communes, notamment pour ce qui concerne le contrôle des visas touristiques.
Madame Lemorton, pour avoir eu maille à partir avec l'Ordre des médecins, je peux vous dire que je ne considère pas les bénéficiaires de l'AME responsables du problème.
Pour autant, je redis que l'AME ne peut qu'entraîner des difficultés du fait de l'absence de contrôles. Un certain nombre de gens, voire certains hôpitaux, ont largement profité du système ! Par conséquent, la sécurité sociale doit trouver un intérêt direct à le contrôler. Cela est indispensable pour assurer le fonctionnement du système avec la crise migratoire actuelle.
À ma connaissance, il n'y a pas d'épidémies grandissantes chez les personnes en situation irrégulière présentes dans les pays européens qui ont institué un panier d'urgence qui coûte moins cher que le nôtre. Par conséquent, le panier français peut être réduit.
Selon les autorités publiques, 16 000 personnes bénéficient de l'AME en Guyane. Mais de qui se moque-t-on ? La moitié des personnes dans les hôpitaux publics guyanais sont en situation irrégulière !
À Mayotte, la kafala islamique vaut 50 euros et la kafala juridique 100 euros ! Selon Mme Touraine, le coût de la prise en charge des étrangers en situation irrégulière à Mayotte est de 65 millions ; notre rapport indique que le coût de la prise en charge des non assurés sociaux est évalué à 77,6 millions ; moi, je pense qu'il s'agit plutôt de 100 millions. En réalité, les chiffres n'existent pas et il faudra bien un jour se mettre d'accord !
Cela étant dit, j'apprécie beaucoup mon collègue Christophe Sirugue. Comme lui, je pense qu'il est possible de se mettre d'accord sur des mesures immédiates qui permettront de mieux gérer l'AME. Mais tôt ou tard, il faudra imaginer un système proche de celui de nos partenaires européens. Parmi mes propositions, figure la suppression du délai de trois mois pour la condition de résidence : ce délai est totalement inutile et complexifie le travail de l'administration.
Il est important de rappeler que les demandeurs du droit d'asile et les réfugiés relèvent, non de l'AME, mais de la CMU.
Sur les six derniers trimestres, la hausse de la dépense a été maîtrisée – +8 %, contre +30 % pour les cinq trimestres précédents. C'est la preuve que la mise en place de dispositifs permettant de maîtriser la dépense est efficace.
S'agissant de la structure des soins, la proportion des dépenses hospitalières dans la dépense totale d'AME est de 70 % – la médecine de ville représente 8 %, les médicaments 13 %. Au titre des dépenses hospitalières, les prises en charge les plus fréquentes concernent la tuberculose, le VIH et les maladies associées, ainsi que les accouchements. Les dispensaires ne pourraient donc pas être adaptés à la prise en charge de ces pathologies.
Le panier de soins existe : l'AME ne donne pas accès à tous les soins.
Enfin, je confirme que les chiffres figurant dans notre rapport sont les bons.
Ils sont bons au titre de l'AME stricto sensu. Ils ne prennent pas en compte l'ensemble des dépenses liées à l'immigration irrégulière.
Il aurait été intéressant de compléter le rapport par des éléments concernant, d'une part, les personnes ayant obtenu le droit d'asile, et, d'autre part, les « clandestins non déclarés ».
Dans le cadre de l'AME, ces personnes relèvent plutôt des soins urgents. Or l'enveloppe des soins urgents est celle qui risque de déraper le plus. D'où ma réticence à la proposition de mon collègue Claude Goasguen.
Ces personnes n'ont pas envie de se faire connaître, elles ont peur de se faire repérer, même lorsqu'elles ont des fiches de paie. Ce public, qui se dirige vers les dispensaires associatifs comme ceux de Médecins du monde, est donc impossible à identifier.
Les personnes qui travaillent clandestinement ne pourraient-elles pas contribuer à la dépense ?
Il m'est arrivé d'échanger avec les travailleurs en situation irrégulière, très nombreux dans la restauration et le BTP. Cela se sait, ils sont des milliers dans ce cas ! Nous vivons dans l'hypocrisie la plus totale. En droit fiscal, les gens doivent payer des impôts même pour des activités clandestines.
Mettre en place une contribution des travailleurs clandestins reviendrait à perdurer dans l'hypocrisie. Ce serait en effet reconnaître une rémunération, alors qu'elle provient d'un travail exercé au noir par des personnes en situation irrégulière !
En conclusion, le dispositif actuel de l'AME est un embrouillamini considérable. Je ne dis pas que les bénéficiaires en sont responsables, je dis qu'un système non contrôlé est condamné à déraper. Placer la sécurité sociale devant ses responsabilités clarifiera les choses. Avec un panier de soins gratuits réduit, ces personnes pourraient être intégrées au régime de la sécurité sociale pour les autres soins. Quant aux dépenses d'urgence, je ne pense pas qu'elles déraperont avec le système que je propose.
Mes chers collègues, chacun s'étant exprimé, il vous revient de voter sur l'autorisation de publier le rapport qui vous est aujourd'hui soumis.
Le Comité autorise la publication du rapport.
Le Comité désigne ensuite :
– Mme Gisèle Biémouret et M. Jean-Louis Costes, rapporteurs de l'évaluation de l'accès aux droits sociaux ;
– MM. Régis Juanico et Jacques Myard, rapporteurs de l'évaluation de la régulation des jeux d'argent et de hasard ;
– Mme Audrey Linkenheld et M. Michel Piron, rapporteurs de l'évaluation des aides à l'accession à la propriété ;
– M. Dominique Dord et Mme Jeanine Dubié, rapporteurs de l'évaluation du soutien public au thermalisme.
– MM. Jean-Jacques Guillet et François de Rugy, rapporteurs du suivi de l'évaluation du paquet « énergie-climat », s'agissant du développement des énergies renouvelables et de l'efficacité énergétique.
La réunion se termine à dix-sept heures quarante-cinq.