La séance est ouverte à 9 heures.
Présidence de Mme Catherine Coutelle, présidente.
La Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes procède à l'audition de M. Philippe Chognard, conseiller aux affaires sociales, de la Confédération générale des petites et moyennes entreprises (CGPME), de M. Pierre Burban, secrétaire général de l'Union professionnelle artisanale (UPA), et de Mme Caroline Duc, conseillère technique.
Nous accueillons aujourd'hui des représentants du patronat pour connaître leur appréciation, sous l'angle de l'égalité femmes-hommes, du projet de loi relatif au dialogue social et à l'emploi.
L'article 1er du projet de loi crée des commissions paritaires interprofessionnelles régionales, qui seront composées de salariés et d'employeurs d'entreprises de moins de onze salariés désignés par les organisations syndicales de salariés et les organisations professionnelles d'employeurs. Un accord de l'UPA de 2001 avait déjà mis en place des commissions territoriales. Pour ces nouvelles commissions, nous envisageons de prévoir une composition paritaire, au sens de mixité. Nous souhaiterions avoir votre avis sur la capacité de vos organisations à désigner des candidats femmes et hommes.
Nous souhaitons également vous interroger sur le regroupement en trois temps des consultations obligatoires du comité d'entreprise, prévu à l'article 13, et sur le regroupement en trois temps des négociations collectives obligatoires, prévu à l'article 14. Quelle simplification attendez-vous de ces regroupements ? D'aucuns se sont émus de la dilution, voire de la disparition d'outils efficaces de mesure de l'égalité professionnelle, je pense au rapport sur la situation économique et au rapport de situation comparée (RSC). Il est, en effet, envisagé qu'une base de données unique reprenne l'ensemble des informations prévues dans le RSE ou le RSC qui, en comportant des données chiffrées et une analyse de ces données, permettent de prévoir des mesures correctrices. Les acteurs de la négociation maîtrisent-ils bien ces outils ? Pensez-vous que ces dispositions du projet de loi vous feraient perdre une sorte de guide méthodologique permettant d'avancer sur tous les sujets de l'égalité professionnelle ? Voyez-vous un avantage à rétablir ces outils ?
Qu'en est-il de la parité dans vos organisations respectives ?
L'article 5 du projet de loi prévoit des mesures assurant la représentation miroir dans les entreprises. À titre d'exemple, si le corps électoral est composé de 70 % d'hommes, les institutions représentatives du personnel (IRP) devront comporter au maximum 70 % d'hommes. Que pensez-vous de cette disposition ?
Enfin, comment envisagez-vous de favoriser l'engagement des femmes dans le dialogue social et dans vos propres organisations ?
Vous pouvez évidemment aborder des sujets que nous n'avons pas évoqués.
La CGPME n'est pas favorable à la mise en place de ces commissions paritaires interprofessionnelles régionales. Nous vous enverrons notre commentaire global sur le projet de loi, qui présente dans le détail les arguments que nous opposons à la mise en place de ces commissions, le principal étant que, dans les TPE de moins de onze salariés, le dialogue se fait directement entre le chef d'entreprise et ses salariés, si bien qu'un intermédiaire extérieur nous semble inutile.
En ce qui concerne la parité dans ces commissions, si j'ai bien compris, vous n'envisagez pas une parité au sens strict du terme, mais une mixité. En tant que membre du Conseil supérieur de l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, j'ai évoqué un certain nombre de difficultés soulevées par la loi du 4 août 2014. La première est que le nombre de sièges à pourvoir dans les conseils n'est pas forcément pair – le conseil d'administration de la Caisse nationale d'assurance maladie, qui à terme devra être paritaire, en comporte trente-cinq. Deuxième difficulté : le suppléant appelé à remplacer le titulaire qui siège au sein du conseil d'administration ou du conseil d'une caisse nationale doit être du même sexe que celui-ci. Troisième difficulté : il peut être difficile de trouver un représentant ou une représentante pour occuper les sièges de mandataires dans les différentes instances nationales.
Bref, je trouve un peu dommage d'être obligé d'inscrire la parité strict dans le marbre de la loi. L'effet pervers est que nous, hommes, nous sentons ultra-minoritaires au Conseil supérieur de l'égalité professionnelle ! (Sourires.)
En tout état de cause, si vous envisagez la mixité ou la parité dans ces commissions, nous nous y plierons.
Pour ce qui est de la parité dans nos organisations, sur dix vice-présidents à la CGPME, quatre sont des femmes, dont Geneviève Roy, en charge des affaires sociales, qui tient particulièrement bien son mandat. À l'UNEDIC, par exemple, les femmes représentantes de la CGPME sont plus nombreuses que les hommes. Dans chaque organisme concerné, nous nous efforçons de trouver des représentantes.
La question des femmes dans l'artisanat et le commerce de proximité n'est pas nouvelle, la plupart des entreprises de ces secteurs étant dirigées par un couple. Par conséquent, les femmes ont toujours eu une place dans nos organisations. Étant souvent amenés à présenter, au sein de nos organisations, la part de féminisation, nous pourrons vous laisser des éléments sur la place des femmes à l'UPA.
Sur la question de l'égalité hommes-femmes, nous considérons qu'on ne s'attaque pas au vrai problème, car on agit en aval et jamais en amont. En clair, le problème est essentiellement un problème de stéréotype, car aujourd'hui l'orientation des jeunes se fait en fonction des stéréotypes sur les métiers. Le secteur de l'esthétique, par exemple, emploie 99,9 % de femmes, y compris les chefs d'entreprise. Dans les CFA de la coiffure, secteur qui historiquement n'était pas particulièrement féminin, vous trouvez 90 % de jeunes femmes. Je pourrais dire la même chose pour les métiers de la santé et un certain nombre de métiers administratifs, y compris à la sécurité sociale. Sans compter que plus on monte dans la hiérarchie, moins il y a de femmes. Nous considérons cette situation anormale. Par conséquent, il faut repenser ces questions d'égalité hommes-femmes au travers de l'orientation et de la formation initiale.
Il faut aussi attirer les jeunes filles vers les secteurs traditionnellement masculins, car aujourd'hui, nous avons des difficultés à recruter dans les métiers que nous représentons. Heureusement, beaucoup de métiers plutôt masculins, comme ceux du bâtiment, ont fortement évolué et certaines activités sont devenues moins physiques. C'est pourquoi des opérations sont menées pour attirer les jeunes filles vers les métiers du bâtiment. Cela vaut aussi pour les professions de l'alimentation : dans les métiers de bouche, compte tenu des stéréotypes, les femmes sont majoritairement à la vente et les hommes en cuisine, au laboratoire ou au fournil. Là encore, un travail est réalisé pour attirer les jeunes filles dans l'activité productive, les métiers de la viande, de la farine et du sucre. Nous voyons d'ailleurs, dans ces secteurs, de plus en plus de jeunes filles remporter le concours du « meilleur apprenti ».
Dans un CFA de ma circonscription, on m'a dit que les jeunes filles ne veulent pas s'orienter vers la boucherie pour des questions de contact avec la viande et le sang. De toute façon, les métiers de la boucherie attirent peu les jeunes.
La loi de 2014 a voulu s'attaquer à l'égalité hommes-femmes sous tous ses aspects. Dans notre esprit, le combat pour l'égalité hommes-femmes est global : la représentation égale, c'est aussi la mixité des métiers.
Ce qui est primordial, c'est de faire tomber les stéréotypes. Les jeunes filles n'ont pas plus peur du sang que les jeunes garçons. D'ailleurs, compte tenu des règles d'hygiène et de sécurité, le travail de la viande dans un laboratoire de boucherie n'est pas un problème.
S'agissant des commissions paritaires, nous regrettons de ne pas avoir pu aboutir dans le cadre de cette négociation – ce n'est pas dramatique puisqu'on était dans le cadre de la loi de janvier 2007 dite loi « Larcher ». Cela étant dit, cela nous a permis de faire évoluer les choses dans un cadre paritaire, et le projet de loi tel qu'il vous est présenté s'inspire largement des travaux qui ont été conduits dans ce cadre.
Concernant la représentation du personnel dans les plus petites entreprises, prévue à l'article 1er, nous partageons totalement les propos de Philippe Chognard : dans nos catégories d'entreprise, le dialogue est direct et nous ne souhaitons pas qu'il soit remis en cause. Qui plus est, dans une entreprise de moins de onze salariés, le chef d'entreprise participe à l'acte de production – il fait le même travail que ses salariés, en plus de la gestion –, les gens sont en général à tu et à toi, et les salariés ne demandent pas en interne à avoir une forme de représentation du personnel. D'ailleurs, cette question se pose aussi pour les entreprises qui franchissent le seuil de onze salariés.
La représentation du personnel dans les plus petites entreprises n'est pas un sujet nouveau pour l'UPA, qui y réfléchit depuis 2001 ; or, aujourd'hui, on veut nous l'imposer de l'extérieur, notamment le Parlement et le Gouvernement. Le code du travail prévoit déjà l'existence des délégués de site, qui peuvent être élus dans les entreprises de moins de onze salariés sur un site comptant plus de cinquante personnes – et déjà, nous considérons, pour notre part, que ce dispositif n'est pas adapté. Dans ces catégories d'entreprise, il est inimaginable de faire des accords d'entreprise ; nous y reviendrons à propos des articles 13 et 14. Par contre, une forme de représentation du personnel ne nous semble pas illégitime. C'est ce qui nous a conduits, dans le cadre de l'accord du 12 décembre 2001, à imaginer les commissions paritaires régionales. Le projet de loi vise à les généraliser, c'est-à-dire, comme nous le souhaitions, à maintenir les dispositifs existants, ce qui nous semble légitime car ils ont été construits dans un cadre paritaire. Il existe donc aujourd'hui des commissions paritaires dans l'artisanat (les CPRIA, les commissions paritaires régionales interprofessionnelles de l'artisanat), mais aussi dans l'agriculture – c'est d'ailleurs la FNSEA qui a signé, en 1992, le premier accord créant les commissions paritaires –, et de telles commissions seront bientôt mises en place dans les professions libérales qui ont signé un accord en ce sens.
Ainsi, tel que le projet est rédigé, l'existant est maintenu, et une commission « voiture-balai » couvrira les secteurs non couverts. Nous souhaitions tout de même une forme de proximité entre les commissions et les secteurs représentés. En effet, ces commissions traitent de tous les sujets concernant la vie dans l'entreprise et la relation entre l'employeur et ses salariés, de la formation initiale à la formation continue en passant par les conditions de travail et les activités sociales et culturelles.
Le projet de loi vise à créer de nouvelles obligations, car il faudra impérativement que les cinq représentants des salariés et les cinq représentants des employeurs soient issus d'entreprises de moins de onze salariés. Certes, l'idée que les salariés soient issus de ces catégories d'entreprise est logique, mais nous avons très souvent constaté que, dans ce type de commissions, certains représentants de salariés sont issus d'un tout autre milieu que l'artisanat, si bien qu'ils n'en connaissent pas la réalité. Ensuite, rendre la parité obligatoire risque d'aboutir à des constats de carence, c'est-à-dire à l'inverse de l'effet recherché, car des organisations ne seront pas en mesure de désigner des femmes. Au vu de la situation actuelle, il faut rester pragmatique.
Depuis 2010, ces commissions existent, elles fonctionnent, elles ont permis un vrai dialogue gagnant-gagnant. Certes, je comprends votre position : sans obligation, les choses n'avancent pas – la dernière élection des présidents de conseils départementaux est, à cet égard, calamiteuse… Mais imposer l'obligation de mixité dans la loi ne me semble pas une bonne idée. Il serait préférable de fixer un objectif de mixité, puis de réaliser un bilan au bout de trois ou quatre ans, avant de faire évoluer les choses. En définitive, je pense qu'il vaut mieux créer des incitations.
La loi pourrait fixer un objectif de mixité – car la rendre obligatoire tout de suite est irréalisable –, ainsi qu'un bilan réalisé au bout de quelques années. Cela vaut pour les entreprises de moins de onze salariés, mais aussi pour celles de plus de cinquante salariés. Le droit du travail, s'il est très précis, est dans certains cas virtuel : l'objectif est de passer d'un droit virtuel à un droit praticable.
S'agissant des commissions, nous avons des réticences quant à la composition de notre délégation employeurs. Calquer la représentation comme cela se pratique pour d'autres instances, où le MEDEF est ultra-majoritaire, serait problématique, car les entreprises de moins de onze salariés sont essentiellement des TPE-PME adhérentes à la CGPME ou des entreprises artisanales adhérentes à l'UPA. Il faudrait donc adapter la composition du collège patronal.
Ensuite, les modalités de mise en oeuvre, notamment la manière de calculer la représentativité, nous semblent difficilement compréhensibles : elles vont amener des difficultés d'interprétation et de mise en place.
Pour ce qui est de la parité, il ne faut pas passer de « zéro à quatre-vingts kilomètres heure », car cela pourrait engendrer des crispations dans nos organisations, voire leur poser des problèmes. Il faut dire les choses : elles ne sont pas habituées à fonctionner comme cela…
L'article 5 prévoit une représentation miroir du corps électoral, nous envisageons d'aller au-delà. Comment voyez-vous les choses ?
Le Conseil supérieur de l'égalité professionnelle a formulé un avis sur le projet de loi. La représentation équilibrée des femmes et des hommes, prévue à l'article 5, est l'affaire des organisations syndicales puisque ce sont elles qui élaborent les listes de candidats. Nous sommes plutôt favorables au miroir, mais une représentation effective suppose des listes de candidats qui soient représentatives de la population d'hommes et de femmes au sein de l'entreprise. Si une entreprise est composée majoritairement d'hommes, il nous sera difficile de trouver autant de candidates que de candidats ; l'inverse est évidemment possible. Il faut un dispositif pragmatique, pour éviter que les organisations syndicales ne se retrouvent face à une formalité impossible. Car si la composition paritaire de la liste des candidats n'est pas respectée, la sanction sera immédiate, comme le prévoit le projet de loi avec l'annulation de l'élection du candidat du sexe surreprésenté.
Deuxième observation : la composition de la liste électorale relève de la responsabilité de l'employeur. En effet, il doit indiquer aux organisations syndicales qu'elles doivent tenir compte de la répartition hommes-femmes au sein de l'entreprise, puisque l'article prévoit que « l'employeur porte à la connaissance des salariés la proportion de femmes et d'hommes composant chaque collège électoral ». Les formalités électorales s'en trouveront un peu alourdies.
Troisième observation : ce n'est pas l'employeur qui sera pénalisé en cas de non-respect de la parité des listes. Sur ce point, la rédaction de l'article 5 est très claire et nous convient. L'obligation de parité pèse sur les organisations syndicales.
Dans la mesure où nous nous efforçons progressivement d'atteindre la parité au sein de notre organisation, nous ne verrions pas d'un mauvais oeil que la parité soit atteinte au sein des institutions représentatives du personnel. Mais il faut, d'une part, le faire à pas comptés, et, d'autre part, tenir compte de la composition sexuée de l'entreprise, car certains de nos secteurs comportent une majorité d'hommes et inversement.
Eh oui ! Comment faire quand il n'y a que des hommes ou que des femmes dans l'entreprise ?
Il faut susciter des vocations à l'école et orienter les jeunes filles et les jeunes femmes vers des métiers « a priori » masculins. Réjouissons-nous que les femmes soient désormais plus nombreuses dans l'armée, y compris comme pilotes de chasse ou médecins !
Nous partageons tout à fait le propos de Philippe Chognard : il est plus cohérent de parler de miroir, car, dans certaines entreprises, un seul sexe est représenté, ce qui est beaucoup plus fréquent qu'on ne le pense.
Nous en venons aux articles 13 et 14, sur le regroupement en trois temps des consultations et négociations obligatoires.
Nous sommes totalement favorables aux articles 13 et 14, qui visent à simplifier les procédures. En effet, en matière de représentation du personnel, les obligations à partir de cinquante salariés sont nombreuses, ce qui pose des problèmes pratiques. Car, s'il faut élire deux délégués du personnel à partir de vingt-six salariés, il faut en élire huit lorsqu'on franchit le seuil de quarante-neuf à cinquante salariés ; de plus, il faut mettre en place un comité d'entreprise, un comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) et, éventuellement, un délégué syndical. Ainsi, passer de quarante-neuf à cinquante salariés, c'est le grand soir ! C'est la raison pour laquelle un certain nombre d'entreprises, même de plus de cent salariés, notamment dans le secteur de la boulangerie, préfèrent créer plusieurs entités pour échapper aux contraintes des seuils.
Encore une fois, nous ne sommes pas contre l'idée d'une représentation des salariés, mais nous pensons raisonnable de l'appliquer de manière progressive. En matière de représentation du personnel, on n'a pas su faire progressif, à tel point que l'effort des grands groupes du CAC 40 est proportionnellement moins important que celui des entreprises de cinquante à trois cents salariés ! Sans compter que cela peut créer une insécurité juridique pour nos entreprises et en donner une image négative.
Je connais de très belles entreprises qui ont éprouvé les plus vives difficultés pour ne pas s'être organisées – elles en étaient restées au chef d'entreprise et aux ouvriers. Je pense, en outre, que les groupements d'employeurs gagneraient à se développer pour que les entreprises puissent embaucher un DRH commun.
Pour en revenir à notre sujet, que devient l'égalité professionnelle dans le cadre des articles 13 et 14 ?
Ces regroupements, auxquels nous sommes favorables, ne signifient pas que les différents sujets ne seront pas traités. Il ne semble pas non plus que le Gouvernement ait l'intention de supprimer un certain nombre d'informations. Si j'ai bien compris, un amendement prévoira que le rapport de situation comparée est inclus dans la base de données unique. Par ailleurs, des dispositions sont actuellement prévues pour les entreprises de 50 à 300 salariés et les entreprises de plus de 300 salariés, notamment sur le RSC, il faut veiller, non seulement, à les conserver, mais aussi à accompagner les entreprises, notamment celles entre cinquante et trois cents salariés.
La base de données unique devrait regrouper toutes les données du RSC – formations, promotions, augmentations de salaire, etc. Mais la question se pose de savoir si cette base de données unique permettra une présentation sexuée. En matière fiscale, il existe des logiciels agréés pour aider les entreprises à mettre en place les nouvelles présentations de comptabilité. Ce type d'outil constituerait-il un bon moyen d'aider les PME à mettre en place des plans d'action traitant tous les sujets relatifs à l'égalité professionnelle, de la rémunération à la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences ? Ne faudrait-il pas inciter des prestataires à vous fournir des outils simples à utiliser ?
Il existe plusieurs modalités de gestion. De nombreuses entreprises travaillent sur Excel. J'ai vingt-six rapports à faire par an, mais ont-ils tous une utilité ? Au Conseil supérieur de l'égalité professionnelle, le directeur de la diversité d'Orange nous a indiqué que, sur toutes les données demandées en matière d'égalité, son entreprise en utilise deux… En matière législative ou réglementaire, on a trop tendance à procéder par strates successives.
Ce sont des femmes, notamment Mme Yvette Roudy, qui se sont émues de la disparition du RSE et du RSC, et non les organisations patronales au sein du Conseil supérieur de l'égalité professionnelle. Par un communiqué de presse commun, les trois ministres concernés ont indiqué qu'un amendement viserait à introduire dans la base de données tous les éléments du RSE et du RSC.
Lorsqu'un chef d'entreprise doit faire plusieurs rapports, soit il les réalise lui-même, soit il confie ce travail à sa secrétaire, soit il s'adresse à son responsable chargé des ressources humaines, mais encore faut-il qu'il ait eu la volonté d'en recruter un… Mon cousin, à la tête d'une entreprise de cinquante salariés qui fabrique des lunettes, refuse de recruter un responsable des ressources humaines (RRH) ; il n'en a pas besoin, se considérant lui-même RRH ; il veut produire, point !
Cela étant dit, la majorité des patrons de PME sous-traitent le volet administratif auprès d'un commissaire aux comptes ou d'un expert-comptable. Les experts-comptables sont capables de remplir des tableaux. Il existe des éditeurs de logiciels qui peuvent fournir des prestations. Tout cela a un coût.
Prévoir une aide au chef d'entreprise, éventuellement financière, pour qu'il ait recours à un outil informatique lui permettant d'avoir une base de données fiable et sexuée, pourquoi pas ? Il suffira que l'éditeur de logiciels facture sa prestation. Actuellement, nous réfléchissons à la simplification du bulletin de paie : les éditeurs de logiciels savent faire tout cela et indiquer combien cela peut coûter.
En tout état de cause, il faut veiller à ce que les dispositions législatives et réglementaires ne soient pas inacceptables pour un artisan ou un gestionnaire de TPE ou de PME.
La base de données unique est un souhait partagé par les partenaires sociaux : elle est prévue comme étant praticable. L'idée d'y retrouver toutes les informations figurant dans le RSC ou le RSE ne me semble pas hors de portée, mais je ne suis pas sûre que cela ait été prévu ainsi. Ce travail avec les éditeurs de logiciels de gestion d'entreprise a-t-il commencé ou est-ce un voeu pieux ?
La loi de 2014, qui pour nous est la loi fondamentale en matière d'égalité professionnelle, a déjà prévu une simplification. Le ministère a mis à disposition des entreprises des méthodologies, avec des tableaux, pour remplir le RSC. Cela vous rend-il service ? Notre crainte est que les données sexuées se retrouvent totalement noyées dans la base de données unique. Comment faire ? Le RSC ne sert pas qu'à fournir des données sexuées, il sert aussi à construire un plan d'action égalité avec des objectifs !
Je pense qu'il est tout à fait possible que cette base de données présente des items regroupant les différents sujets qu'il est nécessaire de mettre en exergue, notamment pour construire un plan égalité. En plus d'être aménageable, cette base de données doit être adaptable à la taille de l'entreprise – je pense à la frange intermédiaire d'entreprises, toutes celles qui tournent autour de cent salariés. Le site public « égalité professionnelle » est un outil ; il faudrait en fournir un autre permettant aux entreprises de savoir comment construire un plan d'action à partir de ce qu'elles ont inscrit dans leur base de données unique.
En tout état de cause, nous serons très attentifs à ce que l'amendement, qui prévoira que la base de données inclura le RSC, ne rajoute pas subrepticement quelques données… Car vous le savez, nous discutons actuellement au sein du Conseil supérieur de l'égalité professionnelle sur des indicateurs, en application de la loi du 4 août 2014, mais sans être tous d'accord sur ceux qui devront figurer dans la base de données… Il ne faudrait pas non plus, alors que la logique est de s'orienter vers un outil informatique unique exploitable, qu'un représentant national propose un amendement visant à réintroduire le RSE et le RSC. Par contre, vous pourriez éventuellement prévoir que cette base de données soit construite de telle manière que l'on puisse en extraire facilement les données nécessaires à l'élaboration d'un plan égalité.
Vous craignez un risque de dilution de la négociation sur l'égalité professionnelle. Certes, le projet de loi prévoit que l'article L. 2248-8 du code du travail soit modifié, mais je note que le « 1° » et le « 2° » de ce nouvel article reprennent in extenso tous les items figurant dans l'article L. 2242-5 de ce même code. J'apprécie d'ailleurs que le « 1° » sorte du strict cadre de l'égalité hommes-femmes, puisqu'il porte sur « l'articulation entre la vie personnelle et la vie professionnelle pour les salariés », un domaine qui concerne, certes, les femmes, mais aussi les hommes – ceux de ma génération sont tout de même nombreux à s'occuper de leurs enfants le soir, sans compter qu'il existe des ménages où c'est l'épouse qui a le salaire le plus important… Ainsi, parler de dilution de la négociation professionnelle me semble trop fort, car les dispositions du projet de loi ne vont pas nous empêcher de continuer à négocier sur l'égalité femmes-hommes au sein des entreprises.
Que pensez-vous de la possibilité de rebaptiser cet article « qualité de vie au travail et égalité professionnelle » ?
Pour moi, c'est une question de présentation, voire d'habillage. Cet article concerne aussi, en son 4°, les personnes handicapées – une de mes collègues de la délégation du MEDEF apprécie d'ailleurs peu que l'égalité femmes-hommes soit traitée en même temps que les négociations qui concernent les travailleurs handicapés... Cela étant dit, l'essentiel de l'article L. 2248-8 nouveau porte tout de même sur l'égalité professionnelle. Si vous en changez l'intitulé, je pense que cela passera mieux politiquement.
Cette base de données unique a été imaginée pour regrouper une série d'informations prévues par le code du travail. Cela fait des années que nous discutons sur le sujet : restons sur une base de données unique. Je ne vois pas d'inconvénient à ce qu'elle comprenne un volet spécifique reprenant toutes les données du RSC.
Pour nous, la qualité de vie au travail inclut l'aspect « égalité professionnelle ». Les questions de conciliation de la vie personnelle et de la vie professionnelle sont liées à l'égalité hommes-femmes. De toute façon, lors des négociations, des sujets seront plus prégnants que d'autres.
Dernière chose : nous pensons, y compris pour les entreprises entre cinquante et trois cents salariés, que l'accompagnement qui peut être fait par les branches professionnelles est important. Le travail paritaire au niveau interprofessionnel vise justement à aider les branches à élaborer des guides. Bien sûr, je ne dis pas que tout est parfait…
Des accords de branche qui dérogent à la règle des 24 heures pour le temps partiel, il en existe pour tous les métiers majoritairement féminins, y compris pour 2 heures !
J'entends ce que vous dites, mais sans obligation, les choses n'avancent pas. Si le taux des entreprises ayant élaboré un plan d'action est passé de 13 % à 33 %, c'est parce qu'un décret prévoit des pénalités ! Les trois temps concernent l'égalité professionnelle : les discussions sur les salaires doivent aborder l'égalité professionnelle, celles sur la qualité de vie au travail, aussi, et celles sur la gestion des emplois aussi !
Pour les entreprises entre cinquante et trois cents salariés, il semble cohérent de regrouper les négociations. Et ce n'est pas parce qu'il y aura un regroupement des négociations que le sujet : « égalité professionnelle » ne sera pas traité.
Ce n'est pas nous qui avons tenu la plume pour la rédaction de ce projet de loi, dont la première mouture comportait des concepts juridiques tout à fait étonnants !
Une autre crainte, évoquée par les organisations syndicales au Conseil supérieur de l'égalité professionnelle, porte sur la pénalité. Mais celle-ci va être prévue, comme le précise le communiqué de presse. J'ai d'ailleurs demandé à la DGT de nous communiquer la liste des entreprises pénalisées, ce qu'elle a refusé : j'avais le secret espoir que cette liste comporte très peu de PME et de TPE…
Vous avez évoqué l'accompagnement par les branches. Avez-vous le sentiment qu'elles sont réellement incitées à accompagner leurs membres et qu'elles disposent des bons outils pour sensibiliser les employeurs et les formateurs s'agissant des métiers où la mixité est très faible ?
L'effort doit être fait en amont. Il faut d'abord lutter contre les stéréotypes, dès l'école. Il faut aussi promouvoir l'apprentissage et faire en sorte qu'il soit ouvert à toutes les candidates possibles, et c'est là que les branches ont un rôle à jouer – mais on ne va pas tenir la main des grosses branches sur la manière dont elles devront rédiger leurs accords… elles connaissent le problème, d'autant que les experts du MEDEF en sont issus. Ce qui intéresse le chef d'entreprise, c'est d'avoir un candidat ou une candidate qui corresponde au poste.
Beaucoup de filles sont bachelières scientifiques, mais on les perd au niveau master et dans les entreprises.
Il faut inciter les filles à aller en classe préparatoire scientifique ! D'où l'importance de la lutte en amont contre les stéréotypes ! Néanmoins, les choses progressent car les postes de « top management », s'ils sont encore souvent occupés par des ingénieurs, le sont de plus en plus par des diplômés d'écoles de commerce, ce qui permet de repousser le plafond de verre.
La séance est levée à 10 heures 30.