L'audition débute à dix-sept heures trente-cinq.
La table ronde qui s'ouvre est consacrée aux associations impliquées dans l'action humanitaire. Elle réunit M. Jean-Louis Vielajus, président de Coordination Sud ; M. Olivier Lebel, directeur général de Médecins du Monde ; M. Pierre-Yves Crochet Damais, du Comité catholique contre la faim et pour le développement (CCFD) ; M. Aurélien Daunay, directeur des affaires financières de l'Agence d'aide à la coopération technique et au développement (ACTED), et M. Adrien Tomarchio, directeur de la communication.
Avant tout, je souhaite exprimer à MM. Daunay et Tomarchio la compassion et la solidarité de l'ensemble des membres de cette Commission à la suite de l'odieux assassinat de leur collègue David Haines. Je rends hommage à la mémoire de celui-ci.
Les associations d'aide humanitaire ont vocation à soutenir les populations vulnérables de par le monde et à les accompagner dans la construction d'un avenir meilleur en apportant une réponse adaptée à leurs besoins. Elles sont donc au coeur de cette solidarité si nécessaire à notre temps et qui ne peut s'arrêter à nos frontières. Leur mission consiste non seulement à répondre à l'urgence, mais aussi à construire un véritable développement qui réponde aux aspirations des femmes et des hommes auprès desquels elles interviennent.
Messieurs, alors que la crise réduit l'importance des ressources disponibles et produit peut-être un resserrement des esprits, pouvez-vous faire le point sur les difficultés qui en résultent pour votre fonctionnement, que ce soit en termes de ressources financières, de recrutements de bénévoles, de mobilisation de vos adhérents, d'évolution de l'emploi salarié, de complexité administrative, etc. ? La puissance publique se met-elle en retrait, selon vous ? L'engagement est-il une valeur en déclin ? Est-on encore suffisamment ouvert aux dons – dons d'argent, don de soi ?
Mais, au préalable, conformément aux dispositions de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958, je dois vous demander de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.
(MM. Jean-Louis Vielajus, Olivier Lebel, Pierre-Yves Crochet Damais, Aurélien Daunay et Adrien Tomarchio prêtent serment)
Je vous remercie de votre solidarité et de votre soutien. En tant qu'humanitaires, nous sommes choqués par l'assassinat odieux de notre collègue David Haines, qui effectuait une mission en Syrie pour venir en aide aux populations de ce pays. Nous avons reçu des milliers de messages de soutien et de solidarité de la communauté humanitaire, en France et à travers le monde, des pouvoirs publics, de nos partenaires sur le terrain et de nos employés. Ces témoignages nous touchent profondément.
L'assassinat de David va à l'encontre des principes humanitaires, mais au-delà, il touche ACTED, il touche la communauté humanitaire, il touche l'humanité. Nous allons tout faire pour que ce crime barbare ne reste pas impuni. Nous allons déposer plainte en France. Nous souhaitons également lancer un projet de fonds avec la communauté humanitaire, les citoyens français et européens et même du monde entier, afin que les crimes contre les travailleurs humanitaires et les journalistes présents sur le terrain soient qualifiés de crimes contre l'humanité, afin qu'ils deviennent imprescriptibles et que leurs auteurs soient jugés. Nous pourrons mener ce combat avec votre soutien.
Pour autant, ce crime ne doit pas nous détourner de notre mandat et de notre engagement en tant qu'humanitaires. C'est pourquoi nous avons tenu à être présents parmi vous aujourd'hui pour répondre à vos questions, témoigner des problèmes auxquels nous sommes confrontés, et vous présenter les solutions que nous essayons de trouver pour résoudre nos difficultés financières – accès à des budgets pour financer nos activités, problématiques de fonds propres et de liquidités.
Le risque financier est porté par un grand nombre de petites et moyennes associations en France. ACTED est une organisation non gouvernementale (ONG) qui intervient dans 35 pays et emploie 4 000 personnes à travers le monde. Il y a dix ans, elle était encore une petite association, mais elle s'est énormément nourrie de l'expérience des autres ONG françaises. Cela fait quinze ans que nous réfléchissons aux défis que nous avons à relever.
La crise des financements, à laquelle font face les associations et certaines ONG humanitaires, est à l'origine d'un changement de paradigme qui oblige à repenser nos modèles de financement et de gouvernance. Cela est d'autant plus important que les ONG évoluent dans un monde compétitif. Il faut le dire clairement, nous sommes en compétition avec d'autres acteurs : structures anglo-saxonnes “non profit”, entreprises européennes, organisations issues des pays où nous intervenons, mais aussi entreprises privées étrangères qui répondent à des appels à propositions d'aide au développement.
En tant qu'association loi de 1901, ACTED a des valeurs à défendre. Nous devons démontrer avant tout la pertinence et l'utilité de nos interventions et de nos modèles, offrir des garanties de transparence et de responsabilité, mais aussi être perçus comme des acteurs innovants, entreprenants – voire, entrepreneurs. À cet égard, il est très important que le cadre juridique associatif offre des instruments qui permettent aux associations de défendre leurs actions et de se développer.
En partenariat avec le Crédit coopératif, nous avons pu mener des actions en nous appuyant sur la loi sur l'économie sociale et solidaire.
Dans un contexte de crise des financements – publics, privés ou collectés auprès du grand public –, la diversité des fonds levés est un facteur très important pour ACTED. Comme l'a souligné Adrien, nous essayons de repenser notre intervention à travers le monde. Nous avons ainsi développé une institution de microfinance qui récolte des fonds auprès du secteur privé. La définition du périmètre de l'économie sociale et solidaire – qui intègre les acteurs historiquement associés, mais aussi d'autres types de structures, comme les coopératives, les entreprises à lucrativité limitée – nous permet ainsi d'être mieux reconnus vis-à-vis des investisseurs et même du secteur associatif.
Ainsi, l'article 70 du texte de loi nous a permis de lever en deux ans 5 millions d'euros sous forme d'obligations associatives et de titres associatifs. Je me permets de rappeler ce que sont ces deux outils. L'obligation associative une dette avec une échéance et une rémunération prédéterminées, enregistrée dans les comptes de l'association dans ses emprunts. Le titre associatif est une dette perpétuelle remboursable à l'initiative de l'émetteur, enregistrée dans les comptes de l'association dans ses fonds associatifs, ce qui permet de renforcer le haut de bilan de la structure. La loi a prévu une possibilité de clause de remboursement automatique du titre associatif dans le cas où les résultats cumulés de l'association sur sept années consécutives permettent de recouvrir au minimum le montant de celui-ci.
Nous avons commencé à lever des fonds en 2012. Ils nous ont permis de lancer des opérations d'urgence aux Philippines et dans les pays limitrophes de la Syrie, mais aussi de relancer nos activités au Liban. Il faut savoir qu'entre la signature d'un contrat avec les bailleurs de fonds institutionnels, qui sont nos financeurs, et la mise en oeuvre de nos activités, le temps peut être long. Ces obligations et ces titres nous permettent donc de préfinancer nos activités humanitaires.
Nous avons également pu venir en aide à des populations en leur prêtant des fonds via la micro finance, à des coûts peu élevés. Près de 6 000 personnes ont ainsi été aidées grâce à notre institution de microfinance, OXUS.
Ces outils existaient depuis 1985 et ont été remis au goût du jour par la loi. Lors du septième forum de Convergences, les acteurs du secteur associatif ont pu échanger à ce sujet avec les acteurs du secteur bancaire et les représentants de l'État. Le renforcement des capacités de financement pour les activités du secteur associatif à vocation humanitaire internationale est essentiel. À ce titre, l'économie sociale et solidaire, les fonds d'épargne solidaire, les fonds 90-10, présentent un grand intérêt pour nos associations.
Le CCFD-Terre solidaire est une association de solidarité internationale qui agit dans trois domaines.
Le premier est le partenariat à l'étranger. Nous avons 450 associations partenaires dans 60 pays et n'envoyons pas d'expatriés. Ainsi, l'ensemble de nos missions témoigne d'un choix, d'une confiance réciproque et d'un cheminement de long terme.
Le deuxième domaine est l'éducation au développement. Nos 7 500 bénévoles interviennent à l'étranger mais aussi en France, dans les écoles, grandes écoles, universités, et viennent vous interpeller lors des campagnes électorales…
Enfin, le troisième domaine est le plaidoyer. La campagne contre les paradis fiscaux en est un exemple.
Notre budget, qui est passé de 40 millions à 38 millions d'euros, est essentiellement financé par la collecte et les dons. Nous faisons face à deux difficultés.
La première est la baisse de la collecte, liée à la crise économique et sociale. La générosité des donateurs historiques reste très forte – ils ont même augmenté leurs dons moyens –, mais nous avons du mal à recruter de nouveaux donateurs, comme d'autres associations. Aussi plaidons-nous pour le maintien du statut fiscal des dons aux associations et aux fondations. Il s'agit d'un enjeu sociétal majeur.
Avec le « Comité de la charte et du don en confiance », les associations se sont dotées de règles déontologiques strictes, afin de rendre compte en toute transparence à leurs donateurs et de respecter le cadre de leur mission sociale. Elles sont soumises au contrôle des autorités de tutelle – Cour des comptes, bailleurs –, mais il ne faudrait pas que nous passions trop de temps à rendre des comptes sur nos comptes si nous voulons continuer à nous consacrer à nos missions essentielles !
Deuxième difficulté : nous constatons un moindre intérêt pour la solidarité internationale, plus spécialement pour le développement et le partenariat de long terme. Bien sûr, nous agissons aussi dans l'urgence : en Haïti, le lendemain du tremblement de terre, nos partenaires locaux nous ont fait part de leurs besoins les plus urgents et nous avons pu mobiliser des fonds et agir le surlendemain. Cela étant dit, si la solidarité internationale reste un sujet difficile, l'opinion publique doit comprendre que l'aide aux pays défavorisés contribue à résoudre nos propres problèmes. C'est un message fort que je tenais à vous livrer.
Le deuxième thème sur lequel je veux intervenir est l'utilité sociale des ONG au regard du rapport Faber. Loin de moi l'idée de porter un jugement sur les entreprises désireuses d'entrer dans l'économie sociale et solidaire, mais il s'agit de dire qui fait quoi et qui doit faire quoi. La tendance actuelle des pays du Nord étant de confier au secteur privé les enjeux de développement, les fonds en question vont à de grandes entreprises privées et non plus aux ONG. Cette vision du développement sous-tendue par la croissance économique n'est pas fausse, mais ne doit pas devenir exclusive. En effet, les projets confiés à des entreprises des pays du Nord risquent de mettre de côté des domaines indispensables à la société civile.
Les pays du Sud doivent avoir une vraie politique sociale – santé, école, petite agriculture. Que des entreprises puissent contribuer à ces politiques n'est pas gênant ; par contre, le développement dans ces pays ne sera pas possible sans démocratisation. Cela suppose une mobilisation citoyenne des sociétés concernées et un appui au renforcement institutionnel des sociétés civiles du Sud, ce qui ne peut être fait que par les ONG. C'est le travail que nous essayons de faire avec nos partenaires – et je peux vous dire que nous arrivons à faire des choses, y compris en Chine, en matière de mobilisation citoyenne ! Ce développement passe aussi par les aides des pays du Nord aux pays du Sud, mais aussi par les syndicats.
À l'appui de mes propos, je vous laisserai deux documents. Le premier, réalisé par le CCDF-Terre Solidaire et l'Agence française de développement (AFD), traite du partenariat avec les sociétés civiles pour le développement. Le second, intitulé « Le baromètre des sociétés civiles », que CCDF-Terre Solidaire publiera tous les ans en partenariat avec l'Institut des relations internationales et de la stratégie (IRIS), donne le pouls des dynamiques sociales dans le monde à travers des analyses par région et par pays.
Médecins du Monde est une association internationale de militants actifs en France et dans quarante autres pays. À partir d'expériences médicales innovantes et d'un plaidoyer basé sur les faits, nous mettons les communautés en capacité de prendre en main leur santé, tout en nous battant pour un accès universel aux soins.
Notre modèle économique repose sur les dons, qui représentent les deux tiers de notre budget, le financement public de structures françaises étant inférieur à 5 %. Notre budget en 2014 s'élève à 75 millions d'euros. Nous avons 1 500 salariés et 2 000 bénévoles, ces derniers étant essentiellement basés en France.
J'aborderai trois sujets : une relative insécurité en matière de financements publics ; les financements privés ; et deux points spécifiques de droit.
En termes de financements publics, nous avons un souci vis-à-vis des grandes structures, notamment anglo-saxonnes. Aussi pensons-nous que la France doit avoir une politique forte en faveur des acteurs français de solidarité internationale, qui passe notamment par une augmentation de la part de l'aide publique au développement transitant par les ONG.
Nous avons également un souci vis-à-vis de la DG Echo (Direction générale de l'aide humanitaire), car elle est dans une situation financière préoccupante, notamment en raison d'un décalage entre ses crédits d'engagement et ses crédits de paiement. La baisse du budget de la DG Echo en 2015 risque d'être préjudiciable aux projets des ONG françaises intervenant à l'international, ce qui aurait de graves conséquences pour les personnes vulnérables en Palestine, en Irak, en Syrie, en République centrafricaine. Aussi est-il important pour la France de soutenir ce budget de l'Union européenne en faveur de l'action internationale.
Deuxième sujet : la fiscalité des dons privés. Je rappelle la nécessité de sécuriser la fiscalité des dons – il ne s'agit pas d'une niche fiscale, le donateur ne s'enrichit pas en faisant un don. Par ailleurs, un projet de circulaire de Bercy a précisé les pays dans lesquels une action menée par une association française peut donner lieu à déductibilité fiscale pour les dons – c'est ce que l'on appelle la territorialité des dons –, selon des considérations de richesse moyenne du pays. Or nos dons sont généralement non affectés – on ne peut dire à quel pays ils sont attribués. Et une mesure selon laquelle une déduction est possible pour un don en Haïti, mais pas en Colombie, entraînera une très grande confusion pour le donateur et, par conséquent, un risque de remise en cause de la ressource.
Effectivement. Mais si Médecins du Monde voit ses dons croître d'année en année – de 4 % en 2014 –, ce n'est pas le cas de toutes les associations.
Une autre menace pèse sur les dons au regard du principe de mutualisation. Lorsque nous citons un exemple d'action, nous précisons aux donateurs que les dons peuvent être utilisés pour d'autres causes si besoin. Ce principe est essentiel pour notre modèle économique et celui des autres ONG françaises de solidarité internationale, comme Handicap International ou Action contre la faim.
Enfin, les dons par SMS ne sont pas possibles en France en raison d'une interprétation restrictive de la directive sur les services de paiement du 13 novembre 2007, l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution considérant que les opérateurs téléphoniques devraient devenir opérateurs de services de paiement, ce qu'ils refusent. En l'occurrence, se pose un problème de traduction du mot « cash » par le terme français « espèces ». Un coup de pouce nous serait utile.
Je termine par deux points spécifiques de droit.
L'article 22 de la loi n° 2010-873 du 27 juillet 2010, dite loi Kouchner, prévoit que l'État peut demander le remboursement des frais de secours engagés pour sauver une personne en situation dangereuse à l'étranger. Lors des débats parlementaires, il était entendu que les humanitaires seraient exonérés, mais les textes d'application ne le prévoient pas. Nous avons demandé au ministre des affaires étrangères de prendre un arrêté en ce sens. Une question au gouvernement à ce sujet pourrait utilement nous aider.
Enfin, une convention européenne – de mémoire de 1996 –, ratifiée par onze États, permet la reconnaissance de la personnalité juridique aux ONG dans un pays signataire. Or actuellement, nos activités en Turquie – où nous sommes très actifs pour pouvoir agir en Syrie – ne sont pas reconnues, ce pays n'étant pas signataire. Remettre au goût du jour cette convention serait une aide précieuse pour nous.
Coordination Sud – Solidarité Urgence Développement est la coordination nationale des ONG françaises de solidarité internationale. Elle rassemble 150 membres représentant la quasi-totalité des grandes ONG françaises, beaucoup de moyennes ONG, et des réseaux de petites associations. Notre action vise à apporter de l'information à nos membres, à créer des espaces de travail thématique, et à dialoguer de façon régulière avec nos différents interlocuteurs politiques, nationaux et européens, sur l'humanitaire et le développement.
Les ONG françaises présentent une grande diversité – plusieurs milliers d'associations –, de Médecins sans frontières jusqu'aux petites associations bénévoles sur l'ensemble du territoire qui sont en général engagées dans une coopération avec un village ou un acteur dans un pays.
Vous avez entendu trois représentants de grandes ONG, qui ont soulevé des questions spécifiques. Nous les soutenons dans leur démarche, même si nos difficultés ne sont pas forcément de même nature.
Je tiens à souligner la reconnaissance de l'opinion publique envers les associations de solidarité internationale, comme en témoignent les millions de donateurs et les 200 000 bénévoles. Cette reconnaissance est également celle des responsables politiques, et je suis heureux de constater que le Conseil national du développement et de la solidarité internationale, promis par le Président de la République, va démarrer ses travaux dans quelques jours.
Je vais insister sur les questions de financement.
D'après nos enquêtes, une association reçoit en moyenne 55 % de financement privé et 45 % de financement public.
Les financements privés proviennent, d'abord, des donateurs individuels, ensuite, des fondations. Ainsi, le nerf de la guerre de nos ONG, ce sont les financements privés et en premier lieu les donateurs. S'agissant de la fiscalité des dons, des avancées heureuses ont été réalisées ces derniers temps au regard de la territorialité. Nous plaidons auprès de nos interlocuteurs pour l'intégration de la dépense fiscale dans l'aide publique au développement, ce qui améliorait le montant de cette dernière et réglerait cette question fiscale récurrente.
Le financement public de nos associations est, d'abord, européen et international, et ensuite, français.
Le financement européen est donc le plus important. La DG Echo, qui finance les actions humanitaires d'urgence, est un très bel instrument, sauf quand s'il s'enraye, ce qui est le cas actuellement. Il est primordial d'alerter la représentation à Bruxelles sur ce problème.
Le deuxième instrument européen est EuropeAid, qui finance des projets de développement. En 2011, cette organisation a financé 130 millions d'euros aux ONG françaises. Le problème est qu'elle élabore des appels d'offres, pour lesquels les chances de gagner sont de 6 % seulement. Dans ces conditions, il est impossible de bâtir des programmes de moyen terme avec des partenaires partout dans le monde. Face à cette incertitude, un nombre croissant d'associations souhaite se passer de ce financement européen.
La France s'est engagée depuis 2012 à multiplier par deux le financement de l'action des ONG. Dans un rapport de 2013, l'OCDE indique que l'aide publique française au développement transitant par les ONG s'établit à 99 millions d'euros, contre 263 millions d'euros pour la Belgique – deux fois et demi plus –, 713 millions d'euros pour l'Allemagne, sept fois plus, et 1,7 milliard d'euros en Grande-Bretagne, soit dix-sept fois plus !
On entend dire que les ONG françaises sont des nains par rapport à leurs collègues anglo-saxons, que nous ne comptons pas dans la compétition internationale des ONG. D'abord, nos humanitaires comptent – le « sans-frontiérisme » est le fait des humanitaires français. Surtout, d'autres États consentent des efforts significatifs pour faire passer l'aide publique au développement par le canal des ONG. Et l'enveloppe globale de 99 millions d'euros au titre de l'aide française au développement est largement inférieure à celle d'EuropeAid.
Toujours au titre des financements publics nationaux, les collectivités territoriales font des efforts certains et nous faisons des choses très intéressantes avec elles. Malheureusement, les aides sont en baisse actuellement.
Quant au Fonds d'urgence humanitaire, il est doté de 8 millions d'euros – à comparer aux centaines de millions d'euros de la DG Echo. Nous avons appris qu'il serait abondé tous les ans d'un million d'euros, mais cette augmentation n'est pas à la hauteur des enjeux – je pense à l'épidémie d'Ebola, à la situation en République centrafricaine, au Mali, etc.
Vous l'avez compris, nos associations font face à une incertitude liée à la compétition pour le financement européen et l'engorgement des guichets français.
J'ajoute que le financement se fait par enveloppe sur des projets. Nous devons donc décrire nos projets en détail, indiquer un chiffre, mais l'Union européenne refuse de financer nos salariés – elle entend payer les dépenses de terrain, pas celles de nos organisations. Ainsi, un bon projet est un projet qui n'a pas utilisé de ressources humaines européennes ou françaises et pour lequel la dépense correspond exactement à la somme prévue. Or cela n'existe pas ! Ces logiques administratives et d'enveloppe nous compliquent la vie ! Il faut faire confiance aux associations.
En outre, les associations bien gérées devraient pouvoir faire des bénéfices, consolider leur haut de bilan, avoir des fonds propres, mener des travaux de formation, de recherche. Or tout cela est impossible dans la logique actuelle des financements publics.
Enfin, pourquoi une telle défiance vis-à-vis de nos structures ? Une grande association française, non représentée ici, nous a indiqué avoir connu l'année dernière 134 audits – européens principalement, mais aussi français – sur leurs projets, ce qui a nécessité trois personnes à plein temps pour recevoir les auditeurs, qui n'ont finalement pas découvert grand-chose car il s'agit d'une grande ONG bien gérée. Aucune entreprise privée ne subit autant de contraintes en matière de contrôle, alors que nous garantissons une totale transparence financière grâce au « Comité de la charte du don en confiance » auquel nous adhérons.
Le Conseil national du développement et de la solidarité internationale (CNDSI), au sein duquel je vais siéger, sera un lieu de concertation entre partenaires publics et associations, dans la foulée de la loi relative à la politique de développement et de solidarité internationale que nous venons de voter.
M. Daunay a parlé du titre associatif, outil mobilisable pour consolider les fonds propres, et plusieurs d'entre vous ont abordé la dimension du développement économique. Des produits de placement à long terme, des produits d'investissement dans des entreprises de l'économie sociale et solidaire, permettraient-ils de consolider vos actions ?
Vous avez pointé les comportements défaillants ou contradictoires des entreprises. Mais des partenariats se nouent et, dans les pays anglo-saxons particulièrement, apparaît un concept d'entreprise sociale qui aurait vocation à prendre l'espace occupé par le secteur associatif. Comment promouvoir un modèle à la française d'un partenariat entre entreprises et associations ? L'outil fondation, par exemple, pourrait-il constituer un réceptacle pour ce genre de partenariat ? Et quelle règle faudrait-il ajouter au fonctionnement des fondations pour promouvoir un partenariat riche et vertueux ?
J'ai beaucoup apprécié les interventions.
Monsieur Vielajus, il serait intéressant que vous nous fournissiez des éléments de comparaison autres que chiffrés.
Vous avez indiqué que l'action des collectivités locales dans le domaine de l'humanitaire diminue. Certes, la réforme territoriale fait craindre, en cas d'interlocuteur unique, une baisse de la participation en faveur des ONG. Mais une meilleure coordination du travail des collectivités vous paraît-elle possible ? N'y a-t-il pas un émiettement de l'action dans certains cas ?
Cette excellente question rejoint celle de M. Marsac.
À mes yeux, l'avenir des coopérations pour le développement passe par les coopérations entre territoires, dont les intérêts peuvent se rencontrer malgré leur très grand éloignement – je pense à des actions très intéressantes conduites par la région Bretagne au Burkina Faso. Plutôt que de considérer les ONG comme des contracteurs ou de financer n'importe quel projet, les collectivités doivent s'attacher à mener des projets de coopération en lien avec les ONG et les entreprises. Ainsi, une partie du lien entre associations et entreprises se fera par les territoires. Les entreprises utiles à l'international ne sont pas forcément de grandes multinationales d'origine française, ce sont aussi toutes les PME implantées dans vos territoires – j'y vois une chance.
La question est de savoir quel niveau de territoire peut impulser des projets territoriaux de coopération. Quelle sera la place de ces plus grandes régions ? Les ONG seront très intéressées à dialoguer sur le sujet. Pour moi, c'est l'un des enjeux de l'avenir de la coopération.
Nous avons rencontré beaucoup de résistance de la part d'investisseurs car les outils innovants comme le titre associatif sont encore peu connus. Il me semble donc nécessaire de réfléchir à des mécanismes de garantie ou d'accompagnement pour améliorer la visibilité de ce type d'outil.
Je pense également utile de faire la promotion des development impact bonds ou social impact bonds, développés au Royaume-Uni. Un certain nombre d'acteurs réfléchissent aujourd'hui à ces instruments qui lient opérateurs, investisseurs et représentants publics dans le cadre d'un projet.
Nous avons une expérience de trente ans avec Solidarité internationale pour le développement et l'investissement (SIDI), société financière qui finance du micro-crédit dans une trentaine de pays, pour laquelle nous avons monté un partenariat avec l'Agence française du développement (AFD) afin de lever des fonds dans un contexte social et solidaire extrêmement cadré juridiquement.
Je crois également beaucoup à l'outil fondation. Une fondation d'entreprise n'est pas l'entreprise elle-même, elle a une personnalité juridique et un objet social propres. Le CCFD a lancé une fondation, que nous espérons voir approuver par les autorités de tutelle – ministère de l'intérieur et Conseil d'État. Nous considérons en effet qu'il faut profiter de la souplesse apportée par ce type d'outil.
On n'imagine pas les entreprises sociales supplanter le modèle non lucratif du champ de la santé. Médecins du Monde est très sensible au maintien de systèmes non fondés sur une logique de profits. J'ignore comment cette logique sera défendue au sein du CNDSI, où le secteur de la santé est sous-représenté puisque ni Handicap International, ni Médecins du Monde, ni Médecins sans frontières n'y siègent. Mais a priori, le risque est faible, car aucune entreprise sociale dans notre pays n'intervient dans le champ de la santé.
L'audition s'achève à dix-huit heures quarante.
Membres présents ou excusés
Commission d'enquête chargée d'étudier les difficultés du monde associatif dans la période de crise actuelle, de proposer des réponses concrètes et d'avenir pour que les associations puissent assurer leurs missions, maintenir et développer les emplois liés à leurs activités, rayonner dans la vie locale et citoyenne et conforter le tissu social.
Réunion du 23 Septembre 2014 à 17 h 35
Présents. – M. Alain Bocquet, M. Jean-Louis Bricout, M. Jean-Noël Carpentier, Mme Sophie Dion, Mme Françoise Dumas, Mme Marie-Hélène Fabre, M. Guénhaël Huet, M. Régis Juanico, Mme Bernadette Laclais, M. Jean-René Marsac, M. Frédéric Reiss.
Excusés. – M. Yannick Favennec, M. Philippe Vitel.