La réunion commence à dix-huit heures vingt-cinq.
Mes chers collègues, je suis très heureux d'accueillir M. Didier Migaud, qui va nous présenter la contribution de la Cour des comptes à l'évaluation de la régulation des jeux d'argent et de hasard.
Je vous rappelle que nous avons décidé de réaliser cette évaluation à la demande du groupe Les Républicains, et que nous avons demandé l'assistance préalable de la Cour des comptes. Le Premier président de la Cour est accompagné de Mme Anne Froment-Meurice, présidente de chambre, de M. Henri Paul, président de chambre, rapporteur général, et de Mme Bernadette Malgorn, conseillère maître.
Le rapport vous a été distribué.
Nos deux rapporteurs sont Régis Juanico et Jacques Myard.
Monsieur le Premier président, nous vous écoutons.
Monsieur le président, messieurs les rapporteurs, messieurs les députés, je suis heureux de retrouver votre Comité pour lui présenter les résultats du rapport sur la régulation des jeux d'argent et de hasard, un an après votre saisine, monsieur le Président, par lettre du 12 octobre 2015.
Je tiens à saluer les rapporteurs, M. Jacques Myard et M. Régis Juanico. Les échanges conduits avec eux ont éclairé la Cour quant aux attentes de votre Comité et lui ont permis de définir ses principaux axes d'enquête.
Pour vous présenter ce travail, je suis entouré d'Henri Paul, président de chambre et rapporteur général du comité du rapport public et des programmes ; d'Anne Froment-Meurice, présidente de chambre, présidente de la formation inter chambres chargée de la préparation du rapport ; de Bernadette Malgorn, conseillère maître, rapporteure générale ; de Jacques Rigaudiat, conseiller maître et de Stéphanie Bigas, conseillère référendaire, rapporteurs généraux adjoints.
Dans son rapport, la Cour met en avant trois messages principaux.
Premièrement, la gouvernance de la régulation des jeux n'est pas satisfaisante, dans la mesure où elle ne repose pas sur une stratégie claire ni sur une organisation cohérente.
Deuxièmement, les objectifs fixés par la loi du 12 mai 2010 à la politique de l'État en matière de jeux sont loin d'être atteints, notamment en matière de santé et d'ordre public.
Troisièmement, les changements qui touchent actuellement le secteur des jeux d'argent et de hasard alimentent l'urgence d'une nouvelle approche du secteur par l'État régulateur.
Avant de rentrer dans le détail, je veux revenir sur le contexte général dans lequel intervient la remise de ce rapport. Vous le savez, les jeux d'argent et de hasard sont régis par un principe général de prohibition. Toutefois, celui-ci admet de nombreuses dérogations.
En dépit de l'ouverture à la concurrence de certains jeux et paris en ligne par la loi de 2010, le marché régulé reste dominé par les opérateurs historiques.
Le premier opérateur est la Française des jeux (FDJ), société anonyme détenue à 72 % par l'État. Elle dispose d'un monopole sur les jeux de tirage, de grattage et de loterie, ainsi que sur les paris sportifs en dur. Son chiffre d'affaires a plus que doublé entre 1995 et 2014, passant de 5 milliards d'euros à plus de 13 milliards d'euros.
Le Pari mutuel urbain (PMU), groupement d'intérêt économique constitué entre des sociétés de courses hippiques, est en situation de monopole pour les paris hippiques en dur, qu'il gère à travers son réseau de points de vente. Son chiffre d'affaires a presque doublé entre 1999 et 2014, pour atteindre 10 milliards d'euros.
Enfin, les 201 casinos et cercles de jeu recensés en 2016 constituent le troisième groupe d'opérateurs historiques et opèrent dans le cadre de délégations de service public locales. À l'inverse de la Française des jeux et du PMU, leur activité a sensiblement reculé au cours de la dernière décennie.
L'avenir de ces opérateurs traditionnels est lourd d'enjeux. Les 45 500 points de vente de la Française des jeux et du PMU, en majorité des bureaux de tabac, des diffuseurs de presse, des bars et des épiceries, participent à l'aménagement du territoire. Les casinos ont, quant à eux, un rôle important dans les communes touristiques ou thermales. Par ailleurs, les résultats du PMU assurent le financement de la filière hippique et ceux de la Française des jeux soutiennent le sport autant que le budget de l'État.
De leur côté, les opérateurs de jeux et de paris en ligne peinent à émerger : hors Française des jeux et PMU, ils ne représentent que 13 % des mises et 5 % du produit brut des jeux (PBJ). Le résultat d'exploitation de l'ensemble du marché des opérateurs en ligne n'a été positif qu'une fois depuis 2010, en 2014. Il est redevenu négatif en 2015.
À ces enjeux économiques, s'ajoutent deux enjeux d'intérêt général majeurs : la protection de la santé et de l'ordre public. Or ces enjeux sont appréhendés différemment selon les opérateurs.
J'en viens au premier message de la Cour. La gouvernance du secteur des jeux d'argent et de hasard, qui recouvre l'élaboration du cadre normatif applicable et la régulation quotidienne de l'activité, ne repose pas sur une stratégie claire ni sur une organisation cohérente.
La loi de 2010 relative à l'ouverture à la concurrence et à la régulation du secteur des jeux d'argent et de hasard en ligne aurait pourtant dû permettre une réorganisation d'ensemble de la régulation des jeux d'argent et de hasard. Elle prévoyait notamment la mise en place d'une instance de pilotage transversale, le Comité consultatif des jeux, et d'un acteur dédié à la régulation des jeux en ligne, l'Autorité de régulation des jeux en ligne (Arjel). Ces créations n'ont cependant pas rationalisé une gouvernance qui reste fondamentalement spécialisée en fonction des jeux et de leurs canaux de distribution.
Tout d'abord, le mode d'élaboration des normes régissant les jeux n'offrent pas les conditions d'une régulation cohérente.
Il est, en effet, caractérisé par un éclatement croissant des compétences entre plusieurs ministères, dont trois occupent une place prépondérante : le ministère de l'économie et des finances, dont la direction du budget propose les évolutions législatives et réglementaires en matière de régulation, de fiscalité et, en lien avec le ministère de l'intérieur, de police administrative générale ; le ministère de l'intérieur, qui assume en outre une compétence sectorielle sur les casinos et cercles de jeux ; le ministère de l'agriculture, qui exerce une compétence sectorielle sur le secteur hippique reposant sur l'objectif d'« amélioration de la race chevaline ». Par ailleurs, les évolutions législatives récentes ont donné un rôle d'élaboration de normes relatives aux jeux au ministère chargé de l'industrie et du numérique.
Aucun lieu n'existe pour accueillir la concertation entre ces acteurs. Le Comité consultatif des jeux, créé par la loi de 2010 pour mettre en cohérence la politique nationale de régulation des jeux, a été supprimé en novembre 2015, dans le cadre des mesures gouvernementales de simplification, sans qu'aucune solution alternative n'ait été évoquée.
À cet éclatement dans la production des normes, s'ajoute un éclatement des vecteurs juridiques. La loi de 2010 avait prévu une clause de revoyure après dix-huit mois, sur la base d'un rapport du Gouvernement. Le calendrier législatif n'a pas permis qu'un projet de loi soit mis à l'ordre du jour pour entériner les conclusions de ce rapport. Les modifications apportées depuis lors à la loi de 2010 l'ont été par des vecteurs législatifs et réglementaires très divers, dont certains étaient les instruments d'autres politiques publiques. Cette méthode d'élaboration du corpus normatif est risquée, à la fois du point de vue de la cohérence juridique et de l'émiettement progressif de la stratégie publique de régulation des jeux d'argent et de hasard.
L'état de la législation nationale ne permet plus de discerner le principe directeur de la politique publique des jeux ni la stratégie publique globale qui en découle. C'est vrai en ce qui concerne notamment le cadre institutionnel de régulation, la fiscalité applicable, le statut des opérateurs sous monopole, les catégories de jeux autorisés, ainsi que le champ des droits exclusifs et le champ ouvert à la concurrence, etc.
Or face aux mutations économiques et technologiques du secteur des jeux, les opérateurs nationaux ont un besoin accru de visibilité sur les règles applicables à leur marché. J'y reviendrai.
D'un point de vue global, la régulation quotidienne de l'activité des jeux d'argent et de hasard n'apparaît pas plus satisfaisante que la production des normes. Son organisation actuelle n'a pas fait preuve de son efficacité, dans le contexte d'un marché aux acteurs peu nombreux. Elle peine à s'adapter aux évolutions rapides que connaît le secteur.
Chaque filière de distribution est régulée par une autorité distincte ou un ensemble d'autorités qui lui sont propres et qui se confondent, en réalité, avec les autorités chargées de l'élaboration des normes qui leur sont applicables. Les casinos et cercles de jeux sont régulés par le ministère de l'intérieur, les jeux d'argent sous droits exclusifs de la Française des jeux par les ministères chargés du budget et de l'intérieur. Les jeux sous droits exclusifs du PMU font l'objet d'une régulation par les ministères chargés de l'agriculture, du budget et de l'intérieur, et les jeux en ligne ouverts à la concurrence par l'Arjel, autorité administrative indépendante.
Les pratiques de ces différents régulateurs sont inégales.
Les jeux de cercles et les casinos font l'objet de contrôles insuffisants, soumis à des procédures lourdes. Les limites de ces contrôles, notamment dans l'identification des relations existant entre les cercles de jeu et le grand banditisme, ont justifié des missions de l'Inspection générale de l'administration et de l'Inspection générale de la police nationale. Leurs recommandations n'ont été que peu suivies d'effets.
La régulation des jeux de la Française des jeux et du PMU est largement assurée par les opérateurs eux-mêmes, dans la mesure où les ministères ne disposent pas des moyens nécessaires à la réalisation des contrôles. Leur degré d'investissement dans cette autorégulation est variable. Le dispositif de contrôle des paris hippiques est notamment très limité.
Enfin, la régulation des jeux en ligne ouverts à la concurrence repose sur un organisme aux pouvoirs de contrôles étendus et disposant de ses propres outils d'analyse. Pour autant, le champ d'action de l'Arjel est limité. Si elle exerce la totalité de la fonction de régulation en matière de paris sportifs en ligne, elle ne dispose pas de la même compétence, s'agissant du poker et des paris hippiques en ligne.
Régulé par silo, le secteur des jeux d'argent et de hasard est, par ailleurs, contrôlé de façon transversale par les services financiers chargés de la lutte contre la fraude et le blanchiment et les autorités de contrôle de la concurrence et de la protection des consommateurs.
De plus en plus de problématiques transversales émergent sur le marché des jeux d'argent et de hasard, que cette organisation en silo ne permet pas de traiter de façon cohérente, donc, efficace. C'est notamment le cas de l'homologation des logiciels de jeux, de la protection des données personnelles, de l'interdiction du jeu des mineurs et de son contrôle, ou encore de la lutte contre le jeu problématique et contre le blanchiment. À ces problématiques, qui constituent autant de zones d'incertitude pour les acteurs du secteur, les pouvoirs publics n'apportent pas de réponse unifiée.
Cette gouvernance incohérente apparaît d'autant plus problématique que la politique de l'État n'atteint que partiellement les objectifs que lui a assignés la loi du 12 mai 2010. C'est en matière de santé et d'ordre public que l'efficacité de cette politique présente le plus de limites. C'est le deuxième message de la Cour.
En premier lieu, l'objectif global assigné par le législateur à la politique de l'État est « de limiter et d'encadrer l'offre et la consommation des jeux et d'en contrôler l'exploitation ».
En pratique, l'ouverture à la concurrence de certains jeux et la mise en place concomitante d'un système de régulation ont bien permis une réduction de l'offre illégale, grâce à une action soutenue de l'Arjel contre les sites de jeux illégaux. À la fin de l'année 2015, l'Autorité surveillait ainsi 4 435 sites et avait obtenu des résultats significatifs.
Pourtant, la Cour relève plusieurs types de marchés illégaux en cours de développement ou susceptibles de croître à court terme. Leur régulation rend nécessaire une plus forte réactivité de l'Arjel, qui devra reposer sur de nouveaux moyens juridiques. Je pense notamment aux casinos en ligne et aux paris illégaux sur le résultat des compétitions de jeux vidéo.
En second lieu, au-delà de cet objectif global de régulation de l'offre, l'État peine encore à atteindre les objectifs spécifiques que le législateur lui a assignés.
Le premier objectif spécifique assigné à la politique de l'État est de « prévenir le jeu excessif ou pathologique et protéger les mineurs ». Cette prévention est loin d'être efficace. En effet, plus de la moitié des Français âgés de quinze à soixante-quinze ans a pratiqué un jeu d'argent et de hasard dans l'année. Cela représente une hausse de dix points depuis 2010. Près de 5 % de ces joueurs présentent un profil risqué. Or l'effort de prévention du jeu excessif ou pathologique est très inégal selon les opérateurs.
Dans le périmètre de la Française des jeux et du PMU, le dispositif est insuffisant, limité par l'anonymat des parieurs. Les démarches d'identification des joueurs, encouragées par l'État, demeurent embryonnaires. Par ailleurs, le régulateur n'est pas assez réactif, en cas de difficulté identifiée dans le cadre des plans d'actions « jeu responsable », outils de planification des démarches de prévention des opérateurs.
La problématique de l'anonymat ne se pose pas pour les jeux en ligne, mais ceux-ci connaissent deux difficultés spécifiques : d'une part, la nécessité de s'adapter à une pratique innovant en permanence ; d'autre part, la possibilité, pour les interdits de jeu, de se reporter sur les paris sportifs et hippiques dans les points de vente physiques.
Par ailleurs, les résultats obtenus par les casinos en matière de prévention du jeu excessif sont particulièrement limités.
En matière d'interdiction de l'offre de jeu aux mineurs, les outils de contrôle sont insuffisants en ce qui concerne la Française des jeux, opérateur le plus concerné du fait de la nature de ses jeux. D'après l'enquête nationale sur les jeux d'argent et de hasard de 2014, réalisée par l'Observatoire des jeux et l'Institut national de prévention et d'éducation pour la santé, 32,9 % des mineurs auraient ainsi joué au cours de l'année écoulée, 11 % d'entre eux pouvant être considérés comme joueurs à risque.
Le deuxième objectif spécifique de la politique de l'État est d'assurer l'intégrité, la fiabilité et la transparence des opérations de jeu. Ces axes ont fait l'objet d'efforts récents, qu'il s'agit désormais de confirmer et de compléter.
Les dispositifs de prévention des conflits d'intérêts et de recherche d'intégrité des casinos et des opérateurs en ligne semblent efficaces. En 2012, le législateur a renforcé le dispositif applicable aux paris sportifs. En revanche, les courses hippiques ne sont pas soumises à un cadre juridique contraignant ni à des contrôles. À titre d'exemple, aucune incrimination pénale n'est prévue en matière de dopage ou de corruption hippique ; l'interdiction de parier faite aux jockeys et aux entraîneurs n'est pas contrôlée ; cette interdiction ne concerne pas les propriétaires de chevaux ni les dirigeants et personnels de sociétés de courses.
En matière de sécurisation des opérations de jeu, les exigences et les niveaux de contrôle sont élevés dans les secteurs des jeux en ligne et dans le cadre des activités de la Française des jeux. Pour autant, la part croissante des mises de parieurs professionnels dans l'activité du PMU constitue une limite forte à la fiabilité, à l'intégrité et à la transparence des opérations de jeu. Pour la Cour, cette participation des parieurs professionnels constitue une entorse à l'esprit du pari mutuel et est la source d'un préjudice financier important pour l'État. Si vous le souhaitez, je pourrai reparler de ce sujet dans un second temps. En tout état de cause, je crois que la représentation nationale aura intérêt à examiner de très près la situation des parieurs professionnels.
La loi confère également à la politique de l'État un troisième objectif spécifique, qui porte sur la prévention des activités frauduleuses ou criminelles du blanchiment des capitaux et du financement du terrorisme. Cet objectif n'est que partiellement atteint.
Les obligations pesant sur les opérateurs ont été renforcées par la transposition de la troisième directive européenne relative au blanchiment, mais elles n'ont pas été entièrement suivies d'effets. Le plafond de paiement en espèces et en monnaie électronique n'est pas respecté pour les paris hippiques dans les lieux physiques ni pour les casinos. L'anonymat qui entoure les jeux de la Française des jeux constitue une limite notable au dispositif pourtant volontariste mis en place par l'opérateur. Le décret fixant le seuil au-delà duquel les opérateurs doivent s'assurer de l'identité des joueurs gagnants a été abrogé en 2009. Dans le cadre de la transposition de la quatrième directive, la France vient de décider de relever l'identité à partir d'un seuil de gains. La question se pose désormais de l'éventuelle instauration d'un relevé d'identité au niveau des mises.
Enfin, les dispositifs de contrôle destinés à lutter contre les risques de fraude et de blanchiment sont inégaux. Les opérateurs en ligne font l'objet de contrôles de l'Arjel, mais les inspections du ministère de l'intérieur commencent à peine dans les casinos, à la Française des jeux et au PMU. Le dispositif des déclarations de soupçons de blanchiment ou de financement du terrorisme mis en place par Tracfin est encore en cours de fiabilisation.
Le dernier objectif fixé par la loi est de « veiller au développement équilibré et équitable des différents types de jeu afin d'éviter toute déstabilisation économique des filières concernées », dans le contexte de l'ouverture à la concurrence de certains segments de jeu en ligne.
Cet objectif se heurte à une réalité contrastée. La Française des jeux affiche une situation économique positive, tandis que le PMU et les casinos présentent des bilans fragiles, malgré les allégements fiscaux consentis par l'État. Cette situation ne résulte pas de l'ouverture à la concurrence des jeux en ligne en 2010. D'ailleurs, la plupart des opérateurs de jeux et paris en ligne sont également dans une situation difficile. Le rapport souligne les difficultés structurelles auxquelles sont confrontés les modèles des opérateurs de jeu. C'est peut-être cet objectif qui justifie le plus la mise en place d'une instance unique de régulation disposant d'une vision globale sur le secteur.
Encadrée par une gouvernance qui présente d'importantes limites, la politique de l'État en matière de jeux d'argent et de hasard n'atteint qu'une partie de ses objectifs et se révèle particulièrement inefficace en matière de santé et d'ordre public. Dans ce contexte, les changements avérés et à venir auxquels fait face le secteur rendent particulièrement urgente l'adoption de nouvelles perspectives en matière de régulation. C'est le troisième et dernier message de la Cour.
L'organisation française du secteur des jeux d'argent et de hasard est soumise à une pression croissante, sous le double effet des évolutions technologiques et de l'évolution du cadre juridique européen.
Tout d'abord, les jeux français s'inscrivent désormais dans le cadre d'un marché mondialisé, qui connaît une forte croissance. Le produit brut des jeux mondial a quasiment doublé au cours des dix dernières années. Il a ainsi atteint 403 milliards d'euros en 2015, faisant des jeux d'argent et de hasard la sixième industrie de loisirs. Cette croissance devrait se poursuivre, avec une croissance du PBJ mondial estimée à 11 % entre 2015 et 2018.
Ce marché doit intégrer des mutations fortes et permanentes, liées aux évolutions technologiques et à leurs usages, comme la montée en puissance des applications de la téléphonie mobile et le déploiement du sport en ligne.
Ces mutations ont deux types de conséquences. D'une part, elles remettent en question la segmentation traditionnelle du secteur entre jeux en dur distribués dans les points de vente et les casinos et jeux en ligne. D'autre part, elles obligent les régulateurs à être très réactifs et à adapter les corpus juridiques aux nouvelles formes de jeu.
Ces mutations appellent l'État à dépasser l'approche cloisonnée qui prévaut actuellement, pour garantir l'ordre public et social avec les instruments juridiques et institutionnels adaptés.
Par ailleurs, le modèle français est soumis à l'évolution juridique européenne. La loi du 12 mai 2010 avait permis à la France d'échapper à toute remise en cause de son dispositif national par la Commission européenne ou par la Cour de justice de l'Union européenne. Cette situation ne saurait cependant être considérée comme définitivement acquise. Les jeux d'argent et de hasard sont reconnus comme un service, au sens de l'article 57 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne. Les États membres disposent de marges de manoeuvre importantes du fait des particularités du secteur, mais les limites apportées au principe de concurrence doivent être justifiées par des considérations d'intérêt général. La Cour de justice de l'Union européenne s'attache désormais à contrôler de façon renforcée la pertinence des mesures restrictives adoptées, tandis que les normes et les initiatives de la Commission ont de plus en plus d'effet sur l'activité des régulateurs.
Dans ce contexte, nous soulignons l'urgence d'une révision du mode de régulation des jeux d'argent et de hasard. Cette révision pourrait permettre la définition d'une stratégie d'ensemble se traduisant à la fois par une production normative cohérente et un mode de régulation unifié et renforcé.
En premier lieu, la Cour recommande la fin de l'éclatement de la préparation et de l'élaboration des normes par la création d'un comité interministériel associant les ministères chargés du budget, de l'intérieur et de l'agriculture, et élargi à la santé, aux sports et à l'économie.
Ce comité pourrait utilement s'emparer de la question de la forte hétérogénéité des régimes fiscaux auxquels sont soumis les différents segments de jeu. Par ailleurs, la baisse récente du montant des prélèvements n'a pas été supportée de la même manière par ses bénéficiaires. Les collectivités locales ont fait face à un manque à gagner de près de 20,6 millions d'euros, tandis que les recettes des filières équines et sportives ont augmenté. La Cour recommande que soit menée une évaluation globale de l'impact de la fiscalité des jeux, tant sur l'équilibre et la viabilité de l'offre légale de jeux d'argent que sur les comportements des joueurs. Cette évaluation constituerait un préalable indispensable à une réforme de la fiscalité du secteur.
En second lieu, une autorité administrative indépendante pourrait être l'instance de régulation unique et indépendante du secteur. Cette instance unique permettrait de formuler des réponses cohérentes aux enjeux communs aux opérateurs. Elle se prononcerait sur les autorisations individuelles de jeu, sur le lancement et le suivi des expérimentations de nouveaux jeux. Elle serait aussi chargée de la gestion du fichier des interdits de jeu, de l'organisation de l'accès à l'information des opérateurs, de l'agrément des points de vente et de la lutte contre le jeu illégal. La régulation quotidienne continuerait de prendre en considération les aspects spécifiques à chaque secteur. Une activité de veille internalisée garantirait la réactivité de cette nouvelle instance face aux mutations des usages du jeu.
Vous le savez, la Cour n'a pas l'habitude d'encourager la création de nouvelles instances. Aussi, cette autorité pourrait être créée, à coût constant, par le regroupement de l'Arjel et des trois organes créés par la loi de 2010 dans le giron de l'ancien Comité consultatif des jeux – l'Observatoire des jeux, la commission consultative des jeux et paris sous droits exclusifs et la commission consultative des jeux de cercles et de casinos. Elle serait dotée des prérogatives nécessaires à son efficacité, notamment des pouvoirs réglementaires d'application, dans le respect de la jurisprudence constitutionnelle.
Monsieur le président, messieurs les rapporteurs, messieurs les députés, en conclusion, le travail mené par la Cour révèle que la loi de 2010 n'a pas suffi à mettre en place un système de régulation unifié et cohérent des jeux d'argent et de hasard. Les limites de ce système expliquent en partie pourquoi les objectifs fixés à l'État par le législateur n'ont pas été atteints. Le dispositif national se voit profondément remis en question par les innovations technologiques et l'évolution du droit européen. Dans ce contexte, la Cour propose une refondation de la politique de l'État, fondée notamment sur une nouvelle organisation de son système de régulation. Elle formule de nombreuses recommandations, que vous trouverez dans le rapport, et dont nous souhaitons qu'elles puissent éclairer les représentants du suffrage universel, à qui il appartiendra de procéder aux choix qu'ils jugeront nécessaires.
Je vous remercie, monsieur le Premier président, pour votre présentation.
Vous l'avez souligné, les jeux d'argent et de hasard représentent un enjeu considérable. Ils sont aujourd'hui la sixième industrie mondiale et le produit brut des jeux atteint 400 milliards d'euros. Au plan national, le secteur draine environ 45 milliards d'euros par an. C'est également un enjeu important pour l'État puisque les jeux d'argent et de hasard représentent aujourd'hui 5,4 milliards d'euros de prélèvements.
La loi de 2010 dispose que « les jeux d'argent et de hasard ne sont ni un commerce ordinaire ni un service ordinaire » et qu'« ils font l'objet d'un encadrement strict au regard des enjeux d'ordre public, de sécurité publique et de protection de la santé et des mineurs ».
Vous dites que les objectifs inscrits dans la loi de 2010, s'agissant notamment de la lutte contre la fraude et le blanchiment, de la prévention du jeu excessif ou de l'interdiction du jeu des mineurs, sont loin d'être atteints. Vous avez évoqué dans votre rapport le fait que cette loi avait permis de préserver le monopole des jeux en dur et de limiter l'offre illégale, mais que nous nous étions arrêtés au milieu du gué. Que pourriez-vous proposer au législateur pour compléter la loi du 12 mai 2010 ?
Ma deuxième question concerne la régulation. Vous évoquez une gouvernance éclatée et cloisonnée. Vous dites que seule l'Arjel apparaît aujourd'hui comme un régulateur fort, qui impose de lourdes contraintes aux opérateurs qu'elle supervise, mais qu'elle a aujourd'hui un champ d'action limité. Comment envisagez-vous de renforcer ses pouvoirs ? Et, si j'ai bien compris la proposition que vous venez d'évoquer, comment voyez-vous les contours d'un régulateur unique qui serait organisé autour de l'Arjel ?
J'en viens à la situation des opérateurs alternatifs de jeux en ligne. Vous avez indiqué qu'ils représentaient seulement 13 % des mises. Comment expliquer cet échec économique depuis 2010 ? Comment y remédier ?
En ce qui concerne l'interdiction du jeu des mineurs, dont vous dites, à juste titre, qu'elle est insuffisamment respectée, la mise en place d'une carte de joueur semble aujourd'hui d'une efficacité limitée. Si les détaillants ne sont pas formés et mobilisés, si les contrôles ne sont pas plus fréquents, ce système de carte risque d'être inopérant. Que pensez-vous de l'obligation pour les détaillants d'exiger du joueur une pièce d'identité pour justifier de sa majorité ? Une telle mesure serait-elle plus efficace ?
Enfin, je voudrais, en tant que rapporteur spécial de la Commission des finances sur les crédits du sport, souligner le rôle prépondérant du secteur dans le soutien à la filière du sport dans notre pays. Il s'agit de sommes importantes. En 2017, plus de 200 millions d'euros seront reversés au Centre national pour le développement du sport (CNDS), outil du développement du sport pour tous sur l'ensemble de nos territoires, avec un enjeu important, monsieur le président de l'Assemblée nationale : la préparation de la candidature de Paris 2024.
Les prélèvements sont importants. En 2012, 204 millions d'euros étaient prélevés sur les différentes mises des jeux de loterie et sur les paris sportifs. Cependant, ces prélèvements profitent avant tout au budget général de l'État, la part affectée au CNDS étant plafonnée. En 2012, le prélèvement pour le budget général représentait à peine un peu plus de 6 millions d'euros. En 2017, il atteindra plus de 100 millions d'euros. J'aurai l'occasion de revenir sur ce sujet au cours de la discussion budgétaire, mais j'insiste sur le fait qu'il est nécessaire de procéder à un rééquilibrage, s'agissant notamment des prélèvements sur les paris sportifs. Les mises sur les paris sportifs ont, en effet, augmenté de 30 % en 2015 et de 60 % au premier semestre 2016. C'est un secteur en forte croissance. Il ne serait pas illogique que les prélèvements sur les paris sportifs reviennent en grande partie au monde sportif.
Il y a plusieurs types de « lobbies ». Celui-ci est plutôt intéressant en termes d'enjeu de santé publique, car, plus on pratique un sport tout au long de la vie, mieux nos caisses de Sécurité sociale se portent…
Monsieur le Premier président, l'enquête menée par la Cour des comptes et vos propos viennent de nous le confirmer : il n'y a pas de politique des jeux dans notre pays. Nous vous remercions d'avoir documenté le sujet très sérieusement. Cela m'a donné l'occasion d'apprendre que le comité consultatif des jeux a été subrepticement supprimé par décret, alors qu'en 2010, nous avions bataillé dans l'hémicycle pour le mettre en place afin d'introduire un peu de cohérence dans ce qu'il faut bien qualifier de véritable maquis. Il serait particulièrement opportun qu'un comité interministériel se penche en particulier sur la fiscalité du secteur, car il existe de véritables déséquilibres entre les divers jeux concernés.
La Cour recommande de confier la régulation de l'ensemble des jeux d'argent et de hasard en dur et en ligne à une autorité administrative indépendante, mais je me pose quelques questions sur les autorités administratives indépendantes. Je ne suis d'ailleurs pas le seul, car un quotidien paru hier s'interrogeait sur leur utilité. Pour ma part, j'estime qu'elles constituent un démembrement total de l'État, et un modèle parfait d'irresponsabilité technocratique absolue. Je ne milite donc pas en leur faveur, bien au contraire, et je souhaite que le politique reprenne la main sur un certain nombre d'autorités administratives indépendantes, en France et en Europe.
Puisque nous parlons d'Europe, je rappelle que la Cour de justice de l'Union européenne a affirmé la compétence des États en matière de jeux. Il nous est donc possible, au nom de la santé et de l'ordre public, de prendre des mesures spécifiques au niveau national. Sur ce sujet, il existe même une jurisprudence de la Cour de justice qui se prononce en faveur du Portugal contre la Commission européenne. Nous disposons des outils qui nous permettent de donner à l'Europe la place qui doit être la sienne, plutôt que celle qu'elle veut occuper. Vous pouvez compter sur moi en la matière.
Les parieurs professionnels posent un véritable problème, surtout lorsqu'ils exercent leur activité depuis des paradis fiscaux, grâce à des technologies modernes et performantes. Cela revient à truquer les paris et, finalement, à spolier les autres parieurs, voire l'État lui-même. Le travail de la Cour montre qu'ils bénéficient d'un taux de retour au parieur élevé, soit 95 %. Je lis que « la direction du budget a ainsi chiffré à 18 millions d'euros par an la perte fiscale pour l'État consécutive au développement des parieurs professionnels entre 2015 et 2020 ». On en déduit que l'État a intérêt à ce que le joueur perde. La Cour peut-elle nous apporter des précisions sur ces parieurs professionnels ?
Consacré aux objectifs de protection de la santé et de l'ordre public, le chapitre II du rapport de la Cour traite notamment des mineurs, du blanchiment ou de la corruption.
S'agissant des mineurs, un problème singulier est posé à la Française des jeux, car ces derniers ont plus facilement accès aux jeux de grattage, particulièrement addictifs, qu'aux autres pratiques. « Les paris hippiques ne suscitant qu'un intérêt restreint auprès des mineurs », comme le note le rapport, la question se pose moins pour les courses.
Le blanchiment joue un rôle majeur en matière de terrorisme et de trafic de drogue. Alors que les responsables de TRACFIN nous signalent que des problèmes se posent, les professionnels nous indiquent que la directive européenne relative aux jeux n'est pas appliquée de la même manière en France et dans les autres pays de l'Union comme l'Allemagne. L'interdiction de jouer en espèces n'y est, par exemple, pas mise en oeuvre. Je rappelle que les Allemands sont très attachés aux espèces – nous leur devons le billet de 500 euros. La Cour dispose-t-elle d'éléments de comparaison entre pays européens susceptibles de nous éclairer ?
La lecture du rapport m'a laissé un peu sur ma faim s'agissant de l'impact économique du secteur des jeux en France. Grâce au jeu, le budget de l'État récupère, tous les ans, 5,4 milliards d'euros, et nous ne souhaitons évidemment pas que cette manne se tarisse. Cependant, les divers jeux n'ont pas des effets équivalents en termes d'emploi ou d'aménagement du territoire. Si la Française des jeux dispose d'un « réseau en dur » grâce à un certain nombre de points de vente sur le territoire, l'activité hippique est une véritable filière économique. J'aurais aimé que la Cour encourage l'État à bien considérer cette chaîne économique dans son ensemble, avec des emplois dans l'élevage, avec les haras, les vétérinaires ou les entraîneurs qui traversent aujourd'hui une très mauvaise passe, sans oublier les spectacles offerts dans les hippodromes. Il me semble que la politique des jeux en France devrait utiliser l'axe hippique en faveur de l'aménagement du territoire. Je regrette que la Cour ne nous en ait pas dit davantage sur le sujet, mais nous ne manquerons pas, avec Régis Juanico, de nous pencher sérieusement sur le sujet afin de faire des propositions solides au législateur et au Gouvernement.
L'évaluation demandée à la Cour s'inscrivait autour de deux axes principaux : d'une part, une approche globale des objectifs, des moyens et des résultats de la politique de régulation des jeux d'argent et de hasard – il ne s'agissait donc pas d'aborder la politique des jeux en tant que telle –, et, d'autre part, l'analyse des actions mises en place par les services ministériels, les autorités et opérateurs publics ou ayant reçu une mission de service public en vue d'atteindre les objectifs fixés par le législateur. Cela explique que la Cour ne se soit pas attardée sur l'impact économique des jeux.
Messieurs les rapporteurs, vous nous avez interrogés sur la gouvernance. Nous proposons de bien distinguer la conception de la politique publique des jeux, qui devra être élaborée au sein d'un futur comité interministériel des jeux proposant des décisions aux instances politiques, de la régulation au quotidien qui nécessite une veille en temps réel. Cette régulation pourrait être confiée à une autorité unique indépendante. La Cour des comptes n'est pas elle-même très allante s'agissant des autorités administratives indépendantes, mais, en certaines circonstances, ces dernières peuvent se montrer utiles. En tout état de cause, le Parlement ne peut pas assurer au quotidien un suivi en temps réel du secteur des jeux. Nous avons en conséquence proposé de regrouper des organismes existants dans une instance unique de régulation, qui devra tirer les leçons de l'échec du comité consultatif des jeux, qu'évoquait M. Jacques Myard.
La levée de l'anonymat des joueurs de la Française des jeux et du PMU constitue le fondement de la prévention du jeu des mineurs – le fait qu'ils contournent l'interdiction qui s'impose à eux vous inquiète à juste titre –, du jeu problématique, et de la lutte contre la fraude et le blanchiment. Les opérateurs cités sont plutôt très réservés sur la levée de l'anonymat.
Cette démarche ne correspond pas à la culture du joueur, et ils craignent une baisse des mises qui compromettrait leurs résultats. Tout en admonestant les opérateurs, la tutelle se contente souvent d'engagements de principe. Certaines mesures ont toutefois été prises dans la période récente, et la généralisation des moyens de paiement numériques facilite la levée de l'anonymat. Elle permet aussi de jouer à un rythme soutenu, ce qui peut poser un problème d'addiction.
Les approches des opérateurs diffèrent. Le PMU a créé une « carte joueur » qui est un moyen d'identification et de contrôle. De son côté, la Française des jeux entend proposer une levée de l'anonymat qui passerait par un accès réservé à une nouvelle gamme de jeux. Elle joint en quelque sorte la démarche commerciale à l'objectif d'intérêt général : c'est astucieux, et ce n'est pas critiquable en soi, à condition que les délais de mise en place restent raisonnables, et que des propositions concrètes soient faites rapidement. Il faut vraisemblablement que les pouvoirs publics pèsent davantage pour que nous avancions…
Vous avez raison : la question du paiement en liquide peut être posée.
La Française des jeux et le PMU sont tenus d'élaborer tous les ans un plan d'actions, de prévention, et de lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme. Depuis 2012, ces plans sont soumis à l'approbation du ministre du budget, après avis de la commission consultative des jeux et paris sous droits exclusifs (COJEX).
La FDJ s'appuie sur une organisation interne très structurée en matière de sécurité ainsi que sur une politique de contrôle de son réseau de détaillants. Parce que la fraude pénalise d'abord l'opérateur, ce dernier veille ardemment à préserver ses intérêts. La FDJ va ainsi au-delà les obligations qui lui incombent en matière de traçabilité et de contrôle des flux financiers : elle prévoit un plafond de 1 000 euros pour le paiement en espèces des mises. Pour les gains, les paiements en espèces sont limités à 200 euros pour les jeux de grattage, et à 300 euros pour jeux de tirage ou de paris sportifs.
L'action du PMU est en revanche moins structurée. Dans le domaine du pari mutuel, la fraude pénalise principalement les autres joueurs. Le PMU est réticent à appliquer les seuils de paiement. Il est même allé jusqu'à soutenir qu'ils ne le concernaient pas, ce qui n'est pas exact – nous avons sollicité la direction des affaires juridiques du ministère des finances dont une note confirme que la règle relative aux seuils vaut pour le PMU. Son inapplication depuis 2010 constitue cependant une négligence regrettable qui est aussi celle des tutelles. Le sujet est donc sensible pour l'ensemble des opérateurs, et particulièrement pour le PMU.
Vous nous avez interrogés sur les parieurs professionnels. Depuis plusieurs années, le PMU a développé la prise de paris sur la masse commune à l'étranger via des opérateurs partenaires. Il s'agit de sa seule activité en croissance. Il ne faut pas confondre les parieurs professionnels et les gros parieurs. Les professionnels opèrent de l'étranger d'où ils utilisent des outils informatiques qui leur permettent, quelques instants avant le début d'une course, de passer simultanément un très grand nombre de paris lorsqu'ils constatent un écart entre la cote théorique obtenue grâce à un modèle prédictif, et la cote réelle.
Même si cela ne fait pas plaisir au PMU, la Cour considère que le développement des paris professionnels pose un certain nombre de problèmes. Elle estime qu'il s'agit d'une pratique déloyale à l'égard des autres joueurs. Le taux de retour des parieurs professionnels est en effet très supérieur à celui enregistré par les autres joueurs – il est souvent supérieur à 100 %. Il est plafonné par le PMU à 98,2 %, mais ce dernier accorde aux parieurs professionnels des avantages commerciaux et des bonus. De plus, la fiscalité de l'État, qui s'élève à 5,3 % sur les mises, n'est pas applicable aux paris pris à l'étranger – l'État perçoit seulement un prélèvement de 12 % sur les commissions versées au PMU par les opérateurs partenaires. D'une certaine façon, le dispositif est coûteux pour l'État. Comme vous l'indiquiez, monsieur Myard, le rapport constate que « la direction du budget a ainsi chiffré à 18 millions d'euros par an la perte fiscale pour l'État consécutive au développement des parieurs professionnels entre 2015 et 2020, perte due notamment à la diminution du “ré-enjeu” ou “recyclage” des gains ».
Cette activité, qui expose le chiffre d'affaires du PMU à un fort risque de volatilité, nous paraît de plus contraire à l'esprit du pari mutuel, car elle s'exerce au détriment de l'ensemble des autres parieurs. La direction du budget avait souhaité l'interdire sans y parvenir. Les ministres de tutelle ont demandé au PMU d'envisager plusieurs mesures, dont le plafonnement à 5 % du total des enjeux. Le PMU considère que le plafonnement n'est ni souhaitable ni applicable. Le taux de 5 % a d'ailleurs déjà été très sensiblement dépassé : le PMU nous a indiqué que l'activité des parieurs professionnels représentait désormais 7,8 % des enjeux.
La Cour voit un certain nombre d'avantages à la création d'une autorité administrative indépendante de régulation pour l'ensemble des jeux. Notre travail montre que l'éclatement actuel des régulateurs, par ailleurs compétents en matière de réglementation des jeux, est préjudiciable à la cohérence de la politique menée. Chaque ministère traite de façon très cloisonnée le segment qui relève de sa tutelle, en fonction des intérêts des bénéficiaires concernés, par exemple le sport, l'hippisme, ou, pour les casinos, les communes touristiques. Les questions ne sont donc pas réglées en fonction des intérêts publics et des objectifs que poursuit l'État dans sa politique de régulation des jeux.
De plus, la confusion entre la tutelle des opérateurs de jeux sous droits exclusifs, le rôle d'actionnaire de l'État, et l'exercice de la régulation pourrait créer des conflits d'intérêts auxquels la Commission européenne est particulièrement sensible.
Il faut ajouter que les objectifs d'intérêt général qui justifient, au regard du droit européen, les restrictions à la libre prestation de services sont loin d'être atteints.
Ces éléments nous conduisent à proposer la création d'une autorité administrative indépendante unique à partir de l'Autorité de régulation des jeux en ligne. Cette dernière dispose déjà de moyens en personnels et d'une très forte expertise informatique, qui pourraient être redéployés moyennant quelques renforts des administrations et la mise à disposition du service central des courses et de jeux en prestations de services pour les enquêtes administratives et le contrôle, notamment celui des casinos.
Monsieur le député, je comprends votre réticence s'agissant des autorités administratives indépendantes. Cependant, il m'a semblé, hier, en lisant l'article de presse que vous citiez, qu'il portait un jugement plutôt positif sur leur expérience dès lors, précisément, qu'elles avaient su gagner leur indépendance.
Les intérêts publics à prendre en compte relèvent de plusieurs ministères, sans qu'une hiérarchie puisse être vraiment établie entre le développement économique du secteur des jeux, l'ordre public, ou la santé. Notre proposition consistant à concevoir la politique des jeux au sein d'un comité interministériel nous a paru la plus pertinente. Pour ce qui est de l'exercice quotidien de la régulation, on pouvait penser à des services déconcentrés, ou à un service à compétence nationale (SCN). Nous avons retenu la formule de l'autorité administrative indépendante parce que l'existence de monopoles nationaux exclut le recours aux services déconcentrés. De notre point de vue, la coexistence de ces monopoles avec des segments ouverts à la concurrence appelle préférentiellement le choix d'une autorité administrative indépendante.
La loi de 2010 fixe un objectif de développement équilibré et équitable des différents types de jeu afin d'éviter toute déstabilisation économique des filières concernées. Cet objectif peut toutefois être interprété de diverses façons. Le secrétaire d'État chargé du budget nous a par exemple répondu qu'en France l'hippique, le sportif et le casino s'équilibraient de bien meilleure façon que dans d'autres pays. Il s'agit d'une photographie des choses qui ne traduit pas la réalité économique.
Entre 2010 et 2015, certains segments du secteur des jeux, comme la Française des jeux, ont prospéré ; d'autres ont rencontré des difficultés qui avaient peu de choses à voir avec l'ouverture à la concurrence des jeux en ligne.
Le rapport aborde la question des intérêts économiques sous-jacents en évoquant, à partir de sa page 47, la fait que l'équilibre du secteur est confronté à de nouveaux risques. On ne peut pas négliger le fait que les casinos participent à l'aménagement du territoire et à la vie des communes touristiques et thermales, ou que le PMU est un acteur de la filière hippique. Toutefois, M. Myard le sait bien, il existe un grand écart entre ce qui revient vers la globalité de cette filière, et ce qui redescend vers les hippodromes de province – autrement dit, ce qui correspond à l'intérêt public d'aménagement du territoire. Cette dernière part se révèle être extrêmement modeste. Dans ces conditions, il ne faudrait pas que la sauvegarde d'un tissu essentiel dans les régions, en particulier dans l'ouest de la France, justifie la persistance d'un système qui ne draine pas de crédits vers des actions d'aménagement du territoire.
La question de l'aménagement se pose aussi pour près de 40 000 points de ventes – ceux de la Française des jeux et ceux du PMU – qui constituent souvent des éléments essentiels la vie locale. Les professionnels des tabacs et des débits de boissons sont très actifs pour mettre en avant le rôle qu'ils jouent en matière d'aménagement du territoire. Dans le même temps, le PMU développe des points de contact spécifiques, et la Française des jeux diversifie son réseau de distribution au-delà des lieux traditionnels.
Il n'est pas totalement étonnant qu'une industrie naissante n'atteigne pas sa rentabilité instantanément. Les entreprises du secteur devaient trouver leur place sur le marché et consentir des investissements commerciaux massifs – on a même parlé de guerre des prix. Cependant il est vrai que, six ans plus tard, nous constatons que leur situation est toujours précaire, et que le marché est caractérisé par une forte concentration.
Outre les fortes contraintes réglementaires auxquelles les jeux en ligne sont soumis – mais elles concernent également tout le secteur –, nous estimons que leur situation s'explique principalement par le régime fiscal dont ils relèvent, et par leur insuffisante attractivité.
Le régime fiscal du jeu en ligne est particulier car les mises constituent l'assiette du prélèvement. En conséquence, le taux de prélèvement ne dépend pas du revenu de l'opérateur, mais de la consommation des joueurs. Avec les paris à cote fixe, il est donc possible qu'un opérateur soit imposé alors qu'il n'a enregistré aucun bénéfice. On impose alors des pertes. Dans la grande majorité des pays européens, le produit brut des jeux constitue l'assiette du prélèvement, ce qui paraît plus conforme à la réalité économique. Dès 2011, le rapport prévu par la clause de revoyure de la loi de 2010 préconisait de faire de même en France, mais, depuis, certains préalables n'ont toujours pas été levés. Nous avons essayé d'avancer sur le sujet en soulignant les inconvénients que présente l'actuelle définition de l'assiette de taxation. Nous estimons surtout qu'il est nécessaire de mener l'étude d'impact globale de la fiscalité des jeux. Elle permettra de vérifier notre analyse relative au problème de l'assiette.
L'autre raison pouvant expliquer l'échec des opérateurs de jeux en ligne réside dans un certain manque d'attractivité de ces jeux, qu'il convient de chercher à renforcer par une régulation à la fois plus complète, plus large et surtout plus réactive. L'une des voies de renforcement de l'attractivité consisterait à élargir les segments sous agrément. Là encore, des propositions ont été faites dès 2011 et ce n'est que cinq ans plus tard, en 2016, que la tutelle a accepté d'ouvrir à la régulation de nouvelles variantes de poker ainsi que des tables européennes de jeu. Dans un marché très évolutif, mettre cinq ans à répondre aux attentes des joueurs, c'est beaucoup trop long. Durant ce délai, les joueurs ont quitté la France avec leur base fiscale, et d'autres sont allés vers le secteur illégal, où ils trouvaient un attrait récréatif plus favorable que celui existant dans le secteur légal. Parallèlement, certains opérateurs se sont découragés et se sont retirés de ces segments – d'où la concentration actuellement constatée.
La mise en place de la régulation globale que nous proposons devrait inclure une veille permanente du secteur de nature à permettre d'apprécier en temps réel, mais aussi en temps utile, l'évolution des attentes des joueurs et des caractéristiques de l'offre.
Je voudrais revenir un instant sur les questions économiques qui, à mon sens, se trouvent au centre d'un développement harmonieux de la politique des jeux. Lorsque la loi de 2010 a affirmé la nécessité d'un équilibre entre les différents jeux – par la voie d'un amendement dont j'étais l'auteur –, nous craignions la cannibalisation de certains jeux par le poker. Si cela n'a pas été le cas, en revanche, nous constatons aujourd'hui une très forte croissance de la Française des jeux par rapport au PMU qui, après une croissance réelle, en est venu à stagner et même à régresser. Nous avons donc, d'un côté, une Française des Jeux qui se porte bien et représente donc un apport de revenus non négligeable pour le budget de l'État, de l'autre une filière hippique en crise pour de multiples raisons – dont certaines sont sans doute d'ordre culturel –, ce qui a un impact négatif sur de très nombreuses villes en termes d'aménagement du territoire, notamment en région parisienne. Le problème qui va se poser à nous va consister à trouver un moyen de stabiliser la situation en relançant la filière hippique sans pour autant priver l'État d'une source de revenus.
C'est une question qui se posera surtout au législateur.
C'est aussi et surtout un problème économique majeur. Je regrette qu'il n'y ait plus d'aménagement du territoire – ni de politique industrielle – en France. Le problème que j'évoque a également des incidences fiscales, et conduit à s'interroger sur la rémunération des points de vente. Comme vous le voyez, ce ne sont pas les chantiers à entreprendre qui manquent !
Je suis un béotien en matière de jeux d'argent, mais les différentes interventions que nous avons entendues suscitent plusieurs remarques de ma part.
D'abord, j'ai le sentiment d'une question très complexe en ce qui concerne les mineurs. Je ne voudrais pas qu'à partir d'un système intellectuellement bien posé, puissent se produire des fuites sur des jeux non contrôlés, comme cela est arrivé dans certains pays, y compris en Europe.
Régis Juanico a souligné à juste titre que les recettes provenant de la Française des jeux vont au sport, et seront sans doute utiles pour soutenir la candidature de Paris pour l'organisation des Jeux olympiques de 2024.
Pour ce qui est du rapport entre le nombre de points de vente et l'aménagement du territoire, une question évoquée par Mme Malgorn, je ne sais pas combien de bureaux de tabac ferment chaque année, mais j'imagine que nombre de commerces de proximité sont intéressés par ce qui peut représenter une manne dans les territoires ruraux.
À entendre nos deux rapporteurs, on a parfois l'impression que nous allons devoir choisir entre le sport et la filière hippique. Or, c'est un piège dans lequel nous devons nous garder de tomber.
Certes, mais pas avec le même financement.
Enfin, si les efforts qui avaient été entrepris pour contenir le poker ont été couronnés de succès, je suis très étonné par le volume de publicité fait par des sites de poker en ligne souvent situés dans des paradis fiscaux – je pense en particulier à Malte –, et qui continuent à voir la France comme un territoire pouvant servir de cadre à leur expansion : si ce n'était pas le cas, ils ne mettraient pas tant d'argent dans la publicité ! Il me semble que nous devons être attentifs sur ce point.
M. le Premier président peut-il nous éclairer sur l'application en Allemagne des mesures visant à combattre le blanchiment ?
Nous n'avons pas examiné spécifiquement la situation de l'Allemagne, car c'est l'un des pays où la politique des jeux est la moins bien organisée. Quand nous avons rencontré nos collègues de la représentation permanente allemande à Bruxelles, ils nous ont confié être préoccupés, car leur dispositif juridique n'est pas vraiment au point, et l'habitude qu'ont les Allemands d'utiliser volontiers de grosses coupures est propice aux pratiques frauduleuses.
Pour ce qui est des difficultés auxquelles est confrontée la filière hippique, alors que la Française des jeux connaît une croissance constante, il ne faut pas perdre de vue que l'État a consenti une baisse massive de la fiscalité au moment de l'ouverture à la concurrence, afin de pallier le risque de déstabilisation de la filière hippique. Entre 2009 et 2011, les prélèvements de l'État sur les paris hippiques proposés par le PMU ont ainsi diminué de 198 millions d'euros hors TVA. Le total des prélèvements hippiques rapporté au produit brut des paris hippiques est ainsi passé de 47 % en 2009 à 39,2 % en 2012.
Contrairement à ce que nous avions pu craindre, la loi de 2010 n'a pas été défavorable au PMU, puisque le total des enjeux collectés a fortement augmenté – plus de 13 %, soit 1,2 milliard d'euros – jusqu'en 2012. Ce que nous regrettons, c'est que ces sommes n'aient pas été utilisées pour remédier à des facteurs structurels qui annonçaient déjà les difficultés que la filière hippique allait bientôt rencontrer, mais pour reverser aux sociétés mères des montants beaucoup plus importants, qu'elles ont elles-mêmes affectées à l'augmentation de leurs réserves, à l'encouragement des socioprofessionnels ou à l'augmentation des dépenses relatives à leurs charges de gestion. La Cour estime qu'il aurait été préférable de consacrer cette manne à la modernisation, à la rénovation et à l'adaptation du réseau physique : c'est actuellement le projet du PMU, mais cela vient un peu tard, car le contexte n'est plus aussi favorable qu'il l'a été jusqu'en 2012.
Personne ne niera qu'il y a eu des occasions manquées. Cela dit, il est indispensable que des efforts soient faits pour remettre le PMU à flot – mais sans doute aurez-vous l'occasion d'en parler dans un autre rapport, monsieur le Premier président.
Monsieur le premier président, madame la présidente de chambre, madame la rapporteure générale, je vous remercie pour vos interventions qui ont utilement éclairé notre Comité. Il appartient désormais à nos deux rapporteurs de nous faire, à partir de l'analyse de votre rapport, des propositions de nature à améliorer la régulation des jeux.
Le Comité autorise la publication du rapport de la Cour des comptes sur la régulation des jeux d'argent et de hasard.
La réunion s'achève à dix-neuf heures cinquante.