La réunion

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Matthias Fekl, secrétaire d'État auprès du ministre des affaires étrangères et du développement international, chargé du commerce extérieur, de la promotion du tourisme et des Français de l'étranger

La séance est ouverte à onze heures.

Présidence de M. François Rochebloine, président

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Monsieur le secrétaire d'État, je suis heureux de vous accueillir pour cette réunion de notre mission d'information, la dernière avant la présentation du rapport de notre collègue Jean-Louis Destans.

Au-delà, bien au-delà des informations que vous pourrez nous donner, si vous le voulez bien, sur le dernier état des discussions bilatérales entre l'Azerbaïdjan et la France, votre audition est l'occasion d'une récapitulation et d'un échange particulièrement bienvenus.

Nos auditions nous ont d'abord permis de constater le dynamisme des entreprises françaises qui investissent en Azerbaïdjan. Elles ne méconnaissent pas les risques inhérents à la situation mondiale et à une conjoncture locale difficile, liée à l'évolution incertaine des cours du pétrole, mais elles vont de l'avant, avec le soutien de votre ministère, des ministères financiers et de notre ambassade.

Nous avons aussi touché du doigt la complexité de la situation géopolitique dans le Caucase du Sud et l'habileté avec laquelle le gouvernement de Bakou s'est positionné comme garant laïque d'une certaine stabilité, bien désirable dans une région qui n'est pas très éloignée de l'Irak et de la Syrie, pour ne citer que deux pays en guerre.

Enfin, même si des divergences se sont manifestées entre nous sur l'ampleur du problème et sur l'importance des conséquences que nos intérêts nationaux doivent nous amener à en tirer, nos auditions ont fait apparaître de bonnes raisons de s'inquiéter pour l'évolution du respect des libertés publiques et des droits fondamentaux dans un Azerbaïdjan qui ne semble pas très sensible aux requêtes ou aux injonctions qui lui sont adressées à ce sujet par la communauté internationale.

Sur tous ces points, nous souhaiterions, monsieur le secrétaire d'État, que vous nous faisiez part de la position officielle du Gouvernement. Bien sûr, nous serions également heureux que vous nous donniez des informations sur la réunion, le 13 décembre dernier, de la huitième commission mixte franco-azerbaïdjanaise pour la coopération économique et que vous nous disiez quels enseignements vous en tirez.

Merci, monsieur le secrétaire d'État, pour votre présence qui constitue en quelque sorte le point d'orgue de nos travaux, et aussi une forme de reconnaissance.

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Matthias Fekl, secrétaire d'État auprès du ministre des affaires étrangères et du développement international, chargé du commerce extérieur, de la promotion du tourisme et des Français de l'étranger

Monsieur le président, je vous remercie pour cette invitation à m'exprimer devant la mission que vous présidez, et pour ces mots, auxquels je suis très sensible.

Pour avoir mené des travaux extrêmement approfondis, vous le savez : l'Azerbaïdjan n'est certes pas le premier partenaire économique et commercial de la France, mais notre pays entretient avec ce pays une relation économique importante à bien des égards, et même une relation stratégique – cela vaut pour notre économie en général et, plus spécifiquement, pour nos entreprises. Du point de vue du Gouvernement, les difficultés économiques que rencontre actuellement l'Azerbaïdjan ne sont d'ailleurs pas de nature à remettre cette ligne en question. Des perspectives de nouveaux contrats, dans un avenir proche, se profilent, et le partenariat économique que la France a noué avec ce pays se double d'un dialogue politique exigeant, intransigeant sur tous les sujets, y compris les libertés publiques ; j'y reviendrai.

Un mot tout d'abord sur la dimension stratégique de notre relation avec l'Azerbaïdjan. Pays le plus peuplé et le plus riche du Caucase du Sud, c'est la quatrième puissance économique de la Communauté des États indépendants (CEI), après la Russie, le Kazakhstan et l'Ukraine. Riverain de la mer Caspienne, au voisinage immédiat de l'Europe et au contact direct de la Russie, de la Turquie, de l'Iran et du Proche-Orient, il est stratégiquement situé, et donc stratégiquement important. Et si l'Azerbaïdjan est une puissance énergétique de rang plutôt modeste, produisant 1,1 % de la production mondiale de pétrole et 0,5 % de celle de gaz, c'est un territoire clé pour la diversification de l'approvisionnement énergétique de l'Union européenne. Une donnée l'explicite très clairement : c'est le troisième producteur d'hydrocarbures en CEI après la Russie et le Kazakhstan.

Aujourd'hui, ce pays est très dépendant de la rente énergétique, ce qui pose des difficultés dans le contexte d'un choc sévère dû à la baisse des prix des hydrocarbures, avec un impact sur la croissance. Selon le comité des statistiques azerbaïdjanais, le pays a connu une récession en 2016 ; son produit intérieur brut (PIB) s'est rétracté de 3,7 % entre janvier et octobre 2016. Au mois de novembre dernier, la Banque mondiale prévoyait pour sa part une récession de 3 % sur l'ensemble de l'année 2016. Une reprise semble cependant se profiler : la Banque mondiale et le FMI prévoient respectivement 1,2 % et 1,4 % de croissance en 2017. Ajoutons qu'avec un fonds pétrolier souverain, SOFAZ (State Oil Fund of the Republic of Azerbaijan), qui totalise 35 milliards de dollars d'actifs – l'équivalent des deux tiers du PIB azerbaïdjanais – et un taux d'endettement externe limité à 20 % du PIB, les bases économiques du pays restent solides.

Les difficultés rencontrées par l'économie de l'Azerbaïdjan n'en ont pas moins eu un impact sur nos échanges commerciaux, qui se sont contractés en 2015 pour atteindre le montant de 1,3 milliard d'euros, soit une baisse de près de 17 % par rapport à 2014, et cette tendance s'est confirmée sur les neuf premiers mois de 2016. La baisse de la valeur de nos importations l'explique, en raison de la faiblesse des cours des hydrocarbures, qui constituent l'intégralité de nos achats, d'un montant de 1,1 milliard d'euros. Nos exportations ont également diminué en 2015, de 175 millions d'euros, mais notre part de marché a progressé : la France est passée de la quatorzième à la dixième place entre 2014 et 2015.

Les enjeux restent de taille pour nos acteurs économiques, en raison des perspectives avérées de grands contrats et des ressources résultant d'un potentiel de développement non négligeables de ce pays. L'exploitation de champs de gaz à l'horizon 2018-2019 ouvrira notamment des perspectives économiques favorables.

Par ailleurs, la visite du Président de la République, en mai 2014, dans les pays du Caucase, a donné un élan aux relations économiques entre la France et l'Azerbaïdjan. Lors de son passage à Bakou, onze documents ont ainsi été signés dans le domaine économique, dont trois arrangements administratifs visant à développer la coopération dans les domaines de l'agriculture, des transports, de l'énergie, et trois contrats pour près de 360 millions d'euros. Depuis cette visite, les contacts se sont poursuivis : entre 2014 et 2016, pas moins de onze contrats au total ont été conclus par les entreprises françaises, pour un montant total d'environ 630 millions d'euros. Ce sera, pour notre pays, la source d'un flux d'exportations.

La France est aussi un investisseur étranger important pour l'Azerbaïdjan : selon les statistiques locales de 2014, c'est la cinquième source d'investissements directs étrangers (IDE) dans le pays. Près de 75 % des stocks des IDE français en Azerbaïdjan sont concentrés dans l'énergie, même si la présence de nos grandes entreprises dans d'autres secteurs a également été renforcée.

Ce pays fait donc l'objet d'une attention importante et d'un suivi en adéquation avec les enjeux commerciaux et les intérêts des industriels français.

Nous suivons avec attention les projets de nos entreprises qui peuvent rencontrer des difficultés et nous encourageons régulièrement l'Azerbaïdjan, au 65e rang du classement Doing Business de la Banque mondiale, à améliorer le climat des affaires et, en particulier, l'État de droit.

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Matthias Fekl, secrétaire d'État auprès du ministre des affaires étrangères et du développement international, chargé du commerce extérieur, de la promotion du tourisme et des Français de l'étranger

Je me suis rendu en Azerbaïdjan en 2015. D'après ce que l'on a nous dit, et d'après nos analyses, cela tient à l'instabilité législative et réglementaire, à des problèmes dans les contacts avec l'administration, et donc à une prévisibilité et une stabilité insuffisantes pour les opérateurs et les entreprises. Soyons clairs : tout ce qui a trait au climat des affaires et aux règles propres à un État de droit doit être amélioré.

De même, nous avons adapté notre dispositif de soutien public aux enjeux de nos entreprises pour ce pays. L'Azerbaïdjan n'est plus éligible à la Réserve Pays émergents (RPE) du fait de son niveau de revenu. En revanche, le pays est éligible au dispositif de dons du Fonds d'étude et d'aide au secteur privé (FASEP). Il est également ouvert, sous conditions, à la politique d'assurance-crédit de Coface, définie chaque année par le ministère des finances – il s'agit là du seul aspect du commerce extérieur qui n'a pas été confié au ministère des affaires étrangères mais nous y travaillons étroitement avec les ministères financiers – et aussi au regard de l'évolution macroéconomique, que nous suivons attentivement.

Un mot sur l'Agence française de développement…

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Matthias Fekl, secrétaire d'État auprès du ministre des affaires étrangères et du développement international, chargé du commerce extérieur, de la promotion du tourisme et des Français de l'étranger

Alors, vous savez tout et je ne m'y attarderai pas. L'AFD est autorisée à intervenir dans le pays depuis 2012, dans le cadre d'un mandat visant à promouvoir une croissance verte et solidaire.

Depuis 2001, notre relation est l'objet d'un suivi au niveau politique. Une commission mixte franco-azerbaïdjanaise sur la coopération économique a été instituée en 2001 et s'est réunie à sept reprises – elle se réunit tous les deux ans, alternativement en France et en Azerbaïdjan. Organisée par la direction générale du Trésor, elle suit l'ensemble des relations économiques bilatérales. La dernière s'est tenue à Paris le 13 décembre dernier, co-présidée par le ministre des finances azerbaïdjanais, M. Samir Sharifov, qu'une importante délégation avait accompagné, et moi-même. Bien sûr, elle a été l'occasion d'entretiens bilatéraux, et elle a permis de soutenir l'offre française sur un certain nombre de grands contrats. Je songe à la première implantation d'Air liquide pour une usine de gaz industriel, à un travail avec Bouygues Construction pour la rénovation d'une station de métro à Bakou, à une offre d'Airbus pour la fourniture d'avions…

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Il me semblait que le travail engagé en vue de la rénovation d'une station de métro avait connu un coup d'arrêt.

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Matthias Fekl, secrétaire d'État auprès du ministre des affaires étrangères et du développement international, chargé du commerce extérieur, de la promotion du tourisme et des Français de l'étranger

Il se pose effectivement un problème de liquidités, largement lié à la récession, mais le projet demeure d'actualité.

Thalès et Alstom sont, pour leur part, engagés pour le développement du corridor ferroviaire Nord-Sud. Nous avons aussi affirmé le soutien de la France aux grands projets stratégiques azerbaïdjanais, notamment en ce qui concerne l'acheminement du gaz, avec la construction du corridor gazier Sud-européen et le développement de l'exploitation du champ gazier de Shah Deniz ; cela concourt aussi à l'objectif de diversification énergétique de l'Union européenne. C'était évidemment un temps important de notre réunion.

Nous avons enfin fait le point sur notre coopération économique dans différents secteurs et examiné comment diversifier encore la relation économique bilatérale. L'Azerbaïdjan est invité au prochain salon de l'agriculture à Paris, et nous avons envisagé la manière dont nous pouvions ensemble développer le secteur touristique, mais aussi des coopérations dans le domaine du numérique.

Cette réunion a donc été l'occasion d'un large tour d'horizon.

Même si je ne suis moi-même chargé que de questions économiques, le Gouvernement ne considère pas la situation des différents pays à la seule aune de leur intérêt économique. Croyez bien que, lors de chacun de mes déplacements, j'ai toujours à coeur de porter le message de la France, y compris sur les sujets qui fâchent. Notre pays s'honore de porter partout le message des droits de l'Homme, y compris lorsque des contrats sont en jeu. Depuis plus de deux ans que j'ai l'honneur d'exercer ces fonctions, je n'ai jamais mis sous le tapis les sujets qui fâchent, et il n'en est jamais résulté de problème économique. Il y a le dialogue politique, il y a le dialogue économique et il y a des savoir-faire français dont l'excellence est appréciée dans le monde entier ; ce n'est pas un message politique qui nuira à la diplomatie économique, et je n'ai jamais cru – personne n'a jamais cru, notamment pas Laurent Fabius ni Jean-Marc Ayrault – que la diplomatie économique devait conduire à négliger les autres aspects de notre action diplomatique.

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Lors de vos contacts, avez-vous évoqué le cas de la famille Yunus ?

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Matthias Fekl, secrétaire d'État auprès du ministre des affaires étrangères et du développement international, chargé du commerce extérieur, de la promotion du tourisme et des Français de l'étranger

Oui. Je l'ai évoqué, ainsi que d'autres, au niveau gouvernemental, lors de ma visite. J'ai indiqué au vice-ministre des affaires étrangères que nous étions préoccupés notamment – mais pas seulement – par la santé de M. et Mme Yunus. Je l'ai fait dans le cadre qui convenait, en direct, et de manière très claire ; cela a d'ailleurs occupé une bonne partie de notre réunion.

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Rappelons que Mme Yunus a été décorée de l'ordre de la Légion d'honneur par le Président de la République.

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Matthias Fekl, secrétaire d'État auprès du ministre des affaires étrangères et du développement international, chargé du commerce extérieur, de la promotion du tourisme et des Français de l'étranger

En effet.

Le message est porté lors de chacune de nos visites officielles, publiquement et dans les entretiens en tête-à-tête. La France, l'Union européenne et les instances internationales ne cessent et ne cesseront de porter ce message, parfaitement fondé.

Plus généralement, la question des droits de l'Homme et du respect par l'Azerbaïdjan de ses obligations internationales en la matière fait pleinement partie de notre dialogue politique avec Bakou. Le sujet est abordé lors de chaque visite ; il l'a été lors de celle du Président de la République, lors de celles du ministre des affaires étrangères, lors de la mienne au mois de juillet 2015.

Notre ambassadrice à Bakou, que vous avez bien fait d'auditionner, vous a indiqué que nous entretenons avec le gouvernement azerbaïdjanais un « dialogue franc et ouvert, qui n'élude pas les questions relatives à la situation intérieure du pays ». Cela signifie que notre diplomatie s'adresse à tous les niveaux de la société. J'ai moi-même tenu à rencontrer à la résidence de France des personnalités de la société civile, des dissidents, y compris des personnes qui contestent de manière très directe le régime, des représentants d'organisation de défense des droits de l'Homme. Et ce n'était pas une rencontre en catimini, en cachette : nous avons eu un échange extrêmement riche et instructif. J'ai ainsi témoigné notre soutien à ces personnalités éminentes et respectables, et notre ambassade est en contact régulier avec elles.

J'ajoute que la France exprime publiquement des positions de principe dans le cadre de l'Union européenne, de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) ou pour son compte propre. Elle le fait également à l'occasion de l'arrestation de certains opposants, tels M. et Mme Yunus ou Mme Khadija Ismaïlova.

Par ailleurs, en tant que co-présidente du groupe de Minsk de l'OSCE sur le conflit du Haut-Karabagh qui oppose l'Azerbaïdjan à l'Arménie depuis 1991, la France joue un rôle particulier. Notre responsabilité est de faire preuve d'impartialité et d'équilibre entre les deux pays. Cela touche tous les aspects de nos relations, notamment le dialogue politique que nous menons avec Bakou et Erevan, ainsi que nos échanges commerciaux, qui se font tous dans le respect des décisions de l'OSCE et de l'Organisation des Nations unies (ONU). C'est pour nous la condition sine qua non de la mission qui est la nôtre, aux côtés de nos partenaires russe et américain : veiller au respect du cessez-le-feu, rétablir un minimum de confiance entre les parties et rechercher avec elles un règlement négocié et durable au conflit. Je n'entrerai pas dans le détail de la négociation elle-même, que vous connaissez, d'autant que vous avez auditionné notre ancien co-président du groupe de Minsk, M. Pierre Andrieu.

Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les députés, les entreprises françaises, pour leur part, sont déterminées à accompagner l'Azerbaïdjan sur le long terme dans ses efforts de diversification industrielle, dans sa volonté de renouer avec la croissance. Elles répondent présent. La taille de la délégation du MEDEF qui s'est rendue à Bakou en mai dernier, composée de quarante-quatre chefs et représentants d'entreprises, couvrant au total une dizaine de secteurs d'activité, atteste en elle-même de l'intérêt porté à ce pays sur le plan économique. Quelles que soient donc les difficultés actuelles, l'Azerbaïdjan constitue donc un fort enjeu au sein de la zone Caucase-Asie centrale. Nous cherchons à y répondre dans le cadre d'une relation dense et de confiance, mais en n'éludant aucun sujet et en ne mettant sous le tapis aucun problème ni aucune difficulté. Cette diplomatie globale de notre pays, avec l'Azerbaïdjan comme avec l'ensemble de nos partenaires, est l'honneur de la France.

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Merci pour cet exposé, monsieur le secrétaire d'État.

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Merci, monsieur le secrétaire d'État, pour cet exposé très complet.

Vous avez rappelé l'importance stratégique de l'Azerbaïdjan pour notre pays et évoqué notre dialogue politique, effectivement dense, puisque nos Présidents de la République se sont rendus en Azerbaïdjan, mais le Gouvernement considère-t-il aujourd'hui que les efforts fournis portent leurs fruits ? Avez-vous, monsieur le secrétaire d'État, le sentiment d'un progrès, fût-il lent, sur le plan des institutions, sur le plan législatif, sur le plan des droits de l'homme, à propos desquels le gouvernement azerbaïdjanais a pris quelques mesures symboliques ? Ou bien ne faut-il y voir qu'une alternance de phases de raidissement et de phases d'assouplissement ?

Sur le plan économique, la plupart des grandes entreprises françaises présentes en Azerbaïdjan, dont nous avons entendu les représentants, considèrent que, malgré le contexte post-soviétique et ce qui persiste de l'ancienne administration, les relations sont plutôt normales, que ce soit, par exemple, avec les services des douanes et des finances, ou lors des procédures de marchés publics. Selon elles, le pays a fait un effort, notamment en mettant en place des procédures informatisées pour tenter de contourner les difficultés. Partagez-vous cette analyse, ou les entreprises que nous avons reçues ont-elles pratiqué une sorte de langue de bois afin d'éviter de traiter de sujets gênants ?

En termes de compétitivité, qu'en est-il du positionnement économique et commercial de la France par rapport à ses principaux partenaires européens, mais aussi par rapport à d'autres pays, émergents ou non, comme la Turquie ou Israël, dont la concurrence, avons-nous entendu à plusieurs reprises, ne serait pas toujours sur les mêmes bases ?

Vous avez souligné l'engagement coordonné de l'ensemble de nos administrations en Azerbaïdjan au service de notre diplomatie économique. Dont acte.

Confirmez-vous enfin qu'il existerait des opportunités dans le secteur touristique azerbaïdjanais, notamment pour améliorer les infrastructures du pays ? Les touristes viendraient non pas d'Europe, mais plutôt des pays situés au Nord du Caucase, comme la Russie.

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Matthias Fekl, secrétaire d'État auprès du ministre des affaires étrangères et du développement international, chargé du commerce extérieur, de la promotion du tourisme et des Français de l'étranger

S'agissant de l'efficacité du dialogue politique, nous constatons des progrès sur certains points, mais les avancées demeurent très insuffisantes sur d'autres aspects. La situation reste très dure pour les organisations non gouvernementales : elles ne sont pas interdites, mais elles travaillent dans des conditions extrêmement restrictives. Sitôt qu'elles deviennent gênantes ou dérangeantes, elles sont soumises à des pressions, à des contrôles permanents, et à d'autres formes de harcèlement.

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Si elles ne sont pas interdites, mais elles sont empêchées.

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Et les pressions concernent aussi leur financement !

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Matthias Fekl, secrétaire d'État auprès du ministre des affaires étrangères et du développement international, chargé du commerce extérieur, de la promotion du tourisme et des Français de l'étranger

Tout est fait pour pourrir la vie des ONG qui dérangent ; c'est incontestable. Cette situation est préoccupante, et la France suit ce dossier. C'est la raison pour laquelle j'ai tenu à rencontrer des représentants de ces ONG lorsque je me suis rendu sur place. Il est essentiel qu'un déplacement, fût-il économique, comporte également cette dimension politique. Il s'agit aussi d'envoyer un signal aux autorités pour leur faire comprendre que notre pays est attentif à une situation générale autant qu'à des cas particuliers.

Quelques progrès ont bien été enregistrés. Des prisonniers, dont certains emblématiques, ont sans doute été libérés grâce à la mobilisation internationale, mais le bilan est extrêmement contrasté. Comprenez bien que je ne veux pas laisser croire que la situation en Azerbaïdjan serait aujourd'hui satisfaisante sur le plan des libertés et de la démocratie ! Ce n'est vraiment pas le sens de mon propos.

Une concurrence féroce sévit sur le terrain économique, c'est normal. Il est satisfaisant de constater que les parts de marché des entreprises françaises ont progressé, et que ces dernières sont très présentes. Sur place, la diplomatie économique française est particulièrement active et dynamique autour de notre ambassadrice. Le travail se fait entreprise par entreprise, opportunité par opportunité.

L'Azerbaïdjan a mis en oeuvre un certain nombre de réformes économiques. Des structures de réformes ont été créées pour piloter ces dernières dans le contexte difficile que nous avons évoqué ensemble. Un conseiller aux réformes économiques a été nommé auprès du Président, et un Centre d'analyse des réformes économiques et de la communication a vu le jour. Une nouvelle structure chargée de superviser les marchés financiers a également été mise en place : la Chambre de supervision des marchés financiers azerbaïdjanaise. La création de cette autorité, qui supervise la restructuration en cours du secteur bancaire, a été notée positivement par le Fonds monétaire international lors de sa dernière mission dans le pays.

Des mesures, que nos entreprises ont saluées, ont également été prises pour améliorer le climat des affaires. Depuis le début de l'année 2016, le Comité des douanes a mis en service une déclaration électronique des marchandises à l'import et à l'export. L'accès aux licences a été simplifié, et le nombre d'activités pour lesquelles elles sont obligatoires a été pratiquement divisé par deux, passant de soixante à trente-deux. Les frais d'obtention ont été réduits, elles sont désormais valables pour une durée indéterminée, et leur gestion a été confiée à une agence gouvernementale en charge de l'e-gouvernement, l'Azerbaïdjan Service and Assessment Network (ASAN). La suspension des contrôles non fiscaux des entreprises a été décrétée pour deux ans, et le système d'appels d'offres publics a été refondu. L'Agence pour les appels d'offres a été supprimée : cet organe critiqué – je choisis mes mots – constituait un véritable frein pour les investissements étrangers.

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Quand cette agence a-t-elle été supprimée, et qui étaient ses membres ?

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Matthias Fekl, secrétaire d'État auprès du ministre des affaires étrangères et du développement international, chargé du commerce extérieur, de la promotion du tourisme et des Français de l'étranger

C'est assez récent, mais nous vous transmettrons la date exacte de sa suppression, et sa composition. Le département anti-monopole du ministère de l'économie est aujourd'hui en charge des appels d'offres. Il est certain que cette agence était un lieu peu recommandable. Les autorités d'Azerbaïdjan l'ont elles-mêmes reconnu.

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Matthias Fekl, secrétaire d'État auprès du ministre des affaires étrangères et du développement international, chargé du commerce extérieur, de la promotion du tourisme et des Français de l'étranger

On essaie !

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Permettez-moi de revenir sur l'une de mes questions. Un certain nombre d'entreprises françaises sont confrontées à des formes de concurrence peu classiques de la part d'entreprises étrangères.

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Matthias Fekl, secrétaire d'État auprès du ministre des affaires étrangères et du développement international, chargé du commerce extérieur, de la promotion du tourisme et des Français de l'étranger

Vous voulez dire que qu'elles seraient peu scrupuleuses et se livreraient à des pratiques auxquelles nos entreprises se refusent, comme la corruption ?

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Je ne l'ai pas dit, mais certains l'ont peut-être laissé entendre, en évoquant le comportement de pays géographiquement proches de l'Azerbaïdjan. Disposez-vous d'informations à ce sujet ?

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Matthias Fekl, secrétaire d'État auprès du ministre des affaires étrangères et du développement international, chargé du commerce extérieur, de la promotion du tourisme et des Français de l'étranger

Je ne peux pas vous le confirmer, ni d'ailleurs l'infirmer. Vous mettez sur la table une question très délicate et extrêmement importante qui se pose dans de nombreux pays du monde. Je ne peux pas affirmer que ce que vous dites est vrai, car seule la justice peut établir des faits. Les bruits et les rumeurs peuvent circuler, mais je ne peux jeter l'opprobre sur un pays ou une entreprise sans que des preuves aient été transmises à la justice, et que cette dernière se soit prononcée.

Le tourisme constitue un nouveau domaine de coopération de nos pays. Cette coopération n'est pas aujourd'hui très active, mais nous souhaitons la renforcer, et cela a été clairement évoqué lors de la commission mixte économique du mois de décembre dernier. La France, première destination touristique au monde, détient de nombreux savoir-faire : elle pourra apporter son soutien en matière d'expertise. Il s'agit aussi d'une opportunité pour nos entreprises, particulièrement dynamiques dans ce secteur. Nous les avons fédérées au ministère des affaires étrangères au sein d'une filière, French Travel, notamment afin d'assurer sa présence lors de nos déplacements. En lien avec le tourisme, l'Azerbaïdjan est confronté à un enjeu particulier : la dépollution d'un certain nombre de sites qui lui permettront de développer un écotourisme moderne. Dans ce domaine également, le savoir-faire des entreprises françaises est très grand.

Pour la France, en Azerbaïdjan, tout reste à construire dans le domaine du tourisme.

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Monsieur le secrétaire d'État, dans vos propos liminaires, vous avez évoqué l'intérêt stratégique de l'Azerbaïdjan sans toutefois aborder la question des échanges d'équipements militaires. À ma connaissance, ce pays fait depuis deux ou trois ans d'importants efforts budgétaires dans le domaine militaire : ce budget représente plus de 2,8 % du PIB du pays, et il croît tous les ans de plus de 8 %. En tant que membre de la commission de la défense nationale et des forces armées, je suis intéressé par la coopération et les échanges militaires entre nos deux pays. Pourriez-vous nous faire un point sur ce sujet ?

Vous êtes aussi le secrétaire d'État chargé des Français de l'étranger. Pouvez-vous nous donner quelques informations sur leur nombre en Azerbaïdjan, et sur les raisons de leur expatriation ? Qu'en est-il des Français dans les autres pays du Caucase ?

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Matthias Fekl, secrétaire d'État auprès du ministre des affaires étrangères et du développement international, chargé du commerce extérieur, de la promotion du tourisme et des Français de l'étranger

Les aspects de nos relations avec l'Azerbaïdjan relatifs à la défense sont intégralement suivis par ministère de la défense. Les choses sont parfaitement séparées, et je ne suis donc pas en mesure de vous répondre, mais le ministère compétent se tient évidemment à votre disposition.

La communauté française d'Azerbaïdjan, que j'ai rencontrée lors de mon déplacement, est à la fois très modeste en nombre, et très active. Environ deux cents expatriés sont inscrits au registre des Français établis hors de France – je pense qu'en Azerbaïdjan ceux qui ne sont pas inscrits sont peu nombreux. Ces deux cents personnes sont pour la plupart liées à l'implantation économique d'entreprises.

Cette communauté est numériquement assez stable. Il existe un lycée français à Bakou sur lequel nous pourrons vous fournir ultérieurement davantage de précisions.

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Je ne suis pas membre de la commission de la défense, mais de celle des affaires sociales. Nos laboratoires pharmaceutiques disposent eux aussi d'un réel savoir-faire, et la France fabrique des produits pharmaceutiques de qualité. Dans ce secteur, avons-nous des relations particulières avec l'Azerbaïdjan ? Disposez-vous d'informations sur l'état de santé de la population de ce pays et sur le système de santé local ?

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Matthias Fekl, secrétaire d'État auprès du ministre des affaires étrangères et du développement international, chargé du commerce extérieur, de la promotion du tourisme et des Français de l'étranger

J'avoue que je ne dispose pas d'informations sur l'état de santé de la population. Je vous confirme la présence en Azerbaïdjan d'entreprises de notre secteur pharmaceutique, notamment celle de SANOFI. Nous pourrons vous fournir des détails sur ce sujet, mais le marché semble relativement limité.

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J'ai rencontré, hier matin, un groupe de laboratoires pharmaceutiques qui nous alertaient sur la nécessité de développer notre commerce extérieur.

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Matthias Fekl, secrétaire d'État auprès du ministre des affaires étrangères et du développement international, chargé du commerce extérieur, de la promotion du tourisme et des Français de l'étranger

La santé fait partie des filières prioritaires à l'export que nous avons identifiées. M. Jean-Patrick Lajonchère, issu de ce secteur, est le fédérateur de cette filière, et il accomplit à ce titre un travail remarquable sur la structuration de l'offre de santé, qui s'appuie tout à la fois sur une conception très large de la sécurité sociale et de la couverture des risques, sur une recherche publique et privée de très grande qualité et extrêmement innovante et puissante, sur des laboratoires, comme SANOFI, qui sont parmi les meilleurs au monde et mettent au point des vaccins nouveaux, et sur un secteur hospitalier très solide. Notre approche globale des politiques de santé doit permettre à cette filière de se projeter encore davantage à l'international.

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L'Azerbaïdjan importe tous ses médicaments. Le pays ne fabrique aucun produit pharmaceutique, mais il souhaite pouvoir le faire. Il y a vraiment une place à prendre pour les entreprises françaises.

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Matthias Fekl, secrétaire d'État auprès du ministre des affaires étrangères et du développement international, chargé du commerce extérieur, de la promotion du tourisme et des Français de l'étranger

Monsieur Mancel, vous avez parfaitement raison, même si le secrétaire d'État chargé du commerce extérieur est toujours heureux que la France exporte. (Sourires.)

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Je reviens à un sujet que vous avez déjà abordé. Dans quelle mesure le maintien et le développement de la présence économique française en Azerbaïdjan vous paraissent-ils pouvoir contribuer, au moins indirectement, à une amélioration de la situation des libertés publiques dans ce pays ?

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Matthias Fekl, secrétaire d'État auprès du ministre des affaires étrangères et du développement international, chargé du commerce extérieur, de la promotion du tourisme et des Français de l'étranger

Le lien entre développement économique et amélioration de la situation des droits de l'Homme et des libertés politiques n'est pas du tout automatique. Je ne fais pas partie de ceux qui pensent qu'il suffit de commercer pour que la démocratie advienne. Je ne partage pas le discours un peu naïf que l'on a entendu partout à ce sujet ces dernières années. On constate, dans des parties entières du monde, qu'a émergé une sorte de « libéralisme autoritaire » qui permet de conjuguer une croissance économique très soutenue et un autoritarisme de l'État toujours plus marqué. Il ne faut pas ignorer cette réalité.

Si le développement économique n'est pas directement corrélé à celui des libertés publiques, je pense que la présence économique française dans un pays donne à la France des raisons supplémentaires d'être entendue, ou au moins écoutée, lorsqu'elle évoque les droits de l'Homme. On peut choisir de cesser toute relation avec un État qui ne respecte pas les libertés, mais cette solution ne donne pas nécessairement de résultats. Il faut en revanche que notre diplomatie avance sur ces deux jambes : la diplomatie économique, et la diplomatie politique en matière de droits de l'Homme. Dans tous les forums, dans toutes les instances, dans tous les échanges et les contacts, même s'ils sont de nature économique, on doit aussi porter un message global sur l'importance de la démocratie et cibler les dysfonctionnements précis en la matière en évoquant les personnes injustement retenues ou la situation des ONG qui n'est pas satisfaisante. La France et l'Union européenne doivent avancer à la fois sur les aspects économiques, et sur les droits de l'Homme et la démocratie.

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Les amateurs de football comprendront que je vous interroge sur Hafiz Mammadov et le RC Lens. Avez-vous suivi cette affaire ?

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Matthias Fekl, secrétaire d'État auprès du ministre des affaires étrangères et du développement international, chargé du commerce extérieur, de la promotion du tourisme et des Français de l'étranger

Honnêtement, je ne l'ai pas suivie, mais je crois que vous avez reçu M. Thierry Braillard, secrétaire d'État chargé des sports, qui connaît ce dossier mieux que moi.

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Monsieur le secrétaire d'État, comme vous, je considère qu'interrompre le dialogue avec un pays parce qu'il ne respecte pas la démocratie et les droits de l'Homme ne constitue pas la bonne solution. Il est préférable d'utiliser ce dialogue politique préservé pour tenter de peser, tout en poursuivant les affaires économiques et en favorisant le développement. Ce dialogue politique vous semble-t-il plus difficile à mener en Azerbaïdjan que dans les autres pays de cette zone géographique, comme l'Arménie ou la Géorgie ? Faut-il le renforcer ?

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Matthias Fekl, secrétaire d'État auprès du ministre des affaires étrangères et du développement international, chargé du commerce extérieur, de la promotion du tourisme et des Français de l'étranger

Je le disais : ce dialogue est contrasté. Il a permis un certain nombre de succès, et nous avons constaté des avancées, mais dans d'autres domaines la situation n'est pas satisfaisante.

Les comparaisons avec d'autres pays sont difficiles, car les enjeux et les situations sont différents. L'important reste de maintenir le dialogue et de préserver la clarté des messages sans jamais penser que la diplomatie économique autoriserait à se dispenser des messages politiques. La mobilisation doit aussi être forte au niveau communautaire avec nos partenaires européens.

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Monsieur le secrétaire d'État, nous vous remercions vivement pour la clarté et la précision des réponses que vous nous avez apportées. Elles seront précieuses pour la préparation et la rédaction de notre rapport sur lequel travaillent en ce moment les administrateurs du secrétariat de notre mission d'information, que je tiens à remercier pour leur forte implication depuis le début de nos travaux.

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Matthias Fekl, secrétaire d'État auprès du ministre des affaires étrangères et du développement international, chargé du commerce extérieur, de la promotion du tourisme et des Français de l'étranger

Puisque l'occasion m'en est donnée, j'en profite pour remercier à mon tour les équipes de mon cabinet, de la direction générale du Trésor, et du Quai d'Orsay qui suivent les questions azerbaïdjanaises et qui ont préparé cette audition.

La séance est levée à douze heures.