La commission a organisé une table ronde sur la numérisation de l'économie et son impact sur le secteur du bâtiment réunissant Mme Sabine Basili et M. David Morales, respectivement vice-présidente et administrateur de la Confédération de l'artisanat et des petites entreprises du bâtiment (CAPEB), M. Henry Brin, président du conseil de l'artisanat de la Fédération française du bâtiment (FFB), et M. Augustin Verlinde, co-fondateur de Frizbiz.
Cette table ronde a pour objet d'étudier l'impact de la numérisation sur le secteur du bâtiment. Je remercie nos invités d'avoir accepté d'y participer. Nous accueillons M. Henry Brin, président du conseil de l'artisanat de la Fédération française du bâtiment (FFB) ; Mme Sabine Basili et M. David Morales, respectivement, vice-présidente et administrateur de la Confédération de l'artisanat et des petites entreprises du bâtiment (CAPEB), et M. Augustin Verlinde, co-fondateur de la société Frizbiz, plateforme dédiée aux services entre particuliers fondée en 2013.
Notre commission a entamé un travail relatif à l'économie numérique, qui a débuté par l'audition de M. Pascal Terrasse sur son rapport concernant l'économie collaborative. La commission des affaires économiques a également confié une mission d'information à Mmes Corinne Erhel et Laure de la Raudière sur les objets connectés, dont le rapport sera présenté dans quelques mois.
En outre, lors de sa réunion du 8 mars dernier, la commission a organisé une première table ronde sur la numérisation de l'économie. Celle-ci a permis d'entendre des universitaires, des économistes et avocats, qui ont pu nous expliquer ce que la numérisation apporte comme bouleversements dans notre modèle social, économique et industriel.
Nous sommes à l'aube d'une transition numérique : ce mouvement suscite des inquiétudes, notamment dans les secteurs économiques traditionnels et dans les PME-TPE. Les entreprises sont confrontées à des changements importants, remettant en cause la chaîne de valeur, touchant aussi bien la relation client qu'au mode de production.
Les problématiques qui découlent de ce mouvement sont nombreuses : formation aux nouvelles technologies et aux outils numériques, invention de nouveaux modèles d'affaires, réorganisation des filières sectorielles dans un contexte de concurrence internationale, contournement des barrières à l'entrée édifiées par les acteurs historiques, responsabilité des plateformes numériques, application du droit de la consommation, remise en cause des relations de travail, etc.
Nous avons souhaité vous entendre pour que vous nous présentiez votre activité dans ce contexte, afin d'appréhender ces nouvelles formes d'économie, dans un cadre concurrentiel qui ne soit pas déloyal, et sans oublier le point de vue du consommateur. La commission des affaires économiques est traditionnellement attachée au secteur du bâtiment, qui relève de sa compétence non seulement par le biais du logement, mais aussi par le biais de politiques publiques, comme le plan Pinel pour la transition numérique du bâtiment présenté le 10 décembre 2014, la mise en place de plateformes connectées ou encore la préparation des mesures sur les qualifications professionnelles prévues dans le projet de loi dit « Sapin II ». Comment vous accompagner ? Comment faire évoluer la législation sans qu'elle n'oublie personne ? Voici le coeur des préoccupations de notre commission.
Le secteur du bâtiment, qui représente 6 % du PIB et près d'1,5 million de salariés, est concerné par la révolution numérique. Cela concerne tant l'étude de fiabilité, la conception, la réalisation, la fabrication, la pose ou encore l'entretien, la gestion et la maintenance. Nous observons des startups qui se développent en commercialisant des applications mobiles qui numérisent le suivi des chantiers et permettent de rassembler et de diffuser l'information en temps réel. Les données collectées sont utilisées pour prévenir les risques, donner des conseils aux chefs de chantier et élaborer des maquettes numériques, sorte de « carnet de santé » de l'ouvrage en construction.
Certaines de ces startups ont pu signer des contrats avec des grands groupes du BTP – Bouygues, Eiffage, Vinci –, notamment en Asie, où la main-d'oeuvre est nombreuse et nécessite un management et un suivi plus précis. Mais ces startups regrettent qu'en France, contrairement aux autres secteurs industriels, les chantiers du BTP soient en retard en matière de transition numérique – le papier y domine toujours. Un sondage révèle que 60 % des professionnels disent être réfractaires à l'idée d'utiliser une maquette numérique.
Pensez-vous que la numérisation du bâtiment puisse vous aider dans la conduite de vos chantiers ? Permettrait-elle de faire baisser les coûts de production ? De faire gagner du temps ? Est-elle adaptée aux chantiers de faible importance ? Y a-t-il des difficultés spécifiques pour les TPE-PME ? Quelles sont vos attentes en ce domaine, et de quels types d'outils numériques auriez-vous besoin ?
Enfin, le Gouvernement avait lancé une mission relative au numérique dans le bâtiment. L'un de ses objectifs était de « donner envie » aux TPE-PME, notamment, de recourir à ces outils numériques. Cette mission a-t-elle, aujourd'hui, rempli ses objectifs ?
Je voudrais faire le lien entre cette évolution vers le carnet numérique, sorte de « carte vitale du logement », et la réalité de nos territoires, en particulier celle du tissu des petites entreprises du bâtiment. Ces évolutions ne risquent-elles pas d'hypothéquer le devenir de petites entreprises du bâtiment ? Les propriétaires et les locataires devront alimenter ce carnet numérique. Comment se fera ensuite le lien entre ce carnet numérique et les entreprises qui interviendront pour des travaux ? N'y a-t-il pas un risque de favoriser des grands groupes sans connexions locales mais qui auront un accès plus facile au numérique ? Nous sommes dans une phase d'interrogation. Quelles seront les conséquences pour les entreprises locales et pour les milieux les plus défavorisés, que les personnes soient locataires ou propriétaires ? Ne risque-t-on pas de laisser la main à des plateformes qui auront une approche complètement détachée de la réalité ?
Le secteur du bâtiment subit toujours d'importantes difficultés économiques, même si un début de reprise se fait sentir en 2016. Face à ces difficultés, il nous semble essentiel que le bâtiment se prépare à une autre grande mutation du secteur : l'arrivée du numérique. Le secteur du bâtiment représente 6 % du produit intérieur brut (PIB) et 1,5 million d'actifs. Ma question portera sur le déploiement du plan de transition numérique du bâtiment, lancé en 2014, qui a bénéficié d'une enveloppe de 20 millions d'euros pour mobiliser et accompagner la numérisation des pratiques dans le bâtiment. Pourriez-vous nous faire un premier bilan du déploiement de ce plan ? Comment a-t-il été accueilli par les professionnels du secteur ? Pouvez-vous déjà évaluer les gains de productivité qui résultent de la maquette numérique ? J'aurai également une question sur les formats et l'interopérabilité des logiciels BIM (acronyme anglais de « Modélisation des données du bâtiment ») et des maquettes numériques. Il semble que le leader de ce type de logiciel soit américain. Dans quelle mesure les éditeurs de logiciels français ont-ils pu répondre à cette nouvelle demande de logiciels ? L'offre en matière de logiciels vous semble-t-elle diversifiée ? L'utilisation de logiciels français ou européens est-elle favorisée ? Enfin, pouvez-vous nous présenter la plateforme « MOOC bâtiment durable » et nous dire où en sont les premiers appels à projets de MOOC (cours en ligne) lancés en novembre dernier ?
J'ai quatre questions. M. Bertrand Delcambre, ambassadeur du numérique dans le bâtiment, soutient l'idée de reprendre dans un premier temps, pour la filière du bâtiment, le travail effectué dans le cadre de l'aérospatial et d'avoir une vision industrielle européenne unique autour de l'industrie du futur. Quelle est votre opinion sur ce sujet ? La pénibilité précarise les travailleurs et empêche l'innovation. La robotique collaborative est très prometteuse pour le bâtiment mais les recherches sont, à ce jour, trop peu nombreuses car isolées de toute vision industrielle partagée. L'Institut de recherche technologique Jules Verne ou le Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) peuvent être des acteurs privilégiés à mobiliser pour cette question. Partagez-vous ce constat ? Les artisans, à condition d'être formés et accompagnés, pourront profiter de la révolution numérique pour s'orienter vers l'excellence et la polyvalence. Si certains métiers pourraient être détruits dans la construction du neuf, il serait souhaitable de les transférer dans l'ancien autour de la rénovation énergétique qui représente une véritable opportunité. Quelle est votre opinion sur ce sujet ? Enfin, quelles pistes existent aujourd'hui pour renforcer la formation des artisans et des PME au numérique ?
Quand on parle de la révolution numérique, on pense en premier à la fracture qui existe entre les zones urbaines et les territoires ruraux. Mais cette révolution numérique ouvre de nombreuses opportunités de développement pour les entreprises du bâtiment. En revanche, une menace existe pour les petites entreprises du bâtiment qui ont un accès difficile à la formation. Comment former les entreprises, les grandes comme les petites, à cette révolution numérique ? Dans une conjoncture difficile, c'est le moment de prendre le temps de se former. Comment mobiliser aujourd'hui l'argent de la formation professionnelle pour ce type de formations ?
La numérisation soulève un certain nombre d'interrogations. Les TPE et les PME, qui constituent l'essentiel de la filière du bâtiment, vont devoir développer des compétences en matière d'informatique et de numérique. Se pose alors la question du conseil auprès des particuliers et des donneurs d'ordre publics, parce que le premier conseil en matière du bâtiment, c'est souvent le maçon ou les TPE du village. Il y aussi des interrogations sur l'achat des matériaux. Y aura-t-il des plateformes virtuelles d'achat ? Cela a des conséquences sur la qualité des matériaux, les conseils et la qualité des relations humaines. Le numérique, qui peut être une source de simplification, ne risque-t-il pas aussi d'être un élément de fragilisation de la filière du bâtiment si on ne met pas en place les outils pour l'anticiper et s'y préparer ?
La numérisation de l'activité du bâtiment, c'est aussi la possibilité pour nos entreprises de mieux concurrencer le phénomène des travailleurs détachés illégaux. Comment très concrètement les entreprises mettent-elles en place des processus nouveaux pour aller dans le sens de l'économie numérique ? Quels sont les changements très concrets pour les consommateurs, qu'ils soient des futurs acquéreurs ou des occupants de logements dans le cadre de travaux de rénovation ? Ma troisième question porte sur le carnet numérique de suivi et d'entretien du logement qui a été décidé dans le cadre de la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte. Comment voyez-vous sa mise en place ? Concernant l'open data, en quoi un accès plus facile des professionnels aux données publiques sur le foncier, les servitudes d'utilité publique ou l'enfouissement des réseaux par exemple, pourrait-il vous permettre de construire plus vite et pour moins cher ? Enfin, concernant l'économie collaborative, comment va-t-on pouvoir différencier l'artisan qualifié des services entre particuliers ?
Où en est la numérisation du permis de construire ? J'ai l'impression qu'on en reste au support papier alors que ça pourrait être le premier acte de numérisation dans le bâtiment.
Je voudrais aussi intervenir au nom de la ruralité. J'ai peur d'une rupture entre numérique et ruralité. Nous avons affaire à des opérateurs qui cherchent un retour sur investissement et c'est toujours la ruralité qui trinque. Les pouvoirs publics assurent les financements nécessaires dans certains territoires. Mais au final c'est le contribuable local qui paie, alors que les grandes villes bénéficient d'une couverture réseau sans intervention publique. Nous avons l'impression d'être confrontés à un système à deux vitesses, aussi bien pour les habitants que pour les entreprises qui souffrent déjà dans les territoires dits « en décrochage » et qui ont un accès plus difficile au numérique. Quels sont les enjeux sur la domotique et l'adaptation des logements au vieillissement ?
La Fédération française du bâtiment s'intéresse évidemment à la question du numérique mais en voulant raison garder : vouloir adapter le secteur du bâtiment au numérique sans un maillage territorial universel pose un véritable problème.
Nous avons des problématiques concernant la couverture et les débits du réseau, il y a une fracture entre les métropoles et la ruralité. Même si le secteur du bâtiment s'inscrit dans la révolution numérique, en raison de la numérisation des appels d'offres ou des déclarations sociales ou fiscales, ou encore via le BIM, il s'y inscrit avec prudence.
Il y a 30 ans, on parlait déjà de la domotique comme une révolution à venir pour le secteur. Celle-ci existe aujourd'hui, mais à la marge. Cette évolution participe d'une réflexion plus générale : comment peut-on faire évoluer le secteur du bâtiment ? On va naturellement vers un processus où les artisans seront mieux formés, ou ceux-ci travailleront de manière plus transversale avec les différents corps de métiers pour s'adapter aux enjeux actuels, en particulier sur la performance énergétique.
Pour autant, il y a aussi des freins et des incompréhensions ; en particulier, on comprend mal pourquoi les gouvernements successifs ont poussé à la déréglementation d'un certain nombre de métiers. Derrière cela, on déstabilise un marché alors même que les artisans sont les derniers remparts du service public, qu'ils sont un lien de proximité avec les populations. Certes le numérique doit accompagner le bâtiment, mais l'acte humain doit être conservé.
Se pose par ailleurs la question des travailleurs détachés. Nous sommes européens, nous essayons de trouver des garde-fous, la Fédération française du bâtiment a obtenu la mise en place d'une carte d'identification, ce qui permet de vérifier sur les chantiers la légalité de la situation des salariés.
Concernant les marges, depuis 2008, on voit bien que pour un nombre important d'entreprises, les prix sont anormalement bas pour des prestations de plus en plus pointues. Nous devons respecter un double objectif : conserver la formation professionnelle avec des approches de plus en plus transversales dans l'exercice de nos métiers ; et mettre en place des règles pour le plus grand nombre.
Le Gouvernement, à travers la loi pour l'artisanat, le commerce et les très petites entreprises a pu, par exemple, faire évoluer le régime de l'autoentrepreneur ; il faut aller plus loin mais sans remettre en cause les seuils actuels. On doit évidemment favoriser l'entrepreneuriat mais sans mettre en place un système parallèle qui vienne concurrencer les artisans de manière plutôt déloyale, et pas toujours au bénéfice du consommateur, par exemple au regard de la qualité des prestations et des assurances apportées.
Quand on voit les services offerts en ligne, on découvre un certain nombre d'intermédiaires favorisant les autoentrepreneurs. Il ne faut pas que ces intermédiaires viennent concurrencer nos entreprises. Or, on peut trouver sur ces sites des annonces pour refaire entièrement à neuf un studio. Il faut donc pouvoir réglementer le système pour que les plus démunis puissent avoir accès à ces services mais pas dans n'importe quelles conditions.
En introduction, nous souhaitions replacer la préoccupation de l'économie du numérique dans son contexte global vis-à-vis du secteur du bâtiment.
Il est indéniable que la révolution numérique qui s'annonce va transformer notre économie. Il est important que le secteur de bâtiment s'inscrive dans cette transformation. Cette révolution représente un enjeu majeur pour les entreprises de l'artisanat et, depuis de nombreuses années, nos entreprises ont fait des efforts de modernisation pour entrer tout d'abord dans l'ère de l'informatique et maintenant dans l'ère du numérique. On peut s'apercevoir que 95 % des entreprises artisanales du bâtiment sont connectées à internet, deux tiers des artisans ont déjà fait des achats de matériaux en ligne, et 61 % des artisans estiment qu'internet est indispensable à leurs activités…
En revanche, seulement 16 % des artisans utilisent des plateformes de mise en relation pour leurs devis.
Il y a un certain nombre de domaines ou nos entreprises ont fait des progrès, on peut par exemple citer l'implication du secteur dans les machines-outils à commande numérique, les maquettes numériques, les imprimantes 3D… Dans le cadre de la gestion de l'entreprise, le numérique joue un rôle important à travers les logiciels de devis-facture et de comptabilité ou la dématérialisation des formalités administratives.
Je vais laisser mon collègue prendre la suite sur ce sujet et je reviendrai plus tard sur l'ensemble des problématiques relatives aux distorsions de concurrence que crée l'économie collaborative.
Il nous faudrait sans doute davantage de temps que nous en disposons pour répondre à toutes les questions qui ont été posées. Nous restons donc à votre disposition dans le cas où vous voudriez nous rencontrer à nouveau.
L'arrivée de l'informatique a tout d'abord conduit à des évolutions dans la gestion des entreprises du bâtiment, par exemple s'agissant de la gestion du carnet de commandes, des payes, des commandes de matériaux ou de la comptabilité. Par la suite, la révolution numérique a également modifié la manière de vendre et de communiquer de ces entreprises.
Aujourd'hui, la CAPEB fait d'importants efforts pour apporter une aide aux artisans du bâtiment dans l'utilisation d'internet. Un partenariat a été conclu avec une startup qui permet, pour un coût modique, de créer un site simple d'usage. Par ailleurs, la CAPEB expérimente actuellement la création d'une plateforme en ligne de mise en relation de particuliers et d'artisans. Les résultats de cette expérimentation permettront d'adapter et d'améliorer la plateforme. On note par ailleurs que des plateformes sont également créées pour mettre en relation des entreprises entre elles.
Les outils numériques ont permis jusqu'ici de gagner du temps dans la gestion des chantiers, moins dans les travaux eux-mêmes. Désormais, ils permettent également d'accélérer les travaux. À titre d'exemple, les ouvriers peuvent envoyer, grâce à leur téléphone, à leur patron une photo du problème qu'ils rencontrent afin de trouver une solution, plutôt que de le faire venir sur place. D'autres progrès sont sans doute à attendre dans l'avenir.
Le numérique n'est pas pour nous une menace. Ce n'est en effet qu'un simple outil. C'est son exploitation dans un but lucratif qui peut induire certains problèmes dans le secteur du bâtiment.
Les outils numériques constituent pour l'entreprise un atout permettant d'obtenir des gains de productivité et de compétitivité, ainsi que de conquérir de nouveaux marchés. Toutefois, ces outils peuvent également induire des modifications importantes notamment s'agissant des comportements des consommateurs, du modèle économique des entreprises, et des relations de travail au sein du secteur du bâtiment.
Ces enjeux sont particulièrement prégnants ces dernières années, alors qu'émerge l'économie collaborative, qui se fonde non plus sur la propriété mais sur l'usage. Dans cette optique, les plateformes que nous craignons le plus sont celles qui mettent en relation les particuliers entre eux. Se pose en effet la question de savoir quels sont les véritables acteurs intervenant sur ces plateformes ; sont-ils de faux particuliers ou de vrais professionnels ?
En outre, y a-t-il une véritable équité entre les entreprises traditionnelles et les travailleurs intervenant sur ces plateformes ? L'entreprise qui crée de l'activité déclare ses revenus et paye des charges et des impôts. Elle doit, en outre, respecter un certain nombre de normes. Dès lors, l'équité peut être rompue si les nouveaux acteurs du bâtiment ne sont pas soumis à cette obligation.
Il est vrai que l'entraide entre particuliers préexistait au numérique. Internet n'a finalement fait que faciliter leur mise en relation. Notre objectif n'est donc pas de combattre internet et le progrès. Nous lutterons en revanche contre la distorsion qui est créée entre ceux qui créent de l'activité et ne déclarent rien et ceux qui doivent, pour exercer leur profession, être qualifiés, répondre à certaines normes et payer des charges et des impôts.
Au-delà de la question de l'équité, l'émergence de ce nouveau modèle économique de l'économie collaborative pourrait remettre en cause notre système de protection sociale. Lorsque la prétendue entraide entre particuliers dépasse en réalité ce cadre pour entrer dans le champ professionnel, sans être déclarée et soumise aux charges sociales, le financement du système de protection sociale en est réduit d'autant.
Par ailleurs, la CAPEB participe au plan gouvernemental de transition numérique dans le bâtiment (PTNB) conduit par M. Bertrand Delcambre, mission qui lui a été confiée l'année dernière. Coexistent également deux autres programmes, le programme d'action pour la qualité de la construction et la transition énergétique (PACTE) et le plan de recherche et développement sur l'amiante. Ces trois programmes progressent de concert et permettent de créer des outils concrets pour aider les entreprises à s'adapter tant à la révolution numérique qu'à la transition énergétique. Il nous apparaît d'ailleurs essentiel que ces outils soient adaptés aux besoins des TPE, notamment en ce qui concerne les travaux de rénovation.
Frizbiz est une plateforme consacrée aux services de proximité entre particuliers : nous leur permettons de trouver de l'aide auprès d'un autre particulier proche de chez eux pour la réalisation de tâches de la vie quotidienne ou de menus travaux tels que l'accrochage d'une barre de rideau, le montage d'un dressing ou la peinture d'une chambre. Comme tout le monde n'a pas la possibilité de demander ce genre de services à des amis ou de la famille, Frizbiz permet de mettre en relation ces « demandeurs » occasionnels avec l'offre des « jobbeurs », ces travailleurs collaboratifs ayant les disponibilités et les compétences pour rendre ces services tout en gagnant de l'argent.
Frizbiz apporte ainsi une solution aux clients demandeurs qui ont besoin d'un coup de main, mais surtout l'opportunité pour les travailleurs collaboratifs de se sentir utiles, de travailler et d'améliorer financièrement leur quotidien. Il faut bien comprendre que Frizbiz est assez éloigné du secteur du bâtiment proprement dit. En effet, l'objectif de Frizbiz est d'organiser la rencontre de l'offre et de la demande de « coups de main », et non d'organiser de véritables chantiers réalisés par des artisans. La cible est vraiment le « jobbing », c'est-à-dire les petits travaux.
L'équipe de Frizbiz, composée de 11 personnes situées à Lille, assure donc un filtre des demandes, même si celui-ci ne peut être infaillible. Les clients mesurent également les risques liés à l'acceptation d'une offre comme c'est le cas sur d'autres plateformes telles que Blablacar ou Airbnb, et c'est pourquoi le panier moyen de Frizbiz est inférieur à 100 euros. Il s'agit véritablement de répondre par l'économie collaborative de proximité à un besoin en petits travaux, non satisfait actuellement sur le marché, et non de s'inscrire sur le marché traditionnel du bâtiment occupé par les artisans.
S'agissant de la question de la qualification des offreurs, Frizbiz a un devoir d'information vis-à-vis du demandeur, afin qu'il puisse sélectionner une offre en cohérence avec ses besoins et au bon tarif. L'équipe de Frizbiz vérifie ainsi l'identité des offreurs et leur adresse électronique. La vérification de leurs compétences se fait en revanche par la collectivité de Frizbiz, par le biais de « l'e-réputation », en fonction de la qualité des travaux réalisés par l'offreur. En parallèle, Frizbiz met en place un système de qualification s'appuyant sur les ateliers de bricolage de certains de ses partenaires pour permettre à des offreurs moins qualifiés d'être formés bénévolement par des offreurs plus qualifiés et ainsi de monter en compétence dans certains domaines. À terme, certains de ces offreurs, demandeurs d'emploi ou en recherche d'activité, peuvent se professionnaliser et devenir de véritables artisans pouvant répondre à des demandes de plus forte valeur ajoutée. Frizbiz attache une importance considérable à cette communauté qualitative en création.
Concernant, la question des assurances, Frizbiz assure depuis peu toutes les prestations de bricolage, garantissant ainsi que les travaux ont été effectués correctement.
En termes de déclarations sociales, le paiement est immobilisé sur notre plateforme, de même que sur Uber, Airbnb et Blablacar. Par le biais de notre partenaire Payname, nous avons mis en place un canal direct avec les Urssaf, pour permettre à nos utilisateurs de déclarer automatiquement et gratuitement leurs revenus. En échange, nous avons un devoir d'information envers nos utilisateurs sur leurs obligations, afin qu'ils soient en mesure de les respecter. Frizbiz a d'ailleurs participé au rapport de M. Pascal Terrasse sur l'économie collaborative afin de simplifier les procédures pour que les utilisateurs soient incités à déclarer leurs revenus. Nous souhaitons travailler avec les parlementaires sur cette question, dont vous serez nécessairement saisis.
Le travail occasionnel doit le rester. Il existe, selon moi, deux types de travailleurs collaboratifs : ceux qui dépendent économiquement de la plateforme, comme les conducteurs d'Uber, et les travailleurs collaboratifs occasionnels, qui rendent service à des particuliers ayant des besoins eux aussi occasionnels, par exemple du petit bricolage auprès d'un voisin. Le droit doit évoluer pour simplifier les procédures et permettre à des particuliers d'aider d'autres particuliers – sans empiéter sur le domaine des artisans. La frontière doit être très nette.
Frizbiz est aussi apporteur d'affaires pour les artisans. Nous travaillons notamment avec Leroy Merlin, à qui nous transmettons les demandes qui ne correspondent pas à notre vocation. Certains artisans utilisent également Frizbiz pour compléter leur programme par des travaux à moins forte valeur ajoutée.
Je m'étonne lorsque je n'entends parler que de petits travaux de bricolage. Je prendrai l'exemple d'une petite annonce que j'ai trouvée sur Frizbiz. Elle propose la rénovation complète d'un studio de 31 m2, avec la suppression de deux cloisons, la réfection de la cuisine et de la salle de bain, le retrait des papiers peints et la pose d'un parquet flottant. La réponse qui y a été apportée demandait, en premier lieu, si l'auteur de l'annonce souhaitait ou non une facture pour ses travaux, puis si le devis devait comprendre uniquement la main-d'oeuvre ou également les matériaux ! Elle proposait enfin une visite rapide pour apprécier l'étendue des travaux. L'offreur était un étudiant en études de sport, proposant également ses services en coaching et nutrition, mais dont la deuxième passion était le bricolage et le jardinage. Les services proposés incluaient des travaux de petite maçonnerie, de démolition, la pose de carrelage, de pierres de parement et de parquet, et des services de déménagement. Nous sommes loin de la pose de tringles à rideaux ! Cette annonce figure sur votre site et n'a pas été modérée.
Les plateformes de ce type ont une fonction d'intermédiaire et de comparateur, et elles sont aujourd'hui parées de toutes les vertus en raison de leur nouveauté. Je ne doute pas de vos bonnes intentions, mais les conditions de diplôme et de compétence ont leur importance ! Je suis donc sceptique sur la possibilité que vous évoquiez d'une formation réciproque entre « jobbeurs ». Il faut rester très vigilant sur ce point. Les artisans sont souvent installés depuis des décennies, et proposent eux aussi des services de proximité. Je rappellerai que l'artisanat existe depuis le Moyen-Âge et a survécu à l'industrialisation. Entre poser une tringle à rideaux et ce genre de travaux, il y a un monde : c'est celui qui sépare la compétence du bricolage.
S'agissant des matériaux en ligne, il faut faire attention à la contrefaçon sur internet, qui peut entraîner des sinistres et un niveau de sécurité insuffisant. Les normes, notamment la norme « NF », ne sont pas toujours respectées. Acheter des produits de moindre valeur entraîne des risques. J'inviterai ici encore à la prudence.
Il s'agit d'une caricature. Cette annonce est passée entre les mailles du filet de la modération. Nous tenons à ne pas entrer en concurrence avec les artisans. Notre objectif est d'apporter une aide à des particuliers ayant besoin d'un coup de main. Les demandes en ce sens existent, et notre offre y répond.
S'agissant du travail au noir, les paiements passent par Frizbiz. En juillet, les déclarations seront prêtes à être transmises aux Urssaf par notre système de déclaration automatique des revenus. Nous sommes en train de structurer ce marché, précisément pour éviter le travail au noir, en automatisant et en numérisant ces déclarations. Notre travail avec M. Pascal Terrasse vise justement à créer des procédures de déclaration simplifiées. Nous souhaitons d'ailleurs travailler également avec le Gouvernement sur cette question.
Je salue la création de plateformes entre artisans, évoquée par la CAPEB. Les artisans ont également des attentes en ce sens, et nous ne sommes nullement concurrents de cette démarche. Le fait que vous puissiez gérer les paiements à travers une plateforme sera un avantage pour vous, car les particuliers l'attendent également. Je pense qu'il faut pousser l'innovation plutôt que la freiner, et que les entreprises traditionnelles doivent également évoluer. Je serais ravi de travailler avec vous sur la définition des frontières entre nos activités. Nous répondons à un besoin qui n'est pas aujourd'hui satisfait en apportant un service pour de petits travaux, quand les artisans apportent une plus forte valeur ajoutée.
Je vous remercie de vos interventions. Nous ne manquerons pas de vous entendre à nouveau à l'occasion de l'examen de textes législatifs abordant ces sujets.
Membres présents ou excusés
Commission des affaires économiques
Réunion du mardi 22 mars 2016 à 16 h 15
Présents. – M. Frédéric Barbier, Mme Marie-Noëlle Battistel, M. Jean-Claude Bouchet, M. André Chassaigne, M. Dino Cinieri, M. Yves Daniel, Mme Jeanine Dubié, Mme Corinne Erhel, Mme Marie-Hélène Fabre, M. Christian Franqueville, M. Daniel Goldberg, M. Philippe Kemel, Mme Annick Le Loch, M. Jean-Pierre Le Roch, Mme Audrey Linkenheld, Mme Marie-Lou Marcel, Mme Frédérique Massat, M. Jean-Claude Mathis, M. Hervé Pellois, M. Frédéric Roig, M. Éric Straumann
Excusés. – Mme Josette Pons, Mme Catherine Troallic
Assistaient également à la réunion. – M. Jean-Louis Bricout, M. Guillaume Chevrollier, M. Dominique Potier