La séance est ouverte à neuf heures trente.
Nous ouvrons aujourd'hui un cycle d'auditions consacré au service civique – ou service national républicain – quel que soit le nom qui sera finalement retenu et qui s'adressera à la jeunesse. La semaine prochaine, nous entendrons la directrice générale de l'Établissement public d'insertion de la défense (EPIDe), le commandant du Service militaire adapté (SMA) et le président de l'Agence du service civique (ASC), M. François Chérèque ; ces auditions nous donneront une vue assez large de la question. Ce matin, nous souhaitons comprendre ce qui peut être fait au sein de nos armées. Notre commission a décidé de créer une mission d'information sur le sujet, dont les rapporteurs, Marianne Dubois et Joaquim Pueyo, seront les premiers à vous interroger. Je vous cède la parole pour un propos liminaire où vous dresserez un état des lieux de la question et nous ferez part de vos idées et suggestions.
Je suis honoré de m'exprimer devant vous. L'article L. 111-1 de la loi du 28 octobre 1997 portant réforme du service national stipule : « Les citoyens concourent à la défense et à la cohésion de la Nation. Ce devoir s'exerce notamment par l'accomplissement du service national universel. » L'article L. 111-2 ajoute : « Le service national universel comprend des obligations : le recensement, la journée défense et citoyenneté et l'appel sous les drapeaux. Il comporte aussi un service civique et d'autres formes de volontariat. La journée défense et citoyenneté a pour objet de conforter l'esprit de défense et de concourir à l'affirmation du sentiment d'appartenance à la communauté nationale, ainsi qu'au maintien du lien entre l'armée et la jeunesse. L'appel sous les drapeaux permet d'atteindre, avec les militaires professionnels, les volontaires et les réservistes, les effectifs déterminés par le législateur pour assurer la défense de la Nation. » L'appel sous les drapeaux étant uniquement suspendu pour tous les Français qui sont nés après le 31 décembre 1978, il peut être « rétabli à tout moment par la loi dès lors que les conditions de la défense de la Nation l'exigent ou que les objectifs assignés aux armées le nécessitent ».
La journée défense et citoyenneté (JDC), obligatoire pour les jeunes depuis désormais dix-sept ans, constitue le pivot du dispositif du service national universel. Elle représente une politique publique en faveur de la jeunesse et des forces armées, relevant d'une double mission de l'État : sa mission régalienne de défense – information des jeunes sur les enjeux de la défense et de la sécurité nationale, et légitimation de l'effort militaire consenti par la Nation – et sa mission de responsabilité sociale et de cohésion – rappel des droits et devoirs du citoyen avant l'âge légal de la majorité, détection des jeunes en difficulté de lecture auxquels on propose des solutions de remédiation, et initiation au secourisme.
Cette politique publique cohérente est marquée par trois traits dominants. Tout d'abord, elle s'inscrit dans un parcours de citoyenneté faisant intervenir, en amont de la journée, deux acteurs essentiels : l'Éducation nationale pour l'enseignement de défense en classes de troisième et de première, et les collectivités locales – les mairies – pour le recensement à l'âge de seize ans. Elle se matérialise dans un rendez-vous obligatoire, sanctionné par une attestation officielle – le certificat individuel de participation (CIP) –, indispensable pour passer le permis de conduire et se présenter aux examens et concours organisés par la puissance publique. La JDC se caractérise enfin par son universalité et sa mixité puisque c'est la totalité d'une classe d'âge qui y participe – soit, en 2014, plus de 783 000 jeunes, hommes comme femmes, auxquels s'ajoutent quelque 18 000 à 20 000 jeunes Français établis hors de France, même si la responsabilité de la JDC hors de nos frontières incombe au ministère des Affaires étrangères.
Cette politique publique est organisée et mise en oeuvre par une administration dédiée du ministère de la Défense, placée sous l'autorité du secrétaire général pour l'administration : la direction du service national (DSN). Le personnel de ma direction encadre et conduit les JDC au quotidien sur le terrain, en association avec les animateurs militaires, personnels militaires d'active et de réserve qui présentent la mission régalienne de défense. Cette administration est la seule à disposer des informations quantitatives et qualitatives permettant de connaître la ressource nécessaire en cas de rétablissement de l'appel sous les drapeaux pour les jeunes de dix-huit à vingt-cinq ans.
Quelques mots sur le programme de la JDC. Tout d'abord, la journée inclut la présentation, par les militaires d'active et de réserve, de trois séquences de quarante-cinq à cinquante minutes chacune. La première – pourquoi se défendre ? – explique contre quelles menaces et pour quelles valeurs la France utilise ses moyens de défense. La seconde – comment se défendre ? – aborde l'organisation et les moyens des forces armées. Enfin la troisième – puis-je participer à cette défense ? – permet aux animateurs d'informer les jeunes sur les métiers militaires et civils de la défense et de la sécurité, les volontariats, la réserve, les engagements à dix-huit ans, le service civique et les possibilités de remédiation.
Cette journée, qui dure quelque huit heures, représente le seul contact institutionnel direct entre les jeunes Français et les hommes et les femmes qui servent, sous l'uniforme, la défense de leur pays. Les visites de sites militaires, la présentation de matériel, l'animation et les témoignages de militaires rendent cet engagement concret aux yeux des jeunes, faisant de la JDC un vivier potentiel de recrutement pour les armées et la gendarmerie.
Enfin, l'essentiel des participants ayant entre dix-sept et dix-huit ans, la JDC permet de rappeler les droits et devoirs du citoyen avant l'âge légal de la majorité. Elle offre également l'occasion de réaliser une initiation au secourisme et surtout, grâce au partenariat déjà ancien avec le ministère de l'Éducation nationale, des tests sur les apprentissages de la langue française qui permettent de détecter les jeunes en difficulté de lecture.
En 2014, à la demande du ministre de la Défense, le contenu de cette journée a fait l'objet d'une rénovation, afin de répondre à l'orientation fixée par le rapport annexé à la loi de programmation militaire (LPM) 2014-2019 en matière de renforcement de l'impact de la JDC : « Seul lien institutionnel formel subsistant aujourd'hui entre les jeunes et la défense, la JDC est un complément indispensable à une armée professionnelle pour favoriser l'adhésion du citoyen aux objectifs de défense. Il s'agit non seulement de renforcer le volet défense, mais également de moderniser les vecteurs pédagogiques mis en oeuvre, afin de mieux les adapter aux modes de communication et aux sujets d'intérêt des jeunes. » Les réalisations préparées au sein du ministère de la Défense avec la collaboration du ministère de l'Intérieur nous ont permis de redéfinir le programme pédagogique sans le révolutionner. Le déroulé a été entièrement repensé autour des enjeux de la défense et de la sécurité, les messages clés étant rappelés en entrée et en fin de chaque séquence. Nous avons développé l'interactivité avec les jeunes par le biais des questions et des réponses, par petits groupes. Enfin, avec l'aide des moyens audiovisuels du ministère de la Défense, nous avons modernisé et raccourci les clips vidéo. Cette rénovation s'est évidemment accompagnée d'une formation des animateurs militaires à la nouvelle pédagogie qui requiert une implication personnelle plus marquée.
Depuis la création de la journée d'appel de préparation à la défense (JAPD), le 3 octobre 1998, et jusqu'au 31 décembre 2014, douze millions de jeunes Français et Françaises sont passés en JAPD puis en JDC. L'année dernière, ils étaient 783 266 – chiffre en augmentation de 2,6 % par rapport à 2013. L'âge moyen des jeunes qui font leur JDC – dont 84,5 % sont mineurs – s'élève à dix-sept ans et trois mois. Pour animer ces journées, nous avons mobilisé en 2014 plus de 7 000 animateurs militaires, dont 80 % de militaires d'active et 20 % de réservistes ; sur un an, cette charge représente pour les armées 37 700 journées-animateurs. L'accueil se fait sur plus de deux cent cinquante sites car nous souhaitons que les jeunes puissent faire leur JDC le moins loin possible de leur domicile. Ce maillage territorial très développé inclut 71 % de sites militaires et 29 % civils, outre-mer inclus ; 80 % des jeunes font leur JDC en site militaire et 85 % bénéficient soit d'une visite de site, avec présentation de matériel, soit d'animations ou de témoignages de militaires ou d'anciens militaires.
À l'issue des JDC, nous faisons des évaluations à chaud, un système de boîtier électronique permettant aux jeunes de donner leur avis sur la formation reçue avant la remise du CIP. Le taux de satisfaction de la journée – portant sur la qualité de la prestation offerte par la DSN et les armées – s'établit à 88,5 %, en progression de 0,8 point par rapport à 2013. L impact de la JDC sur l'image de la défense et des armées est évalué à 89,2 % ; l'intérêt pour la défense et la sécurité s'élève à 19,55 %. Ces évaluations à chaud pouvant être biaisées, la Délégation à l'information et à la communication de la défense (DICoD) organise depuis deux ans, à la demande du ministère et par le biais d'un institut de sondage, une évaluation à froid, six à douze mois après la JDC. Les taux de satisfaction restent élevés, 73 % des jeunes jugeant, en 2013 comme en 2014, la journée « intéressante » ou « très intéressante ». Le thème le plus marquant est, pour 45 % d'entre eux, la présentation du rôle des armées et de la gendarmerie, qui inclut l'information sur les métiers et les missions de la défense. Enfin, 35 % des participants désirent prendre contact avec les services de recrutement ; nous recueillons leurs coordonnées nominatives pour les transmettre aux armées ou à la gendarmerie. Parmi ces personnes, 26 % ont effectivement pris contact avec un service, soit 9 % de l'échantillon représentatif de plus de 3 900 jeunes interrogés par Internet.
Enfin, nous sommes en mesure de recueillir les souhaits des intéressés s'agissant des suites de la JDC, les jeunes pouvant déclarer leur intérêt et demander des informations complémentaires sur une ou plusieurs armées. En 2014, 224 000 fiches individuelles d'intérêt ont ainsi été transmises aux armées et à la gendarmerie. Par ailleurs, plus de 58 000 jeunes se sont déclarés intéressés par le service civique et 12 700 se sont montrés volontaires pour bénéficier d'une information sur les centres EPIDe ; outre-mer, 3 300 ont désiré en savoir plus sur le service militaire adapté (SMA).
La JDC s'inscrivant dans un parcours de citoyenneté, la période en amont apparaît capitale. L'enseignement de défense – préalable important à cette journée – relève d'une responsabilité de l'éducation nationale inscrite dans le code de l'éducation et fait partie du socle commun de connaissances et de compétences. Dans le primaire, il s'agit d'expliquer les symboles de la République ; dans le secondaire – en classes de troisième et de première –, les programmes d'éducation civique, juridique et sociale (ECJS) et d'histoire-géographie prennent le relais. Le ministère de la Défense a mis à disposition des équipes pédagogiques un DVD-ROM « Enseigner la défense », fruit d'une collaboration entre l'inspection générale du ministère de l'Éducation nationale, l'académie de Créteil et le ministère de la Défense.
Le recensement à seize ans à la mairie du domicile constitue un autre élément important. Cette démarche volontaire du jeune ou de ses parents permet son inscription d'office sur les listes électorales à dix-huit ans, prévue par la loi de novembre 1997. Nous transmettons le fichier de recensement à l'INSEE qui se rapproche ensuite des mairies pour permettre la révision des listes électorales ; pour nous, ce recensement constitue un préalable indispensable à la convocation en JDC. Cette démarche obligatoire – qui peut être effectuée, en régularisation, jusqu'à vingt-cinq ans révolus – peut se faire en se déplaçant physiquement auprès des bureaux de l'état civil de la mairie de résidence ; elle est authentifiée par une attestation de recensement. Mais de plus en plus, nous incitons les jeunes à utiliser la voie électronique, le portail mon.service-public.fr offrant la possibilité de se faire recenser en ligne, avec délivrance d'une attestation dématérialisée. Le service est encore à l'état embryonnaire, mais en septembre 2014, nous avons lancé avec la mairie de Paris une expérimentation beaucoup plus ambitieuse qui met en place un système entièrement dématérialisé de transmission des données ; l'expérience commence à porter ses fruits et devrait être étendue aux grandes agglomérations.
Quelques mots enfin sur l'après JDC. Le 6 novembre dernier, ma direction a conclu un partenariat avec les services de recrutement des trois armées – terre, air et mer. Il s'agit de promouvoir la connaissance des armées et des métiers proposés, et de faciliter la communication sur le recrutement. Nous transmettons régulièrement aux armées les fiches individuelles d'intérêt des jeunes, mais nous avons également demandé aux armées de désigner comme animateurs les cadres des Centres d'information et de recrutement des forces armées (CIRFA) qui ont l'habitude de s'exprimer en public et de communiquer avec les jeunes. Nous nous organisons pour bénéficier de remontées d'informations permettant d'évaluer précisément l'impact de la JDC sur le recrutement dans les trois armées, car nous ne disposons pas encore de statistiques nationales sur cette question. Le 4 mars prochain, le même partenariat sera signé avec la gendarmerie. Le partenariat avec l'Agence du service civique présidée par M. Chérèque, formalisé le 19 janvier 2015, va dans le même sens : faire connaître et promouvoir le volontariat en service civique. Là aussi, nous transmettons les demandes individuelles de renseignement sur le service civique à l'Agence et comptons évaluer précisément l'effet de la JDC sur ce volontariat.
Le partenariat historique avec le ministère de l'Éducation nationale permet de détecter des jeunes en difficulté de lecture. Les tests sur les apprentissages fondamentaux de la langue française, établis par la direction de l'évaluation, de la prospective et de la performance du ministère de l'Éducation nationale, ont été mis en place dès le mois d'octobre 1998 ; leurs résultats appartiennent à ce ministère. Ces tests permettent de définir cinq profils de jeunes, de ceux qui se trouvent en très grande difficulté – les profils 1 et 2 qui correspondent à la définition de l'illettrisme donnée par l'Agence nationale de lutte contre l'illettrisme – à ceux qui connaissent des problèmes moindres – profils 3 à 5. Au total, nous avons ainsi détecté en 2014 76 889 jeunes, soit 9,88 % des participants aux JDC – pourcentage en légère diminution par rapport aux années précédentes. Lorsqu'il s'agit de jeunes scolarisés – 58 912, soit 76,6 % des détectés –, nous transmettons leurs coordonnées aux structures scolaires : inspections d'académie, directions diocésaines pour l'enseignement catholique et directions régionales de l'agriculture pour les lycées agricoles. Les autres – 17 964, soit 23,4 % des détectés – sont reçus en entretien par un représentant de ma direction pendant la journée et se voient proposer des solutions de remédiation. Nous les orientons principalement vers les missions locales d'insertion professionnelle et d'autres dispositifs partenaires, tels que « Savoirs pour réussir » de la fondation des Caisses d'épargne pour la solidarité.
Enfin, ma direction est partie prenante du plan français Garantie européenne pour la jeunesse ; nous contribuons ainsi à la détection des NEETs – personnes n'étant ni en éducation, ni en formation, ni en emploi – au bénéfice du ministère du travail et de l'emploi. Qu'ils aient réussi ou non le test de détection des apprentissages fondamentaux, nous recevons les jeunes non scolarisés et dépourvus de diplôme ou d'emploi pour les orienter, sur une base volontaire, vers les centres EPIDe ou le SMA. Les coordonnées de ceux qui n'ont pas souhaité se tourner vers ces solutions de remédiation sont transmises aux plates-formes de suivi et d'appui aux décrocheurs dans le cadre du plan de lutte contre le décrochage scolaire.
Pour conclure cette présentation, je voudrais dresser un bilan de la politique du service national depuis 1998. Dispositif unique et intégré, la DSN réunit 1 330 civils et militaires qui ont en charge l'organisation, la convocation, la conduite et la réalisation des JDC, en association avec les 7 000 animateurs militaires d'active et de réserve. Détenant la totalité des informations nominatives nécessaires, elle seule peut convoquer les jeunes. Le dispositif est exhaustif et universel, concernant l'ensemble d'une classe d'âge, y compris les jeunes Français résidant à l'étranger, avec une régularisation possible jusqu'à l'âge de vingt-cinq ans. La JDC représente une contribution majeure au lien entre les armées et la jeunesse, faisant connaître le rôle des militaires et fournissant aux armées et à la gendarmerie un vivier de recrutement. Sa façon de transmettre les messages n'est pas figée : le contenu de la JDC évolue, s'adaptant aux nouveaux enjeux de la défense et de la sécurité à partir des réflexions des Livres blancs. Ainsi, en 2011, la JAPD est devenue la JDC, suivant les recommandations du Livre blanc de 2008 qui souhaitait que les préoccupations de sécurité – y compris intérieure – soient mieux prises en compte. Depuis le Livre blanc de 2013, la JDC a fait l'objet d'une rénovation dans le cadre du recentrage sur les messages de défense ; notre pédagogie donne également plus de place à l'interactivité. Grâce aux partenariats interministériels, la JDC se présente comme un dispositif ouvert sur l'extérieur, prenant en compte les besoins sociétaux en évolution : l'évaluation des acquis fondamentaux de la langue française, la lutte contre le décrochage scolaire et l'illettrisme, l'insertion professionnelle, les écoles de la deuxième chance et, à partir de 2016, la sécurité routière. Enfin, mon administration est engagée dans la révolution numérique : au-delà de l'expérimentation réussie avec la mairie de Paris en matière de recensement, nous voulons dématérialiser les procédures administratives concernant les appelés. Ce projet – que l'ampleur des données nominatives à traiter rend particulièrement complexe – devrait voir le jour à la mi-2017.
Je vous remercie pour ces chiffres qui donnent un éclairage intéressant sur cette tranche d'âge et fournissent une base de départ pour nos travaux. Certains membres de notre commission se sont rendus aux JDC et ont pu observer les réactions des jeunes à l'issue de cette expérience.
En effet, il y a quelques semaines, j'ai partagé une demi-journée avec les jeunes d'Orléans et j'ai été frappée par leur intérêt et leur attention à l'égard des présentations.
Les intervenants aux JDC bénéficient-ils d'une formation spéciale pour s'adresser aux jeunes ? Faites-vous appel à des intervenants revenant d'opérations extérieures (OPEX), encore plus susceptibles de capter l'attention de l'auditoire ? À la suite du recentrage de la JDC sur les questions de défense, décidé par le Livre blanc, trouvez-vous son format actuel satisfaisant ? Enfin, quel est le coût de ces journées ?
Monsieur Le Puloc'h, on croirait, à vous entendre, qu'il s'agit non d'une journée, mais de plusieurs semaines, voire de plusieurs mois !
Ce lien entre l'armée et la Nation – et notamment les jeunes – fait l'objet d'un débat permanent au sein de la commission. Avez-vous l'impression que les jeunes sont aujourd'hui moins sensibilisés à leurs droits et devoirs, ainsi qu'aux valeurs républicaines, qu'il y a quinze ans ?
Les chiffres relatifs à la détection des jeunes en difficulté constituent des moyennes ; avez-vous observé des différences entre les jeunes issus du milieu urbain et ceux des départements ruraux, ou bien les taux sont-ils homogènes ?
Quelles actions entreprenez-vous vis-à-vis des jeunes qui ne se manifestent pas au recensement, ni ne répondent à votre convocation ? Peut-on les obliger à venir ? Le code prévoit-il des contraintes ou des sanctions pour ceux qui manquent à ce devoir ?
Enfin, pensez-vous que le format actuel de la JDC est satisfaisant ou bien faut-il le renforcer ?
Madame Dubois, nos intervenants militaires reçoivent une formation préalable de trois jours, dispensée au sein de ma direction ou des armées. Nous ne faisons jamais intervenir un animateur militaire sans qu'il en ait bénéficié.
Nous faisons souvent appel à des militaires revenant d'OPEX ; mon adjoint, le général Houssay, qui se rend souvent aux JDC pour en contrôler le déroulement, peut en témoigner. Nous avons en particulier élargi le vivier des animateurs aux militaires du rang – préalablement formés et encadrés par un militaire de grade plus élevé – ayant servi en Afghanistan ou au Mali. Cette formule que nous expérimentons depuis 2013 a fait ses preuves : les jeunes apprécient d'avoir affaire à des militaires, y compris des membres de la Légion, proches de leur âge et capables de leur parler concrètement de leur engagement.
Les animateurs des centres de recrutement – une affectation généralement brève – viennent des régiments des forces et ont tous participé à des OPEX. Par ailleurs, l'heure d'animation ou de visite sur les sites militaires opérationnels est prévue pour permettre un échange entre les jeunes et les militaires, ceux-ci pouvant témoigner des opérations auxquelles ils ont participé.
Notre ministère ne dispose pas encore d'une comptabilité analytique, mais pour estimer le coût global de la JDC, il faut prendre en compte l'ensemble des charges – les rémunérations et charges sociales (RCS), dont les pensions, les charges de fonctionnement liées à la réalisation de la JDC et le soutien commun assuré par les bases de défense – et évaluer l'investissement nécessaire à l'entretien des infrastructures par le Service d'infrastructure de la défense (SID). Les RCS concernent les salaires des 1 300 membres du personnel civil et militaire de la DSN et les indemnités d'enseignement des animateurs, ces dernières pesant sur le budget des forces armées, soit 83,8 millions d'euros. Notre budget de fonctionnement représente 22,5 millions d'euros, le budget « métier » pour nos besoins propres s'élevant à quelque 18,5 millions et le budget soutien commun, à quatre millions. Les investissements – essentiellement dédiés à l'entretien des infrastructures du service national et aux besoins de développement des systèmes d'information – représentent cinq millions d'euros. Nous subventionnons enfin à hauteur de 30 000 euros l'Agence nationale de lutte contre l'illettrisme. Au total, on aboutit pour 2014 à un coût estimé d'environ 111,3 millions d'euros, soit 142,50 euros par jeune. Ces chiffres figurent dans le rapport annuel de performances fourni au Parlement.
S'agissant de la détection des jeunes en difficulté, nous ne sommes pas propriétaires des résultats des tests ; l'Éducation nationale publie tous les ans une analyse de ces données, y compris par zone géographique et par milieu socioprofessionnel, disponible sur le site du ministère.
Quelques jeunes passent, il est vrai, au travers des mailles du filet, mais nous le constatons a posteriori, quand ils atteignent l'âge de vingt-cinq ans. Par exemple, la classe d'âge de 1988 a épuisé les possibilités de participer aux JDC, et le pourcentage de jeunes qui y ont échappé se situe entre 3 et 4 %. Certains demandent à être exemptés pour des raisons liées à la santé ou au handicap ; il faut également prendre en compte les décès. Enfin, si l'attestation de recensement et le CIP sont indispensables pour se présenter aux examens du permis de conduire et aux examens et concours organisés par la puissance publique – en particulier le Baccalauréat –, certaines administrations et auto-écoles oublient de les réclamer, malgré nos rappels réguliers auprès du ministère de l'Intérieur, des préfectures et des universités. Nous diffusons l'information sur la réglementation dans les collèges et les lycées ; les mairies le font également par le biais de leurs bulletins municipaux et de moyens digitaux. Nos efforts conjugués portent leurs fruits, ne laissant qu'un petit pourcentage d'une classe d'âge passer entre les mailles du filet.
L'ancien programme de la JDC démarrait par une présentation des droits et devoirs du citoyen. Sans avoir beaucoup de recul – j'ai pris mes fonctions à l'été 2012 –, je crois pourtant que nos jeunes en entendent beaucoup parler dans le cadre de leur parcours scolaire, dans les cours d'enseignement civique et moral et d'histoire-géographie. Aujourd'hui, nous intégrons ces éléments aux séquences consacrées à la défense et à la sécurité, car c'est à ces enjeux que nous souhaitons sensibiliser en priorité. Peu relayées par les médias, ces thématiques risquent en effet l'indifférence, même si les événements tragiques récents et les tensions internationales de plus en plus vives les ramènent sur le devant de la scène. C'est pourquoi le ministre de la Défense nous a demandé de réorienter le programme des JDC. Un autre point cependant : aux termes d'un décret, au recto du CIP que nous remettons aux jeunes figure la Charte des droits et devoirs du citoyen, telle qu'elle a été adoptée par le Parlement en 2011.
La question du format de la JDC est complexe : certes, nous serions heureux de disposer de plus de temps, mais allonger la journée – qui s'étend déjà de huit heures et demie ou neuf heures à dix-sept heures ou dix-sept heures et demie – paraît délicat. Nous manquons parfois de temps pour exposer les enjeux de la défense et de la sécurité intérieure, mais nous devrions parvenir à gagner un peu de marge pour 2016.
À mon époque, les trois jours précédant le départ au service militaire permettaient d'évaluer non seulement les acquis, mais également l'état de santé des appelés. Ce dernier aspect semble manquer dans la JDC ; ne faudrait-il pas songer à l'introduire ? Les jeunes souffrant souvent d'addictions, on pourrait profiter de ce moment pour les informer sur ce phénomène.
Malgré les taux de satisfaction dithyrambiques, à chaud et à froid, les jeunes semblent déçus de la rapidité de la JDC. Après ce terrible mois de janvier, il faudrait trouver un compromis qui leur permettrait d'aller plus loin. Je suis opposé au retour du service national d'autrefois, impossible à organiser et dépourvu d'intérêt étant donné l'évolution de notre société. En revanche, je propose de transformer la journée en une semaine défense et citoyenneté, avec un programme sur cinq jours incluant la défense, mais aussi la sécurité intérieure, la sécurité civile, la justice, le pénitentiaire et la mémoire. En effet, malgré son intérêt, le service civique volontaire n'a-t-il pas pour principale fonction de se substituer à certains emplois aidés ?
J'ai participé à la JDC le 28 novembre en Saône-et-Loire, à Mâcon, et j'ai apprécié la qualité de la formation et des intervenants, ainsi que la séquence du boîtier électronique. Je pense qu'il faudrait allonger la formation à deux journées pour que les jeunes rencontrent des chefs d'entreprise ou des acteurs associatifs.
Vous avez évoqué l'universalité, la mixité et l'égalité qui caractérisent les JDC. Les jeunes en situation de handicap sont-ils toujours aussi nombreux à se faire dispenser ? Il faut éviter de les exclure de la vie citoyenne ; comment mieux les intégrer ?
Comment coordonnez-vous vos actions avec la mission locale ?
Les évaluations conduites à l'occasion de la JDC permettent d'accompagner les jeunes en rupture ou en décrochage scolaire – une mission à saluer.
Il est utile de revenir sur le bilan de la JDC depuis 1997. Les jeunes parlent peu de cette journée qui fait partie de leur cursus scolaire sans les marquer particulièrement ; il faudrait sans doute en revoir le format et en allonger la durée. En effet, les trois jours avant le service militaire permettaient autrefois de conduire toute une série d'évaluations. Allonger la formation aurait un coût ; mais ne serait-il pas possible d'organiser une formation de deux ou trois jours, répartis sur l'année scolaire, au sein des collèges ou des lycées ? Par ailleurs, il ne faudrait pas en faire des journées fourre-tout où l'on parle de tout et de rien ; il faut cibler la formation sur la responsabilité, la fierté, nos valeurs et l'esprit civique.
Les jeunes des banlieues qui quittent tôt le cursus scolaire ont-ils obligation, eux aussi, d'effectuer la JDC ?
Avez-vous subi une baisse de vos moyens humains dans le cadre de la révision générale des politiques publiques (RGPP) et de la modernisation de l'action publique (MAP) ? Quelles sont les principales difficultés que vous rencontrez dans l'organisation des JDC ? Pensez-vous qu'une seule journée suffise pour faire prendre conscience aux jeunes des enjeux de la défense ? Est-il exact que 18 à 20 % des jeunes échappent à l'obligation d'y participer ? Comment voyez-vous la mise en place du nouveau service civique annoncé ?
La loi avait initialement prévu la possibilité de délivrer un certificat médical à tous les jeunes qui passent en JDC ; malheureusement, cette disposition n'a jamais été appliquée, pour des raisons financières. Cependant, la JDC offre à l'Observatoire français des drogues et des toxicomanies, notre partenaire, l'occasion d'organiser une enquête tous les trois ans par questionnaire anonyme.
La journée peut paraître courte et dense, mais les jeunes n'y restent pas indifférents ; certes, la JDC n'est pas médiatique, mais les retours montrent qu'elle sème une petite graine dans leurs esprits. Cela reste insuffisant et le débat démocratique est légitime, mais nous parvenons à briser le mur de l'indifférence. En effet, la ghettoïsation représente le risque majeur pour l'armée professionnalisée qui a besoin de la jeunesse pour se renouveler.
Madame Gueugneau, les jeunes en situation de handicap ont le droit de participer à la JDC et n'en sont exemptés qu'à leur demande, ou à la demande de leurs parents. Si tous nos sites ne sont pas accessibles aux personnes à mobilité réduite, et que les appelés du service national sont soumis à des règles spécifiques, nous nous organisons pour accueillir tous ceux qui le souhaitent. J'ai ainsi vu un père accompagner son fils handicapé mental.
Nous ne pouvons pas plus nous substituer aux missions locales qu'aux EPIDe ou au SMA. Nous nous contentons d'un rôle de détection et d'alerte, des organismes spécialisés étant ensuite censés venir en aide aux jeunes en difficulté. Malheureusement, nous ne bénéficions pas de retours de leur part. En revanche, ma direction confie à des volontaires en service civique la mission d'accompagner les jeunes en difficulté de lecture et de vérifier qu'ils ont pris contact avec la mission locale ou avec d'autres organismes. Cette expérience, très limitée, fonctionne bien, l'accompagnement se révélant utile tant pour les jeunes en difficulté que pour les volontaires auxquels il donne une première expérience professionnelle – qui ne relève pas d'un contrat aidé.
De 2008 à 2012, la DSN a perdu 50 % de ses effectifs, entre réorganisations territoriales, dissolution de centres et délocalisations. Les effectifs chargés du soutien commun ont été transférés dans le cadre de l'embasement, et une partie de mon personnel a rejoint le Service historique de la défense lorsque les archives des anciens appelés et militaires métropolitains ont été transmises au Centre des archives du personnel militaire de Pau. Face à cette réduction des effectifs, il a fallu nous réorganiser.
Les JDC représentent une mécanique complexe qui nécessite une solide logistique. J'ai notamment dû lutter contre l'absentéisme des animateurs militaires désignés par les armées et la gendarmerie. En fonction du plan d'abonnement décliné à l'échelle nationale et de la démographie, ces dernières doivent assumer un volume déterminé de jours-animateurs, réparti ensuite au niveau régional entre mes directeurs d'établissements du service national et les correspondants locaux des armées. Lorsqu'un animateur désigné est absent, des solutions palliatives sont mises en oeuvre. Depuis 2012, les armées ont fait beaucoup d'efforts, faisant nettement reculer l'absentéisme. En effet, les armées comme la gendarmerie ont conscience que la JDC permet de les faire connaître.
Comme je l'ai dit, seuls 3 à 4 % d'une classe d'âge échappent à la JDC ; ceux qui ne viennent pas la première fois sont relancés – à condition d'avoir été recensés.
S'agissant de la durée de la JDC, je vous renvoie aux déclarations du ministre de la Défense qui s'est exprimé à l'occasion d'une question d'actualité au Gouvernement le 20 janvier dernier. Compte tenu de la situation actuelle de nos finances publiques, le citoyen que je suis a du mal à imaginer cette formation allongée. En effet, toute prolongation aurait un coût ; une semaine de cinq jours induirait ainsi des dépenses d'hébergement et d'internat considérables, d'autant que nous n'avons plus d'infrastructures adaptées, ni de moyens pour assurer un encadrement suffisant. Malgré tout l'intérêt d'une formation de cinq jours – qui fut d'ailleurs le modèle imaginé, avant la réforme de 1997, pour le « rendez-vous citoyen » –, nous n'en avons plus la capacité.
Autre problème posé par une semaine de cinq jours : quand l'organiser ? Un jeune scolarisé peut se permettre de s'absenter une journée pour effectuer sa JDC, mais difficilement cinq jours. Grouper ces formations sur les périodes de vacances scolaires exigerait une organisation encore plus complexe.
En effet, les JDC ont lieu pendant toute l'année scolaire, y compris les vacances scolaires hormis la période du 14 juillet au 30 août.
L'intérêt de la JDC, centrée sur la défense, est de permettre aux jeunes de se rendre dans un site militaire. Une journée d'initiation et de sensibilisation dans leur lycée risque de susciter peu d'intérêt, alors qu'il s'agit précisément de les sortir du milieu scolaire et de les plonger dans un groupe aux origines socioprofessionnelles mélangées. À ce propos, les jeunes de banlieue – dès lors qu'ils sont Français et qu'ils se sont fait recenser – effectuent leur JDC comme tout le monde.
Face au défi des valeurs républicaines et de la citoyenneté, il faut savoir ce que l'on veut ! Malgré ses défauts, le service militaire offrait l'avantage de la mixité sociale, permettant aux jeunes de tous les milieux et de toutes les couches sociales d'échanger et de créer des liens d'amitié. Les problèmes de coût, de lieux et de personnel sont réels ; mais ne peut-on malgré tout envisager une courte mobilisation, à effectuer durant la dix-huitième année dans des locaux militaires et scolaires ? On pourrait imaginer un format de quinze jours, à partager entre une instruction consacrée aux enjeux de la défense et des missions de service dans des collectivités ou des hôpitaux ; cela donnerait aux jeunes une vision citoyenne et collective de la société.
D'après votre exposé, les 7 000 animateurs militaires relèvent avant tout des armées et échappent en partie à votre contrôle. Alors que la loi de 1997 et 1998 évolue depuis plus de quinze ans, avez-vous des propositions à faire s'agissant de leur formation et êtes-vous en mesure de l'organiser, surtout si l'on s'oriente vers une réforme de la JDC ?
Je suis également favorable à un format plus long : deux à quatre journées, cinq étant peut-être excessif dans la mesure où c'est l'employeur qui paie. Ne peut-on pas imaginer des solutions plus souples en augmentant le nombre de sites d'accueil ? En zone rurale, la formation pourrait être organisée le soir dans des communautés de brigades, ce qui éviterait la nécessité de l'internat. Il faut nous adapter au manque de moyens !
J'ai cru comprendre que les animateurs bénéficiaient d'une indemnité ; mais n'effectuent-ils pas cette tâche sur leur temps de travail ?
Je suis moi aussi étonné par l'absence d'examens de santé. Cela est dramatique car on ne peut plus faire de statistiques sanitaires sur une classe d'âge. Certes, ce n'est pas au ministère de la Défense d'en supporter le coût ; mais ne pourrait-on pas confier cette charge au ministère de la Santé, au titre de prévention médicale ?
La journée comprend-elle un volet secourisme ?
Comment le pourcentage de jeunes illettrés évolue-t-il depuis vingt ans ?
Beaucoup d'entre nous sont favorables à l'instauration d'un service civil, mais celui-ci n'aura d'intérêt que si on le rend obligatoire car s'il se fait sur une base volontaire, ne viendront que ceux qui n'en auront pas besoin. Quel serait le coût d'un service civil obligatoire de trois mois ?
Au-delà de la découverte de la défense, la détection des problèmes présente un intérêt fondamental. Or j'ai l'impression qu'une fois détectés, les 10 % de jeunes en difficulté de lecture disparaissent dans les sables de l'Éducation nationale, ne bénéficiant d'aucun suivi. Ne faut-il pas alors les adresser ailleurs ? Vos documents sont-ils confidentiels ou bien en ma qualité de président de région, je pourrais disposer des coordonnées de ces jeunes afin de monter un dispositif à la québécoise de lutte contre l'échec scolaire ? La République et l'État ne s'arrêtent pas à l'échelon national !
Cette année, un budget de 19 millions d'euros permettra à la DSN d'accueillir quelque 763 000 jeunes. Le 30 octobre dernier, à l'occasion de l'examen des crédits pour 2015 dans l'hémicycle, j'ai attiré l'attention du secrétaire d'État chargé des Anciens combattants et de la mémoire sur la nécessité de mieux prendre en compte le cas de nos jeunes compatriotes en situation de handicap. En effet, ces derniers peuvent participer aux JDC, mais beaucoup y renoncent car tout semble être fait pour les décourager. Ainsi, lorsque j'ai contacté vos services basés dans ma circonscription, à Châlons-en-Champagne, pour leur indiquer qu'une jeune femme porteuse de la trisomie 21 souhaitait effectuer sa JDC, on m'a tout d'abord répondu qu'elle pouvait se faire exempter. Pour que les jeunes en situation de handicap participent à cette journée dans de bonnes conditions, il faut prévoir des outils pédagogiques adaptés à leur situation, notamment des supports faciles à lire et des vidéos accessibles. Connaît-on le nombre précis de jeunes Français et Françaises en situation de handicap qui renoncent à la JDC ? Il s'agit d'un enjeu de citoyenneté et de cohésion sociale pour ces jeunes et pour leurs familles.
Le service militaire assurait, il est vrai, un brassage social, mais qui ne concernait que les jeunes hommes. Malgré la nostalgie actuelle, ce dispositif fut très critiqué dans les années 1980 et 1990 car les demandes de sursis et d'exemption le rendaient très inégalitaire et qu'il répondait à une vocation opérationnelle dans le cadre des besoins militaires de l'époque. Aujourd'hui, les besoins de l'armée et de la gendarmerie ont changé ; une armée professionnelle, composée de techniciens utilisateurs d'équipements complexes, nécessite une autre vision des choses. Dans quel but les armées délivreraient-elles une instruction militaire au plus grand nombre alors qu'avec la professionnalisation, elles se sont recentrées sur la formation de leurs engagés ?
Le service civique actuel – auquel on pourrait donner plus d'ampleur – représente un bon moyen de socialisation pour les jeunes, basé sur le volontariat. Notre société actuelle, et en particulier les jeunes, sont de plus en plus rétifs à la notion d'obligation. Même la JDC n'en relève pas : ne pas l'effectuer entraîne une difficulté – ne pas pouvoir passer le permis de conduire ou se présenter aux examens et concours organisés par la puissance publique –, mais pas de sanction directe. Du point de vue de la théorie juridique, elle n'est donc pas obligatoire.
Les animateurs sont désignés par les armées et formés pendant trois jours. Lors de la rénovation de la JDC en 2014, tous les animateurs ont été convoqués pour bénéficier d'une journée d'information sur le nouveau programme et ses attendus pédagogiques, de façon à transmettre le bon message.
L'indemnité d'enseignement qui leur est versée n'est pas propre au ministère de la Défense, mais concerne tous les fonctionnaires qui dispensent des cours. Elle représente, pour les animateurs de la JDC, 53 euros par animateur et par jour ; cette somme limitée permet de motiver les militaires dont le coeur de métier n'est pas d'enseigner.
On peut envisager de renforcer le maillage territorial en augmentant le nombre des sites d'accueil, mais ceux-ci doivent répondre à une série d'exigences en matière de sécurité et d'approvisionnement, et disposer d'un point de restauration. Du fait de la rétraction du format des armées, les sites militaires ont tendance à se réduire ; en Auvergne, par exemple, nous faisons de plus en plus appel aux locaux des brigades de gendarmerie. Avec l'armée de terre et de l'air, celle-ci est d'ailleurs l'un des premiers contributeurs en cette matière. On peut également songer à allonger la journée, mais cela doit rester compatible avec les horaires des transports en commun. On peut enfin avoir recours aux sites scolaires, mais nous avons déjà abordé ce débat.
La JDC comprend aujourd'hui une heure d'initiation au secourisme. Cependant, cette formation intéresse de moins en moins les jeunes car depuis 2004, l'Éducation nationale y consacre plusieurs heures et délivre de véritables certificats, alors que l'attestation que nous remettons n'a pas valeur de qualification. Le ministre de la Défense a souhaité éviter ce doublon ; aussi le secourisme ne sera-t-il pas maintenu au programme l'année prochaine. Les marchés avec la Croix-Rouge et la Société de formation et d'innovation en secourisme (SOFIS) venant à expiration le 31 décembre 2015, ils ne seront pas renouvelés. À la demande du Premier ministre, l'heure ainsi libérée permettra de créer un module de sensibilisation à la sécurité routière de trente minutes ; la demi-heure restante permettra d'augmenter le temps des trois séquences consacrées à la défense. Le nouveau format devrait être appliqué à partir de 2016.
Monsieur Rousset, tous les résultats des tests relèvent de l'Éducation nationale ; c'est au rectorat et à l'inspection d'académie qu'il faut vous adresser si vous souhaitez en disposer. Cependant, je doute que la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) autorise l'accès aux noms.
Le nombre de jeunes ayant fait l'objet d'une exemption pour motif médical est de 3 676 en 2014 (dont 1 942 sur présentation d'une carte d'invalidité et 1 734 exemptés suite à une expertise médicale). Certes, il serait souhaitable qu'ils bénéficient d'outils pédagogiques adaptés, mais cela implique, là aussi, un coût. Notre dispositif s'adresse au plus grand nombre, mais nous essayons de l'ajuster, dans la mesure du possible, à toutes les situations. Il faut davantage sensibiliser les centres à la nécessité de se montrer accueillants.
Vous avez évoqué le nombre de jeunes qui échappaient à la JDC ; mais cette moyenne de 3 à 4 % doit cacher bien des disparités !
À ma surprise, les jeunes ne semblent pas retenir grand-chose de cette journée où l'on aborde trop de sujets à la fois. Il faudrait recentrer la JDC sur la défense et la citoyenneté, et confier les autres thèmes, tels que la sécurité routière, à l'Éducation nationale.
Cette journée fait penser aux travaux d'Hercule !
Que font en cette matière nos homologues européens ? En Grande-Bretagne, il semble exister un service national de trois semaines.
Nous cherchons tous à définir un dispositif universel assurant un brassage des jeunes et contribuant ainsi à l'unité nationale. Une seule journée ne peut pas répondre à cette exigence qui correspond à un véritable besoin ; une semaine avec internat semblant compliquée à organiser, pourquoi ne pas créer un parcours initiatique de plusieurs jours s'étalant sur une année ou deux ? Exclusivement consacrée aux questions de défense et de citoyenneté, cette formation s'effectuerait sur des sites militaires. Un tel dispositif éviterait les problèmes matériels que vous avez évoqués tout en transmettant aux jeunes l'idée que ces étapes successives les font entrer dans le monde des adultes et de la responsabilité.
Le format d'une journée vous place davantage dans une posture de séduction que dans celle d'autorité ! Or c'est ce qui manque aux jeunes d'aujourd'hui. Dès 2000, j'avais proposé à Lionel Jospin de créer un service civique ; il est dommage que quinze ans plus tard, nous n'ayons pas avancé. Certains jeunes nés dans une famille éclatée où l'on ne leur interdit rien, scolarisés dans une école dont les maîtres, loin des hussards noirs de la République, laissent la classe dériver, n'ayant connu ni maître d'apprentissage ni adjudant du service national, arrivent à dix-huit ans sans avoir rencontré une seule fois l'autorité. Il faudrait retrouver ce filet de sécurité sous un format quelconque, afin de leur faire comprendre que la vie en société de relève pas d'une liberté totale.
En évoquant le ministère de l'Éducation nationale, n'oublions pas que la loi de professionnalisation des armées de 1996 – dont j'étais rapporteur – avait expressément prévu l'enseignement de défense dans les établissements scolaires ; chaque année, un rapport sur ce module d'instruction devait même être remis au Parlement. Vous avez parlé d'une convention qui lie le ministère de la Défense à l'académie de Créteil ; pouvez-vous nous donner davantage d'éléments sur son application ? Il devrait être facile d'étendre ses dispositions aux autres académies afin que la loi de 1996 soit enfin respectée.
Le pourcentage global de jeunes qui passent à travers les mailles du filet recouvre évidemment des inégalités selon les territoires. C'est surtout dans les grandes aires urbaines que les jeunes de différentes catégories échappent à la JDC. Nous faisons donc des efforts particuliers en direction de la région Île-de-France ou de la région lyonnaise. Mais nous ne disposons pas de statistiques car nous n'établissons le constat qu'a posteriori, une fois que la classe d'âge a atteint les vingt-cinq ans.
Les choses que les jeunes retiennent de la JDC peuvent être confuses, mais le recentrage de la journée sur la défense vise justement à y remédier. Suivant la demande du ministre de la Défense, nous avons réorienté les vecteurs pédagogiques en insistant sur quelques messages centraux : pourquoi et comment nous défendre, quelles valeurs protéger, comment participer à cet effort. C'est autour de ce fil conducteur que nous faisons des rappels sur les droits et devoirs du citoyen, l'égalité entre les femmes et les hommes, le devoir de mémoire et les commémorations.
J'applique les directives du Gouvernement. Le moment consacré au secourisme, comme la visite du site, aménagent une rupture bienvenue dans cette journée de présentations et de débats. Le recentrage du programme permettra néanmoins aux jeunes de mieux retenir les messages essentiels relatifs à la défense.
La France est le seul pays d'Europe à avoir mis en place la JDC. Six pays de l'UE – la Finlande, le Danemark, l'Estonie, l'Autriche, la Grèce et Chypre –, ainsi que la Suisse, ont gardé la conscription obligatoire. Deux pays – l'Irlande et Malte – ne l'ont jamais connue, vingt l'ont abandonnée : la Grande-Bretagne en 1960, le Luxembourg en 1967, les Pays-Bas en 1996, la France en 1997, l'Allemagne en 2011, entre autres.
Monsieur Voisin, j'ai mentionné le travail mené en commun entre l'inspection générale de l'Éducation nationale et l'académie de Créteil d'une part, et le ministère de la Défense et la direction de la mémoire, du patrimoine et des archives d'autre part, pour mettre à disposition des équipes enseignantes un outil pédagogique, le DVD-ROM intitulé « Enseigner la défense ». Cet enseignement a lieu, quoique peut-être de manière inégale ; l'année dernière, le brevet des collèges incluait d'ailleurs une question sur le sujet. Par ailleurs, le ministère de la Défense a un protocole avec le ministère de l'Éducation nationale ; en cours de refonte, il sera étendu au ministère de l'Enseignement supérieur et au ministère de l'Agriculture. Les accords existent donc déjà.
Monsieur Le Bris, nous essayons certes de nous montrer séduisants, présentant les armées et la gendarmerie sous leur meilleur jour. Néanmoins, les jeunes qui se rendent sur les sites militaires s'y retrouvent clairement face à une autorité ; nous n'avons d'ailleurs aucun problème de discipline. Le 8 janvier, nous avons ainsi respecté la minute de silence en JDC, sans aucun incident particulier. Certes, c'est court ; mais c'est à l'Éducation nationale de rétablir l'autorité que beaucoup d'enseignants semblent avoir largement perdue.
Beaucoup d'entre eux ont dû faire leur JAPD ou leur JDC, mais nous sommes tout à fait en mesure d'accueillir des enseignants par petits groupes pour leur montrer de quoi il s'agit.
À titre personnel, je trouve l'idée d'organiser deux journées – une consacrée exclusivement à la défense et une deuxième, plusieurs semaines ou mois plus tard, plus axée sur la citoyenneté – séduisante et généreuse, même s'il est surtout indispensable d'assurer un véritable enseignement de défense, ainsi que l'enseignement civique, moral et laïque. Cependant, le ministère de la Défense ne pourra pas assumer cette charge supplémentaire ; à qui peut-on la confier ? Une deuxième journée pourrait avoir lieu à l'éducation nationale ou dans les collectivités locales, capables de fournir un lieu d'accueil pourvu d'un point de restauration.
Vingt ans après la proposition de loi sur le service civique que j'avais déposée avec Alain Marsaud, on redécouvre la nécessité de combler ce vide.
Mais le service civique n'a pris de l'ampleur qu'à partir de 2010. Aujourd'hui, il commence à s'inscrire dans le paysage ; ce genre de choses prend du temps.
La séance est levée à onze heures quinze.