Réunion, ouverte à la presse, sur l'abolition de la peine de mort dans le monde avec M.Raphaël Chenuil-Hazan, directeur général d'Ensemble contre la peine de mort, et Mme Maria Donatelli, directrice exécutive de la Coalition mondiale contre la peine de mort
La séance est ouverte à dix-sept heures.
Mes chers collègues, l'abolition de la peine de mort a été abordée à plusieurs reprises par notre commission, notamment à l'occasion des ratifications de conventions d'extradition, souvent lors des auditions de nos diplomates et des rencontres avec des officiers étrangers au plus haut niveau. C'est la première fois que nous débattons de cette question en tant que telle. Je ne vous rappellerai pas l'engagement constant de notre diplomatie en la matière, tout ce qui a été fait dans le passé et tout ce qui est fait, sur le plan international en application de nos obligations légales et constitutionnelles. La France continue à être active partout et à tous les niveaux contre la peine de mort. Madame Donatelli, Monsieur Chenuil-Hazan, la carte sur « la peine de mort dans le monde en 2014 », incluse dans le dossier distribué, est particulièrement éclairante sur l'application de cette sentence dans le monde, notamment dans des pays extrêmement peuplés, comme l'Inde et la Chine. Je vous propose de nous présenter un exposé introductif, puis nous vous poserons un certain nombre de questions.
Je suis ravi d'être parmi vous aujourd'hui. Je suis directeur général d'Ensemble contre la peine de mort, mais aussi vice-président de la Coalition mondiale contre la peine de mort, que Maria Donatelli vous présentera.
Ensemble contre la peine de mort est l'une des rares organisations au niveau mondial à se focaliser uniquement sur la lutte contre la peine de mort. C'est à la fois une faiblesse et une force. Une faiblesse parce que nous sommes contraints à être petits, à ne pas pouvoir nous étendre. Une force parce que nous sommes centrés sur l'abolition de la peine de mort, quand la plupart des organisations, des barreaux ou des acteurs au niveau international ont un engagement restreint sur cette question puisqu'ils sont impliqués sur de nombreux sujets relatifs aux droits humains.
Pour notre part, nous activons tous nos réseaux au travers d'un lobbying international, en menant des actions auprès des cercles politiques, législatifs, exécutifs, mais aussi judiciaires. Ensuite, nous travaillons au renforcement des capacités des acteurs locaux, auprès des petites organisations des droits de l'Homme, des barreaux, des syndicats de la magistrature qui existent çà et là. Enfin, nous travaillons beaucoup, et de plus en plus, à l'éducation et à la sensibilisation des opinions publiques. Ce faisant, nous agissons à la fois sur le politique et l'opinion publique, car l'un ne va pas sans l'autre. Lorsque je suis face à des ministres ou des parlementaires de pays où la peine de mort existe encore, je m'entends souvent dire que l'opinion publique n'est pas prête. C'est pourquoi nous travaillons sur de grands programmes d'éducation à la citoyenneté, sachant que la peine de mort renvoie à d'autres sujets majeurs – droits de l'Homme, justice, responsabilité, droit des victimes.
L'abolition de la peine de mort est au coeur des valeurs de la France et au coeur des valeurs de l'Union européenne. Mais le combat abolitionniste ne s'arrête pas aux frontières de l'UE, il est une réalité dans une grande majorité de pays à travers le monde. Il y a trente ans, deux tiers des pays de l'ONU appliquaient la peine de mort régulièrement – la France l'a abolie en 1981, ce qui en a fait le trente-cinquième État abolitionniste. Aujourd'hui, la tendance est totalement inversée : deux tiers des pays ont aboli la peine de mort ou ne la pratiquent plus – 105 l'ont abolie en droit et 35 sont en moratoire. Restent 58 pays de l'ONU qui continuent à la pratiquer au moins une fois tous les dix ans, parmi lesquels une vingtaine font la une de l'actualité de façon récurrente, et dont je vais vous dire un mot tout à l'heure.
Je reviens sur l'importance de l'éducation. Ensemble contre la peine de mort mène un programme d'éducation dans les écoles françaises – cela a concerné plus de 5 000 élèves en deux ans –, mais aussi au Maroc, en Tunisie, au Liban, en RDC, au Cameroun. Le 11 janvier dernier, mon équipe était dans une école de Seine-Saint-Denis pour intervenir – cela était prévu de longue date – sur la liberté d'expression et l'abolition de la peine de mort. Vous le voyez : ces actions de terrain permettent de faire le lien entre la question de la peine de mort et l'éducation aux droits de l'Homme, l'éducation à la citoyenneté – ce dernier mot ayant pris une importance toute particulière depuis ce début d'année 2015.
La tendance mondiale à l'abolition de la peine de mort est positive – comme je l'ai dit, elle s'est inversée ces trente dernières années. Je vais commencer, une fois n'est pas coutume, par les États-Unis, grande démocratie qui continue à exécuter. Nous avons beaucoup d'espoir de voir ce pays progresser vers l'abolition, État par État, dans les prochaines années. Le 27 mai dernier, le Nebraska a aboli la peine de mort, via un vote du Parlement, ce qui en fait le dix-neuvième État américain abolitionniste. Sept autres observent un moratoire, n'ayant pas pratiqué la peine de mort depuis plus de dix ans. Il faut ajouter à cela le niveau fédéral et la juridiction militaire, même si se pose la question du cas du jeune tchétchène auteur des attentats de Boston et condamné à mort fédéral. En tout état de cause, les condamnations à mort et les exécutions ont énormément diminué ces dernières années aux Etats-Unis. Nous pourrons aborder, si vous le souhaitez, la stratégie mise en oeuvre par mon organisation, les acteurs américains et d'autres acteurs européens, stratégie très différente de celle appliquée dans le reste du monde et principalement axée sur le Huitième amendement de la Constitution des États-Unis, selon lequel il est interdit d'infliger des peines cruelles ou inhabituelles – nor cruel and unusual punishments. C'est sur la base de cet argument que nous avons l'espoir de voir la peine de mort abolie dans ce pays dans les cinq à dix prochaines années via une décision de la Cour suprême.
L'autre point très positif sur le front de l'abolition est l'Afrique, en particulier l'Afrique subsaharienne. En effet, 18 États africains ont aboli la peine de mort, 18 ne la pratiquent plus depuis plus de dix ans, et 16 sont des États rétentionnistes, dont l'Égypte, le Soudan, pays de l'Afrique du monde arabe. En 1990, seul le Cap-Vert avait aboli la peine de mort. C'est dire le chemin parcouru. Le débat sur le continent africain est porté plutôt dans les instances internationales, comme la commission africaine des droits de l'Homme ; Maria vous en parlera. Le Togo a aboli la peine de mort en 2009, le Gabon en 2011, le Bénin en 2012, Madagascar en 2014, autant de pays francophones. Il y a encore du travail, mais chaque étape passée fait espérer une Afrique quasi entièrement abolitionniste dans les prochaines années.
Enfin, l'Europe est aujourd'hui abolitionniste, à l'exception du Bélarus, seule dictature du continent, ainsi que l'Amérique latine dans son ensemble, excepté le Guatemala et quelques îles des Caraïbes.
Ainsi, l'abolition de la peine de mort n'est pas qu'une valeur européenne. Elle est ancrée à la fois dans les textes internationaux, dans les combats et les réalités géographiques, et elle s'inscrit dans une réalité universelle, comme l'abolition de l'esclavage ou de la torture. C'est le travail politique que nous menons avec l'aide de la diplomatie française et des diplomaties européennes.
Je vais maintenant parler des pays les plus irréductibles du Moyen-Orient, zone géographique la plus complexe, où nous avons le plus de mal à porter des discours sur l'abolition, principalement dans les pays axés sur la religion. On pourrait en débattre pendant des heures. Je pense fondamentalement que la charia est une excuse, car beaucoup d'autres sujets dans la charia ont évolué, comme le code de la famille au Maroc, mais aussi l'esclavage. La peine de mort n'est citée qu'une fois dans le Coran, l'esclavage est cité des centaines de fois. Les pays musulmans ont accepté l'abolition de l'esclavage, en tout cas en droit ; il n'y a donc aucune raison que la peine de mort ne fasse pas partie de ce genre de réflexion. Au Moyen-Orient, trois pays sont particulièrement difficiles.
Le premier est l'Arabie saoudite, qui a exécuté depuis le début de l'année 2015 autant que pendant toute l'année 2014, année où il figurait déjà au rang de troisième pays exécuteur au monde. L'Arabie saoudite est un pays allié d'un grand nombre d'États, y compris la France. Cependant, sa politique judiciaire répressive est fondée sur la peine de mort, mais aussi sur d'autres peines, comme la flagellation. La peine de mort est appliquée par décapitation et est souvent suivie d'une crucifixion pour exposer les condamnés à la vindicte populaire après que leur tête a été recousue. La peine capitale est requise pour vol à main armée, viol, meurtre, apostasie et trafic de drogue, qui concentre à lui seul les deux tiers des condamnations dans ce pays. Si la majorité des exécutions en Arabie saoudite est liée au trafic de drogue, cela est vrai également dans le reste du monde – j'y reviendrai sur le cas particulier de l'Indonésie.
Le deuxième pays très difficile du Moyen-Orient est l'Iran, sur lequel mon association travaille beaucoup. Sur la question des droits de l'Homme et de la peine de mort, aucun assouplissement n'est constaté, il y a même une augmentation des exécutions. En ce moment même, dans la prison de Ghezel-Hessar, à vingt kilomètres au nord-ouest de Téhéran, des exécutions massives sont perpétrées – on parle de plus d'une centaine de condamnés à mort exécutés. En Iran, il existe à la fois une discrimination des minorités ethniques – Kurdes, Baloutches, Azéris –, mais aussi une discrimination sociale et religieuse, notamment à l'encontre des minorités religieuses – Bahaïs ou Juifs d'Iran. Et il y a le pire en matière de peine de mort, à savoir des exécutions publiques, mais aussi des exécutions secrètes dans les prisons, comme je viens de vous le dire. En définitive, le nouveau gouvernement Rohani n'a pas fait souffler, sur la question de la peine de mort et des droits de l'Homme, le vent de réformes qu'il pouvait laisser espérer.
Je termine, pour ce qui est du Moyen Orient, par l'Égypte, pays qui a connu récemment un certain nombre de bouleversements. Le 16 mai dernier, l'ancien président Morsi a été condamné à mort, et 509 condamnations ont été prononcées l'année dernière. Cela montre que l'utilisation politique de la peine de mort est récurrente dans les pays, qu'ils soient démocratiques ou pas, ce qui fait craindre une diminution du niveau démocratique, une atteinte aux droits humains, à l'égard de l'opposition, quelle qu'elle soit, ou d'autres franges de la société. À cet égard, il nous semble important que la France, par le biais de ses parlementaires et de son gouvernement, réagisse auprès de ses alliés – Égypte, Arabie Saoudite – afin de leur signifier son désaccord profond sur cette question.
Le monde arabe présente un côté positif, avec le Maghreb. Mon organisation travaille depuis longtemps au Maroc, en Tunisie, en Algérie – mais aussi au Liban, qui n'en fait pas partie, mais qui montre le même élan positif. Dans ces pays, la place des parlementaires est extrêmement importante, voire essentielle. En 2013, Ensemble contre la peine de mort a mis sur pied un réseau de parlementaires au Maroc et, à ce jour, plus de 250 d'entre eux, soit 30 à 40 %, ont signé notre charte. Ces parlementaires sur le terrain sont actifs sur plusieurs questions : le vote à l'ONU et le respect des engagements internationaux, la révision des codes pénaux, la constitutionnalisation – du droit à la vie au Maroc et en Tunisie –, la visite des prisons et des condamnées à mort, l'animation du débat au sein des assemblées parlementaires (plus d'une cinquantaine de questions ont déjà été déposées à la chambre des députés marocaine sur la question de la peine de mort). Nous pensons important de mettre en lien des parlementaires du Maroc avec des parlementaires européens. Nous avons tenté, et nous n'avons pas encore renoncé, de monter un petit groupe de parlementaires français contre la peine de mort – je suis certain de trouver d'ardents défenseurs de cette cause parmi vous. Mais le problème, c'est le temps, votre temps, je le sais bien.
Je ne voudrais pas terminer mon propos liminaire sans parler de l'Asie. Vous le savez, nous avons lancé depuis plusieurs mois une grande campagne pour sauver Serge Atlaoui. La semaine prochaine, nous allons organiser à Kuala Lumpur un congrès régional sur la peine de mort en Asie, dans le cadre duquel nous nous concentrerons, pour la première fois, sur trois questions prégnantes dans cette région. La première concerne la drogue et la peine de mort – on l'a vu avec l'Indonésie. La deuxième concerne les ressortissants étrangers dans les couloirs de la mort – des citoyens européens, américains, asiatiques et africains –, présents en Indonésie, mais aussi en Chine, au Vietnam, en Malaisie. En Asie, on aime bien arrêter les étrangers, les exécuter si possible, pour exprimer l'idée que le mal vient de l'étranger – c'est le cas en Indonésie où le trafic de drogue est imputé à l'étranger, et non à l'Indonésien moyen, et où il faut extirper le mal en exécutant les condamnés. La troisième question, plus technique et juridique, est liée au fait que, dans un grand nombre de pays asiatiques, le code pénal prévoit la peine de mort obligatoire, si bien que les juges ne disposent pas d'une échelle de peines – c'est soit la liberté, soit la peine de mort – ; c'est le cas notamment en Malaisie, mais aussi à Singapour pour certains crimes.
Je termine en disant que, depuis quinze ans, nous organisons le Congrès mondial contre la peine de mort, qui se tient tous les trois ans et dont la prochaine session se déroulera à Oslo en juin 2016. J'invite tous les parlementaires intéressés par les questions touchant aux droits de l'Homme et désireux de s'impliquer en faveur de l'abolition de la peine de mort à venir participer à ce grand événement pour pousser, avec l'ensemble des participants, à l'abolition universelle de la peine capitale demain.
Je suis très honorée d'être parmi vous aujourd'hui. La Coalition mondiale contre la peine de mort, qui est un réseau d'ONG, de barreaux d'avocats, de collectivités locales et de syndicats, lutte en faveur de l'abolition de la peine de mort car nous pensons qu'aucun gouvernement n'a le droit d'ôter la vie à qui que ce soit. Nous ne sommes pas pour l'impunité, nous sommes pour le respect des droits de l'Homme et la dignité des êtres humains.
Ces dernières années, les exécutions pour crime lié à la drogue ont notablement augmenté, tout comme celles pour acte de terrorisme. Je vais donc concentrer mon propos sur la peine de mort pour trafic de drogue, et ce pour deux raisons.
Première raison : la Coalition mondiale contre la peine de mort organise chaque année la Journée mondiale contre la peine de mort le 10 octobre, date de la publication de la loi abolissant la peine de mort en France en 1981. Et cette année, le thème retenu par la Coalition et ses membres est justement « drogue et peine de mort », l'objectif principal de la Journée mondiale 2015 étant de sensibiliser le grand public à l'application de la peine de mort pour trafic de drogue, afin de réduire l'utilisation de cette punition jusqu'à son abolition.
Aujourd'hui, 33 pays dans le monde retiennent la peine de mort pour crime lié à la drogue, et ces pays peuvent être répartis en quatre groupes : les États qui l'appliquent souvent, parmi lesquels la Chine et l'Indonésie ; ceux qui l'appliquent rarement, comme Taïwan, le Pakistan et le Yémen ; ceux qui retiennent la peine de mort pour trafic de drogue de façon symbolique dans leur code pénal, mais ne l'appliquent pas, et ce pour démontrer à l'opinion publique qu'ils ont une politique dure contre la drogue ; enfin, des États pour lesquels nous n'avons pas assez d'information, comme la Syrie ou la Corée du Nord.
Dans les années 1980 et 1990, une tendance vers l'abolition de la peine de mort a émergé au fur et à mesure que davantage de pays abolissaient la peine capitale en droit ou cessaient purement et simplement les exécutions. Selon Amnesty International, en 1977, seuls 16 pays avaient aboli la peine de mort en droit ou en pratique. Ils sont 140 aujourd'hui.
Par contre, au cours de la même période, le nombre de pays qui ont ajouté la peine de mort pour trafic de drogue dans leur arsenal juridique s'est accru de manière significative, en raison de la « guerre aux drogues ». En 1979, environ 10 pays appliquaient la peine de mort pour trafic de drogue. Ce nombre est passé à 36 en 2000 ; ils sont 33 aujourd'hui.
Ce laps de temps coïncide avec la période d'élaboration, d'adoption et de ratification de la Convention contre le trafic illicite de stupéfiants et de substances psychotropes de 1988, le troisième traité relatif aux drogues de l'ONU qui a établi les obligations en droit international des États pour adopter des dispositions pénales sévères pour les infractions relatives aux drogues au niveau national.
À ce jour, 100 pays ont aboli la peine de mort pour tous les crimes ; 6 pays ont aboli la peine de mort pour les crimes ordinaires ; 34 pays sont abolitionnistes en pratique ; 58 pays et territoires sont rétentionnistes ; 22 pays ont procédé à des exécutions en 2014 ; 33 pays et territoires maintiennent la peine de mort pour trafic de drogues, parmi lesquels 13 ont procédé à au moins une exécution pour trafic de drogues au cours des cinq dernières années, 12 conservent la peine de mort obligatoire pour certains crimes liés au trafic de drogue, et 5 sont abolitionnistes en pratique.
Les principaux arguments utilisés par les pays rétentionnistes pour conserver la peine de mort pour trafic de drogue sont au nombre de deux.
Le premier est la protection des citoyens des effets nocifs de la drogue. Pourtant, le recours à la peine de mort depuis les années 2000 n'a pas permis de réduire la consommation de drogue. Selon les informations disponibles, au cours de la période 2003-2012, le nombre estimé de consommateurs de drogues (en pourcentage de la population dans la tranche d'âge 15-64 ans) est resté relativement stable.
En outre, alors que les opioïdes sont la principale source de décès, les trafiquants de marijuana constituent un grand nombre, voire la majorité des condamnés à mort dans certains pays. En Malaisie, par exemple, la plupart des personnes condamnées à mort ont été reconnues coupables d'infractions liées à la marijuana ou au haschich.
Le second argument utilisé par les pays rétentionnistes est la réduction du trafic de drogue dans leur pays. Or le lien entre la peine de mort et la diminution du trafic de drogue n'a jamais été prouvé. Et même avec des lois très dures, les statistiques sur la criminalité liée à la drogue à Singapour, où la peine de mort pour trafic de drogue était obligatoire jusqu'en 2012, sont restées élevées : en 2010, le taux de criminalité était bien pire que dans d'autres pays tels que le Costa Rica et la Turquie, abolitionnistes depuis longtemps.
Les discriminations en matière de peine de mort pour trafic de drogue témoignent d'une triste réalité.
D'abord, de nombreux procès sont inéquitables. Selon Harm Reduction International, les inquiétudes quant aux normes de procès équitables ont été évoquées dans de nombreux pays où la peine de mort est imposée pour les crimes liés au trafic de drogues. Des allégations d'aveux extorqués sous la torture ont été présentées concernant la Chine, la Thaïlande, l'Indonésie, l'Arabie Saoudite, le Soudan, l'Égypte et d'autres. La peine de mort pour trafic de drogue est parfois utilisée pour lutter contre les ennemis politiques du pays : elle est donc un instrument politique.
Ensuite, il y a le problème des étrangers. Le trafic de drogue est par nature un crime transnational. Il n'est donc pas déraisonnable de penser que les ressortissants étrangers représentent une partie des condamnés à mort pour trafic de drogue. Toutefois, dans certains pays, la peine capitale pour des crimes liés au trafic de drogue semble être appliquée de façon disproportionnée aux étrangers : elle est utilisée comme une arme contre les étrangers. En 2007, sur 40 personnes exécutées en Arabie saoudite pour des infractions liées à la drogue, 36 étaient des étrangers. En Indonésie également, un grand nombre d'étrangers sont condamnés à mort – la dernière vague d'exécution a concerné un Indonésien et sept étrangers.
Troisièmement, les femmes sont également victimes des trafiquants de drogue qui pensent qu'elles peuvent traverser les frontières plus facilement. En particulier, les femmes enceintes sont recrutées pour transporter les drogues car elles sont moins contrôlées et, en cas de contrôle, elles sont condamnées moins lourdement dans certains pays. Au final, ce ne sont pas les grands trafiquants qui sont arrêtés et condamnés à mort pour trafic de drogue, mais les personnes pauvres, vulnérables, qui ont besoin d'argent pour vivre.
La deuxième raison pour laquelle je vous parle aussi longuement de la peine de mort pour trafic de drogue est que les parlementaires des pays abolitionnistes ont un rôle important à jouer pour faire avancer la cause. Depuis des années, Reprieve et Harm Reduction International, membres de la Coalition mondiale contre la peine de mort, dénoncent les liens entre les programmes de l'Office des Nations unis contre la drogue et le crime (ONUDC) dans les pays rétentionnistes et l'augmentation des condamnations et exécutions pour drogue. Dans les pays où un programme de l'ONUDC vise à réduire le trafic de drogue, énormément d'exécutions sont réalisées – je pense notamment à l'Iran et au Vietnam. Sur cette question, nous avons tenté à de nombreuses reprises d'établir un dialogue avec l'ONU, en vain. Nos membres ont alors trouvé une autre solution : ils ont contacté les gouvernements de pays qui financent l'UNODC, parmi lesquels de nombreux pays européens, dont la France, qui malheureusement continue à financer des programmes en Iran. Nous ne préconisons pas l'arrêt de ces programmes, car il est important d'agir contre le trafic de drogue, mais si l'on ne peut pas travailler sur l'offre de drogues, on peut travailler sur la demande. C'est pourquoi nous demandons à l'ONU d'élaborer des programmes pour des traitements médicaux destinés aux personnes ayant un problème avec la drogue. Certains pays, comme l'Irlande et la Danemark, ont arrêté de financer l'UNODC. Avec d'autres pays, dont la France, nous poursuivons le dialogue pour trouver les moyens de réduire les condamnations à mort pour crime lié à la drogue.
Madame, Monsieur, merci de ces exposés très intéressants. Je tiens à vous féliciter pour votre action en faveur de l'abolition de la peine de mort.
Vous n'avez pas parlé du Japon, qui ébruite peu sur le sujet et où l'opinion publique est favorable à la peine de mort. Êtes-vous pessimiste ou optimiste à propos de ce pays ? Pensez-vous qu'il abolira un jour la peine de mort ?
Merci de toutes ces informations.
Si j'essaie d'établir une typologie, il y a les pays qui progressent, car l'état de droit y est assez avancé, avec la présence d'une assemblée parlementaire ou l'existence d'un biais juridique comme le Huitième amendement de la Constitution des États-Unis.
Deuxièmement, il y a des États où la peine de mort s'inscrit dans un système de gouvernement, avec la particularité des condamnations pour trafic de drogue. Vous semblez dire que c'est sous le poids des États-Unis il y a quelques années que les législations se sont durcies dans l'ensemble des pays. Est-il possible de reprendre cet élément sur le plan international en matière de drogue ?
Troisièmement, il y a des pays dont vous avez peu parlé, je pense à la Chine et à l'Inde, et qui pourtant sont de très gros exécuteurs, au même titre que l'Arabie saoudite. Dans ces pays, c'est le poids politique de la communauté internationale qui pourrait faire bouger les lignes – mais il y a la realpolitik, d'un côté, et les droits de l'Homme, de l'autre. Quel est votre sentiment ?
La réunion pour octobre à Brazzaville est-elle celle qui fait suite au projet que vous aviez au Burkina Faso ? Je vous avais rencontré à cette occasion et, malheureusement, les événements dans ce pays vous ont empêché de tenir cette réunion. En tout cas, je vous félicite d'avoir poursuivi ce projet, mais aussi pour l'ensemble de votre action.
Quand on regarde votre carte sur la peine de mort dans le monde, on voit que l'Asie est vraiment le point noir. Cette prédominance du refus de l'abolition tient-elle, selon vous, à des raisons historiques, culturelles, politiques, sachant que certains pays non abolitionnistes en Asie et au Proche et Moyen-Orient sont des démocraties et d'autres des régimes autoritaires ? Il n'y a donc aucun rapport entre le caractère plus ou moins dictatorial de certains régimes et l'application de la peine de mort. On peut aussi évoquer les États-Unis, cette grande démocratie où l'abolition est loin d'être acquise. J'observe enfin que, parmi les pays francophones, la Guinée reste un pays rétentionniste, ce qui ne m'étonne pas vraiment.
Je comprends parfaitement votre action au niveau international, mais je me pose une question. Abordez-vous les peines de substitution ? Car on sait très bien que la condamnation à vie n'existe pas – le seul cas que l'on connaisse est celui de Rudolf Hess, condamné à l'emprisonnement à perpétuité et qui a purgé sa peine pendant quarante-six ans avant de se suicider. Quelle peine de substitution voyez-vous à la peine de mort, sachant que des meurtres, des crimes sont particulièrement odieux ? Et le procès de Nuremberg, qui a conduit les Alliés à pendre haut et court les Nazis, vous semble-t-il illégitime ?
Malheureusement, et vous l'avez dit, la peine capitale est excessive dans de très nombreux cas. Mais ne doit-on pas s'interroger sur ce qui va se passer lorsque tous ces assassins de l'État islamique seront arrêtés ? Car l'opinion publique n'est pas toujours sur la position française officielle de l'abolition de la peine de mort.
Vous l'avez compris, sur cette question, je suis très prudent et je m'interroge compte tenu de la marche de ce monde, notamment des atrocités malheureusement trop prévisibles.
Vous avez souligné la place de la société civile et le rôle de l'opinion publique dans ces processus. Comment soutenez-vous les mouvements citoyens abolitionnistes dans ces pays, quelles actions permettent de les renforcer ? J'imagine bien que les situations sont très différentes selon la capacité d'expression publique et le niveau démocratique.
J'observe qu'il n'y a aucune corrélation entre, d'une part, la situation des pays au regard de la peine de mort et, d'autre part, le développement de l'état de droit – les États-Unis et l'Inde sont des pays où l'état de droit est ancien et juridiquement très structuré – ou encore le niveau de développement économique et le PIB par habitant, puisque certains pays extrêmement riches appliquent activement la peine de mort.
En dépit du mouvement général qui tend sur la longue période à une inversion de la tendance, on observe un certain nombre de reculs. Je pense à l'Inde qui n'a pas aboli la peine de mort, alors qu'elle aurait pu être classée il y a encore quelques années dans les pays en moratoire. En effet, alors que plus personne n'était exécuté dans ce pays, deux séries d'événements sont venues relancer les exécutions : les crimes dans le cadre d'une opération terroriste et la prise de conscience par l'opinion publique que des viols particulièrement abominables, avec meurtre, devaient être punis de manière exemplaire. Ainsi, la peine de mort a, de nouveau, été pratiquée pour des raisons qui tiennent à la fois à des considérations politiques et aux réactions de l'opinion publique. Pouvez-vous nous dire un mot de la situation dans la plus grande démocratie du monde ?
Je ne suis pas totalement d'accord, il y a tout de même une séparation très marquée entre les pays démocratiques et les pays non démocratiques. Certes, il faudrait s'accorder sur ce qu'on entend par niveau démocratique, mais sur toutes les démocraties dans le monde, cinq seulement appliquent la peine de mort, et une étude a montré que les trois quarts des pays dits « démocratiques » ont aboli la peine de mort ou ne la pratiquent plus.
Depuis ces quinze dernières années, l'Indonésie a élevé son niveau démocratique. Ce pays s'inscrit dans un vrai processus de démocratisation depuis la chute de Suharto, et M. Widodo a été légitimement élu président. Pour moi, c'est un pays démocratique.
L'Indonésie et l'Inde oscillent entre des périodes de moratoire – elles ont cessé les exécutions pendant environ huit années – et des périodes où elles appliquent la peine de mort au gré de certains événements : le terrorisme, la chute des dictatures, les crimes abominables. Les viols en Inde révèlent une justice totalement exsangue et une société qui ferme les yeux sur la situation des femmes, en particulier les femmes victimes de viol collectif ou au sein de la cellule familiale.
Dans ces pays, la peine de mort est un outil suprême pour masquer toutes les errances des politiques précédentes. C'est le cas en Inde sur la question du viol. C'est le cas en Indonésie sur la question du trafic de drogue. On désigne des victimes expiatoires – sans doute coupables, mais pas toutes –, ce qui constitue une politique facile à destination de l'opinion publique. Car oui, l'opinion n'est pas toujours favorable à l'abolition – cela était le cas en France en 1981. Selon les sondages IFOP, 45 % des Français étaient favorables à la peine de mort il y a cinq ans, ils seraient 50 % aujourd'hui.
Pour reprendre votre typologie, je dirai qu'un énorme paquet de pays a aboli la peine de mort et que ceux qui ne l'ont pas abolie ont quand même établi l'Etat de droit, ce qui signifie que l'on peut travailler sur ces pays-là. On peut travailler sur les États-Unis, on peut avancer sur l'Indonésie. Notre lobbying, le vôtre, celui du Gouvernement, celui de l'UE ont un effet – on le voit pour le cas de Serge Atlaoui, dont on a sauvé la tête pour l'instant.
Certes. Il a fallu mettre beaucoup de pression, mais cela était très important. D'autant qu'en défendant Serge Atlaoui, on aide les autres condamnés à mort en Indonésie, qui commence à se poser la question de l'utilité de cet outil politique. Il faut faire passer officiellement les pays en moratoire dans le camp des abolitionnistes.
De l'autre côté, il y a les pays les plus difficiles – principalement des dictatures –, comme la Chine, l'Arabie saoudite. Les Chinois disent la même chose que les Saoudiens – c'est dans leur culture et il est difficile de changer –, même s'ils ont une approche très différente. Lorsqu'on discute avec les élites chinoises, les hommes politiques ou les grands professeurs de droit, elles se disent abolitionnistes, et même totalement contre la perpétuité réelle, mais elles ajoutent que leur peuple n'est pas prêt, qu'il faut aller doucement – elles parlent d'un horizon de cent, cent cinquante ans. Il ne faut pas oublier que la Chine a aboli la peine de mort au VIIe siècle : notre travail consiste donc à lutter contre ce va-et-vient.
Il y a donc, d'un côté, ces pays sur lesquels on peut travailler et, de l'autre, les pays sur lesquels on ne peut pas travailler. Très clairement, je n'essaie même pas de travailler sur l'Arabie saoudite : nous n'avons pas d'acteur sur le terrain, le pays est extrêmement fermé. Je n'essaie même pas de travailler sur la Corée du Nord, car je perdrais du temps et de l'énergie. Pour les autres pays, un groupe important, nous avançons petit à petit, ce sont des petites victoires, avec parfois des reculs, comme pour le Pakistan et l'Égypte. J'ajoute que les Etats qui pratiquent la peine de mort sont de plus en plus isolés, et cet élément contribuera à faire reculer cette punition dans le monde – 58 pays aujourd'hui, 50 demain, 30 après-demain... Certes, le Texas ne va certainement pas abolir la peine de mort, mais lorsqu'il sera le dernier des États américains à ne pas l'avoir fait, il se sentira peut-être stupide, même si l'abolition aux États-Unis viendra probablement de la Cour suprême.
Bien qu'étant une démocratie, le Japon est assez secret sur la peine de mort, même s'il a montré à la presse en 2010 la chambre d'exécution. Le nombre d'exécutions est assez bas et même si cette sentence est massivement soutenue par l'opinion dans les sondages, à 80 %-90 %, ce pourcentage baisse beaucoup lorsque le sondage est élargi à d'autres questions, comme la perpétuité.
Ce ne sont pas les États-Unis qui ont poussé à la guerre contre la drogue, c'est un traité de l'ONU de 1988. La prochaine session spéciale de l'assemblée générale de l'ONU sur les drogues se tiendra en 2016. Pour l'instant, nous avons du mal à faire inscrire la peine de mort à l'ordre du jour, parce que nos amis iraniens et chinois y sont défavorables, mais nous avons bon espoir que nos soutiens en Europe, et premier lieu la France, parviennent à pousser ce sujet.
Sur les peines alternatives, je ne vais pas vous donner la réponse officielle de la Coalition mondiale contre la peine de mort, car notre organisation réunit 150 membres dont les opinions diffèrent en fonction de la culture et de la situation juridique dans chaque pays. Aux États-Unis, on nous dit que l'abolition est indissociable de la perpétuité. Le Niger vient de commuer toutes les condamnations à mort en des peines de trente ans.
Le terrorisme sera la thématique de la Journée mondiale contre la peine de mort l'année prochaine. Ce sera pour nous l'occasion d'étudier ce sujet plus à fond. Par contre, je vous invite à lire la très belle lettre que les parents de la plus jeune victime des attentats de Boston ont envoyée aux procureurs pour leur demander d'abandonner la peine capitale encourue par l'auteur du carnage, car la poursuite de cette punition pourrait conduire à des années d'appels, ce qui laisserait l'accusé sous le feu des projecteurs et prolongerait leurs souffrances en les empêchant de reprendre une vie la plus normale possible.
Sans remettre en cause la légalité du tribunal de Nuremberg, je ne peux que déplorer son jugement car je suis fils d'une historienne spécialisée sur cette période et elle-même regrette que tous ces hommes aient été exécutés – car les accusés constituent aussi la « matière première » de l'historien ! C'est un argument utilitariste, mais il faut savoir utiliser les arguments utilitaristes. L'exécution des grands criminels de guerre est-elle un exemple utile ? Moi, je ne crois pas que l'exécution de Saddam Hussein ait servi d'exemple pour faire diminuer en Irak le niveau de violence et le terrorisme.
Mais au Rwanda, les exécutions officielles ont-elles servi à quelque chose ?
À côté de la question morale que soulève la peine de mort, il y a donc l'approche utilitariste. Le Rwanda a aboli la peine de mort, tout comme le Burundi.
Certes, mais ce pays n'exécute plus officiellement. Ce n'est pas parce qu'on a aboli la torture qu'on en a fini avec la torture, et ce n'est pas parce qu'on a aboli l'esclavage qu'on en a fini avec l'esclavage !
Concernant le Japon, je suis assez peu optimiste. La société japonaise est extrêmement dure, violente. Néanmoins, si l'opinion publique japonaise est majoritairement contre l'abolition de la peine de mort, on ne lui demande jamais son avis, on ne lui permet pas d'avoir un débat public sur cette question qui est là-bas passionnelle. Or il faut sortir de la passion pour entendre les arguments de raison, et la raison plaide en faveur de l'abolition. L'ouverture du débat au Japon est donc extrêmement compliquée.
Je rappelle que l'année 2016 marquera l'anniversaire des trente-cinq ans de l'abolition de la peine de mort en France. À cette occasion, nous allons organiser un grand nombre d'actions, y compris d'éducation à la citoyenneté au niveau national.
Dans les pays qui exécutent le plus, le travail au niveau politique est très compliqué. Par conséquent, nous faisons surtout du soutien aux avocats, première ligne de défense des condamnés à mort, pour leur donner des outils. Nous faisons également des plaidoyers auprès d'instances internationales, par exemple, lors de l'assemblée générale sur la résolution pour un moratoire sur l'application de la peine de mort ou encore lors des discussions sur les programmes de financement dans les pays rétentionnistes pour la lutte contre le trafic de drogue. Ainsi, nous soutenons la société civile et les avocats pour essayer d'avancer progressivement.
Pour ce qui est du soutien à la société civile, nous soutenons nos membres sur place. Une grosse partie des 150 membres de la Coalition contre la peine de mort dans le monde se trouve dans les pays rétentionnistes, et nous leur donnons des outils pour mener diverses campagnes, comme la Journée mondiale contre la peine de mort ou la campagne de ratification du traité international sur l'abolition de la peine de mort. Nous soutenons spécifiquement certaines actions ; l'année dernière, par exemple, nous étions au New Hampshire pour discuter avec les parlementaires de l'abolition de la peine de mort, qui a fait l'objet d'un projet de loi malheureusement rejeté. Nous adaptons notre stratégie en fonction de chaque pays, et organisons des formations à destination de nos membres.
Ensemble contre la peine de mort travaille différemment de la Coalition contre la peine de mort, qui est une plate-forme. Nous sommes sur le terrain pour soutenir les acteurs locaux au quotidien. Nous travaillons au renforcement des capacités locales – c'est presque du travail de développement –, principalement en Afrique du Nord et en Afrique subsaharienne et très prochainement, nous l'espérons, en Asie.
Merci beaucoup de la clarté de ces échanges. Comme le dit Jacques Myard, ce débat est permanent.
La séance est levée à dix-huit heures six.