La Commission procède à l'audition de M. Jérôme Cahuzac, ministre délégué chargé du Budget, sur les contentieux communautaires fiscaux.
Notre rapporteur général souhaitait vous entendre, monsieur le ministre, sur le sujet très technique des contentieux fiscaux communautaires. Pouvez-vous faire le point sur ces dossiers ?
Ce sujet est aussi l'occasion d'aborder l'articulation entre la comptabilité générale qui retrace, par le biais de provisions, divers engagements ou risques de l'État, et la comptabilité budgétaire qui ne prévoit rien de tel avant qu'intervienne une décision définitive, en général d'une instance juridictionnelle. Quand vous présidiez la commission des Finances, vous aviez vous-même souligné que, ne disposant pas du compte général de l'État, nous n'avions connaissance de l'impact des contentieux qu'au moment de la loi de règlement. Il en a été ainsi du contentieux sur les OPCVM, de celui consécutif à la décision de la cour d'appel sur les frégates de Taïwan, et de celui sur le précompte mobilier. Comment mieux articuler comptabilité générale et programmation budgétaire de façon à améliorer l'information de notre commission, sans ignorer que le fait de provisionner, en loi de finances, un contentieux revient implicitement à anticiper qu'on va le perdre ?
Par ailleurs, nos engagements financiers, dont nous devons traiter avec le ministre de l'Économie, atteignent des montants considérables, notamment dans le cadre du Mécanisme européen de stabilité – MES –, mais aussi au titre de la Banque mondiale et des banques régionales de développement. Chaque année, nous constatons en loi de règlement des abandons de créances consentis par le club de Paris mais nous avons du mal à les suivre bien qu'ils représentent des enjeux de plusieurs centaines de millions d'euros, voire davantage.
Au mois de mai dernier, les contentieux avec la Commission européenne tournaient autour d'une vingtaine, et certains d'entre eux étaient très lourds. Vous avez parlé de celui concernant les OPCVM, qui pèse près de 5 milliards d'euros, mais il y a aussi celui sur la taxe « Copé-Fillon », estimé, si la France perd devant la Cour de justice de l'Union européenne – CJUE –, à 1,3 milliard, sans parler des autres.
Plus le nombre de contentieux avec la Commission est élevé, plus il est difficile à un État de faire valoir ses arguments. Face à ce constat, nous avons décidé de faire la part du feu pour instaurer un meilleur climat dans nos relations avec la Commission. Nous voulons éviter de nouveaux contentieux – et nous avons pu en prévenir certains –, et en désamorcer d'autres quelle que soit l'étape du contentieux.
Onze contentieux ont été ainsi clôturés ou évités, parmi lesquels celui de la TVA sur les activités équines. Malgré la condamnation prononcée par la Cour de justice de Luxembourg, la France avait conservé sa fiscalité, ce qui lui faisait courir le risque de recours successifs pour manquement sur manquement, avec à la clef des pénalités lourdes. Nous avons, comme moindre mal, accepté le verdict sans encore modifier nos règles concernant les activités sportives tels les manèges. En loi de finances, vous avez autorisé une modification du taux de TVA par décret. Ainsi, dans l'hypothèse où la Cour de justice confirmerait sa première décision, nous réglerions évidemment l'amende due, mais nous nous épargnerions l'astreinte quotidienne de 250 000 euros jusqu'à l'application du nouveau taux.
Nous choisissons désormais d'éviter d'introduire toute nouvelle disposition qui serait contraire au droit communautaire et nous ne souhaitons plus établir un rapport de force avec la Commission en invoquant à l'appui de notre position un vote du Parlement. Nous avons résolument adopté un comportement plus coopératif. Nous y avons intérêt, pour éviter l'ouverture de nouveaux contentieux, par exemple sur le dossier de la fiscalité propre aux départements de la Haute-Corse et de la Corse-du-Sud.
Il en va de même de l'application du crédit d'impôt compétitivité emploi – CICE – aux coopératives agricoles : nous préférons commencer par interroger les services de la Commission. Il s'agit d'une démarche non de confrontation mais de confiance.
S'agissant des services à la personne, nous avons opté pour un compromis. Alors qu'était contestée la fiscalité de l'ensemble du secteur au point que la Commission voulait saisir la Cour de justice, nous avons accepté de relever le taux de TVA de cinq types particuliers de services : sont concernés le jardinage, le gardiennage, les cours à domicile hors soutien scolaire, les services informatiques et l'intermédiation. Il n'y aura ainsi pas d'autre contentieux sur le secteur.
En ce qui concerne la vente d'alcool dans les pharmacies, la réglementation communautaire est claire. L'exonération des droits d'accise vaut si et seulement si l'alcool est utilisé dans l'enceinte de l'officine, ce qui limite les cas ! Nous avons donc accepté de modérer la portée de l'amendement pourtant brillamment défendu par M. de Courson, consistant à exonérer, dans la limite d'un contingent, l'alcool vendu en pharmacie… Pour échapper au paiement de ces droits, il suffit aux pharmaciens de rendre l'alcool impropre à la consommation, par exemple en y ajoutant un peu de camphre.
La taxe dite Copé sur le chiffre d'affaires des fournisseurs d'accès à Internet fait toujours l'objet d'un contentieux. En cas de condamnation, il faudrait rembourser les sommes perçues – 1,3 milliard d'euros. Au nom de la continuité de l'État, les autorités françaises font valoir devant la Cour de justice les arguments en faveur du maintien de cette taxe, quoi qu'on ait pu en penser au départ.
Quant au taux réduit de TVA sur les livres numériques, le gouvernement français estime que le livre numérique est d'abord un livre et doit être traité fiscalement en tant que tel avant d'être un service numérique. Et ce choix est parfaitement défendable.
Comment mieux articuler comptabilité générale et comptabilité budgétaire ? Selon la première, tout risque doit donner lieu à provision et, si ce risque est important, il doit être prévu au titre de la seconde ; mais ce principe n'a pas toujours été mis en oeuvre. Je pense aux OPCVM dont je n'avais jamais entendu parler avant d'exercer les fonctions qui sont les miennes et je ne crois pas qu'il ait jamais été évoqué ni en Commission ni dans l'hémicycle alors que les autorités françaises étaient en négociations depuis cinq ou six ans et qu'elles n'auguraient rien de bon. Au total, sur les 5 milliards d'euros qu'il va falloir débourser, près de 20 % correspondent à des intérêts moratoires. C'est ce contentieux qui m'a convaincu qu'il valait mieux chercher à travailler avec la Commission plutôt qu'à l'affronter avec un risque qui ne fait croître avec le temps. Une fois condamnés, nous ne pouvons plus qu'essayer d'étaler au maximum le paiement de la pénalité.
S'agissant de la taxe « Copé », nous avons prévu en comptabilité budgétaire 1,3 milliard d'euros, dans l'attente de la décision de la Cour de justice.
Dans l'affaire du précompte mobilier, il semblerait que le Conseil d'État ait rendu en fin d'année une décision globalement favorable à l'État. Avez-vous revu à la baisse le coût initialement prévu pour ce contentieux ?
Concernant celui sur les OPCVM, les nombreuses affaires encore en cours laissent prévoir des reports dans les versements. C'est la raison pour laquelle vous avez repoussé à 2013 la somme de 1,5 milliard d'euros inscrite pour 2012. Pouvez-vous nous communiquer un nouvel échéancier ? Tout le monde se demande pourquoi le Parlement n'a jamais été informé du dossier. Pouvez-vous nous assurer qu'une telle mésaventure ne se reproduira pas ?
Des contentieux sont-ils envisageables en raison des taux particuliers pratiqués dans certains départements comme la Corse ? Quelles précisions pourriez-vous nous donner sur le régime spécifique de TVA des agences de voyage dont l'assiette se limite à la marge ?
Vingt et un. Nous en avons soldé onze mais cinq seulement s'imputaient sur le stock.
Ne pourrait-on avoir un tableau récapitulant les montants en jeu et les provisions éventuellement constituées ?
Y a-t-il ou non contentieux à propos de la Corse ? Si oui, sur quoi porte-t-il ?
À propos des ventes d'alcool dans les pharmacies, j'ai cru comprendre que, s'agissant de l'avenir, il ne vous restait plus qu'à prendre un décret fixant la quantité exonérée à zéro, pour être tranquille. Mais que faire pour le passé ?
Quel sort sera finalement réservé aux coopératives au regard du CICE ? Seront-elles éligibles ?
Vous qui venez d'un département arboricole, monsieur le ministre, vous n'ignorez pas que la France a été condamnée pour distorsion de concurrence à cause des aides versées aux arboriculteurs entre 1992 et 2002, pour un montant total de quelque 300 millions d'euros. La facture, qui représente tout de même 12 % du chiffre d'affaires annuel du secteur, risque de mettre à mal une filière maintes fois éprouvée. Une renégociation est-elle envisageable d'autant que la comparaison avec le contentieux sur les OPCVM ne donne pas une très bonne idée de ce que peut être la justice fiscale ?
Monsieur le rapporteur général, l'État devait décaisser au titre du précompte mobilier 200 millions d'euros en 2012 et 1,8 milliard en 2013. La décision rendue par le Conseil d'État est très favorable aux finances publiques puisqu'il a décidé que le crédit d'impôt auquel les sociétés pouvaient prétendre en France serait égal au montant de l'impôt réellement payé à l'étranger. Les 200 millions d'euros prévus en 2012 se sont ainsi transformés en 20 millions. Nous avions envisagé un coût de l'ordre de 2 milliards d'euros sur des réclamations totales de 4 milliards. Désormais, on peut espérer que ce sera beaucoup moins.
Concernant les OPCVM, l'État va uniformiser les dossiers de demande en veillant à ce qu'ils soient les plus complets et précis possible.
La décision sur la TVA à taux réduit sur les services est le fruit d'un compromis.
S'agissant de la TVA, les contentieux ne donnent pas lieu à remboursement aux contribuables. En revanche, les taxes assises sur le chiffre d'affaires, comme la taxe « Copé », doivent être remboursées, donc provisionnées.
Enfin, il n'y a pas, pour l'heure, de contentieux à propos de la Corse et le mieux serait d'éviter qu'il s'en crée.
S'agissant de l'ensemble des contentieux, on anticipe environ 3 milliards d'euros en 2013, 3,55 milliards en 2014 et un peu moins en 2015. Pour les trois ans à venir, le total devrait osciller entre 8 et 9 milliards d'euros. L'importance de ces sommes montre bien l'intérêt qu'il y a, quand on légifère, à éviter les possibilités de contentieux fiscaux. Les victoires peuvent coûter cher à moyen et long terme.
Les provisions sont passées dès lors que nous avons la certitude de devoir payer, mais les prévisions, elles, sont toujours aléatoires.
En principe, il n'est pas question pour les ventes d'alcool par les pharmacies de faire table rase du passé.
Madame Rabault, sur les plans de campagne, la chose a été jugée. Nous devons récupérer les aides qui ont été versées. Quant aux modalités, la Commission est en droit de nous demander celles que nous avons retenues et le résultat. Nous essayons d'être le plus justes possible, loyaux envers la Commission tout en étant compréhensifs envers ceux qui n'ont pas touché l'argent qui leur est réclamé, notamment quand les exploitations ont été cédées entre-temps.
Pour en revenir aux pharmacies, la moitié des droits réclamés a déjà fait l'objet de recouvrements ou de transactions, et il sera tenu compte d'éventuelles difficultés de trésorerie pour la moitié restante.
Le bénéfice du CICE aux coopératives agricoles est en cours de négociation avec Bruxelles. Le problème vaut également pour les offices HLM. Les services juridiques élaborent techniquement la saisine de la Commission européenne pour optimiser nos chances d'avoir gain de cause.
Pour les aides aux arboriculteurs, la traçabilité existe : nous disposons du cadastre et nous savons parfaitement qui a touché quoi. Pourquoi ne pas demander à ceux qui ont bénéficié des aides de les restituer ?
Les aides sont distribuées à l'exploitation plutôt qu'à l'exploitant. Il est probable que les contrats signés entre cédants et cessionnaires empêchent tout recours. Le bon sens n'y trouve pas son compte, mais il arrive que le droit heurte le bon sens.
Compte tenu de l'énormité des sommes en cause, 7 ou 8 milliards d'euros sur trois ans, je comprends tout à fait que le ministre cherche à limiter les contentieux de ce type. Dans le passé, on jouait la montre parce que les affaires duraient des années, mais, au bout du compte, nous n'avons pas intérêt à prendre de tels risques.
Membres présents ou excusés
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire
Réunion du mardi 19 février 2013 à 17 heures
Présents. - M. Éric Alauzet, M. Dominique Baert, Mme Karine Berger, M. Étienne Blanc, M. Gilles Carrez, M. Christophe Castaner, M. Yves Censi, M. Gaby Charroux, M. Jérôme Chartier, M. François Cornut-Gentille, M. Charles de Courson, Mme Marie-Christine Dalloz, M. Jean-Louis Dumont, M. Christian Eckert, M. Olivier Faure, M. Marc Francina, M. Claude Goasguen, M. Jean-Pierre Gorges, M. Marc Goua, M. Laurent Grandguillaume, Mme Arlette Grosskost, M. Jean-Christophe Lagarde, M. Jean-François Lamour, M. Thierry Mandon, Mme Christine Pires Beaune, Mme Valérie Rabault, M. Camille de Rocca Serra, M. Nicolas Sansu, M. Éric Woerth
Excusés. - M. Guillaume Bachelay, M. Dominique Lefebvre, M. Thierry Robert, Mme Hélène Vainqueur-Christophe, M. Michel Vergnier
Assistait également à la réunion. - M. Yann Galut