La séance est ouverte à neuf heures.
Nous accueillons aujourd'hui le général Pierre de Villiers, chef d'état-major des armées depuis le 15 février dernier, que je remercie d'avoir répondu très rapidement à notre invitation.
Général, vous avez notamment servi au Kosovo et en Afghanistan, où certains d'entre nous vous ont rencontré. Vous étiez, depuis mars 2010, major général des armées.
Nous souhaitons vous entendre sur plusieurs dossiers : la loi de programmation militaire 2014-2019, sur laquelle vous avez beaucoup travaillé, mais aussi plus ponctuellement l'actualité des opérations menées par nos armées.
Merci de votre invitation. C'est pour moi un honneur et un plaisir de m'exprimer devant vous, moins de deux semaines après ma prise de fonctions.
Je me réjouis de l'intérêt sans cesse renouvelé de votre commission pour les questions de défense, comme en témoigne la qualité des débats sur la loi de programmation militaire (LPM). En outre, j'attache une grande importance à ces échanges avec la représentation nationale, en particulier avec vous, madame la présidente, et votre équipe, avec laquelle nous avons le plaisir de travailler.
Au lendemain du vote de la prolongation de l'opération Sangaris en République centrafricaine, je ne suis pas venu vous parler d'opérations. Mais je tiens à saluer devant vous la mémoire du caporal Damien Dolet du RICM de Poitiers, décédé à Bouar dimanche dernier dans l'exercice de sa mission.
Pour résumer mon état d'esprit aujourd'hui, j'emploierai trois mots : fierté, lucidité et détermination.
Fierté, d'abord.
Fierté de commander les hommes et les femmes de nos armées, des armées engagées en opération, de celles qui gagnent et qui protègent, de celles qui jouent un rôle moteur dans nos alliances et au sein de l'Union européenne.
À l'heure où je vous parle, 9 000 militaires français sont engagés dans 26 opérations extérieures, dans des missions variées, exigeantes et difficiles. Je pense à Serval et à Sangaris, pour ne citer que deux d'entre elles. La première prendra une nouvelle dimension avec la régionalisation de notre stratégie et de notre dispositif au Sahel. La seconde, qui est une mission sans ennemi déclaré autre que la violence quelle qu'elle soit, au sein des populations, est sans doute la plus complexe qu'un soldat puisse réaliser. Je pars d'ailleurs dès ce soir au Mali, avant de me rendre en Centrafrique.
Dans le même temps, et en permanence, nos armées surveillent et protègent le territoire national, ses espaces aérien et maritime et leurs approches. En permanence, elles recueillent du renseignement, surveillent des zones d'intérêt stratégique, se préparent aux engagements futurs. C'est dans ce cadre, par exemple, que le groupe aéronaval – auquel j'ai rendu visite peu avant son retour à Toulon – s'est déployé dans l'océan Indien pour l'exercice Bois Belleau durant trois semaines en intégration totale avec les Américains.
La posture de dissuasion est tenue, sans faille, par les forces aériennes stratégiques (FAS) et la force océanique stratégique (FOST). J'étais à Taverny le 18 février lors d'un exercice nucléaire « Poker » ; j'ai pu constater l'excellence des FAS, du centre de commandement jusqu'aux équipages des Mirage et des Rafale.
Fierté donc de commander des hommes et des femmes dévoués et professionnels, animés par la passion de leur métier et celle de servir.
Fierté personnelle, fierté partagée, que j'ai mesurée en visitant nos blessés à Percy le jour même de ma prise de fonctions. Leur courage et leur dignité sont édifiants. Les soutenir est un devoir moral, c'est notre premier devoir.
Lucidité, ensuite.
Pour avoir conduit la réforme, ces quatre dernières années, en qualité de major général des armées, je connais la situation et les tensions qui pèsent sur nos armées. Dans tous les domaines – personnel, matériel, infrastructure, fonctionnement, activité, soutien –, il existe des fragilités, qui sont autant de points de vigilance. Vous les connaissez, je n'insiste donc pas. Je parle de vigilance, mais en excluant tout catastrophisme, car je suis optimiste de nature.
Ces dernières semaines, de nombreuses personnes m'ont adressé leurs félicitations, mais la plupart ont ajouté : « Bon courage, ça ne va pas être facile ! », avec un air de commisération... Je reste donc lucide. Mais aussi déterminé.
Garantir au pays les armées dont il a besoin est en effet un véritable défi dans le contexte budgétaire que nous connaissons et compte tenu des fragilités évoquées. Ce défi ne peut être relevé qu'avec une ferme volonté de réussir. Pour ma part, je m'y engage, et ma détermination est à la mesure de l'enjeu.
Vous m'avez demandé de vous présenter aujourd'hui la réforme des armées. Or, depuis la professionnalisation des forces armées, lancée en 1996, les réformes s'enchaînent, voire se superposent. Le Livre blanc de 2008 et la réforme générale des politiques publiques (RGPP) ont imposé aux armées un ensemble de réformes d'une ampleur considérable. À titre d'exemple, l'armée de terre a perdu, depuis 2001, 43 % de ses effectifs.
Aujourd'hui, le Livre blanc de 2013 et la LPM 2014-2019 imposent d'autres réformes. L'effet successif, voire cumulatif, les rend particulièrement sensibles, même si elles n'ont pas l'ampleur des précédentes. C'est de cette nouvelle étape que je vais vous parler maintenant. Permettez-moi de partager avec vous trois convictions fortes.
La première est que ces réformes – que l'on peut considérer comme une nouvelle étape de la réforme des armées – sont incontournables. Leur réussite conditionne le succès futur de nos armes, compte tenu des contraintes très importantes qui pèsent sur nos capacités.
Ma deuxième conviction, vu l'écheveau des réformes en cours ou à venir, est la nécessité de rétablir une cohérence. Autrement dit, il faut aux hommes et aux femmes servant dans nos armées un projet fédérateur, un projet d'ensemble qui décline les grandes orientations politiques en actions concrètes et qui les replace dans une même perspective.
Ma troisième conviction est qu'il faut un état d'esprit adapté à la situation et aux défis à relever. Nous devrons être innovants et déterminés : la transformation est un état de fait, c'est aussi un état d'esprit.
Ces trois convictions constituent le plan de mon intervention devant vous.
Premier point, donc : la nécessité de cette nouvelle étape de la réforme. Elle découle de deux éléments de contexte.
Le premier est un nouveau Livre blanc, dans lequel le Président de la République, chef des armées, a fait le choix de conserver un niveau d'ambition élevé se déclinant au travers de trois grandes missions : la protection des Français et du territoire national, la dissuasion nucléaire, l'intervention extérieure.
Le Président de la République a également fait le choix de maintenir un modèle d'armées complet, afin de nous permettre d'assurer ces missions, et cohérent avec les scénarios prévisibles d'engagement – tout en conservant une autonomie d'appréciation et d'action, dans tous les domaines. Il a par ailleurs décidé d'accroître l'effort dans des secteurs d'avenir, qui permettent de mieux peser en coalition : renseignement, spatial, cyber, drones, frappes à distance et forces spéciales.
Enfin, le besoin de disposer de soldats bien équipés, bien entraînés, maîtrisant l'emploi de la force, a été réaffirmé. La préparation opérationnelle et donc l'entretien programmé des matériels constituent une priorité de notre ministre de la Défense.
En somme, il s'agit de maintenir le cap dans certains domaines et de faire mieux dans d'autres.
Le deuxième élément de contexte est la situation de nos finances publiques.
La réduction des déficits publics et la résorption de la dette contribuent à notre autonomie stratégique et à la souveraineté nationale, fondements de notre politique de défense. Vous connaissez la problématique, je n'insiste donc pas. L'affirmation d'une telle ambition pour nos armées est un défi.
Nos contrats opérationnels sont exigeants, mais ajustés à nos opérations les plus prévisibles. Le format des armées se réduit ; la modernisation des capacités se poursuit, à un rythme moindre. En dépit de leur caractère douloureux, les réductions de format, de personnel et d'équipements, ainsi que les étalements des livraisons de matériel, sont la seule voie pour entretenir un outil de défense conforme aux grands objectifs du Livre blanc. Cela implique une remise en cause profonde de notre manière de penser et d'agir.
Vous l'avez compris : ces éléments de contexte nous amènent à une nouvelle étape de la réforme au sein du ministère et donc des armées.
Dans une logique d'efficience, 31 chantiers de transformation ont été lancés au niveau du ministère, et ce dans tous les domaines : ressources humaines (RH), finances, soutien, service de santé ou communication notamment.
Partout, autant que cela est possible, la recherche d'une meilleure efficience impose de diminuer les effectifs et donc de revoir le partage des tâches. Le commandement des armées est naturellement affecté, à l'échelon interarmées, mais aussi au niveau de chaque armée, direction ou service interarmées.
Je donnerai d'ailleurs l'exemple dans ce domaine. L'état-major des armées se concentrera en effet sur les responsabilités du CEMA à travers la planification et la conduite des opérations, la programmation militaire et la réalisation des capacités, le soutien interarmées, sans oublier la dimension internationale, transverse, en particulier dans l'appui aux opérations, le soutien aux capacités, les relations militaires bilatérales.
Nous nous dirigeons donc vers un état-major des armées dont les effectifs diminuent de 30 %, avec un format resserré de 600 personnes au lieu de 930, sachant que chacun des états-majors d'armée descendra à un niveau compris entre 150 et 200 personnes. Tout cela pour commander les trois armées et les soutiens interarmées, soit un effectif total de 230 000 personnes environ en 2015 !
Nous serons alors installés à Balard et la réforme du commandement des armées sera terminée. Elle laissera aux trois armées le plus de marge de manoeuvre possible dans l'exercice de leurs responsabilités organiques. C'est une nécessité fonctionnelle, mais aussi « culturelle » : la culture d'armée est une réalité ; j'y crois profondément !
L'autre raison qui nous impose de poursuivre la réforme est la primauté de l'opérationnel.
Nous touchons ici à la finalité de la réforme. L'histoire ancienne tout comme le retour d'expérience récent montrent en effet que la cohérence globale entre les forces combattantes et les moyens concourants est une condition essentielle du succès opérationnel.
Ma responsabilité de CEMA est non seulement d'identifier les capacités nécessaires aux armées, mais aussi de garantir cette cohérence globale dans ses différents volets : ressources humaines, équipements, organisation, soutiens, préparation, concepts et doctrines. En cela, je suis responsable des travaux de planification des capacités militaires, de l'élaboration de la programmation militaire et de son actualisation.
C'est donc bien pour garantir le respect des contrats opérationnels fixés par le Livre blanc et remplir nos missions que nous devons poursuivre notre transformation. En conséquence, l'effort de déflation du personnel sera porté en priorité sur l'environnement et le soutien des forces.
J'en viens à ma deuxième conviction : une réforme de cette ampleur nécessite un projet fédérateur. Ce projet, nous l'avons : c'est un projet commun aux armées, directions et services interarmées, que j'ai baptisé CAP 2020.
Il découle du cadre fixé par le Livre blanc et la LPM. Il définit pour chaque armée, direction ou service, le chemin de sa transformation, en répondant à un objectif clair : disposer dans la durée d'un outil militaire complet et cohérent, apte à garantir nos intérêts de défense dans le cadre de l'ambition stratégique de la France.
La feuille de route est l'ordre aux armées, directions et services, que j'ai signé le 15 février dernier, au moment de ma prise de fonctions. Cet ordre est conçu selon trois lignes d'opération.
La première concerne l'optimisation des moyens au profit des capacités opérationnelles. Elle implique plusieurs éléments : la déclinaison des contrats opérationnels du Livre blanc en termes de disponibilité et de préparation des forces ; la définition de priorités dans les activités et la préparation opérationnelle, en lien avec les opérations en cours ; le maintien de notre niveau de qualification opérationnelle, en insistant sur la complémentarité interarmées ; l'adaptation et la modernisation de nos capacités, pour être prêts à faire face aux engagements futurs ; la réforme des dispositifs des forces prépositionnées et de présence, en réorganisant les points d'appui et en diminuant nos effectifs.
La deuxième ligne d'opération consiste à améliorer notre modèle de ressources humaines. C'est le volet majeur de la réforme : 23 500 postes devront être supprimés d'ici à 2019, en plus des 10 000 restants de la réforme précédente, soit environ 34 000 postes à cette échéance. Il s'agit de conduire ces déflations avec le plus de souplesse possible pour assurer la continuité de nos missions.
La maîtrise de la masse salariale nous impose par ailleurs de prendre en compte le contingentement des effectifs, le dépyramidage, la gestion des hauts potentiels, la promotion au mérite, la simplification du dispositif indemnitaire des militaires et, par conséquent, les parcours que nous offrons au personnel des armées.
L'objectif est d'obtenir une meilleure corrélation entre les grades, les emplois, les responsabilités et les rémunérations, ce qui implique de mieux gérer les flux d'entrée et de sortie du personnel.
De ce fait, notre modèle RH évoluera – il devra le faire le plus rapidement possible. Nous avons commencé depuis quelques mois les travaux en ce sens avec les armées.
In fine, nous aurons une pyramide des grades plus aiguë avec une population plus jeune. Dans cette optique, la rénovation de notre dispositif de reconversion sera centrale pour redynamiser la gestion du personnel. Tout cela sera évidemment conduit en étroite cohérence avec la baisse des effectifs dans les états-majors et le chantier de la formation.
Par ailleurs, l'adaptation de la gestion du personnel implique de pouvoir compter sur un système de paiement des rémunérations fiable et sécurisé. Après tant de péripéties, aux conséquences sociales et humaines souvent dramatiques pour les militaires et leurs familles, y compris pour les militaires en opérations, je me réjouis de la mise en place d'un « plan B » Louvois, annoncé par le ministre. Je me réjouis également que ce plan soit conduit sous la forme d'un programme d'armement, avec la rigueur que cela impose en termes de responsabilités et de procédures. Néanmoins, le retour à une situation totalement normalisée nous amènera à souffrir encore pendant deux ans.
Le dernier axe d'effort s'agissant des ressources humaines est l'amélioration de la condition du personnel, juste compensation des contraintes statutaires imposées aux militaires du fait de la finalité opérationnelle de leurs actions. En la matière, nous travaillons actuellement, au sein du ministère, à la réalisation d'un plan qui comprendra notamment la simplification du dispositif indemnitaire – il existe aujourd'hui 174 primes – et améliorera la prise en compte des notions de mérite et de responsabilité.
Il y a donc fort à faire dans le domaine des ressources humaines. Ce travail en profondeur nécessitera de faire évoluer les mentalités et demandera du temps. Il s'agit d'un sujet essentiel, sensible, qui doit être traité dans le respect de notre finalité opérationnelle, des spécificités des armées et du statut général des militaires.
La troisième et dernière ligne d'opération vise à adapter notre organisation.
Comme je l'ai évoqué, une armée qui adapte son organisation sous contrainte doit avoir une administration plus agile, plus resserrée : elle doit réduire les effectifs des états-majors mais aussi des organismes centraux. Elle doit également densifier ses emprises territoriales, pour dépenser mieux et moins. Nous devons chercher en permanence la mise en adéquation du contrat opérationnel, des ressources humaines, des équipements, des ressources financières et du stationnement. D'autres restructurations territoriales sont inéluctables. Il s'agit d'un sujet complexe et très délicat, aux impacts multiples – vous êtes bien placés pour le savoir –, mais sur lequel nous devons avancer. Il faut un maximum de visibilité pour cadencer la « manoeuvre RH » et donner le plus de perspectives au personnel. En la matière, nous ferons des propositions au ministre dans les mois qui viennent – après des études fonctionnelles détaillées, afin d'éviter des abattements aveugles.
Une armée qui adapte son organisation sous contrainte est enfin une armée qui accroît la performance de ses soutiens. Depuis une dizaine d'années, la chaîne des soutiens connaît une véritable révolution avec l'interarmisation des fonctions, la création des bases de défense et la mise en place d'un pilotage centralisé au niveau de l'état-major des armées. Compte tenu des inévitables défauts de jeunesse et des contraintes nouvelles, cette chaîne s'adaptera encore.
Le principe d'une administration générale et de soutiens communs sous une autorité unique, le Service du commissariat des armées, et le renforcement du pouvoir des commandants de base de défense constituent deux axes importants dans ce domaine. La responsabilité de commandant de base de défense sera confiée le plus souvent possible aux officiers assumant déjà des responsabilités locales, comme un commandant d'école, à Draguignan. C'est ce que nous appelons, dans notre jargon, le « double casquettage » : le dialogue est facilité entre le soutenant et le soutenu quand c'est le même homme ! De la même façon, nous renforcerons les « marquants d'armée », c'est-à-dire le lien d'une base de défense avec une armée, comme c'est déjà le cas à Toulon ou à Brest pour la marine, à Mourmelon pour l'armée de terre et à Evreux pour l'armée de l'air.
J'en viens à ma troisième et dernière conviction : l'état d'esprit dans lequel nous engageons cette adaptation.
C'est à nous, ici à Paris, au sommet des armées, de susciter l'adhésion et la confiance en cette nouvelle période qui s'ouvre, avec vérité et simplicité. En tant que chef d'état-major des armées, ma priorité sera de rassembler, de fédérer les énergies dans une dynamique d'innovation et d'imagination. Il s'agit, pour les armées comme pour tout le ministère, d'agir « ensemble, autrement, au mieux ».
Ensemble, car ce sont les femmes et les hommes des armées qui sont au coeur des adaptations à venir. Il leur est beaucoup demandé : un engagement opérationnel sans faille et de nouveaux efforts au quotidien. Il est clair que l'adhésion de tous est la condition du succès. Comme vous le savez, la préparation d'un livre blanc et d'une LPM peut créer quelques dissensions entre les armées.
Cette adhésion doit se matérialiser à tous les niveaux, et d'abord entre les armées. Je veux constituer une vraie équipe de commandement avec les trois chefs d'état-major : le général d'armée Bertrand Ract-Madoux, l'amiral Bernard Rogel et le général d'armée aérienne Denis Mercier. Cette adhésion doit ensuite se manifester au niveau du ministère, par une bonne coordination des réflexions entre les grands responsables. Le C4, comité de cohérence pour la conduite du changement, qui réunit le secrétaire général pour l'administration (SGA), le directeur général de l'armement (DGA) et le major général des armées, en est un exemple.
Nous devons également faire autrement. Je l'ai déjà dit, mais j'y insiste : nous ne pourrons réaliser le nouveau modèle d'armée qu'en revoyant nos organisations et nos modes de fonctionnement. Nous sommes déjà en ordre de marche pour ces travaux, sachant que le modèle de 1996 est arrivé au bout de ses possibilités.
Nous avons eu quelquefois la mauvaise habitude de créer une mission à chaque tâche nouvelle et, ainsi, de générer des « mammouths » administratifs peu lisibles et peu réactifs. Nous n'en avons plus ni les moyens, ni le temps. Nous devons donc encore simplifier les démarches administratives, de façon volontariste, en prenant en compte les initiatives locales : les vraies solutions aux problèmes locaux ne se trouvent pas à Paris. Une démarche spécifique est en cours au sein du ministère et des armées : 66 mesures de simplification ont été validées ; certaines sont déjà engagées, d'autres sont à l'étude. À titre d'exemple, une plateforme d'échange pour la simplification sera mise en oeuvre, début mars, sur le réseau interne défense, afin de recueillir les propositions du terrain et en informer l'ensemble du personnel.
Faire autrement, c'est aussi se tourner vers l'extérieur, vers l'international – autant d'opportunités à explorer avec pragmatisme. C'est le cas, par exemple, du concept CJEF - Combined joint expeditionary force -, que nous développons avec nos amis britanniques, ou de l'emploi de la brigade franco-allemande (BFA) au Mali avec nos voisins allemands. Il va de soi que réalisme rime avec pragmatisme. Ne rêvons pas : les coopérations multinationales ne résoudront pas tous nos problèmes : en période de tension budgétaire, beaucoup de nos partenaires sont tentés par le repli. Et pourtant, dans l'intérêt de tous et de chacun, je ne vois pas d'autre solution que d'avancer ensemble : à des échelles différentes, nous sommes tous logés à la même enseigne !
Enfin, il s'agit de faire au mieux.
Nous ne ferons pas mieux avec moins, nous continuerons à faire au mieux ! Cela ne veut pas dire manquer d'ambition, mais signifie être lucide et honnête vis-à-vis de nous-mêmes et de nos personnels militaires et civils : il faut dire la vérité.
Faire au mieux, c'est définir plus clairement nos priorités et remettre cent fois l'ouvrage sur le métier, afin de les réorienter aussi vite et aussi souvent que nécessaire. Je pense au maintien en condition opérationnelle des équipements, déterminant pour nos capacités et qui, parallèlement à un effort budgétaire sensible porté par la LPM, fait l'objet de plans d'action spécifiques.
Nous devrons donc anticiper davantage, afin de limiter les conséquences des risques et des fragilités, parmi lesquels : le vieillissement assumé de certains équipements, conséquence des décalages de livraison de ceux qui doivent les remplacer ; la « soutenabilité » de notre équilibre en matière de ressources humaines ; des difficultés quotidiennes dans l'exercice de notre métier touchant aux conditions de vie dans nos bases, régiments et ports, notamment en ce qui concerne l'infrastructure ; le risque de décrochage du personnel vis-à-vis de la réforme, alors même que son adhésion est une condition essentielle de sa réussite.
En conclusion, le Livre blanc et la LPM expriment un engagement politique fort devant la Nation, lequel doit nous accompagner vers le nouveau modèle d'armée : le modèle 2025.
Je suis pleinement conscient des enjeux de ces réformes et convaincu de la nécessité de les poursuivre. Vous pouvez compter sur ma totale loyauté pour conduire, à travers notre projet, cette nouvelle étape de la transformation.
Au cours des quatre dernières années, j'ai pu mesurer, en tant que major général des armées, les limites de l'élasticité de notre système. Je connais également parfaitement les difficultés et les défis d'aujourd'hui. C'est la pérennité d'un outil de défense complet et cohérent qui est en jeu.
La LPM vient d'être promulguée. Sa mise en oeuvre représente un effort important pour les armées, dont le costume est déjà taillé au plus juste. Toute encoche sur les ressources prévues entamerait inévitablement la cohérence du modèle et compromettrait le succès de la réforme, au détriment de la finalité opérationnelle.
L'exécution conforme de la LPM est donc primordiale. Elle l'est pour l'efficacité de nos armées, mais aussi pour le moral du personnel, qui y voit une juste reconnaissance de son engagement pour la Nation.
J'en appelle à votre soutien : il sera déterminant.
Mon général, vous avez indiqué que l'un des piliers de votre action est l'adhésion du personnel du ministère de la Défense. Or une refonte du référentiel des effectifs a été réalisée récemment dans un double objectif de dépyramidage et de civilianisation. Comment ce travail a-t-il été réalisé dans les directions des ressources humaines (DRH) d'armées et quel a été le niveau d'adhésion de ces dernières ?
Vous avez rappelé que 34 000 emplois seraient supprimés d'ici à 2019, conformément aux deux dernières lois de programmation, et que l'effort de réduction des effectifs porterait en priorité sur les états-majors et les organismes centraux. Pourriez-vous nous apporter des précisions sur l'objectif de « pyramide aiguë » que vous avez souligné ?
Récemment, de jeunes officiers se sont exprimés sous couvert d'anonymat pour critiquer le maintien artificiel de l'activité de milliers de généraux – ils évoquent le nombre de 5 500 –, qui devraient être à la retraite et qui bénéficient du statut de deuxième section. Ils ajoutent que des centaines de colonels n'ont pas de commandement et sont remisés à des postes administratifs. Ils évoquent en outre la gabegie dans la gestion de l'armée, en s'appuyant notamment sur les conclusions de la Cour des comptes, selon laquelle il y avait 3 468 emplois de colonels en 2011 pour un nombre de commandements dans les forces limité à environ 150. Que pensez-vous de ces accusations ? Quelles mesures préconisez-vous à cet égard ?
Le pilier RH – le plus sensible, le plus novateur – conditionne dans une large mesure le succès de la réforme. Nous sommes confrontés à trois contraintes : la gestion des effectifs en organisation – un homme un poste, soit 250 000 personnels de la Défense –, la gestion de la masse salariale annuelle, de 11 milliards d'euros, et la répartition de cette masse salariale par catégorie et par grade.
Pour l'organisation, la principale mesure consiste à revoir notre référentiel, en établissant une meilleure adéquation entre le grade, la responsabilité et la rémunération, de façon à éviter le « surpyramidage ». C'est cette démarche que nous avons lancée. Une pyramide « plus aiguë » signifie qu'il y aura moins d'officiers généraux, moins de colonels ou capitaines de vaisseau, moins de lieutenants-colonels ou de capitaines de frégate, et que les parcours seront adaptés. Pour les hauts et très hauts potentiels, nous sélectionnerons les meilleurs, à partir de la sortie de l'école de guerre, afin de les amener au bout de la chaîne - c'est-à-dire aux quelques postes d'officier général quatre et cinq étoiles. Quant aux autres, nous les inciterons à mener une deuxième carrière dans le monde civil, progressivement, aux grades de capitaine (lieutenant de vaisseau), de lieutenant-colonel (capitaine de frégate) ou de colonel (capitaine de vaisseau).
Ainsi, le « dépyramidage » permettra de réduire la masse salariale. Je précise tout de même que notre pays compte, proportionnellement, moins de généraux que le Royaume-Uni et que leur nombre a diminué de 25 % au cours des dix dernières années.
Pour autant, il existe une limite à l'élasticité du système et au « dépyramidage ». Par conséquent, nous prendrons le temps nécessaire à la construction de ce modèle RH qui couvrira le recrutement, la formation et la reconversion.
La manoeuvre RH se heurte à deux difficultés. La première est la déflation de 5 700 officiers sur la prochaine période. En effet, on ne peut pas faire partir des gens qui ne le veulent pas. La seconde difficulté est l'équilibre entre personnel civil et personnel miliaire : le ratio est aujourd'hui de 2278 ; il nous faut l'améliorer. Pour le faire évoluer, pour que les personnels civils aient pleinement leur place, nous menons des études détaillées, notamment dans l'environnement des forces, afin de déterminer les postes « projetables » en opération directement ou indirectement.
Enfin, nous devrons obtenir l'adhésion du personnel. Ce dernier point est très important, car toutes les réformes nécessitent une forme de reconnaissance. Il faut garder à l'esprit que nos militaires ont vécu de nombreuses réformes. Mais, d'une manière générale, leur adhésion a toujours été à la hauteur des défis.
L'optimisation de notre modèle RH doit aussi prendre en compte les spécificités des armées, qui ont des histoires différentes et ne sont pas toutes dans la même situation aujourd'hui. Je le répète : c'est un sujet sensible. Je note cependant que les directions du personnel, les chefs d'état-major et les majors d'armée sont sur cette ligne.
Vous l'aurez compris : le fil rouge de la manoeuvre RH est la capacité d'adhésion à cette réforme.
Mon général, vous accédez à ces fonctions suprêmes à un moment clé de l'évolution des coopérations multinationales. Vous avez expliqué que les armées et le ministère doivent agir « ensemble, autrement, au mieux ». Je crois en effet que l'urgence est de fixer un nouveau cap, car nous arrivons au bout d'un système. Ce système, c'est l'OTAN, qui nous a permis de vivre en paix pendant soixante-dix ans, malgré le désengagement des États-Unis ; et c'est l'Union européenne, où le désengagement financier de très nombreux pays impacte l'Europe de la défense, mais aussi l'OTAN.
Quel avenir voyez-vous pour celle-ci, après la réintégration de la France dans le commandement militaire intégré ? Et comment envisagez-vous l'Europe de la défense : autour d'un groupe pionnier, du groupe « Weimar + » ou des Vingt-sept ?
Je tiens d'abord à saluer nos militaires, grâce auxquels la France bénéficie d'une très belle image en Centrafrique.
Mon général, à Bangui, la situation a beaucoup évolué et semble à présent davantage relever d'une sorte d'opération Vigipirate un peu musclée qui permette à nos forces de patrouiller dans les quartiers. Envisagez-vous de doter vos forces des moyens idoines ?
En outre, à quelle hauteur les effectifs de l'armée de terre seront-ils déflatés cette année ?
Enfin, combien coûte un mois d'OPEX à notre pays ?
Face à la situation en République centrafricaine, l'Union européenne réagit sur le plan théorique, mais malheureusement pas de façon pragmatique. Pourtant, le Livre blanc met l'accent sur l'Europe de la défense, dont les opinions publiques, européennes comme françaises, attendent beaucoup. En tant que chef d'état-major des armées, quel est votre sentiment sur cette Europe de la défense ?
D'autre part, compte tenu des contraintes budgétaires, pensez-vous utile de faire appel aux réservistes pour maintenir le lien armée-Nation ?
Je pense qu'il ne faut pas opposer l'OTAN et l'Union européenne. Comme Jean-Yves Le Drian, je suis pragmatique : si l'OTAN, l'Union européenne ou un pays peut m'aider, je suis preneur.
Nous nous préparons au prochain sommet de l'OTAN qui se tiendra en septembre. Le retour dans le commandement intégré nous a beaucoup apporté – je pense que nous n'aurions pas pu intervenir en Libye sans cela – et il nous faut aller au bout de notre engagement en termes d'effectifs et de capacités à cet égard.
S'agissant de l'Europe, de nombreuses initiatives multilatérales ou bilatérales sont des réussites qu'il ne faut pas négliger. Au titre du multilatéral, je pense au commandement aérien multinational EATC dans le domaine du transport aérien. Je suis preneur de tout ce qui peut m'aider.
Au titre du bilatéral, j'ai coprésidé pendant quatre ans le groupe franco-allemand de coopération militaire : nous avons 60 projets, dont certains sont porteurs dans des domaines comme le service de santé des armées, la formation, la logistique, la brigade franco-allemande. Il y a incontestablement des choses à faire avec l'Allemagne, le véritable moteur demeurant la dynamique politique.
Par ailleurs, je travaille avec les Britanniques depuis plus de deux ans, ayant été désigné responsable de la mise en oeuvre des accords de Lancaster House. Le point fort est incontestablement la coopération opérationnelle avec le CJEF. Nous avançons et serons au rendez-vous de 2015-2016. Nos amis britanniques sont eux-mêmes très allants.
Enfin, les États-Unis sont des partenaires de premier plan comme l'intégration durant trois semaines en janvier dernier de notre groupe aéronaval dans le dispositif américain dans le golfe ou le travail conjoint au Sahel le démontrent. S'agissant de Sangaris, le Président de la République a annoncé un renfort de 400 hommes. Il s'agira pour l'essentiel de forces combattantes, de moyens logistiques et de commandement et d'hélicoptères provenant des forces prépositionnées à Djibouti et au Tchad.
Je me réjouis que le Parlement ait voté la prolongation de l'opération Sangaris. Nos militaires attendent le soutien de la Nation. Nous resterons en Centrafrique tant que la relève - la force internationale, l'opération de maintien de la paix (OMP) - ne sera pas assurée. Lorsque la Mission internationale de soutien à la Centrafrique sous conduite africaine (MISCA), qui compte 6 000 hommes, sera modernisée, notre dispositif sera allégé de façon progressive.
Certains jugent la situation catastrophique. Pour ma part, j'observe qu'elle évolue positivement : on peut désormais circuler à Bangui, l'économie redémarre, les écoles sont rouvertes. De plus, nos forces se déploient progressivement sur l'ensemble du territoire – les renforts nous y aideront. J'attends avec impatience l'arrivée de la force européenne EUFOR, qui comportera 500 hommes, voire plus. Ce sera le signe de la mobilisation de la force internationale que M. Ban Ki-moon a appelé de ses voeux. C'est bien la capacité de nos amis étrangers, africains notamment, à prendre le relais qui nous permettra d'alléger progressivement notre dispositif.
S'agissant du lien armée-Nation, nous n'avons pas mené une réforme suffisamment profonde des réserves. Il nous faut aller plus loin. De vrais professionnels à temps partiel nous sont indispensables pour certaines qualifications. Je rappelle que le budget des réserves est de 70 millions d'euros par an : on doit pouvoir améliorer le dispositif, l'administration chargée de le gérer, l'attractivité à l'égard des employeurs et de la fonction publique en s'inspirant notamment d'expériences étrangères, mais aussi mieux valoriser et utiliser nos réserves, en distinguant réserve citoyenne et réserve opérationnelle.
Quant à la déflation des effectifs, elle est prévue à environ 2 700 pour l'armée de terre stricto sensu cette année sur un ensemble global de 7 881 réductions de postes pour le ministère.
Enfin, il est difficile d'évaluer le coût mensuel des OPEX aujourd'hui car, pour cela, il me faudrait connaître leur coût annuel. Or le dispositif existant est en pleine évolution : nous allons quasiment nous désengager du Kosovo et avons fortement réduit notre dispositif en Afghanistan – les 400 hommes que nous avons sur place étant encore amenés à se réduire – ; nous nous désengageons aussi du Mali, où nos effectifs devraient passer de 2 000 à 1 000 l'été prochain mais il faudra prendre en compte la réorganisation de notre dispositif au Sahel. Il en sera de même à terme pour l'opération Sangaris. Le ministre s'est exprimé sur ce point : les crédits prévus dans la LPM s'élèvent à 450 millions d'euros, contre 1,3 milliard d'euros de dépenses en 2013. En tout état de cause, les dépenses cette année devraient être moins élevées que l'an dernier, et celles liées à l'opération Sangaris et à la prolongation de nos forces au Mali ne seront pas comprises dans cette enveloppe, en vertu de l'article 4 de cette loi. Reste que le financement interministériel ne sera pas aisé compte tenu de la situation des finances publiques.
Je rappelle que l'article 4 de la LPM prévoit un débat sur les OPEX ainsi que la transmission préalable aux commissions parlementaires compétentes de tous les éléments d'appréciation sur leurs aspects politiques, opérationnels et financiers.
Je regrette que la défense ne soit pas la priorité du Gouvernement.
Par ailleurs, on peut avoir quelques inquiétudes sur la réalisation du programme Scorpion : nous aurons 92 véhicules blindés multi-rôles (VBMR) pour une cible de 2 080 et pas grand-chose sur l'engin blindé de reconnaissance et de combat (EBRC). Cela vous paraît-il compatible avec un programme ambitieux d'équipement de l'armée de terre ?
En outre, la réduction de 6 000 hommes opérationnels dans cette armée ne pose-t-elle pas de problème ? Ne risquez-vous pas d'atteindre les limites de vos capacités ?
Dans l'opération Sangaris, vous avez une mission de pacification et de reconstruction de l'État : quel est le format d'armée idéal pour l'assumer dans un pays grand comme la France et la Belgique ? Est-il de 5 000, 10 000 ou 15 000 hommes ?
Je vous félicite pour votre nomination mon général.
S'agissant de la Centrafrique, les 2 000 soldats français et les 6 000 soldats de la MISCA semblent en effet insuffisants : combien vous en faudrait-il pour rétablir rapidement l'ordre ? On a parlé de 20 000 hommes : est-ce exagéré ?
Par ailleurs, quelle doit être plus largement l'évolution du dispositif militaire français en Afrique ?
S'agissant de Scorpion, nous avons eu des débats difficiles lors des arbitrages relatifs à la LPM. On a finalement retenu des programmes à effet majeur pour environ 5,7 milliards d'euros par an, alors qu'il nous aurait fallu beaucoup plus. Nous avons donc dû renoncer à certains équipements, mais nous avons conservé un modèle d'armée complet, ce qui est l'essentiel. Le programme Scorpion a été décalé mais maintenu et nous serons vigilants sur le VBMR puisque le véhicule de l'avant blindé (VAB) est à bout de souffle – ce qui impose un tuilage, comme pour les avions Transall avec les A400M, ou les frégates anti-sous-marines avec les frégates FREMM. Cela est cohérent avec la perte d'une brigade et le contrat opérationnel des 66 000 hommes projetables pour l'armée de terre. Cette approche nous permettra d'avoir une armée de terre modernisée en 2020-2025, mais il faut éviter le maillon faible.
Concernant Sangaris, notre objectif est, je le répète, que la force internationale, africaine puis onusienne, prenne le relais le plus vite possible. Je rappelle que nous avons 2 000 hommes sur place et la MISCA 6 000. On peut imaginer une force de 10 000 hommes pour l'OMP. Pour que la MISCA soit pleinement opérationnelle nous étudions avec nos partenaires européens la motorisation de cette force, son équipement. Les gendarmes français seront utiles pour le mentoring des forces de police locales.
Après avoir sécurisé Bangui, nous sommes entrés dans la deuxième phase, consistant à étendre notre présence en région, notamment dans l'ouest. Le groupement tactique interarmes (GTIA) supplémentaire, qui est en cours de déploiement, nous aidera pour sécuriser la province.
En ce qui concerne notre dispositif en Afrique, il est prévu 3 000 hommes dans la bande sahélo-saharienne. Par ailleurs, nous essayons d'avoir une approche globale intégrant les forces de présence – que nous souhaiterions faire passer de 3 900 à 3 400 – et les forces en OPEX. Pour ce faire, nous disposerons de deux bases opérationnelles, Djibouti et la Côte d'Ivoire, et deux points d'appui avec le Gabon et le Sénégal.
Nous comprenons votre lucidité, saluons votre détermination et partageons votre fierté.
Vous avez dit que vous attendiez 500 hommes pour l'EUFOR : or on nous en a annoncé 1 000. Qu'en sera-t-il et quelle sera la composition de cette force ?
Par ailleurs, reste-t-il un peu de « gras dans le jambon » ? En effet, vous avez dit que notre effort porterait en priorité sur l'environnement et le soutien des forces, mais comme c'est déjà le cas depuis longtemps, nous avions cru comprendre qu'on avait atteint l'os. Comment peut-on aller plus loin, sachant que cela suscite beaucoup d'inquiétudes chez nos soldats ?
Je note que quasiment aucun membre de la commission de la Défense n'a voté contre la prolongation de l'intervention de nos forces en Centrafrique.
J'ai vu dans la presse qu'on allait envoyer des gendarmes mobiles dans ce pays : pourquoi ce changement de position en l'espace de quinze jours ?
Le ministre de la Défense a annoncé une réorganisation des OPEX et du prépositionnement : quelle est votre approche en la matière ?
S'agissant de l'EUFOR RCA, je ne peux répondre ni sur le nombre de ses effectifs ni sur sa composition. Le deuxième tour de la génération de force qui a eu lieu hier après-midi à Bruxelles n'a pas été conclusif et un troisième est prévu la semaine prochaine. Je pense que la cible retenue sera entre 500 et 1 000, sachant que je préférerais naturellement qu'il y en ait 1 000 ! Reste à voir la capacité logistique et en soutien. Cela étant, le quartier général d'opération (OHQ) à Larissa en Grèce est prêt à quasiment 100 % et le FHQ – le poste de commandement de théâtre sur place – à 75 %.
Monsieur Folliot, cela fait vingt ans qu'on entend le débat sur le « gras » et le « jambon » ! Mais on ne doit pas voir les choses ainsi : la modélisation d'une armée est une démarche globale entre des hommes, un budget, des équipements, du soutien, de la logistique, etc. Pour préserver les forces, nous avons décidé de faire peser l'essentiel de la déflation supplémentaire sur leur environnement. Nous ne ferons pas de pari sur le soutien interarmées car ce serait trop risqué pour la capacité opérationnelle. Les analyses fonctionnelles en cours nous permettront d'y voir plus clair en juin.
Par ailleurs, si on m'envoie des gendarmes dans le cadre de l'opération Sangaris - j'attends qu'on me le confirme -, je les accueillerai à bras ouverts. Ils pourront avoir deux types de mission : le mentoring des forces de sécurité d'une part, l'aide au contrôle des foules et à la lutte contre toutes les exactions, avec le volet police judiciaire d'autre part.
S'agissant des OPEX et du prépositionnement, je répète que nous avons une démarche globale.. Dans ce cadre, la régionalisation de la bande sahélo-saharienne arrive au bon moment : elle répond à la mobilité des groupes armés terroristes – qui ne connaissent pas les frontières mais les pistes et les trafics.
La quasi-totalité de la fonction RH est passée il y a quelques mois de l'EMA à l'administration du ministère de la Défense, ce qui a pu être source d'interrogations sur le terrain : entendez-vous demander un retour à la situation antérieure ? À cet égard, peut-être faudrait-il déterminer la part du dysfonctionnement du système Louvois dans le dérapage de la masse salariale.
Pouvez-vous nous apporter des précisions sur la plateforme de simplification des procédures ?
En matière de reconversion, pouvez-vous préciser vos liens avec les industries de défense et les organismes de formation du personnel dans le civil ?
Par ailleurs, si le projet de réforme du service de santé des armées (SSA) est déjà au point, où en est-on des relations entre hôpital public et hôpital militaire sur le territoire, lesquelles permettraient de favoriser la convergence et la cohérence de leur travail respectif ?
Le débat sur la gouvernance RH est très parisien : le soldat au bout de la chaîne, qui est ma priorité, ne s'en préoccupe pas.
La gouvernance RH est un équilibre entre la gestion, notamment de la masse salariale, et l'organisation. Si la gestion a été confiée à la DRH MD, l'EMA reste responsable de l'organisation qui est structurante dans la préparation des capacités. Les deux approches - donnant la priorité à la gestion ou à l'organisation - ont des avantages et des inconvénients. Ce qui importe est la capacité de dialogue des différentes parties dans le sens de l'intérêt général. Cela dit, il y aura toujours des zones de conflit entre l'organisation et la gestion.
S'agissant de la plateforme de simplification, je profite du système mis en place pour le Livre blanc, géré par la délégation à l'information et à la communication de la Défense (DICoD). J'ai ainsi créé une petite mission pour réfléchir à la simplification avec trois officiers, qui se sont rendus dans toutes les armées, directions et services. Il en ressort 66 mesures, dont cette plateforme. Il faut en effet aller chercher les solutions sur le terrain, d'autant que le problème rencontré à Clermont-Ferrand n'est pas le même à Montauban, Metz ou Marseille. Tous ceux qui auront un poste Intradef pourront faire valoir leurs suggestions et il y aura probablement des prix pour récompenser les meilleurs.
En matière de reconversion, il faut nous adapter. C'est la raison pour laquelle nous ne réduirons pas les effectifs qui sont consacrés à cette fonction. Il faut traiter la reconversion en haut de la pyramide, mais aussi à la fin de la première partie de carrière, pour les capitaines, lieutenants-colonels et colonels. Le général en charge de l'agence de reconversion de la défense (ARD) avance avec toute une équipe d'organisations patronales et syndicales pour reconvertir au mieux les militaires du rang, les sous-officiers et les officiers. Il s'appuie aussi sur nos réseaux de réservistes et nos anciens militaires.
Sur le SSA, nous avons fait un grand pas en avant avec notamment le projet SSA 2020, qui est global et s'insère parfaitement dans notre modèle d'armée. Ce projet permettra des économies d'effectifs et sera adossé au système de santé publique – les agences régionales de santé (ARS) –, non pas bloc à bloc, mais dans le cadre d'un véritable dialogue. Nous avons assisté récemment avec le ministre de la Défense et le député de Metz à un projet pilote dans cette ville entre l'hôpital Legouest et le centre hospitalier, qui permet une formidable coopération entre les deux, avec des domaines de compétences conjoints et un partage des tâches. Ce modèle est maintenant instauré partout : je l'ai également vu à Bordeaux. Il s'agit d'un véritable changement de culture et d'une approche intelligente du fonctionnement de l'État, dans laquelle nous avons à gagner financièrement et en effectifs.
Le Président de la République et le ministre de la Défense ont réaffirmé au travers du Livre blanc et de la LPM la position de la France en matière de dissuasion nucléaire. Mais certains collègues souhaitent qu'un débat ait lieu sur ce sujet. Comment appréhendez-vous cette question ?
Par ailleurs, je suis heureux de vous entendre dire combien le point de vue des acteurs des territoires doit être pris en compte, notamment pour l'organisation de nos bases de défense. La capacité de Brest et Lorient par exemple à régler les problèmes de façon pragmatique et discrète montre la pertinence de cette approche.
Je rappelle que nous auditionnerons ultérieurement le général Pierre de Villiers sur la question de la dissuasion nucléaire.
S'agissant de la dissuasion nucléaire, l'expression de la doctrine relève du Président de la République : il lui appartient donc d'ouvrir ou non le débat. Nous avons fait un gros effort dans la LPM sur l'agrégat consacré à cette capacité. Il s'agit d'un sujet complexe touchant à l'essence même de notre souveraineté. Nous disposons, dans le cadre global des 190,5 milliards d'euros de crédits prévus en tout pour la Défense pour la période 2014-2019, d'une dissuasion nucléaire crédible, à la hauteur de nos ambitions et cohérente avec notre modèle d'armée. Nous pouvons en être fiers.
Quant à la formation, il ne faut pas l'isoler des autres sujets. On a déjà beaucoup réduit les moyens ces vingt dernières années et notre système de formation est très envié par nos alliés. Si nous réussissons dans nos OPEX, c'est parce que nos soldats sont bien formés. Il faut donc faire attention avant de changer de système.
Cela dit, il faudra encore faire des économies en la matière, car on peut faire mieux. Si on peut mener des réformes structurelles sur le plan géographique, elles ont des coûts en termes d'infrastructures, qui ne sont pas budgétés, et des effets sur l'aménagement du territoire qui doivent aussi être étudiés.
On peut également optimiser certains domaines, comme l'étude de l'anglais ou l'enseignement militaire supérieur.
Par ailleurs, je mets en garde contre les fausses bonnes idées : les cultures d'armée sont une réalité ; l'interarmisation n'est donc pas l'homogénéisation ou l'uniformisation, mais le respect de ces cultures.
Enfin, nous allons aussi avancer dans les nouvelles méthodes pédagogiques et l'e-learning et il y aura sans doute des actions à mener avec le monde civil et celui de l'éducation.
La séance est levée à onze heures quinze.