Nous avons déjà longuement entendu M. Michel Gonelle le 21 mai dernier. Si nous avons collégialement décidé de l'entendre à nouveau, c'est que nous avons observé des différences, sur plusieurs points, entre son témoignage et celui d'autres personnes que nous avons entendues, également sous serment.
Nous souhaitons donc, monsieur Gonelle, que vous nous aidiez à y voir plus clair.
Comme vous le savez, l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.
(M. Michel Gonelle prête serment.)
Au cours des deux heures dix qu'a duré mon audition du 21 mai dernier, j'ai répondu à quelque 62 questions. Cette nouvelle convocation montre qu'il en reste d'autres, auxquelles, bien entendu, je suis tout disposé à répondre.
Du fait de mon activité professionnelle, je n'ai pas pu suivre toutes les auditions de votre commission. J'ai néanmoins suivi celle de M. Alain Zabulon, qui me concerne au premier chef, celle de M. Alain Picard, dont j'ai lu la retranscription, celle de M. Jean-Louis Bruguière et celle de M. Jérôme Cahuzac.
J'apporte à votre commission différents documents.
D'abord celui que vous avez souhaité recevoir, monsieur le président, à savoir la lettre que j'avais prévu de remettre en mains propres à Alain Zabulon si j'avais pu le rencontrer le 15 décembre 2012 comme je l'avais souhaité. En effet, l'objet de mon appel téléphonique n'était pas seulement de lui parler, mais bien de le rencontrer. Je ne souhaitais pas envoyer par la poste ce courrier que je voulais personnel mais le lui remettre, sachant qu'il serait reçu avec toute la discrétion et toute la confidentialité nécessaires. Les circonstances de la fin du mois de décembre ont fait qu'il n'était plus nécessaire de l'adresser. Je ne sais si une lettre non envoyée présente un très grand intérêt.
Ensuite des documents concernant ce que M. Jean-Louis Bruguière a affirmé devant votre commission. L'un d'entre vous a qualifié ses propos d'« Histoire de France racontée aux enfants », et force est de reconnaître qu'il y a beaucoup de choses fausses dans ce qu'il a dit.
Il vous indique en particulier que, très fâché d'avoir reçu le 12 novembre 2006 – date qu'il confirme – le document que j'avais en ma possession, il l'aurait détruit un mois plus tard, le 15 décembre, sans l'avoir écouté dans l'intervalle. Il répète également, comme il l'avait dit à Paris-Match dès le 20 décembre 2012, qu'il m'avait alors immédiatement congédié de son équipe de campagne. C'est totalement faux. Je vous ai apporté un certain nombre de procès-verbaux de réunions de cette équipe ainsi que son organigramme, les messages électroniques que son épouse Catherine m'a envoyés au cours du premier trimestre 2007, et la lettre manuscrite très chaleureuse qu'il m'a adressée le 30 juin 2007 afin de me remercier de ce que j'ai pu faire pour lui durant la campagne électorale. Vous pourrez donc constater que je n'ai nullement été congédié, comme il veut le faire croire de manière puérile : je figurais même parmi les quatre membres du « comité stratégique » de campagne, aux côtés de M. Bruguière lui-même, de M. Alain Merly, le député sortant, et de M. Jean-Louis Costes, qui est aujourd'hui le nouveau député de la circonscription. Cette attribution m'a été signifiée par Alain Merly dans un fax du 17 janvier 2007, avec une lettre de son assistant parlementaire et les comptes rendus des réunions, tous documents portant la même date que le fax. Les comptes rendus des réunions de la fin du mois de janvier figurent en pièce jointe de différents courriers électroniques. Je vous transmets également les lettres de l'épouse de M. Bruguière, celles de son directeur de la communication de l'époque, M. Bardin, ainsi que les messages électroniques de M. Gérard Paqueron, présenté par M. Bruguière à votre commission comme étant son directeur de campagne alors qu'il était plutôt, me semble-t-il, son trésorier.
Tous ces documents montrent que, jusqu'au mois de mai 2007, j'étais destinataire de tous les documents de la campagne et participais aux réunions. La fable selon laquelle on aurait détruit la bande sans l'écouter et congédié l'auteur de cette horreur absolue consistant à avoir sauvegardé l'enregistrement est bien, comme vous l'avez dit, une « Histoire de France racontée aux enfants ».
J'ai également apporté des documents prouvant que Jérôme Cahuzac a tenu devant vous des propos qui ne sont pas exacts. Ce n'est pas moi qui ai signalé au parquet de Paris que la clinique Cahuzac payait en espèces une employée non déclarée, c'est Alain Merly, qui était alors député et qui a écrit le 12 avril 2005 au procureur Jean-Claude Marin pour lui transmettre un courrier qu'il avait reçu au casier de la poste de l'Assemblée nationale.
Beaucoup de choses qui ont été dites sous serment sont factuellement fausses. C'est pourquoi je vous ai apporté tous ces documents pour vous le démontrer.
On a le droit de se tromper mais, en l'occurrence, il s'agit d'autre chose.
Les formations politiques s'administrent librement et que ce qui y a trait n'est pas du ressort de notre commission d'enquête.
Il ne vous reste plus d'enregistrement des propos de M. Cahuzac ?
J'ai déjà expliqué que j'ai réalisé en tout et pour tout deux sauvegardes de cet enregistrement. La première a été remise le 12 novembre 2006 à Jean-Louis Bruguière, la seconde le 16 janvier 2013 à la police judiciaire.
C'est pourtant ce que déclarait M. Arfi lors d'une émission sur Mediapart le 14 décembre dernier.
Vous confirmez également que les propos de M. Cahuzac ont été enregistrés à la suite d'une fausse manoeuvre ?
Oui. Son analyse au cours de l'enquête de police judiciaire est probante « à 60 % », comme le dit élégamment Jérôme Cahuzac.
M. Jean-Louis Bruguière a reconnu avoir pris l'une des copies de l'enregistrement de la conversation entre Jérôme Cahuzac et son chargé d'affaires, mais il a indiqué ne pas vous avoir sollicité pour que vous le lui donniez. Vous avez pourtant indiqué sous serment, le 21 mai dernier, que, apprenant que vous aviez conservé l'enregistrement, Jean-Louis Bruguière avait voulu l'écouter ; comme vous ne disposiez pas de l'appareil permettant de le lire, il vous aurait prié de le lui confier, ce que vous avez fait. Comment expliquez-vous ces différences ? Maintenez-vous vos propos ?
Je les maintiens, bien sûr, et je vous apporte aujourd'hui la preuve que Jean-Louis Bruguière ne vous a pas dit la vérité sur les circonstances de cette remise.
Jean-Louis Bruguière se souvient que vous l'avez prévenu de la mauvaise qualité de l'enregistrement, mais nie vous avoir dit qu'il « avait à sa disposition des gens capables de l'améliorer ». Il a indiqué qu'il était impossible d'obtenir un service de ce type sans respecter une procédure strictement encadrée par la loi. Maintenez-vous vos propos ?
C'est sa parole contre la mienne. Je maintiens mes propos et j'apporte la preuve que Jean-Louis Bruguière a raconté une fable à la commission et à la presse.
Il est indiscutable qu'il a menti. Voyez l'article de Paris-Match, où il dit qu'il m'a congédié « aussitôt » – je crois que l'adverbe est dans l'article – alors que je vous apporte la preuve que j'ai continué à participer de façon tout à fait normale à sa campagne électorale.
Vous maintenez donc vos propos : M. Bruguière a dit qu'il avait à sa disposition des gens capables d'améliorer la qualité de l'enregistrement.
Je me souviens qu'il m'a parlé de cela. Cela étant, ai-je traduit très fidèlement les propos qu'il m'a tenus ? Je n'en sais rien. C'est moi qui lui ai indiqué que la qualité était mauvaise. Il m'a dit que ce n'était pas un inconvénient. J'étais d'autant plus enclin à le croire que je savais que son métier l'amenait à pratiquer souvent le traitement des écoutes téléphoniques.
Comment expliquez-vous alors que M. Jean-Louis Bruguière, toujours selon ce qu'il nous a dit, ait jeté l'enregistrement sans l'avoir écouté, quelques semaines après l'avoir obtenu ?
Premièrement, je n'y crois pas. Deuxièmement, je n'en sais rien. Il est responsable de ses propos. Je n'étais pas derrière lui. Il affirme l'avoir « jeté dans la poubelle familiale », ce qui prête plutôt à rire !
Lors de votre première audition, vous nous avez dit regretter d'avoir parlé de l'enregistrement à M. Bruguière « car il n'a pas fait un bon usage de cette information ». Quel usage auriez-vous souhaité qu'il en fasse ? M. Bruguière nous a fait part de son sentiment d'une tentative d'instrumentalisation de votre part : qu'en pensez-vous ?
Le premier reproche que je fais à Jean-Louis Bruguière est de ne pas m'avoir rendu ce que je lui avais prêté. Je lui avais remis l'enregistrement pour qu'il l'écoute et il était entendu qu'il devait me le restituer, ce qu'il n'a jamais fait.
S'agissant du « bon usage », je souligne que c'est M. Bruguière qui, de toute évidence, voulait entendre cet enregistrement, sans quoi je ne le lui aurais pas remis : ce ne devait pas être pour le plaisir de le poser sur son bureau ! Je ne l'ai quand même pas obligé à s'en saisir, à le mettre dans sa poche et à l'emporter !
Lors de son audition, M. Catuhe nous a dit qu'il avait écouté l'enregistrement sur votre ordinateur. C'était en 2001. Or, vous nous avez déclaré que votre dialogue avec M. Bruguière avait eu lieu chez vous. Pourquoi donc n'avez-vous pas pu le lui faire écouter ?
Entre 2001 et 2006 la technologie informatique des cabinets d'avocat a changé. En 2001, nous disposions d'appareils permettant de lire le support de cet enregistrement, à savoir une mini-cassette insérée dans un étui de plastique. En 2006, on est passé aux grands cédéroms sans étui et mon équipement n'est plus le même.
C'est pour cette raison que vous ne pouvez pas faire écouter l'enregistrement à M. Bruguière ?
Dans une interview du 2 mai 2013, vous avez indiqué à une journaliste du Point avoir cherché, dans les six mois qui ont suivi l'enregistrement, un cabinet spécialisé à Bordeaux capable de vérifier si le compte évoqué par M. Jérôme Cahuzac était ou non déclaré. Est-ce exact ?
Parce que vous ne m'avez pas posé la question. Mais j'en ai fait très largement confidence à la police judiciaire dès mon audition du mois de janvier.
D'ailleurs, je m'interroge sur la façon dont votre commission s'attache à mon comportement alors qu'elle a pour mission de déterminer les éventuels dysfonctionnements de l'État entre le 4 décembre 2012 et le 2 avril 2013. Je suis, bien entendu, ravi de venir à nouveau déposer devant vous, j'imagine bien que vous voudriez me faire mille et un reproches, mais j'ai révélé moi-même cet élément aux enquêteurs de la police judiciaire. Laissons-les faire leur travail ! Si j'ai commis une infraction, les juges ne manqueront pas de me le reprocher.
Je n'ai pas à répondre à vos insinuations. Je vous pose des questions, comme à toutes les personnes auditionnées.
Je comprends néanmoins le sens de vos questions. Je ne suis pas tout à fait naïf !
C'est possible mais je n'en ai pas un souvenir précis. La police judiciaire a retrouvé et interrogé la personne en question. Je ne connais pas sa déposition.
Ne prenez pas mal les questions de notre rapporteur. Notre commission est confrontée au problème suivant : Mediapart, qui peut exciper du secret des sources des journalistes, a eu cet enregistrement ; or, MM. Plenel et Arfi nous ont affirmé sous serment que ce n'est pas vous qui le leur avez donné, ce que vous avez confirmé ; comme, d'après vos dires, il n'y avait que deux enregistrements, l'autre piste est celle de M. Bruguière, lequel nous a affirmé sous serment qu'il l'a jeté. Il y a donc une troisième personne…
Ce que se demande le rapporteur, c'est s'il n'y aurait pas eu une fuite, à votre insu, de la part de personnes à qui vous auriez confié l'enregistrement.
Sauf lorsque je l'ai remis à M. Bruguière, je ne m'en suis jamais dépossédé. Mais je l'ai fait entendre à M. Catuhe et à un cercle d'une demi-douzaine de personnes tout au plus, comme je l'ai indiqué lors de ma première déposition. Je l'ai fait écouter également au spécialiste de Bordeaux qui m'avait été recommandé, mais je ne crois pas lui avoir remis de copie.
Le cabinet Rat. Il n'existe plus aujourd'hui mais la police judiciaire a retrouvé son dirigeant. Il s'agissait d'un cabinet d'intelligence économique et ma préoccupation était de savoir si cette histoire de compte en Suisse était vraie ou fausse, s'il y avait de l'argent ou non dessus, si l'affaire était sérieuse ou douteuse.
J'ai mis un soin méticuleux à ne pas donner de copies. Si j'en ai remis une à M. Bruguière, c'est parce que je pensais qu'il était digne de confiance. Je le regrette aujourd'hui car il n'est pas digne de confiance !
En premier lieu qu'il me le rende. Il voulait l'écouter, je ne m'y suis pas opposé, mais je pensais qu'il me le rendrait.
D'abord – je le répète – qu'il me rende un enregistrement qui m'appartient. Je n'avais pas prémédité de lui remettre ce document. Il voulait absolument l'écouter. Je ne pouvais le lui permettre sur-le-champ, donc je le lui ai remis pour qu'il l'écoute et me le rende. Voilà !
Lors de votre audition du 21 mai, nous avons eu l'échange suivant à propos des informations dont aurait disposé la douane :
Je vous pose cette question : « Dans une interview du 3 avril, vous indiquez que l'administration des douanes aurait eu connaissance dès 2008 de l'existence du compte à l'étranger de Jérôme Cahuzac. Comment le saviez-vous ? » et vous me répondez : « En réalité, il y a une erreur dans la transcription de mes propos, car cette administration le savait bien avant 2008. J'ai entendu dire par plusieurs sources journalistiques concordantes que le service compétent des douanes, le chef du 4e bureau de la Direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières – une des divisions de la DNRED – avait obtenu ce renseignement dès 2001, même si j'ignore de quelle façon. Selon mes informations, dont j'ai tout lieu de penser qu'elles sont sérieuses, ce cadre de haut niveau, administrateur civil d'origine, a été interrogé par plusieurs journalistes sur ce fait, sans jamais le démentir ni le confirmer. » En réponse à une question du président, vous indiquez ensuite que son nom est Thierry Picart.
La commission d'enquête a auditionné M. Picart le 4 juin 2013. Celui-ci nous a apporté les éléments d'information suivants : « Si vous le permettez, monsieur le rapporteur, Maître Gonelle a dit “il y a une petite erreur” parlant de 2008 versus 2001. Il a surtout dit que ce n'était pas lui qui avait commis cette erreur, mais le journaliste.
« Si Maître Gonelle est “avocat, et non procureur ou enquêteur”, comme il l'a dit, je suis, pour ma part, enquêteur de formation. Je me suis donc livré à quelques vérifications. Le premier communiqué AFP, qui évoque 2008, a été repris quasiment in extenso par plusieurs journaux.
« On pourrait penser qu'y est reprise une erreur initiale. Seulement dans d'autres interviews, à d'autres dates, dans Le Courrier picard, Marianne ou Rue89, c'est aussi la date de 2008 qui est citée. On pourrait évoquer une erreur de transcription. Mais il suffit d'aller sur YouTube, comme je l'ai fait, pour y visionner la vidéo d'une interview à BFM TV, et il ne peut y avoir là d'erreur de transcription. Maître Gonelle, qui met d'ailleurs également en cause la Cour des comptes dans cette interview, y parle bien de 2008. Ce n'est pas une “petite erreur”, et si c'est une erreur, ce n'est pas une erreur du journaliste, mais de Me Gonelle. »
M. Picart a ensuite cité une série d'articles, et conclu que tous reposaient sur la théorie selon laquelle il aurait « rédigé un rapport en 2008, que celui-ci serait parvenu au ministre, lequel, par connivence, ne l'aurait pas diffusé et n'y aurait donné aucune suite ».
Maintenez-vous cette correction de date que vous avez faite en réponse à une de mes questions ?
Bien sûr. Cette information au sujet des douanes m'est parvenue par une source journalistique. Je me suis trompé sur la date et j'endosse pleinement la responsabilité de cette erreur. Lorsque j'ai recoupé l'information, on m'a indiqué qu'il s'agissait bien de 2001 et non de 2008. Je prends cette erreur à mon compte, monsieur le rapporteur. Peut-être en suis-je responsable en totalité ou ai-je mal compris ce qui m'a été rapporté.
Peut-être. Je ne connais pas la vie de M. Picart. Par contre, j'ai lu ce qu'il a dit devant votre commission d'enquête et je trouve stupéfiant que vous ne vous soyez pas montré plus curieux, monsieur le rapporteur. Ce monsieur vous dit qu'il ne peut ni confirmer ni infirmer avoir connu en 2001, dans le cadre de ses fonctions, l'existence de ce compte à l'étranger. Vraiment, il est étonnant qu'un fonctionnaire de cette qualité ne se souvienne pas s'il a eu connaissance du compte qu'un parlementaire détenait à l'étranger !
Il m'arrive fréquemment d'accompagner des clients chez le juge d'instruction pour les infractions qui leur sont reprochées. Ceux qui sont de mauvaise foi répondent souvent au juge : « Je ne me rappelle pas », c'est-à-dire : « Je ne peux confirmer ni infirmer » ! Il aurait été si simple, si l'information était fausse, de dire : « Je n'ai jamais eu connaissance de l'existence d'un compte de M. Cahuzac à l'étranger ». Et cela ne vous a pas choqué outre mesure !
Permettez-moi de vous le dire très posément et très gentiment, monsieur Gonelle : ni moi ni aucun membre de cette commission ne sommes là pour recevoir des leçons sur les questions que nous avons à poser ou non. Nous faisons tous notre travail correctement. Je n'entends pas recevoir de leçons de quiconque !
Je ne vous donne aucune leçon !
La date n'est pas neutre. Lorsque l'on relit l'ensemble de vos interviews, on constate que vous citez des ministres en fonction en 2008. Et aujourd'hui, vous remettez en cause tout cela en affirmant que c'était en 2001 ! Je n'ai donc qu'une seule question à poser en notre nom à tous : pourquoi, devant notre commission d'enquête, avez-vous changé pour la première fois la date à laquelle, selon vous, les douanes auraient eu connaissance du compte non déclaré de M. Cahuzac à l'étranger ?
C'est très simple : c'est parce que j'ai eu connaissance de l'erreur et que j'ai voulu, tout à fait logiquement, la rectifier. Je n'ai pas été le seul à mettre en cause des ministres, que je sache !
Donc vous reconnaissez que toutes les accusations et insinuations que vous avez faites à l'encontre de ministres en poste à l'époque sont fausses et que vous vous êtes trompé sur toute la ligne ?
Je ne sais plus dans quel monde je suis ! L'enregistrement de la voix de Jérôme Cahuzac est-il un faux ? Le compte à l'étranger de Jérôme Cahuzac n'existe-t-il pas ? Les aveux de Jérôme Cahuzac sont-ils de faux aveux ? Vraiment, je ne sais plus où j'habite !
Jusqu'à plus ample informé, je suis un citoyen qui n'a jamais été condamné, qui porte la croix de la légion d'honneur et qui n'a pas de leçons d'honnêteté à recevoir !
Dont acte : vous vous êtes fait l'écho de sources journalistiques. Ce n'est pas une source de première main.
Je l'ai toujours dit. Cela implique des précautions. Les sources journalistiques ne sont pas forcément sûres à 100 %, c'est évident !
Lors de son audition, la semaine dernière, M. Jean-Noël Catuhe, l'ami par l'intermédiaire duquel vous avez, en 2001, informé l'administration fiscale de l'existence du compte suisse de Jérôme Cahuzac, nous a dit qu'il avait rencontré M. Mangier, auquel il a donné cette information, alors qu'il menait une enquête sur une fraude importante dans le Villeneuvois en collaboration avec la douane. Étiez-vous au courant de ce point ?
Est-ce la raison pour laquelle vous en avez conclu que la douane connaissait l'existence de ce compte ?
Au début de l'affaire, vous n'avez pas jugé utile de remettre l'enregistrement à la justice. Mais pourquoi n'avoir pas envoyé à la justice la lettre que vous vouliez faire parvenir, bien plus tard, au Président de la République ?
Je me suis déjà expliqué sur ce point. Jusqu'en mars 2001, date à laquelle j'ai cessé d'être autorité constituée, j'aurais pu en effet saisir la justice en vertu de l'article 40 du code de procédure pénale. Si je ne l'ai pas fait, c'est que j'entrais en campagne électorale. J'avais le sentiment que, si je signalais cet enregistrement à mon parquet, il pourrait y avoir des fuites dans la presse, ce qui m'aurait exposé à une action en diffamation ou en dénonciation calomnieuse.
Je vous ai également dit que je ne pouvais avoir aucune certitude, même si j'avais des soupçons, sur le fait que le compte n'était pas déclaré. Du reste, sur la transcription de l'enregistrement que j'ai apportée ici, Jérôme Cahuzac est censé dire : « Je n'ai plus rien, normalement, sur ce compte. »
Pour ces raisons, je n'ai pas utilisé l'article 40 comme j'en avais la possibilité. J'ai choisi de demander conseil à M. Catuhe, qui était une relation de confiance et qui est devenu depuis un ami. Il m'a informé de l'existence – que j'ignorais – d'un service spécialisé de lutte contre la fraude fiscale qui disposait d'antennes décentralisées en régions, notamment à Bordeaux, et il a accepté – je ne me rappelle plus si c'est sur sa proposition ou à ma demande – de porter l'alerte à ce service, qui était en mesure de vérifier s'il y avait matière à enquête sur deux points : la déclaration et l'approvisionnement du compte. C'est ce qui a été fait, le reste ne m'appartient pas. À partir du mois de mars, je n'étais plus maire, donc plus autorité constituée. Je me suis étonné qu'aucune nouvelle n'apparaisse mais je n'ai pas fait d'enquête : ma vie continuait !
De mémoire, je crois que vous avez affirmé lors de votre première audition que le dossier de M. Cahuzac n'était pas descendu de Paris après cette demande de renseignement.
Pourtant ce dossier est descendu de Paris – nous avons l'accusé de réception – et, malheureusement, est resté six ou sept ans à Bordeaux.
Je l'ai vu dans les comptes rendus des auditions. À cet égard, le chef du service du contrôle fiscal, M. Gardette, a affirmé devant vous que le renseignement apporté par M. Catuhe n'était pas exploitable parce qu'il était anonyme. C'est totalement inexact. M. Catuhe est allé au-devant d'un fonctionnaire de la BII (brigade interrégionale d'intervention) qui était son camarade de promotion. Il le connaissait donc très bien, il n'y est pas allé à visage masqué et il ne lui a pas dit que lui ou la source qu'il a citée – en l'occurrence moi-même – souhaitaient conserver l'anonymat. J'aurais très volontiers répondu aux questions de la BII, voire à sa demande de lui communiquer l'enregistrement. Cela n'a pas été le cas et je n'y suis pour rien.
Avez-vous donné des informations aux journalistes sur l'entretien téléphonique que vous avez eu avec M. Zabulon ?
Ne vous mettez pas en colère. Si je vous pose la question, c'est que, selon M. Zabulon, les journalistes ont interrogé l'Élysée sur le contenu de cet entretien.
« Il n'y a pas eu, à proprement parler, de communiqué de presse de la présidence de la République : c'est une réponse orale faite à des journalistes interrogeant la présidence sur la teneur de cet entretien. »
En conséquence, ma question est simple : avez-vous informé les journalistes de cet entretien ?
Je n'ai pas terminé. Ne faites pas comme si la dépêche AFP n'existait pas, monsieur le rapporteur : « Citant une “source officielle » – je ne suis pas une source officielle –, Mediapart a assuré que M. Gonelle avait appelé le 15 décembre M. Zabulon, l'une de ses “vieilles connaissances”, en tant qu'ancien sous-préfet de Lot-et-Garonne, pour certifier l'authenticité de l'enregistrement. » C'est donc une source officielle qui a informé Mediapart de mon contact avec l'Élysée. Je m'estime un peu trahi. Je voulais que cette démarche reste confidentielle et personnelle vis-à-vis du Président de la République, pour qui j'ai du respect. Elle ne l'a pas été et ce n'est pas de mon fait !
La source officielle ne fait que confirmer la tenue de l'entretien. Ce que je ne comprends pas – et ne le prenez pas mal ! –, c'est qu'à deux moments importants de cette triste affaire, la justice n'ait pas été saisie. Voilà la question que nous nous posons. Si la justice avait été saisie normalement…
Dès le 5 décembre, tous les parlementaires français ayant écouté ce que Mediapart avait mis en ligne auraient dû être dans l'antichambre de M. Molins en vertu de l'article 40 du code de procédure pénale. Après tout, vous êtes des autorités constituées comme je l'ai été dans le temps !
Il est absolument anormal que je sois celui que l'on montre du doigt. Le 5 décembre, tout le monde était en train de défendre Jérôme Cahuzac.
À quelques exceptions près, monsieur le président, les médias et les hommes politiques, de droite comme de gauche, soutenaient que cette accusation était invraisemblable, que Jérôme Cahuzac était le meilleur ministre qu'on ait jamais connu et qu'il était d'une honnêteté irréprochable.
La grande majorité des hommes politiques français ont dit cela. Devant votre commission, d'ailleurs, M. Zabulon s'est dit impressionné de l'incrédulité générale face à l'accusation portée par Mediapart. Pourtant, cette accusation était fondée, et il faut que tout le monde l'admette aujourd'hui.
Pour ma part, j'ai été profondément perturbé lorsque cette affaire est sortie, d'abord parce que je ne m'y attendais pas, ensuite parce qu'on m'est rapidement tombé dessus : après qu'Edwy Plenel eut évoqué le déplacement de M. Daniel Vaillant à Villeneuve-sur-Lot, on a fait le lien avec le maire de l'époque, si bien que j'ai été tout de suite montré du doigt. Pendant huit ou dix jours, j'ai essayé – maladroitement, je l'avoue – de dire que je n'y étais pour rien. En réalité, je n'étais pour rien dans la révélation, évidemment pas dans le fait que l'enregistrement existait. Néanmoins, ce n'est pas moi qui avais déclenché ce séisme. Je reconnais avoir pataugé pendant huit jours, mais c'est parce que j'étais un peu en détresse. Tout le monde – à quelques exceptions près, monsieur le président – disait que c'était faux.
Nous ne sommes pas là pour nous délivrer des prix de je ne sais quoi. En ce qui me concerne, je n'ai fait aucune déclaration.
Si la commission a souhaité à l'unanimité vous entendre à nouveau ce matin, monsieur Gonelle, ce n'est pas pour mener une quelconque chasse aux sorcières, c'est tout simplement parce qu'elle a le droit de connaître la vérité. Quand nous nous heurtons à des propos contradictoires, d'où qu'ils viennent, il est de notre devoir de revenir sur les sujets en question.
Je vous le dis avec une grande fermeté et très calmement : je pense que c'est le travail de notre commission et que tous les membres de celle-ci font correctement leur travail.
Je ne le conteste pas, mais je voudrais convaincre votre commission de ma parfaite bonne foi et du fait que je n'ai jamais menti devant elle.
Vous avez, dites-vous, prêté l'enregistrement à Jean-Louis Bruguière. Mais lui avez-vous demandé de vous le restituer, en lui envoyant par exemple une lettre ?
Je n'en ai parlé à personne d'autre qu'à lui, donc je n'ai pas appelé qui que ce soit.
Mes relations avec lui se sont distendues après la campagne électorale. D'ailleurs, il n'est plus venu très souvent à Villeneuve-sur-Lot.
Mais je ne lui ai pas réclamé l'enregistrement, c'est vrai. Peut-être me l'aurait-il restitué si je l'avais fait. Pour ma part, je ne crois pas à la destruction.
Est-il exact que vous avez répondu positivement à M. Garnier lorsqu'il vous a interrogé sur la véracité du compte à l'étranger ?
Je ne saurais indiquer la date exacte, mais il est entré un jour dans mon bureau et m'a demandé s'il était vrai que Jérôme Cahuzac avait un compte en Suisse. Je lui ai répondu que je le pensais.
J'en reviens au cabinet Rat. Pour que les spécialistes puissent mettre l'enregistrement sur une cassette, vous avez dû leur confier votre téléphone portable.
Je pense leur avoir fait écouter l'enregistrement avec un computer qui était à disposition. Mais je ne me rappelle plus très bien. Pour tout vous dire, ce souvenir s'était même effacé de ma mémoire. Je suis allé au-devant de la police judiciaire pour ajouter cet élément dans une deuxième déposition.
L'enregistrement initial s'est fait sur votre téléphone portable. Comment passe-t-on du portable aux cassettes ?
Qui, alors ? Nous voulons comprendre comment l'enregistrement est passé de votre portable à ces deux cassettes.
Je l'ai expliqué en détail à la police judiciaire. La personne qui a gravé les deux CD l'a fait presque aussitôt, c'est-à-dire dans le délai de quatorze jours au-delà duquel le message s'efface. Nous étions en décembre 2000. C'est un technicien du son qui a réalisé l'opération. J'ai donné son nom à la police judiciaire, laquelle l'a entendu pour vérification. Ce point est donc parfaitement éclairci. Lors d'une de vos auditions, l'hypothèse a été émise qu'il y avait trois personnes. Ce n'est pas le cas.
Quand bien même elle se serait faite sous vos yeux, n'y avait-il pas, technologiquement, une possibilité ? Nous souhaitons savoir comment l'enregistrement est parvenu à Mediapart si ce n'est ni vous ni M. Bruguière.
Intéressez-vous à ceux qui ont menti à votre commission. Moi, je vous apporte les preuves que Bruguière vous ment.
Ce n'est évidemment pas lui qui a donné l'enregistrement à Edwy Plenel. Tout le monde sait que leurs rapports sont exécrables. Mais je pense que cet enregistrement a dû passer de main en main après que je m'en fus dessaisi.
Il est malgré tout difficile de comprendre les conditions dans lesquelles vous avez fait cet enregistrement. Alors que M. Bruguière veut démontrer à tout prix qu'il ne peut être à l'origine de la diffusion – les services municipaux auraient immédiatement détruit la cassette –, vous évoquez un technicien du son. Comment cela s'est-il passé ? Qui est cette personne ? L'opération a-t-elle eu lieu dans vos bureaux ? Sur quel support ? Était-il impossible de faire une copie à ce moment-là ? Il est important que nous puissions nous faire notre propre opinion…
Je suis disposé à répondre à toutes les questions. Aucune ne m'embarrasse mais je n'en comprends pas le sens. Cette période et ce sujet sont complètement en dehors de votre saisine. Si ce technicien du son a « dysfonctionné » sous mes yeux, ce n'est pas une commission d'enquête parlementaire qui pourra le déterminer ! Ce que je peux vous dire, c'est que l'opération s'est faite sous mes yeux, que j'ai révélé le nom du technicien à la police judiciaire et que celle-ci l'a entendu. Un jour, l'affaire viendra devant une juridiction et toutes les pièces du dossier seront rendues publiques. Si je vous donne le nom de ce monsieur, vous allez le convoquer ? C'est ce que vous voulez ? Il vous répondra comme il a répondu à la police judiciaire !
Lors de son audition, M. Cahuzac a évoqué votre habitude de pratiquer des enregistrements, y compris pour évincer un ami appartenant à votre famille politique.
Ce dont nous nous apercevons en élargissant notre enquête au-delà de la période indiquée, c'est qu'à plusieurs moments des alertes auraient pu être données et ne l'ont pas été. Vous-même ne nous avez pas répondu quant à vos motivations de ne jamais alerter la justice.
Bref, nous nous attachons à ces différents moments où les alertes auraient pu avoir lieu et aux motivations qui ont fait qu'elles ont été données ou pas.
Qu'avez-vous donc à dire de cette première fois où vous avez enregistré un adversaire politique, avant l'enregistrement fortuit de M. Cahuzac et sachant que vous faites une troisième utilisation un peu surprenante des technologies de l'information lorsque vous appelez un journaliste avec le téléphone portable d'un policier ?
Je vais essayer de vous éclairer et de vous dissuader de me prendre pour le spécialiste des enregistrements que je ne suis pas.
Jérôme Cahuzac vous a raconté une anecdote du Villeneuvois qui s'est produite bien avant qu'il n'arrive. Le maire de Villeneuve-sur-Lot à l'époque, Claude Larroche – qui, par parenthèse, a dû quitter ses fonctions après un emprisonnement de quatre mois – avait eu en 1991 ou 1992 une conversation téléphonique avec son directeur de cabinet depuis sa voiture, dotée du réseau Radiocom 2000. Cette conversation fut captée par un radio-amateur qui la distribua à plusieurs personnes – pas à moi, mais néanmoins à quelqu'un qui trouva intelligent de me le confier.
Dans cet enregistrement, Claude Larroche et son directeur de cabinet se moquaient de différents journalistes locaux en tenant à leur sujet des propos absolument ignobles, mais aussi, de manière assez injurieuse, de l'adjoint de Claude Larroche, qui fut aussi le mien par la suite, M. Jean-Luc Barré, plus tard coauteur des Mémoires de Jacques Chirac. Lorsque l'enregistrement m'est parvenu, je l'ai fait écouter à Jean-Luc Barré pour qu'il apprenne comment son maire le considérait.
Cela dit, je ne suis pour rien dans cet enregistrement. C'est un radio-amateur qui l'a fait et je ne suis nullement radio-amateur. Je l'ai reçu dans ma boîte à lettres par une personne qui l'avait elle-même reçu, et dont je connais le nom. Je n'ai rien à voir avec cette histoire.
Mais Jean-Luc Barré, qui est aujourd'hui l'ami de Jérôme Cahuzac et qui est un élu anti-UMP après avoir été longtemps un élu UMP – c'est son droit ! –, a raconté à l'envi à de nombreux journalistes parisiens cette histoire que Cahuzac a prise pour argent comptant et vous a racontée comme si j'étais l'auteur de l'enregistrement. Tous les Villeneuvois savent très bien que je n'ai jamais été mis en cause dans cette affaire, sauf ces derniers temps par parallélisme avec l'affaire qui nous occupe. De même, je n'ai rien à voir avec la plainte déposée devant le parquet de Paris au sujet de l'employée de la clinique Cahuzac.
Aussi, les deux attaques directes que Jérôme Cahuzac a portées contre moi lorsque vous l'avez entendu sont l'une et l'autre infondées. Je regrette ces attaques mais je peux comprendre son amertume.
Pour quelles raisons n'avez-vous jamais utilisé tous les éléments dont vous disposiez contre lui ? Nous n'avons guère ressenti, lors de son audition, le respect réciproque que vous invoquez. Vous avez également affirmé que vous aviez peur de lui. Or, vous ne donnez pas l'impression d'être un homme craintif, bien au contraire : vous savez utiliser, semble-t-il, tous les leviers possibles pour vous défendre.
Pourquoi, dès lors, même après avoir quitté vos fonctions électives – ce qui vous ôtait la crainte de répercussions politiques – n'avez-vous jamais utilisé ces informations pour éclairer la justice ?
Je rappelle une nouvelle fois que, moins de trois mois après avoir reçu cet enregistrement, j'ai suscité une alerte effectuée à visage découvert dans le service adéquat de l'administration fiscale. C'est un fait.
À un autre moment, fin 2001, j'ai voulu savoir si tout cela était vrai, mais j'ai dû y renoncer à cause du devis du cabinet Rat, qui était exorbitant. Du reste, la police judiciaire a examiné attentivement ce devis, interrogé M. Rat et recueilli tous les éléments sur les circonstances de cette démarche.
Ensuite, vous avez raison, monsieur Germain : entre fin 2001 et 2006, je n'ai rien fait.
En 2006, je remets un exemplaire à Jean-Louis Bruguière. Je ne savais pas ce qu'il pouvait faire ou ne pas faire. Il voulait seulement l'écouter, je le lui ai permis. Bien entendu, je ne suis pas naïf et j'ai pu penser à un moment donné qu'il y aurait une suite. Mais je n'ai pas voulu saisir le procureur.
Et, je le répète, j'ai été extrêmement surpris lorsque l'affaire est réapparue en 2012. Je maintiens aussi – ce qu'a d'ailleurs confirmé M. Zabulon – que mes relations avec M. Cahuzac n'avaient rien d'extrêmement conflictuel dans les rapports quotidiens. Toutefois, vous le connaissez aussi bien que moi et vous savez quel adversaire redoutable il est, lorsqu'il est en campagne électorale, lorsqu'il défend son mandat ou son honneur. Je ne dresse pas un portrait à charge, je dis seulement que c'est quelqu'un d'extrêmement énergique, avec qui il vaut mieux être prudent – et je l'ai peut-être été à l'excès. Je n'ai pas souhaité révéler cet enregistrement : c'est mon droit. J'accepte entièrement la critique sur ce point mais, si on me met en cause, je défends mon honneur. Je ne veux pas que l'on raconte des histoires à dormir debout. Or, vous en avez entendu beaucoup ici même !
Vos propos mettent en lumière au moins un dysfonctionnement, celui qui consiste à ne pas avoir utilisé l'article 40 du code de procédure pénale depuis 2001. Si vous l'aviez utilisé, on n'en serait pas là, il faut le dire avec force et avec consternation !
Depuis 2001, c'est-à-dire pendant douze années, vous conservez par-devers vous un enregistrement dont vous mesurez toute la valeur puisque, contrairement à ce que M. Bruguière dit avoir fait de son exemplaire, vous ne le jetez pas et vous essayez de le glisser à trois reprises.
L'inspecteur des impôts que vous rencontrez en 2001 et à qui vous donnez cet enregistrement reconnaît la voix de M. Cahuzac. Cela ne vous empêche pas de demander ensuite à une entreprise de réaliser l'expertise de cette voix…
Quoi qu'il en soit, l'inspecteur des impôts vous indique que le dossier de M. Cahuzac ne redescendra pas de Paris et qu'aucune suite ne sera donc donnée. C'est ce qu'il nous a dit lors de son audition. Comment réagissez-vous à cette annonce ? Ne ressentez-vous pas une certaine incompréhension ?
Que faut-il entendre par : « Vous essayez de le glisser à trois reprises » ?
En 2001, je provoque une alerte auprès du service compétent. Je ne « glisse » rien du tout ! Je ne confie même pas la bande-son à la personne qui effectue l'alerte, attendant que l'on m'appelle pour que je donne mon témoignage. Or, personne ne m'appelle. Je suis prêt à endosser bien des dysfonctionnements, mais convenez que celui-ci n'est pas de mon fait : il relève de la responsabilité de celui ou de ceux qui reçoivent cette alerte et ne lui donnent pas suite pour des raisons que j'ignore.
Le dossier, me dit-on, est en réalité redescendu presque aussitôt – au mois de juillet, si j'ai bien lu les comptes rendus. Je ne l'ai pas su. Lorsqu'on m'a dit qu'il n'y avait pas de suite, j'ai été en effet choqué mais que pouvais-je faire ? Aller voir le procureur de la République ? D'abord, depuis le mois de mars, n'étant plus maire, je n'étais plus concerné par l'article 40 du code de procédure pénale. Et je ne suis pas sûr que le procureur de la République aurait pris cet enregistrement plus au sérieux que la BII, voire que M. Zabulon quand je lui en ai parlé au téléphone.
Tout le monde a considéré que l'enregistrement était douteux. Or, il faut bien convenir aujourd'hui qu'il est techniquement irréprochable et que, à 60 % de probabilité, il s'agit de la voix de Jérôme Cahuzac.
Enfin, permettez-moi d'insister encore une fois sur le fait que la démarche auprès de M. Mangier n'était pas anonyme. Elle s'est faite à visage découvert.
Par la suite, en 2006, j'ai en effet glissé l'enregistrement à M. Bruguière. Que ce dernier raconte maintenant des histoires, ce n'est pas mon affaire !
Il ne connaissait pas l'existence de l'enregistrement. C'est vous qui étiez déterminé à le lui donner. Il est dès lors concevable que votre interlocuteur n'ait pas manifesté plus d'intérêt que cela pour ce document.
Avez-vous évoqué le sujet au sein de l'équipe de campagne de M. Bruguière ? La question était importante : il s'agissait de l'honorabilité de votre adversaire.
Je n'étais pas « déterminé » à donner l'enregistrement à M. Bruguière. Au mois de décembre, alors qu'il n'était pas encore candidat – il s'est déclaré au mois de mars, les coupures de presse en font foi –, nous nous sommes rencontrés à l'occasion d'une tournée qu'il faisait auprès des personnes dont il espérait le soutien. Comme je l'ai dit dans ma précédente déposition, nous avons évoqué les qualités et les défauts de son futur adversaire Jérôme Cahuzac, son train de vie qui ne pouvait être qualifié d'anodin, et je lui ai dit à un moment donné : « Savez-vous qu'il a un compte en Suisse ? » Il m'a demandé comment je le savais. Je lui ai raconté l'histoire de l'enregistrement et c'est lui qui m'a demandé à l'écouter. Si j'avais été équipé, j'aurais pu le lui faire écouter sur place. Mais comme ce n'était pas le cas, il l'a emporté.
Je comprends que M. Bruguière veuille aujourd'hui se défausser. Cela étant, le fait qu'il soit une grande personnalité – bien plus grande que moi – ne le dispense pas de dire la vérité.
La question était : avez-vous évoqué le sujet lorsque vous étiez dans l'équipe de campagne ?
J'en viens au jour où vous tentez de joindre M. Zabulon. Alors que vous devez le rappeler, un problème de standard fait que la communication ne passe pas. Vous n'imaginez pas, alors, de le rappeler ?
Globalement, et même si je ne suis pas d'accord avec son analyse, je confirme les éléments factuels que vous a exposés Alain Zabulon. Ils correspondent d'ailleurs à ce que je vous avais dit au cours de ma première audition. Sur ce point précis, cependant, je crois que M. Zabulon se trompe tout en étant de bonne foi. Le cahier d'appels qu'il vous a montré est celui du lundi et il est exact que, ce jour-là, c'est moi qui ai appelé. Mais je n'ai pu le joindre car il n'était pas disponible. Son secrétariat m'a assuré qu'il me rappellerait. Or, ce rappel est intervenu, dans mes souvenirs, le mardi. C'est donc le mardi qu'intervient le quiproquo que nous relatons tous deux : sa secrétaire me dit qu'elle va me le passer mais, dans l'intervalle, il avait pris un autre appel. Si je n'ai pas rappelé ensuite M. Zabulon, c'est que sa secrétaire m'avait dit qu'elle me rappellerait. Du reste, M. Zabulon ne l'exclut pas dans sa déposition.
Il n'est pas facile de joindre un membre du cabinet du Président de la République. Sachant que je suis plus disponible que lui, je préfère attendre que ce soit lui qui m'appelle.
Intervient ensuite la dépêche AFP du 21 décembre qui révèle mon contact avec la présidence de la République. Mediapart, qui est à l'origine de cette information, invoque « des sources officielles », si bien que j'ai le sentiment de m'être fait flouer.
M. Zabulon soupçonne pour sa part qu'il a été instrumentalisé. C'est inexact. J'ai du respect pour le préfet Zabulon et je n'ai nullement voulu l'instrumentaliser. Je souhaitais effectuer une démarche confidentielle auprès du premier magistrat de ce pays pour lui dire que je détenais la vérité. Du reste, même s'il ne vous l'a pas dit, la première question qu'Alain Zabulon me pose est : « Détenez-vous encore cet enregistrement ? » Je lui ai répondu par l'affirmative.
Vous n'avez pas non plus demandé précisément à M. Zabulon ce qu'il m'avait conseillé de faire s'agissant de la lettre. Il ne m'a pas invité à l'envoyer. Ce qu'il m'a dit, c'est : « Ne faites rien, je reviens vers vous. ». Ce que l'on retrouve dans sa déposition : « Je ne lui dis pas : “Faites ceci ou ne faites pas cela.” »
Au rapporteur, qui vous demandait tout à l'heure pour quelles raisons vous n'aviez pas saisi la justice après votre entretien avec M. Zabulon, vous avez répondu en rappelant pourquoi vous ne l'aviez pas fait en 2001 et en signalant que tout parlementaire aurait pu le faire. Mais vous, pourquoi n'avez-vous pas saisi la justice après ce rendez-vous manqué avec M. Zabulon ?
Mais je l'ai fait, monsieur le député. Dès que j'ai eu connaissance de la dépêche AFP du 21 décembre, j'ai pris contact avec le juge Daïeff. J'ai du reste remis au président de Courson une copie de cette correspondance.
J'ai parlé avec M. Daïeff et avec sa greffière au téléphone dès avant Noël. Il me demande d'écrire une lettre pour proposer mon témoignage, ce que je fais le 2 janvier. À ce moment-là je voyais bien que c'était absolument indispensable. Ce qui m'a désarçonné, c'est que dans son communiqué repris par l'AFP, l'Élysée me demandait de m'adresser à la justice car une enquête était en cours : or, à part celle que menait Guillaume Daïeff, il n'y avait pas d'enquête en cours. Je n'allais quand même pas apporter ce document au juge saisi de la plainte en diffamation, dont j'ignorais d'ailleurs l'identité.
Bref, contrairement à ce qu'affirmait, la présidence de la République, aucune enquête n'était en cours. Et celle du juge Daïeff, ciblée sur la banque UBS en France, ne pouvait s'étendre au cas de Jérôme Cahuzac que moyennant l'obtention d'un réquisitoire supplétif du parquet. Les juges ne pouvaient accepter mon témoignage sans ce réquisitoire supplétif.
M. Jean-Louis Bruguière a évoqué des dîners organisés à Villeneuve-sur-Lot ou à Paris, en 2006 et 2007, avec des personnalités du Villeneuvois que vous lui auriez fait connaître. Pourriez-vous apporter des précisions sur la date et le lieu de ces dîners et sur l'identité des participants ? Y a-t-on évoqué la question du compte à l'étranger de Jérôme Cahuzac et de l'enregistrement ?
Il y a eu un seul dîner – ou déjeuner –, au restaurant « Chez Françoise », gare des Invalides à Paris. Je ne saurais dire la date. Y participaient Jean-Louis Bruguière, Jean-Luc Barré et moi-même. Le but était de permettre à Jean-Luc Barré de faire la connaissance de Jean-Louis Bruguière, qu'il ne connaissait pas ou très peu, et éventuellement de les rapprocher. Mais je ne sais pas à quelle date cette rencontre a eu lieu.
Bien sûr que non. D'ailleurs, je ne sais pas du tout si cette rencontre a eu lieu avant ou après que j'ai reçu l'enregistrement.
Quelles relations avez-vous entretenues et, le cas échéant, entretenez-vous encore avec l'épouse de Jérôme Cahuzac ? Êtes-vous en contact avec elle ou avec ses conseils ?
Je crois n'avoir rencontré Mme Cahuzac que trois fois.
La première fois en 1996, avant que Jérôme Cahuzac ne soit candidat aux législatives de 1997, lors d'un dîner chez des amis communs.
Je me souviens aussi d'avoir invité Jérôme Cahuzac et son épouse à déjeuner dans un restaurant villeneuvois – plus précisément dans la commune voisine de Pujols – après son élection à l'Assemblée.
Je l'ai rencontrée une troisième fois quelque temps plus tard, alors qu'elle se promenait – peut-être avec son mari, mon souvenir est assez vague – dans les rues de Villeneuve.
Mais au moment où l'affaire révélée par Mediapart a éclaté, je n'avais pas vu Mme Cahuzac depuis plus de dix ans.
Vous n'avez pas eu de contacts avec elle et elle n'a pas cherché à entrer en contact avec vous ?
Vous aviez, nous avez-vous dit, trois possibilités concernant l'enregistrement en votre possession : alerter la presse, saisir le procureur dans le cadre de l'article 40 du code de procédure pénale, ou recourir de manière informelle à un ami.
Or, cet ami – M. Catuhe, puisque notre commission a retrouvé son nom – nous a affirmé qu'il ne vous avait pas dit la vérité concernant la suite donnée au dossier. Alors que le dossier était bien « descendu » de Paris, il a péché par omission en vous indiquant qu'il n'y avait pas eu de suite. Vous n'avez pas relevé de dysfonctionnement de l'État à ce niveau, mais vous auriez pu expliquer à cette occasion l'article 40 du code de procédure pénale à ce fonctionnaire de l'administration fiscale, qui a reconnu devant nous en ignorer l'existence ! Peut-être la procédure aurait-elle eu alors une suite.
Vous entretenez des amitiés curieuses ! Non seulement M. Catuhe demande que son nom n'apparaisse pas et ne vous dit pas la vérité, mais vous ne lui indiquez pas que l'affaire dont vous le saisissez peut avoir une qualification pénale.
Est-ce pour me blesser que vous parlez d'« amitiés curieuses » ? Je connais Jean-Noël Catuhe, qui est un homme honorable. À cette époque où j'étais encore maire, je l'ai appelé pour lui demander conseil – ce qui est mon droit –, ne connaissant pas l'administration fiscale aussi bien que lui. Il m'a donc rendu visite, nous avons évoqué ce que je venais de recevoir, je lui ai fait écouter l'enregistrement et je lui ai demandé ce que nous pouvions faire.
J'avais pour ma part exclu de saisir le parquet – je vous l'ai déjà dit, je le confesse et l'assume. Il m'a indiqué qu'il était possible de saisir le service compétent, exclusivement consacré à la lutte contre la fraude, et il a accepté de faire la démarche pour mon compte. Étant alors en campagne électorale, j'ai pensé que cet homme qui était de la maison, si j'ose dire, en était au moins aussi capable que moi. Il l'a fait d'autant plus volontiers qu'un de ses camarades de promotion, M. Mangier, travaillait dans ce service. Il vous a d'ailleurs indiqué qu'il l'avait rencontré peu de temps avant dans le Villeneuvois pour une autre circonstance.
M. Catuhe va donc voir M. Mangier et lui explique l'affaire en lui précisant, bien sûr, que c'était moi qui la lui avais exposée. M. Mangier écoute, puis sollicite la communication du dossier. Il n'y a rien de douteux dans cette procédure. Jusque-là, il s'agit d'une alerte absolument normale – ou alors démontrez-moi qu'elle ne l'est pas !
Je pensais que le dossier n'avait pas été envoyé. Nous savons maintenant que ce n'était pas le cas. M. Catuhe a expliqué qu'il n'avait pas le droit de me dire la suite de sa démarche : dont acte ! Ce n'est pas quelque chose à quoi je pensais tous les jours et je ne l'ai pas harcelé à ce sujet. Il m'a dit que le dossier n'était pas descendu, je l'ai cru. Peut-être ai-je fait preuve de naïveté, mais la suite ne m'appartient plus. À partir du moment où l'administration compétente est saisie, la balle est dans son camp. Il lui appartient de faire ce qu'elle a le devoir de faire dans un cas de signalement de fraude.
Nous apprenons maintenant que ce dossier a malheureusement « fait l'étagère » pendant sept ans. Je suis désolé, mais je ne peux en endosser la responsabilité !
Cela met toutefois en lumière, conformément à l'objet de notre commission d'enquête, les dysfonctionnements de l'administration fiscale à ce sujet dès 2001. Il n'est pas inintéressant de constater qu'un inspecteur des impôts chargé des vérifications ne fait pas usage de l'article 40 du code de procédure pénale et ne cherche pas à savoir la vérité à propos de ce dossier.
Vous avez été par ailleurs l'avocat de M. Garnier, lequel a fait à son administration onze procès qu'il a tous gagnés. Il semblerait que l'administration fiscale n'a demandé à aucun moment la suppression de tel ou tel passage du mémoire contenant des éléments pouvant conduire à une qualification pénale. De même, aucune juridiction administrative n'a transmis ces éléments au procureur de la République. En tant qu'avocat, que pouvez-vous nous dire sur le suivi de ce dossier ?
M. Garnier a en effet gagné onze procédures contre l'administration fiscale, dont les responsables ont pourtant défilé ici même pour affirmer que jamais, au grand jamais elle n'avait commis la moindre faute à son égard.
Cependant, je n'ai pas été le conseil de M. Garnier pour toutes les procédures. J'ai été son avocat au pénal seulement, dans le cadre d'une plainte avec constitution de partie civile pour harcèlement, dont l'instruction a été très longue, et dans le cadre d'une plainte pour outrage à ses supérieurs – procédure que nous avons gagnée après deux arrêts de la Cour de cassation.
Dans l'affaire de la consultation du dossier fiscal de Jérôme Cahuzac, celle qui a donné lieu au mémoire auquel vous faites allusion, Rémy Garnier, qui est un rédacteur d'expérience, a agi seul. Il a d'ailleurs mené seul beaucoup d'autres procédures.
Non, il ne m'en a pas informé. Il n'y pas de dossier ouvert à mon cabinet concernant la sanction…
Je respecte le secret professionnel, bien sûr. Néanmoins, sans évoquer le contenu des dossiers, je peux vous indiquer que je ne suis intervenu qu'au pénal.
Quoi qu'il en soit, lorsque M. Parini affirme ici même que la direction des ressources humaines ne lui a donné qu'une note au sujet de la procédure disciplinaire relative à cette incursion dans le dossier fiscal de M. Cahuzac, je me dis qu'il aurait été beaucoup plus simple de communiquer le mémoire lui-même. Tout cela paraît un peu étonnant. En tout cas, personne ne s'est intéressé à l'alerte de Garnier, c'est un fait et cela constitue un nouveau dysfonctionnement.
Je veux pour ma part vous remercier pour la précision, la constance et la cohérence de vos réponses. J'aimerais que notre commission ait devant d'autres interlocuteurs la même exigence que celle dont elle fait preuve avec vous ! Trop souvent, nous devons nous contenter d'à-peu-près et de réponses amnésiques ou fuyantes, à commencer par celles du principal intéressé, qui a eu à notre égard l'attitude d'un dieu tombé de l'Olympe jugé par des mortels. On ne lui a finalement pas dit grand-chose, sinon qu'il était normal qu'il ne réponde pas aux questions ! Alors que c'est lui qui est au coeur des débats.
Vous nous déclarez que M. Bruguière nous a menti et que les réponses d'autres personnes auditionnées n'étaient pas l'exact reflet de la réalité.
Pourriez-vous dire quelques mots de la personne dont M. Bruguière a affirmé qu'on l'avait désignée comme son directeur de campagne, sans qu'il l'ait choisi, mais qui était plutôt, selon vous, le trésorier de la campagne ? Était-elle très présente aux côtés de M. Bruguière ? Quel était son rôle ? M. Bruguière aurait-il pu évoquer l'enregistrement devant elle ?
Je connais le général Paqueron. Il était en effet proche de Jean-Louis Bruguière pendant la campagne électorale. Je pense qu'il était plutôt son trésorier mais je peux me tromper. Il s'agit d'un général d'armée de l'aviation et d'un homme d'honneur. Je n'accorde aucun crédit à la thèse, avancée par des journaux suisses, selon laquelle l'armée aurait voulu se venger de restrictions budgétaires imposées par Jérôme Cahuzac. Cela relève, je crois, du fantasme. Vous pourrez entendre M. Paqueron si vous le souhaitez. C'est un officier de grande qualité. Il serait très étonnant qu'il se soit prêté à une opération de cette nature.
Il est prévu que notre commission entende mercredi 17 juillet M. Gérard Paqueron, qui était le mandataire financier de M. Jean-Louis Bruguière.
Je voudrais maintenant adresser des excuses personnelles à M. le rapporteur. J'ai conscience d'avoir été incorrect et lui demande humblement de bien vouloir me pardonner.
Je ne connais pas la notion de pardon, monsieur Gonelle, mais je prends acte de vos déclarations.
J'en reviens aux dates 2001 et 2008. Avant votre première audition, vous déclarez que c'est en 2008 que l'administration des douanes est informée de l'existence d'un compte en Suisse. Puis, en réponse à une question que je vous pose lors de cette audition, vous affirmez que la date est 2001.
Faut-il en conclure que Le Courrier picard et Marianne ont mal interprété vos propos ? Je rappelle ce qu'écrit Le Courrier picard dans son édition du 5 avril 2013 : « Quoi qu'il en soit, Gonelle maintient ces affirmations sur le fond. Pour lui, le compte en Suisse de Jérôme Cahuzac a bien été mis sous l'éteignoir sous la droite au gouvernement. » Et, dans son numéro 834, Marianne vous fait dire : « On ne comprend rien si on ne prend pas en compte les relations entre Éric Woerth et Jérôme Cahuzac. »
Ces propos sont-ils les vôtres ? Ont-ils été déformés ? Le changement de date, vous le comprenez bien, n'est pas neutre. S'il s'agit de 2008, cela vient à l'appui de la thèse que vous développez. Si vous revenez sur cette date, l'analyse est alors différente.
Je comprends votre analyse, qui est pertinente. J'ai fait une erreur s'agissant de 2008. Je l'ai corrigée après avoir consulté la source journalistique qui m'avait apporté ces informations. Je m'en excuse auprès de M. Picart. Cela réduit à néant la thèse que j'avais développée et que vous venez d'évoquer.
Elle était de toute façon complètement subjective. Je ne connais à Marianne que M. Ploquin. Je ne sais pas s'il s'agit d'un de ses articles. Par ailleurs, je n'ai jamais eu de contact avec Le Courrier picard. L'article que vous citez est sans doute repris d'une dépêche AFP.
La réponse que M. Picart vous a faite – « Je ne peux ni le confirmer ni l'infirmer. » – n'en reste pas moins singulière !
Notre commission d'enquête a besoin de savoir qui dit vrai et qui ne dit pas vrai.
Vous avez beaucoup accusé le juge Bruguière. Vous avez fait partie de son équipe de campagne, dites-vous, jusqu'en mai 2007. Cela signifie-t-il que vous avez été écarté après cette date et que le juge Bruguière a raison de l'indiquer ?
J'ai des documents jusqu'en mai 2007, ainsi qu'une lettre extrêmement chaleureuse du 30 juin 2007.
Il vous a raconté une fable. Permettez-moi de vous lire cette lettre, dont le sujet n'est nullement de réconcilier les militants !
Ce n'est pas ma question. Ce que je vous demande, c'est si vous avez été écarté en mai 2007, et pour quelles raisons.
M. Gonelle est libre de ses réponses. Si vous souhaitez lire ce document, monsieur Gonelle, vous le pouvez.
Je réponds d'abord à la question. La campagne de Jean-Louis Bruguière a été singulière. Peut-être vous rappelez-vous l'article que Florence Aubenas lui a consacré dans Le Nouvel Observateur. Du reste, Jérôme Cahuzac a exploité cette façon de circuler dans la circonscription avec voiture blindée, garde rapprochée, sirène sur le toit. C'était ahurissant ! Nous avons été plusieurs – dont Alain Merly – à prendre nos distances vis-à-vis de Jean-Louis Bruguière, qui par ailleurs se promenait dans les rues avec des gens qui avaient un casier judiciaire long comme le bras. « Ne faites pas cela, disions-nous, tous les Villeneuvois les connaissent ! – Mais non, répondait-il, les Villeneuvois ne connaissent que moi ! » À un moment donné, nous avons pensé qu'il était en dérapage.
J'en viens à la lettre qu'il m'adresse le 30 juin 2007, après le deuxième tour : « Je tiens à vous remercier pour votre généreux soutien à notre campagne difficile, qui n'a pas eu l'issue espérée. J'ai bien reçu votre message transmis par Alain [Merly]. J'espère avoir l'occasion de vous revoir pour reparler des enjeux de notre région.
« L'investisseur avec lequel j'étais en contact et qui avait manifesté un intérêt soutenu pour le site que vous avez trouvé [j'avais en effet constitué un dossier pour un investisseur américain, dont il ne m'a jamais dit le nom, qui voulait 50 hectares pour implanter une plateforme logistique] a finalement décidé après l'élection, vu la communication politicienne de Cahuzac, de renoncer alors que nous avions pris pour le 20 juin contact avec le maire de Saint-Antoine [la commune concernée]. Nous étions sur un projet ambitieux pouvant générer entre 500 et 700 emplois. L'investisseur est reparti ailleurs.
« Amicalement, Jean-Louis Bruguière. »
Il n'est pas question, vous le voyez, de la pacification des militants. C'est la lettre qu'un candidat qui vient de perdre adresse à quelqu'un qui s'est investi pour lui afin de lui dire merci. Or, à Paris-Match¸ il affirme : « La réaction a été immédiate. J'ai exclu Michel Gonelle de mon équipe. » Quel est celui qui ment ? Je vous apporte des écrits qui montrent que Jean-Louis Bruguière a raconté une fable !
M. Bruguière et vous-même évoquez les laboratoires pharmaceutiques. Quelle est leur importance dans la campagne électorale à Villeneuve-sur-Lot ?
Leur intervention était publique. Les laboratoires Fabre et UPSA, que Jérôme Cahuzac a cités, ont subventionné les clubs de rugby à XV et à XIII de notre ville à des hauteurs telles que la subvention municipale était ridicule par rapport à celle que le député apportait dans sa manche. Avec le recul, je regrette de ne pas m'en être gendarmé plus que je ne l'ai fait. En 2001, plusieurs de mes colistiers ont réagi en écrivant aux associations sportives. La réplique de Jérôme Cahuzac, je vous l'ai déjà dit, a été cinglante : si l'on nous accuse de corruption, a-t-il menacé, il n'y aura plus de subventions de la part des laboratoires et ce sont les sportifs qui en pâtiront.
Le sujet était brûlant. On remettait des chèques grand format devant la presse, comme lorsque la Caisse d'épargne récompense l'association Truc-Machin. Sur la photo, Jérôme Cahuzac tenait par les épaules le président du club d'un côté, le directeur du laboratoire de l'autre. Nous avons vécu cela pendant des mois !
Si, j'étais maire à l'époque. Un an et demi avant la campagne, les laboratoires ont fait une large promotion de la personne de Jérôme Cahuzac. En décembre 1999 et janvier 2000, le laboratoire Lilly, dont il n'a pas parlé, a tenu à Villeneuve-sur-Lot un colloque sur la santé des Villeneuvois. « Nous allons faire une grande étude sur la santé des Villeneuvois, m'a-t-il dit un jour. C'est l'INSEE qui a choisi Villeneuve. » Je l'ai cru. Et le laboratoire Lilly est venu en avion spécial avec soixante personnes à bord, dont le professeur Le Pen. Un grand dîner a été donné pour un compte rendu d'étude que personne n'a jamais lu. La ministre de la santé elle-même est venue à ce colloque.
C'est important. La théorie que vous avez bâtie autour de la date de 2008 n'est pas insignifiante du point de vue des dysfonctionnements de l'État. Vous aviez affirmé qu'en 2008, la droite, et singulièrement son ministre du budget, couvrait Cahuzac. Ce n'est pas rien ! Le scénario est différent s'il s'agit de 2001. La source journalistique que vous évoquez a-t-elle parlé de 2008 ou de 2001 ?
Je ne vous impute pas toutes les déclarations. Si votre source est journalistique, le journaliste aurait dû corriger son erreur…
Pouvez-vous nous donner le nom de la personne qui vous a influencé, puisque vous n'aviez, semble-t-il, aucune preuve autre qu'orale ?
Pourtant, M. Arfi lui-même indique dans son livre que les relations Woerth-Cahuzac sont le point de départ de l'enquête.
Je sais que ces journalistes ont tiré la sonnette de M. Picart, lui ont téléphoné… Mettez-vous à ma place : je ne vais pas mettre en cause un journaliste !
Je connais au moins deux journalistes, travaillant pour des journaux différents, qui ont contacté M. Picart. Lui-même affirme avoir été contacté « par de nombreux journalistes ». Je n'en sais rien. Ce que je sais, c'est que le second l'a eu au téléphone.
Cela lui vaudrait de comparaître devant vous et il m'en voudrait jusqu'à la fin de ses jours !
Certains membres de la commission ont pensé qu'à travers cette affaire, alors que vous n'aviez aucune preuve…
Je suis convaincu que j'ai accroché quelque chose de vrai. À preuve, la réponse très étonnante de M. Picart.
L'avocat que vous êtes sait qu'il faut des preuves, si possible matérielles. Au demeurant, vous déteniez la preuve matérielle qui a permis enfin que la justice soit saisie. Pourquoi vous mêlez-vous d'une affaire concernant les douanes et construisez-vous une théorie sur ce que vous racontent un ou deux journalistes ?
Je ne suis pas sûr d'être l'auteur de la théorie sur les relations Cahuzac-Woerth. Je lis les journaux comme vous, monsieur le rapporteur, et ces relations ont donné lieu à de nombreux commentaires, fondés en particulier sur l'expertise de l'hippodrome de Compiègne par un professeur ami de Jérôme Cahuzac.
Mais ce sont, si je puis dire, des informations de troisième main. Les journalistes ne vous ont pas fourni de preuves à l'appui d'une hypothèse qui, à ce jour, reste à démontrer. Notre mission étant d'enquêter sur les dysfonctionnements de l'État…
La date n'est pas 2008, donc le dysfonctionnement que j'ai mentionné ne tient pas.