Nous poursuivons les travaux de la MEC sur les réseaux consulaires. À la suite des mesures adoptées dans le cadre de la loi de finances pour 2015, la MEC s'interroge sur l'adéquation entre les moyens financiers, les objectifs et les missions des trois réseaux consulaires dans un paysage institutionnel mouvant.
Nous recevons M. Alain Griset, président de l'Assemblée permanente des chambres de métiers et de l'artisanat et M. François Moutot, directeur général.
Le secteur de l'artisanat représente un million d'entreprises en France. Parce que ce sont souvent de petites entreprises – de taille plus modeste que dans l'industrie –, elles ont encore plus besoin de soutien, d'accompagnement et de représentation. C'est la fonction essentielle des chambres de métiers et de l'artisanat (CMA). Les CMA jouent par ailleurs un rôle majeur en matière d'apprentissage. Pour notre réseau, l'apprentissage n'est pas une préoccupation conjoncturelle mais structurelle et essentielle au développement de l'artisanat. La moitié des entrepreneurs de l'artisanat, soit 500 000 personnes, ont été apprentis. Sans apprentissage, il n'y a ni création ou reprise d'entreprise, ni salariés qualifiés. La moitié du budget des CMA est dédiée à l'apprentissage.
Les CMA exercent également des missions de service public comme la tenue du répertoire des métiers ou la gestion des contrats d'apprentissage. Leur exercice en a été largement modernisé.
Depuis la loi de 2010, le réseau a connu de nombreuses évolutions tant dans sa structuration que dans les prestations offertes. De ressortissants – adhérents automatiques aux CMA –, les artisans sont devenus des clients, auxquels les chambres proposent une offre de services adaptés aux besoins de leurs entreprises.
Pouvez-vous nous rappeler la spécificité du réseau des CMA par rapport à celui des CCI et nous préciser les évolutions qu'il a connues ?
J'ai pour habitude de refuser la comparaison avec le réseau des CCI car nous n'appartenons pas au même monde.
Les CMA privilégient l'intérêt de leurs entreprises et ne se positionnent pas par rapport à un autre réseau consulaire. Leur spécificité est de représenter un public homogène partageant les mêmes valeurs et les mêmes caractéristiques. Les politiques du réseau ne sont donc pas influencées par des éléments extérieurs ou des contradictions internes. Lorsque les CMA prennent position, elles le font pour l'ensemble du secteur de l'artisanat.
Cet élément fort justifie l'existence d'un établissement public spécifique qui représente les entreprises artisanales. J'entends depuis longtemps les propositions de regroupement ou de fusion des réseaux consulaires. Si en 1925 les parlementaires ont voté la création de chambres de métiers spécifiques, c'est parce que les chambres de commerce et d'industrie ne pouvaient pas représenter toutes les entreprises. Ce constat vaut toujours. Comment une seule organisation pourrait-elle représenter de la même façon Auchan, un boulanger, Bouygues et un artisan en bâtiment ? Les projets de rapprochement sont illusoires : l'artisan désireux de se faire entendre risque de le faire d'une autre façon, peu productive et moins utile à la collectivité.
Que répondez-vous aux artisans commerçants qui se plaignent de la double taxe en raison de la double adhésion et qui souhaiteraient une entente entre CCI et CMA ?
J'entends votre remarque. Je précise que c'est la loi qui a rendu obligatoire la double adhésion.
Quelle solution préconisez-vous pour éviter la double cotisation afin de répondre à l'attente de vos clients ?
Les entreprises sont ressortissantes au titre des missions de service public que nous exerçons. Elles deviennent clientes, sans en avoir l'obligation, si elles font appel aux services spécifiques que nous leur proposons.
S'agissant des doubles ressortissants, il existe une liste réglementaire d'activités pour lesquelles l'inscription au répertoire des métiers, tenu par les CMA, est obligatoire. En revanche, le registre du commerce n'est pas tenu par les CCI mais par les greffiers.
Pour les formalités, seule la chambre de métiers et de l'artisanat est compétente. Le greffe intervient en second rang pour enregistrer l'existence d'une société. Aucune formalité n'est accomplie par une entreprise hors du centre de formalités des entreprises de la CMA.
Deux raisons obligent un artisan à solliciter le greffe : l'existence d'une société ou la réalisation d'un acte de vente – un artisan coiffeur qui vend de la laque doit ainsi s'inscrire au registre du commerce. Mais il suffit qu'un artisan déclare refuser d'être électeur aux chambres de commerce pour ne pas avoir à payer la cotisation. J'ai déclaré à plusieurs reprises que nous sommes favorables à la suppression des doubles ressortissants, afin de lever toute ambiguïté. Pourquoi obliger un coiffeur à une double inscription au motif qu'il vend de la laque ?
Cette question met en lumière une autre difficulté. Il arrive que les artisans adoptent le statut de société, qui n'est pourtant pas adapté à leurs besoins, pour des raisons uniquement fiscales et patrimoniales. Afin de remédier à ce type de situations, nous travaillons depuis plusieurs années sur un statut juridique de l'entrepreneur individuel. Si ce statut aboutissait, le nombre de doubles ressortissants diminuerait de 80 %.
Il s'agit d'une piste intéressante pour résoudre le problème de la double cotisation sans fusion des réseaux.
Les CCI et les CMA sont des établissements publics distincts, s'adressant des publics spécifiques. Un artisan coiffeur n'est pas un commerçant, même s'il vend de la laque. Le problème peut être résolu en faisant en sorte que chaque réseau conserve sa clientèle.
Pouvez-vous dresser un bilan du processus de régionalisation et expliquer les raisons pour lesquelles seulement sept régions ont adopté le schéma le plus intégré – la chambre de métiers et de l'artisanat régionale (CMAR) ?
Quand vous demandez à des communes de se regrouper, il y a des réticences et toutes ne sont pas volontaires. Il peut en aller de même pour les élus professionnels.
L'APCMA a beaucoup travaillé sur deux sujets qui se rejoignent. Le premier est celui de la possibilité de mutualisation sans fusion des chambres. L'objectif dans ce domaine est quasiment atteint : les fonctions support dans notre réseau sont presque toutes mutualisées, comme la loi de 2010 l'imposait. Nous sommes même allés plus loin puisque nous avons développé des logiciels de paie et de comptabilité qui devront être obligatoirement utilisés dans toutes les chambres de métiers et de l'artisanat de France.
Le deuxième est la possibilité ouverte par la loi aux chambres départementales de fusionner. Deux régions ont opéré cette fusion : la Bourgogne et le Nord-Pas-de-Calais. Les Pays-de-Loire ont fait de même il y a quelques semaines. Dans d'autres régions, les chambres départementales n'ont fusionné que de manière partielle ; c'est le cas de l'Aquitaine et de la Basse-Normandie.
L'APCMA a décidé, dans le cadre de la refonte de la carte des régions, de faire correspondre le périmètre de toutes les chambres régionales avec celui des nouvelles régions. Au 1er janvier 2016, le réseau comportera 13 chambres régionales.
Les discussions sur la contribution des chambres au budget de l'État ont été plutôt faciles. Comment caractériseriez-vous les relations avec la tutelle ? Les conventions d'objectifs et de moyens remplissent-elles leur rôle ? Qu'attendez-vous de la tutelle aujourd'hui ? Que peut-on améliorer en la matière ?
Il faut distinguer deux types de conventions d'objectifs et de moyens. Les premières découlaient du Fonds national de développement et de modernisation de l'apprentissage dont l'objectif était de garantir l'investissement de chaque partenaire – État, régions et CMA – dans les centres de formation des apprentis (CFA). Ce fonds, qui était un bon outil de développement de l'apprentissage, a malheureusement été supprimé depuis cette année. Dans le Nord-Pas-de-Calais, l'État, la région et la CMA ont signé une convention d'un montant de 130 millions d'euros qui a permis la réfection complète de l'outil de formation. De nombreuses CMA ont bénéficié de ces conventions qui ont été importantes pour dynamiser le contenu de la formation et aménager des locaux
La deuxième catégorie de conventions d'objectifs et de moyens sont les conventions conclues entre l'État et les CMA locales. Conditionnant le versement du droit additionnel à la taxe pour frais de chambres à la réalisation d'objectifs, elles ont été signées dans toutes les régions. Les préfets les ont toutes renouvelées considérant que les objectifs avaient été remplis.
S'agissant de la signature d'une convention d'objectifs et de moyens au plan national, il n'est pas exact de dire que nous la refusons dans la mesure où nous l'avons proposée ! Quelles sont les raisons pour lesquelles une telle convention n'a pas été signée ? Outre le changement de ministre qui est intervenu, il nous est difficile d'accepter une convention qui ne précise rien sur les moyens qui nous seraient donnés pour atteindre les objectifs fixés. Nous sommes, sur le principe, très favorables aux conventions d'objectifs. Ainsi dans le Nord-Pas-de-Calais, la CMA bénéficie de ressources du conseil régional en fonction des résultats par action économique. Cependant, dans le cadre de la signature d'une convention nationale, nous souhaitons connaître les moyens qui accompagneraient les objectifs. Or, l'État n'a jamais accepté de préciser ce point.
Pouvez-vous pour chaque échelon territorial nous présenter la décomposition des ressources, entre ressources fiscales, subventions et prestations payantes ?
Il faut avoir à l'esprit la grande diversité des CMA. Entre la plus petite CMA à Belfort qui représente 2 000 entreprises et compte 20 salariés et celle du Nord-Pas-de-Calais qui représente 48 000 entreprises et compte 600 salariés, le modèle économique n'est pas le même. Ce modèle diffère également selon que les CMA gèrent ou pas un centre de formation des apprentis (CFA). Pour les CMA petites et moyennes, en l'absence de CFA, la taxe pour frais de chambre représente entre 35 et 45 % de leurs ressources, à laquelle s'ajoutent les prestations ainsi que les subventions du département, de la région et de l'Union européenne.
Dans le Nord-Pas-de-Calais, sur un budget de 47 millions d'euros, 24 millions sont apportés par la région pour financer l'apprentissage. Sur les 23 millions restants, sept millions proviennent de la taxe pour frais de chambre et le solde de conventions avec les conseils généraux et de fonds européens. Les prestations payantes représentent 5 % du budget.
Il s'agit du Fonds social européen (FSE) et du Fonds européen de développement régional (FEDER). Ces fonds sont évidemment utiles mais les modalités de versement de leurs contributions posent un problème de gestion. Ainsi, une partie de ces fonds n'a pas été versée depuis trois ou quatre ans. Lorsque vous êtes dans l'obligation de disposer d'un fonds de roulement de trois ou quatre mois, devoir attendre trois ou quatre ans pour percevoir les fonds européens pose un sérieux problème de trésorerie.
Elle ne pose aucune difficulté. L'échelon régional perçoit la taxe et la reverse aux départements, ce qui ne manque pas de susciter quelques débats bien compréhensibles. Néanmoins, en Ile-de-France, lorsqu'une chambre s'est trouvée en difficulté, les autres chambres lui ont apporté un soutien financier. Nous avons également instauré une péréquation nationale en faveur des chambres à faible effectif comptant moins de cinq mille ressortissants. Ce dispositif fonctionne très bien.
Les dépenses de personnel représentent 60 % de nos charges. Sans professeurs, il n'y a pas de formation. Or, la moitié de notre budget est consacrée à la formation. Dans le cadre du processus de mutualisation, nous avons beaucoup travaillé sur l'optimisation des ressources humaines. Nous avons rationalisé en particulier les services de formalités pour en faire des services intégrés.
Nous avons mené une politique salariale rigoureuse. La valeur du point d'indice est ainsi gelée depuis 2010. Le nombre de collaborateurs a diminué dans les chambres, sauf en matière de formation.
Quelles ont été les conséquences de la baisse tendancielle de la taxe pour frais de chambre depuis 2010 ?
Dès la loi de 2010, nous avions intégré une légère baisse de la taxe que nous avons compensée par la politique salariale que je viens d'évoquer. Faute de réserves, nous avons été contraints de rationaliser.
En 2014, alors que les réserves des CMA sont évaluées à 250 millions d'euros – pour mémoire, le budget du réseau s'élève à 800 millions d'euros –, le ministère nous demande de conserver seulement trois mois de fonds de roulement. Mais, avec une réserve de cet ordre, vous ne pouvez pas gérer un établissement public comme l'APCMA.
Pour la première fois, le budget du réseau est déficitaire en 2014. Ce n'est pas nous qui sommes les plus pénalisés par cette situation mais la collectivité. Il y a une certaine incohérence de la part du Gouvernement à annoncer un objectif de 500 000 ou 800 000 apprentis sans donner les moyens aux chambres consulaires d'investir dans les structures de formation.
En conjuguant le dispositif d'écrêtement des recettes et le prélèvement sur des réserves modestes, nous sommes dans l'incapacité pour les deux prochaines années d'investir dans un centre de formation.
Il existe en effet trois modalités pour investir en faveur de l'apprentissage. Dans la première, la région construit le centre de formation et le met à disposition de la chambre. Dans la seconde, la chambre est maître d'ouvrage en contrepartie d'une participation financière à hauteur de 20 %. Dans le troisième cas, comme en Ile-de-France, la région construit mais demande à la chambre de contribuer au financement, ce qui est une solution difficilement acceptable.
Avec le niveau de nos ressources actuelles, nous ne sommes plus capables d'être maître d'ouvrage pour la construction d'un centre de formation.
Parvenez-vous malgré tout à faire fonctionner les centres de formation ? Quelles sont les causes du déséquilibre budgétaire que vous avez évoqué ?
Nous devons assumer des frais fixes. Même si vous freinez la politique salariale, du fait du glissement vieillissement technicité (GVT), la masse salariale augmente nécessairement, ce qui crée mécaniquement un déficit. Il faudrait au minimum que la ressource soit réévaluée pour tenir compte de l'évolution des dépenses à périmètre constant, sauf si nous devions un jour être en déflation.
Quelle est la mesure qui pèse le plus sur vos finances : la ponction sur le fonds de roulement ou le blocage de l'évolution de la taxe ?
Malgré son caractère injuste, le prélèvement sur le fonds de roulement, dont on ne connaît pas actuellement l'exact montant, n'empêche pas les CMA de fonctionner. Le fonds de roulement n'est utile que pour financer des projets d'investissements. En l'absence d'investissement, quatre à cinq mois de fonds de roulement suffisent car les CMA n'ont pas vocation à thésauriser.
En revanche, en matière de fonctionnement, dès qu'on nous retire un financement, nous sommes immédiatement en déséquilibre puisque nous sommes déjà à flux tendus.
En conclusion, je voudrais redire que l'artisanat est très attaché au maintien d'un établissement public autonome spécifique à ce secteur. Nous sommes par ailleurs disposés et favorables à un éclaircissement sur la question des doubles ressortissants. Nous sommes enfin prêts à atteindre les objectifs que l'État est en droit de fixer et à mesurer notre efficacité.
Cependant, il ne faut pas oublier que la formation représente la moitié de notre activité et la moitié de notre budget de 800 millions d'euros. Le budget de fonctionnement s'élève donc à 400 millions d'euros pour un réseau qui s'adresse à un million d'entreprises. Il n'est pas exact de dire que les 244 millions versés par l'État proviennent du budget de l'État alors que ce sont les entreprises qui s'en acquittent. En outre, l'État prélève 8 % au titre de la gestion de cette taxe, ce qui en fait un organisme de collecte plus coûteux que beaucoup d'autres.
Ces frais prélevés par l'État sont à mettre au regard de nos frais de structure qui sont limités à 7 %.
Je suis tout à fait d'accord : la baisse de la taxe pour frais de chambre n'a pas profité aux entreprises alors que ce sont elles qui paient cette taxe.
Il y a un paradoxe : l'État a bien du mal à connaître précisément le montant des ressources qu'il prélève auprès des entreprises, ce qui donne lieu à des débats surprenants.
Dans le cadre des discussions sur le projet de loi de finances pour 2015, le ministre nous avait fait part dans un premier temps de son intention de prélever 3 millions d'euros et de nous attribuer 245 millions de ressources fiscales. Par la suite, il nous a été indiqué que les ressources se monteraient en fait à 260 millions d'euros.
La taxe pour frais de chambre est reversée à quatre structures : le fonds national de promotion et de communication de l'artisanat, le fonds d'assurance formation des chefs d'entreprise artisanale (FAFCEA), l'APCMA et les chambres régionales. Or, il s'avère que le nombre de cotisants n'est pas identique dans les quatre organismes – il peut varier de 10 000 à 20 000 – alors qu'un seul prélèvement est opéré. On constate donc une « évaporation » : une partie de l'argent perçu par l'État ne revient pas vers ces structures.
Nous vous serions reconnaissants de nous transmettre une note précise sur ce point. Je vous remercie pour cette audition.