La Commission examine, pour avis, le titre IV du projet de loi relatif au dialogue social et à l'emploi (n° 2739) sur le rapport de M. Dominique Lefebvre.
Mon rapport est en cours d'achèvement et devrait être disponible en fin de semaine ; il sera long d'une centaine de pages et, pour près de la moitié, consacré aux dispositifs en vigueur : prime pour l'emploi – PPE –, créée en 2001, et revenu de solidarité active – RSA – dans son volet « activité », créé en 2008. Nous pourrons ainsi avoir un aperçu de ce qu'implique leur suppression.
La commission des Finances s'est saisie pour avis du titre IV, qui comporte quatre articles d'importance inégale. L'article 24 insère le dispositif nouveau au sein du code de la sécurité sociale ; l'article 25 procède aux coordinations nécessaires à la suppression du volet « activité » du RSA ; l'article 26 prévoit que la prime d'activité ne sera pas – à l'instar du RSA activité – soumise à l'impôt sur le revenu ; l'article 27 fixe la date d'entrée en vigueur du dispositif. À ce stade je n'ai pas déposé d'amendements, laissant le soin des amendements rédactionnels, notamment sur les articles de coordination, à Christophe Sirugue, rapporteur au fond, au nom de la commission des Affaires sociales.
Aucune des autres mesures du texte ne pouvait à elle seule justifier une saisine de la commission des Finances, en raison de l'absence de lien avec un dispositif fiscal ou de coût budgétaire significatif.
La définition des modalités du dispositif proposé est en grande partie renvoyée au pouvoir réglementaire. Nous avons cherché, dans le cadre de la préparation du rapport, à obtenir des précisions du Gouvernement sur les dispositions réglementaires concernées, qui ne sont pas encore totalement rédigées, faute d'être arrêtées dans leurs principes. Lors de la création du revenu minimum d'insertion – RMI –, en 1988, le dispositif avait fait l'objet d'une élaboration globale, ce qui était assurément plus simple. Je crois néanmoins pouvoir vous donner un certain nombre d'éclairages sur les mesures réglementaires envisagées par le Gouvernement. En tout état de cause, ce partage entre le législatif et le réglementaire correspond à l'usage en matière de prestations sociales.
Troisième observation : la réforme part d'un diagnostic largement partagé sur les dispositifs de soutien aux revenus d'activité modestes, à savoir la PPE et le RSA « activité ». Le maintien de la PPE en l'état, parallèlement au RSA « activité » qui poursuit des objectifs similaires, nuit à la lisibilité, à la cohérence et à l'efficacité des dispositifs, d'autant que le choix avait été fait, à l'époque, d'éteindre très progressivement la PPE, dont la suppression brutale eût fait trop de « perdants ». En 2008, 9 millions de personnes bénéficiaient de la PPE, pour une dépense fiscale supérieure à 4 milliards d'euros, contre 5,5 millions de bénéficiaires en 2014, pour une dépense fiscale à peine supérieure à 2 milliards d'euros.
Une réforme était donc indispensable ; elle fut annoncée dès le début de 2013 dans le cadre du plan pluriannuel de lutte contre la pauvreté. Un groupe de travail avait alors été constitué sous la conduite de Christophe Sirugue, qui a remis ses conclusions en juillet 2013. Nous avions aussi anticipé la réforme en votant, dans la seconde loi de finances rectificative pour 2014, la suppression de la PPE à compter de 2016.
Je veux aussi insister sur le caractère ambitieux et courageux de la réforme, qui s'opère à moyens budgétaires supposés constants, la dépense prévue avoisinant, en 2015, les 4 milliards d'euros – avec une progression en 2016 et en 2017, où elle atteindra 4,2 milliards. Cela représente toutefois un effort pour les finances publiques, dont la trajectoire avait intégré le gel de la PPE, lequel se traduisait par une érosion budgétaire d'environ 300 millions d'euros par an.
Le recentrage du dispositif fera nécessairement des gagnants mais aussi des perdants. Selon l'étude d'impact, la réforme sera neutre pour 2,4 millions de personnes, bénéfique pour 1,2 à 1,3 million d'autres et négative pour environ 800 000 autres encore. Nous devons assumer cet état de fait, tout en vérifiant que la répartition entre ménages gagnants et perdants s'inscrit bien dans nos priorités politiques.
La PPE et le RSA « activité » poursuivent plusieurs objectifs distincts : la lutte contre la pauvreté, le soutien au pouvoir d'achat des travailleurs modestes et l'incitation à l'activité. Or, dans le cadre du dispositif proposé, la priorité me semble devoir être donnée, comme y tend le texte, à l'incitation à la reprise d'activité. Comme Mme la ministre des Affaires sociales l'a rappelé le 6 mai dernier devant la commission saisie au fond, la lutte contre la pauvreté fait l'objet de dispositifs dédiés, de même que le soutien au pouvoir d'achat des travailleurs modestes. Rappelons aussi que la réduction des cotisations sociales salariales pour les salaires n'excédant pas 1,3 SMIC, mesure simple et lisible, a été censurée par le Conseil constitutionnel.
Dans l'appréciation des ménages gagnants et perdants à la réforme, l'approche doit être globale. D'une part, la suppression de la tranche à 5,5 % du barème de l'impôt sur le revenu et la réforme de la décote entreront en vigueur en 2015 : ces mesures profiteront à 9 millions de ménages – dont 3 millions ne seront plus imposés ou n'entreront pas dans l'impôt –, parmi lesquels se trouvent une petite partie des bénéficiaires actuels de la PPE. Par ailleurs, la réforme n'est qu'une étape : elle ne règle pas tous les problèmes de notre système socio-fiscal, notamment les « trappes à inactivité » : comme l'avait observé M. Martin Hirsch en 2005, les minima sociaux deviennent, pour certains, des « maxima » indépassables de revenu disponible car la reprise d'activité conduit à des taux marginaux de prélèvements sociaux ou fiscaux à 70, 80 voire 100 %. Il n'est pas question non plus, aujourd'hui, des allocations logement qui, si elles sont parmi les plus efficaces en termes de réduction des inégalités, peuvent également tirer à la hausse, de manière sensible, les taux de prélèvements en cas de reprise d'activité.
La PPE est un crédit d'impôt calculé, pour l'essentiel, sur la base des revenus d'activité de chacun des membres du foyer fiscal, avec une familialisation limitée – incluant des majorations en cas de mono-activité et de personnes à charge. Elle a concerné jusqu'à 9 millions de foyers fiscaux entre 2005 et 2008, contre 5,5 millions aujourd'hui. Le gel du barème, constaté depuis 2008, a eu deux effets. L'un, qui peut être regardé comme positif, a été de resserrer le ciblage de la prime, qui s'avérait trop large, puisqu'il pouvait inclure des revenus relevant de l'ensemble des déciles de niveau de vie. Le point de sortie de la PPE, du fait de ce gel, a ainsi été ramené de 1,4 à 1,25 SMIC – le système fait donc de nouveaux perdants tous les ans. Ce gel a aussi fait passer le montant moyen annuel de la PPE de 502 euros en 2008 à 400 euros aujourd'hui.
Rappelons brièvement les critiques dont la PPE a pu faire l'objet. La première tient à une dispersion dans l'ensemble des déciles de niveau de vie, du fait de plafonds de revenus fiscaux de référence – auxquels est conditionnée son éligibilité – relativement élevés et du versement au niveau du foyer fiscal, ce dernier point soulevant la question des personnes vivant en concubinage. De fait, celles-ci représentent une part importante des 800 000 perdants puisqu'elles forment chacune un foyer fiscal. Une personne peut ainsi percevoir la PPE alors que les revenus de leurs compagnons sont élevés. Or, la logique de la prime d'activité est de se référer aux revenus du ménage.
Une autre critique adressée à la PPE est la relative faiblesse de son montant – en moyenne 400 euros par an, soit 33 euros par mois –, donc de ses effets redistributifs, ainsi que le décalage de son versement dans le temps, qui la rend peu réactive.
La PPE – créée en 2001 suite à la censure de la « ristourne » de CSG sur les revenus modestes par le Conseil constitutionnel – n'a pas atteint ses objectifs s'agissant de l'incitation à la reprise d'activité et du soutien aux foyers à revenus modestes. Elle a pour avantage d'être automatique et d'avoir un taux de recours élevé, de 95 % – et non 100 % car les bénéficiaires doivent tout de même à cocher une case sur leur déclaration d'impôt sur le revenu –, d'être ouverte à tous les contribuables, quel que soit leur âge, et de favoriser la bi-activité, laquelle concerne beaucoup de femmes.
Quant au RSA « activité » – dont je rappelle que le coût devrait atteindre 1,95 milliard d'euros en 2015 contre 1,8 milliard en 2014, compte tenu de l'augmentation du nombre de bénéficiaires –, couplé avec le RSA « socle » qui, lui-même, remplaçait le RMI, il a vocation à lutter contre les « trappes à inactivité » et à rendre le travail « payant » dès la première heure. Dans son principe, il vise à garantir qu'un revenu supplémentaire de 100 euros se traduise par un gain de 62 euros de revenu disponible, ce qui est tout de même rarement le cas, notamment en raison du calcul des allocations logement, qui dépendent du niveau des revenus d'activité.
Cette prestation est également familialisée puisqu'elle prend en compte les ressources et les revenus d'activité de l'ensemble du foyer. Afin que la réforme n'induise pas de perte de revenus pour les bénéficiaires du RSA activité, le Gouvernement a fait le choix d'une prime, non pas strictement individualisée, selon la proposition – au demeurant plus lisible – de Christophe Sirugue, mais à composante familiale. Dans le cas contraire, les perdants auraient été fort nombreux parmi les familles monoparentales, qui, pour beaucoup d'entre elles, sont constituées de femmes seules avec enfants. Cela dit, les éléments d'individualisation de la future prime sont de nature à la rendre plus lisible.
La principale critique adressée au RSA tient à la faiblesse de son taux de recours – 32 % –, laquelle nuit à sa redistributivité. M. Martin Hirsch, que j'ai auditionné, m'a indiqué qu'il avait le sentiment que cette faiblesse avait été organisée. Le taux de recours au RSA « socle », lui, avoisine les 65 % alors qu'il s'agit d'un minimum social. D'une manière générale, les taux de recours aux prestations « de guichet » se situent, selon les études de la Caisse nationale des allocations familiales – CNAF –, entre 60 et 70 %, en France comme ailleurs en Europe. Le taux de recours du RSA « activité », en tout état de cause, atteste de l'échec de la mesure, sans doute insuffisamment comprise. Alors que l'objectif était, en 2008, d'atteindre 1,4 million de bénéficiaires, il n'y en avait que 430 000 un an plus tard et 550 000 à la fin décembre 2014.
La prestation, en revanche, dispose de bonnes capacités redistributives ; elle est bien ciblée sur les revenus modestes, avec un point de sortie de l'ordre de 1,1 SMIC et un effet maximal, pour un célibataire, situé à 0,4 SMIC. Le montant moyen versé est élevé – 196 euros par mois en 2014. Pour autant, ses effets sont fortement limités par le taux de non-recours. Par ailleurs, le RSA a un effet incertain sur l'activité et des effets de seuil persistent, notamment en raison de la baisse des allocations logement lors d'une hausse de revenus. De plus, le dispositif n'incite guère à la bi-activité. Enfin, il exclut tout un pan des travailleurs modestes, à savoir les moins de vingt-cinq ans. De fait, le RSA activité s'imbrique avec le RSA « socle », lui-même issu du RMI : en étaient exclus les jeunes de moins de vingt-cinq ans, à qui l'on ne voulait pas laisser entendre qu'ils entreraient dans la vie grâce à un revenu d'assistance. Les conditions du RSA « jeunes actifs » étaient si restrictives – deux ans d'activité au minimum sur une période de référence de trois ans – que celui-ci n'a profité qu'à 8 000 bénéficiaires, pour un coût inférieur à 30 millions d'euros.
La coexistence du RSA activité et de la PPE a accentué leurs défauts respectifs : la distribution de la PPE est venue s'élever dans l'échelle des revenus du fait de l'imputation du RSA sur celle-ci, et il est probable que le maintien de la PPE a alimenté le non-recours au RSA, dont je rappelle qu'il constitue un acompte sur la PPE, versée l'année suivante.
J'avais préconisé, dans le cadre du rapport que j'ai remis avec M. François Auvigne sur la fiscalité des ménages, un renforcement du RSA « activité » et un allégement dégressif des cotisations salariales sur les bas salaires ; le rapport Sirugue, lui, proposait la création d'une prime d'activité individuelle ouverte dès dix-huit ans, qui fusionnerait la PPE et le RSA « activité ». L'idée, dans les deux cas, était de sérier les objectifs politiques. Un allégement des cotisations salariales sur les bas salaires aurait répondu à l'objectif de soutien au pouvoir d'achat des travailleurs modestes ; le renforcement du RSA « activité » aurait traité le problème des effets de seuil. Quoi qu'il en soit, le Conseil constitutionnel a tranché le débat en censurant la mesure d'allégement des cotisations salariales, conduisant le Gouvernement, d'une part, à alléger l'impôt sur le revenu des ménages relevant du bas de barème et, d'autre part, à créer la prime d'activité.
Bien que sa mise en oeuvre soit complexe, cette dernière repose sur l'idée simple que le travail doit toujours être payant – sachant que la lutte contre la pauvreté relève du RSA « socle » et de sa revalorisation. Le système est à la fois familialisé – avec des ressources appréciées au niveau du ménage –, et individualisé, par l'intermédiaire de bonus calculés en fonction de la situation de chacun de ses membres. Le dispositif, détaillé à l'article 24, est complexe – les décrets d'application le montreront –, mais la CNAF mettra en place un simulateur pour les bénéficiaires. Il est difficile de trouver une formule plus simple, à moins d'imaginer une stricte individualisation : le système, je l'ai dit, y gagnerait en lisibilité, mais ferait beaucoup de perdants parmi les familles à revenus modestes, notamment monoparentales. C'est pourquoi la solution retenue est mixte, à la fois familialisée et individualisée.
D'autre part, la prime sera clairement dissociée du RSA, ce qui évitera les réticences psychologiques liées au sentiment d'assistanat.
La réforme, dans son calibrage, obéit à deux objectifs. En premier lieu, les 800 000 bénéficiaires du RSA activité – qui d'ailleurs basculeront automatiquement vers la prime d'activité au 31 décembre prochain – ne doivent pas être perdants. Autrement dit, la réforme sera neutre pour les salariés jusqu'à 0,5 SMIC : le travail à temps très partiel, puisque c'est de lui qu'il s'agit, doit être traité à travers d'autres mesures. En second lieu, le dispositif est calibré pour produire le maximum d'effet entre 0,8 et 1,2 SMIC grâce aux bonifications, ce qui ne signifie pas que cette tranche correspond à nos yeux à la bonne situation d'emploi. C'est simplement celle où les effets de seuil sont les plus massifs et où le niveau de revenu disponible pour 100 euros de revenus d'activité supplémentaires peut être le plus faible en raison des mécanismes que je rappelais. Toute mesure de nature à diminuer la bonification de la prime d'activité entre 0,8 et 1,2 SMIC affaiblirait donc l'incitation à l'activité. Cela implique que certains bénéficiaires de la PPE, situés dans les déciles supérieurs, perdront à sa suppression sans être éligibles à la prime d'activité. L'architecture est donc la suivante : les ménages appartenant aux deux premiers déciles de niveau de vie relèvent du plan de lutte contre la pauvreté, ceux appartenant aux premier à quatrième déciles de la prime d'activité et ceux relevant des quatrième à septième déciles de la suppression de la première tranche du barème de l'impôt sur le revenu. La force de la prime d'activité, je le répète, est de constituer une réelle incitation à l'activité.
La grande avancée qu'elle permet, par ailleurs, est de cibler les jeunes de dix-huit à vingt-cinq ans, soit de 700 000 à 1 million de personnes, pour 20 % du coût budgétaire. Pour les ménages perdants, actuellement bénéficiaires de la PPE, la perte mensuelle moyenne sera de 53 euros, contre un gain de 99 euros pour les gagnants. Les couples avec enfants seront eux aussi bénéficiaires, davantage que les couples sans enfants.
Quant à la question du niveau de vie des étudiants et des apprentis, elle n'a pas vocation, je l'indiquerai clairement dans mon rapport, à être traitée par un dispositif d'incitation à l'activité. Il y va d'abord de la lisibilité même de la réforme, et ensuite de la maîtrise des coûts budgétaires : l'éligibilité d'étudiants et d'apprentis conduirait, à enveloppe constante, à rendre la prime d'activité moins incitative entre 0,8 et 1,2 SMIC, sauf à accepter que les bénéficiaires actuels du RSA activité soient in fine perdants, ce qui est exclu. Selon les différentes estimations, de 25 à 45 % d'étudiants travaillent, je le rappelle, dans le cadre d'activités qui peuvent aller du temps très partiel au temps presque complet, de sorte que leur prise en compte introduirait une grande incertitude budgétaire.
Cependant, le Gouvernement envisage de déposer un amendement tendant à ouvrir le bénéfice de la prime aux étudiants apprentis et stagiaires gagnant au moins 0,78 SMIC : ce seuil est celui à partir duquel un jeune ne relève plus du foyer de ses parents pour le calcul des prestations sociales et des allocations logement. Dès lors, la question est de savoir s'il s'agit d'étendre le dispositif à des étudiants et apprentis qui gagnent au moins 0,78 SMIC ou de faciliter l'insertion professionnelle des jeunes ; à mes yeux, il vaut mieux parler de salariés poursuivant leurs études que d'étudiants travaillant pour les poursuivre. La solution la plus simple et la plus « pure » serait d'exclure les étudiants, les apprentis ou stagiaires, de la prime d'activité car ils sont dans un processus de formation. En l'état actuel des chiffrages, les apprentis éligibles à la mesure proposée par le Gouvernement seraient néanmoins peu nombreux, puisqu'ils ont presque tous plus de vingt et un ans et sont en troisième année. Sur une population potentielle de 250 000 étudiants et apprentis, moyennant un taux de recours de 50 %, la dépense avoisinerait les 200 millions d'euros : elle représenterait donc un surcoût ou impliquerait une prime d'activité moins incitative. Comme je l'ai indiqué au Gouvernement, une telle extension de la prime d'activité doit se limiter à l'insertion professionnelle, et en aucun cas impliquer un reparamétrage à la baisse de la prime d'activité.
Enfin, tout jeune salarié de dix-huit à vingt-cinq ans aura la possibilité de constituer un foyer autonome. Prenons l'exemple d'un ménage au sein duquel le père gagne 1 SMIC, l'épouse 0,5 SMIC et l'enfant de vingt-trois ans, 1 SMIC. Si le jeune est inclus dans le foyer, la prime d'activité sera nulle pour le foyer dans son ensemble ; s'il ne l'est pas, en vertu d'un droit d'option qui lui est réservé, le ménage touchera un peu plus de 300 euros, dont une part pour les parents et l'autre pour le jeune. Cette avancée importante est, là encore, une incitation à la reprise d'activité.
Je termine par le coût budgétaire, estimé à 4 milliards d'euros. Il se fonde sur une prime d'activité moyenne de 160 euros et sur l'hypothèse d'un taux de recours de 50 %. On pourrait supposer que ce taux a été fixé en fonction même de l'enveloppe prévue. Ne pas l'atteindre serait un signe d'échec pour la prime d'activité. La mise en place de la nouvelle prestation nécessitera donc une forte mobilisation des services, en particulier de la CNAF : il faut bien entendu songer non pas tant aux salariés qui touchent des revenus réguliers et stables qu'à ceux qui travaillent en intérim ou enchaînent les « petits boulots ». Pour certains bénéficiaires du RSA, la situation peut changer deux ou trois fois par mois, précise la CNAF. Bref, passer d'un taux de recours de 32 à 50 % est ambitieux, surtout en un an. Peut-on aller au-delà, sachant que le taux visé de 50 % correspondrait à la consommation de 66 % de la masse budgétaire totale théorique du dispositif ? Il n'y a aucune raison que le taux de recours de la prime d'activité soit supérieur à celui de la moyenne des prestations familiales, compris entre 65 et 70 % ; s'il devait augmenter, le surcoût pourrait avoisiner le milliard d'euros, auquel cas deux solutions s'offriraient à nous : soit abonder le dispositif par des crédits supplémentaires, soit amoindrir, par voie réglementaire – et comme l'on fait tous les gouvernements successifs en pareil cas –, le caractère incitatif de la prime.
Le sujet, on l'aura compris, est simple sur le plan politique et complexe sur le plan technique. En 2008, M. Martin Hirsch l'a rappelé, le débat avait achoppé sur les « perdants », qui, s'agissant de la prime d'activité, sont les bénéficiaires de la PPE situés dans les déciles supérieurs et certaines femmes vivant en concubinage dont j'ai mentionné la situation. À moins de mettre 3 ou 4 milliards d'euros supplémentaires sur la table – ce que l'état des finances publiques ne permet pas –, on ne peut ni l'éviter ni opter pour une prime individualisée, qui eût été plus lisible. La solution retenue n'est donc pas la panacée, mais elle constitue une clarification, surtout si l'on rappelle que la priorité est la reprise d'activité.
Il est rare d'observer un tel contraste entre des objectifs simples et partagés – l'incitation à la reprise d'activité d'abord, le soutien au pouvoir d'achat des salariés modestes ensuite – et l'extrême complexité technique du dispositif. La nécessité d'une fusion du RSA « activité » avec la PPE est apparue très vite après la création du premier ; mais l'un étant un dispositif fiscal et l'autre une allocation – avec pour références respectives le foyer fiscal et le ménage –, cette solution s'est heurtée à des difficultés techniques. Le fait de se fonder, pour une allocation, sur la seule notion de ménage crée immanquablement des centaines de milliers de perdants. L'exercice devient alors très difficile.
Je suis cependant rassuré par vos propos sur le coût budgétaire, dont il faut veiller qu'il ne s'emballe pas dans les années qui suivent la création d'un tel dispositif. Un taux de recours avoisinant les deux tiers, niveau maximal constaté en matière de prestations sociales, permettrait-il de rester dans l'épure des 4 milliards, ou porterait-il la dépense à 5 milliards ?
La mesure bénéficiera à 4 millions de ménages représentant 5,6 millions d'actifs, soit au total – en incluant les enfants – 11 millions de personnes. Ces calculs se fondent sur un taux de recours de 50 % et un taux de dépense budgétaire de 66 %, étant entendu que les ménages demandent d'autant plus la prestation que son montant potentiel est élevé.
Je reviendrai, dans mon rapport, sur d'autres aspects techniques. Le RSA « activité » n'est pas versé si son montant est inférieur à 6 euros ; la prime d'activité ne le sera pas non plus en dessous de 15 euros. On constate d'ailleurs que, pour des montants inférieurs à 50 euros, les bénéficiaires potentiels renoncent à la prestation, sans doute pour éviter des procédures ou des contrôles. Le taux de recours du RMI puis du RSA, je le répète, avoisinait les 65 %, soit le taux généralement observé pour de telles prestations. Le taux ici retenu, 50 %, est nettement supérieur à celui du RSA « activité » – 32 % – mais, s'il devait atteindre 65 %, la dépense augmenterait de 25 % environ, pour s'établir aux alentours de 5 milliards d'euros ; cela dit, nul ne peut l'anticiper à ce stade. Si le Gouvernement s'était fondé sur un taux de recours supérieur à 50 %, à enveloppe constante – 4 milliards –, il aurait fallu revoir à la baisse le montant de la prime d'activité, y compris pour les bénéficiaires actuels du RSA activité, dont le revenu ne serait donc plus garanti. En tout état de cause, il faudra une mobilisation forte de la CNAF pour atteindre un taux de recours de 50 % dès la fin de 2016, étant entendu que le dispositif pourra monter en charge s'il fonctionne. Reste qu'il nous appartient, en tant que responsables des finances publiques, d'évaluer le risque de surcoût à 1 milliard.
Dès 2016, le système fera 800 000 perdants : ce chiffre renvoie-il aux foyers fiscaux ? Quelle est l'unité de mesure ?
Ce sont les ménages. La PPE est versée aux foyers fiscaux et le RSA l'est aux ménages. Dans l'exemple que j'ai pris, à savoir le ménage formé de deux parents et d'un jeune de vingt-trois ans, la prime d'activité pourra être familialisée.
Revenons sur les perdants dans le cas d'un concubinage. Si, par hypothèse, la compagne gagne trois fois plus que son compagnon qui perçoit un SMIC : ce dernier peut prétendre à la PPE puisque le couple recouvre deux foyers fiscaux ; s'agissant en revanche d'une prestation familiale, c'est l'ensemble des ressources du ménage qui sont prises en compte, de sorte que le même couple ne percevra plus rien.
Il y aura néanmoins un décalage dans le temps. Un certain nombre de ces ménages verront, en 2015, leur impôt sur le revenu diminuer grâce à la réforme du barème, tout en continuant à percevoir la PPE au titre des revenus de 2014. C'est donc en septembre 2016 – échéance politiquement hasardeuse, soit dit en passant – que l'impact se fera sentir.
Christophe Sirugue, dans son rapport, s'était fondé sur quatre pistes. Chacun, toutes tendances confondues, s'était prononcé en faveur de la piste C, à savoir une prime individualisée et même reportée sur la feuille de paie par le biais d'une baisse de cotisations salariales. La PPE fut instaurée consécutivement à deux échecs, d'où la tentative de moduler les cotisations salariales. De fait, tout le monde partage l'objectif d'une incitation à l'activité, qui ne doit pas relever de la politique familiale : le mélange des genres crée des usines à gaz et des effets d'optimisation.
Pour ma part, après la décision du Conseil constitutionnel, j'avais plaidé pour la piste D, autrement dit pour une prime forfaitaire dégressive qui augmenterait le salaire net, les cotisations sociales demeurant inchangées. Cette prime aurait été payée par l'employeur, lequel se serait ensuite fait rembourser par la CAF. Une telle disposition permettait, me semble-t-il, de contourner l'obstacle constitutionnel.
Alors que tout le monde partage l'objectif, la réforme qui nous est aujourd'hui proposée est condamnée à un troisième échec. Afin d'éviter la censure constitutionnelle, le Gouvernement s'est gardé de toucher aux cotisations salariales, rejetant la piste D au profit d'une prime versée directement. Ce schéma, monsieur le rapporteur, est-il selon vous compatible avec la jurisprudence du Conseil constitutionnel ?
Je pense, hélas, que nous allons de nouveau échouer, tout d'abord en raison de la familialisation qui posera des problèmes inextricables. Comment sera définie la famille ? Comment prendre en considération les enfants qui restent très longtemps chez leurs parents – dois-je évoquer le film Tanguy ? Or, ils sont de plus en plus nombreux. Qui bénéficiera de la prime ? Vous avez évoqué l'opposition du Conseil constitutionnel en lien avec sa composition d'alors. Ne sommes-nous pas tous d'accord sur l'objectif et le moyen d'y parvenir, que le Conseil constitutionnel nous a empêchés de mettre en oeuvre ? Pourquoi ne pas aller au-delà ?
La prime d'activité ne sera pas un dispositif plus simple que les précédents puisqu'il impliquera de vérifier la situation de la famille et de prendre en compte tous les « petits boulots » que font souvent les jeunes. Suffira-t-il de faire la moyenne sur trois mois ? Le taux de recours risque d'être mauvais. Vous l'estimez à 50 %, correspondant à 66 % de la masse financière potentielle de la prime d'activité pour 100 % de taux de recours. Si tous les bénéficiaires potentiels demandaient la prestation, la mesure s'élèverait donc à 6 milliards. Pour une fois que les différents courants politiques étaient d'accord à la fois sur l'objectif et sur le moyen, je trouve triste de ne pas tenter d'y parvenir, en dépit des décisions du Conseil constitutionnel.
Pour avoir participé au groupe de travail sur la fiscalité des ménages, je partage avec de nombreux collègues le constat que la PPE et le RSA « activité » étaient des dispositifs inopérants et qu'il fallait les fusionner. Je rejoins également Charles de Courson pour penser qu'une prime individualisée aurait été préférable, car cette formule a le double avantage d'être simple et de prendre en considération chaque membre du couple.
Je tiens à noter qu'en 2014, le budget de la PPE s'était élevé à 2,2 milliards et celui du RSA « activité » à 1,9 milliard, ce qui fait 4,1 milliards, un montant légèrement supérieur au périmètre de 4 milliards prévu pour la prime d'activité. Un taux de recours de 50 % peut paraître relativement faible dans l'absolu : la trajectoire budgétaire doit intégrer un taux de recours final à 65 % ou 70 %, qui est celui des autres dispositifs sociaux. Il faut considérer de tels taux comme un objectif à atteindre et non comme une dérive budgétaire.
L'annexe du projet de loi indique que 240 000 ménages seront perdants sur les deux premiers déciles. Quel éclairage pouvez-vous nous apporter sur le sujet ? Quel est leur profil ? Les concubins, que vous avez évoqués, seront-ils seuls concernés ? Les ménages les plus modestes seront-ils affectés ?
Je tiens à faire part de mon scepticisme sur un dispositif qui nous avait été présenté comme plus simple tout en conservant son caractère incitatif pour le retour à l'emploi : or, il me semble manquer ces deux objectifs.
D'un taux de recours de la prime pour l'emploi de quasiment 100 % – il suffit de cocher la bonne case sur la déclaration des revenus –, nous allons passer à un taux de 50 % pour la prime d'activité. S'il est peut-être légitime en commission des Finances de s'interroger sur les risques de dérive pour les finances publiques, toutefois, en termes de prestations, il est paradoxal de se satisfaire d'un taux de 50 % si on pense que cette prime servira au retour à l'activité. Il faut viser les 100 %.
Par ailleurs, la familialisation non seulement entre conjoints mais également entre ascendants et descendants affaiblit le caractère incitatif qui tient au fait, pour chacun, de percevoir une prime sur sa propre feuille de paye ou sa propre déclaration des revenus. N'est-ce pas paradoxal ?
Nous disposions jusqu'à présent d'un dispositif reconnu pour sa simplicité, la PPE, et d'un dispositif déjà contesté pour sa complexité, le RSA. Or, le texte aligne le nouveau dispositif non pas sur la PPE mais sur le RSA, dans le cadre d'un régime déclaratif très compliqué – cela a été souligné. Pensez-vous qu'il est raisonnable de demander à d'éventuels allocataires, qui exercent plusieurs activités non pas par choix mais par obligation, qui sont en situation de précarité et qui dépensent déjà beaucoup de temps à aligner des bouts de contrats, de devoir, en sus, faire la preuve chaque trimestre de leur capacité à atteindre un niveau de ressources leur permettant de percevoir la prime d'activité ? C'est kafkaïen !
Ce matin, dans Libération, M. Thomas Piketty suggère une autre piste, qui paraît infiniment plus simple : instituer un taux réduit de CSG pour les bénéficiaires potentiels de la prime d'activité. Qu'en pensez-vous, monsieur le rapporteur ? Cette mesure ne permettrait-elle pas d'écarter les difficultés du dispositif actuellement prévu ?
Enfin, parce qu'on considère le dispositif comme juste, on prévoit de l'élargir aux étudiants et aux apprentis : or, si on le fait à enveloppe constante, on sait d'ores et déjà qu'il faudra en priver certains bénéficiaires actuels, ce qui est, là encore, paradoxal. Ce jeu à somme nulle est incompréhensible.
Je nous souhaite à tous bon courage pour expliquer dans les circonscriptions la signification et le mode d'application de la réforme. Le choix de l'UMP d'en faire un cheval de bataille n'est pas ce qui m'inquiète le moins. Comme je ne veux pas lui faire ce cadeau, je pense que le texte mérite encore réflexion.
N'avons-nous pas entendu parler de simplification, monsieur le rapporteur, pour justifier ce nouveau dispositif ? Or, le texte va dans le sens d'une complexification encore plus grande.
Par ailleurs, plus le taux de recours sera important, plus la mesure pèsera sur le budget : le périmètre des 4 milliards ne suffira pas, à moins de diminuer mécaniquement le dispositif par décret pour rester dans une enveloppe fermée.
Le tableau, présenté dans l'étude d'impact du projet de loi, des ménages concernés par la réforme ne va pas sans une certaine malhonnêteté intellectuelle puisque le total des gagnants et des perdants tient compte de la réforme de l'impôt sur le revenu, à savoir de la suppression de la tranche à 5,5 % qui s'appliquera en même temps que la réforme. Il aurait été toutefois préférable, pour plus de visibilité, de calculer ce total à fiscalité constante connue, c'est-à-dire en prenant en compte le barème fiscal de 2014. Ce choix n'est pas anodin. Le chiffre de 4 milliards est-il toujours crédible compte tenu de la suppression de la tranche à 5,5 % ? Pouvez-vous nous apporter une explication précise sur le sujet ?
Chacun connaît enfin le manque de réactivité de la CNAF pour ajuster, aujourd'hui, le RSA à l'évolution de l'activité de ses allocataires, lesquels rencontrent des difficultés pour faire valoir leurs droits rapidement. La prime d'activité sera trimestrialisée : pouvez-vous nous assurer que, demain, la CNAF procédera rapidement aux ajustements nécessaires ?
Chacun a compris l'objectif vertueux de la prime d'activité : favoriser le retour à l'emploi.
Alors que nous souhaitons tous l'instauration d'un dispositif plus simple, la familialisation rendra difficile sa lisibilité par nos concitoyens. De plus, comment, chaque trimestre, les ressources de l'ensemble des membres composant le ménage seront-elles déclarées ? Le mécanisme nous inquiète. Du reste, le dispositif sera-t-il prêt au 1er janvier 2016 ?
Le texte prévoit que les caisses d'allocations familiales – CAF – verseront automatiquement la prime d'activité aux personnes concernées à compter de 2017, grâce à la déclaration sociale nominative qui facilitera la prise en compte des revenus. Or, la mesure ne vaut que pour les salariés. Quid des travailleurs indépendants et des autoentrepreneurs ? Comment leurs revenus seront-ils pris en compte ?
Confirmez-vous que les départements ne seront pas concernés par le financement de la prime d'activité et que seul l'État l'assurera sur son budget ?
Je tiens tout d'abord à souligner l'avancée que représente l'élargissement de la prime d'activité aux jeunes de dix-huit à vingt-cinq ans. Jusqu'à aujourd'hui, les moins de vingt-cinq ans sont presque tous exclus du RSA « socle » et du RSA « activité ». Depuis 2010, en effet, pour bénéficier du RSA « jeunes », il faut avoir travaillé deux années à temps plein dans les trois dernières années : or, cette condition est très difficile à remplir pour les jeunes, de telle sorte que seuls 8 000 en bénéficient. La prime d'activité sera donc un outil puissant de lutte contre la pauvreté et contre la précarité des jeunes Français, qui sont parmi les plus pauvres : 25 % des jeunes de dix-huit à vingt-cinq vivent sous le seuil de pauvreté – deux fois plus que le reste de la population. À vingt-trois ans, le taux d'emploi en contrat à durée indéterminée – CDI – ne dépasse pas aujourd'hui 33 %.
L'élargissement, dans le cadre d'un amendement du Gouvernement, du dispositif aux étudiants qui travaillent et aux apprentis à partir de 0,8 SMIC servira aussi à lutter contre la pauvreté et à améliorer la situation des apprentis, qui ne perçoivent que de faibles rémunérations – elles oscillent de 25 % à 78 % du SMIC. Quant aux étudiants, 75 % travaillent de façon occasionnelle pour financer leurs études et 50 % de façon régulière. Or, à compter de treize à quatorze heures hebdomadaires, le travail est un facteur d'échec reconnu. Aujourd'hui, parmi les étudiants qui travaillent pour financer leurs études et les apprentis, 100 000 sont éligibles à la PPE, qui est déclenchée aux alentours de 25 % du SMIC. Que deviendront ces 100 000 bénéficiaires si la prime d'activité ne concerne que ceux qui gagnent plus de 0,8 SMIC ? Toutes les situations seront-elles prises en compte ? Ne serait-il pas possible d'introduire comme critère le fait pour un jeune d'être autonome au plan fiscal ? Le rattachement au foyer fiscal des parents coûte 2,2 milliards d'euros.
Monsieur le rapporteur, votre exposé, très précis, voire touffu, révèle la complexité du dispositif. La nécessité d'une expertise pointue ne conduit-elle pas à craindre d'éventuelles surprises ?
Sur les 800 000 perdants, certains, dont vous n'avez pas donné le nombre – peut-être le chiffre est-il difficile à mesurer –, ne seraient pas pénalisés en raison de la suppression de la première tranche du barème de l'impôt sur le revenu. Pouvez-vous tout de même nous donner une estimation du nombre des perdants réels ? Je crains une exploitation politique excessive de leur situation. La familialisation ne vise-t-elle pas à modifier le moins possible le dispositif actuel afin de réduire le nombre des perdants et, de ce fait, limiter les répercussions politiciennes ?
M. le rapporteur pourrait-il nous indiquer les modalités pratiques prévues dans le texte pour les non-salariés – je fais allusion au décalage d'un an ?
D'aucuns s'inquiètent de la complexité du dispositif, qui serait due notamment à la part de familialisation entrant dans son calcul. La familialisation de la prime d'activité n'a pas pour premier objectif d'éviter le versement d'une prestation à l'activité à des personnes vivant en ménage avec des revenus élevés. Elle demeure une nécessité compte tenu de la situation des finances publiques. La formule de calcul de la prime d'activité n'est pas très éloignée de celle du calcul du RSA « activité » ; elle repose sur une constante familiale assortie d'une bonification individuelle. Christophe Sirugue et moi-même sommes convenus que les familles monoparentales auraient été les grandes perdantes de l'absence de familialisation. L'exonération d'impôt sur le revenu, dont bénéficient actuellement les allocataires du RSA « activité », n'aurait pu être maintenue.
Monsieur Faure, nous ne pouvons qu'être d'accord avec la tribune de M. Piketty parue dans Libération, du moins en théorie : le plus simple serait en effet d'instaurer une prime d'activité totalement individualisée. De même, des allégements ciblés de cotisations salariales sont le meilleur moyen d'éviter de redonner sous forme de prime d'activité ce qu'on a soutiré par ailleurs. Toutefois, nul n'ignore les contraintes liées aux décisions successives du Conseil constitutionnel en matière d'égalité devant l'impôt : nous le savons depuis 2002, toute mesure de progressivité ou de dégressivité de la CSG doit conduire à prendre en compte les ressources de l'ensemble de la famille – le Conseil constitutionnel a accepté, à la création de cet impôt cédulaire, que tel ne soit pas le cas, pour des raisons de destination. Le courage du Gouvernement est d'accepter de faire des perdants pour tenir des objectifs de réforme.
Je le reconnais, si l'on se réfère à la formule de calcul, on est bien en peine de déterminer si l'on peut ou non bénéficier de la prime d'activité. Il faut toutefois savoir que la déclaration de ressources sera simplifiée par rapport au dispositif actuel du RSA « activité ». De plus, les droits seront figés pour trois mois, ce qui évitera les indus et les rappels liés aux variations d'activité. Le calcul sera mensualisé sur les trois mois précédents et c'est la moyenne des droits de cette période qui sera versée le trimestre suivant, ce qui permettra aux allocataires de disposer d'une prévisibilité trimestrielle de leurs ressources. Toutes les organisations syndicales, y compris la CGT, des associations comme le COORACE ou le Secours catholique et l'ensemble des acteurs du plan national de lutte contre la pauvreté sont favorables à cette réforme car elle représente un progrès en termes de simplification, de lisibilité et de sécurisation par rapport au RSA « activité ».
Certes, la PPE avait un caractère quasi automatique, même si certains oubliaient de cocher la case. Toutefois, cette mesure de pouvoir d'achat s'analysait comme une mesure de réduction d'impôt. Monsieur Alauzet, les 800 000 perdants sont calculés après la suppression de la première tranche du barème : avant la suppression, ils sont 1,2 million, un chiffre équivalent à celui du nombre de gagnants. Ainsi, 400 000 personnes qui bénéficient de la PPE et qui ne bénéficieront pas de la prime d'activité ne verront pas leur situation dégradée du fait de la réforme. De plus, l'étude d'impact évalue le nombre des gagnants et des perdants en fonction de l'estimation du taux de recours. Je rappelle que tous les bénéficiaires du RSA « activité » seront basculés dans le nouveau dispositif par les CAF, qui connaissent déjà 78 % des bénéficiaires de la prime d'activité touchant par ailleurs des prestations. Quant à la notion de ménage au sens des prestations familiales, elle est utilisée tous les jours pour leur calcul : elle est du reste plus juste que celle de foyer fiscal, dont chacun connaît les effets pervers.
Madame Sas, le montant de 4 milliards d'euros est une évaluation : il progressera. Compte tenu de la baisse de la PPE d'environ 300 millions par an, un effort équivalent est ainsi consenti. Il est impératif que le taux de recours de 50 % soit atteint rapidement, ce qui supposera la mise en oeuvre de moyens importants. Je suis d'accord : il faut atteindre le taux de recours d'une prestation habituelle – 65 % : c'est la raison pour laquelle j'ai avancé le chiffre de 1 milliard de coût supplémentaire. J'ai indiqué au Gouvernement à titre personnel que cet éventuel surcoût budgétaire par rapport à la prévision ne saurait se traduire par une modification des paramètres de la prime d'activité, qui ne pourrait jouer que sur le caractère incitatif entre 0,8 et 1,2 SMIC. Pour des raisons historiques et d'arbitrages politiques récurrents, la constante familiale de la prime d'activité et ses composantes seront indexées sur l'inflation et non sur les salaires. L'ajustement de ces mécanismes provoque au fil du temps, par rapport à l'évolution des salaires, notamment du SMIC, un rabotage de leur caractère incitatif. En effet, en pourcentage du SMIC, la prime d'activité différemment nécessairement. Dans le rapport, je demanderai au Gouvernement de s'engager dans la technique des « coups de pouce » – à laquelle il recourt pour le RSA « activité » – pour éviter un transfert.
Madame Louwagie, le dispositif est pris en charge à 100 % par l'État, comme c'est le cas du RSA « activité ». S'il se traduit par une réelle amélioration de l'emploi, le dispositif devrait entraîner un transfert de charges des départements vers l'État plutôt que l'inverse, puisqu'il engendrerait une diminution du versement du RSA « socle », qui est une allocation différentielle, au profit de la prime d'activité.
La déclaration trimestrielle sera simplifiée et dématérialisée. Tous les bénéficiaires de la PPE seront informés de la création de la prime d'activité et seront incités à vérifier s'ils en bénéficieront. Quant à la déclaration sociale nominative – DSN –, elle ne permettra pas le versement automatique de la prime d'activité du fait que celle-ci est familialisée. Elle permettra en revanche aux CAF de disposer automatiquement des revenus salariaux du trimestre précédent. Elle ne supprimera ni la demande ni la déclaration. Elle servira de déclaration pré-remplie à l'instar des déclarations pré-remplies d'impôt sur le revenu. Il appartiendra aux éventuels allocataires de se prendre en charge et de calculer sur le simulateur mis en place par la CNAF s'ils peuvent bénéficier ou non du dispositif. Je tiens à souligner que la CNAF est très soucieuse d'être prête au 1er janvier prochain, car les caisses savent d'ores et déjà qu'elles seront confrontées à compter de cette date à un afflux important de demandes. Elles s'attachent donc à modifier l'ensemble de leurs systèmes informatiques afin d'y intégrer le nouveau dispositif.
Je rappelle que le revenu des apprentis est totalement exonéré d'impôt sur le revenu. On peut, certes, poursuivre un objectif d'autonomie pour des jeunes en insertion professionnelle qui perçoivent 0,8 SMIC et dont le travail ne correspond pas toujours à leurs études. Toutefois, la prime d'activité n'a pas pour objet de satisfaire la revendication d'un revenu autonome étudiant : elle est un outil de retour à l'emploi au bénéfice des plus précaires. Ne confondons pas les objectifs.
Les modèles de simulation sont les deux modèles de la direction du Trésor, dont Pâris, qui permet de disposer de cas-types. S'agissant des gagnants et des perdants du nouveau dispositif, nous verrons si les faits vérifient les prévisions, dont le rapport livre les grandes logiques. Outre la question des concubins, le fait que le nouveau dispositif fasse des perdants dans les premiers déciles peut également avoir pour origine la différence entre les rythmes annuel de la PPE et mensuel du RSA. La mensualisation du RSA répond mieux, à mon sens, à l'objectif de reprise d'activité. En revanche, compte tenu de l'annualisation de la PPE, il suffisait de travailler deux mois dans l'année pour en bénéficier. Les objectifs ne sont pas les mêmes. Il faut accepter la rupture provoquée par la prime d'activité.
Pour les non-salariés, le mode de calcul de la prime d'activité reposera, comme celui du RSA « activité », sur deux critères : la prise en compte des ressources annuelles N-1 et un plafond de chiffre d'affaires.
La Commission passe à l'examen des articles du titre IV.
TITRE IV ENCOURAGER L'ACTIVITÉ PROFESSIONNELLE PAR LA CRÉATION D'UNE PRIME D'ACTIVITÉ
Article 24 : Prime d'activité
La Commission émet un avis favorable à l'adoption de l'article 24 sans modification.
Après l'article 24
La Commission examine l'amendement CF1 de M. Charles de Courson.
Je n'étais pas favorable à la suppression de la première tranche de l'impôt sur le revenu, qui se traduit par un effet de seuil considérable. L'amendement CF1 vise donc à revenir sur cette progressivité excessive de l'impôt sur le revenu.
La situation des concubins alourdit encore le nombre des perdants puisqu'ils rédigent deux déclarations. Par exemple, s'ils perçoivent un revenu oscillant entre 6 000 et 12 000 euros – l'un d'entre eux est donc concerné par la décote –, l'effet n'est-il pas contre-incitatif à l'activité ?
Avis défavorable.
Certes, l'amendement CF1, que Charles de Courson a déjà déposé lors de la discussion du projet de loi de finances pour 2015, n'est pas sans rapport avec notre débat d'aujourd'hui, qui porte sur les bas revenus. La décision prise l'année dernière ne l'aurait pas été, sans doute, de la même manière, si le Conseil constitutionnel n'avait pas censuré la mesure salariale.
Sans dédaigner la pertinence de votre réflexion fiscale, je suis en revanche dans l'obligation de souligner que votre amendement ne permet pas d'atteindre l'objectif de reprise d'activité que vise la création de la prime d'activité : celui qui travaille doit gagner plus que celui qui ne travaille pas.
L'amendement CF1 est un amendement de réflexion : plusieurs pays ont déjà créé l'impôt négatif, tel que je le propose. Celui-ci, en calibrant autrement le coût de la prime d'activité, permettrait d'obtenir de meilleurs résultats. Mon objectif, je le répète, est de faire apparaître la prime d'activité sur la feuille de paye. De plus, la suppression de la première tranche a un effet désincitatif.
La Commission rejette l'amendement.
Puis elle examine l'amendement CF2 de M. Charles de Courson.
L'amendement CF2 pose le problème dans son ensemble. Arrêtons de bricoler ! Le rapport de Dominique Lefebvre sur le caractère incitatif ou désincitatif de l'ensemble du système socialo-fiscal a montré qu'entre un demi-SMIC et un SMIC pour un célibataire, le taux de prélèvement s'élève à 77 %, c'est-à-dire qu'il est supérieur à celui des revenus les plus aisés : on marche sur la tête !
Il s'agit d'engager une réflexion sur la faisabilité, au regard du droit européen et de la jurisprudence du Conseil constitutionnel, de la mise en place d'un abattement dégressif d'un montant pouvant atteindre 200 euros mensuels sur les cotisations sociales salariales pour les salariés gagnant jusqu'à 1,2 SMIC.
Je rappelle que le problème tient à la mise en oeuvre d'une mesure à laquelle nous sommes tous favorables.
Votre amendement manque de cohérence : l'exposé sommaire évoque un abattement dégressif quand l'amendement demande simplement au Gouvernement la remise d'un rapport au Parlement sur le sujet.
L'amendement vise à demander au Gouvernement un rapport sur la faisabilité de la mesure, dont le coût serait équivalent à celui de la prime d'activité.
Avis défavorable.
Pourquoi se référer au droit européen ? Le problème tient à la jurisprudence du Conseil constitutionnel français sur la question de la dégressivité de la CSG – j'ai déjà évoqué le sujet. Le Conseil constitutionnel a fixé le cadre permettant de faire de la CSG, qui est un impôt proportionnel et cédulaire, un impôt progressif. Le rapport gouvernemental de février 2012 remis au Parlement a montré combien il serait difficile de mettre en oeuvre une telle réforme, qui risque de faire de nombreux perdants et de ne pas être comprise.
Le Conseil constitutionnel a refusé toute dégressivité des cotisations salariales, en s'appuyant sur le caractère contributif de la sécurité sociale, fondement du système de 1945, qui n'est plus pris en compte que pour les pensions.
Le Conseil constitutionnel a donc répondu par avance à l'amendement de Charles de Courson : pour le satisfaire, il conviendrait de prendre en considération la situation du contribuable, ce qui provoquerait de grands bouleversements dans la nature et le rendement de l'impôt : ce n'est pas la priorité actuelle. Nous avons préféré engager un travail de simplification portant sur le bas du barème et qui doit être poursuivi par un travail sur les prestations, notamment les allocations logement.
La Commission rejette l'amendement.
Article 25 : Suppression du RSA « activité »
La Commission émet un avis favorable à l'adoption de l'article 25 sans modification.
Article 26 : Coordination et dispositions diverses
La Commission émet un avis favorable à l'adoption de l'article 26 sans modification.
Article 27 : Entrée en vigueur et adaptation à Mayotte
La Commission émet un avis favorable à l'adoption de l'article 27 sans modification.
Enfin, la Commission émet un avis favorable à l'adoption du titre IV sans modification.
Informations relatives à la Commission
1. La Commission a nommé :
– M. Dominique Lefebvre rapporteur pour avis sur le titre IV du projet de loi relatif au dialogue social et à l'emploi (n° 2739) ;
– M. Dominique Baert rapporteur du projet de loi, adopté par le Sénat après engagement de la procédure accélérée, modifiant la loi n° 2004-639 du 2 juillet 2004 relative à l'octroi de mer (n° 2759).
2. La Commission a reçu, en application de l'article 12 de la loi organique relative aux lois de finances – LOLF :
– un projet de décret de transfert de crédits d'un montant de 6 073 891 euros en autorisations d'engagement (AE) et 6 217 471 euros en crédits de paiement (CP), du programme 144 Environnement et prospective de la politique de défense de la mission Défense à destination du programme 105 Action de la France en Europe et dans le monde de la mission Action extérieure de l'État.
Il a pour objet de synthétiser deux mesures distinctes au profit du ministère des Affaires étrangères et du développement international :
– la première mesure correspond à la contribution du ministère de la Défense aux charges communes à l'étranger à hauteur de 6 003 891 euros en AE et 6 147 471 euros en CP ;
– la seconde correspond à la participation du ministère de la Défense au programme français des garanties dont bénéficie l'Agence internationale de l'énergie atomique pour 70 000 euros en AE et CP ;
– un projet de décret de transfert de crédits d'un montant de 27 965 660 euros en autorisations d'engagement (AE) et 38 284 857 euros en crédits de paiement (CP), du programme 155 Conception, gestion et évaluation des politiques de l'emploi et du travail de la mission Travail et emploi à destination du programme 124 Conduite et soutien des politiques sanitaires, sociales, du sport, de la jeunesse et de la vie associative de la mission Solidarité, insertion et égalité des chances.
Ce transfert de crédits fait suite à la décision de mutualiser les fonctions supports en administration centrale des trois ministères du champ social qui disposent désormais d'un secrétariat général commun.
Il doit permettre de couvrir, pour la seule administration centrale du ministère du Travail, de l'emploi et du dialogue social, l'ensemble des dépenses de fonctionnement courant, d'immobilier, de bureautique, d'infrastructures informatiques ainsi que les projets et la maintenance applicative destinés aux directions supports.
Membres présents ou excusés
Commission des Finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire
Réunion du mardi 19 mai 2015 à 16 h 15
Présents. - M. Éric Alauzet, M. Dominique Baert, M. Étienne Blanc, M. Jean-Claude Buisine, M. Gilles Carrez, M. Jérôme Chartier, M. Charles de Courson, Mme Marie-Christine Dalloz, M. Olivier Faure, M. Alain Fauré, M. Yann Galut, M. Marc Goua, M. Laurent Grandguillaume, Mme Arlette Grosskost, M. Régis Juanico, M. Jean-François Lamour, M. Dominique Lefebvre, Mme Véronique Louwagie, Mme Monique Rabin, Mme Eva Sas, M. Michel Vergnier
Excusés. - M. Jean-Claude Fruteau, M. David Habib, M. Patrick Lebreton, M. Marc Le Fur, M. Victorin Lurel, Mme Valérie Rabault, M. Thierry Robert, M. Camille de Rocca Serra, M. Éric Woerth
Assistait également à la réunion. - M. Jean-Patrick Gille