La réunion

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Stéphane Heddesheimer, directeur du pôle Europe et Communauté des États indépendants (CEI) du groupe Suez

La séance est ouverte à douze heures.

Présidence de M. François Rochebloine, président

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Nous accueillons M. Stéphane Heddesheimer, directeur du pôle Europe et CEI du groupe Suez, que je remercie pour sa disponibilité. En effet, il était initialement prévu que nous recevions Mme Marie-Ange Debon, directrice générale chargée de l'international de Suez Environnement et présidente du groupe des chefs d'entreprise France-Azerbaïdjan de MEDEF International. Malheureusement, celle-ci est en déplacement à l'étranger.

Nous traiterons donc, monsieur Heddesheimer, du sujet qui relève de vos responsabilités propres. Comme tout Français, je ne peux que me réjouir de voir une entreprise française de haute valeur économique et technologique telle que Suez s'implanter sur des marchés internationaux, y compris en Azerbaïdjan.

Je souhaiterais donc que, dans un premier temps, vous nous fassiez l'historique de l'implantation de Suez dans ce pays, vous nous indiquiez l'ampleur financière des affaires que vous y traitez et la nature des prestations que vous y assurez.

J'imagine que cette description vous conduira, dans un deuxième temps, à nous dépeindre le paysage contractuel de ces relations. À quel niveau de la structure politique et administrative, ministères, régions et collectivités locales, selon quelles procédures préparez-vous et concluez-vous des contrats ? Les autorités auxquelles vous avez à faire émettent-elles des exigences, des voeux, des suggestions, quant à l'éventuelle implication, dans ces relations contractuelles, d'entreprises azerbaïdjanaises ?

Enfin, j'aimerais connaître votre évaluation générale des conditions de travail de Suez en Azerbaïdjan – qualité de l'exécution des obligations contractuelles ; intervention de la sous-traitance ou d'une procédure assimilable ; rapidité, efficacité des procédures administratives ?

Après votre propos liminaire, je donnerai la parole à notre rapporteur, pour qu'il puisse vous poser un certain nombre de questions. Et je vous en poserai moi-même quelques autres.

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Stéphane Heddesheimer, directeur du pôle Europe et Communauté des États indépendants (CEI) du groupe Suez

Merci de nous donner l'occasion de venir parler de nos activités en Azerbaïdjan.

Je ferai d'abord un rapide tour d'horizon du groupe et de nos métiers, et, parmi eux, de ceux que nous exerçons en Azerbaïdjan. Cela m'amènera sans doute à aborder plusieurs des questions que vous venez de me poser. Et je serai à votre disposition pour approfondir certains points, si vous le vous souhaitez.

Suez est un groupe qui opère dans les métiers de l'environnement. Il y a encore peu de temps, il s'appelait « Suez Environnement ». Nous avons simplifié son nom en « Suez », ce qui nous permet d'être moins souvent confondus avec un groupe cousin, actionnaire de Suez, aujourd'hui Engie, anciennement GDF-Suez…

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Stéphane Heddesheimer, directeur du pôle Europe et Communauté des États indépendants (CEI) du groupe Suez

Engie conserve une participation de l'ordre de 33 % dans Suez, mais ce sont deux entreprises indépendantes : Engie qui opère dans le domaine de l'énergie, et Suez qui opère dans les métiers de l'environnement proprement dit.

Les métiers de Suez sont essentiellement liés à la gestion de l'eau, que ce soit la réalisation d'installations de traitement de l'eau ou d'épuration des eaux usées, la distribution de cette eau au bénéfice des collectivités locales, ou le traitement de l'eau des industriels. Je pense que l'on aura l'occasion d'y revenir dans la mesure où c'est l'une de nos cibles en Azerbaïdjan.

Nous intervenons aussi dans un autre domaine d'activité, y compris en Azerbaïdjan : la gestion des déchets, qu'ils soient solides ou liquides, dangereux ou banals.

Enfin, nous avons un métier moins important en termes de chiffre d'affaires, mais qui n'en est pas moins stratégique pour nous, notamment dans le cadre des implantations préliminaires : le consulting, que nous réalisons au travers d'une filière qui s'appelle Suez Consulting.

Nous sommes présents sur les cinq continents, dans soixante-dix pays. Nous réalisons un chiffre d'affaires annuel de l'ordre de 15 milliards d'euros, pour un résultat net de l'ordre de 400 millions d'euros. Un peu plus de 80 000 personnes travaillent chez Suez dans le monde entier.

Notre implantation en Azerbaïdjan est relativement ancienne.

Dès 2001, nous avons été amenés à vendre des unités d'ultrafiltration d'eau, donc de production d'eau potable, à la présidence de la République pour équiper un certain nombre de résidences présidentielles ou de ministères. La fourniture d'eau potable en Azerbaïdjan en général et à Bakou en particulier n'était pas, notamment à cette époque, de la qualité requise. Mais cette première prestation n'avait pas donné lieu à une implantation proprement dite dans la mesure où nous fabriquions ces équipements en France avant de les exporter et de les installer.

Un peu plus tard, en 2009, nous sommes intervenus dans le domaine du traitement de l'eau industrielle pour le compte d'un de nos grands clients, BP, qui est l'un des principaux producteurs de pétrole en Azerbaïdjan. Nous lui avons fourni une unité de traitement d'eau – ce que l'on appelle l'eau produite. Lors du processus d'extraction pétrolière, on est obligé de retirer de la poche d'extraction l'eau qui a été injectée pour faire sortir le pétrole ; il faut donc traiter cette eau, polluée, avant de la rejeter dans le milieu naturel. C'est à cette fin que nous avons fourni à BP une unité de traitement d'eau sur le terminal de Sangachal, à 70 kilomètres de Bakou. Nous continuons à assurer, pour le compte de BP, des prestations d'entretien de cette installation de maintenance, ce qui nous amène à employer sur place deux personnes qui contrôlent et maintiennent l'instrumentation de l'installation.

Mais l'implantation de Suez a pris un nouveau tournant, à compter de la visite en Azerbaïdjan du président de la République française en mai 2014. Ce fut pour nous l'occasion de signer un partenariat, un contrat de formation et de transfert de savoir-faire au bénéfice d'Azersu, la société publique d'eau et d'assainissement d'Azerbaïdjan.

Ce contrat avait bien entendu été préparé par de nombreuses études préliminaires, discussions et négociations tout au long des années 2013 et 2014, mais la venue du Président de la République a fourni l'occasion de sa signature et, presque dans la foulée, du démarrage de son exécution.

D'une valeur d'un peu plus de 22 millions d'euros sur cinq ans, ce contrat consiste à assurer la formation et l'assistance technique au bénéfice de la société Azersu. À ce stade, Azersu nous a demandé de concentrer nos efforts sur Bakou, où se trouve l'essentiel de la population, et où les problèmes sont les plus aigus. Nous avons donc mobilisé une équipe de spécialistes en provenance de nos exploitations françaises et internationales pour assurer cette formation et ce transfert de savoir-faire.

Cela reste un contrat de taille intermédiaire portant sur des prestations de services, sans équipements, sans constructions, sans fournitures de matériel de quelque nature que ce soit. Notre équipe permanente comprend quatre expatriés, plus un volontaire international en entreprise (VIE), et une demi-douzaine de personnels locaux. Et en tant que de besoin, nous faisons appel à des ressources du groupe, généralement françaises, parfois espagnoles, pour assurer un transfert de savoir-faire supplémentaire.

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Stéphane Heddesheimer, directeur du pôle Europe et Communauté des États indépendants (CEI) du groupe Suez

Parce que Suez est très présent en Espagne, à travers la société Agbar dont les compétences et les savoir-faire sont reconnus, et parce que nos interlocuteurs souhaitent avoir une large vision de ce qui peut se faire dans les pays développés.

Il est toujours intéressant de montrer, d'abord ce que nous faisons en France, bien sûr, mais aussi ailleurs. Nos partenaires ont ainsi visité nos exploitations à Casablanca puisque Suez y assure la gestion de l'eau. Hors de France, les contextes sont parfois plus proches de leur situation propre.

Ce premier contrat nous a permis de mettre en place une succursale et une implantation stable en Azerbaïdjan, à partir de laquelle nous avons, au-delà de l'exécution du contrat proprement dit, cherché à développer nos autres activités, notamment nos activités dans le domaine du déchet.

Ces efforts ont abouti début 2016 à la signature d'un premier contrat dans le domaine de la dépollution des sols, un contrat d'étude de faisabilité pour le compte de l'agence gouvernementale Tamiz Shahar – « ville propre » en français – qui a en charge la gestion des déchets dans la ville de Bakou.

Il ne s'agit pas de très gros montants : on parle d'un premier contrat de 4 millions d'euros, pour effectuer une étude de faisabilité et des tests, et préconiser une filière de traitement des sols pollués aux hydrocarbures autour du lac Boyuk Shor qui se trouve en plein Bakou, à côté du stade olympique. Le site fait l'objet d'un programme de remédiation de développement immobilier, mais auparavant, il faut le dépolluer. Le moment venu, le chantier sera gigantesque. Pour le moment, nous participons à une étude de faisabilité.

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Stéphane Heddesheimer, directeur du pôle Europe et Communauté des États indépendants (CEI) du groupe Suez

Si, bien sûr. Nous faisons face, en Azerbaïdjan, à la concurrence étrangère dans nos différents métiers. De façon générale, les Turcs sont très présents. Mais il y a également des Européens, notamment des Allemands et des Néerlandais. Pour des raisons liées à leur histoire, les Néerlandais ont développé des compétences très solides en matière de dragage, avec des bureaux d'études spécialisés. Or, à Boyuk Shor, avant de faire de la dépollution, il faut faire du dragage.

Ce sont nos concurrents. Nous ne sommes pas moins bons qu'eux, mais…

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Stéphane Heddesheimer, directeur du pôle Europe et Communauté des États indépendants (CEI) du groupe Suez

Dans ce domaine, nous n'étions pas les premiers sur place, puisqu'un grand cabinet de consulting néerlandais, Witteveen et Bos, avait déjà travaillé avec Tamiz Sharar. Mais, comme beaucoup de clients, cette agence ne souhaite pas avoir un partenaire unique, pour pouvoir tester les compétences de différentes sociétés. C'est à ce titre que, dans le cadre d'un appel d'offres concurrentiel, nous avons remporté ce contrat. Nous sommes en train de réaliser une étude pour une première tranche, et nous sommes en lice pour la deuxième tranche.

Quelles perspectives nous donnons-nous dans ce pays ?

Nous souhaitons, bien sûr, réaliser les contrats que l'on a obtenus mais, au-delà, les transformer en une implantation durable. Nous avons également comme cible le projet de réhabilitation de la grande raffinerie Heydar-Aliev de la SOCAR, l'entreprise pétrolière d'État. Ce projet comporte tout un volet de traitement de l'eau, sur lequel nous souhaitons nous positionner.

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Stéphane Heddesheimer, directeur du pôle Europe et Communauté des États indépendants (CEI) du groupe Suez

Pour cette raffinerie, entre 15 et 20 millions d'euros probablement.

Comme vous le constatez, Suez déploie en Azerbaïdjan l'ensemble de ses métiers : ceux liés à l'eau municipale, avec la formation au bénéfice d'Azersu ; ceux liés à l'eau industrielle – cela a même été notre point d'entrée avec BP, et peut-être demain avec SOCAR ; ceux liés à la gestion des déchets, avec le traitement des sols pollués.

Nous sommes également sollicités pour apporter notre expertise dans le domaine de la collecte des déchets ménagers. Le pays souhaite se moderniser en la matière, notamment à Bakou.

Il faut dire que Tamiz Sharar est assez proche des entreprises françaises. Le plus gros investissement, en tout cas à ma connaissance, qui a été fait dans le secteur de l'environnement l'a été en partenariat avec le groupe français Constructions industrielles de la Méditerranée (CNIM), qui a fourni le process et l'ensemble de l'installation de traitement des déchets par incinération à Bakou. C'est une installation de taille significative, de 500 000 tonnes par an. L'investissement a été réalisé par le client Tamiz Sharar, mais fourni par CNIM, qui en assure également l'exploitation. Le contexte est donc assez favorable pour les entreprises françaises du secteur de l'environnement, dont les compétences sont reconnues.

Dans le domaine du traitement de l'eau, nos concurrents sont turcs, allemands, néerlandais, mais aussi coréens et anglais. Azersu a récemment signé un protocole avec un concurrent britannique de taille moyenne, pour investir dans le domaine des stations de traitement d'eau et d'assainissement. Nous ne sommes donc pas seuls sur ce marché, qui est très concurrentiel, mais nous essayons d'y prendre toute notre part.

J'ai évoqué l'impact de ces contrats sur l'emploi. En termes d'équivalents temps plein, il est d'environ six expatriés, un VIE et cinq à six recrutés locaux. Et nous estimons qu'au sein de nos équipes localisées en France – direction technique, direction de l'innovation, direction de la formation –, ce sont environ trois équivalents temps plein (ETP) qui sont affectés à la réalisation du contrat passé avec Azersu.

Qu'en est-il des procédures d'attribution des marchés ou de sous-traitance ?

Je commencerai par les procédures de passation des marchés.

S'agissant de nos relations avec nos clients publics, je distinguerai deux cas de figure. D'abord, le contrat avec Azersu, qui a été signé de gré à gré, mais décidé par le président Aliev.

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Stéphane Heddesheimer, directeur du pôle Europe et Communauté des États indépendants (CEI) du groupe Suez

Non, cela s'est joué au niveau du président, qui voulait que le niveau de formation des opérateurs d'Azersu s'améliore significativement.

Avec la chute des prix du pétrole, le contexte a beaucoup changé ces deux dernières années. Mais pendant toute la phase où les prix du baril étaient très élevés, les Azerbaïdjanais ont eu la capacité d'investir dans leurs infrastructures, et en particulier dans le domaine de l'eau et de l'assainissement. Mais c'est une chose de pouvoir investir et d'avoir accès à des technologies coûteuses ou performantes, et c'en est une autre de disposer des personnels compétents pour exploiter ces technologies et faire fonctionner les installations.

On rencontre très souvent cette problématique dans les pays émergents. Les institutions financières internationales y financent, au moyen de dons, de prêts ou d'investissements, des usines de traitement d'eau, des stations d'épuration, des réseaux, etc. Or la capacité qu'ont les sociétés gestionnaires à faire fonctionner de façon optimale ces ouvrages est souvent déficiente.

Les autorités en Azerbaïdjan avaient compris qu'il ne fallait pas uniquement investir dans les moyens techniques, dans les installations, les infrastructures et les technologies, mais aussi dans la compétence des personnels qui seraient chargés de les exploiter. Et c'est le sens du contrat passé avec Azersu : renforcer les connaissances et les compétences des opérateurs.

Le gouvernement algérien, qui est l'un des grands partenaires de Suez, s'est basé sur le même raisonnement pour nous demander de prendre en charge un contrat d'assistance technique, un management contract, au bénéfice de la Société des eaux d'Alger : il s'agit d'assurer la distribution de l'eau à Alger, 24 heures sur 24, ce qui n'était pas le cas jusqu'à présent, en investissant, non pas seulement dans des infrastructures, mais également dans les capacités de l'opérateur.

Le contrat avec Azersu a donc été conclu de gré à gré. C'est un mode de passation courant en Azerbaïdjan. En revanche, les contrats de consulting, d'études de faisabilité dans le traitement du déchet, ont été passés dans le cadre de procédures d'appel d'offres auxquelles nous avons répondu avec d'autres. Je ne l'ai pas mentionné, mais nous avons perdu un appel d'offres dans le domaine de la dépollution, et nous en avons remporté un autre. C'est le jeu classique des affaires.

De la même façon, les contrats industriels avec BP et SOCAR ont été conclus sur appels d'offres.

J'en viens à l'exécution des affaires proprement dite. Elle varie, comme souvent, en fonction des clients et de la nature des contrats. Azersu est une administration compliquée…

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Stéphane Heddesheimer, directeur du pôle Europe et Communauté des États indépendants (CEI) du groupe Suez

Pas tellement. Le problème est plutôt d'avoir en face de soi des interlocuteurs capables d'expliciter clairement leurs attentes et qui, une fois que l'on s'est mis d'accord, mettent en place les moyens nécessaires. Par exemple, quand on fait de la formation, on a d'abord besoin de stagiaires ; il faut les identifier, les réunir et leur donner de quoi travailler.

En l'occurrence, nous avons mis un peu plus de temps que prévu, parce que notre client n'était pas familier avec ce type d'actions managériales internes. Quoi qu'on en dise, former ses collaborateurs n'est pas toujours une évidence. Cela demande un minimum d'infrastructures et d'organisation, et un service de ressources humaines qui mette en place les services.

Je précise également que nos contrats n'impliquent pas d'exportation de matériel, ni de sous-traitance significative. Cela signifie que nous ne sommes pas tributaires du régime douanier, qui fait couler beaucoup d'encre et qui préoccupe beaucoup les partenaires de l'Azerbaïdjan. Nous n'avons pas été confrontés à ces problématiques parce que nous n'avons pas eu à passer par les douanes. Je ne dis pas que ce ne sera pas le cas un jour, mais jusqu'à aujourd'hui, on n'en a pas fait directement l'expérience.

Je terminerai par la sous-traitance.

Nous sommes amenés, notamment dans le cadre de notre contrat d'études de remédiation de sols, à travailler avec des partenaires locaux pour des analyses de sols, des travaux de laboratoire ou des travaux liés à la bonne compréhension de la réglementation existante…

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Stéphane Heddesheimer, directeur du pôle Europe et Communauté des États indépendants (CEI) du groupe Suez

Le marché n'est pas si vaste. On peut nous orienter vers les trois ou quatre entreprises qui ont déjà réalisé des prestations pour nos clients. Après, c'est à nous de faire nos recherches et notre choix. On peut tout à fait découvrir des partenaires qu'on ne connaissait pas au préalable.

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Monsieur le directeur, merci pour ces réponses, précises et claires.

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Vous l'avez rappelé, la signature de votre premier contrat était liée à la visite du Président de la République en Azerbaïdjan. Avez-vous le sentiment que le soutien politique est nécessaire pour obtenir des marchés ?

On connaît, pour la vivre en France aussi, l'interpénétration forte entre politique et économie dans le secteur de l'eau et des déchets notamment. Êtes-vous aujourd'hui encore dépendants de la dimension politique ou pouvez-vous commencer à naviguer de manière autonome ?

Quelles sont les difficultés auxquelles vous vous heurtez au quotidien dans vos relations avec les administrations locales ? Les autorités azerbaïdjanaises mettent en avant les réformes en cours en matière fiscale, administrative et douanière. Considérez-vous qu'elles sont en train de porter leurs fruits ?

Par ailleurs, l'effondrement des cours du pétrole a-t-il eu pour conséquence d'exacerber la concurrence ou de faire disparaître des compétiteurs faute de moyens ?

Enfin, quelle est la procédure pour les appels d'offres ? Le critère retenu est-il plutôt le mieux-disant ou le moins-disant ? Face à la concurrence des entreprises turques, qui sont souvent moins chères, le mieux-disant peut-il vous permettre de gagner des marchés ?

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Stéphane Heddesheimer, directeur du pôle Europe et Communauté des États indépendants (CEI) du groupe Suez

S'agissant de notre capacité à voler de nos propres ailes, il est difficile de répondre de manière tranchée à votre question car tout dépendra de la nature des contrats visés.

Dans le domaine des déchets, nous avons acquis une légitimité vis-à-vis de nos partenaires, qui nous sollicitent désormais sur d'autres sujets, comme la collecte. Mais il est toujours nécessaire d'accompagner les liens commerciaux d'une relation politique dans tout le bon sens du terme. L'ambassadrice de France en Azerbaïdjan effectue un travail important de promotion des intérêts économiques français. Lors de ses entretiens avec les autorités politiques, elle soutient toujours les démarches des entreprises françaises, ce que nous apprécions.

L'Azerbaïdjan reste un pays dans lequel la relation politique d'homme à homme est importante. La relation forte qu'entretiennent les plus hautes autorités est perçue de manière positive par les acteurs publics et économiques qui sont ainsi enclins à la développer sur le plan économique. Il y a une forme d'endossement de cette relation qui favorise les offres de services et la signature des contrats. L'appui politique n'est pas une condition suffisante mais il facilite les choses.

Dans le cas d'Azersu, c'est parce que les responsables de la société n'étaient pas satisfaits des prestataires turcs – notamment la Société des eaux d'Istanbul –, qu'ils ont cherché d'autres partenaires plus compétents. C'est ainsi que nous sommes parvenus à signer le contrat. Il faut un contexte et des besoins. Ensuite, la relation politique à haut niveau facilite l'obtention des contrats, notamment dans le cas de contrats de gré à gré.

Quant aux réformes en cours, nous ne sommes pas concernés par la réglementation douanière. En matière fiscale, nous sommes confrontés à la paperasserie et à la mauvaise foi de l'administration – l'Azerbaïdjan n'ayant pas le monopole dans ce domaine, je ne lui en ferai pas grief outre mesure.

Les réformes portent-elles leurs fruits ? Je ne suis pas en mesure de répondre à cette question puisque nos contrats ne sont pas liés à ces réformes. Nous développons la plupart de nos activités dans le cadre de la délégation de service public – BOT en anglais, build, operate, and transfer –, qui consiste à financer, construire et exploiter une installation pendant une durée longue et à se rembourser au travers de l'exploitation. Nous avons développé de très nombreux projets dans le monde entier dans ce cadre. Il a été mis en place en Azerbaïdjan mais il n'a pas encore été expérimenté. Nous pourrons peut-être en juger dans quelques années.

Je n'ai pas constaté un effet massif des réformes. En revanche, la chute du prix du pétrole a eu des répercussions importantes en asséchant les grands investissements – le domaine de l'environnement n'y fait pas exception – et en exacerbant la concurrence : les projets sont moins nombreux et les concurrents toujours présents.

L'Azerbaïdjan traverse une période difficile sur le plan macro-économique et budgétaire, qui l'incite à la prudence sur les dépenses. L'environnement a été une priorité lorsqu'il fallait accompagner le développement industriel, mais, en période de vaches maigres, il n'échappe pas aux restrictions.

La procédure d'appel d'offres repose sur le critère du moins-disant avec une sélection préalable fondée sur les références – il faut être en mesure de démontrer que l'on a réalisé des prestations comparables ailleurs. C'est sur la base de cette présélection que le critère du moins-disant est appliqué.

Je ne connais pas de pays, dans cette zone en tout cas, qui travaillent autrement.

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Puisque vous êtes en charge des pays membres de la CEI, avez-vous le sentiment que l'Azerbaïdjan, en comparaison des autres, est plus ou moins compliqué, ou plus spécifique ?

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Stéphane Heddesheimer, directeur du pôle Europe et Communauté des États indépendants (CEI) du groupe Suez

Suez est très peu implanté dans les autres pays de la CEI pour différentes raisons, soit parce qu'ils ne manifestent pas – c'est le cas de la plupart d'entre eux – de préoccupation environnementale, soit parce que le cadre juridique n'y est pas approprié à nos interventions, soit parce que nous nous y refusons au nom de l'éthique des affaires.

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Dans quelles conditions le groupe Suez travaille-t-il en Azerbaïdjan ? Est-il amené à passer des contrats avec des collectivités décentralisées ? Dans l'affirmative, la pratique fait-elle apparaître une intervention ou un contrôle de l'État, en droit ou en fait ?

Par ailleurs, il est écrit dans le rapport du département d'État américain sur l'Azerbaïdjan en 2016 : « Bien qu'il existe une législation anti-corruption et que le gouvernement ait pris des mesures pour combattre la corruption de bas niveau, les pratiques de corruption continuent de faire barrière à la croissance des investissements étrangers. » Quel est votre sentiment sur cette affirmation ?

Enfin, votre groupe a rendu publique une charte éthique qui mentionne la lutte contre la corruption parmi les actions découlant des valeurs fondamentales de l'entreprise. Avez-vous détecté des comportements de corruption active ou passive qui pourraient entacher la conduite des affaires en Azerbaïdjan ? Cette même charte fait également référence à l'action en faveur des droits humains. Comment votre groupe cherche-t-il à agir en ce sens dans le pays ?

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Stéphane Heddesheimer, directeur du pôle Europe et Communauté des États indépendants (CEI) du groupe Suez

À ce jour, nous n'avons pas répondu à des consultations autres que celles lancées par la société nationale des eaux ou la société en charge de la gestion des déchets à Bakou. Nous n'avons donc pas de contrats avec des collectivités décentralisées. Je ne suis par conséquent pas en mesure de répondre à votre question sur l'autonomie des collectivités dans la passation des marchés. Dans le cadre du contrat avec Azersu, nous avons été amenés à intervenir dans d'autres régions, notamment celle de Ganja, pour des diagnostics et pour la formation des équipes locales.

S'agissant de la législation anti-corruption, notre entreprise est régie par une charte éthique qui interdit tout recours à la corruption pour obtenir un marché. Aucun des marchés que nous avons obtenu dans le pays n'entre dans le cadre de ces pratiques. Nous n'ignorons toutefois pas qu'elles peuvent exister. Il m'est difficile d'être plus précis.

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Stéphane Heddesheimer, directeur du pôle Europe et Communauté des États indépendants (CEI) du groupe Suez

Je n'ai pas à juger les pratiques de nos concurrents. Il me paraît hasardeux d'imaginer que nous avons perdu des marchés à cause de valises offertes par d'autres…

Nous sommes toutefois interpellés par le fait qu'au sein d'Azersu, les marchés de construction d'usine ou de réseaux restent extrêmement fermés. Nous avons du mal à obtenir des informations sur les appels d'offres et à pouvoir y participer de manière efficace. La presse locale s'en est fait l'écho récemment.

Nous n'avons pas été amenés à rencontrer de pratiques de corruption – ou, en tout cas, nous avons réussi à nous en tenir éloignés.

Nos métiers sont au coeur des droits humains : l'accès à l'eau, le droit à vivre dans un environnement propre, qu'il s'agisse du traitement des eaux usées ou des déchets. Nous avons le sentiment d'y contribuer, dans la mesure de nos moyens, à travers les contrats que nous exécutons.

Nous sommes attentifs à promouvoir la diversité, mais nos équipes sur place sont assez restreintes. Notre action au sein d'Azersu me semble positive car elle permet d'améliorer la formation des opérateurs et des cadres. Celle-ci est structurée par des diplômes pour permettre aux salariés de voir leur parcours de formation reconnu.

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Je vous remercie, monsieur, pour vos réponses précises, détaillées et sans langue de bois.

La séance est levée à douze heures quarante-cinq.