La séance est ouverte à onze heures trente.
Je suis heureuse d'accueillir M. Jean-Yves Le Drian, ministre de la défense, pour un point hebdomadaire sur l'opération Serval au Mali.
Dans la mesure où nous sommes déjà rencontrés deux fois au cours de la semaine dernière, dont l'une conjointement avec la Commission des finances, mon point sur l'évolution de la situation au Mali sera bref, de façon à vous laisser le temps de poser des questions.
Depuis la semaine dernière, nous avons repris aux groupes jihadistes les dernières villes du Nord dont ils avaient le contrôle : à la suite d'un raid blindé provenant de Gao et d'un assaut par voie des airs à Tessalit, cette ville, ainsi qu'Aguelhok, ont été saisies par nos forces sans qu'aucun incident ne soit à déplorer. Les jihadistes les avaient probablement quittées quelques temps auparavant. Grâce à la présence des forces françaises et tchadiennes à Kidal et Tessalit, et à l'action de l'Algérie afin que celle-ci sécurise sensiblement ses frontières, nous disposons donc désormais d'un dispositif solide autour de l'Adrar des Ifoghas. Depuis une semaine, les relations se sont d'ailleurs renforcées avec les Algériens, que nous tenons régulièrement informés.
Par ailleurs, l'intervention se poursuit à Kidal, où la présence de nos troupes est bien acceptée par les populations, qui ne sont pas les mêmes qu'au Sud.
Quant aux événements de Gao, ils ne m'ont pas surpris. Après la libération de la ville, réalisée avec les forces maliennes, nous avons entrepris des opérations de sécurisation en la prenant pour base. Mais Gao est la zone d'influence du MUJAO, le Mouvement pour l'unicité et le jihad en Afrique de l'Ouest, dont les membres sont originaires de la région. Et alors qu'AQMI – Al-Qaida au Maghreb islamique – s'organise à partir de l'Adrar des Ifoghas, le MUJAO, mouvement terroriste, mais aussi de grand banditisme, conserve ses réseaux à Gao. Je vous disais la semaine dernière qu'il fallait s'attendre à des actions asymétriques : c'est ce qui est arrivé. Même si elles sont le fait d'éléments dispersés et relativement peu organisés, elles continueront tant que nous n'aurons pas sécurisé complètement la région, ce que nous tendons à faire avec l'appui des forces maliennes.
L'événement le plus important a eu lieu dimanche, et il s'explique en grande partie – même s'il s'agit d'une interprétation personnelle – par la présence sur place d'une cinquantaine de journalistes : la tentation était grande, en effet, d'en prendre quelques-uns en otages. C'est d'ailleurs pourquoi nous ne cessons d'appeler les organes de presse à faire preuve d'une extrême prudence. Notre réponse a en tout cas été tout aussi rigoureuse que l'attaque, et nous avons neutralisé les assaillants.
Enfin, depuis la semaine dernière, nous avons poursuivi les opérations de sécurisation dans la région de Menaka.
On peut aujourd'hui distinguer plusieurs « zones chaudes » dans lesquelles les groupes terroristes sont actifs. La première, constituée de l'Adrar des Ifoghas et de la région de Timétrine, est celle où se sont réfugiés les jihadistes d'AQMI et les éléments résiduels d'Ansar Dine – même si ce dernier groupe tend à se diluer.
Le second foyer est la zone de Gao, Bourem et Almoustarat. C'est un noeud routier et un important centre logistique, et c'est aussi la sphère d'influence du MUJAO, qui va probablement poursuivre des actions de harcèlement et des attaques-suicides, à l'instar des deux actions qui ont eu lieu ces derniers jours, sans faire d'autres victimes que les attaquants eux-mêmes.
La troisième zone dangereuse est la région de Menaka et Ansongo, où le MUJAO conserve une certaine présence.
Nos soldats sont à la recherche de caches, laboratoires ou lieux éventuels de regroupement des terroristes. Les éléments déjà découverts – armes, gilets pare-balles, ceintures d'explosifs, etc. – montrent que des actions terroristes, y compris kamikazes, étaient prévues à partir du territoire malien.
Nous poursuivons deux missions : la sécurisation des zones libérées et la libération totale du territoire.
S'agissant des forces africaines autres que celles du Mali, leurs effectifs sont depuis quelques jours supérieurs à ceux des forces françaises : alors que nos troupes comptent environ 4 000 hommes, un chiffre qui devrait désormais rester stable, celles des pays africains atteignent 4 250 soldats. Une nouvelle compagnie guinéenne et une première unité sénégalaises se sont ajoutées cette semaine aux armées déjà présentes sur place. Les forces africaines se déploient progressivement en dehors de Bamako afin de contrôler les principales villes de la région.
Au nord du pays – Menaka, Kidal et Tessalit –, notre collaboration est particulièrement forte avec les Tchadiens, dont le contingent regroupe environ 1 800 hommes.
Par ailleurs, une mission européenne, EUTM-Mali – European Union training mission –, installée à Koulikoro, sera chargée de porter assistance à l'état-major malien et de former l'armée du pays. Un premier détachement de 70 militaires est arrivé vendredi à Bamako, de même que l'officier commandant la mission, le général Lecointre. La mobilisation de formateurs provenant de différents pays européens n'a pas posé de difficultés. En revanche, nous avons plus de mal à obtenir de nos partenaires européens les éléments destinés à constituer la force de protection chargée d'assurer la sécurité des formateurs. Toutefois, la réunion des ministres de la défense de l'Union, qui aura lieu cet après-midi et demain matin à Dublin, devrait permettre d'accélérer la mobilisation en ce domaine. En cas de nécessité, nous assurerions cette protection nous-mêmes, mais il est préférable, à tous points de vue, que les forces françaises ne soient pas seules chargées de cette tâche.
En ce qui concerne les actions militaires proprement dites, elles suivent donc deux axes : la sécurisation des zones libérées – surtout dans la région de Gao et au nord de Tombouctou – et l'achèvement de la reconquête du territoire malien.
Pendant ce temps, un processus de réconciliation doit se mettre en place. Il appartient aux Maliens eux-mêmes de mener le processus de réconciliation : notre rôle est de faciliter les choses, mais nous ne pouvons pas nous substituer à eux.
Enfin, au niveau international, nous poursuivons nos travaux avec les instances de l'ONU et avec nos partenaires de façon à faire évoluer le cadre juridique de la Misma, la mission internationale de soutien au Mali, qui devrait se transformer assez rapidement en une opération de maintien de la paix sous l'autorité de l'ONU – elle prendrait alors le nom de Minuma, mission des Nations unies au Mali. Nous souhaitons pouvoir obtenir, avant la fin du mois de mars, une nouvelle résolution du Conseil de sécurité allant dans ce sens.
Je suis maintenant disposé à répondre à vos questions. Je me réjouis de ces rencontres hebdomadaires, qui me donnent l'occasion d'analyser la situation avec un peu plus de recul.
La presse évoque l'arrestation, en Algérie, de deux membres d'AQMI, un Malien et un Algérien, qui avaient franchi la frontière algéro-malienne à bord d'un véhicule blindé. Avez-vous des informations à ce sujet ?
Rien de plus que ce que vous venez d'indiquer. Je ne peux que vous confirmer que nos relations avec le gouvernement algérien, sur cette question, sont de plus en plus fluides. L'évolution est progressive, mais très significative.
Je déduis de vos propos que nos partenaires européens ne sont guère plus allants qu'au début de l'opération. Quel est leur état d'esprit, alors que nous n'avons pu les convaincre d'intervenir avec nous au nord du Mali ?
Je m'interroge notamment sur les propos tenus par le Président de la République lors de son discours à Bamako. En disant que la France était intervenue pour payer sa dette à l'égard des Maliens, n'a-t-il pas changé le sens de l'opération engagée le 10 janvier ? N'en a-t-il pas fait une opération purement française, au risque d'en limiter la portée internationale ? Dès lors, les Européens auront beau jeu de s'exonérer de tout effort supplémentaire, en dehors d'un soutien à la Misma.
Je ne partage pas cette analyse, car la Misma – puis, souhaitons-le, la Minuma – doit prendre le relais de la présence française. C'est elle qui donne sa dimension internationale à l'opération, de même que la prolongation de la résolution 2085 des Nations unies. La France intervient, je le rappelle, en application de l'article 51 de la Charte des Nations unies, à la suite de la demande du président du Mali.
Quant à la mission européenne, elle a été initiée, à ma demande, bien avant l'intervention de nos troupes. Lors de la dernière réunion formelle des ministres de la défense de l'Union européenne, qui s'est tenue fin septembre sous la présidence chypriote, j'avais en effet averti mes homologues européens des menaces pesant sur le Mali, qu'ils avaient complètement sous-évaluées. Il a fallu ensuite trois mois pour élaborer un accord, même si celui-ci a été acquis à l'unanimité. En outre, je le répète, nous n'avons aucune difficulté à réunir le bon nombre de formateurs – ils seront même plus nombreux que prévus –, les interrogations ne portant que sur la force de protection de la mission EUTM-Mali. Cela étant, je ne suis pas inquiet : dans ce domaine, nous parviendrons à un résultat. Plusieurs pays européens réfléchissent à une éventuelle participation.
En tout état de cause, la France reste la nation-cadre de la mission EUTM. Elle fournira ainsi environ le quart des 350 formateurs, sur un effectif total de 495 hommes.
Par ailleurs, les Européens continuent à nous apporter une aide logistique qui, pour eux, représente un coût non négligeable. Ainsi, deux jours seulement après le début de l'intervention, un transporteur C-17 britannique a entamé un cycle de rotations permanentes qui se poursuit aujourd'hui. Le ministre de la défense britannique a d'ailleurs prévu de se rendre lui-même à Bamako demain. De son côté, le ministre polonais m'a promis hier la fourniture de matériel pour les forces maliennes et de leur transport.
Les discussions diplomatiques ouvertes aux Nations unies doivent définir les contours de l'opération de maintien de la paix et des soutiens logistiques qui pourront lui être apportés. Pour l'instant, cette opération se donne trois objectifs : garantir la sécurisation du territoire aussitôt qu'il aura été libéré ; permettre l'organisation d'élections, le 31 juillet au plus tard ; rétablir l'État de droit dans l'ensemble du Mali. Les armées maliennes, dont la formation doit se poursuivre par vagues jusqu'à la fin de l'année, prendront ensuite le relais des forces africaines.
Vous avez évoqué le soutien des pays de l'Union européenne, mais les États-Unis participent également à l'opération : ils viennent ainsi de débloquer, en urgence, 50 millions de dollars pour aider le Tchad et la France. Par ailleurs, d'après Le Monde, ils ont contribué à 20 missions de ravitaillement en vol depuis le 27 janvier.
Ainsi, si d'aucuns ont pu avoir, au départ, l'impression que la France était isolée – ce que pour ma part je n'ai jamais pensé –, on constate, au fil des semaines, une prise de conscience progressive de la communauté internationale, assortie de gestes concrets. Le président Obama a évoqué « une situation d'urgence imprévue » justifiant qu'une aide soit apportée à la France dans sa lutte contre les « terroristes » et les « extrémistes violents ». C'est une remarquable prise de position.
Vous avez évoqué la répartition des forces françaises et africaines sur le territoire malien. Comment se passe la coordination entre les différentes armées ? Qui est le chef de file ? Cette coordination est essentielle : si les États chargés de sécuriser le nord de l'Afrique et en particulier le Mali ne s'entendent pas entre eux, nous serions confrontés à de nouvelles difficultés.
Par ailleurs, les forces africaines auront-elles les moyens de sécuriser les villes reprises sans un appui actif de la France, dans l'hypothèse où le rôle de nos forces se limiterait à l'encadrement et à la formation, et où leurs effectifs seraient donc fortement réduits ?
S'agissant des États-Unis, des points de vue différents se sont d'abord exprimés au sein de l'administration américaine à propos du Mali. Les choses sont aujourd'hui très claires, et avant même la visite à Paris du vice-président Biden, il y a une semaine, les dernières ambiguïtés avaient pu être levées. Les États-Unis sont notre partenaire, et leur apport en termes de renseignement et d'observation est absolument essentiel. La coordination des services de renseignement entre les deux pays est en particulier très efficace. Il en est de même, d'ailleurs, pour ce qui concerne le transport et le ravitaillement.
Quant à la déclaration du président Obama et l'aide qu'il a décidé d'apporter, principalement au bénéfice de l'armée tchadienne, elles représentent un geste significatif supplémentaire.
J'en viens à la question de la coordination. Il existe trois états-majors différents au Mali – sans compter celui de l'armée malienne elle-même : celui de la force d'intervention française, dirigé par le général de Saint-Quentin, et basé à Bamako après l'avoir été à Dakar ; celui de la Misma, commandé par le général nigérian Shehu Usman Abdulkadir ; celui de l'EUTM, sous la responsabilité du général Lecointre. Ces trois autorités ont chacune sa propre légitimité et sa propre mission. En tout état de cause, leurs responsables se rencontrent régulièrement pour assurer une coordination des opérations.
À côté du général nigérian qui assure le commandement militaire, la Misma a un chef politique : c'est M. Pierre Buyoya, Haut représentant de l'Union africaine pour le Mali et le Sahel. De cette façon, l'Union africaine est également représentée dans le dispositif.
En fait, ce qui pose le plus grand problème – mais cela n'a rien de nouveau –, c'est la différence de niveau entre les armées africaines concernées. Certaines, comme l'armée tchadienne, sont bien plus aguerries que d'autres. Cela étant, la présence d'un grand nombre de pays de la région est un signe politique important.
Je vous remercie, monsieur le ministre, de venir régulièrement devant la représentation nationale pour faire le point sur la situation. Une telle disponibilité mérite d'être soulignée.
Pour autant, je m'inquiète du flou dans lequel vous semblez demeurer quant aux objectifs de l'intervention française.
Lorsque le Président de la République a déclenché l'opération Serval, il s'agissait d'arrêter une colonne de véhicules semi-blindés se dirigeant vers Bamako et d'éviter l'issue probable d'une telle offensive, à savoir la chute de la capitale.
Par la suite, les objectifs ont changé : ils consistaient à sécuriser la région de Bamako et les quelques villes situées sur la frontière entre les parties nord et sud du Mali – en particulier la zone située au sud de Tombouctou et le long du fleuve Niger, où se trouvent les principales forces économiques du pays.
Puis, nouveau changement : il fallait désormais libérer un certain nombre de villes du Nord restées aux mains des terroristes.
Enfin, vous nous dites aujourd'hui que l'objectif est la libération et la sécurisation de tout le territoire malien.
Depuis le début de l'opération, les objectifs changent donc en permanence. Je me demande si cela n'explique pas les réticences de nos partenaires occidentaux, et notamment européens, qui ne savent pas très bien jusqu'où on veut les amener.
Pendant la deuxième partie de la précédente législature, la Commission des affaires étrangères avait mené une mission d'information très poussée concernant cette zone géographique. Une de ses conclusions est que l'on ne faisait pas très bien la part entre ce qui, dans la région, relevait d'actions terroristes ou d'activités mafieuses. Le Sahel est en effet une zone de transit pour la drogue en provenance d'Amérique du Sud, et les trafics en tout genre sont intimement liés avec les activités terroristes.
La seule différence, entre aujourd'hui et il y a un an, c'est que d'après les autorités des pays de la zone, les terroristes étaient beaucoup moins nombreux il y a un an. Je me demande donc si notre action ne contribue pas à focaliser la présence des terroristes islamiques au Mali, au risque d'un enlisement.
Ainsi, autant je comprends parfaitement la décision du Président de la République de faire intervenir les forces aériennes le 10 janvier, autant je suis beaucoup plus réservé sur l'engagement de forces combattantes françaises sur le terrain. L'essentiel, aujourd'hui, est de poursuivre la lutte contre le terrorisme, et de s'assurer que l'armée malienne bénéficie d'un soutien matériel et d'une formation de la part de la France et de ses alliés européens. Mais l'engagement militaire doit être celui des pays africains eux-mêmes. Je me réjouis de voir des unités en provenance de Guinée et du Sénégal compléter les forces nigériennes et tchadiennes, mais j'aimerais savoir quelle est la nature réelle de l'engagement des forces africaines. On nous avait annoncé la venue d'un nombre important de soldats, mais nous les attendons toujours.
Personnellement, cette situation d'enlisement m'inquiète beaucoup. Je ne suis pas sûr que vous alliez pouvoir tenir le terrain, en raison de l'attirance que ce théâtre exerce pour de nombreuses forces terroristes. Je le répète, l'essentiel est d'assurer le déploiement des forces africaines alliées dans la région.
Je suis en profond désaccord avec votre analyse et même – ce qui est plus ennuyeux – avec votre mémoire. Nous avons en effet toujours dit la même chose.
Je demanderai à mes collaborateurs de vous fournir un résumé de toutes les déclarations faites en ce sens, y compris celles du Président de la République. Moi-même, j'ai dit à plusieurs reprises devant l'Assemblée nationale que notre intervention avait trois principaux objectifs. Le premier, mettre un terme à l'offensive terroriste, est achevé ; le deuxième, rendre au Mali son intégrité territoriale, est en cours de réalisation, de même que le troisième, faire en sorte que les décisions des Nations unies soient mises en oeuvre et respectées dans un État de droit retrouvé.
Ces objectifs n'ont pas varié d'un iota, même si leur accomplissement prend du temps. Honnêtement, monsieur Poniatowski, comment peut-on parler d'enlisement seulement un mois après le début de l'opération, alors que toutes les capitales reconnaissent l'efficacité, la rapidité et la réactivité de nos forces, et que je vous informe chaque semaine d'une progression sur le terrain ? Soit vous ne connaissez pas bien le sujet, soit vous faites de la polémique, ce qui serait tout de même dommage.
Autre point de désaccord total : les forces terroristes ne sont pas de plus en plus nombreuses au Mali. C'est même le contraire, et c'est justement ce qui nous préoccupe. Il y en a de moins en moins : nous en avons neutralisé certains, d'autres se sont dispersés, et d'autres encore se sont réfugiés ailleurs, ce qui inquiète les autorités algériennes, nigériennes et libyennes. Le premier ministre libyen doit d'ailleurs s'en entretenir demain avec le Président de la République.
En revanche, je suis d'accord avec vous sur le lien entre le terrorisme et la mafia, que vous aviez déjà constaté et qui ne fait que se confirmer. Si AQMI représente une véritable « internationale jihadiste », ce qui en fait le groupe le plus dangereux, les militants du MUJAO s'apparentent davantage à des bandits de grand chemin qui tentent de couvrir leurs activités du manteau de la foi. Heureusement, à Gao, nous pouvons les repérer grâce à la bonne collaboration de la population.
S'agissant de la Misma, je répète qu'il y a désormais plus de soldats africains sur le terrain que de soldats français. Sur les 7 000 participants annoncés, près de 4 300 sont déjà sur place. Il convient d'y ajouter les 3 000 soldats maliens que nous allons former. Mais il est vrai que la coordination et la structuration des forces africaines constituent un des points de fragilité de l'opération.
Les objectifs de la France n'ont pas changé, mais ils n'ont pas tous été atteints. Il suffit de regarder la carte et la progression de nos forces pour comprendre ce qui va se passer dans les prochains jours.
Je ne ferai pas de polémique, rassurez-vous, même si j'ai également tendance à m'inquiéter. À Gao, l'euphorie est en train de passer, à mesure que les terroristes ont recours à des actions de guérilla. La guérilla, ce n'est pas très joli – on peut s'attendre à ce qu'il y ait des morts chaque jour – et cela peut durer plus longtemps que prévu. Le conflit pourrait peut-être – j'insiste sur le mot – s'enliser. Dans ce contexte, un plus grand soutien de nos alliés européens serait bienvenu. L'aide qu'ils apportent en termes de formation ou de logistique risque d'être, demain, insuffisante.
On a suggéré que le Qatar, le Bahreïn et l'Arabie saoudite pouvaient fournir des armes aux terroristes. Les autorités de ces pays ont opposé un démenti, mais je ne suis pas sûr que nous devions les croire. Que savez-vous sur ce sujet ?
Enfin, avez-vous des contacts avec les preneurs d'otages ? Une action pourrait-elle être menée pour les délivrer ?
J'ai dit la semaine dernière qu'il fallait s'attendre à des actions asymétriques à Gao. Il s'agit d'une guerre, pas d'une promenade de santé ! Il paraissait évident que les terroristes, même dispersés, pourraient répliquer d'une façon ou d'une autre, ne serait-ce que pour des questions d'honneur. L'attaque de dimanche, en particulier, visait à prendre des otages supplémentaires.
Jusqu'à présent, toutes les tentatives des terroristes ont été neutralisées. Mais il y en aura d'autres jusqu'à ce que nous ayons sécurisé la zone.
J'ai déjà évoqué le réseau de caches d'armes que nous avons commencé à mettre au jour : cette organisation n'avait pas pour but de lancer des actions au Mali même, dont les forces jihadistes auraient de toute façon pris le contrôle sans notre intervention, mais bien à perpétrer des attentats en Europe.
On peut parler d'enlisement quand plus rien ne bouge. Or, à chaque fois que je me présente devant vous, je vous informe d'une nouvelle avancée.
Dimanche, je me suis rendu brièvement au Qatar, où j'ai rencontré le prince héritier, ainsi que le chef d'état-major des armées, qui fait fonction de ministre de la défense. Le prince m'a renouvelé l'expression du soutien de son pays à notre égard, et sa position est parfaitement claire. Les rumeurs qui circulent, et que rien ne permet d'étayer, relèvent donc du « Qatar bashing ».
J'ai profité de ce voyage pour participer à deux émissions de la chaîne Al Jezeera, l'une en anglais, l'autre en arabe, qui m'ont permis d'expliquer mon point de vue sur les raisons de notre présence au Mali ou le rôle des Touaregs. J'espère avoir répondu de mon mieux aux interrogations des journalistes, de sorte que notre position soit comprise par les spectateurs de la chaîne, très influente dans le monde arabe.
En ce qui concerne les otages, nous utilisons tous les moyens pour obtenir leur libération.
Il y a une dizaine de jours, les Touaregs du MNLA ont arrêté deux dirigeants importants de groupes terroristes. Sont-ils toujours entre leurs mains, ou ont-ils été remis aux forces françaises ? Avons-nous pu retirer quelque chose de positif de cette arrestation ?
Le MLNA nous a en effet informés qu'il détenait certains prisonniers, dont le numéro trois d'Ansar Dine, une organisation qui d'ailleurs n'existe plus vraiment. Ils sont toujours entre leurs mains, et nous n'avons pas l'intention de les prendre en charge. Nous estimons en effet que les prisonniers doivent être sous la responsabilité de la justice malienne et, le cas échéant, de la Cour pénale internationale – CPI.
Vous oubliez la CPI, qui a engagé une procédure.
Je sais que ce sujet n'est pas de votre compétence, mais qu'en est-il de la situation humanitaire au Mali, dans le contexte de pauvreté que connaît le pays ? Quel est l'état des populations, et sur quelles aides peuvent-elles compter de la part de l'ONU ou des organisations non gouvernementales ? Une telle question est peu évoquée dans les médias.
La question est en effet importante, même si, en effet, elle ne relève pas de mon ministère. Deux initiatives vont être prises dans ce domaine.
Tout d'abord, le ministre chargé du développement va organiser au début du mois de mars une réunion de l'ensemble des collectivités françaises ayant une relation avec le Mali, afin qu'elles coordonnent leurs actions et qu'une dynamique de développement se mette en place.
Ensuite, à l'initiative commune de l'Union européenne et de la France, une conférence doit être organisée en avril pour recueillir les financements destinés à développer le Mali. C'est en effet aussi de cette façon que l'on mettra un terme aux difficultés du pays. L'Union européenne annonce d'ores et déjà la mobilisation de 250 millions d'euros, et des aides ont été promises par l'Inde et le Japon.
Aujourd'hui, la situation sanitaire et humanitaire est difficile, en raison de la fermeture des frontières et du nombre de réfugiés résultant de la guerre. Elle n'est cependant pas catastrophique et tend même à s'améliorer.
L'intervention au Mali vient après celles menées en Afghanistan et en Libye, et conduit nos armées à consommer une grande quantité de munitions. Quel est l'état de nos stocks en la matière ? Est-il nécessaire de les renouveler ?
De mémoire, les dépenses en munitions atteignent 5 millions d'euros, sur un total de 70 millions d'euros – même si on devrait bientôt atteindre les 100 millions à la fin du mois. Nous ne connaissons aucun problème de stocks depuis que l'opération a été engagée.
Le groupe du Nouveau centre réaffirme son soutien à l'action du Gouvernement au Mali.
Quand vous décrivez la répartition de nos forces sur le terrain, vous ne faites pas mention du nord-est du Mali, et notamment d'Arouane et Taoudenni. Quelle est la situation dans ces localités ?
Elle est sécurisée, et c'est pourquoi nous préférons ne pas disperser nos forces. Du reste, il n'y a pas beaucoup de villes au nord-ouest : c'est le désert.
Non. Cela étant, la portée politique ce déplacement au Qatar est loin d'être négligeable. Il m'a permis de parler avec le prince héritier, mais surtout de m'exprimer à la télévision depuis Doha.
Je suis prêt à revenir devant votre commission la semaine prochaine, mais dans l'immédiat, je dois vous quitter pour me rendre à Dublin.
La séance est levée à douze heures trente.