Commission des affaires économiques

Réunion du 25 mai 2016 à 9h30

Résumé de la réunion

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La réunion

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La commission a auditionné M. Philippe Chalmin, président de l'Observatoire de la formation des prix et des marges des productions alimentaires.

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Monsieur Philippe Chalmin, je vous souhaite la bienvenue. Vous êtes venu nous présenter le rapport annuel de l'Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires. Dans votre avant-propos au rapport de 2015, vous souligniez que la création de l'Observatoire avait été justifiée par « l'absence de transparence et plus encore de confiance dans les relations entre acteurs tout au long de la filière ». Cette année, vous mettez l'accent sur « la tendance forte à l'oeuvre depuis déjà plusieurs années et accentuée par les mutations qu'a connue la politique agricole commune : la déconnexion entre la sphère agricole et la sphère alimentaire qui fonctionnent de plus en plus comme deux univers aux logiques différentes qui ne partagent plus que la fourniture de quelques matières premières ». Nous vous entendrons avec intérêt préciser ce propos.

Notre commission a commencé d'examiner la proposition de loi visant à garantir le revenu des agriculteurs dont M. André Chassaigne est le rapporteur. Elle a aussi examiné pour avis quelques articles du projet de loi « Sapin II », et adopté dans ce cadre plusieurs amendements à l'article 31 de ce texte qui tendent à renforcer les missions de l'Observatoire. Je citerai notamment des amendements formulés de manière identique sur tous les bancs et qui visent à rendre obligatoire, dans les contrats entre producteurs et premiers metteurs en marché, une clause de révision du prix faisant référence à des indices publics de coût de production et des prix des produits agricoles ou alimentaires publiés par l'Observatoire. Je ne doute pas que vous serez interrogé à ce sujet. D'autre part, la mission d'information sur l'avenir des filières d'élevage, présidée par M. Damien Abad et dont les rapporteurs étaient Mme Annick Le Loch et M. Thierry Benoit, a rendu son rapport ; les propositions qu'il contient seront sans doute évoquées par nos collègues.

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Philippe Chalmin, président de l'Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires

C'est pour moi un grand plaisir de vous présenter le cinquième rapport au Parlement de l'Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires ; il a été adressé aux présidents des deux assemblées le 11 avril dernier. Depuis que l'Observatoire a été créé par la loi d'orientation agricole, en 2010, nous avons publié notre rapport annuel à des dates variables mais le plus souvent au printemps, ce qui nous permet de disposer de l'essentiel des données de l'année précédente. L'Observatoire, commission administrative, est une structure indépendante qui opère sous la double tutelle des ministères de l'agriculture et de l'économie. Il réunit toutes les organisations parties prenantes des filières agro-alimentaires : l'ensemble des familles syndicales de producteurs ; l'industrie, le commerce et la distribution – la grande distribution notamment – ; et les consommateurs.

Le rapport que nous remettons au Parlement doit être adopté par l'ensemble des participants. Que tous donnent leur accord à l'intégralité du texte atteste de la fiabilité et de la véracité des données que nous publions. Je me réserve pour seul espace de liberté l'avant-propos, pour lequel je ne demande pas l'aval du comité de pilotage. Je la signe à titre personnel, en ma qualité de personnalité indépendante, et j'en use pour dire quelles conclusions je tire des données réunies. Ce sont les quatre seules pages subjectives d'un rapport qui, pour le reste, s'efforce de ne pas porter de jugement mais de donner des faits pour faciliter une indispensable transparence. L'Observatoire fonctionne continûment, en dehors des commissions et grands messes ponctuelles. C'est un lieu unique d'échanges permanents, de transparence et de dialogue.

Un mot de méthode, et pour commencer quelques explications sur les décalages temporels qui s'imposent à nous. Dans ce rapport publié en avril 2016, l'essentiel des séries correspondant aux prix aux différents stades de la filière, notamment nos calculs des marges brutes, est arrêté fin 2015. Mais pour l'une des séries les plus commentées, celle qui porte sur les marges nettes des rayons de la grande distribution, les données concernent l'année 2014. C'est que les calculs ne sont pas issus des comptes sociaux : ils résultent d'un très long travail mené en coopération avec les sept enseignes, et une année presque entière est nécessaire pour élaborer ces données et les synthétiser ; nous venons d'ailleurs de lancer l'exercice pour l'année 2017. Il n'y a là aucune mauvaise volonté des intéressés mais des délais d'élaboration et de comparaison presque incompressibles.

Les résultats de l'industrie et des entreprises, issus des données INSEE, s'arrêtent à l'année 2013. Nous avons contourné cette difficulté quand c'était possible, notamment pour l'industrie de la viande, qui a engagé une démarche volontaire visant à nous fournir les chiffres nécessaires au calcul des marges nettes ; en ce cas, les chiffres sont arrêtés à mi-2015. Pire : le dernier chapitre du rapport, relatif à « l'euro alimentaire », dans lequel nous recherchons une approche macro-économique, s'appuie sur les comptes de la Nation, et ceux-là s'arrêtent à l'année 2012.

Si j'insiste sur ces contraintes, je souligne qu'elles ne sont pas dues à la mauvaise volonté d'un acteur ou d'un autre. Au contraire, je me félicite que, parce que ce rapport existe et que chacun est conscient d'avoir intérêt à la transparence, tous jouent admirablement le jeu, en particulier en recueillant des données qu'ils n'étaient pas accoutumés à collecter. Il en est ainsi du calcul des marges nettes des rayons de la grande distribution : des méthodes nouvelles ont dû être mises au point, que l'on peut désormais considérer comme rodées.

D'autre part, l'Observatoire ne couvre pas toutes les filières mais, pour dire les choses de manière directe, l'essentiel des grandes filières, qui peuvent poser un problème politique. Nous collectons les données relatives aux filières de la viande. Il s'agit de la viande bovine – et nous avons cette année ajouté une rubrique consacrée au beefsteak haché, qui représente plus de la moitié de la valorisation d'une carcasse bovine – ainsi que de la viande porcine et de la volaille. Nous étudions aussi la filière des produits laitiers mais, faute de moyens – l'Observatoire étant une structure très légère dotée de trois unités de travail humain et qui vit pour le reste en « parasite » de FranceAgriMer –, nous avons renoncé à analyser l'évolution des prix du lait de chèvre et de brebis. Pour ce qui est des céréales, nous recensons les données relatives à la filière pain – le pain artisanal, non la filière industrielle. Nous analysons aussi ce qui a trait aux pâtes alimentaires, production dans laquelle la matière première agricole dans le produit consommé pèse le plus fortement, le blé dur comptant pour 35 à 45 % du prix. Nous étudions également les données relatives à la filière des fruits et légumes. Pour ce qui est des produits de la pêche et de l'aquaculture, les intéressés n'ayant pas fait preuve d'un enthousiasme délirant, et parce que nous ne pouvons travailler que si un certain enthousiasme se manifeste, nous nous sommes contentés d'un « flash » sur la filière saumon. Nous avions l'ambition de couvrir la filière vin mais nous ne la couvrons pas. Nous nous arrêtons là.

Enfin, nous tentons de suivre les produits de la ferme à l'assiette, mais nous n'entrons pas dans la complexité des produits alimentaires : nous nous arrêtons à la brique de lait UHT, à la plaquette de beurre, au beefsteak haché réfrigéré, à la tranche de jambon, aux paniers de fruits et légumes ; or, étant donné l'évolution du comportement des consommateurs, ces produits ont tendance à perdre en importance face à des produits plus élaborés. C'est une de nos limites, mais je vois mal comment nous pourrions aller plus loin.

Le rapport annuel de l'Observatoire constitue la base de données la plus complète sur la formation des prix et des marges dans les filières agricoles dont on dispose en Europe. Des travaux similaires ont été conduits en Espagne, mais il n'y a pas d'équivalent au niveau européen. C'est dommage. J'ai été entendu, il y a quelques jours, par la commission de l'agriculture et du développement rural du Parlement européen ; chacun est convenu qu'il serait intéressant de mener un tel travail à son terme, mais les canaux de distribution différant dans chaque État membre, l'harmonisation des données serait un exercice compliqué.

J'en viens au rapport que je suis venu vous présenter, et donc aux caractéristiques conjoncturelles. L'année 2015 – et cela n'a pas véritablement changé au cours des premiers mois de l'année 2016 – a été une année de baisse générale des prix agricoles, dans un contexte de baisse globale du prix des matières premières aux niveaux mondial, européen et français, exception faite des fruits et des légumes. D'un autre côté, il est frappant de constater la très grande stabilité, en France, du prix des produits alimentaires dont nous suivons l'évolution ; ils ont même légèrement décliné. On constate donc à la fois l'instabilité des marchés en amont, avec des prix à la baisse, et la très grande stabilité des prix pour les consommateurs.

Un ensemble de graphiques vous a été communiqué, auquel je vous prie de bien vouloir vous reporter. En page 3, les chiffres de l'INSEE font apparaître l'évolution des prix dans l'agro-alimentaire entre 2010 et 2015. On constate certes une augmentation des prix à la consommation, mais elle est relativement limitée si on la compare à l'évolution des prix agricoles et à celle du prix des moyens de production. L'instabilité des prix s'amortit donc progressivement à mesure que l'on va vers le consommateur. Cette tendance apparaît également aux pages 4 et 5, qui montrent l'évolution comparée des prix agricoles et de l'inflation d'une part, celle des prix alimentaires et de l'inflation d'autre part. Les graphiques des pages 6, 7 et 8 reflètent la baisse des prix agricoles au cours des deux ou trois dernières années pour les carcasses de porc et de bovin à l'entrée de l'abattoir, le lait – qui avait connu des heures glorieuses en 2014 – et le blé tendre ; ces données sont issues des études de FranceAgriMer.

Nous reconstituons l'itinéraire du prix d'un produit depuis son entrée sur le marché jusqu'au consommateur. Ainsi, le graphique de la page 9 reflète l'évolution des prix et des marges brutes de la viande de porc entre 2001 et 2015 et montre la grande stabilité du prix au niveau du consommateur au cours de ces années. La page 10 dépeint l'évolution des prix et marges brutes de la carcasse bovine entre 2000 et 2015 ; on voit qu'en 2015, le kilo de carcasse reconstituée a été payé en moyenne 7,33 euros par le consommateur. Même si, je l'admets, cette reconstitution – qui mêle prix du morceau à braiser et prix de l'entrecôte – est quelque peu théorique, on constate que dans cette filière également la stabilité du prix au stade du consommateur est assez grande. Elle est très frappante pour le beefsteak haché réfrigéré, ce qu'illustre le graphique de la page 11.

La stabilité du prix pour le consommateur est tout aussi frappante pour le lait, comme le montre le graphique figurant en page 13 : depuis dix ans environ, le consommateur paye le litre de lait UHT demi-écrémé entre 70 et 75 centimes. De même, malgré la très grande instabilité du prix du blé dur, le prix des pâtes alimentaires est plutôt orienté à la baisse, comme l'indique le graphique de la page 14. Les calculs sont à peu près identiques pour les fruits et les légumes.

Nous couvrons aussi les prix de production à tous les stades. Cela fait prendre conscience de l'extrême difficulté de la situation en 2015 et de ce qu'elle est encore en 2016. Dans les filières que nous suivons, exception faite des producteurs de fruits et légumes, et après que l'on a intégré le coût de la main-d'oeuvre –calculé, sans excès, à hauteur de 1,5 SMIC – et la rémunération du capital au taux moyen du livret A, aucun agriculteur n'a couvert ses coûts de production. C'est ce que montre le graphique de la page 16 pour le coût de production du porc ; si, certaines années, le prix de marché a été supérieur au coût de production, ce n'est pas structurellement le cas.

Comme on le voit à la lecture du graphique figurant en page 17, c'est pour l'élevage bovin que la situation est la pire. Il s'agit essentiellement – c'est une spécificité française – de l'élevage de bovins allaitants. La viande mangée par le consommateur est pour moitié de la vache de réforme et donc un sous-produit du lait, si bien que, malheureusement, ceux qui font de l'élevage pour la viande seulement subissent les conséquences des évolutions laitières. En aucun cas, même en 2014, alors que les prix étaient assez élevés, le prix de vente des bovins n'a couvert les coûts de production. Même en tenant compte des produits joints et des aides européennes, les éleveurs de bovins ne couvrent pas leurs coûts réels aujourd'hui, et ils ne les ont jamais couverts depuis que l'Observatoire existe – ni, probablement, avant cela. On peut comprendre qu'ils protestent.

On voit, en page 18, que les choses sont un peu différentes pour les producteurs de lait : la rémunération du producteur est permise, mais il faut y intégrer le coût du travail et celui du capital, et l'on voit qu'elle a été réduite de moitié en 2015. Enfin, le graphique de la page 19 montre que les céréaliers, après avoir vécu de belles années, sont aussi passés dans le rouge en 2015.

En page 20 figure la série la plus commentée de toutes celles que nous publions : les comptes des rayons des grandes et moyennes surfaces – pour l'année 2014, je le rappelle. Selon les chiffres de l'INSEE, sur l'ensemble des rayons, la marge nette de la grande distribution, qui joue évidemment sur le volume, s'établit autour de 1,5 %. Sur les rayons que nous étudions – le frais – la marge nette, en 2014, a été de 1,2 %, mais on constate une certaine hétérogénéité entre les rayons, et elle se maintient dans le temps. C'est la quatrième fois que nous procédons à cet exercice, et la hiérarchie ne change pas : dans trois rayons, la marge nette est structurellement négative. C'est au rayon « poissonnerie » que la grande distribution perd le plus d'argent ; ensuite viennent la boucherie et la boulangerie. Pour la poissonnerie, les produits étant à 80 % d'importation, c'est moins important qu'au rayon « boucherie », dont la marge nette avant impôt sur les sociétés est toujours négative : elle s'est établie à -2,1 % en 2014 encore. Cela vaut aussi pour le rayon « boulangerie-pâtisserie-viennoiserie », la baguette étant vendue entre 30 et 40 centimes car le pain est considéré par la grande distribution comme un produit d'appel. En 2014 toujours, la marge nette du rayon « produits laitiers » a été très faible ; elle a considérablement diminué au cours des deux dernières années étudiées. En 2014, le prix du lait avait été élevé et les prix des produits laitiers sont restés stables dans les linéaires ; cela signifie qu'il y a eu un amortissement par l'industrie et la grande distribution, cette dernière portant manifestement une partie de la charge ; on peut imaginer qu'en 2015, la marge nette du rayon « produits laitiers », ordinairement comprise entre 1,5 % et 2 %, s'améliorera. En général, la marge nette du rayon « fruits et légumes » se situe entre 0 et 1 % : il occupe une grande superficie de vente et le chiffre d'affaires au mètre linéaire y est donc plus faible qu'ailleurs. En revanche, les marges nettes sont assez élevées pour les rayons « charcuterie » et « volailles ».

Mes conclusions personnelles sont celles qui figurent dans mon introduction au rapport de l'Observatoire pour 2016 : je suis frappé par la décorrélation entre les prix agricoles et les prix alimentaires. Elle s'explique par la réforme de la politique agricole commune, dont la fonction de stabilisation et de garantie des prix a disparu. J'ai souligné, lors de mon audition par les parlementaires européens, le paradoxe qui fait que l'Union européenne est ainsi devenue la zone agricole probablement la plus libérale au monde.

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Philippe Chalmin, président de l'Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires

Elle est, en matière agricole, beaucoup plus libérale que ne le sont les États-Unis ou la Nouvelle-Zélande, et je suis sûr que s'il existait en Nouvelle-Zélande une autorité de la concurrence à l'européenne, le quasi-monopole de Fonterra sur les produits laitiers serait démantelé. D'un système stable et administré, on est passé à un système totalement instable, de plus en plus souvent fondé sur les prix mondiaux. Cela signifie que les agriculteurs français qui déversent du fumier à l'entrée des grandes surfaces se trompent de cibles, car c'est le marché mondial qui fait le prix, non la grande distribution. Les céréaliers le savent, qui ont pris depuis longtemps l'habitude de se référer aux cours de la Bourse de Chicago et aux prix du marché à terme de Paris. Pour le lait, c'est pour l'instant, faute de mieux, le système d'enchères de Fonterra qui donne des prix de référence, à peu près acceptés par tous, pour le beurre et la poudre de lait, à l'échelle internationale. Quant au prix du porc et de la viande bovine, ils sont, au minimum, fixés au niveau européen.

Les grands problèmes de nombreuses filières tiennent à ce que, en réformant la politique agricole commune, l'Union européenne a jeté le bébé avec l'eau du bain sans que les professionnels soient encore parvenus à définir les bonnes mercuriales : qu'est-ce que le prix du lait, du porc, de la viande bovine en Europe ? Il y a encore une certaine hétérogénéité alors que le marché fonctionne comme un ensemble. Nous sommes dans une phase intermédiaire du fonctionnement des marchés européens.

D'autre part, les prix agricoles ne couvrent pas les coûts de production. Il y a dans cette situation des raisons conjoncturelles et structurelles. Certains marchés connaissent des périodes de hausse avec de fortes tensions sur les prix, et des périodes de basses eaux. Le problème pour les agriculteurs et de s'adapter et de gérer cette instabilité sur le long terme, ce qu'ils peuvent parfois faire en recourant aux marchés dérivés ; c'est le cas pour les céréales, et ce le sera de plus en plus pour le lait. Il revient au législateur de faciliter la constitution de provisions pour fluctuations des prix. C'est une carence complète de la fiscalité agricole française de ne pas permettre aux agriculteurs de lisser leurs résultats de manière que les années de vaches grasses compensent les années de vaches maigres. En revanche, quelques productions sont structurellement dans le rouge ; c'est notamment le cas de la viande bovine.

Dans un schéma tel qu'il y a en même temps instabilité des prix agricoles et stabilité des prix de vente au consommateur, c'est le couple industrie - grande distribution qui joue le rôle d'amortisseur, et quand ce couple grince, des tensions apparaissent. À cela s'ajoute un « patrimoine génétique national » particulier : alors que la situation est la même dans tous les États européens, c'est en France seulement que les négociations donnent lieu chaque année à psychodrame et à du « sang sur les murs » à la fin des séances.

Malheureusement, à tout cela, vous ne pouvez rien.

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Philippe Chalmin, président de l'Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires

Pas grand-chose en tout cas, car la confiance ne se décrète pas. De plus, il y a un parallèle entre l'accumulation de réglementations et de textes et l'accumulation de problèmes – et je me demande parfois si les uns ne créent pas les autres. Au sein de l'Observatoire, structure légère, les représentants des acteurs des filières se parlent. Je ne sais si l'on parviendra à faire de la France une société de confiance, mais le défi est celui-là. On peut essayer d'arrondir les angles, mais on ne peut décréter le changement de comportements parfois irritants. Le grand gagnant de cette situation est le consommateur, mais il n'en est pas conscient et, alors que la qualité alimentaire est probablement la meilleure jamais connue, les peurs alimentaires n'ont jamais été aussi fortes ! Mon maître Jean Trémolières avait raison : le comportement alimentaire des hommes est et restera irrationnel.

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Je prends la parole au nom du Groupe socialiste, écologiste et républicain. Comme on pouvait s'y attendre, les conclusions de ce rapport ont été assez mal accueillies par les agriculteurs. En effet, comment ne pas s'interroger sur la baisse des prix payés aux producteurs – elle est de 2,4% en moyenne, mais de 15 % pour le lait et de 7 % pour le porc – alors qu'en magasin les prix de vente ont augmenté de 0,5 % ? Que l'on parle de beefsteak haché, de longe de porc ou de lait UHT, l'écart se creuse entre le prix payé aux producteurs et le prix payé par le consommateur. Ces données traduisent la détresse économique qui frappe le monde agricole : comme vous l'avez indiqué, dans de nombreuses filières, les prix payés aux producteurs ne leur permettent pas de couvrir les coûts de production.

En adoptant, lors de sa dernière séance, un avis relatif aux circuits de distribution des produits alimentaires, le Conseil économique, social et environnemental (CESE) a soulevé certains points de méthode relatifs à l'élaboration du rapport 2016 de l'Observatoire. Le CESE relève ainsi que le calcul de la marge brute intègre, pour le transformateur, les pertes de matière première liées à la transformation, mais ne prend pas en compte les pertes des grandes et moyennes surfaces de distribution, qui peuvent être importantes pour les produits frais. D'autre part, les calculs sont établis sur la base de produits agricoles nationaux, sans intégrer ceux qui sont importés, si bien que pour les découpes de volaille, la charcuterie, le jambon, « le biais n'est pas à exclure », dit le CESE. Certaines filières, telle la pêche, n'offrent pas d'éléments de transparence satisfaisants. Enfin, les données disponibles sont transmises par les acteurs eux-mêmes, et l'on peut douter de la fiabilité des résultats obtenus quand ils dépendent de la confiance accordée aux acteurs qui ont transmis les informations – cela vaut notamment pour les poste « autres charges » des grandes et moyennes surfaces (GMS), qui peut prêter à interprétations diverses. Le fait que, comme vous l'avez souligné, les données portent sur des années différentes ne facilite pas la légitimation des résultats.

Que pensez-vous de ces remarques ? Que faudrait-il faire pour améliorer la qualité des résultats obtenus par l'Observatoire ? Quel est, par ailleurs, l'impact du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi sur le niveau des marges de la transformation et de la distribution ? Enfin, si l'on considère la filière porcine dans son ensemble, il y a tout lieu de s'interroger sur la marge nette considérable – 8,9 % – du rayon « charcuterie » de la grande distribution.

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Je m'exprimerai au nom du groupe Les Républicains. Nous vous entendons en votre qualité de président de l'Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires mais vous venez aussi de donner une interview au Figaro, dans laquelle vous présentez le rapport de la société d'études Cyclope, dont vous êtes le président fondateur ; comment conciliez-vous cette double activité ?

Le projet de loi Sapin II propose de permettre au président de l'Observatoire de saisir le président du tribunal de commerce afin qu'il puisse enjoindre les sociétés qui ne l'ont pas fait de déposer leurs comptes : le fait que certaines entreprises ne publient pas leurs résultats a-t-il une incidence sur la qualité de vos travaux ? Mme la présidente a fait allusion à des amendements qui proposent d'intégrer dans les contrats passés avec les agriculteurs des éléments de marge ou des indicateurs de prix ; jugez-vous ces mesures pertinentes et les données que l'on pourrait utiliser à cette fin sont-elles significatives ? Les graphiques publiés par l'Observatoire montrent que la grande distribution ne gagne pas d'argent. C'est ce qu'elle dit depuis longtemps ; pourtant, elle se développe, et avec elle son parc immobilier. Je soupçonne que le poste « autres charges » contient la rémunération de la société civile immobilière (SCI) bailleur du supermarché, dont le bénéficiaire est le gérant du même supermarché ; qu'en pensez-vous ? Enfin, le pourcentage de leur pouvoir d'achat que les ménages consacrent à l'alimentation serait compris entre 12 et 14 % en France, et de 7 % en Allemagne selon les indications que m'ont données des collègues du Bundestag. L'évolution de ce critère a-t-elle été étudiée ?

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Je vous remercie, au nom du groupe de la Gauche démocrate et républicaine, pour cette excellente radioscopie de l'itinéraire des produits. Pourriez-vous nous dire de la manière la plus nette si des obstacles ou des lacunes entravent le travail de l'Observatoire ? Libéral, ou marxiste à la chinoise, (Sourires) vous considérez que le législateur est plus ou moins impuissant dans ce cadre libéral ; malgré tout, avez-vous quelque idée des leviers d'action possibles pour corriger les abus et les distorsions constatés aux différents niveaux des filières considérées et agir ainsi sur les marges ? Faites-vous la part, dans l'évolution des prix moyens de production, des pratiques agricoles nouvelles, avec le développement de l'agro-écologie, la moindre utilisation d'intrants, les tentatives d'autosuffisance des exploitations pour ne pas trop acheter à l'extérieur, une approche autorisant des recettes avec une production moindre ? Dans le calcul des coûts de production hors rémunération, pourquoi mêler travail et capital ? Où les cotisations sociales sont-elles intégrées ?

Vous nous expliquez enfin que l'Union européenne est sans doute le groupe de pays le plus libéral au monde et vous nous dites que nous ne pouvons rien faire parce que le marché fonctionne comme un ensemble. Mais pourquoi ce qui est possible aux États-Unis et au Canada pour bloquer ces excès ne pourrait-il pas être mis en oeuvre au sein de l'Union européenne ? C'est une question de volonté politique.

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Je vous remercie, au nom du Groupe Radical, républicain, démocrate et progressiste, pour cette présentation très complète du dernier rapport de l'Observatoire, dont notre commission évoque souvent les travaux et le rôle, car nous constatons tous la crise structurelle que connaît notre agriculture, dont les coûts de production ne sont pas couverts par les prix offerts, comme vous le démontrez. Les éleveurs, qui sont soumis à des contraintes sanitaires et environnementales très fortes, se plaignent de ne pas être rétribués au minimum à la hauteur de leurs coûts de production. Quant aux producteurs de fruits et de légumes, ils sont durement touchés par une concurrence déloyale qui s'exerce par le biais du dumping social.

De multiples mesures ont été prises – création de l'Observatoire, contractualisations, structuration des interprofessions, installation d'un médiateur des relations commerciales, prise en compte dans les contrats des fluctuations des cours mondiaux des matières premières, assouplissement des critères de qualification d'abus de dépendance économique… Certaines ont permis d'améliorer quelques situations à la marge, mais la crise agricole persiste et au terme des dernières négociations commerciales, les marges ont continué d'être captées par les mêmes acteurs, ce qu'illustre le rapport de l'Observatoire.

Même si vous dites que nous ne parviendrons à rien, nous avons le souci d'améliorer la régulation pour inverser cette tendance. Le projet de loi Sapin II fait l'objet de plusieurs amendements à cet effet. Ainsi notre collègue Dominique Potier demande–t-il que le Gouvernement remette au Parlement un rapport sur le renforcement des missions de l'Observatoire et sur l'opportunité de favoriser par des mesures fiscales et réglementaires la conclusion de contrats annuels tripartites entre agriculteurs, transformateurs et distributeurs. Qu'en pensez-vous ? Il a été proposé par un autre amendement que l'Observatoire engage l'analyse comparative des pratiques en vigueur au sein de l'Union européenne ; indépendamment des moyens dont vous disposez, une telle étude vous semblerait-elle utile ?

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Je vous remercie, au nom du groupe de l'Union des démocrates et indépendants, pour cette présentation complète. Avec M. Michel Barnier puis avec M. Bruno Le Maire, nous avions souhaité, en 2008, la création de l'Observatoire. Il fallait un outil permettant de mettre un terme aux questions lancinantes sur la transparence de la formation des prix et des marges des produits alimentaires. Nous devons maintenant disposer d'éléments de comparaison des situations en France, dans les pays voisins et dans les autres régions du monde, et pour les consommateurs et pour les modes de distribution. Comme vous l'avez rappelé, l'Union européenne a tourné la page de trente années de politique agricole commune « première manière ». Mais, pendant ces mêmes trente années, on a assisté à l'hyper-concentration de la distribution, sans parler du regroupement des centrales d'achat. Comment ne pas s'interroger sur la réalité de l'exercice de la concurrence, et comment ne pas comprendre que les agriculteurs s'en prennent à la grande distribution ?

En 2016, on sait tout des éleveurs : pour ce qui les concerne, la transparence est complète. J'aimerais en revanche des éléments plus détaillés sur le chiffre d'affaires de la grande distribution, dont la marge nette, dit l'Observatoire, était de 1,2 % en 2014, mais qui se rattrape sur les volumes, vous l'avez souligné. Il serait intéressant de connaître l'évolution du chiffre d'affaires au mètre carré dans la grande distribution, en France et en Europe. On note d'autre part le développement des marques de distributeur. Qu'un producteur engage son nom sur la fabrication d'un fromage, d'un yaourt ou d'un autre produit, c'est une chose ; c'en est une autre qu'un distributeur, découvrant qu'il y a là un marché intéressant, exige une copie, parfois bien pâle, et des négociations commerciales parallèles à la négociation dans laquelle les entreprises engagent leur réputation. Quel est votre avis à ce sujet ? Enfin, vous avez beau dire que les parlementaires n'en peuvent mais, je souhaite qu'un débat s'engage sur la dissolution éventuelle de l'oligopole que constituent les quatre centrales d'achat.

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Vous nous dites tous les ans, Monsieur Philippe Chalmin, que la situation de bien des filières est à la limite du supportable, et aujourd'hui encore qu'aucun agriculteur ne couvre ses coûts de production. Même si les marges de certains industriels, chahutées par la grande distribution, se sont réduites au fil des négociations, la baisse des prix constatée dans les filières de la viande porcine, de la volaille, du lait et de la viande bovine atteint de plein fouet le maillon faible que sont les producteurs. Je ne me vois pas dire aux intéressés que nous n'y pouvons rien.

Dans l'avis qu'il a rendu récemment, le CESE a exprimé des réserves sur la fiabilité du calcul des marges, soulignant la difficulté d'en mesurer la réalité. Le CESE met l'accent sur le fait que la grande distribution intègre dans ses comptes de gestion le coût d'acquisition des actifs fonciers et immobiliers. Le CESE souligne aussi qu'il est malaisé de mesurer la marge brute dans son ensemble alors qu'elle varie considérablement selon les produits, les rayons et les zones de chalandise. De plus, la répartition de la marge entre les magasins et les centrales d'achat tend à réduire les résultats des premiers au bénéfice des secondes. Le CESE observe encore que le calcul des marges de la grande distribution et des industriels est fondé sur un indice de prix des produits agricoles français, sans intégrer les produits importés qui peuvent être beaucoup moins chers, ce qui peut fausser les résultats pour certaines productions. Comment l'Observatoire apprécie-t-il ces difficultés ? L'expertise de son équipe lui permet-elle de les contourner ?

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Dans son rapport d'activité de juillet 2015, le médiateur des relations commerciales agricoles sur les filières bovine et porcine notait que les statistiques officielle étaient insuffisantes pour connaître l'évolution du prix d'achat des produits carnés par les distributeurs ; pourquoi ces lacunes ?

La semaine dernière, notre commission a adopté un amendement qui, s'il était adopté en séance publique, rendrait obligatoire une clause de révision de prix pour les marchés publics de fournitures de denrées alimentaires, et un autre instituant des amendes comprises entre 2 et 5 millions d'euros à l'encontre des distributeurs en cas de pratiques commerciales abusives. Que pensez-vous de ces propositions ?

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Comment intégrez-vous les marges des centrales d'achat dans le calcul des marges de la grande distribution ? Pour ce qui est du prix du litre de lait, il apparaît dans le rapport que la marge brute « industrie » a augmenté de 7 centimes entre 2008 et 2015 pendant que le prix payé au producteur baissait de 4 centimes. Comment expliquez-vous ces variations ? Est-il possible et souhaitable d'indiquer sur l'étiquette des produits peu transformés le prix qui a été payé au producteur ? Les prix payés aux producteurs de la filière des fruits et légumes sont moins volatiles que par le passé ; faut-il voir là l'effet de l'existence du mécanisme du coefficient multiplicateur, qui pèse lors de la négociation avec des distributeurs bien qu'il ne soit pas appliqué ? Avec des moyens limités, l'Observatoire fournit des résultats impressionnants, mais vous regrettez parfois que votre champ d'intervention ne soit pas plus vaste. Quels domaines souhaiteriez-vous aborder pour approfondir votre analyse, quelles compétences d'investigation vous manquent et de quels moyens supplémentaires souhaiteriez-vous disposer ?

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Je nuancerai votre propos relatif à l'absence de déduction pour aléas en faveur des agriculteurs, Monsieur Philippe Chalmin. Ce dispositif existe depuis longtemps, mais il n'était pas utilisé car il était très contraignant ; surtout, pendant longtemps, les agriculteurs lui ont préféré un dispositif analogue destiné à financer les investissements. Nous avons, lors de l'examen du dernier projet de loi de finances, tenté d'améliorer ce mécanisme et nous verrons quels résultats aura cet assouplissement.

Je reviens sur l'appréciation de la marge de la grande distribution. Dans le tableau intitulé « Comptes de rayons GMS 2014 », figure une ligne « autres charges » qui compte pour 19 % du chiffre d'affaires total des rayons étudiés. On sait que ce poste inclut les loyers et les charges immobilières payées aux SCI. J'aimerais que vous décortiquiez cette ligne et que vous nous disiez comment on peut retraiter de façon sincère la question des loyers payés à des SCI, qui ont pour particularité d'être très fortement adossées aux enseignes de la grande distribution.

Enfin, pour couper court aux débats qui accompagnent la présentation de ces rapports annuels, ne serait-il pas judicieux d'élargir la composition du comité de pilotage de l'Observatoire à des parlementaires ?

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Tout le monde s'accorde pour le constater : la brutalité de la chute des cours des matières premières met à mal les exploitations agricoles. M. Xavier Beulin, président de la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA), estime que la crise bénéficie principalement à la grande distribution et aux transformateurs. Vous considérez, pour votre part, que la grande distribution n'y est pour rien et qu'elle assiste passivement au yoyo des cours : quand les prix à la production grimpent, la grande distribution gagne moins d'argent, quand ils baissent, elle en gagne plus. Que préconisez-vous pour sortir de cette spirale infernale ? Le CESE recommande de renforcer les contrôles, de faire une plus grande place aux organisations de producteurs et de développer les circuits de distribution courts ; qu'en pensez-vous ?

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Vous avez fait état de la stabilité des prix à la consommation ; pourtant, les écarts se creusent. Ainsi, dans la filière porcine, pendant la période 2001-2015, la marge à la production est passée de 2,80 euros à 2,33 euros, et celle de la grande distribution de 2,70 euros à 3,75 euros. Autant dire que la grande distribution a tout intérêt à ce que les prix à la production baissent. Dans le coût du lait, les consommations intermédiaires et les intrants ont fortement augmenté entre 2007 et 2015 ; ce n'est jamais évoqué par les producteurs quand ils manifestent. Cette observation devrait pourtant les inciter à se convertir rapidement à l'agro-écologie. On lit dans les tableaux que vous consacrez à l'« euro alimentaire » que sur 100 euros, 15,3 euros vont aux importations et 14,6 euros à la grande distribution, ce à quoi il faut certainement ajouter les services. On voit ce que permettrait l'ancrage territorial de l'alimentation.

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Notre agriculture connaît une crise sans précédent. Alors que notre niveau technique, notre niveau de performance et notre niveau génétique sont parmi les meilleurs mondiaux, on ressent que les agriculteurs sont plongés dans une « déprime » grave. Aussi, Monsieur Philippe Chalmin, j'aimerais vous entendre vous engager davantage et nous parler des régulateurs de marché ainsi que de la répartition de la marge. Instituer, dans la transparence, une fiscalité arrière à destination des grandes et moyennes surfaces et des industriels permettrait de récupérer un peu de marge qui pourrait être redistribuée aux agriculteurs.

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Pour tenir compte de la rémunération minimale du capital productif, vous avez pris pour référence le taux moyen d'un placement sur livret A. Étant donné ce que sont les taux actuels, cette mesure est-elle encore viable ? Dans cette hypothèse, à ce taux de rémunération, la rémunération du travail fourni par les actifs est-elle protégée ?

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Philippe Chalmin, président de l'Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires

J'ai plusieurs casquettes, Monsieur Antoine Herth, cela est vrai. Ma casquette principale est celle de professeur à l'Université Paris-Dauphine. Il se trouve que je suis considéré comme un spécialiste de l'économie internationale des matières premières. J'ai présenté hier le 30e rapport Cyclope à ce sujet ; c'est mon autre activité. Je m'intéresse aussi d'assez près aux questions agricoles, dont j'ai été responsable au Centre des démocrates sociaux du temps où ce parti existait. Il y a un lien entre toutes ces questions et le rapport relatif à l'avenir des politiques agricoles en Europe et en France, à l'élaboration duquel j'ai participé au sein du Conseil d'analyse économique lorsque j'en étais membre. Ces diverses activités sont cohérentes. Cyclope a une expertise sur les marchés mondiaux de matières premières ; cette année, nous avons complété notre rapport par un chapitre passionnant sur le miel, dont la Chine est le premier producteur mondial et aussi le premier exportateur – à cette remarque près qu'elle exporte souvent du miel largement frelaté.

Plusieurs questions ont porté sur les observations du CESE et, plus généralement, sur nos méthodes de calcul de la marge nette de la grande distribution. M. Philippe Boyer, secrétaire général de l'Observatoire et cheville ouvrière de ces calculs, est malheureusement empêché, mais il se tient à votre disposition. Il a rendu cet exercice exemplaire.

Dans le rapport intégral, que vous trouverez sur notre site, cinq pages sont consacrées à la méthodologie employée pour l'ensemble des postes. La ligne « autres charges » peut poser problème, c'est vrai. Nous pourrions aller beaucoup plus loin dans le détail, mais nous sommes confrontés aux différences de méthodes comptables des enseignes. Il y a sept acteurs dans la grande distribution, et une concentration des centrales d'achat dont on ignore où elle s'arrêtera. Mais la concentration est plus forte au Royaume-Uni, et aussi forte en Belgique, aux Pays-Bas et même en Allemagne, pays où l'on a inventé le hard discount et où les négociations ne donne pas lieux aux mêmes problèmes qu'en France. Il convient donc de relativiser une concentration qui n'est pas différente dans notre pays de ce qu'elle est au niveau européen.

Nous nous sommes engagés à ne publier que des chiffres moyens issus de la moyenne des sept enseignes. Cela me permet d'ailleurs de dire à toute chaîne qui, une année, traîne des pieds, que puisqu'il en est ainsi je publierai la moyenne des six autres, ce qui permettra par déduction de connaître précisément ses résultats ; l'effet est immédiat. Pour certaines chaînes complétement intégrées, on obtient pratiquement d'un clic l'ensemble des éléments qui nous sont nécessaires, mais il n'en va pas de même pour les franchisés et les chaînes volontaires, dont les structures centrales sont très légères. Ainsi avons-nous eu un problème l'année dernière avec une chaîne parce que notre interlocuteur unique ayant changé de poste sans être remplacé, personne ne pouvait extraire les données. Ce n'était pas de la mauvaise volonté. Il faut aussi déterminer où est le centre de profit : en haut pour les chaînes intégrées, au niveau du magasin pour les franchisés et les chaînes volontaires. Ce travail est très lourd, car nous vérifions toutes les données reçues. On pourrait certes aller plus dans le détail du poste « autres charges », mais le problème est qu'il n'a pas les mêmes caractéristiques d'une chaîne à l'autre. Nous avons donc maintenu en l'état ce poste qui peut paraître important.

En page 42 du rapport figure l'explication des principales lignes de la nomenclature des postes. Les locations immobilières sont définies ainsi qu'il suit : « Loyers versés par l'exploitant du magasin à une société propriétaire du terrain ou des murs. Le taux de charges immobilières issu de l'enquête de l'Observatoire, de 2,1 % à 2,2 % de 2012 à 2014 tous rayons frais, est du même ordre que celui tiré des données Esane sur le secteur des GMS, soit 2,3 %. » Il se produit que la SCI soit la SCI familiale du propriétaire du magasin. Mais vous savez aussi que certaines chaînes dont Carrefour ont revendu à des investisseurs les murs de leurs magasins. Les données dont nous disposons à ce sujet sont relativement bonnes.

Si nous avons un point faible, c'est probablement sur le taux de remontée des frais financiers. Je sais nos faiblesses, mais je n'accorde pas un grand crédit aux critiques du CESE. Oui, il y a des produits d'importation, mais pas dans le rayon le plus tendu – la boucherie. Si les restaurants servent souvent de la vache de réforme laitière allemande, la viande bovine que vend la grande distribution est presque à 100 % de la viande française. Des problèmes sont possibles pour la viande de porc – et encore : il y a des échanges intra-européens mais ils sont marginaux. Ce n'est donc pas la question.

Oui, Madame Brigitte Allain, il y a des importations – mais elles conditionnent nos exportations, et le secteur agro-alimentaire et un poste positif de notre balance commerciale. Pour les critiques formulées par le CESE, je suis juge et partie. Nous essayons d'aller un peu plus loin chaque année si bien qu'en quatre ans l'amélioration méthodologique a été considérable ; je ne suis pas sûr que l'on puisse faire tellement mieux. L'idéal serait d'avoir déjà les marges nettes de la grande distribution en 2015, mais nous sommes dans la période de publication des comptes sociaux, et nous avons besoin d'informations beaucoup plus pointues. L'Observatoire pourrait publier son rapport annuel à l'automne, mais cela n'apporterait rien ; nous préférons couvrir une année civile complète.

Que la marge nette de certains rayons des grandes et moyennes surfaces soit négative peut paraître choquant, mais l'art de la grande distribution est d'équilibrer pertes et gains. La mesure rationnelle serait de supprimer les rayons « poissonnerie », mais un beau rayon de poissons donne une certaine image que les enseignes veulent maintenir. De la même manière, les supermarchés de campagne tiennent à avoir un beau rayon « boucherie ».

En bref, j'entends les critiques, nous essayons d'améliorer nos méthodes, mais je ne suis pas sûr que nous puissions aller tellement plus loin.

Le sentiment que l'on peut légitimement éprouver à la lecture des graphiques est que la marge brute de l'industrie et de la transformation augmente cependant que la part revenant aux producteurs diminue, et qu'elle est insuffisante. C'est, je vous l'ai dit, qu'il n'y a plus de lien. Ni l'industriel, ni le distributeur ne font plus les prix agricoles, qui sont de plus en plus déterminés par le rapport entre l'offre et la demande mondiales, comme le sont ceux du pétrole, du blé, du cuivre ou du dollar. En décidant d'en finir avec la politique agricole commune pensée par les pères fondateurs de l'Union, on a jeté le bébé avec l'eau du bain. Il est un peu tard pour se lamenter de l'instabilité du marché du lait quand personne, à l'époque, n'a défendu le maintien des quotas laitiers : il était pourtant évident que leur suppression aurait pour effet l'instabilité du prix du lait. Certains acteurs sont prêts à s'adapter, mais c'est particulièrement difficile pour d'autres et singulièrement pour la filière laitière française où la confiance n'a jamais régné.

Les prix agricoles ne sont plus liés à la gestion tout au long d'une filière ; ce sont des prix de marchés agricoles. Les céréaliers en ont pris acte. Cela vaut de plus en plus pour les produits laitiers, à quelques exceptions près : ceux qui sont sous appellation d'origine protégée (AOP). Ainsi, les producteurs de comté s'en sortent bien. Mais on sait les menaces qui pèsent sur les AOP, certains avançant que les normes qui les définissent sont une forme de protectionnisme. L'intérêt de l'agriculteur est, bien sûr, de n'être plus seulement un producteur de matière première, et de différencier son produit par un signe officiel – « bio » ou « AOP »… – ou d'intégrer un circuit court. Cela explique le développement des associations pour le maintien d'une agriculture paysanne, les AMAP. Cela fait plaisir aux bobos parisiens (Mme Michèle Bonneton proteste) mais le problème tient à ce que l'agriculture de niche n'est pas extensible à l'infini : si tout le monde fait du « bio », il n'y a plus de différences.

L'agriculture française compte au nombre des plus efficientes pour ce qui concerne particulièrement le blé, la betterave et certains oléagineux, avec un patrimoine génétique remarquable pour les productions animales. Cela étant, il ne faut pas se leurrer : prétendre se retrancher dans le village gaulois n'est pas une stratégie applicable alors que nous sommes sur la scène mondiale. Trop longtemps, nous n'avons pas assumé ce que cela représente, notamment en matière de biotechnologies.

Chaque exploitation est une histoire particulière ; là est peut-être la vraie faiblesse de notre rapport. Il donne des coûts de production moyens, mais dois-je raisonner en entreprise agricole, en exploitation, en revenu de l'intégralité de la famille ? La double activité au sein des couples d'agriculteurs est devenue fondamentale ; il faut l'intégrer. Je me méfie de plus en plus des solutions générales.

Mon expérience passée de membre du Conseil des biotechnologies me fait dire à Monsieur François André que, sans vouloir être vexant, je ne suis pas certain que la présence de parlementaires au sein du comité de pilotage de l'Observatoire apporterait quelque chose (Rires). Je ne suis qu'un vecteur ; je ne peux changer les hommes, mais l'Observatoire a un comité de pilotage et chaque année se tiennent de vingt à trente réunions des groupes de travail. Je préside les groupes de travail « grande distribution » et « filière viande bovine et ovine » : je puis témoigner que l'on s'y parle et que les gens se comprennent.

L'Observatoire est une structure très légère. Ce n'est pas plus mal : il ne coûte pas très cher puisqu'il n'a pas de budget et vit en « parasite » de FranceAgriMer. Son secrétaire général, M. Philippe Boyer, personnalité remarquable, est un grand travailleur. J'ai une autre collaboratrice qui travaille à trois quarts de temps, et nous pouvons compter sur le personnel de FranceAgriMer, un organisme qui est lui-même soumis à de fortes restrictions budgétaires. Il est proposé, dans le cadre de l'examen du projet de loi Sapin II, que je puisse saisir le président du tribunal de commerce du cas des entreprises de transformation et de distribution qui ne déposeraient pas leurs comptes. Je n'ai pas besoin de cette disposition : dans la relation de confiance que nous avons instaurée, c'est à moi et à mon équipe qu'il revient d'obtenir les données qui nous sont nécessaires. De plus, d'autres moyens coercitifs sont déjà à ma disposition – faire savoir que je m'ouvrirai à la presse de ce qui me chagrine, par exemple – qui peuvent être beaucoup plus violents si je les utilise. D'autre part, les comptes sociaux ne m'intéressent pas en soi, et je ne pourrai pas aller plus dans le détail si les intéressés ne coopèrent pas. Je n'ai pas de problème pour la filière de la viande bovine. S'il est très compliqué de calculer les marges nettes pour l'industrie laitière, cela tient à des difficultés d'ordre méthodologique. Un litre de lait UHT ne sort pas de la ferme : il y a des sous-produits et les coproduits ; comment les valoriser ? Les comptes globalisés de Lactalis ne m'intéressent pas ; il faudrait pouvoir descendre aux comptes de chaque usine laitière en fonction de sa spécialisation, et cela donnerait des résultats différents en fonction des diverses filières laitières. Enfin, je n'ai pas le personnel nécessaire pour faire cela.

Dans un autre ordre d'idée, il serait passionnant de faire des comparaisons européennes mais l'Observatoire n'en a pas les moyens et je ne suis pas sûr qu'en ce moment FranceAgriMer puisse m'affecter du personnel supplémentaire. La naissance d'un observatoire européen supposerait une initiative en ce sens de la Commission européenne. Nous avons participé à divers travaux et nous continuons de le faire. M. Philippe Boyer est allé exposer nos études à Bruxelles. Un groupe de travail sur ces questions vient d'être créé à l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) auquel on nous a demandé de participer – mais, je le redis, notre structure est très légère. Pour autant, nous pouvons, me semble-t-il, être assez fiers du rapport qualité-prix de nos travaux.

C'est à M. Bruno Lasserre, président de l'Autorité de la concurrence, qu'il vous faut soumettre l'idée de dissoudre l'oligopole des centrales d'achat, Monsieur Thierry Benoit, mais je signale qu'il ne s'agit pas d'un cartel, puisque les enseignes de la grande distribution se font une concurrence acharnée. J'ai d'ailleurs pour interprétation personnelle que l'une des tensions actuelles tient à ce que le modèle même du supermarché et de l'hypermarché est attaqué, pour sa partie non-alimentaire, et par le commerce électronique et par les grandes surfaces spécialisées. Dans ce contexte, il reste à la grande distribution, pour attirer le chaland, les rayons alimentaires ; c'est donc sur l'alimentaire qu'ils font porter leurs efforts. Certaines marques de distributeur jouent la carte de la qualité et de la proximité ; certains magasins font des efforts considérables d'approvisionnement local mais, dans le même temps, ils se servent de la baguette à 30 centimes et de la côte de porc à 2,50 euros comme produits d'appel. Voilà pourquoi les prix des produits de base déclinent. Et, en cinq ans, les charges sociales et le coût du travail ont augmenté !

Je me demande si l'on pourrait envisager d'étendre à d'autres filières que celle des fruits et légumes un mécanisme de coefficient multiplicateur. Il y a 35 ans, ce coefficient était de 1 à 3, et cela n'a pas profondément changé. Mais c'est une filière dans laquelle il y a toujours une identité de produit, et pas de sous-produits. Comment faire pour la viande ou le lait, sachant qu'il a fallu près deux ans pour se mettre d'accord sur ce que représente le coût de la matière première dans le yaourt ? Tout est dit, à la page 136 du rapport, de la complexité de la filière « lait » ; je ne sais pas comment on pourrait lui appliquer un mécanisme de coefficient multiplicateur.

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Je vous remercie.

La commission a examiné, en application de l'article 88 du Règlement, les amendements restant en discussion sur la proposition de loi visant à garantir les prix d'achat aux agriculteurs (n° 3272) (M. André Chassaigne, rapporteur).

Le tableau ci-dessous récapitule les amendements acceptés par la commission :

AuteurGroupePlaceAlinéa
4Mme ERRANTE SophieSRC1erSuppression
5Mme ERRANTE SophieSRC2Suppression
6Mme ERRANTE SophieSRC3Suppression
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Je suis défavorable, à titre personnel, à l'adoption de ces trois amendements qui consistent à supprimer chaque article du texte.

Informations relatives à la commission

La commission a nommé Mme Marie-Hélène Fabre rapporteure sur la proposition de loi relative au débroussaillement (n° 3699).

La commission a nommé M. Jean-Marie Tétart rapporteur sur la proposition de loi relative au remboursement des taxes d'aéroport (n° 3463).

Membres présents ou excusés

Commission des affaires économiques

Réunion du mercredi 25 mai 2016 à 9 h 30

Présents. – M. Damien Abad, Mme Brigitte Allain, M. Frédéric Barbier, M. Thierry Benoit, Mme Michèle Bonneton, M. Marcel Bonnot, M. Christophe Borgel, M. Jean-Claude Bouchet, M. André Chassaigne, M. Dino Cinieri, M. Jean-Michel Couve, M. Yves Daniel, Mme Fanny Dombre Coste, Mme Jeanine Dubié, Mme Corinne Erhel, Mme Sophie Errante, Mme Marie-Hélène Fabre, M. Daniel Fasquelle, M. Christian Franqueville, M. Franck Gilard, M. Georges Ginesta, M. Daniel Goldberg, M. Jean Grellier, M. Antoine Herth, M. Henri Jibrayel, M. Philippe Kemel, Mme Laure de La Raudière, M. Jean-Luc Laurent, M. Thierry Lazaro, Mme Annick Le Loch, M. Philippe Le Ray, M. Jean-Pierre Le Roch, Mme Audrey Linkenheld, Mme Jacqueline Maquet, Mme Marie-Lou Marcel, Mme Frédérique Massat, M. Jean-Claude Mathis, M. Kléber Mesquida, M. Philippe Naillet, M. Germinal Peiro, M. Hervé Pellois, M. Dominique Potier, M. Franck Reynier, M. Frédéric Roig, Mme Béatrice Santais, M. François Sauvadet, M. Éric Straumann, M. Alain Suguenot, M. Lionel Tardy, M. Jean-Charles Taugourdeau, M. Jean-Marie Tétart, Mme Catherine Vautrin, M. Fabrice Verdier

Excusés. – M. Bruno Nestor Azerot, M. Denis Baupin, M. Yves Blein, M. Laurent Furst, Mme Pascale Got, M. Serge Letchimy, M. Yannick Moreau, Mme Josette Pons, M. Bernard Reynès, M. Thierry Robert, Mme Catherine Troallic, M. Jean-Paul Tuaiva

Assistaient également à la réunion. – M. François André, M. Guillaume Chevrollier, Mme Virginie Duby-Muller, M. Paul Salen, M. François Vannson