La séance est ouverte à 16 h 40.
Présidence de M. Jean-Jacques Urvoas, président, et de Mme Danielle Auroi, présidente de la commission des Affaires européennes.
La Commission procède, conjointement avec la commission des Affaires européennes, à l'audition de Mme Christiane Taubira, garde des Sceaux, ministre de la Justice.
Madame la garde des Sceaux, mes chers collègues, soyez les bienvenus. Je remercie Mme la présidente Auroi d'avoir pris l'initiative de cette réunion : les commissions permanentes ne se penchent sans doute pas suffisamment sur les dossiers transversaux, même si la commission des Lois a désigné, pour veiller à leur suivi, Mme Marietta Karamanli et M. Guy Geoffroy – lequel ne peut être présent parmi nous car la commission spéciale pour l'examen de la proposition de loi renforçant la lutte contre le système prostitutionnel, qu'il préside, entend actuellement Mme la ministre Vallaud-Belkacem.
Lors de l'examen en juillet dernier, sur le rapport de Mme Karamanli, du projet de loi portant diverses dispositions d'adaptation dans le domaine de la justice en application du droit de l'Union européenne et des engagements internationaux de la France, il avait été démontré que l'Assemblée nationale ne saurait être simplement la greffière de décisions prises ailleurs : nous entendons intervenir en amont, ce qui passe par une coordination accrue entre les commissions permanentes et la commission des Affaires européennes.
Je vous remercie, Madame la garde des Sceaux, d'avoir répondu à notre invitation. Cette audition vient à point nommé, compte tenu du « carton jaune » que quatorze assemblées parlementaires, se fondant sur le principe de subsidiarité, viennent d'adresser à la Commission européenne relativement au projet de parquet européen. La commission des Lois et la commission des Affaires européennes ont publié un communiqué à ce sujet, et nous allons saisir la Commission européenne par courrier pour lui rappeler qu'elle ne peut prendre prétexte de cet avertissement pour stopper le projet, auquel nous sommes très favorables. Il importe, à cet égard, de marquer que l'opposition du Sénat qui fait partie de ces quatorze assemblées ne traduit en rien la position définitive de la France.
Je suis également heureuse de vous accueillir, Madame la garde des Sceaux, pour cette réunion conjointe consacrée aux projets de textes européens en matière de justice. Je profite de cette occasion pour vous dire, au nom de notre commission, combien nous avons été révoltés par les propos racistes qui vous ont visée.
La création d'un parquet européen est un projet très ambitieux pour l'Europe, et notre assemblée y est très attachée, comme l'ont montré nos collègues rapporteurs, Mme Karamanli et M. Geoffroy. Quatorze chambres de onze États membres, parmi lesquelles le Sénat français, ont émis un avis motivé contre ce texte, au nom du principe de subsidiarité. Nos homologues de la commission des Affaires européennes du Sénat nous ont toutefois précisé qu'ils s'opposaient, non à la dynamique du projet, mais au projet la Commission tel qu'il est actuellement rédigé, mettant notamment en lumière l'exigence de la collégialité. Reste qu'il faut être lisible ; aussi l'Assemblée nationale a-t-elle réaffirmé qu'elle ne juge pas le projet contraire au principe de subsidiarité, et qu'il constitue un instrument indispensable pour lutter contre la criminalité internationale et la fraude financière : en ce domaine, une action de l'Union européenne sera plus efficace que des actions dispersées des États.
Le réexamen du projet, imposé par le carton jaune, peut aussi être une occasion de revoir la position française sur Eurojust.
Par ailleurs, comment orienter les négociations relatives à la protection des données, qui fait l'objet d'un projet de règlement et d'un projet de directive ? Depuis que nous avons défendu, au côté de la commission des Affaires culturelles, l'exception culturelle européenne, des sujets voisins se sont fait jour, plus directement liés à la justice. Comment interpréter, à cet égard, les dernières conclusions du Conseil Justice et affaires intérieures ?
Quel bilan peut-on tirer de la mise en oeuvre du mandat d'arrêt européen ?
D'une façon plus générale, quelles informations pouvez-vous nous donner sur l'opt-out du Royaume-Uni, au sujet duquel une décision doit intervenir avant le 31 mai 2014 ?
Enfin, qu'en est-il de la proposition de directive sur l'aide juridictionnelle, qui aurait dû être déposée en même temps que celle relative à l'accès à l'avocat ? Les ministres européens en débattent-ils davantage que les eurodéputés ?
Je vous remercie de votre invitation, particulièrement bienvenue au regard des sujets d'importance actuellement sur la table. Alors que le programme quinquennal de Stockholm arrive à son terme et que le Parlement européen sera renouvelé dans quelques mois, un état des lieux et une redéfinition des priorités s'imposent.
L'Union européenne s'est d'abord faite dans le champ économique, même si cela devait aboutir à une construction politique, selon le sens initial du projet européen édifié à l'issue de la Seconde guerre mondiale : il s'agissait alors, non seulement de traduire une longue dynamique historique, mais aussi d'oser dire que l'on peut changer le cours de l'histoire.
La matière judiciaire – qui, parce qu'elle relevait du troisième pilier, requérait l'unanimité – n'est devenue un enjeu européen qu'à partir du Conseil européen de Tampere, en 1999 ; en réalité, c'est avec le traité de Lisbonne en 2009 qu'elle a quitté le champ intergouvernemental, pour entrer dans le droit commun de l'Union. Entre-temps se sont tenus les Conseils européen de La Haye, en 2004, et de Stockholm, en 2009.
C'est au cours du Conseil européen de Tampere, en ce sens fondateur pour la justice en Europe, que furent énoncés les principes qui régissent toujours les directives et règlements, à commencer par le principe de la reconnaissance mutuelle des décisions de justice. Signe de cette ambition de créer un espace européen de justice, de sécurité et de liberté, c'est à une vice-présidente de la Commission qu'ont été confiées les questions touchant à la justice.
Il est devenu banal de décrier l'Union européenne, parfois pour de bonnes raisons, que l'on gagnerait cependant à nuancer par la conscience des apports de cet espace institutionnel dans un monde où les échanges se multiplient. En matière judiciaire, l'Union européenne est incontestablement un moteur de progrès pour les droits et libertés des citoyens. Les textes européens ne s'imposent effectivement pas à nous, monsieur le président Urvoas, mais pour autant que nous participions activement à leur élaboration. Aussi, depuis le mois de juin, j'assiste régulièrement au Conseil « JAI », où je puis vous dire que la voix de la France a du poids.
Au terme du programme de Stockholm, il nous faut donc dresser un bilan. Plusieurs textes constituent de réelles avancées en matière de droits et de libertés. La directive relative au droit à l'interprétation et à la traduction, transposée en août dernier, est contraignante mais elle représente une protection supplémentaire pour les justiciables ; quant à la directive relative au droit à l'information dans le cadre des procédures pénales, elle doit être transposée avant juin 2014, et celle sur le droit d'accès à un avocat ou de communication avec un tiers, avant fin 2016. S'agissant de ce dernier texte, la France a d'ailleurs obtenu de haute lutte la création d'un instrument législatif européen sur l'aide juridictionnelle, en s'appuyant sur le principe de l'effectivité des droits.
La protection des données personnelles est bien entendu un dossier majeur. Outre le projet de règlement relatif aux données à caractère civil et commercial, en chantier depuis deux ans, un projet de directive sur les fichiers de souveraineté fait l'objet de discussions plus longues encore, étant entendu que les fichiers mixtes – tels que les dossiers administratifs susceptibles de devenir des sources d'informations en matière pénale ou les fichiers des personnes interdites de stade – ne sont pas concernés en l'état actuel du texte, la France ayant très tôt soulevé des questions sur ce point. Sur le projet de règlement, la présidence lituanienne a décidé de prolonger les travaux après avoir constaté l'impossibilité de conclure, comme avait dû le faire la présidence irlandaise malgré des espoirs en sens contraire.
L'Union européenne, ces exemples le montrent, est devenue un espace de dialogue entre les États et de production de normes en faveur des droits et des libertés ; elle permet aussi des avancées dans la lutte contre la criminalité transfrontalière, le terrorisme, les violences et les trafics de stupéfiants, notamment à travers cet instrument essentiel qu'est le mandat d'arrêt européen.
Dans le domaine civil, le règlement Bruxelles II bis, qui prévoit la reconnaissance mutuelle des décisions de justice en matière matrimoniale, facilite le règlement des litiges binationaux entre parents, sujet sensible s'il en est. Autant l'entraide pénale fonctionne plutôt bien, autant le contentieux familial est l'un des plus difficiles à régler dans le cadre des accords bilatéraux : à une charge émotionnelle forte s'ajoutent les traumatismes de l'éloignement et, parfois, de la scission culturelle. Le règlement Bruxelles II bis offre de ce point de vue un cadre juridique appréciable.
Les perspectives découlent bien entendu des principes définis par le Conseil européen de Tampere : améliorer la reconnaissance mutuelle des décisions de justice en les traitant comme des décisions nationales ; poursuivre l'harmonisation des incriminations et des peines ; renforcer, enfin, les garanties procédurales apportées aux justiciables. Quant à l'effectivité des droits, elle passe par la mise en oeuvre des instruments et des moyens financiers nécessaires. Il nous faut enfin renforcer le socle institutionnel, notamment à travers la création d'un parquet européen. À l'occasion de l'anniversaire du traité de l'Élysée, en janvier 2013, mon homologue allemande et moi avons adressé une lettre à la vice-présidente de la Commission pour lui détailler notre conception de ce projet et notre détermination à le voir aboutir, rappelant qu'il devait reposer sur Eurojust, selon les dispositions des articles 85 et 86 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, et être en mesure de protéger les intérêts financiers de l'Union, sans entrer en contradiction avec les systèmes judiciaires nationaux. Cette initiative franco-allemande a débouché sur la création d'un groupe informel réunissant quatorze États membres – l'Espagne l'ayant réintégré après avoir pris du recul. Cela n'a pas empêché la Commission de continuer à travailler sur son projet ; aussi ai-je précisé à la vice-présidente qui en a la charge que la France n'entendait lui opposer aucune alternative, mais seulement l'enrichir en facilitant les échanges. Si cette démarche diplomatique a fait retomber les tensions, elle n'a pas permis d'infléchir la position de la Commission quant à la création d'un procureur unique qui, disposant d'une compétence quasi exclusive en matière de protection des intérêts financiers de l'Union, pourrait donner des instructions aux enquêteurs et à nos parquets, ce qui est évidemment inconcevable au regard de l'architecture de notre système judiciaire et de ses traditions.
Il nous semble peu probable que la Commission parvienne à rallier neuf pays sur ce projet dans le but d'établir une coopération renforcée. De toute façon, le carton jaune la contraint à revoir son texte, ce qu'elle pourra faire sur le fond ou d'une façon plus formelle : sans lui faire de procès, nous resterons vigilants.
Je le répète, il n'y a pas d'ambiguïté sur la détermination de la France. Nous souhaitions d'ailleurs que le parquet européen se voie doté d'une compétence en matière pénale mais, l'Allemagne s'étant montrée réticente, nous avons différé cette demande afin de ne pas entraver notre dynamique bilatérale. Au demeurant, la protection des intérêts financiers conduira forcément à d'autres procédures pénales.
Notre assemblée a toujours soutenu la position française d'un parquet européen collégial. La Commission européenne, relayée par un article de presse, propose aujourd'hui une coopération renforcée en invoquant une opposition de la France : afin de lever toute ambiguïté, il serait opportun qu'avec le président de notre commission des Lois nous puissions déposer une proposition de résolution, qui réaffirmerait l'attachement de notre assemblée au projet.
Qu'en est-il du devenir de l'OLAF, l'Office européen de lutte antifraude, dont certains personnels pourraient être transférés vers le futur parquet européen, et d'Eurojust, base juridique d'un éventuel parquet européen aux termes du traité de Lisbonne ? Quelles initiatives pouvons-nous prendre en la matière ?
La réforme relative au cadre européen de protection des données personnelles a pris du retard ; or notre assemblée a pris des positions sur les obligations d'information, la protection des données et le droit à l'oubli sur Internet. Envisagez-vous des initiatives en ce domaine ?
Sur la présomption d'innocence, la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme, devant laquelle beaucoup de citoyens européens font appel, rappelle un certain nombre de droits, qu'il s'agisse de la reconnaissance préalable de culpabilité, de la charge de la preuve, du droit de se taire, du droit de ne pas contribuer à sa propre incrimination, de la détention provisoire ou des procédures par défaut. Un projet de directive sur la présomption d'innocence est en préparation : a-t-il des chances d'aboutir, et de s'imposer ainsi à tous les États européens ? Selon mes informations, des experts se sont réunis sur le sujet en juin dernier.
Au nom de quelle statique le Sénat s'oppose-t-il à la dynamique du projet de la Commission européenne ? (Sourires.)
En ce domaine, quelle articulation peut-on envisager entre le principe de subsidiarité – en d'autres termes l'hétérogénéité des droits nationaux – et l'homogénéité du droit européen ?
Qu'en est-il de l'effectivité des droits au sein des pays européens, pour autant que l'on sache la mesurer ?
La position du Sénat sur le parquet européen m'étonne d'autant plus que le président Haenel, du temps de la délégation pour l'Union européenne, y était résolument favorable.
Pourquoi l'Allemagne est-elle réticente sur l'élargissement des compétences au domaine pénal ?
Par ailleurs, pourquoi la France est-elle restée si discrète sur l'affaire des surveillances de la NSA, quand l'Allemagne et le Brésil ont envoyé chacun une délégation à New York et déposé une proposition de résolution aux Nations unies ?
Le projet européen, dont vous avez salué l'audace, a réuni des pays qui s'étaient fait la guerre dans un espace de progrès, de liberté et de développement économique. Vous avez résumé ce projet d'une belle formule : « Oser dire que l'on peut changer le cours de l'histoire ».
L'Union, on le sent bien, est à un carrefour, l'euro-scepticisme cédant désormais à une euro-hostilité que révèle notamment la montée des populismes. Comment, à l'approche des élections européennes, et alors que des changements de Gouvernement sont intervenus en France et en Allemagne, incarner l'Europe d'une façon aussi audacieuse et enthousiasmante que l'avaient fait ses fondateurs, afin de la rapprocher des citoyens ?
Qu'en est-il des gardes d'enfants de parents divorcés ? Le sujet posait de sérieux problèmes, en particulier avec l'Allemagne.
Sur la protection des données personnelles, le projet de règlement, d'application immédiate, doit être très précis. Mes services, en lien avec notre représentation permanente à Bruxelles, y ont activement travaillé. Une collaboratrice de Mme Reding s'est rendue par deux fois à la direction des affaires civiles et du sceau pour des séances de travail, dans le cadre d'échanges bilatéraux que j'avais sollicités.
Les deux textes, à commencer par le projet de règlement, obéissent chacun à deux objectifs potentiellement contradictoires : protéger les citoyens et alléger les formalités pour les entreprises. Un faible niveau de protection des citoyens n'est évidemment pas acceptable à nos yeux ; aussi nous sommes-nous appuyés sur la loi de 1978 à l'origine de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL), tout en veillant à préserver la compétitivité des entreprises françaises et européennes, notamment des PME, déjà victimes de distorsions de concurrence assez fortes par rapport aux grands groupes américains et asiatiques, dont certains, comme Facebook et Google, ont un siège social en Europe. La France a cependant refusé l'idée d'un guichet unique selon laquelle l'autorité compétente, s'agissant du traitement des données, serait celle du pays où l'entreprise a son siège. De fait, les grands groupes internationaux s'installent souvent dans des pays où les règles sont moins strictes qu'en France. La bataille n'est cependant pas gagnée ; mon ministère, par nature plus sensible à la protection des citoyens, a donc travaillé sur le dossier avec ceux du redressement productif et de l'économie numérique, par nature soucieux de la protection des entreprises. Le projet qui en est ressorti, déposé sous forme de non-papier devant la Commission européenne, consiste à accepter le guichet unique tout en impliquant les autorités nationales dans la décision. En d'autres termes, il suffirait qu'un citoyen français soit concerné pour que la CNIL devienne partie prenante.
Nous espérions que le Conseil européen sur le numérique de fin octobre statue sur ces questions, mais il n'en a rien été. Un comité d'experts européens et américains a été installé en juillet, après l'interpellation de la France et de l'Allemagne lors de la réunion informelle des ministres européens de la justice à Vilnius, initiative qui avait conduit l'ensemble des pays de l'Union à élever une protestation contre le programme « Prism ». Cette mobilisation très forte laissait espérer une position européenne plus claire, plus diligente et plus efficace ; mais les États-Unis, grâce à leur capacité de mobilisation bilatérale, sont parvenus à fissurer le bloc européen.
Les écoutes directes dont Mme Merkel et Mme Rousseff semblent avoir fait l'objet sont particulièrement choquantes au regard du principe de souveraineté nationale ; d'où la nécessité, pour l'Allemagne et le Brésil, de réactions lisibles. Reste que la France n'est pas inactive, loin s'en faut. Si les discussions n'ont toujours pas abouti, c'est d'ailleurs parce que le niveau de protection n'est pas satisfaisant à nos yeux. Sur le guichet unique, l'Allemagne, qui s'en remet plutôt au Conseil européen, a d'ailleurs une position un peu différente de la nôtre.
Sur l'opt-out, mes homologues britanniques me préviennent toujours préalablement de leurs décisions par téléphone. La relation du Royaume-Uni à l'Union européenne n'est un secret pour personne : « I want my money back », disait Mme Thatcher dans un résumé d'une extrême brutalité. Cette relation n'est cependant pas sans ambiguïté, tant le Royaume-Uni se montre actif dans les Conseils des ministres européens, y compris sur les sujets pour lesquels il fait jouer l'option de retrait.
Ce sont 133 instruments qui seront concernés par l'opt-out, sachant que le Royaume-Uni envisage parallèlement de participer à 35 de ces instruments, parmi lesquels le mandat d'arrêt européen. Il ne souhaite pas, en revanche, réintégrer la convention d'entraide judiciaire de mai 2000 – et son protocole de 2001 – sur les demandes relatives aux comptes bancaires. Selon l'étude d'impact réalisée par notre magistrat de liaison à Londres, un quart de la coopération judiciaire entre nos deux pays est concerné par les options de retrait et d'adhésion.
Sur le mandat d'arrêt européen, les Britanniques souhaitent introduire un principe de proportionnalité, en matière d'émission de ces mandats. Nous suivons ce dossier de près, car il intéresse l'évolution de notre coopération judiciaire.
La France, comme je l'ai dit, oeuvrera ardemment à la création d'un parquet européen. L'Allemagne ne souhaite pas en élargir les compétences au champ pénal en raison de son organisation fédérale. Il faut d'ailleurs savoir que le ministère de la justice français est sans doute, parmi ses homologues étrangers, celui qui a le champ de compétences le plus vaste.
Le Sénat est très volontaire aussi sur le sujet ; il a fait sienne la proposition du Gouvernement d'un parquet collégial, incluant un représentant de chacun des États membres, avec la possibilité de réunions plénières. Surtout, cette instance devrait s'articuler avec les systèmes judiciaires nationaux et non les surplomber. Une telle organisation nous semble possible à partir d'Eurojust, qui a vu ses moyens consolidés en août dernier.
Nous ne disposons pas d'éléments tangibles sur le projet de directive relative à la présomption d'innocence, monsieur Pueyo. On peut s'étonner d'une apparente contradiction entre la défiance des citoyens à l'égard de l'Europe et les recours toujours plus nombreux qu'ils déposent devant les juridictions européennes. Selon un sondage récemment commandé par la Commission, la France est l'un des pays où le taux de recours devant les juridictions européennes est le plus élevé, et où le niveau de connaissance qu'en ont les citoyens est parmi les plus faibles. L'explication est que ces recours sont décidés par les avocats : les citoyens ne perçoivent pas immédiatement que l'Europe leur offre souvent des garanties supplémentaires.
L'effectivité des droits est mesurable à travers l'aide juridictionnelle, monsieur Piron ; c'est la raison pour laquelle nous nous sommes tant battus pour la création d'un instrument en ce domaine, dans lequel la France – sans être championne d'Europe, j'en conviens – dispose d'un système de solidarité bien pensé. Certains systèmes sont plus rémunérateurs pour les avocats, comme au Royaume-Uni, mais leur champ est bien plus restreint. En matière judiciaire, la France a une culture de la solidarité que beaucoup de pays européens n'ont pas ; or, proclamer un droit d'accès à l'avocat dans des pays dépourvus d'aide juridictionnelle revient à réserver ce droit à ceux qui en ont les moyens. L'effectivité se mesure enfin à la qualité des procédures et au vu des résultats statistiques.
Le projet européen est en effet à un carrefour, monsieur Herbillon, mais cela fait des années que l'on s'interroge sur son sens. J'ai longtemps enseigné l'histoire de la construction européenne, qui m'a toujours émerveillée par son audace, et ce dès mes années de lycée. Que des pays ayant des contentieux historiques, des cultures et des langues différentes se rassemblent dans un espace commun m'a toujours fascinée. Cependant les responsables politiques, depuis des années, n'ont pas su raviver la flamme de cette grande idée, qui ne peut plus avoir le même sens qu'en 1945 ou 1957, à la lumière de l'évolution du monde. Deux solutions s'offrent à nous pour le faire. La première, pragmatique, consiste à rappeler, et pas seulement lors des campagnes électorales, les apports de l'Union à travers ses fonds et ses programmes : il est de la responsabilité de chacun, au niveau national comme dans les territoires, de le redire ; cependant, limiter l'idée européenne à cet aspect ne rendrait pas hommage à ses fondateurs. Il faut donc en revenir au sens initial : l'édification d'un espace plus large que celui de la nation, dont il ne remet au demeurant pas en cause l'identité construite au fil du temps ; en d'autres termes, l'édification d'un espace commun et solidaire, qui réunit les peuples au-delà de leurs différences. Toute génération contient en son sein une élite capable d'appréhender le monde ; mais cette élite, que je ne réduis évidemment pas à celle des diplômes, n'est pas suffisamment consciente ou soucieuse du sens de l'idée européenne – à moins qu'elle ne le juge d'une évidence telle qu'il n'a pas besoin d'être explicité. Il incombe dès lors au politique de porter une parole forte et stimulante, qui mette en lumière toute la modernité de cette idée.
S'agissant des gardes d'enfants de parents divorcés, Monsieur Lequiller, nous disposons d'un instrument avec le règlement Bruxelles II bis, qui prévoit la reconnaissance mutuelle des décisions de justice.
Des difficultés se posent néanmoins avec certains pays, en particulier l'Allemagne. Les cas sont peu nombreux, mais tous douloureux ; ils font donc l'objet d'une médiation internationale.
Ces quelques cas sont souvent mis en exergue dans les médias pour dénoncer l'impuissance de l'Union européenne.
Vous avez raison. Le bureau de l'entraide civile et commerciale internationale de la direction des affaires civiles et des grâces m'avait saisie d'une dizaine de cas. Sur ce sujet difficile, j'avais d'ailleurs envisagé de confier une mission à des parlementaires, mais on m'a fait valoir que les cas étaient peu nombreux, et que les instruments juridiques existaient.
Merci, Madame la garde des Sceaux, pour ces réponses précises et pour vos développements, particulièrement bienvenus à quelques mois des échéances électorales, sur la nécessité de raviver la flamme de l'idée européenne.
Merci, Madame la garde des Sceaux. Mme Auroi, Mme Karamanli et M. Guy Geoffroy et moi adresserons une lettre à Mme Viviane Reding pour lui rappeler l'attachement de notre assemblée au projet de parquet européen car, si la démarche du Sénat est assurément positive, sa lisibilité ne saute pas aux yeux.
La séance est levée à 17 h 45