La séance est ouverte à seize heures trente-cinq.
Présidence de Mme Catherine Coutelle, présidente.
La Délégation procède à l'audition, ouverte à la presse, de M. Jeroen Decuyper, attaché à l'Institut pour l'égalité des femmes et des hommes de Belgique, auteur principal du Manuel pour la mise en oeuvre du gender budgeting au sein de l'administration fédérale belge, de M. Paul Daulny, chargé de l'accompagnement des collectivités locales et des syndicats au Centre Hubertine Auclert, centre francilien de ressources pour l'égalité femmes-hommes, coauteur de La budgétisation sensible au genre, guide pratique (Centre Hubertine Auclert, 2015), et de Mme Fanny Benedetti, directrice exécutive du Comité ONU Femmes France, sur la budgétisation sensible au genre.
Dans le cadre de la mission confiée à notre collègue Maud Olivier, rapporteure d'information sur les études de genre, nous poursuivons aujourd'hui nos travaux avec une audition consacrée à la « budgétisation sensible au genre », ou gender budgeting – et je souhaite à cet égard qu'il soit fait usage de la terminologie française ; vous pourrez d'ailleurs nous préciser si vous utilisez une expression plus simple.
Cette notion est définie par le Conseil de l'Europe comme étant une application de l'approche intégrée de l'égalité entre les femmes et les hommes dans le processus budgétaire. Cela implique une évaluation des budgets existants avec une perspective de genre à tous les niveaux du processus budgétaire, ainsi qu'une restructuration des revenus et des dépenses dans le but de promouvoir l'égalité entre les femmes et les hommes.
Il s'agit donc d'une analyse, sous l'angle du genre, de toutes les formes de dépenses et de recettes publiques, et de l'inventaire de leurs conséquences directes et indirectes sur la situation respective des femmes et des hommes.
Nous avons évoqué ce sujet lors d'une audition sur le genre et l'espace public. Nous avons constaté qu'un certain nombre de collectivités menaient des projets d'aménagement d'espaces publics, comme les city parks, aujourd'hui extrêmement populaires. Or on se rend compte que ces city parks sont très majoritairement utilisés par les garçons. Je pense notamment aux terrains de football dans la mesure où, de fait, cela reste encore un sport pratiqué plutôt par les garçons.
Nous avons le plaisir d'accueillir aujourd'hui trois intervenants, que je remercie chaleureusement de participer à nos travaux : M. Jeroen Decuyper, attaché à l'Institut pour l'égalité des femmes et des hommes de Belgique, et auteur principal du Manuel pour la mise en oeuvre du gender budgeting au sein de l'administration fédérale belge, M. Paul Daulny, chargé de l'accompagnement des collectivités locales et des syndicats au Centre Hubertine Auclert, centre francilien de ressources pour l'égalité femmes-hommes, coauteur de La budgétisation sensible au genre, guide pratique (Centre Hubertine Auclert, 2015), et Mme Fanny Benedetti, directrice exécutive d'ONU Femmes France.
Avant de laisser la parole à notre rapporteure, je vous précise, chers collègues, que la Délégation aux droits des femmes examinera le rapport d'information sur les études de genre le mercredi 12 octobre après-midi.
La semaine prochaine, nous travaillerons sur la fiscalité et son impact sur le travail des femmes.
La Délégation aux droits des femmes m'a chargée de présenter un rapport sur les études de genre. Dans la loi du 4 août 2014 sur l'égalité entre les femmes et les hommes, nous avons, à l'article 1er, fait ajouter que « des actions visant à porter à la connaissance du public les recherches françaises et internationales sur la construction sociale des rôles sexués » devaient faire partie intégrante de la politique en faveur de l'égalité femmes-hommes.
Nous avons mené un certain nombre d'auditions sur les questions abordées dans le cadre de ces recherches sur le genre. Il nous reste maintenant à parler de budget. On sait à quel point les leviers financiers et les budgets sont très mobilisateurs. Cette audition va nous aider à savoir comment procéder pour mobiliser des budgets et faire en sorte qu'ils soient toujours sous-tendus par cette notion d'égalité femmes-hommes lors de leur élaboration.
Je vous remercie de m'avoir invité pour parler de nos travaux devant la Délégation aux droits des femmes.
Avant d'expliquer la méthode du gender budgeting utilisée en Belgique, je vais évoquer le contexte dans lequel cette méthode a été adoptée.
La loi du 12 janvier 2007 relative au gender mainstreaming (approche intégrée de l'égalité) oblige à intégrer la dimension de genre dans l'ensemble des politiques : mesures, préparation de budgets ou actions en vue d'éviter ou de corriger d'éventuelles inégalités entre les femmes et les hommes.
Elle prévoit aussi des obligations spécifiques, par exemple, l'obligation de ventiler par sexe les statistiques collectées ou produites par les administrations, l'intégration de la dimension de genre dans les marchés publics, dans les subsides, le gender budgeting, un « test genre » sur les propositions de loi etc.
L'objectif premier de cette loi est de prendre en compte la situation éventuellement différente des femmes et des hommes, ce que nous appelons chez nous « la dimension de genre », dans toutes les actions. Auparavant, seules les actions spécifiques avaient pour but de promouvoir l'égalité. La loi gender mainstreaming vise à ce que toutes les autres actions entreprises par le Gouvernement prennent aussi en compte la dimension de genre.
C'est dans ce contexte qu'il faut appréhender la méthode belge fédérale du gender budgeting. Il y a différentes approches dans ce domaine. Chez nous, l'objectif n'est pas de savoir exactement quelles sommes vont aux femmes et aux hommes ou d'arriver à une distribution équilibrée à 100 % entre femmes et hommes. Nous n'en sommes pas à ce stade. Nous avons voulu faire du gender budgeting un instrument pour soutenir le gender mainstreaming et stimuler la prise en compte de la dimension de genre dans toutes les actions qui demandent un budget.
Quel est le cadre pour faire du gender budgeting ? Il y a d'abord, comme je viens de le dire, la loi relative au gender mainstreaming, dont l'article 2, paragraphe 1, dispose que le Gouvernement doit prévoir l'indication de la dimension de genre dans l'ensemble des préparations de budgets. L'article 2, paragraphe 2, impose l'obligation d'identifier les crédits relatifs aux actions visant à réaliser l'égalité entre les femmes et les hommes dans une note de genre annexée à chaque projet de budget.
En gros, ces crédits relatifs aux actions visant à réaliser l'égalité entre les femmes et les hommes sont destinés aux actions spécifiques. Cet élément a été inscrit dans la loi. C'était une demande des associations de femmes, qui voulaient avoir des informations en la matière.
La loi est de portée générale. Une circulaire relative au gender budgeting a été élaborée en 2010. Il s'agit d'une circulaire générale destinée à tous les services publics fédéraux, qui détermine la méthode et la procédure à utiliser pour mettre en oeuvre la loi. Il y a, en outre, une circulaire annuelle élaborée par le service public fédéral Budget et contrôle de la gestion, qui l'envoie chaque année à tous les services budgétaires des différents services publics, avec des instructions pour l'élaboration du budget. À partir de 2008, suite à l'adoption de la loi de 2007, cette circulaire indiquait déjà l'obligation de faire du gender budgeting.
Depuis 2010, avec l'adoption de la circulaire relative au gender budgeting, la circulaire concernant le budget a intégré un paragraphe sur le gender budgeting à l'intention des services Budget et contrôle de gestion.
La méthode que nous utilisons au niveau fédéral belge consiste en une catégorisation des crédits par les gestionnaires de dossiers pour stimuler une réflexion par rapport à la dimension de genre. Ce n'est pas pour quantifier ou analyser que nous faisons du gender budgeting, mais pour stimuler l'attention portée à la dimension de genre dans les projets qui demandent un budget.
Il y a donc un lien avec les budgets, mais surtout avec les dossiers qui y sont associés. Avec notre méthode, nous essayons d'influencer la mise en oeuvre de ces dossiers. Cela passe par l'obligation de classer les crédits dans une des trois catégories que je vais évoquer.
Dans la première catégorie, on classe les crédits dont les dossiers ne présentent pas vraiment de dimension de genre et ne peuvent avoir aucun impact sur la situation respective des femmes et des hommes. Il s'agit de crédits de nature plutôt technique.
Il y a deux exemples concrets d'allocations de base : les dommages locatifs lors du départ ou les crédits prévus pour les intérêts de retard.
La deuxième catégorie concerne les crédits relatifs aux dossiers ayant pour objectif spécifique d'améliorer l'égalité entre les femmes et les hommes. En effet, la loi relative au gender mainstreaming, en effet, prévoit que soient identifiées les actions spécifiques en la matière. Il existe, par exemple, une allocation de base dépendant du service public fédéral (SPF) Affaires étrangères, intitulée « Dépenses de toute nature » en matière de gender mainstreaming. Il s'agit d'une allocation de base dont tous les dossiers qui y sont liés ont pour seul objectif la promotion de l'égalité entre les femmes et les hommes.
Ces crédits doivent être spécifiés dans une note de genre qui se présente sous la forme d'un tableau annexé à chaque projet de budget général des dépenses. Cette note de genre énumère les crédits destinés à promouvoir l'égalité entre femmes et hommes.
La troisième catégorie, la plus importante à nos yeux, englobe tous les autres crédits relatifs aux dossiers qui concernent une politique publique et qui présentent une dimension de genre, c'est-à-dire ceux qui peuvent avoir un impact sur la situation respective des femmes et des hommes.
En ce qui concerne les allocations de base, il y a, par exemple, dans le cadre du SPF Santé publique, des crédits liés aux projets pilotes en matière de drogue. C'est un projet de portée générale, qui n'a pas pour but spécifique de promouvoir l'égalité des femmes et des hommes. Cela étant, nous estimons qu'il est important de tenir compte, dans ce projet, des différences entre les femmes et les hommes.
Même chose pour les études en rapport avec la sécurité routière. En Belgique, 77 % des tués sur la route sont des hommes. Il est important, là encore, que la sensibilisation se fasse davantage en direction des hommes.
Toujours en ce qui concerne la catégorie 3, il faut, en outre, indiquer dans un commentaire genre de quelle façon on tiendra compte de la dimension de genre dans le cadre du dossier. Ce commentaire genre doit être repris dans les fiches budgétaires et être ensuite intégré dans la justification de l'allocation de base en question.
S'agissant de l'étude en rapport avec la sécurité routière, par exemple, cela reviendrait, pour justifier l'allocation de base, à intégrer dans les paramètres de l'étude les statistiques ventilées par sexe, afin de pouvoir observer et analyser les différences.
J'en viens au processus.
En premier lieu, ce sont les gestionnaires des dossiers, dans les services, qui doivent mener la réflexion sur la catégorisation, parce que ce sont eux qui vont devoir élaborer le projet. Ce sont donc eux qui doivent être sensibilisés. Lorsqu'ils font une demande de budget auprès de services Budget et Contrôle de la Gestion, ils doivent indiquer la catégorie à laquelle ils pensent que leurs crédits appartiennent et ils doivent intégrer le commentaire genre dans la justification s'ils ont identifié leurs crédits comme relevant de la catégorie 3.
Ensuite, ce sont les services du budget et de contrôle de la Gestion qui vont intégrer la catégorisation dans les fiches budgétaires, et la note de genre s'il y a des crédits de catégorie 2. Ils doivent ensuite envoyer toutes ces informations au service public fédéral du budget, qui intègre les informations dans le projet de budget général des dépenses, lequel est enfin envoyé au Parlement. En gros, dans ce tableau budgétaire, le service public fédéral du budget a rajouté une colonne dans laquelle apparaît la catégorisation de chaque allocation de base.
Pour soutenir cette action, nous avons essayé de donner des exemples dans le Manuel pour la mise en oeuvre du gender budgeting au sein de l'administration fédérale belge.
Nous avons aussi élaboré une sorte de check-list pour le commentaire genre. Dans cette liste, nous avons repris des crédits et des dossiers récurrents, comme certaines études, campagnes de communication ou subsides, et nous donnons des indications sur ce que pourrait être un commentaire de genre.
Dans le cadre de la loi que j'évoquais, chaque service public fédéral a aussi un coordinateur ou une coordinatrice gender mainstreaming. Ces personnes sont, bien entendu, des personnes ressources, qui ont aussi reçu des informations de l'Institut pour l'égalité des femmes et des hommes. Enfin, il y a l'Institut, dans le cadre duquel nous continuons à sensibiliser et informer.
Lorsque la circulaire gender budgeting est parue, nous sommes allés voir chaque service du budget de chaque service public fédéral. Nous avons fait le tour des dix-sept services publics fédéraux pour les informer de ce qui allait arriver et leur expliquer la méthode.
Il y a un début d'expérience puisque la loi date de 2007 et la circulaire de 2010. Comment cela a-t-il été perçu au début ? À ce jour, avez-vous noté une évolution ? Les budgets genrés ont-ils eu un effet sur certains projets ou ont-ils permis de modifier leur approche ?
À quel niveau de précision arrivent les personnes qui étudient les budgets qu'on leur présente ? Je pense que vous subventionnez la recherche, la recherche médicale, par exemple, ou les études supérieures. Quel est le regard porté sur le contenu des recherches ? Les femmes sont-elles avantagées, désavantagées, prises en compte dans ces études ?
Par ailleurs, y a-t-il des sanctions ? Refusez-vous d'accepter un budget et de le faire voter si vous estimez que le genre n'a pas vraiment été pris en compte ?
En ce qui concerne ce début d'expérience, tout le monde n'était pas ravi d'avoir une obligation supplémentaire. Nous avons dû expliquer la méthode. L'argument le plus important que nous employons, tant pour le gender mainstreaming que pour le gender budgeting est l'égalité, mais nous parlons aussi d'efficacité. Nous expliquons aux intéressés qu'en utilisant cette méthode, ils vont faire une analyse de genre de leur projet, qui leur permettra de repérer des différences auxquelles ils n'avaient pas pensé.
Le projet pilote drogue en est un exemple concret. Des campagnes de communication ont été faites, avec des affiches, très dures, représentant des hommes avec des aiguilles. Or les études montrent que les femmes consomment plutôt des somnifères, des médicaments avec prescription, beaucoup moins les drogues visées par ces affiches. Ce budget n'a donc pas été utilisé de manière efficace. C'est en se servant de tels exemples que nous avons essayé de les convaincre qu'il était intéressant de mener cette expérience.
En ce qui concerne les résultats, nous avons commencé en 2010, ce qui est assez récent. Entre-temps, nous avons aussi eu un petit souci de gouvernement, ce qui a un peu ralenti nos travaux !
Pour le moment, je dois avouer que nous en sommes encore au stade où nous faisons le suivi (monitoring) des processus. Nous essayons de faire des évaluations tous les deux ans pour savoir si toutes les allocations de base ont été catégorisées, si les catégorisations sont correctes, si les commentaires genre et les notes de genre ont été rajoutés.
Les résultats sont inégaux. Il y a des services publics fédéraux qui, pour le moment, n'ont que des allocations de base de catégorie 1, ce qui nous semble assez irréaliste. Il y a un service public fédéral qui ne compte aucun dossier avec une dimension de genre. Nous avons des doutes sur ce point, car il est probablement plus facile d'agir ainsi… Nous l'avons indiqué dans l'évaluation que nous devons communiquer.
En revanche, d'autres services publics font un réel effort pour réaliser cette catégorisation, avec des commentaires de genre indiquant ce qui va être fait. Nous ne savons pas encore si cela a vraiment apporté des changements au niveau des dossiers, mais nous savons que cela a fonctionné dans certains cas.
Le service public fédéral mobilité, par exemple, a mené une enquête et une analyse de genre sur la mobilité des Belges et classé les dossiers en catégorie 3. Ensuite, l'Institut a été contacté pour décider avec les responsables des dossiers de ce qu'il fallait faire pour en tenir compte.
Ainsi, en ce qui concerne le processus, les résultats sont inégaux, mais nous progressons chaque année et nous avons pu observer quelques résultats positifs.
J'en viens aux sanctions. Malheureusement, il n'y en a pas.
Pour le moment, non. Nous sommes en relation avec la cellule stratégique de la ministre du budget, qui semble vouloir donner un nouvel élan au gender budgeting, pour réfléchir à la question, mais nous n'avons pas encore commencé les négociations.
Nous préparons également un autre volet concernant le contrôle par les instances officielles, qui sont, en Belgique, la Cour des comptes et les inspecteurs des finances. Ceux-ci reçoivent une formation en la matière pour pouvoir vérifier que les obligations ont bien été respectées.
Sous quelle autorité est placée la question du gender budgeting ? S'agit-il de la ministre du budget ou est-ce transversal à tous les ministres ?
En gros, c'est transversal. La loi relative au gender mainstreaming, c'est l'obligation imposée par le Gouvernement. Chaque ministre a la responsabilité de son propre budget et ce sont ses services qui ont l'obligation de mettre en oeuvre la loi.
Pour le moment, nous avons une secrétaire d'État à l'égalité qui, avec l'Institut, donne des informations, mais, comme je l'ai dit, nous sommes en contact avec la cellule stratégique de la ministre du budget. La méthode a été négociée dans ce cadre et nous avons son soutien. La responsabilité est globale, mais la ministre en charge de l'égalité et la ministre en charge du budget ont un rôle porteur.
Après l'exemple belge, nous allons passer à l'exemple français, du moins à ce qu'il se passe en France, dans la mesure où la loi ne nous impose pas cette obligation.
Monsieur Daulny, vous avez fait une étude sur ce sujet pour le Centre Hubertine Auclert. Il y a, en France, des collectivités qui se sont dotées du gender budgeting. Nous souhaiterions savoir comment cela pourrait être développé.
J'ai encore une question à vous poser, monsieur Decuyper, mais vous pourrez peut-être y répondre tout à l'heure. Pour l'instant, vous agissez au niveau fédéral. Votre action irrigue-t-elle d'autres échelons de la collectivité ?
Ensuite, nous passerons à l'ensemble du monde, en particulier aux pays en développement, avec Mme Benedetti.
Dans le guide intitulé La budgétisation sensible au genre, que nous avons publié en 2015, nous avons choisi d'explorer une thématique promue par les organisations internationales dans le cadre des politiques de développement. Nous avons été surpris de constater que cette démarche était balbutiante en France, alors que nos administrations locales sont bien plus installées dans le paysage institutionnel et qu'elles sont dotées de moyens humains et financiers plus importants.
C'est de façon proactive que nous avons choisi de travailler sur cette thématique, d'abord en organisant une formation sur la budgétisation sensible au genre à destination des personnels et des élus des collectivités territoriales, puis en en donnant une forme de capitalisation au travers de la publication de ce guide pratique. Je tiens à saluer la coautrice de ce guide, Isabelle Gueguen, du cabinet coopératif (SCOP) Perfégal, qui a travaillé avec nous sur cette thématique.
En ce qui concerne le nombre de collectivités territoriales françaises qui se sont emparées de cette thématique, c'est, pour l'instant, je le répète, une démarche balbutiante. Quelques collectivités territoriales ont engagé des politiques volontaristes en matière d'égalité femmes-hommes, en essayant de le faire selon une approche intégrée.
Je reviens sur la différence entre « approche spécifique » et « approche intégrée ».
L'approche spécifique consiste à conduire des actions à destination des femmes. Il s'agit d'actions dont l'objectif est de corriger les inégalités entre femmes et hommes. L'approche intégrée vise à intégrer en permanence au raisonnement et à la conduite des politiques publiques une attention aux inégalités entre femmes et hommes. Autrement dit, quand lors de la construction d'une politique publique, je vais m'interroger sur ses éventuelles conséquences, ses externalités positives ou négatives en matière d'égalité entre les femmes et les hommes.
Plusieurs collectivités essaient, depuis quelques années, de s'engager dans cette démarche. Actuellement, à ma connaissance, trois collectivités en France ont fait part de leur volonté de mettre en place la budgétisation sensible au genre. Il ne s'agit pas, pour moi, de donner une liste exhaustive, mais je citerai la ville de Paris, qui semble vouloir aller dans ce sens, la ville de Montreuil, qui a également fait part de sa volonté de tester la budgétisation sensible au genre, au moins sur une partie de son budget municipal, et la ville de Bordeaux, qui réfléchit à la mise en oeuvre d'une telle démarche.
Pour l'instant, nous en sommes au stade du projet. Il est important de noter que les évolutions récentes du cadre législatif représentent une opportunité pour les collectivités territoriales de s'emparer de cette thématique et, en premier lieu, des thématiques d'égalité femmes-hommes au sens large puisque la loi du 4 août 2014 pour l'égalité réelle entre les femmes et les hommes, en son article 1er dispose que « L'État et les collectivités territoriales, ainsi que leurs établissements publics, mettent en oeuvre une politique pour l'égalité entre les femmes et les hommes selon une approche intégrée ». C'est une première base.
L'article 61 de cette même loi représente également une opportunité puisqu'il prévoit que toutes les collectivités territoriales de plus de 20 000 habitants présentent, devant leur organe délibérant, préalablement aux débats sur le projet de budget, un rapport sur la situation en matière d'égalité entre les femmes et les hommes.
Je ne suis pas juriste, mais il y a, dans le décret d'application, un passage qui laisse entrevoir la possibilité, un jour, d'une démarche de budgétisation sensible au genre puisqu'il est indiqué que « Le rapport recense les ressources mobilisées à cet effet », c'est-à-dire les ressources mobilisées en matière d'égalité entre les femmes et les hommes.
Donc, même si le budget sensible au genre ou ses avatars ne sont pas mentionnés en tant que tels, il semble qu'il y ait, dans l'esprit du législateur, une ouverture sur la thématique du budget sensible au genre.
Vous avez évoqué tout à l'heure, madame la présidente, votre audition de la semaine prochaine sur la fiscalité. Pour notre part, nous considérons le budget sensible au genre comme étant l'analyse des dépenses de la puissance publique, et donc notamment des collectivités territoriales, mais nous nous interrogeons aussi sur les recettes. S'interroger sur l'imposition au niveau national rentre, à nos yeux, dans le cadre d'une démarche de budget sensible au genre. Je pense notamment à l'impact de l'impôt sur le revenu, en France, sur le travail des femmes.
On se pose toujours la question, dans l'élaboration du budget des politiques publiques, du périmètre consacré au budget sensible au genre.
Il y a un exemple intéressant dans votre brochure. La ville de Vienne, en Autriche, a mené une analyse sur l'entretien des cimetières. Ayant conclu qu'ils étaient majoritairement fréquentés par des femmes et des personnes âgées, la ville a adapté sa politique publique à leurs besoins spécifiques.
La ville a pris en compte le genre, mais aussi la question du public. Comme dans d'autres politiques budgétaires locales, on peut avoir un public particulier. Par conséquent, on n'a peut-être pas intérêt à prendre en compte uniquement le budget sensible au genre. Car si on agit ainsi, rétroactivement, je crains qu'on ne noie parfois le poisson. On peut corriger et faire apparaître une politique publique comme étant sensible au genre, alors que ce n'était pas l'objectif initial.
La ville de Lyon est extrêmement sensible à cette thématique, mais pas encore au point de s'emparer de la budgétisation sensible au genre. Le Conseil pour l'égalité femmes-hommes se réunit régulièrement et l'adjointe au maire de Lyon en charge de l'égalité femmes-hommes est particulièrement sensible à l'information des agents de la collectivité. Elle fait en sorte que règne l'égalité entre les femmes et les hommes au sein même des services. Elle veille à ce que soient respectés, bien entendu, les droits des femmes, mais aussi l'égalité, concernant notamment les pères, car certains se plaignent d'être abandonnés, laissés pour compte. C'est pourquoi les agents de la ville de Lyon, lorsqu'ils deviennent pères, reçoivent un document spécifique.
J'aimerais savoir si la ville de Lyon va dans le sens que vous indiquez pour la budgétisation.
Quelles sont vos recommandations en matière de formation ? Vous l'avez dit, les collectivités sont balbutiantes dans ce domaine. Il ne serait pas inutile qu'elles aient des formations sur ces sujets. Je pense à l'égalité femmes-hommes, mais également à sa mise en application à travers les budgets. À ma connaissance, à l'exception de votre organisme, le Centre Hubertine Auclert, il existe peu de formateurs en la matière. Il serait intéressant de promouvoir ces formations auprès des collectivités.
Par ailleurs, avez-vous des idées concernant d'éventuels leviers financiers ?
Enfin, préconisez-vous, dans votre guide, des sanctions pour les collectivités qui ne respecteraient pas les budgets sensibles au genre ?
Pour compléter la question qui vient d'être posée sur la formation, êtes-vous en contact avec le Centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT) ?
Je me félicite de cette initiative de la Délégation aux droits des femmes, car je n'avais jamais entendu parler de cette question.
Ce matin, en commission des Finances, nous avons entendu le ministre de l'Économie et des Finances et le secrétaire d'État chargé du Budget. Le sujet que vous évoquez est nouveau et ne fait absolument pas partie des préoccupations de la Commission des finances. Les stéréotypes ont la vie dure. On pense, par exemple, que les affaires sociales relèvent plutôt des femmes, contrairement aux grandes affaires macroéconomiques.
Je me demande comment on pourrait progresser dans le domaine de la budgétisation sensible au genre. Je représente le Parlement au service des achats de l'État. Nous avons avancé sur la question de la responsabilité sociale, sur la place de la sous-traitance, au niveau des personnes handicapées et des personnels en insertion. La Délégation pourrait faire une proposition sur la budgétisation sensible au genre dans le domaine des achats de l'État et de la commande publique.
Cela étant, il existe des exemples, car le droit et les pratiques vont très vite. Je pense à la taxe d'enlèvement sur les ordures ménagères. Aujourd'hui, on se dirige vers une redevance incitative : moins vous produisez de déchets, moins vous payez. Le montant de la taxe n'est plus calculé en fonction de la taxe foncière. Les familles monoparentales, notamment les femmes qui ont beaucoup d'enfants, vont être pénalisées. Comme il s'agit d'un service public à caractère industriel et commercial, il faut conserver l'équilibre du service. On ne peut donc plus, en l'occurrence, rester dans un rapport où l'on paie en fonction du service rendu. Il faut des variables d'ajustement.
Je ne suis pas arrivée à formuler cette proposition. J'en avais l'intuition, mais je n'ai pas pu l'exprimer clairement parce que je ne connaissais pas l'expression de « budgétisation sensible au genre ». Nous avons, nous aussi, besoin d'aide ; nous avons besoin de centres où l'on réfléchit à ces questions pour nous aider à les formuler. J'habite en milieu rural et, si je parle d'une « budgétisation sensible au genre », cela ne va pas passer.
Cela étant, les pratiques vont très vite dans les collectivités territoriales. Il nous sera plus facile d'y avancer qu'au niveau de l'État, parce que nous avons un périmètre plus facile à appréhender.
Nous pourrions envisager de sensibiliser l'ensemble de la commission des Finances !
L'exemple que vous avez cité est très intéressant. S'agissant des familles monoparentales, on pourrait imaginer, pour rééquilibrer les choses, qu'il y ait des parts, des demi-parts ou des parts par enfant. C'est-à-dire qu'on diminuerait la taxe sur les ordures ménagères en fonction de la composition de la famille. En effet, une mère vivant seule et disposant d'un faible revenu, se trouvera désavantagée par rapport à un couple qui, n'ayant pas d'enfants, va pouvoir économiser.
Comme vous pouvez le constater, nous avons beaucoup de questions à vous poser. Nous pouvons peut-être vous aussi vous demander comment former Bercy !
Pour répondre à votre question, madame Hobert, nous connaissons très bien l'action de Thérèse Rabatel à Lyon. Même si nous avons avant tout une vocation francilienne, nous suivons tout ce qui se passe sur le territoire national, quelle que soit la collectivité territoriale concernée, pour savoir ce qui se fait et s'inspirer des bonnes pratiques.
Je n'ai pas cité Lyon qui a, en effet, une politique proactive en matière d'égalité femmes-hommes, mais qui, à ma connaissance, n'a pas mis en oeuvre une démarche de budgétisation sensible au genre ou du moins étiquetée comme telle.
En ce qui concerne le vocable, nous avons nous-mêmes choisi d'intituler notre guide La budgétisation sensible au genre, par amour pour la langue française, pour ne pas faire du gender budgeting. Mais je suis d'accord avec vous en ce qui concerne la difficulté de promouvoir une thématique qui n'est pas forcément évidente, avec, de surcroît, un intitulé plutôt intimidant.
Cela fait deux ans que j'y réfléchis, mais je n'ai toujours pas trouvé la solution. Cela étant, je ne suis pas communicant. « Analyser le budget sous l'angle de l'égalité » ou « en chaussant des lunettes de genre » : toutes ces formules sont trop longues et pas assez percutantes, sans compter que le mot « genre » est devenu un épouvantail… La difficulté de trouver le bon vocable constitue sans doute un frein à la mise en oeuvre d'une telle logique.
En ce qui concerne le périmètre, monsieur Premat, compte tenu de l'expérience que je peux avoir avec les collectivités territoriales que nous accompagnons, j'aurais tendance à dire que l'égalité femmes-hommes est souvent un « impensé » dans la définition des politiques publiques. Pourtant, les femmes représentent 50 % de la population. L'égalité femmes-hommes demeure dans « l'angle mort » des décideurs, mais aussi de ceux qui les aident à mettre en oeuvre les politiques publiques, tant au niveau administratif qu'au niveau politique. Plus que la question du périmètre, je crois que nous avons encore de grands progrès à faire, dans un premier temps, en ce qui concerne l'exploration de ce champ, c'est-à-dire pour rendre visibles les inégalités et les impacts que peuvent avoir les politiques publiques en matière d'égalité femmes-hommes.
Nous avons publié un premier guide pratique, intitulé Pour convaincre du bien-fondé des politiques locales d'égalité, dans lequel nous essayions de montrer, par des cas pratiques, comment une politique locale – cela pourrait être aussi le cas pour une politique nationale –, si elle n'a pas été pensée en gardant à l'esprit les inégalités entre femmes et hommes, pouvait contribuer à amplifier les inégalités.
Il peut s'agir, par exemple, d'un dispositif d'aide à la création d'entreprises, qui cible un secteur donné de l'économie où le taux de création d'entreprises par les femmes est proche de zéro. Il n'est pas volontaire de la part des décideurs d'en exclure mécaniquement les femmes ou de faire en sorte qu'elles soient sous-représentées dans l'attribution de cette aide. En réalité, il s'agit seulement de vérifier l'angle mort et ce qu'il s'y passe. Ensuite, ce sera aux décideurs d'arbitrer in fine ce qu'ils choisiront de faire. Pour moi, il s'agit juste de rendre visible, d'objectiver les inégalités qui pourraient être renforcées par une politique publique.
Un dernier exemple sur cette thématique : on sait aujourd'hui que la pratique sportive féminine est en moyenne inférieure à la pratique sportive masculine. Quand on analyse pratiquement n'importe quel budget d'une collectivité territoriale en matière de sport, qu'on prend en compte les subventions attribuées aux clubs et aux associations sportives, les coûts directs générés par les équipements mis à la disposition de ces associations, et les coûts indirects, par exemple, en termes de ressources humaines dédiées à l'entretien de ces installations, on arrive quasiment toujours, au doigt mouillé, au même résultat : 70 ou 80 % du budget vont aux hommes qui pratiquent le sport.
C'est le serpent qui se mord la queue. Est-ce en raison d'un sous-investissement de la puissance publique en matière de pratique sportive principalement pratiquée par des femmes que le taux de pratique sportive féminine est bas ? Ou bien est-ce parce que le taux de pratique sportive féminine est bas qu'il y a sous-investissement ?
En tout cas, la question se pose, et tant que nous n'aurons pas de statistiques sexuées ni des personnels formés à cette thématique, il nous manquera des données et nous ne verrons pas ce qu'il se passe réellement. C'est ce que je disais tout à l'heure en parlant d'« angle mort ».
Madame, vous avez mentionné avec raison la question de la commande publique et des achats. De fait, quand on parle des dépenses, on pense d'abord aux subventions, alors qu'il faut également prendre en compte les coûts directs et indirects, notamment ceux qui sont générés par les équipements, leur entretien et leur bon fonctionnement, etc. ainsi que la commande publique et les achats, qui constituent un secteur clé. C'est d'ailleurs pourquoi le Haut Conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes (HCEfh) conseille de mettre en oeuvre une démarche visant à renforcer la sensibilité à la thématique de l'égalité femmes-hommes en matière d'achat public.
Déjà, une disposition de la loi du 4 août 2014 prévoit que les entreprises contractantes à un marché public doivent attester sur l'honneur du fait qu'elles n'ont pas été condamnées pour non-respect de leurs obligations, notamment en matière d'égalité professionnelle. Cependant, on pourrait imaginer des dispositifs plus contraignants. Et je crois pouvoir voir dire, sans trop m'engager, que le Centre Hubertine Auclert est prêt à vous y aider.
S'agissant de la formation ou du moins de la sensibilisation, je suis tout à fait d'accord avec vous. Certes, on a parlé de l'intérêt de pouvoir utiliser des statistiques sexuées, afin de savoir, par exemple, qui sont les bénéficiaires des politiques publiques – si ce sont principalement des hommes ou des femmes – et faire de la budgétisation sensible au genre. Mais vous avez raison, comme cela est évoqué dans notre guide, la formation ou tout au moins la sensibilisation sont des préalables indispensables pour que les personnels – comme dans le modèle belge – sachent catégoriser la dépense publique selon son lien avec les thématiques de l'égalité femmes-hommes, comprennent la démarche et se l'approprient.
Plus généralement, il peut être utile de former ou de sensibiliser les personnes même lorsqu'elles ne sont pas en charge de la catégorisation, pour éviter toute incompréhension face à de nouvelles tâches et à de nouvelles démarches. Il ne s'agit pas de casser l'outil en voulant aller trop vite.
Le Centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT) s'est engagé, en 2015, à la constitution d'une offre nationale harmonisée de formation sur la thématique de l'égalité entre les femmes et les hommes, et le Centre Hubertine Auclert a été associé à la définition de cette offre, en concevant notamment un module de formation sur la budgétisation sensible au genre.
Bravo ! De mon côté, j'ai eu du mal à obtenir que le rapport du CNFPT sorte de manière genrée. Le but était de savoir qui allait en formation parmi les personnels des collectivités territoriales.
Chère Monique Rabin, je suis intervenue récemment devant les conseillères départementales de mon département. J'ai évoqué devant elles le cas des city parks, en leur faisant remarquer qu'ils étaient surtout utilisés par les garçons, plutôt que par les filles. Ainsi, on met des équipements à disposition, sans se préoccuper de savoir qui les utilise.
Je tiens à insister sur le sport, qui est un domaine particulièrement intéressant de ce point de vue. J'ai découvert que les fonds passaient quasiment de un à dix, entre une équipe de volley garçons et une équipe de volley filles, même si celle-ci remporte de meilleurs résultats. Il en est de même des prix donnés aux vainqueurs des courses : le garçon reçoit 2 000 euros, et la fille 1 000. Parce qu'elle se serait moins fatiguée, qu'elle aurait moins couru ? Nous avons dû nous battre pour dire que ces différences n'avaient aucune justification. Dans nos collectivités, il est très facile de faire émerger ce phénomène et d'en faire prendre conscience.
À propos de collectivités, nous avons écrit à toutes les régions pour avoir des informations sur la politique d'égalité elles mettaient en place. La région Bretagne nous a envoyé un document complet, où toutes les politiques sont analysées en termes d'égalité femmes-hommes. Par exemple, on y donne un « chèque sport » pour diminuer le prix de la cotisation due aux clubs sportifs. La région a regardé combien de filles et combien de garçons y avaient eu accès, et elle s'est rendu compte que les garçons étaient beaucoup plus nombreux de filles, parce que ce « chèque sport » était surtout utilisé pour le foot. Va-t-on inciter les filles à faire du foot ou à faire d'autres sports ? Quoi qu'il en soit, cette région constitue un exemple remarquable.
Cela étant dit, tant que l'on n'a pas de statistiques sexuées, on n'est pas capable d'agir. Nous nous en sommes rendu compte sur des sujets étonnants.
Lorsque nous avons discuté de la loi de modernisation de notre système de santé, nous nous sommes aperçus que les essais cliniques étaient faits d'abord sur des hommes jeunes, valides, trentenaires ou quadragénaires, et très rarement sur des femmes. Nous nous sommes demandé pourquoi. La raison en est que les laboratoires, au stade de l'essai sur l'individu, n'ont pas le droit de faire appel à des femmes enceintes ; et pour éviter tout risque, ils les écartent le plus souvent. En conséquence de quoi, la plupart des médicaments ne sont testés que sur des hommes qui n'ont pas la même constitution qu'une femme menue, âgée de soixante ans par exemple.
On ne voit bien que quand on cherche. C'est ce que nous essayons de faire au sein de la Délégation aux droits des femmes.
Je suis d'accord avec ce que vous dites concernant la formation des personnels. J'observe aussi que le recrutement de la fonction publique territoriale a significativement augmenté. Il me semblerait donc intéressant de renforcer les incitations en matière de recrutement genré. Enfin, je suis également d'accord avec ce que vous dites concernant les ressources.
Je remarque, monsieur Daulny, à la page 33 du guide du centre Hubertine Auclert, qu'un travail a déjà été fait sur le budget. Mais je remarque aussi, monsieur Decuyper, que la budgétisation sensible au genre (BSG) est déjà en application au niveau du budget fédéral, ce qui est une originalité.
C'est tout de même un peu extraordinaire. Je fais le parallèle avec ce que je lis ici page 33, où il est question des jaunes budgétaires. Peut-être pourrait-on essayer de travailler, à plusieurs, sur les jaunes budgétaires ?
Maintenant, monsieur Decuyper, je voudrais savoir combien il a fallu de temps, depuis la conception de l'idée à sa concrétisation. Ensuite, est-ce que vous en retirez des orientations différentes pour le budget ?
L'origine de la loi relative au gender mainstreaming de 2007 remonte à la conférence de Pékin de 1996, puis en 2002, à un projet pilote qui comportait un volet gender budgeting. Je crois que c'est à ce moment-là, en 2002, que l'idée est née.
Cela nous a menés à la loi de 2007. Il a fallu attendre 2010 pour la concrétiser dans la circulaire gender budgeting, où l'on a développé la méthode, avec la catégorisation. Nous avons eu également besoin de temps pour examiner les autres pratiques. Enfin, comme je l'ai fait remarquer, nous n'avions pas de gouvernement à un moment donné.
Depuis 2010, la situation commence à s'améliorer. Certains services l'appliquent très bien, alors que d'autres ont encore besoin d'un peu de formation, d'information, etc.
Mes chers collègues, je vous précise qu'en Europe, trois pays ont adopté la budgétisation sensible au genre (BSG) dans la loi : la Belgique, l'Autriche et l'Espagne.
Monsieur Decuyper, c'est le programme d'action de Pékin qui a demandé aux pays d'introduire dans leur budget cette dimension genrée. Une telle proposition a été reprise par les Nations unies et par l'OCDE. La France appartenant à ces organismes, il serait bon qu'elle adopte aussi cette position.
Mme Benedetti va nous parler d'aide au développement de manière genrée, et de ce que cela peut apporter dans la manière dont l'aide au développement arrive sur le terrain. L'Union européenne y travaille.
Nous avions, encore timidement, introduit des indicateurs genrés dans la loi du 7 juillet 2014 d'orientation et de programmation relative à la politique de développement et de solidarité internationale, dite « loi Canfin ». On les avait déclinés, et on avait demandé que l'aide au développement accordée par la France – soit dans l'international, soit dans le bilatéral – soit fléchée ou plus exactement, que l'on puisse, par exemple, s'agissant de la construction d'une école, indiquer si celle-ci accueillerait des filles et des garçons, combien de filles, combien de garçons, etc. Aujourd'hui, on a commencé à utiliser de tels indicateurs, et la stratégie « genre et développement » fait l'objet tous les ans d'une analyse par le Haut Conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes (HCEfh). Mais l'aide au développement n'est une petite partie de notre action publique. Nous n'avons pas de budget genré.
Merci de m'accueillir. Ce que vous venez de souligner est effectivement très intéressant. Les progrès ont en effet été plus rapides et bien antérieurs dans le cadre du développement international, c'est-à-dire de l'aide au développement. La raison en est que dans ce cadre-là, les États donateurs, les bailleurs de fonds, ont une exigence de « redevabilité » (accountability) plus importante. De fait, l'ONU a travaillé sur la budgétisation sensible au genre depuis environ une quinzaine d'années. C'est de cela que je vais parler.
Au niveau mondial, en dépit de l'importance accordée à l'égalité des sexes et à l'autonomisation des femmes, les résultats sont très décevants. Les travaux qui ont conduit à l'élaboration de l'Agenda 2030 pour le développement indiquent que le sous-investissement est chronique et très important.
J'en viens à l'implication de l'ONU, et notamment d'ONU Femmes, entité récente qui n'a que cinq ans d'existence, mais qui ne part pas de rien puisqu'elle est constituée d'entités qui préexistaient, comme UNIFEM qui a travaillé sur le sujet depuis 2001.
ONU Femmes est à la tête des efforts maintenant déployés au sein de l'ONU pour renforcer les mesures en faveur de l'égalité des sexes. Dans son mandat, figurent l'assistance technique aux États et la transversalité, donc le mainstreaming au sein des Nations Unies. D'un côté, ONU Femmes mène des travaux d'intégration transversale du genre concernant l'éducation, le climat, l'agenda pour le développement ou encore la lutte contre la pauvreté. De l'autre, à travers cet axe d'assistance technique aux gouvernements, ONU Femmes travaille pour soutenir les initiatives des gouvernements et des donateurs visant à intégrer le genre dans les systèmes de gestion financière publique, pour rendre les politiques publiques sensibles au genre. Elle est parvenue à renforcer les stratégies, les plans et les orientations sensibles au genre, et à améliorer la qualité des politiques publiques en accentuant le soutien politique et en transformant les pratiques institutionnelles.
Comment cela s'est-il fait ?
Au départ, il convient d'éliminer la présomption de neutralité de la politique publique et de la loi. C'est ce à quoi vous vous employez. Reste que souvent, les engagements en faveur de l'égalité ne sont pas pris en compte, mis en oeuvre et déclinés – même s'ils sont pris à de très hauts niveaux, par exemple au sommet de l'État : Président de la République, Premier ministre – lors de la planification, de la conception, de la mise en oeuvre et du financement des plans gouvernementaux et des stratégies. C'est de ce constat qu'est parti le travail sur la budgétisation sensible au genre.
ONU Femmes a commencé à travailler en bilatéral, avec un nombre assez restreint de pays. En effet, il s'agit d'un travail sur la durée, qui suppose un accord avec le pays concerné, accord qui va bien au-delà d'un partenariat avec le ministère des droits des femmes, et il est rare que l'on ait pu déployer sur ce thème un partenariat global au niveau de la plus haute instance du gouvernement de l'État.
L'expérience pilote en la matière s'est faite depuis une quinzaine d'années avec le Maroc, dans le cadre de la coopération-développement. Le Maroc est bénéficiaire de nombreuses aides internationales, qu'il accueille très facilement. Cette expérience s'est progressivement ancrée, et c'est là dans une procédure de réforme budgétaire globale qu'elle a eu le plus de succès. La procédure de gender budgeting s'est ainsi accrochée, comme un wagon, au train de la réforme budgétaire.
L'expérience du Maroc a entraîné l'adoption d'une nouvelle loi organique de finances par le Conseil de gouvernement, qui institutionnalise sur le plan juridique l'égalité des sexes dans l'ensemble des procédures budgétaires. La nouvelle législation, s'agissant de la budgétisation sensible au genre, mentionne explicitement l'obligation de tenir compte de l'égalité des sexes lors de la définition des objectifs, des résultats et des indicateurs de performance des budgets présentés par dépense.
La nouvelle loi organique institutionnalise, comme en Belgique, le « rapport genre » qui est annexé à la loi de finances. Ainsi, chaque année, le Maroc publie un « rapport genre » contenant les informations sur les travaux de chaque ministère, ventilées par sexe. Ce rapport est un outil de redevabilité. En 2013 – parce que je n'ai que les chiffres de 2013 – 27 ministères et départements de l'administration ont participé à ce rapport. Plus de 80 % du budget global de l'État ont fait l'objet d'une analyse de genre et d'une BSG.
D'autres initiatives ont été lancées à partir de là. Je pense notamment à une initiative très intéressante, menée en partenariat avec la Banque mondiale. En effet, celle-ci est très active sur le sujet. Cela fait des décennies qu'elle travaille sur l'intégration transversale du genre dans la programmation.
Cette initiative de la Banque mondiale avec ONU Femmes a permis de créer, il y a deux ans, une communauté de pratiques des ministres des finances sur l'égalité des sexes. Je ne vous cache pas que l'on n'en est qu'aux balbutiements. Reste que les États membres de cette communauté de pratiques promues par la Banque mondiale, qui font principalement partie des pays les moins avancés (PMA), ont convenu de se réunir tous les six mois.
Si j'ai évoqué les PMA, je peux vous assurer qu'au Maroc, la situation est plus avancée, et que nous pourrions tout à fait nous inspirer de sa méthodologie, qui serait tout à fait transférable. Après, nous avons chacun des procédures bien différentes.
Pour ONU Femmes, l'initiative lancée avec la Banque mondiale constitue un progrès important, dans la mesure où il existe une instance permanente dédiée à l'échange de bonnes pratiques.
Maintenant, faut-il envisager des sanctions ? Cela ne me semblerait pas être la bonne approche. Au stade où nous en sommes, il s'agit d'abord de convaincre et de montrer que c'est techniquement possible.
Cela étant, il faut évidemment définir les objectifs. Mais faut-il quantifier les montants ou agir plutôt sur le process ?
Pour le moment, dans le cadre de l'aide au développement, il convient de quantifier ce que j'appelle le process, c'est-à-dire les trois marqueurs de l'OCDE : premièrement, le programme ne prend pas en compte la dimension de genre ; deuxièmement, il prend en compte cette dimension et il est destiné exclusivement ou en grande partie à promouvoir l'égalité ou à réduire les inégalités de genre ; troisièmement, une partie du programme, qui est dans un autre secteur, prend en compte l'égalité de genre. Ces marqueurs sont assez comparables à ceux qui ont été adoptés en Belgique.
Je pense que c'est cela le plus intéressant. C'est en tout cas une première étape indispensable pour en arriver ensuite à une exigence de montants – comme dans le cadre de la stratégie nationale « Genre et développement ».
En effet, si l'on peut se féliciter que 50 % ou 100 % des projets soient marqués, il faut s'interroger sur les montants que cela représente. Selon le rapport évoqué précédemment, si de nombreux ministères participent à la transversalité, au final, on ne dédie que 0,00057 % du budget général de l'État à promouvoir l'égalité et à combler le fossé énorme qui existe.
Je reviens sur cette communauté de bonnes pratiques des ministres des Finances, qui aura un impact plus global que les projets pilote que mène ONU Femmes en Mauritanie, au Maroc, au Nigéria, en Roumanie, au Rwanda, en Sierra Leone ou au Timor-Leste. J'espère qu'elle va porter ses fruits.
D'autres initiatives méritent d'être mentionnées. Je pense aux centres d'excellence régionaux, qui sont une autre initiative d'ONU Femmes en matière de budgétisation sensible au genre (BSG). Il en existe un au Maroc, centre qui a toutefois vocation à apporter son soutien au monde entier, un pour les États indépendants d'Europe centrale, et un au Mozambique.
Ces initiatives ne datent que de 2012-2013, et l'on attend pour en apprécier les résultats, d'autant plus que le cadre « Développement 2030 » va générer un référentiel (baseline), où l'on aura des données, ce qui est indispensable pour mesurer les progrès. Vous parliez de la collecte des données, mais j'observe que la ventilation en fonction du sexe est primordiale pour faire ce travail.
Je vous indique qu'en France, a été publié récemment un rapport intitulé Où est l'argent pour les droits des femmes ?
Je ne conteste pas les chiffres que vous avez avancés. J'observe toutefois qu'il s'agissait de crédits de paiement. En outre, on estime aujourd'hui, et c'est sans doute plus difficile à évaluer, que ces crédits ont un effet de levier. On le voit bien dans les délégations territoriales aux droits des femmes, qui ont relativement peu de moyens : à partir du moment où une délégation met de l'argent sur un projet, la région, la mairie et d'autres ministères en mettent.
Le pourcentage que vous indiquez, d'environ 0,005 %, ne tient pas compte de cet effet de levier. Je suis sûre, par exemple, que l'Éducation nationale consacre plus de 49 millions d'euros, sur un budget qui est la moitié du budget de l'État, pour les filles, les femmes ou l'égalité femmes-hommes.
Il me semble par ailleurs utile de rappeler, mes chers collègues, que les femmes sont les premières actrices du développement. Lorsque les filles sont scolarisées, lorsqu'elles sont mieux formées et vont à l'école plus tard, lorsqu'elles ne sont pas extraites de l'école pour des mariages précoces ou des grossesses précoces, le PIB des pays augmente. Les politiques en faveur des femmes ont donc une vraie efficacité économique. C'est peut-être aussi pour cela que la Banque mondiale s'y intéresse.
Il est vrai que nous avions été très déçus par les résultats des objectifs du millénaire pour le développement (OMD), notamment en matière d'égalité femmes-hommes car c'est là que l'on a le moins avancé. Nous espérons donc que d'ici à 2030, les objectifs du développement durable (ODD) ne connaîtront pas cette mésaventure.
Nous nous sommes battus dans le cadre de la COP 21, à l'occasion de laquelle je vous avais rencontrée, madame Benedetti. Car les femmes sont tout autant actrices du changement climatique que du développement. Et l'on constate que lorsque l'on oublie la moitié de l'Humanité, celle-ci avance moins bien.
Nous cherchons à convaincre au-delà de ces murs. Comme le disait fort justement Monique Rabin, il faut d'abord sensibiliser, démonter et démontrer. Il faut faire découvrir à certains des notions qui leur sont encore inconnues.
Le problème est exactement le même en France.
Ce matin, j'ai assisté à un évènement au Sénat, dans le cadre de la campagne He for She, une campagne d'ONU Femmes, qui vise à inciter les hommes et les garçons à se mobiliser en faveur de l'égalité. C'est l'école Epitech, une école numérique présente partout en France, qui était à l'origine de cette initiative. Eh bien, il est dramatique de voir l'effet des stéréotypes de genre sur l'éducation et la formation des jeunes filles sur ce secteur d'avenir. Dans cette école – mais le phénomène se retrouve dans toutes les autres – il n'y a que 4 % de filles, malgré une demande constante du secteur pour des emplois qualifiés, bien rémunérés, et ouverts à des personnes qui ne sont pas forcément très diplômées. Cela prouve que le monde en développement n'est pas le seul touché.
Nous nous en sommes aperçus quand nous avons travaillé sur ces questions dans le cadre du rapport sur le projet de loi pour une République numérique. Alors que le sujet ne concernait pas particulièrement la Délégation, nous nous sommes rendu compte qu'il n'y avait aujourd'hui que 11 % de femmes parmi les ingénieurs informatique. Cela a diminué de moitié en vingt ans ! Les stéréotypes de genre font que les filles ne vont pas – ou qu'on ne les oriente pas – vers les métiers d'avenir.
Nous avions sollicité à cette occasion le centre Hubertine Auclert, qui a beaucoup travaillé sur les cyberviolences contre les filles, et sur les femmes et le numérique. Effectivement, elles vont encore beaucoup vers les services à la personne et les métiers dits du care, qui ne sont pas parmi les mieux rémunérés.
Il faut donc lutter contre les stéréotypes de genre, et vous avez eu raison d'en parler au cours de cette campagne.
J'avais été approchée par la fondation Bill Gates pour participer à une opération en Afrique. Je n'ai pas pu m'inscrire dans cette démarche, mais j'aimerais savoir quels sont les rapports de cette fondation avec ONU Femmes, ou l'ONU d'une manière générale ? De fait, j'ai eu du mal à cerner quel était l'objet du déplacement que j'aurais pu faire pour parler de la politique d'égalité femmes-hommes.
Il m'est difficile de vous répondre. ONU Femmes ne couvre pas, en principe, spécifiquement les sujets santé. Bien sûr, la santé des femmes est un sujet important, mais la division des tâches au sein des Nations unies fait que ce mandat « santé des filles » et « santé des femmes » est attribué à une autre agence, le Fonds des Nations unies pour la population et le développement (FNUAP).
ONU Femmes se préoccupe bien évidemment de certains aspects de la santé des femmes, notamment l'éducation à la sexualité et le changement des comportements. Je sais que la fondation Bill Gates s'est associée à un travail mené sur la santé maternelle et infantile dans le cadre des Fonds français Muskoka. Je n'ai pas davantage de détails, mais je pourrais me renseigner et vous apporter des informations. Il est sûr, en tout cas, que cette fondation fait du bon travail.
Il se trouve que je représente aussi le Parlement à l'Agence de l'enseignement du français à l'étranger (AEFE) et lors d'un conseil d'administration, a été annoncée la création de « conseillers genre ». L'AEFE est un réseau bien implanté dans le monde, avec 494 établissements et 340 000 élèves. Je trouve que c'est intéressant et important. Les « conseillers genre » vont pouvoir, notamment, suivre le parcours des élèves.
Cette remarque étant faite, j'observe que vous travaillez sur la relation entre le développement et l'émergence du genre, y compris en amont des politiques publiques. Souvent, la question de la participation – au sens d'inclusion – est couplée avec la question du genre. Or j'ai l'impression – et cela fait plusieurs auditions que je le dis au sein de cette Délégation – que l'on est en train de reculer sur la dimension participative, alors que pour moi, elle va de pair. C'est ce que disait Paul Daulny tout à l'heure à propos de la « visibilisation » et de l'inclusion des femmes dans les projets de développement.
J'en veux pour preuve qu'une organisation qui, à l'origine, est extrêmement masculine, à savoir l'Organisation internationale de la Francophonie (OIF), qui n'a que des pères fondateurs, chefs d'État et grands hommes, a nommé comme troisième secrétaire générale une femme, Michaëlle Jean. De la même façon, depuis 2008-2009 et surtout le sommet de Dakar, on y a davantage pris en compte la question de l'égalité hommes-femmes. Un forum des femmes francophones s'est tenu à Madagascar, et les organisations internationales non gouvernementales (OING) partenaires de la francophonie ont également pris en compte cette question. Ainsi, l'OIF, dont la prétention est symbolique mais dont l'influence se situe entre l'ONU et les organisations régionales, est capable d'intégrer cette dimension genrée.
Cela m'amène à vous poser quelques questions. Dans les organisations internationales, est-ce que l'on applique réellement et systématiquement cette dimension genrée ? La personnalité juridique des organisations internationales est parfois complexe, mais leur impact est important. On a souvent affaire à des diplomates internationaux, dont on connait les processus de nomination, et il est compliqué pour les femmes d'y arriver. Que pensez-vous du mode de recrutement dans les organisations internationales ? Qu'y faire ?
Je commencerai par votre remarque sur la participation. Quand j'étais aux Nations unies, j'ai acquis une expérience très personnelle de la méthode participative qui y était utilisée en matière de genre. Mais ce que je vous dis s'applique à d'autres agences, comme, par exemple, au Haut-Commissariat des Nations unies aux réfugiés (HCR).
La formation du personnel se faisait selon une méthode appelée people-oriented Planning, soit le planning en fonction des personnes. C'est ce que vous évoquiez, à savoir une méthode participative de planification. Et c'est elle qui a ensuite donné naissance au gender mainstreaming. L'une et l'autre sont vraiment très liées. Il faut les voir toutes les deux comme des méthodologies de conduite du changement.
Cette méthode participative est très proche de l'analyse genrée (gender analysis). Elle rejoint la planification en fonction des genres, des bénéficiaires, ou en fonction de la population. Pour moi, ce sont un peu les deux faces d'une même pièce. Ce n'est pas une évolution vers quelque chose d'autre. C'est juste le constat qu'une partie de la population, globalement, est sous-représentée, sous-investie, sous-financée, etc. Il arrive d'ailleurs parfois que l'approche genre identifie un manque d'attention envers une population masculine : par exemple, le phénomène des enfants soldats ou l'échec scolaire qui touche davantage les garçons que les filles.
Passons à la transversalité à l'ONU. Avec l'assistance technique, la transversalité fait partie de la mission d'ONU Femmes. Il nous faut vraiment travailler pour que l'ONU elle-même, en tant qu'entité globale, et toutes ses agences, appliquent la transversalité et intègrent le genre dans leurs démarches, évidemment avec des focus.
Les ressources d'ONU Femmes étant très limitées pour conduire ce mandat, des priorisations s'imposent. Ces priorisations sont faites en fonction de l'impact qu'elles peuvent avoir. Ainsi, ONU Femmes s'est attachée à travailler étroitement avec le département de maintien de la paix. Il y a donc une collaboration très étroite entre ONU Femmes et le Département des opérations de maintien de la paix pour que ces opérations soient sensibles au genre et intègrent des conseillers genre, et pour que le mandat des opérations prenne en compte les besoins des civils, femmes et hommes, qui sont principalement visés dans les conflits armés. Ce travail est très étroit, dans la mesure où ce sont deux cultures différentes. Mais son impact est très important sur le mandat de paix et de sécurité des Nations unies.
Nous travaillons également étroitement avec le PNUD, l'agence des Nations Unies pour le développement. Celle-ci avait une programmation à la fois spécifique sur le genre, et transversale, et donc une longue expérience d'intégration transversale du genre, dont ont peut toutefois critiquer les résultats. Ceux-ci ne sont sans doute pas à la hauteur de l'affichage de cette priorité par le PNUD.
Je termine sur le plus important : il est toujours difficile, pour les agences onusiennes, de travailler ensemble. Mais d'une certaine façon, cela rentre dans le mandat d'ONU Femmes, qui travaille plutôt bien avec toutes les agences de terrain. Elle est présente sur le terrain, mais ses capacités sont réduites. Son personnel, déployé dans les 95 pays, est vraiment limité. La programmation se fait sur le terrain à travers l'approche intégrée de l'égalité ou mainstreaming.
ONU Femmes distribue l'argent uniquement à travers des ONG et des associations locales de terrain. Elle va donc vers le PNUD, le Fonds des Nations unies pour l'enfance (UNICEF), le Fonds des Nations unies pour la population (FNUAP), le Programme alimentaire mondial (PAM), pour intégrer de façon transversale la dimension genre. Voilà comment travaille ONU Femmes.
Cela revient à ce que l'on disait tout à l'heure à propos de la France. Il ne faut pas comptabiliser uniquement les fonds directement alloués, ni oublier de prendre en compte les effets de levier. C'est ce que permet ONU Femmes en sensibilisant les autres organismes sur le sujet qui nous préoccupe.
De notre côté, nous avons sensibilisé une partie de la commission des Finances à l'intégration de la dimension genre. Ne pourrait-on pas reprendre la page 23 du rapport du Centre Hubertine Auclert sur la budgétisation sensible au genre pour en faire le chapeau du document de présentation du projet de loi de finances, dont nous entamons actuellement les discussions ? Nous pourrions déjà en poser le principe.
Nous serions ravis d'avoir contribué à la sensibilisation de la commission des Finances de l'Assemblée nationale.
Merci, monsieur Daulny et monsieur Decuyper. Merci au Centre Hubertine Auclert pour son travail de sensibilisation et sa documentation. Merci, madame Benedetti, pour le travail que vous portez au nom d'ONU Femmes. Et merci, chers collègues, d'être venus assister à cette audition, sans forcément faire partie de notre Délégation.
Cette audition conclut nos travaux sur les études de genre, ce qui ne veut pas dire que nous avons épuisé le sujet. Je pense que la discussion autour du budget sera intéressante. Si, il y a deux ou trois ans, parler du genre au sein du Parlement était pour le moins explosif, je me félicite que nous puissions désormais le faire de manière apaisée. Nous voyons bien en effet que l'entrée genrée des politiques est une donnée fondamentale.
La séance est levée à dix-huit heures quinze.