Audition de M. Pascal Canfin, ministre délégué auprès du ministre des affaires étrangères, chargé du développement, sur le projet de loi d'orientation et de programmation relative à la politique de développement et de solidarité internationale
La séance est ouverte dix-sept heures trente
Avant de commencer, je tiens à dire que, hier, j'ai représenté l'Assemblée nationale à la signature de la constitution tunisienne. C'était un moment extraordinaire. Nous étions tous très heureux de ce dénouement. Il était très important que cette première révolution puisse se poursuivre harmonieusement. Lorsque les dirigeants de la « troïka » ont cosigné le texte, ce fut un moment de grande ferveur nationale. Il faut maintenant organiser des élections, réussir et mettre en place les réformes !
Nous auditionnons aujourd'hui M. Pascal Canfin, ministre délégué auprès du ministre des affaires étrangères, chargé du développement, sur le projet de loi d'orientation et de programmation relative à la politique de développement et de solidarité internationale. Cette audition est ouverte à la presse. Vous nous présentez, Monsieur le Ministre, le premier projet de loi jamais déposé sur la politique de développement et ce sera aussi le premier projet de loi, autre qu'un projet d'approbation d'une convention internationale, qui sera soumis au fond à notre commission depuis le début de cette législature.
L'aide au développement est un sujet sur lequel notre commission a beaucoup travaillé. Nous vous auditionnons régulièrement, nous avons auditionné également la directrice générale de l'Agence française de développement préalablement à sa nomination et un rapporteur de la commission suit votre budget. Notre commission a également publié des rapports d'information sur ce sujet et exprimé son attachement à ce que l'aide au développement soit préservée et réformée. Notre pays figure parmi les tous premiers contributeurs. Il consacre à cette politique publique quelque 10 milliards d'euros, tous financements confondus, ce qui lui permet de figurer au 4ème rang des contributeurs internationaux. Le Gouvernement s'efforce de préserver ces moyens en dépit d'une conjoncture difficile, tout en conduisant une réflexion collective sur ses principes, réflexion que vous avez conduite, monsieur le ministre, avec les ONG dans le cadre des Assises du développement. Nous avons d'ailleurs auditionné le 15 janvier, M. Vielajus, président de Coordination Sud, et M. Serge Michaïlof, l'un de nos meilleurs experts, qui ont été associés à ce débat.
Votre projet vise essentiellement à définir les objectifs et les principes de la politique de développement ; ce sont les objets de ses titres I et II et du rapport annexé à l'article 2. Il aborde également trois questions importantes. Celle de l'action extérieure des collectivités territoriales qui se verront reconnaître la possibilité de soutenir des actions de coopération ou d'aider au développement. Celle de l'expertise internationale que l'on sait éclatée entre plusieurs organismes dépendant de tutelles ministérielles différentes et en position de faiblesse par rapport aux dispositifs de pays comme le Royaume Uni et l'Allemagne. Celle de l'évaluation de l'aide au développement car, nonobstant quelques avancées récentes, notre pays est encore en retrait par rapport aux pratiques internationales. Vous nous direz, Monsieur le Ministre, comment ces sujets sont traités par le projet de loi et répondrez aux questions de nombre d'entre nous qui s'interrogent sur le caractère faiblement normatif de votre texte, voire sur sa timidité sur des sujets tel celui de l'expertise internationale ou celui de la responsabilité sociale des entreprises. Nous aurons aussi très certainement un débat sur l'équilibre entre l'aide bilatérale et l'aide multilatérale car les missions de notre commission ont toujours souligné que, de leur point de vue, l'aide bilatérale devait être renforcée.
Avant de vous passer la parole, je rappelle que notre commission se réunira le mardi 4 février à 16h30, et éventuellement dans la soirée, pour examiner le projet de loi. En application de l'article 86, alinéa 5, du Règlement, les amendements devront être déposés au plus tard le troisième jour ouvrable précédant cette date à 17 heures : soit le vendredi 31 janvier à 17 heures. La discussion du projet de loi en séance a été fixée ce matin par la Conférence des Présidents : elle aura lieu le lundi 10 février après midi et soir.
Merci pour votre invitation. Comme vous le savez, ce projet de loi est une première. Pour votre commission. Pour le Parlement. Pour le Gouvernement. Une première de discuter au-delà du débat annuel sur le budget. Une première, aussi, de lancer un processus législatif. C'est en effet la première fois que la politique d'aide au développement est soumise au contrôle du Parlement. C'était un engagement du Président de la République lors de la campagne électorale. Dix-huit mois après, nous tenons cet engagement.
Cette loi, c'est tout d'abord un symbole. On passe d'un monopole de l'exécutif à un contrôle parlementaire démocratique. On passe d'une situation de non-transparence au contrôle, à l'évaluation et au débat démocratique parlementaire.
Mais, au-delà du symbole, cette loi a un contenu. Il faut raisonner sur l'ensemble, c'est à dire tant sur le projet de loi lui-même que sur le rapport. L'objet politique est contenu dans ces deux documents, essentiellement dans le rapport. Le Conseil d'État nous y a incités, et ce, afin que la loi soit courte. Celle-ci se concentre sur les grands principes. Vous pourrez amender le projet de loi en tant que tel et le rapport de la même manière.
Voyons, maintenant, les avancées contenues dans le projet de loi.
Le premier point que je souhaite évoquer concerne la finalité de l'aide publique au développement. On explique concrètement que celle-ci est la recherche du développement durable dans les pays où nous intervenons. On est dans la lutte contre la pauvreté. La France apparaît tournée vers le XXIème siècle dans un contexte de refonte de l'agenda mondial qui a pour but de trouver une nouvelle articulation entre la question sociale et celle de la soutenabilité. On participe, par cette loi, au grand consensus international de 2015. Nous redéfinissons les finalités de notre aide publique au développement, au regard des enjeux du XXIème siècle.
Deuxièmement, on clarifie certains points de doctrine. Ce qu'on appelait le Tiers-Monde n'est plus unique. Chine, Mali et Pérou sont différents. On clarifie la doctrine en matière de développement avec des partenariats différenciés. On acte, dans le rapport, le fait qu'il n'y aura plus de « coût-État » avec les grands émergents comme la Chine ou le Brésil. Ça ne coûtera plus rien à la France d'intervenir dans ces pays.
Troisièmement, l'évaluation et la redevabilité. Par nature, la loi représente un progrès dans la redevabilité et l'évaluation. Mais, sur le fond, on donne une grille d'indicateurs communs qui seront partagés par l'ensemble des opérateurs de l'aide publique au développement. Cette grille fixe la façon dont on évaluera l'impact de notre politique. C'est essentiel car trop souvent la politique est vue sous l'angle des moyens et non de son impact. Certes, depuis 2 ans, au niveau des moyens, on a maintenu l'engagement de la France au service du développement. Mais, pour la première fois, on fixe 30 indicateurs qui permettront d'analyser ex-post l'impact réel de notre politique via le bi et le multilatéral. C'est un effort important qui permettra de mettre tout le monde dans la même direction.
Quatrième point que je souhaite évoquer : la transparence. Avec cette loi, nous réalisons des progrès substantiels. On a mené une expérience pilote au Mali en 2013 et nous allons l'étendre aux 16 pays les plus pauvres, tous africains, et ce, selon les standards internationaux.
Cinquièmement, la cohérence. Il y aura un rapport d'évaluation remis au Parlement. Il vous faudra, de votre côté – et si vous le souhaitez –, amender le règlement de l'Assemblée nationale pour y introduire un dispositif permettant d'évaluer la cohérence des différentes politiques publiques au regard des enjeux de développement. La balle est dans votre camp.
Sixièmement, l'expertise. Il y a en ce moment une révision de notre politique d'expertise qui est en train d'être menée. On ne voulait donc pas lancer un grand chantier législatif tant que le ce processus n'était pas arrivé à sa fin. L'article du projet de loi consacré à l'expertise sera donc nourri lors de l'examen du texte par le Sénat, après les élections municipales.
Concernant les collectivités territoriales, l'article proposé tend en premier lieu à sécuriser leur action à l'international. Comme vous le savez, le cadre juridique actuel présente des insuffisances. L'article a fait l'objet d'une large concertation et repose sur un consensus avec les élus, dans l'objectif partagé de ne plus permettre que des associations diverses et variées gagnent en justice, sous réserve du respect des autres conditions légales. L'intérêt à agir des collectivités territoriales doit être affirmé. En second lieu, il s'agit de prendre acte du fait que les collectivités territoriales peuvent poursuivre des finalités différentes, comme l'État français, selon le pays concerné. L'article introduit pour cette raison la notion d'action extérieure des collectivités territoriales, qui va au-delà de celle de coopération décentralisée.
La question de l'équilibre entre bilatéral et multilatéral n'est pas absente. Pour la première, en 2014, une stratégie de notre politique d'aide va être élaborée, qui guidera nos choix d'intervention multilatéraux. L'idée est de pouvoir progresser dans la cohérence de notre politique multilatérale qui est aujourd'hui la sédimentation de choix divers et variés. Il ne s'agit pas de dévaloriser le multilatéral, mais au contraire de renforcer sa place dans un ensemble cohérent.
J'en termine par la responsabilité sociale et environnementale. Le texte contient un article qui permet d'engager une discussion sur le sujet et des amendements ont déjà été adoptés par la commission des affaires économiques pour avis et une proposition de loi a été déposée qui pourrait être convertie en amendements, car la loi d'orientation et de programmation constitue un véhicule législatif. Certes, l'article est en l'état actuel minimal, mais permet d'avoir cette discussion.
Je souhaite rassurer le ministre sur un point : s'il savait que le projet de loi était attendu, il ne s'imaginait pas forcément l'intérêt et la participation qu'il entrainerait chez les associations non gouvernementales, auditionnées ou qui ont produit une contribution car toutes ne peuvent être auditionnées. Les collectivités territoriales ont également pris à bras le corps l'article relatif à la coopération décentralisée, dans une approche positive, tout en préservant la libre administration. On avance vers quelque chose de compatible qui va dans le bon sens.
Les rapports parlementaires antérieurs émettaient des critiques sur les choix effectués entre bilatéralisme et multilatéralisme et ils trouvent une réponse dans le souci de parvenir à une mise en cohérence qui, je l'espère, produira une plus grande efficacité.
Le problème avec une loi d'orientation et de programmation est toujours le même. La sacro-sainte annualité budgétaire s'impose. Certains regrettent qu'il n'y ait pas d'engagements par rapport au PIB. D'autres considèrent qu'il ne servirait à rien de les faire figurer dans la loi car ils ne sont jamais respectés. Je crois que la formulation du texte est satisfaisante, sous réserve qu'elle ne soit pas seulement déclaratoire.
J'aurais deux questions. La première concerne les financements innovants : où en est-on du projet européen de taxe sur les transactions financières ? Ensuite, je veux soulever le problème des secteurs géographiques : les seize pays visés le sont-ils de manière immuable, étant précisé qu'il nous faut aussi souhaiter que certains sortent de la liste ? Ne peut-on pas trouver un moyen de traiter de manière particulière Haïti qui n'y figure pas, ce qui en étonne plus d'un, même si le pays ne se situe pas en Afrique ? Par ailleurs, qui trop embrasse mal étreint. Je trouve très bien de formuler dix propositions mais il faut une déclinaison adaptée à chaque pays et il serait opportun de cibler des priorités par pays à l'intérieur du dispositif pour éviter de s'en tenir à des considérations générales.
Je souhaiterais aussi que si des moyens se dégagent, on puisse les affecter prioritairement à des dons en faveur des pays les plus pauvres. C'est là que notre politique multilatérale peut être regardée de plus près, sous réserve donc d'une évaluation. De manière générale, des évaluations sont nécessaires et le Parlement a un rôle à jouer. De même il faudra faire évoluer les indicateurs.
Je vous remercie M. le ministre d'avoir repris une des recommandation du rapport sur l'aide publique au développement que nous avions commis avec Jean-Paul Bacquet portant sur la transparence et la possibilité pour le Parlement d'être saisi d'un sujet aussi important qui fait aussi partie de l'autorité politique de la France dans le monde. Vous avez évoqué un projet de loi symbolique. Certes. Mais la réflexion sur la force normative du dispositif est importante aussi.
Je regrette que pas une seule fois dans votre intervention vous n'ayez prononcé le terme « droits de l'homme ». Pourtant l'approche par les droits devient une référence mondiale. D'ailleurs l'objectif d'égalité pour les femmes doit intégrer aussi un objectif unique. J'avais cru comprendre que c'était la position du ministère et je souhaiterais une clarification sur ce point.
Sur le rapport entre bilatéral et multilatéral, la cohérence est effectivement essentielle. La question est au moins de parvenir à ce que le bilatéral agisse comme mobilisation du multilatéral comme les Britanniques savent le faire depuis longtemps.
Concernant les indicateurs, je vous invite à vous rapprocher des indicateurs internationaux qui sont utilisés dans d'autres instances. Je pense notamment aux indicateurs par sexe.
Enfin, je veux poser la question de nos entreprises en matière de développement économique. Sans parler de retour sur investissement, comment comptez-vous faire en sorte de valoriser nos savoir-faire pour que nous servions aussi notre propre développement durable.
Il était nécessaire qu'un gouvernement s'attaque à cette question de notre politique de développement et la sorte du domaine réservé pour associer le Parlement qui aura à coeur d'améliorer le texte proposé. J'ai l'honneur avec Michel Destot de siéger au conseil d'administration de l'AFD et nous pouvons y constater de très nets progrès sur le terrain notamment en matière de transparence.
Néanmoins, quelques anomalies subsistent. Je pense d'abord au comportement d'Areva au Niger, où l'accès à l'électricité est réduit alors qu'une ampoule sur trois en France dépend de l'uranium du Niger. La société s'obstine à ne pas appliquer la révision du code minier et à exhiber un texte qui lui permet de bénéficier d'une exemption fiscale pendant encore 75 ans. La question fiscale mériterait peut-être de figurer à l'article 3 du projet de loi.
Concernant la responsabilité sociale et environnementale, nous sommes à quelques jours de l'anniversaire de la catastrophe survenue au Népal où des entreprises notamment françaises étaient concernées. Les entreprises s'établissent pour des motifs d'évasion fiscale dans des pays où il est très difficile de contrôler le respect des normes sociales et environnementales, comme des conditions de travail pratiquées. Il est important de disposer d'outils permettant de contrôler sur place les sous-traitants, qui sont l'arrière-boutique de belles vitrines à Paris, Tokyo ou Londres.
J'aimerais insister sur l'importance du contrôle parlementaire. Certains pays bénéficient d'aides qui n'ont pas de contrôle, comme tout ce qui concerne les brevets, les OGM, ne font pas partie des éléments traités par l'AFD. Cela souligne l'insuffisance du contrôle. Dans ce contexte, ne serait-il pas opportun de créer, sur le modèle de l'Office parlementaire des choix scientifiques et techniques, un Office parlementaire de la mondialisation et du développement ?
Enfin, j'aimerais aborder le sujet de la souveraineté alimentaire des pays les plus pauvres, auquel nous sommes ici tous attachés. Je regrette que cette question soit absente du projet de loi d'avenir pour l'agriculture, l'alimentation et la forêt que notre Assemblée vient d'adopter, mais aussi du texte dont nous discutons aujourd'hui. Comment renforcer ce volet de la loi ?
Jean-René Marsac. J'aimerais saluer tout d'abord cette initiative législative, qui marque un renforcement du rôle du Parlement en matière de politique d'aide au développement. Il nous faudra d'ailleurs garder à l'esprit, tout au long de nos débats, l'intérêt que l'ensemble de nos concitoyens portent à ce projet de loi. Que ce soit à titre individuel ou en tant que membres d'ONG, ceux qui nous écoutent sont attachés à l'efficacité et à la transparence de notre politique de développement. Il est important que nous fassions oeuvre de pédagogie.
J'aimerais tout d'abord savoir par quelles voies nous pourrions donner plus de corps au volet du texte consacré à la « responsabilité sociale des entreprises ».
Ma deuxième question porte sur la fiscalité. Comment, d'une part, améliorer la fiscalité applicable aux entreprises qui s'implantent dans des pays en développement ? Comment, d'autre part, apporter un soutien technique à ces pays, afin qu'ils mettent en place une politique fiscale qui favorise leur développement.
Par ailleurs, vous avez à juste titre parlé de coordination et de cohérence de notre politique d'aide au développement. Comment créer un véritable continuum, en France, mais aussi dans les pays bénéficiaires, entre les différents outils dont nous usons aujourd'hui, que ce soit l'aide d'urgence, l'aide humanitaire, ou les partenariats économiques. Plus précisément, comment à la fois redonner de la lisibilité à ces instruments et définir des priorités – je pense notamment aux partenariats économiques ?
Enfin, le projet de loi identifie 16 pays nécessitant prioritairement une aide financière. Je crains pour ma part, que l'écart ne se creuse entre ces pays, qui connaissent de grandes difficultés économiques et sociales et n'ont pas accès aux prêts, et les pays en développement. Comment renouveler nos méthodes et s'assurer de l'efficacité de notre intervention dans ces pays ?
Permettez-moi d'exprimer mon scepticisme, face à un texte qui ressemble d'avantage à un catalogue de bonnes intentions qu'à une véritable stratégie en matière d'aide publique au développement, qui s'appuierait sur des objectifs précis et chiffrés.
Nous avons auditionné récemment M. Serge Michailof, qui a insisté à juste titre sur l'articulation entre l'aide bilatérale et multilatérale aux pays en développement.
Le rapport annexé au projet de loi nous indique que cette aide est encore, à 65 %, en majorité bilatérale. Il est certes difficile de savoir ce que ce chiffre recouvre en réalité, mais lorsqu'on examine la part des subventions qui revient aux pays en réelle difficulté, qui n'ont donc pas accès aux prêts, on constate que les dons fondent comme neige au soleil.
Il n'est évidemment pas question d'opposer les approches bilatérale et multilatérale. Mais il me semble évident que si nous voulons pouvoir peser, dans l'avenir, sur les orientations de l'aide multilatérale au développement, il nous faut conserver des assises solides en termes d'aide bilatérale.
Enfin, je note que l'annexe au projet de loi mentionne la taxe sur les transactions financières, dont une part, dit-on, « significative », doit être allouée à l'aide publique au développement. Pourrions-nous savoir laquelle ? Confirmez-vous le chiffre de 10 % qui a été évoqué ?
Je voudrais revenir sur la nécessaire reconnaissance du rôle des collectivités territoriales dans notre politique de développement et de solidarité internationale. Comme l'ont rappelé de nombreux rapports, il y a 4 800 collectivités françaises qui interviennent auprès de 10 000 collectivités étrangères. Cette aide publique concourt évidemment à l'action organisée par l'Etat, dans un champ très large : elle n'est pas seulement sociale ou environnementale, mais aussi technique, culturelle, scientifique et universitaire.
Au demeurant, qui mieux que les collectivités territoriales pourrait intervenir en matière de transport urbain, d'habitat, de déchets ou d'eau ? Si les collectivités ne sont pas au centre du jeu, on en reste nécessairement au stade des concepts, voire de l'idéologie, c'est-à-dire sans qu'il y ait de coopération pratique à la clef.
C'est pourquoi je proposerai que l'on reconnaisse l'action des collectivités territoriales. Beaucoup d'entre nous ont déjà eu l'impression, en participant à ces grandes rencontres internationales, d'être cantonnés à une sorte de festival « off », avant la vraie réunion qui rassemble les chefs d'Etat et de gouvernement. Or 70 % des questions traitées relèvent des collectivités territoriales, notamment en matière d'émission de CO2.
Si je puis prolonger ce qu'a dit Noël Mamère tout à l'heure, il serait important d'inclure à l'article 1er la souveraineté alimentaire aux côtés de la sécurité alimentaire. Il faudrait aussi faire référence au changement climatique, car les migrations de demain seront climatiques – et elles commencent déjà à l'être.
Si nous avons pu sauver, il y a peu, l'aide au développement au plan européen, le combat n'est pas terminé. La France, en affirmant dans ce texte sa volonté de pérenniser sa propre aide au développement, poussera aussi l'Europe à respecter le projet qui est le sien dans ce domaine.
S'agissant de la taxe sur les transactions financières, bien que 11 pays se soient engagés, on en reste encore à un stade assez verbal. J'espère que nous pourrons y voir plus clair après le sommet franco-allemand du 19 février prochain. Cette taxe permettra, d'une part, de dégager des ressources propres au niveau européen et, d'autre part, d'utiliser des fonds pour des actions de solidarité au sein de l'Union européenne comme avec les pays du Sud.
Quant à la directive sur le « reporting », elle devrait permettre d'assurer une certaine transparence sur le fonctionnement des multinationales.
Alors que la situation a évolué en Europe, que ce soit en matière de reporting ou avec la directive sur les travailleurs détachés, qui devrait être revue – les sociétés du BTP devraient ainsi être responsables de leurs filiales et de leurs sous-traitants en Europe –, rien n'a changé en France, un an après la catastrophe du « Rana Plaza ».
Il me semble que l'article 5 pourrait préciser que les multinationales doivent au moins respecter les règles de l'OCDE, comme c'est le cas aux Etats-Unis et au Canada. Nous devons être un peu plus contraignants, comme le demandent, à juste titre, les ONG qui se battent aux côtés des populations qui ont été spoliées : cela fait vingt-cinq ans que l'on s'en remet aux bonnes pratiques, mais les résultats ne sont toujours pas là. On le voit bien au Niger, qu'il s'agisse de l'environnement, des conditions de travail ou même des conditions de vie.
Je fais miennes toutes les remarques, interrogations et propositions de mes collègues pour améliorer ce texte.
J'ajouterai seulement que nous avons besoin de pédagogie. Ce qui se passe au Mali, par exemple, n'est pas une simple confrontation avec des terroristes. C'est l'illustration de l'échec de cinquante années d'économie politique du développement, dans les rapports entre les pays pauvres et les contributeurs comme au plan interne. Le sous-développement et la corruption ont brisé tous les envols possibles, notamment au Mali lors des élections de 1991.
L'explication de texte sera donc très importante, et je sais que nous pouvons compter sur notre rapporteur. Pour reprendre une expression que j'ai déjà eu l'occasion d'utiliser, la politique du développement n'est pas l'option Sport du bac S – je le dis sans mépris pour les intéressés. C'est une question centrale et structurante pour notre propre développement.
Il faut par ailleurs cibler des priorités, telles que la reconstruction de la capacité des Etats. C'est un élément structurant qui est d'ailleurs très bien compris par les Etats concernés. La CEDEAO vient ainsi d'adopter un tarif extérieur commun, afin de se donner les moyens de son propre développement. Nous ferions bien d'accompagner cette aspiration à plus de souveraineté régionale, de développement endogène et de réciprocité dans les échanges.
Il va également de soi qu'une évaluation régulière s'impose. Je souscris bien sûr à cette exigence de contrôle démocratique, mais il faut commencer par travailler sur le texte avant de l'évaluer.
Merci pour vos questions, derrière lesquelles je vois poindre de nombreux amendements.
La taxe sur les transactions financières a été évoquée par plusieurs intervenants. En 2013, nous avons alloué 10 % du produit de notre taxe nationale au développement, et nous avons prévu 15 % pour 2014. L'enjeu du moment est européen, avec une échéance à court terme : le prochain Conseil des ministres franco-allemand, où nous espérons passer des déclarations d'intentions à une proposition concrète pour la future taxe au niveau européen. Nous y travaillons : il y avait hier encore une réunion des deux ministères des finances sur la question. Nous avons une chance d'aboutir d'ici l'adoption définitive de la présente loi et les élections européennes. C'est la position du Gouvernement et je le souhaite personnellement, car c'est l'une des rares opportunités que nous avons de dégager des fonds supplémentaires pour le développement, ainsi que pour la lutte contre le changement climatique.
Certains ont ironisé sur nos priorités sectorielles, qui seraient trop nombreuses. Mais il s'agit plutôt de domaines potentiels d'intervention. Après cela, les documents cadres de partenariat (DCP) permettent de préciser les priorités pour chaque pays et on n'interviendra pas dans les dix domaines nommés par la loi dans chacun des pays. La programmation conjointe avec les autres pays donateurs a justement l'intérêt de permettre un partage des champs d'intervention.
Nicole Ameline a parlé du rôle des entreprises. La question du lien entre aide publique au développement et diplomatie économique est justement l'une de celles que nous voulons expliciter dans le contrat d'objectifs et de moyens de l'AFD. Pour moi, il n'y a pas là de contradiction, mais une différenciation à préserver : le fait que des entreprises françaises bénéficient de marchés financés par l'AFD peut être une conséquence, mais pas une finalité. Par exemple, le fait qu'une entreprise française ait obtenu un marché de fabrication des cartes d'électeurs au Mali est une conséquence de l'organisation d'élections au Mali, mais la finalité, c'était évidemment ces élections elles-mêmes et ce qui s'ensuit pour le Mali. Par ailleurs, il faut aussi tenir compte de la situation des pays : dans les grands pays émergents, en particulier, il y a une demande d'articuler l'aide avec l'apport d'une expertise, demande qu'il faut prendre en compte.
S'agissant de l'approche par les droits, Coordination Sud, dans son papier consacré au présent projet de loi, reconnaît qu'il consacre ce principe.
Le rôle des collectivités locales fait débat. Certains mettront l'accent sur la nécessaire cohérence de l'action des uns et des autres, d'autres sur la libre administration des collectivités. Faut-il modifier le projet de loi, élargir les dispositions concernant l'action des collectivités ? Le débat est ouvert et ne nous pose aucun problème, car il correspond à notre philosophie. C'est ainsi que les collectivités locales, loin d'être reléguées à un rôle secondaire, sont au centre de la préparation de la COP21.
Rien ne s'oppose à ce que la loi donne toute sa place à l'aide humanitaire. La mise en place d'un continuum de l'humanitaire au développement est un élément de notre politique, comme l'atteste le cas de la République Centrafricaine, sur laquelle nous avons tenu pour la première fois des réunions traitant à la fois d'aides d'urgence et d'actions de développement à moyen terme. Ce principe de continuum pourrait très bien figurer dans la loi.
Je ne crois pas que l'on puisse opposer l'intervention bilatérale à l'intervention multilatérale. J'ai sur ce point un désaccord public avec Serge Michailof : on ne doit pas réduire les dons de la France aux seuls dons bilatéraux. 70 % de nos dons passent par des canaux multilatéraux et le fait que nous contribuions ainsi nous permet aussi d'influer sur l'action des instruments multilatéraux. Le Fonds mondial a débloqué 40 millions d'euros pour la République centrafricaine, la Banque mondiale 100 millions, la Commission européenne 95 millions : l'influence de la France, grâce à ses contributions, y est pour quelque chose. En fait, la mobilisation des instruments multilatéraux permet même d'obtenir plus de fonds pour les causes qui nous tiennent à coeur. Elle nous permet aussi d'avoir une plus grande influence géopolitique.
Il y a sans doute aussi des opportunités d'améliorer le texte en ce qui concerne les aspects fiscaux, en particulier la responsabilité fiscale, sujet sur lequel le Gouvernement travaille aussi.
Noël Mamère a évoqué en particulier la renégociation du contrat d'AREVA au Niger. Il est pour moi évident qu'alors que nous progressons sur les questions de transparence en interne, avec la loi bancaire, et au niveau européen, cela doit aussi être le cas pour ce contrat. Le développement repose sur deux jambes : il y a l'aide publique, mais aussi les conditions du développement, comprenant les politiques commerciales, la fiscalité, etc.
Enfin, un an après le drame du Rana Plaza, c'est je pense le bon timing pour progresser sur les questions de responsabilité sociale et environnementale des entreprises. Et la présente loi est le bon objet politique pour affirmer une plus grande responsabilité des entreprises françaises quant à leurs pratiques et à celles de leurs sous-traitants. Car il y a un lien évident entre développement et responsabilité sociale. Pour ne prendre qu'un exemple, on ne peut pas séparer la question du travail des enfants de celle de leur accès à l'éducation, lequel est une condition essentielle du développement.
La séance est levée à dix-huit heures quarante-cinq.