La Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes a procédé à l'audition de Mmes Jacqueline Hatchiguian, chargée de mission départementale aux droits des femmes et à l'égalité des Bouches-du-Rhône et Josiane Régis, directrice départementale adjointe de la cohésion sociale sur l'action et les moyens du réseau départemental des droits des femmes.
Présidence de Mme Pascale Crozon.
La séance est ouverte à 14 heures.
Mes chers collègues, dans le cadre de notre travail sur l'action, l'organisation et les moyens des délégations régionales aux droits des femmes, nous avons déjà entendu plusieurs déléguées régionales, ainsi que Mme Kieffer, en sa qualité de présidente de l'association des déléguées régionales aux droits des femmes et à l'égalité. Aujourd'hui, nous nous intéresserons au travail des déléguées ou chargées de mission départementales.
Nous accueillons donc Mme Jacqueline Hatchiguian et Mme Josiane Régis, que je remercie pour leur présence.
Madame Hatchiguian, vous avez la parole, pour présenter votre action et vos moyens. Je souhaiterais également que vous nous décriviez les conséquences du positionnement institutionnel des chargées de mission départementales, qui sont à présent rattachées au ministère des Affaires sociales et de la santé – plus précisément à Direction générale de la jeunesse et des sports et de la cohésion sociale.
Inspectrice hors classe de l'action sanitaire et sociale, j'ai été affectée en septembre 2006 à la Délégation régionale aux droits des femmes et à l'égalité de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur, en tant que déléguée régionale adjointe, puis, en janvier 2010, en conséquence de la révision générale des politiques publiques (RGPP), à la Direction départementale de la cohésion sociale (DDCS) des Bouches-du-Rhône en tant que chargée de mission aux droits des femmes des Bouches-du-Rhône, poste qui n'existait pas jusqu'alors.
De fait, avec la déléguée régionale de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur, nous assurions, au sein de la Délégation régionale, la double casquette. J'étais plus particulièrement chargée de la gestion du budget régional et des violences faites aux femmes. Mais je souhaitais rejoindre une Direction départementale. Quand la RGPP est intervenue, un poste de chargée de mission départementale a été créé. Depuis, j'exerce mes fonctions de chargée de mission aux droits des femmes aux côtés de la direction.
Je commencerai par évoquer notre organisation, depuis qu'ont été mises en place les directions départementales interministérielles, élément majeur de la réforme administrative territoriale de l'État. De même qu'il existe des directions régionales interministérielles, il existe des directions départementales interministérielles. Le niveau régional porte les politiques publiques et définit une stratégie. Le niveau départemental est le niveau opérationnel, chargé de la mise en oeuvre de ces politiques publiques.
Dans les Directions départementales de la cohésion sociale (DDCS), nous avons plusieurs donneurs d'ordre – responsables de budget opérationnel de programme (RBOP) : le Directeur régional Jeunesse et sports, et cohésion sociale (DRJSCS) pour le volet « affaires sociales, jeunesse et sports » ; le Directeur régional de l'aménagement et du logement (DREAL) pour le volet « logement, droit opposable au logement, prévention des expulsions… » ; le Secrétaire général de la préfecture des Bouches-du-Rhône, pour le volet « politique de la ville », qui relève de la responsabilité directe du préfet délégué à l'égalité des chances, et pour le volet « instruction des concours de la force publique ».
Les politiques de l'égalité s'articulent de la même façon. Au niveau régional, le RBOP est le secrétaire général aux affaires régionales (SGAR) ; c'est à ce niveau qu'intervient la déléguée régionale aux droits des femmes, chargée du portage de ces politiques. Celles-ci sont mises en oeuvre au niveau départemental ; c'est à ce niveau qu'intervient Mme Jacqueline Hatchiguian, chargée de mission départementale.
Cette organisation a été mise en place, pour les services déconcentrés de l'État, le 1er janvier 2010. Mme Hatchiguian a intégré la Direction, le préfet des Bouches-du-Rhône ayant fait le choix de disposer d'un poste de chargée de mission départementale. En effet, la politique « égalité » est une politique transversale, qui doit être prise en compte par l'ensemble des politiques publiques portées au niveau de la cohésion sociale. Cela justifie que la chargée de mission ne soit plus placée au niveau régional, mais au niveau départemental, pour pouvoir travailler en interministériel, à l'intérieur d'une direction susceptible de lui offrir de nombreux leviers d'intervention.
Quand on parle « femmes », « droit des femmes », « violences faites aux femmes », on retombe vite sur des sujets de logement – logement autonome, mais aussi hébergement d'urgence, mise à l'abri dans des lieux que nous aimerions être spécifiquement destinés aux femmes. En effet, la loi de juillet 2010 relative aux violences faites aux femmes précise que c'est l'auteur des violences que l'on doit éloigner. Or ce n'est pas aussi simple que cela : les femmes victimes vivent souvent dans des quartiers ou des cités difficiles, près de la famille de l'auteur, et il est délicat de les laisser exposées à d'autres violences qui sont celles de l'entourage immédiat, familial, ou autre. Comme le dira sans doute Mme Hatchiguian – dont le grand mérite est d'avoir su tisser des liens avec le réseau associatif – on est bien là dans le domaine de l'opérationnel.
Le niveau régional, stratège, est éloigné du maillage territorial et ne permet pas d'établir une collaboration étroite avec les différents partenaires. En revanche, le niveau départemental le permet. Nous pouvons même dire que, dans les Bouches-du-Rhône, notre politique est assez exemplaire en la matière. État, Ville, Conseil général et Conseil régional se retrouvent autour de la même table, sur les mêmes dossiers. Je tenais à le signaler car, sur d'autres politiques, on n'y arrive pas. Ajoutez à cela que le tissu associatif de notre département est très dynamique et très impliqué.
De la même façon, la police, la gendarmerie et le Procureur via les TGI ont pu être mobilisés pour mettre en place des dispositifs spécifiques « violences ». Là encore, c'est parce qu'elle travaille au niveau départemental qu'elle a pu mailler aussi finement le territoire. Le niveau régional est trop éloigné des réalités et surtout des opérateurs de terrain.
Mme Hatchiguian fait partie intégrante de la Direction. J'ai suivi ses dossiers, pour lesquels j'ai de l'appétence, bien qu'il soit encore très difficile de porter cette politique. Mais elle vient de prendre un autre poste au sein de la DDCS – celui de secrétaire générale – et certains se demandent si nous avons vraiment besoin d'un chargé de mission au niveau départemental. Je sais bien que dans le contexte actuel, dès qu'il est possible de récupérer un équivalent temps plein quelque part, personne ne s'en prive. Mais je tiens à rappeler que ce poste est fondamental. En interne, il permet de créer de la transversalité. Et c'est bien nécessaire, car la défense des droits des femmes touche de nombreux domaines : le sport, la jeunesse, le logement, notamment. Prenons l'exemple du logement : aujourd'hui, à Marseille, de plus en plus de familles monoparentales – donc des femmes avec des enfants – sont exposées à la précarité et à l'expulsion, en raison de l'explosion des prix des loyers et de la montée du chômage.
Il est très important que cette politique soit portée. D'une certaine façon, nous militons pour la prise en compte d'enjeux qui ne sont pas encore complètement entrés dans les mentalités et dans les pratiques. Nous nous battrons donc pour que Mme Hatchiguian soit remplacée par quelqu'un d'également compétent.
Depuis le 1er octobre, j'ai en effet de nouvelles fonctions : je suis secrétaire générale de la Direction départementale, en remplacement d'une personne qui est partie dans un autre département.
J'observe que le fait d'avoir affecté les chargées de mission est une vraie chance. Cette affectation nous aide à exister de façon institutionnelle et nous permet d'être reconnues par les partenaires.
Madame Hatchiguian, votre situation est particulière, dans la mesure où c'est dans votre département que se trouve la Délégation régionale aux droits des femmes. Lorsque c'est le cas, les chargées de missions départementales sont le plus souvent positionnées comme vous l'étiez au départ, auprès de la Délégation.
Madame Régis, si vous quittez votre poste demain et que votre remplaçant a moins d'appétence que vous pour les droits des femmes, ne pensez-vous pas que cela risque de poser des problèmes ? En effet, tous les autres départements de votre région doivent avoir une chargée de mission départementale rattachée à la cohésion sociale.
L'action menée pendant presque trois ans par Mme Hatchiguian a été fructueuse, qu'il s'agisse des dossiers, du maillage partenarial ou du travail sur les violences effectué avec les procureurs, la gendarmerie, la police, SOS Femmes. Tout cela est « gravé dans le marbre » et l'on ne pourra pas revenir en arrière. Si nous n'avions plus de chargée de mission, la démonstration serait très vite faite qu'il nous manque un maillon.
Dans notre région, je pense que tous les chargés de mission – car nous avons un homme chargé de mission, à Dignes – sont bien positionnés auprès de nos directions départementales. En tout cas, je n'ai pas entendu mes collègues s'en plaindre.
Si Mme Régis changeait de fonctions, est-ce que la direction porterait avec moins d'enthousiasme les droits des femmes ? Peut-être, mais ce n'est pas qu'une question de personne.
Pour ma part, j'ai été adjointe de DDASS, je suis passée par la Délégation régionale aux droits des femmes en PACA et j'ai été chargée de mission départementale aux droits des femmes. Je pense avoir le recul suffisant pour pouvoir affirmer que depuis que je suis en direction départementale, en tant que chargée de mission, j'ai eu à ma disposition un nombre plus important de leviers que lorsque je m'occupais des violences au sein de la délégation régionale.
Au sein d'une même direction, on se voit, on se parle entre collègues. Lorsque la chargée de mission doit, par exemple, traiter un dossier d'hébergement, le service du logement se trouve à proximité. Par ailleurs, la cohésion sociale est regroupée, dans le même ministère, avec la jeunesse et les sports, qui ont été depuis longtemps sensibilisés aux problématiques d'égalité et de violences. Les chargées de mission aux droits des femmes trouvent donc des oreilles attentives.
Étant placées auprès de la Direction, nous avons le pouvoir de la représenter, par exemple dans les réunions des contrats urbains de cohésion sociale (CUCS). De ce fait, nous sommes davantage reconnues et visibles.
Il se trouve aussi que la Direction tient des réunions trimestrielles avec les autres directeurs départementaux. Tous ses membres, dont la chargée de mission, participent à ces réunions inter directions départementales interministérielles. Cela facilite nos contacts avec les directeurs départementaux, des unités territoriales (UT) de la DIRECCTE ou de l'Agence régionale de santé. J'en ai moi-même fait l'expérience. Ainsi, une de mes collègues a déplacé des places de centres d'hébergement et de réinsertion sociale (CHRS) d'un endroit à l'autre, pour donner plus de cohérence au dispositif que l'on était en train de monter pour la prise en charge des violences faites aux femmes. Très sincèrement, je pense qu'en étant à la Délégation, je ne l'aurais pas obtenu ou du moins plus difficilement car éloignée du centre de décision. La place que nous occupons dans le département permet la mise en place d'instances de travail communes et la diffusion, dans les directions départementales, de la culture « droits des femmes ».
Nous fonctionnons sur un budget régional, géré par la Délégation régionale aux droits des femmes, au sein des SGAR. Le cadre est celui du dialogue de gestion : chaque année, on fait valoir nos besoins, puis nous « répartissons la pénurie ».
Nous souhaitons pourtant disposer d'enveloppes départementales pour avoir une visibilité sur ce que nous faisons, et non pas d'un droit de tirage sur l'enveloppe régionale.
La nuance est importante. Par exemple, nous avons des projets sur MartiguesPort-de-Bouc. Les communes sont prêtes à s'engager mais, sans enveloppe pérennisée, je suis obligée de les freiner. En effet, juridiquement, le budget opérationnel de programme (BOP) régional peut être remis en question chaque année dans l'enveloppe qui est allouée aux départements.
Plus précisément, les enveloppes se répartissent entre crédits fléchés par le ministère et crédits non fléchés. Les crédits fléchés sont destinés aux centres d'information sur les droits des femmes et des familles (CIDFF) et sur les lieux d'accueil violences. Mais quand on a « défléché » tous les crédits, il reste 66 000 euros pour les Bouches-du-Rhône. Et quand je vais voir les collectivités, je leur dis que j'ai beaucoup d'idées, mais que je ne dispose que de crédits d'appel et qu'elles auront à compléter le budget.
Le plan « violences » est en partie financé avec l'argent des collectivités qui, heureusement, sont toutes de bonne volonté. Je vise là les 24 contrats locaux de sécurité et de prévention de la délinquance (CLSPD), qui sont des coordinations placées auprès des villes pour gérer les dispositifs de prévention de la délinquance, les 14 contrats CUCS, et les 12 Ateliers santé ville (AVS). Comme j'ai occupé précédemment des postes de coordination au sein des DDASS (directions départementales de l'action sanitaire et sociale), j'ai fait mon analyse de terrain et démarché toutes ces coordinations, qui sont cofinancées par l'État et les collectivités.
Ainsi, ma direction a, à ma demande, envoyé une lettre aux Ateliers santé ville, en faisant valoir les rapports Henrion, Lebas, et Coutanceau. Je suis allée voir la collègue chargée de mission « prévention de la délinquance » à la préfecture de police, pour lui dire qu'il serait souhaitable que les CLSPD prennent en compte les violences faites aux femmes. Tout cela se tricote maille après maille.
Nous avons démarché les CUCS. Celui de Marseille est présidé par Mme Boyer, députée, adjointe au maire de Marseille, chargée de la politique de la ville. Il y a deux ou trois ans, après avoir discuté avec ma collègue qui travaille à la Ville, nous avons injecté dans toutes les parties du CUCS (emploi, santé, violences, prévention de la délinquance) quelques modestes objectifs qui relevaient de notre politique en matière d'égalité hommesfemmes.
Et si les crédits spécifiques aux chargées de mission départementales étaient déconcentrés, devraient-il être alloués à la cohésion sociale ?
Nous souhaiterions être unité opérationnelle (UO), car cela nous assurerait la marge de manoeuvre nécessaire.
Tout le monde ne travaille pas comme nous. Nous nous sommes fixé des objectifs sur trois ans. L'un d'eux est le maillage du territoire. Chaque année, nous installons des petites permanences ici ou là. Il faut que les associations négocient le cofinancement de leur budget : hors Marseille, pour assurer une permanence, je ne verse que 2 500 euros. Les collectivités, souvent les villes, à travers le CUCS, apportent un complément de financement. Mais tout cela se négocie au long cours. Le problème est que si l'on s'engage auprès d'un élu et que l'année suivante, les crédits ont été réorientés, ce travail de maillage n'est pas réalisable.
Peut-être faudrait-il disposer de crédits fléchés. Vous savez ce qui s'est passé avec l'Agence nationale pour la cohésion sociale et l'égalité des chances, s'agissant des centres de planification : les crédits n'ont pas été fléchés et les 500 000 euros qui devaient leur être versés ne l'ont pas été en totalité. Il faudrait des crédits fléchés « droits des femmes ».
Notre souhait serait d'être destinataires d'une enveloppe que l'on maîtriserait, pour ne pas remettre en jeu chaque fois, lors d'un dialogue de gestion régional, le montant attribué au département. Aujourd'hui, les Bouches-du-Rhône représentent 40 % de la population de la région et le budget non fléché ne représente que 26 % de l'enveloppe régionale. Cela dit, il ne faudrait pas démunir les deux départements alpins moins peuplés. En ce sens, il y a un vrai problème d'équilibrage entre notre département et les deux départements alpins.
Ce n'est pas qu'une question de rééquilibrage. Nous constatons de fortes disparités, qui n'affectent pas seulement la politique des droits des femmes.
La région PACA est sous-dotée. L'année dernière, la Délégation a reçu 870 000 euros de budget régional, desquels il faut retirer le CDIFF, les crédits fléchés prostitution, les crédits fléchés lieux d'accueil, les crédits fléchés lieux de médiation. La marge de manoeuvre n'est donc pas très importante.
Nous avons voté à l'unanimité la loi relative aux violences faites aux femmes. Dans l'un de ses derniers articles, il est demandé aux sociétés d'HLM de prévoir des logements pour les femmes victimes de violences. Car vous avez raison : un certain nombre d'entre elles souhaitent déménager, pour de nombreuses raisons, dont celles que vous avez évoquées tout à l'heure. Il faut absolument que l'on développe cette politique au niveau des bailleurs sociaux.
Nous avons engagé une réflexion sur ce sujet dans les Bouches-du-Rhône. Nous avons rencontré les partenaires – police, gendarmerie, procureurs, etc.- afin de voir comment ils percevaient les problèmes de logement. Les associations nous disent souvent qu'elles manquent de places, mais elles n'ont pas chiffré leurs besoins. Or une évaluation est nécessaire, pour aller négocier et procéder, notamment, à des permutations de logements.
Cette réflexion est encore embryonnaire. Malgré tout, nous avons déjà établi qu'il fallait distinguer entre deux situations, l'urgence et la non urgence, et donc deux façons de travailler. En cas d'urgence vitale, la femme peut être mise à l'abri dans un hébergement. Si le procureur a pu éloigner le conjoint, ce qui suppose de l'aider à lui trouver un logement, il n'y a plus d'urgence vitale. On peut alors travailler avec les bailleurs à une permutation de logement social, si tant est que la femme le souhaite.
Tant que la victime ne déménage pas, il faut pouvoir sécuriser le logement. Un nouveau dispositif électronique de protection anti-rapprochement (DEPAR) a été mis en place, dont je rappelle le fonctionnement : l'homme auteur de violences est sous surveillance électronique et la femme dans une « bulle électronique » ; si l'auteur entre dans la bulle, l'alarme se déclenche. Mais ce dispositif coûte cher et il est difficile à mettre en place. Nous avons pensé qu'il serait utile d'expérimenter des dispositifs équivalents aux téléalarmes mises à la disposition de certaines personnes âgées.
La solution n'est pas simple, et nous allons devoir travailler le sujet en interne, entre collègues. De fait, quand on gère l'hébergement d'urgence, on peut parler d'urgence vitale plutôt que d'urgence sociale. La femme peut avoir son salaire, un bel appartement, une voiture, cependant il faut l'éloigner de chez elle parce qu'elle est dans une urgence vitale. Or cette notion n'est pas encore tout à fait définie. Dans les Bouches-du-Rhône, nous n'avons commencé à y réfléchir que depuis deux mois à peine.
Des progrès sont tout de même sensibles. Et là encore, c'est le niveau départemental qui permet de travailler de façon aussi fine sur le logement, en relation avec les bailleurs, par le biais du logement social et le droit au logement opposable (DALO).
Avez-vous évalué, dans votre département, le recours à l'ordonnance de protection des victimes de violences conjugales ?
Nous nous sommes interrogés à ce propos il y a six mois. Si la victime demande cette ordonnance, il faut attendre qu'elle soit prise et partager encore quelque temps l'appartement avec l'auteur des violences. Si la victime sort du logement, il n'y a plus d'urgence vitale et l'ordonnance n'a plus de base juridique. Cela explique peut-être la faiblesse des chiffres que l'on nous a fournis – et qui n'étaient d'ailleurs pas officiels.
Le premier accueil des femmes victimes de violences a lieu au commissariat. C'est là qu'il faut les informer. Mais cela suppose de former les acteurs de terrain – gendarmes, et surtout policiers.
Dans chaque gendarmerie des Bouches-du-Rhône, il y a des référents VIF (pour violences intrafamiliales). Dans les commissariats, dont ceux de Marseille, il y a des psychologues. Cela dit, Marseille, avec seize arrondissements, est une grande ville. Pour vous faire une idée, sachez que le département des Hautes-Alpes compte 150 000 habitants, soit moins qu'un quartier de Marseille. Les problèmes n'y sont donc pas les mêmes.
À la Direction départementale, oui, les violences sont une priorité. Notre autre priorité est l'emploi.
Avec la déléguée régionale aux droits des femmes, nous nous étions réparti le travail, pour éviter tout télescopage. Il me semblait naturel que la Délégation, qui était au SGAR, définisse plutôt la stratégie régionale d'emploi. Celle-ci accède d'ailleurs plus facilement aux fonds européens, via le Fonds social européen.
De mon côté, en moyenne, dans une année, je peux consacrer 20 000 euros à l'emploi. Là encore, j'ai fait des repérages sur le territoire, j'ai appelé les coordonnateurs emploi-formation et mené de petites actions – dont une action phare dans les Bouches-du-Rhône, sur le bassin d'emploi d'Istres.
Nous vous avons préparé des dossiers de communication sur les opérations « Réussir l'emploi des femmes » et « Challenge marketing », pilotées par la Maison de l'emploi. Toute l'année, l'objectif est de faire embaucher des femmes, de les requalifier, de les envoyer en formation. En fin d'année – cette année ce sera le 16 novembre – le challenge « Ange Marchetti » récompense les entreprises qui ont engagé une démarche emblématique : embaucher des femmes, revoir leur emploi du temps, etc. Ces opérations ont du succès.
Votre direction couvre un grand bassin d'emploi, avec Port-Saint-Louis, Arles, Port-de-Bouc.
En effet, mais très honnêtement, sur l'emploi, nous rencontrons des difficultés. Je prendrai l'exemple des contrats « mixité » – contrats pour la mixité des emplois et l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes – qui, selon moi, ne sont pas adaptés à notre milieu de grosses entreprises. Je n'en ai d'ailleurs signé qu'un en deux ans.
Il y a également Face Sud-Provence, le club d'entreprises du réseau de la Fondation « Agir contre l'exclusion ».
Je vous remercie de votre présence et de l'expérience que vous nous apportez. Mais nous aurions aussi besoin, en tant qu'élus, de savoir ce que vous attendez de nous.
Par exemple, la semaine dernière, le journal local a fait sa une sur le meurtre d'une jeune mère de trois enfants, rouée de coups par son mari. Dîtes nous comment nous pouvons contribuer à éviter ce type de violence ! Nous avons absolument besoin d'accompagner les délégations et de travailler avec les déléguées. Nous voudrions être plus forts et plus efficaces.
Non. Je suis très « fonctionnaire de l'État » et les relations avec les élu-e-s passent plutôt par un contact entre le corps préfectoral et ces mêmes élu-e-s.
La Délégation aux droits des femmes de l'Assemblée nationale est très dynamique. Elle souhaite sensibiliser et mettre en place des actions au travers de propositions de loi, ou travailler en commun avec le ministère. Nous avons constaté que nombre de nos collègues ne connaissaient pas les délégations aux droits des femmes ni les chargées de mission départementales. Vous pourriez peut-être mener une réflexion sur ce sujet, dans vos départements.
Je rencontre cependant régulièrement les élus. Comme l'a dit Mme Régis en introduction, nous avons créé un partenariat autour de la problématique des violences, avec Mme Gaëlle Lenfant, qui est vice-présidente de la Région, Mme Évelyne Santoru, qui est adjointe au maire de Port-de-Bouc et conseillère générale, Mme Nora Preziosi, qui est adjointe au maire de Marseille et Mme Valérie Boyer, qui est députée, adjointe au maire de Marseille et présidente du CUCS de Marseille, chacune intervenant sur son champ de compétences. Mais par exemple, nous travaillons avec Mme Boyer, non pas en tant que députée, mais en tant qu'adjointe au maire de Marseille et présidente du CUCS de Marseille.
Nous travaillons donc avec les élus. Par exemple, nous avons été contactés par le Conseil départemental de consultation, qui est l'organe placé auprès du président du Conseil général, sur les interventions qui pourraient être faites afin de promouvoir l'égalité hommesfemmes. Ce Conseil a organisé des auditions auprès des associations et auprès de tout le réseau. Avec la police et la gendarmerie, nous avons porté la politique de l'État dans le domaine de l'égalité – programmes ministériels, organisation de chacun. Un rapport devrait être publié dans les mois qui viennent.
Je vous ai dit que nous étions « atypiques ». Nous avons pris le parti de mobiliser le niveau local.
Mais il n'y a pas que cela. Vous verrez, dans le dossier que nous avons préparé, la convention qui a été passée avec la Fondation Ambroise Paré, qui gère deux hôpitaux à Marseille. Celle-ci a accepté un partenariat avec SOS Femmes et l'État pour prendre en charge, à travers une cellule « maltraitances », des femmes victimes de violences. Ainsi chaque fois qu'une femme victime de violences se présente aux urgences, SOS Femmes intervient, fait le lien avec l'unité de médecine légale et assure au long cours l'accompagnement de cette femme. Comme vous pouvez le constater, notre démarche est avant tout pragmatique, et nous construisons, en posant une brique après l'autre, la prise en charge des violences.
À propos de violences, je remarque que les auteurs de violences sont aujourd'hui soumis à des injonctions thérapeutiques. Mais les femmes victimes devraient elles aussi avoir accès plus facilement à des psychologues pour se reconstruire ou reconstruire leur fonction parentale. Nous avions rêvé que, sur l'action sociale des Caisses primaires, on puisse financer l'intervention de psychologues – à condition que le procureur reconnaisse les femmes comme des victimes. Est-il envisageable de donner un petit coup de pouce à la législation ?
Ils proposent ce type de prise en charge, mais ce sont des prises en charge institutionnelles, qui ont leurs limites. Aujourd'hui, nous sommes dans une période de décélération des budgets, et il sera difficile de financer les vacations des psychologues – tout comme les procureurs ont du mal à trouver des vacations pour payer les psychiatres qui soignent les auteurs de violences. Cela dit, les auteurs ayant droit à l'assurance maladie, il serait utile de les faire accéder à la médecine de ville. Comme vous pouvez le constater, il y a beaucoup à faire dans le domaine de la santé.
La Direction départementale de la cohésion sociale (pôle hébergement) travaille avec la Fédération nationale des actions d'accueil et de réinsertion sociale (FNARS) qui conduit un projet en autonome, et avec 5 CHRS sur les conditions du retour à l'emploi des femmes.
Côté « droit des femmes », nous avons mandaté le CIDFF pour que, chaque fois que SOS Femmes rencontre une femme victime de violences, l'association l'oriente vers le Bureau d'accompagnement individualisé vers l'emploi (BAIE). Le Bureau fera avec elle un bilan, pour voir si elle est susceptible de retrouver un emploi ou comment l'aider si elle en a déjà un. Nous avons essayé de joindre les deux fonctions, violences et retour à l'emploi.
Nous avons initié une action avec l'association « Culture du coeur » – qui travaille sur l'articulation entre temps de vie et temps professionnel – en nous adressant à un public bien précis, celui des familles monoparentales. C'est un projet assez ambitieux, qui ne date que de dix-huit mois. Il s'agit de faire accéder les familles monoparentales aux loisirs culturels. Nous versons 6 000 euros à cette fin. Dans la pratique, une association récupère des billets auprès de tous les acteurs culturels.
Nous avons un autre objectif, qui est de sortir les femmes des quartiers. D'importants crédits sont injectés dans les cités : il est très important, parfois, d'en faire sortir les femmes – ou les jeunes.
La Région ne finance-t-elle pas des actions destinées aux chefs de familles monoparentales qui ont besoin d'une formation pour pouvoir retourner à l'emploi ?
Je pense que de telles actions relèvent d'une convention globale passée avec le Centre d'information sur les droits des femmes et des familles (CIDFF).
Les commissions départementales des violences faites aux femmes se réunissent-t-elles dans chaque département ?
Chez nous, non. Il n'y en a pas, et cela ne pose pas de problème. En 2006, on a procédé à un toilettage des commissions administratives. La commission départementale des violences faites aux femmes a été intégrée au Conseil départemental de prévention de la délinquance. Nous avons travaillé avec la préfecture de police dans le cadre du plan départemental. Des fiches ont été établies sur les violences faites aux femmes, et notamment sur la formation des professionnels et des adultes encadrants dans les lycées et les collèges.
L'absence de commission départementale des violences faites aux femmes ne nous gêne pas. Nous fonctionnons en petit état-major avec la police, la gendarmerie, ou le réseau de l'Institut national d'aide aux victimes et de médiation (INAVEM) – que je finance parce qu'il reçoit aussi les femmes victimes de violences sur les heures où notre propre réseau est fermé, c'est-à-dire le soir tard et le samedi.
Nous avons passé une convention avec le tribunal de grande instance de Marseille, dans laquelle nous rapprochons les deux réseaux : SOS Femmes prend en charge les femmes sur le long cours, jusqu'à la plainte. Quand la plainte est déposée, le dossier passe au service d'aide aux victimes d'actes délinquants (A.V.A.D.). S'il faut régler d'autres problèmes sociaux, SOS Femmes reprend la main. Nous avons essayé de structurer nos dispositifs.
Je souhaite vous interroger sur les programmes d'éducation à la sexualité dans les lycées et collèges. Ceux-ci figurent dans pratiquement toutes les lois relatives aux droits des femmes. L'éducation à la sexualité est importante car elle permet, notamment, de lutter contre les violences faites aux femmes.
Nous n'y avons pas beaucoup travaillé. Il fut un temps, j'ai financé le Comité départemental d'éducation à la santé (CODES) pour qu'il forme les infirmières scolaires, notamment, à décrypter les situations de violence. Nous pensons en effet, et c'est presque un consensus dans le département, qu'il faut d'abord former les adultes encadrants.
Les enseignants ne sont pas forcément les mieux placés pour dispenser ce genre d'information aux élèves et, selon moi, il serait utile de réfléchir à d'autres intervenants dans ces domaines.
Nous nous sommes adressés aux enseignants pendant deux heures à la rentrée et nous avons essayé d'investir les conseils d'éducation à la santé et à la citoyenneté. Mais la tâche est lourde et mériterait un plan en soi. Nous avons mis en place, avec les CUCS et la Ville de Marseille, un comité de pilotage sur les jeunes. Chaque année, nous organisons un colloque pour faire le bilan de ce que l'on peut connaître des relations fillesgarçons, par exemple. Vous pouvez vous reporter au dossier que nous vous avons remis.
Dans les années quatre-vingts, dans le département du Rhône, une chargée de mission académique, spécialisée dans le droits des femmes, travaillait avec la déléguée ou la chargée de mission. Cela a permis de mettre en place de vraies formations pour les enseignants, non seulement sur les problèmes de violences, mais aussi sur les problèmes du genre. Ceux-ci mériteraient d'être davantage abordés, surtout avec les difficultés que l'on constate aujourd'hui dans les quartiers.
Dans les collèges, se pose un réel problème d'égalité entre les filles et les garçons. Les filles sont beaucoup plus dégourdies et réussissent mieux, ce qui crée un déséquilibre en défaveur des garçons. Je pense donc qu'il faudrait retravailler la notion de mixité à l'éducation nationale …
Je pense que c'est aussi un problème d'éducation, qui se pose tout au long de la scolarité. Voilà pourquoi la formation des enseignants sur le genre est importante : même dans les crèches et dans tous les établissements de la petite enfance, il faudrait les informer, car ils sont à peu près persuadés qu'ils se comportent de la même manière avec les garçons et les filles. Or, ce n'est pas toujours le cas.
Je serais favorable à un système « pyramidal ». Le professeur est en première ligne. Il doit être apte, non pas à traiter le problème, mais à l'identifier et à contacter l'infirmière ou l'assistante sociale qui, elle, devrait être formée. L'enfant serait alors pris en charge. De fait, nous avons entendu des CPE nous dire qu'un enfant était en souffrance par rapport à la situation de ses parents, ou que sa mère subissait des violences, mais qu'il était difficile d'intervenir.
C'est pour cela qu'une chargée de mission académique serait bienvenue. Dans le Rhône, cela a donné d'excellents résultats.
Il conviendrait d'y réfléchir. Dans les Bouches-du-Rhône, le Conseil général a mis en place tout un programme d'action, avec un volet « accès à la citoyenneté ». Dans ce volet, figure l'égalité fillesgarçons.
C'est vraiment sous cet angle qu'il a été pris. À chaque début d'année, les collèges demandent au Conseil général l'intervention des associations sur telle ou telle action. Puis les associations interviennent dans les collèges. Souvent, au cours des saynètes qui sont jouées, des problèmes apparaissent, laissant les professeurs démunis. Voilà pourquoi ces interventions se font donc toujours en lien avec les infirmières ou les assistantes sociales. Celles-ci peuvent alors prendre en charge certains enfants. Je crois qu'il faut mener une véritable réflexion sur ce sujet.
Cela ne se passe pas partout de la même façon. Mais il me reste une dernière question à vous poser : est-ce important, selon vous, qu'il y ait un ministère des Droits des femmes ?
Certainement. C'est l'affichage d'une volonté politique forte. Mais il est dommage que ce soit encore nécessaire.
Je suis bien d'accord avec vous. Comme il est dommage de devoir passer par une loi pour exiger la parité. Mais il faut à la fois passer par la loi et mettre en place des structures qui rappellent qu'il n'est pas possible de revenir en arrière. Car, dans notre société, on n'est jamais sûr que les droits des femmes resteront ce qu'ils sont.
Mesdames, je vous remercie pour votre disponibilité et l'ensemble de ces informations très intéressantes, car tirées de votre riche expérience.
La séance est levée à 15 heures 15.