Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Réunion du 1er avril 2015 à 9h00

Résumé de la réunion

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La réunion

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COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES ET DE L'ÉDUCATION

Mercredi 1er avril 2015

La séance est ouverte à neuf heures trente-cinq

(Présidence de M. Patrick Bloche, président de la Commission)

La Commission des affaires culturelles et de l'éducation procède à l'audition de MM. Pierre Lescure, président du Festival de Cannes, et Thierry Frémaux, délégué général.

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Dans six semaines s'ouvrira la 68e édition du Festival de Cannes, aujourd'hui considéré comme le premier festival de cinéma à l'échelle internationale. L'audition de ce matin nous permettra de mieux en comprendre l'organisation et le fonctionnement. Plusieurs éléments concourent à faire de cette manifestation une occasion unique d'attirer vers la France le monde du cinéma et, plus largement, de la culture et des industries culturelles : la richesse et la diversité de la sélection officielle, des jurés prestigieux, les nombreux événements organisés pendant le festival, mais aussi le marché international du film qui l'accompagne, marché qui revêt une très grande importance en termes économiques.

À notre modeste niveau de législateur, nous essayons, à chaque fois que l'occasion s'en présente, de créer un cadre budgétaire favorable, de nature à contribuer à faire de la France le pays du cinéma. Ainsi, nous avons récemment modifié le plafond et le taux du crédit d'impôt cinéma, qui concerne tant les films à gros budget, dont il s'agit de relocaliser le tournage en France, que les films dits « du milieu » ou encore les films d'animation, secteur dans lequel la production française est de grande qualité. Cela a amené le président de la commission des finances, M. Gilles Carrez, qui pourtant, de prime abord, n'était guère enthousiaste à cette idée, à avoir cette formule éloquente – et, à certains égards, historique – à mon adresse : « Monsieur Bloche, rien n'est trop beau en France pour le cinéma ! »

Monsieur le président, monsieur le délégué général, je vous remercie d'avoir accepté notre invitation. Nous venons de commémorer le 120e anniversaire de la première projection cinématographique, qui a eu lieu le 22 mars 1895. Comme chaque année, nous attendons avec impatience la présentation de la sélection officielle, qui sera dévoilée le 16 avril prochain. Nous n'espérons évidemment pas de révélations sur ce point de votre part aujourd'hui. Indépendamment de nos appartenances politiques, nous sommes tous, ici dans cette commission, fortement attachés à la diversité culturelle et à la vitalité de la création cinématographique française. Nous savons ce que nous devons au Festival de Cannes à cet égard, et ce que nous vous devons, à l'un et à l'autre.

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Pierre Lescure, président du Festival de Cannes

En effet, rien n'est trop beau en France pour le cinéma !

Cette 68e édition du Festival de Cannes sera pour moi la première en qualité de président, rôle qui reste à écrire : je ne suis pas haut fonctionnaire comme l'étaient un certain nombre de mes devanciers, en particulier Pierre Viot, et je n'ai pas non plus exercé les fonctions de délégué général pendant vingt-cinq ans, comme l'avait fait mon prédécesseur Gilles Jacob. Et l'on se souvient du brio de l'un et de l'autre ! C'est donc une nouvelle page qui s'ouvre.

J'essaie notamment de trouver le bon équilibre : d'un côté, en tant que président d'une association, il me revient d'exercer une responsabilité morale, sans m'occuper directement des aspects opérationnels, qu'ils relèvent de la partie artistique ou de l'organisation ; de l'autre, la présidence a un rôle à jouer, compte tenu du poids que lui ont donné mes prédécesseurs, et du fait que ce festival est le premier au monde et qu'il englobe à la fois une manifestation purement artistique et un marché du film qui est également l'un des plus importants, sinon le plus important à l'échelle internationale. La relation que Thierry Frémaux et moi entretenons aide beaucoup à trouver cet équilibre.

Bien évidemment, Thierry Frémaux ne dira rien de la sélection, que nous dévoilerons ensemble le 16 avril prochain. Nous nous orientons vers une édition que je pense assez diverse et brillante. En outre, nous essayons de créer dans l'ensemble de la ville de Cannes, tant pour les professionnels du cinéma que pour les Cannois, une atmosphère cinématographique, artistique, impliquée, joyeuse et participative. Nous avons fait au maire de Cannes un certain nombre de propositions, sur lesquelles nous travaillons en ce moment, pour que le festival soit aussi la fête du cinéma.

En ce qui concerne le retentissement du festival à l'échelle nationale, nous venons d'achever des discussions assez serrées avec la chaîne Canal Plus, qui reste le partenaire du festival, mais à qui nous avons demandé un certain nombre d'efforts non seulement financiers – c'est bon pour le budget du festival, donc pour les comptes publics –, mais aussi en termes de qualité de la production : nous avons notamment obtenu que les cérémonies non seulement d'ouverture mais également de clôture soient diffusées en clair, afin que tous les Français puissent en profiter.

La cérémonie de clôture durera environ une heure et quart, entre dix-neuf heures et vingt heures quinze. Elle sera l'occasion, bien sûr, de remettre le palmarès et de célébrer les lauréats – tel est son objet –, mais aussi, d'une manière plus générale, de revenir, à travers trois ou quatre reportages, sur l'ensemble du festival, à la fois sur la création qu'il aura mise à l'honneur et sur son aspect « glamour ». Thierry Frémaux et moi surveillons de près ces montages, dont nous nous sentons particulièrement responsables, peut-être plus encore que Canal Plus. Ils permettront aux Français qui aiment le cinéma de se faire une idée des films dont ils entendent parler, mais qui ne sortiront, pour certains, que quelques semaines ou quelques mois plus tard – quelques-uns n'ont même pas encore de distributeur. La cérémonie de clôture comprendra aussi un ou deux numéros originaux qui lui donneront, je l'espère, un certain lustre et une certaine vivacité.

Nous veillons à maintenir un dialogue toujours aussi nourri avec les Américains. C'est fondamental pour l'économie du festival et pour l'économie cannoise en général. Dans le même temps, nous avons engagé des discussions avec les autres grandes nations qui, demain ou après-demain, occuperont une place déterminante dans le cinéma mondial et joueront donc un rôle essentiel pour le devenir du Festival de Cannes. À cet égard, nous avons intensifié cette année le dialogue que Gilles Jacob et Thierry Frémaux avaient entamé avec les pays asiatiques, la Chine au premier chef. Il est toujours compliqué de discuter avec les Chinois. Nous sommes en relation avec le groupe Wanda, qui est propriétaire de nombreuses salles en Chine, mais aussi du deuxième réseau américain, AMC Theaters. On lui a prêté l'intention d'acheter des salles sur le continent européen, notamment au Royaume-Uni et en France, mais rien ne s'est fait pour l'instant. Surtout, il souhaite créer un nouveau festival de cinéma en Chine, après ceux de Pékin et de Shanghai, et a pris contact à ce sujet avec nous et avec l'Académie des Oscars.

Ce sera pour moi, je l'ai dit, une première année. Je compte apprendre d'autant plus à cette occasion et travailler intensément dans les mois qui suivront, avec Thierry Frémaux. Il s'agit de maintenir notre place de numéro un, ce qui n'est pas une tâche facile. Cela implique de ne pas trop bousculer l'existant, mais aussi d'être très actif.

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Thierry Frémaux, délégué général du Festival de Cannes

Pierre Lescure et moi sommes très heureux d'être ici ce matin. Le Festival de Cannes est non seulement le premier festival de cinéma, mais aussi la plus grande manifestation culturelle au monde, la seule à pouvoir rivaliser avec les trois autres événements mondiaux les plus importants en termes de couverture médiatique que sont le Tour de France, la Coupe du monde de football et les Jeux olympiques.

À la différence d'autres manifestations internationales de cinéma, le Festival de Cannes est marqué par sa stabilité et par la permanence de son management. Gilles Jacob, avec qui j'ai fait équipe pendant plus de dix ans, avait en effet exercé pendant vingt-cinq ans les fonctions de délégué général avant de devenir président. Un de ses prédécesseurs, Robert Favre-Lebret, avait presque été l'un des cofondateurs du festival avec Jean Zay, avant-guerre. Nous rendrons d'ailleurs hommage à Jean Zay cette année, ainsi que vous l'aviez fait il y a deux ans, monsieur Brochand.

À titre personnel comme professionnel, je suis très heureux que Pierre Lescure ait rejoint notre équipe et pris la présidence du festival. Son expérience, son identité et sa personnalité faisaient de lui le candidat idéal pour permettre au festival de regarder vers l'avenir, tout en maintenant la stabilité et la permanence que j'ai évoquées.

Je commencerai par rappeler les fondamentaux : le festival repose sur quatre piliers, qui lui donnent son équilibre.

Les deux premiers piliers sont la sélection officielle et le marché du film. Le festival est le plus grand événement mondial de cinéma et, plus largement, d'audiovisuel, non seulement en termes de programmation artistique, mais aussi en matière professionnelle. J'insiste sur un point fondamental : si Cannes attire environ 100 000 personnes pendant deux semaines, dont 40 000 sont accréditées, c'est parce que les gens viennent du monde entier pour y travailler. Parmi ces professionnels, il y a de plus en plus d'asiatiques, notamment de Chinois, ainsi que l'a souligné Pierre Lescure. Pour notre part, notre objectif est moins d'aller en Chine – nous y allons et nous y avons de bonnes relations – que de faire venir les nouveaux professionnels chinois et, plus largement, asiatiques. En Chine, le cinéma est devenu la grande affaire des classes moyennes, et ce sont des centaines de salles qui ouvrent chaque semaine. Pendant de nombreuses années, nous avons peut-être eu tendance à cacher le marché du film, au motif que les aspects économiques et industriels n'étaient pas aussi nobles que ce qui touchait aux auteurs et aux stars.

La sélection officielle comprend cinquante à soixante films : la vingtaine de films en compétition auxquels s'ajoutent la section « Un Certain Regard » – qui est celle des découvertes, des oeuvres et des auteurs en devenir – et les films hors compétition projetés lors des séances spéciales, des séances de minuit ou des cérémonies d'ouverture et de clôture. En comparaison, des festivals tels que Berlin ou Toronto – qui ne sont plus vraiment nos concurrents – programment 200 à 300 films. Cannes se caractérise donc par la distinction, d'où l'importance de la sélection aux yeux des producteurs du monde entier.

À l'heure où je vous parle, nous sommes en pleine phase de sélection. Bien évidemment, si je savais quoi que ce soit, je ne vous le dirais pas ! Mais je ne sais pas encore grand-chose : un tiers de la sélection tout au plus est définitivement arrêtée. Tout se décide dans les deux dernières semaines, c'est-à-dire entre aujourd'hui et le 16 avril. Plus de 1 800 longs métrages ont été inscrits, et nous les visionnons jusqu'au dernier moment. Le grand principe du festival, qui relève d'une sorte de « démocratie cannoise », est le suivant : quiconque sur Terre a réalisé un long métrage, c'est-à-dire un film d'une durée supérieure à une heure – rien n'empêche aujourd'hui de le faire avec un smartphone –, peut le présenter à la sélection. Ce film sera vu, ce qui ne veut pas dire, bien sûr, qu'il sera retenu. On nous reproche d'ailleurs assez souvent de choisir les mêmes auteurs, ce qui n'a pourtant rien d'anormal : les grands auteurs font les grands films. Ainsi, les journalistes nous demandent fréquemment, pour nous moquer : « À quoi cela vous sert-il de regarder 1 800 films puisque vous sélectionnerez, au bout du compte, les films de Lars von Trier, d'Emir Kusturica, de Ken Loach ou des frères Coen ? ».

À ce propos, les frères Coen sont cette année les présidents du jury. Pour la première fois dans l'histoire du festival, la présidence sera ainsi occupée par deux personnes, qui ont chacune demandé à disposer d'une voix – les intéressés m'ont d'ailleurs précisé qu'ils avaient bien l'intention de se disputer au moment des délibérations ! Ainsi que vous l'avez rappelé, monsieur le président, nous célébrons cette année le 120e anniversaire de la naissance du cinématographe. Or les frères Coen ne sont pas sans rappeler les frères Lumière ! Comme vous le voyez, le festival a toujours un pied dans le passé et l'autre dans l'avenir.

Cannes, ce sont des films d'auteur. Pour certains cette expression a une connotation péjorative : qui dit films d'auteur, dit films ennuyeux. Or il n'en est rien. Un certain nombre de films qui sont devenus des grands classiques n'ont pas nécessairement été salués par les hourras du public au moment où ils ont été présentés. N'oublions pas que Fellini a été sifflé lorsqu'il a reçu la Palme d'or pour La Dolce Vita. Cannes, c'est aussi sa marque, est un festival d'art cinématographique : notre rôle est de mettre en valeur les nouvelles écritures, les nouvelles formes, les nouvelles inventions visuelles de l'époque. Le festival est chaque année une sorte de photographie de l'art du cinéma, à la fois éphémère et durable, quand on additionne les années.

Troisième pilier : le « glamour », avec le tapis rouge, les stars et les marques. Quelqu'un nous a dit récemment : « Pendant le festival, la Croisette, c'est la quinzaine commerciale ! » Eh bien, heureusement ! Heureusement que la Croisette est couverte de publicités pour des films ou des marques ! Heureusement que les grands hôtels ornent leurs façades de panneaux publicitaires pour les films ! Cela signifie que le festival attire des annonceurs et qu'il est en bonne santé. Quand les aciéries de Lorraine fumaient, ce n'était pas beau, mais cela voulait dire qu'il y avait du travail. Quand elles ont cessé de fumer, c'est qu'il n'y avait plus de travail. De la même manière, lorsqu'il n'y aura plus de panneaux qui mangent toutes les fenêtres du Carlton, cela indiquera que Cannes n'est plus le lieu où il faut se montrer et acheter de la publicité – de l'advertising, comme disent les Américains. Les partenariats et la présence des studios font la bonne santé du festival. Même si certaines marques sont parfois très présentes, elles nous sont très utiles, d'abord pour nos finances, mais aussi parce qu'elles sont le signe que Cannes reste « the place to be ».

Ainsi que l'a rappelé Pierre Lescure, nous avons de bonnes relations avec les Américains. Lorsque j'ai commencé à travailler pour le festival il y a un peu plus de dix ans, Gilles Jacob m'a dit : « Il faut faire revenir Hollywood à Cannes ». Et nous y sommes parvenus. Nous avons d'ailleurs annoncé il y a quelques jours la projection du nouvel opus de Mad Max, qui est réalisé par un cinéaste australien, mais produit par la Warner. Or, quand la Warner débarque à Cannes, c'est avec plusieurs dizaines de personnes et avec un budget de 3 à 4 millions d'euros pour trois jours de présence.

Quatrième pilier : la presse et les médias. Il s'agit, d'abord, des critiques de cinéma. Cannes est l'un des lieux où la liberté d'expression est la plus grande, où la possibilité de parler de cinéma est la plus importante au monde. Et c'est non seulement une question de nombre, mais aussi de force et de qualité. Par exemple, les journalistes du New York Times ont plus d'espace pour publier des articles sur le cinéma au moment du festival que pendant le reste de l'année. En outre, les photographes qui seront au bord du tapis rouge à dix-neuf heures pour Mad Max seront encore là à vingt-deux heures pour un film tourné en Corée ou à Singapour. À Cannes, il y a une sorte d'égalité devant la sanction des médias, de la critique et du palmarès.

La presse et les médias, ce sont, ensuite, les journalistes qui viennent pour faire de l'image et de l'antenne au profit non seulement des films – ce qui importe le plus à nos yeux –mais aussi du festival lui-même, de la ville de Cannes et de la France. Cannes, nous en sommes conscients, est un fleuron français : pendant deux semaines, des personnes viennent du monde entier, oubliant presque qui elles sont, pour faire en sorte, chacune à leur manière, que ce festival reste le plus grand événement culturel mondial.

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J'ai beaucoup aimé votre remarque : l'année du 120e anniversaire du cinéma, les frères Coen sont présidents du jury, ce qui fait référence aux frères Lumière. A priori, la fréquentation des premiers vaut celle des seconds !

Pour l'affiche du festival cette année, Ingrid Bergman, photographiée par David Seymour, succède à Marcello Mastroianni…

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Thierry Frémaux, délégué général du Festival de Cannes

Nous avons commencé il y a quelques années un cycle d'affiches du festival liées à la photographie. Sans doute vous souvenez-vous de Faye Dunaway et de ses belles jambes, photographiées par Jerry Schatzberg. L'année dernière, c'était Marcello Mastroianni, jouant de ses lunettes noires. Cette année, c'est en effet Ingrid Bergman, qui est née il y a cent ans – le cinéma est un art qui regarde beaucoup vers le passé. Nous célébrerons cet anniversaire en projetant un documentaire et en invitant sa fille, Isabella Rossellini.

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Pierre Lescure, président du Festival de Cannes

Dans de nombreux films où elle a joué, Ingrid Bergman avait conscience, on le sentait, de la fragilité de toute chose, y compris de ses amours. Elle se tendait vers Gary Cooper ou vers les clochers qui allaient sonner soit le tocsin, soit l'amour. Sur cette photographie de vacances, témoin d'un bonheur familial et personnel, elle montre au contraire un sourire à la fois charmeur, naturel et éternel. Thierry Frémaux et moi avons trouvé que cette affiche, avec cette photographie, ce graphisme et cette couleur blanche qui embrasse le tout, dégageait une fraîcheur bienvenue l'année où nous célébrons les 120 ans du cinéma.

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J'aurais bien aimé partir en vacances avec Ingrid Bergman !

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Pierre Lescure, président du Festival de Cannes

Il y a une nouvelle génération qui ne demande que cela, cher ami !

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Merci infiniment, monsieur le président, monsieur le délégué général, pour ces propos liminaires aussi passionnants que concis, qui me permettent de donner la parole sans plus attendre aux membres de la Commission qui sont nombreux à vouloir vous interroger.

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Je pense me faire le porte-parole d'un grand nombre de mes collègues, en particulier du groupe Socialiste, républicain et citoyen, en vous disant que c'est un véritable plaisir de vous accueillir dans notre Commission, messieurs, quelques semaines avant le début de la 68e édition du Festival de Cannes. Il s'agira de la première édition depuis que vous êtes devenu, cher Pierre Lescure, le président du conseil d'administration de l'un des événements culturels les plus importants de notre pays, voire du monde.

Permettez-moi de rappeler, en quelques mots, l'histoire de ce festival que vous représentez tous les deux aujourd'hui. Elle est liée non seulement à l'histoire du cinéma mondial, depuis des décennies, mais aussi – je ne peux résister au plaisir de le rappeler – à l'histoire politique de notre pays : ce grand festival de cinéma a d'abord été voulu par le Front Populaire et son ministre de l'éducation nationale et des beaux-arts, Jean Zay. On ne mesure pas toujours toutes les implications de l'héritage du Front populaire !

En débutant ainsi, l'histoire de ce festival ne pouvait être que singulière et féconde. Félicitons-nous que ce projet d'un grand festival indépendant ait dépassé les espérances de ceux qui l'avaient imaginé. Année après année, le Festival de Cannes accompagne et dévoile le cinéma du monde, dans sa diversité, sa complexité, sa capacité à captiver et à émerveiller les spectateurs.

Le festival enregistre d'abord un succès en termes d'image, tant son importance est mondialement reconnue, tant sa renommée ne s'est jamais démentie depuis les années 1960. Mais ce succès se mesure aussi en chiffres : des milliers de films découverts, plus de 30 000 accréditations en 2014, un marché du film florissant. Lors de la dernière édition, 116 pays étaient représentés, et la très grande majorité des films en compétition ont été projetés en avant-première ! Ainsi que vous l'avez rappelé, le Festival de Cannes est aussi une réussite économique.

Je n'ose parler de son bilan artistique, d'abord parce qu'il est immense, ensuite parce que cette édition voit Gilles Jacob prendre du recul. Délégué général dès 1978, puis président à partir de 2001, il a marqué le festival de son empreinte. Je pense que vous ne me contredirez pas, monsieur Frémaux.

Mais l'heure n'est pas aux bilans : c'est l'avenir qui nous préoccupe. Le tandem que vous formez, messieurs, a pour tâche de conforter et de poursuivre la mission de rayonnement culturel qui est celle du Festival de Cannes. Je ne vous demanderai pas d'indice concernant la prochaine sélection, car j'ai bien compris que nous n'en obtiendrions pas !

Plus sérieusement, de quelle manière ce festival prendra-t-il en compte, dans son fonctionnement, dans sa communication et dans son action, les mutations profondes que le cinéma subit ou accompagne à l'ère du numérique ? Je sais que ces questions vous sont familières, monsieur Lescure. Compte tenu de la position unique qu'occupe le festival dans le cinéma français et mondial, ne peut-il pas ouvrir des pistes, montrer la voie d'une évolution harmonieuse du cinéma face à ces nouveaux outils et à ces nouveaux usages ? Peut-être, de votre point de vue, le fait-il d'ailleurs déjà.

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Nous sommes très heureux, cher Pierre Lescure, cher Thierry Frémaux, de vous accueillir dans notre Commission. Dans quelques semaines s'ouvrira la première édition organisée sous votre présidence, monsieur Lescure. Nous ne doutons pas que vous rencontrerez tout le succès que vous méritez. Nous apprécions beaucoup, monsieur Frémaux, votre disponibilité chaque fois que nous souhaitons vous rencontrer, non seulement dans le cadre de notre Commission, mais aussi au titre du groupe d'études – très actif – sur le cinéma et la production audiovisuelle, que je copréside avec Marcel Rogemont. Nous vous sommes aussi très reconnaissants de tout ce que vous faites pour le cinéma, pour la ville de Lyon et pour le Festival de Cannes.

La question du cinéma nous rassemble tous à l'Assemblée, ce qui n'est pas si fréquent, même sur les sujets culturels. C'est un domaine dans lequel nous agissons en commun, au-delà des clivages politiques. Vous avez rappelé, monsieur le président, tout ce nous avons fait au cours de cette législature et des précédentes, avec des majorités différentes, pour promouvoir le cinéma, favoriser la localisation des tournages en France, faire évoluer les Sociétés de financement de l'industrie cinématographique et de l'audiovisuel (SOFICA), conforter le crédit d'impôt, etc. Je rappelle que la loi de 2010 relative à la numérisation des salles de cinéma, dont j'ai eu l'honneur d'être l'auteur et le rapporteur, a été adoptée par l'Assemblée nationale sans aucune opposition. Les professionnels, tant les distributeurs que les exploitants, ont souligné l'intérêt et la qualité du dispositif mis en place, qui a donné des résultats : la France est l'un des rares pays au monde où les salles de cinéma ont été presque toutes numérisées dans un délai extrêmement bref, ce qui n'était pas acquis au départ.

Nous sommes très attachés à la vitalité du cinéma pour plusieurs raisons. D'abord, parce qu'il représente souvent le premier accès à la culture, à la création et à l'art, notamment pour les jeunes issus de quartiers difficiles ou défavorisés. Nous en sommes conscients sur tous les bancs, en particulier sur ceux de l'UMP. Ensuite, parce qu'il s'agit d'un secteur très important de nos industries culturelles, ainsi que vous l'avez rappelé. Certains oublient parfois que la culture est aussi une industrie. Enfin, parce qu'il constitue un élément de l'image de la France et de l'attractivité de notre territoire, du point de vue non seulement culturel, mais aussi touristique, avec cet aspect de la Côte d'Azur et de la Croisette que l'on qualifie parfois de « glamour » ou de « paillettes », mais qui contribue à forger l'identité de notre pays.

Outre le festival lui-même et le marché du film, mentionnons la Semaine de la critique, qui est l'occasion de mettre en avant des courts et des moyens métrages, et qui aide les jeunes talents à se faire connaître. Elle fait souvent partie des premières étapes de la carrière d'un cinéaste : Ken Loach, Wong Kar-wai, Jacques Audiard, Bertrand Bonello, François Ozon et tant d'autres y ont fait leurs débuts.

Nous partageons l'amour du cinéma, à l'Assemblée nationale et au-delà. Je tiens à souligner l'initiative très importante que vous avez prise cette année, avec le nouveau programme Women in Motion, qui vise à mettre en avant la contribution des femmes au septième art, non seulement en célébrant leur talent, mais aussi en faisant évoluer la réflexion sur leur rôle dans l'industrie du cinéma et, peut-être aussi, sur la représentation de la femme au cinéma. Pouvez-vous nous donner quelques précisions sur ce programme ?

Quels sont les critères de la bonne santé du festival, dont vous avez parlé ? Quels sont les ingrédients qui permettent de dire qu'une édition est réussie par rapport à une autre ?

Vous avez évoqué le cinéma italien. Nous avons tous en mémoire et dans nos coeurs les magnifiques films qu'il a produits. Dans quelques jours d'ailleurs s'ouvrira à la Cinémathèque française une exposition sur Michelangelo Antonioni. Or le cinéma italien n'a plus la même vitalité ni la même diversité que par le passé. Si le cinéma français a pu résister à tout depuis 1945, notamment à l'invasion des télévisions commerciales, c'est sans doute grâce à notre modèle spécifique de financement, avec tous les dispositifs de soutien que nous connaissons. C'est aussi à cet élément de l'excellence française que nous sommes attachés en tant que représentants de la Nation.

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À l'instar de mes collègues, je suis enchantée d'avoir aujourd'hui l'occasion d'échanger à propos du Festival de Cannes. Je tiens, moi aussi, à rappeler qu'il a été fondé à l'initiative du ministre Jean Zay. Nombreux sont ceux qui, comme moi et comme ma collègue Valérie Corre, députée du Loiret, sont conscients de l'importance de cet homme, et pas seulement pour le Festival de Cannes. En trois ans, entre 1936 et 1939, le Front populaire a été capable de faire de nombreuses et de grandes choses. Cette action menée en un temps record prouve que le temps de la politique n'est pas nécessairement un temps long ! Certains ont surnommé Jean Zay « le ministre de l'intelligence », notion que nous devrions tous avoir en tête. Il avait compris que la culture et l'instruction passaient aussi par les loisirs : c'est notamment grâce aux congés payés créés par le Front populaire que les Français ont pu aller au cinéma. Sans loisirs et sans temps libre, il n'y aurait pas d'industrie du cinéma ; en tout cas, elle ne serait pas aussi bien portante qu'elle l'est aujourd'hui.

De très nombreux Français s'intéressent au Festival de Cannes. Néanmoins, celui-ci reste avant tout un événement professionnel, avec son marché du film, ainsi que vous l'avez rappelé. Il est d'autant plus intéressant pour nous de vous revoir, monsieur Lescure, que vous êtes l'auteur du rapport sur l'acte II de l'exception culturelle, qui nous avait tous beaucoup occupés en 2013. Dans deux mois, nous célébrerons donc non seulement les soixante-huit ans du Festival de Cannes, mais aussi les deux ans de votre rapport.

Cependant, en deux ans, malgré vos recommandations, le cadre législatif relatif au cinéma n'a que peu évolué. Vous aviez suggéré d'assouplir la chronologie des médias, notamment en avançant la fenêtre de la vidéo à la demande. Que pensez-vous de l'absence de réforme à ce sujet ? Pour rendre l'offre légale payante plus abordable, vous aviez proposé de diminuer la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) sur les biens culturels numériques, en étendant à ces derniers le taux réduit appliqué aux produits culturels classiques. Or la France vient d'être condamnée par la Cour de justice de l'Union européenne pour avoir instauré un taux réduit de TVA sur les livres numériques. Que pensez-vous de l'idée de limiter l'application de la TVA à taux réduit aux films proposés dans un format sans mesures techniques de protection, dites DRM – digital rights management ? De la même manière que pour les livres numériques, cela permettrait de distinguer les vrais films achetés des films verrouillés par un tel système de protection, qui ne sont que des services numériques limités. Vous aviez d'ailleurs vous-même préconisé, dans votre rapport, de mieux encadrer le recours aux DRM, qui bloquent la reproduction des oeuvres.

Vos recommandations en faveur du développement du numérique sont largement reprises dans le rapport récemment remis par l'eurodéputée Julia Reda. Je signale à votre attention, monsieur le président, que celle-ci sera auditionnée demain par la commission de la Culture du Sénat. Il existe de nombreuses propositions convergentes entre le rapport Reda et le vôtre, monsieur Lescure : renforcer la protection du domaine public et favoriser la réutilisation des oeuvres qui en relèvent ; sécuriser juridiquement les pratiques créatives liées au numérique, notamment le mashup – cher à la ministre de la culture Fleur Pellerin –, en proposant un système d'exceptions plus souple ; harmoniser les exceptions au droit d'auteur entre les États membres ; soumettre l'usage des mesures techniques de protection à une obligation de transparence et d'interopérabilité. Nous aimerions donc connaître l'avis du président du Festival de Cannes sur les évolutions réglementaires proposées par le rapport Reda.

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Je rappelle que nous avons invité Pierre Lescure et Thierry Frémaux pour évoquer le Festival de Cannes. Ils ne sont donc pas tenus de répondre aux questions qui ne portent pas sur ce thème. Nous avions d'ailleurs déjà auditionné Pierre Lescure il y a deux ans lorsqu'il avait remis son rapport sur l'acte II de l'exception culturelle. Si le bureau de la Commission le souhaite, nous pourrons l'auditionner à nouveau pour qu'il dresse un bilan des suites qui auront été données à ce rapport.

Par ailleurs, j'ai bien noté que la commission de la Culture du Sénat va auditionner Mme Reda. Mais, compte tenu de ce que je sais des conditions de cette audition, je préfère que les choses se passent autrement à l'Assemblée nationale.

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Pour la France, le cinéma est bien plus qu'un élément fondamental de sa vie artistique : c'est l'expression de sa singularité culturelle. Depuis les frères Lumière, la France entretient un rapport unique avec le cinéma, qu'elle perçoit comme un art avant même de l'envisager comme une industrie. En tant que député et élu de la Côte d'Azur, je ne peux que me réjouir que notre commission vous accueille aujourd'hui, messieurs, vous qui oeuvrez à faire vivre le Festival de Cannes, dont le rayonnement international est indispensable au dynamisme de la création cinématographique en France.

En 2012, le cinéma français a vécu une année exceptionnelle, avec 140 millions d'entrées, notamment grâce au succès des films Intouchables et The Artist. Toutefois, en 2014, les montants investis dans le cinéma se sont réduits de 20 % par rapport à 2013, atteignant ainsi leur niveau le plus bas depuis douze ans : 994 millions d'euros. Cette baisse s'explique avant tout par un net recul des investissements en provenance de l'étranger, ainsi que par une diminution des financements apportés par les distributeurs, qui ont pris moins de risques. Que peut faire le Festival de Cannes pour les convaincre d'investir de nouveau dans la production française ?

Après une année noire en 2013, les films français ont enregistré 111 millions d'entrées en 2014. Ils ont notamment connu un record d'audience en Chine et, pour la deuxième année consécutive, l'Asie a été la deuxième zone d'exportation du cinéma français, derrière l'Europe occidentale, mais devant l'Amérique du Nord. Selon vous, le Festival de Cannes et sa programmation peuvent-ils favoriser la pénétration de nouveaux marchés par notre cinéma, sachant que celui-ci fait déjà davantage d'entrées à l'étranger que sur notre territoire ?

Enfin, félicitons-nous de la réussite du Festival de Cannes comme événement culturel et comme label cinématographique de référence. Le festival parvient encore à créer un subtil équilibre entre le cinéma grand public et des cinémas plus confidentiels, tels que le cinéma de patrimoine. Dans le contexte budgétaire tendu que nous connaissons, pouvez-vous nous apporter des précisions sur son budget et son financement ?

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Je vous remercie, messieurs, d'avoir répondu favorablement à l'invitation de notre commission. Merci également pour vos propos liminaires. Permettez-moi d'ores et déjà de vous décerner une Palme d'or ! Nous n'avons pas tous les jours l'occasion d'échanger avec les dirigeants du Festival de Cannes et de discuter ainsi de septième art, à défaut de monter les marches ! De la 68e édition du festival, nous ne connaissons que les dates – du 13 au 24 mai –, sa programmation n'ayant pas encore été dévoilée.

À l'instar de plusieurs collègues, il m'est agréable de rappeler que c'est Jean Zay, ministre du Front populaire, qui est à l'origine de la fondation du festival. Celui-ci a acquis notoriété et reconnaissance au fil d'éditions qui ont vu défiler un grand nombre d'artistes, d'acteurs et de réalisateurs, de nationalités et de cultures très diverses. Il contribue au développement économique non seulement du cinéma, mais aussi de la région qui l'accueille. Vous avez d'ailleurs rappelé que Cannes était pleinement incluse dans la dimension festive de l'événement.

La réputation du Festival de Cannes fait venir de grands noms et profite à la diffusion du cinéma contemporain. Le festival participe également du rayonnement de la France par la qualité de sa programmation « art et essai ». De plus, il attire des jeunes intéressés par les professions du cinéma qui espèrent, eux aussi, réaliser, monter, jouer ou briller. Cependant, la famille du cinéma reste relativement fermée, et il est parfois difficile à ces jeunes de se lancer. La France dispose d'un certain nombre d'écoles de cinéma, mais encore faut-il pouvoir y accéder. Une fois cette première étape franchie, ils doivent allier talent, travail et opiniâtreté, ce qui est nécessaire, me direz-vous, dans tous les domaines. Mais comment se faire connaître et reconnaître ? Comment approcher ceux qui jouent dans la cour des grands ?

Monsieur Frémaux, vous avez déclaré à propos de Cinéfondation, l'une des actions du festival, qu'elle « présente des films de 217 écoles de cinéma dans le cadre de la sélection officielle » et qu'elle est un « observatoire sur les tendances du cinéma de demain ». Nous ne pouvons que nous en féliciter. Cinéfondation récompense en effet les meilleurs courts et longs métrages d'étudiants d'écoles du cinéma du monde entier.

Cependant, l'association du festival que vous présidez, monsieur Lescure, ne pourrait-elle pas, en plus, investir dans l'apprentissage des jeunes générations qui feront le cinéma de demain ? Serait-il farfelu d'engager, durant le festival, des échanges accrus entre des professionnels et des étudiants de cinéma ? Je pense en particulier à des systèmes de parrainage : à Zurich, par exemple, des jeunes sélectionnés passent la semaine du festival à rencontrer et à suivre des professionnels, auprès desquels ils apprennent beaucoup.

En tant que Lyonnaise, j'aimerais également vous poser quelques questions, monsieur Frémaux, à propos du Festival Lumière, qui se tient chaque année à Lyon et qui propose au grand public de découvrir ou de redécouvrir notre patrimoine cinématographique. Ce « festival historique », pour reprendre vos propos, est une belle réussite et attire toujours plus d'artistes et d'amateurs de cinéma. Les événements organisés à cette occasion – projections éclectiques, échanges avec des réalisateurs ou avec des acteurs, entre autres – ramènent la ville de Lyon à son histoire.

En attendant que vous nous dévoiliez ce que vous nous avez concocté pour la prochaine édition, j'aurais aimé savoir si les organisateurs pourraient réfléchir à un élargissement de la programmation afin de s'adresser à de nouveaux publics, notamment aux enfants – dans le cadre de l'accueil de loisirs associé à l'école (ALAE), c'est-à-dire pendant les temps périscolaires – et aux jeunes des quartiers prioritaires. Ne pensez-vous pas que ce serait une forme d'ouverture culturelle, une démocratisation de notre héritage cinématographique ?

Je terminerai, non pas par une question, mais par un encouragement à poursuivre la partie de la programmation du Festival Lumière qui mêle sport, cinéma, littérature et photographie. Cette initiative contribue au décloisonnement de la culture, démarche à laquelle j'adhère entièrement.

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Nous sommes heureux de vous recevoir, messieurs, et d'entendre parler de Cannes. Nous nous réjouissons des nombreuses références faites au passé. Comment ne pas se féliciter que l'initiateur du Festival de Cannes ait été un « ministre de l'intelligence » ? Nous attendons tous avec impatience le prochain remaniement ministériel, car nous briguons tous ce poste, qui nous laisserait même, paraît-il, du temps libre !

Mais concentrons-nous sur l'avenir. J'ai bien compris la synthèse qui a été faite entre ce qui est un des plus grands événements culturels et ce qui est en train de devenir un grand événement économique. Je vois à quel point les marchés américains et asiatiques, notamment chinois, nous intéressent. Il ne pourra pas y avoir de développement du cinéma français sans que l'activité économique qui lui est liée soit elle-même développée et revendiquée comme telle. Sans doute est-ce parce que les choses ne sont pas passées ainsi que les cinémas italien et suédois ne sont plus ce qu'ils étaient et que nous en parlons désormais avec nostalgie. Rappelons le travail qui avait été réalisé en son temps par Jack Lang, alors ministre de la Culture, pour que le cinéma garde sa place éminente. Mentionnons aussi l'action de la chaîne Canal Plus, qui a bien coopéré avec le Festival de Cannes – je fais là référence à un autre Pierre Lescure. Loin de tuer le cinéma, Canal Plus a contribué à son développement pendant une période importante.

Avez-vous, messieurs, une vision claire de l'avenir ? Comment continuer à développer Cannes pour que nous en parlions comme d'un festival d'avenir et non comme d'une manifestation pour laquelle nous commencerions déjà à éprouver un peu de nostalgie ?

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Je vous souhaite, monsieur Lescure, une bonne première édition du festival en tant que président. Je salue également votre présence, monsieur le délégué général. Je vous félicite l'un et l'autre pour la magnifique réussite de cette manifestation, dans sa double dimension, artistique et professionnelle. Elle ne se dément pas ! Un tel succès se construit et s'entretient, notamment en prévenant les dangers et l'apparition de concurrents. Vous avez à peine évoqué les festivals de Venise, de Berlin ou de Toronto. Sont-ils donc définitivement distancés par Cannes ?

Monsieur Lescure, vous avez évoqué le groupe chinois Wanda, qui a fait fortune dans l'immobilier et se tourne aujourd'hui vers le divertissement et le cinéma. Il a déjà construit une « Cinecittà à la chinoise » et souhaite créer un festival. Vous avez intelligemment pris des contacts avec ce groupe. Représente-t-il un réel danger ? Envisagez-vous d'éventuelles collaborations avec lui ?

On pressent que la place du cinéma français sera importante lors de cette 68e édition, peut-être à la cérémonie d'ouverture, en tout cas dans la sélection. Notre cinéma se porte bien : un peu plus de 200 films français ont été produits en 2014. Cependant, les aides régionales en matière de cinéma ont chuté de près d'un quart. Que vous inspire ce désengagement des collectivités territoriales ?

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Vous avez présenté, messieurs, avec votre talent naturel, le festival dans ses dimensions artistique et économique. Il s'agit d'une manifestation importante : un budget de 20 millions d'euros, plus de mille longs métrages inscrits, de nombreux courts métrages.

Le festival a évolué, notamment en matière de promotion et de soutien à l'activité cinématographique. Gilda Hobert a évoqué Cinéfondation. On pourrait aussi parler de la Résidence et de l'Atelier. Allez-vous proposer de nouvelles initiatives dans ce domaine ? Si oui, lesquelles ?

Vous avez rappelé, monsieur Frémaux, que le business n'était plus clandestin à Cannes. Tant mieux, car il faut de l'argent pour faire des films ! Quelles initiatives comptez-vous proposer pour promouvoir cette activité économique ? Plusieurs rapports successifs ont montré que l'exportation de notre production cinématographique et audiovisuelle restait insuffisante au regard de l'investissement public en faveur du cinéma. Comment envisagez-vous d'accompagner les nécessaires évolutions en la matière ?

Le nombre de festivals de cinéma s'accroît. Quelles réflexions cela vous inspire-t-il concernant l'évolution du Festival de Cannes ? Y a-t-il une concurrence ou des complémentarités avec les festivals de Berlin, de Venise et de Toronto, voire avec les festivals chinois ? Quel regard portez-vous sur les ambitions du groupe immobilier Wanda ?

Fréquentant assez régulièrement le festival, j'ai remarqué que le tapis rouge était de plus en plus encombré. La montée des marches, moment pourtant emblématique du festival, en a perdu un peu de son lustre. Or le décorum et la forme sont importants pour l'image de la manifestation. Peut-être y a-t-il là quelque chose à revoir en termes d'organisation ?

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Je vous remercie de votre présence, messieurs. Vous avez indiqué, monsieur Frémaux, que le festival avait un pied dans le passé et l'autre dans l'avenir. Cela contribue sans doute à son maintien au premier rang des manifestations culturelles. Mais que reste-t-il aujourd'hui de la première édition du festival ?

Comment la sélection officielle est-elle effectuée ? Par qui ? Quelles difficultés rencontrez-vous, le cas échéant, dans ce travail ?

Pouvez-vous décrire plus précisément la structure qui organise le festival et son fonctionnement tout au long de l'année ?

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Monsieur Lescure, votre curriculum vitae est impressionnant et vous avez plusieurs casquettes : vous êtes même devenu, l'année dernière, membre du conseil d'administration du club de football de l'AJ Auxerre. Comment arrivez-vous à mener de front toutes ces activités ?

Les techniciens et fournisseurs qui ont travaillé pour le film Dominion de Steven Bernstein – qui raconte les derniers jours du poète gallois Dylan Thomas à New York – n'ont, semble-t-il, toujours pas été payés par les producteurs. Ils vous ont écrit pour demander que ce film ne participe pas à la compétition, « par solidarité » et « pour l'image de marque de votre festival légendaire ». Quelle sera votre décision ?

À l'initiative de la ministre de la Culture et de la communication de l'époque se sont réunies, en janvier 2013, les premières Assises pour la diversité du cinéma français. Elles ont fait le constat de difficultés importantes, rencontrées notamment par les réalisateurs de films dits « de la diversité » – films d'auteur, premiers et deuxièmes films – qui ont souvent du mal à trouver des producteurs et des diffuseurs. Deux ans après, ces assises ont-elles eu, selon vous, un impact positif ? Plus largement, comment la création cinématographique se porte-t-elle aujourd'hui ?

Malgré les difficultés économiques ambiantes, le Festival de Cannes ne semble pas connaître la crise : avec près de 1 milliard de dollars de chiffre d'affaires en 2012 et plus de 10 000 participants en provenance d'une centaine de pays, son marché du film est aujourd'hui le plus grand au monde. Néanmoins, il semblerait que certains projets de films attendus pour Cannes aient été abandonnés en raison de restrictions économiques et budgétaires. Que pouvez-vous nous dire à ce sujet ? Avez-vous des exemples de projets abandonnés qui vous auraient particulièrement marqués ?

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Monsieur Lescure, vous avez dit joliment tout à l'heure que vous aviez un « rôle à écrire » en tant que président. Pourriez-vous nous donner les grandes lignes de ce rôle ?

Monsieur Frémaux, je reprends à mon compte la question que vous a posée Michel Herbillon – non que j'eusse souhaité partir en vacances avec Ingrid Bergman ! – à propos du programme Women in Motion. Vous avez récemment déclaré à ce sujet : « La contribution des femmes à l'industrie du cinéma, que ce soit à l'écran ou derrière la caméra, est essentielle et précieuse. Les échanges seront également une occasion unique pour la profession de faire progresser la réflexion sur l'évolution nécessaire de la représentation des femmes et de leurs récits au sein de l'industrie du cinéma. » Pourriez-vous détailler la genèse de cette initiative et décrire le contenu du programme ? Concerne-t-elle uniquement cette 68e édition du festival ou bien sera-t-elle reconduite, voire pérennisée les années suivantes ?

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Je vous remercie de votre présence, messieurs. Quand on évoque le Festival de Cannes, il est inutile de préciser qu'il s'agit de cinéma : tout le monde sait de quoi on parle, dans le monde entier. Le monde du cinéma fait d'ailleurs tout pour être accueilli à Cannes. Au-delà des films, ce festival représente la création, l'exigence culturelle, la volonté d'offrir la culture à tous et partout – c'est une élue du monde rural, qui maintient son petit cinéma municipal, qui vous le dit ! –, la liberté d'expression et, à travers tout cela, les valeurs de la France. On ne le dit pas toujours, mais on le sent implicitement.

Néanmoins, je vous fais part de mon inquiétude : tout cela pourrait-il continuer à exister sans l'exception culturelle, qui soustrait ce domaine aux règles habituelles du marché ? Avec l'évolution des supports, notamment avec le développement – indispensable – du numérique, les produits culturels ne risquent-ils pas de devenir des produits comme les autres, avant tout commerciaux ? Comment se protéger contre une telle évolution ? Comment lutter contre les coups du boutoir de sociétés telles que Netflix ou Amazon, qui vont tout faire non pas pour supprimer immédiatement l'exception culturelle – elles n'y parviendraient pas –, mais pour la grignoter peu à peu, jusqu'à ce qu'il n'en reste plus qu'un souvenir ?

Il y a deux ans, des tribunes décapantes publiées dans Le Monde ont dénoncé le montant des cachets de certains acteurs qui jouent dans des films subventionnés. Cette question est-elle toujours d'actualité en 2015 ?

Existe-t-il des critères d'attribution – par exemple, la création, le jeune cinéma, la nouveauté – pour les subventions en matière cinématographique ? Il faut faire en sorte qu'il y ait toujours des nouveautés présentées au Festival de Cannes.

Je vous souhaite bon vent, messieurs, pour cette 68e édition. Le festival contribue au rayonnement de la France et, partant, à son redressement.

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À l'instar de ma collègue Martine Martinel, je souhaite vous interroger sur la place des femmes dans la production cinématographique, ainsi que sur les prix et les distinctions qu'elles reçoivent à l'occasion des grands festivals internationaux tels que celui de Cannes.

De la même manière que dans bien d'autres champs du monde social, l'égalité entre les hommes et les femmes est aujourd'hui loin d'être une réalité dans le septième art. Celui-ci est un espace de distinction et de domination symbolique. Sur les plateaux de tournage, les femmes occupent souvent les fonctions de scripte, de costumière ou de maquilleuse, parfois d'assistante, mais beaucoup plus rarement de réalisatrice, même si les choses progressent. Le palmarès du Festival de Cannes est éloquent à cet égard, puisqu'à ce jour une seule femme a obtenu la Palme d'or en soixante-sept éditions : Jane Campion, cinéaste néo-zélandaise, qui a été en outre présidente du jury l'année dernière.

En 2014, les femmes représentaient 40 % des étudiants en réalisation de l'École nationale supérieure des métiers de l'image et du son (FEMIS), vivier des talents de demain. Selon vous, la représentation actuelle des femmes parmi les réalisateurs peut-elle évoluer encore ?

Lors du prochain festival, vous allez lancer une opération intitulée Women in Motion, avec notamment une sélection parallèle destinée à souligner et à récompenser la contribution des femmes au cinéma. Dès 2016, deux nouveaux prix seront attribués à l'occasion de cette forme de « festival bis ». En quoi ces prix consisteront-ils ? Ne craignez-vous pas que ce festival puisse s'apparenter à un off ? Si tel était le cas, l'objectif initial – valoriser les oeuvres produites par des femmes – risquerait de ne pas être atteint.

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Merci, messieurs, de votre présence. Que pensez-vous de l'idée de démocratiser le Festival de Cannes ? Quelle est, selon vous, la nature du rapport entre le festival et les citoyens en général ? Je pose ces questions sans parti pris.

Qu'en est-il de vos partenariats avec les écoles de cinéma ?

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Je vous remercie à mon tour, messieurs, de nous faire part de votre vision du cinéma, notamment de la création française et internationale. Le Festival de Cannes est, pour la France, une formidable vitrine, qui associe stars planétaires et films d'auteur. C'est un rêve pour de nombreuses personnes. Cependant, les films sélectionnés sont souvent perçus comme inaccessibles, et il est arrivé que les oeuvres récompensées ne soient pas des succès en salle. Bien évidemment, il faut préserver un pouvoir de création, inhérent à la France et au festival. Néanmoins, une plus grande démocratisation de la sélection ne serait-elle pas envisageable ? Le choix des frères Coen comme présidents du jury de l'édition 2015 augure-t-il d'une sélection plus populaire, sans concession quant à la qualité des films – même si, bien sûr, le jury ne participe pas directement à la sélection ? Selon vous, comment allier qualité des films et accessibilité au grand public ?

Monsieur Lescure, cette édition sera la première pour vous en tant que président du festival, fonction à laquelle vous avez été élu en janvier 2014. Quelle orientation souhaitez-vous donner à votre mandat ?

Face à la Mostra de Venise, à la Berlinale et aux nouveaux festivals chinois, comment allez-vous faire pour conserver la première place dans la compétition internationale ?

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Le Festival de Cannes est une manifestation cinématographique incontournable à l'échelle mondiale, mais aussi un événement économique qui attire un nombre toujours plus important d'annonceurs. Néanmoins, son équilibre financier n'est-il pas un peu fragile ? Compte tenu des difficultés qu'elles rencontrent, un certain nombre d'entreprises peuvent être amenées à couper dans leurs budgets, en premier lieu, hélas, dans ceux qui concernent la culture. Ne craignez-vous pas que le festival soit, un jour, confronté à une insuffisance budgétaire en raison du désengagement marqué de partenaires publics ou privés ?

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Thierry Frémaux, délégué général du Festival de Cannes

Mesdames, messieurs les députés, vous seriez impressionnés de monter les marches à Cannes. Nous le sommes de nous exprimer devant vous aujourd'hui et de répondre à vos questions très sérieuses, lesquelles rejoignent en grande partie celles que nous nous posons nous-mêmes.

Commençons par la concurrence. Le Festival de Cannes est né en 1939, en réaction à celui de Venise, mais sa première édition, qui devait être présidée par Louis Lumière, n'a pas eu lieu. Le Festival de Locarno a également été créé à cette période, juste après la guerre. À l'époque, le modèle, c'était une ville petite ou moyenne avec une pièce d'eau : une lagune, une mer, un lac. Aujourd'hui, ce sont des grandes villes qui accueillent des festivals : Toronto, Berlin, Tokyo ou encore Pusan, en Corée du Sud, qui est devenu le festival le plus important d'Asie. Ces villes disposent d'installations qui permettent d'accueillir du public, mais aussi d'une démographie qui contribue à entretenir et à développer la manifestation. Vous avez mentionné, madame Hobert, le Festival Lumière à Lyon. Notre expérience à Lyon est différente de celle que nous avons à Cannes : Lyon est une grande ville, et son festival doit, de fait, se développer en direction des publics.

J'en viens à la question de la démocratisation du Festival de Cannes. Il est vrai que c'est un festival pour les professionnels. Néanmoins, des milliers de billets d'entrée sont distribués chaque jour par la mairie, mais aussi par nos propres instances, à des spectateurs qui ne sont pas des professionnels et ne disposent pas d'accréditation. L'association Cannes Cinéphiles regroupe tous ceux qui, en France, souhaitent assister au festival. Je prends toujours grand soin d'aller leur présenter le programme, afin qu'ils puissent vivre le festival dans les meilleures conditions.

En outre, nous envisageons d'« essaimer » le festival dans les cinémas de la grande baie cannoise et de l'arrière-pays. L'idée est de profiter de la présence des équipes de films, en particulier des jeunes cinéastes, pour leur demander de présenter leurs oeuvres dans ces salles, comme cela se fait partout en France. Cela étant, son statut de plus grand festival du monde empêche parfois Cannes de se comporter « normalement », si je puis dire : les équipes cherchent à optimiser leur temps et à bénéficier d'une exposition médiatique et commerciale maximale. À l'heure où règnent les agents et les professionnels des relations publiques, il est de plus en plus difficile d'obtenir des créneaux dans les emplois du temps des réalisateurs et des vedettes pour qu'elles aillent à la rencontre du public. Il s'agit néanmoins d'un de nos projets d'avenir, qui vise à doter le festival d'une image d'ouverture vers le public sans renoncer en rien à la réputation d'exigence et de glamour qui est la sienne. Nous agissons d'ailleurs déjà dans ce sens : nous discutons régulièrement avec les lycéens des régions Provence-Alpes-Côte d'Azur et Île-de-France, avec lesquelles nous avons passé des accords.

On a le sentiment, avez-vous dit, monsieur Rogemont, que le tapis rouge est un peu sur-occupé. Pierre Lescure et moi allons prendre une mesure dès cette année : même si nous ne disposons pas de pouvoirs de police, nous allons faire en sorte de restreindre, sinon d'interdire la pratique horrible des selfies. Aujourd'hui, il n'y a plus une seule montée des marches sans que les gens s'auto-photographient ou s'auto-filment, et ces arrêts soudains sont source d'une formidable désorganisation.

D'une manière générale, nous tenons beaucoup à ce que Cannes devienne un festival toujours plus chaleureux, généreux et ouvert, tout en conservant l'image d'excellence et de rigueur qui fait sa marque.

Nous sommes tout à fait d'accord pour que le festival serve la cause des femmes, en particulier celle de leur présence dans le monde du cinéma – c'est peut-être même une de ses missions. Il y a trois ans, le festival a été stigmatisé assez violemment parce qu'aucun long métrage réalisé par une femme n'avait été retenu parmi les films en compétition, ce qui était en effet injuste. L'année suivante, pour la première fois, quatre femmes réalisatrices étaient présentes en compétition. Selon une étude de l'Organisation des Nations unies pour l'éducation, la science et la culture (UNESCO), il y aurait 7 % de femmes parmi les réalisateurs de cinéma à l'échelle mondiale. Or, l'année dernière, 23 % des films de la sélection avaient été réalisés par des femmes.

De plus, nous respectons la parité chaque fois que nous le pouvons : le président mis à part, le jury des films en compétition est toujours composé de quatre hommes et de quatre femmes ; sur les quatre présidences de jury du festival, deux reviennent à des femmes. Ainsi, cette année, le jury des films en compétition étant présidé par les frères Coen et celui de la Cinéfondation et des courts métrages par Abderrahmane Sissako, les deux autres jurys – celui de la section « Un Certain Regard » et celui de la Caméra d'or – seront présidés par des femmes.

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Thierry Frémaux, délégué général du Festival de Cannes

Non, mais parmi les frères célèbres du cinéma, il y a les frères Wachowski, dont l'un est devenu une femme.

La FEMIS s'efforce, elle aussi, d'établir une stricte parité. Elle pourrait d'ailleurs le faire de manière réglementaire. Quant au festival, il n'est, dans ce domaine comme dans d'autres, que le reflet de l'état du cinéma : si une seule femme a reçu la Palme d'or en soixante-sept éditions, cela tient à une présence moins forte des femmes que des hommes parmi les réalisateurs. Et, s'il faut s'en prendre à quelqu'un, c'est au jury de chaque édition !

Nous accueillons bien volontiers l'ensemble des critiques et des questions qui nous sont adressées – y compris lorsqu'elles le sont de manière un peu désobligeante – concernant la parité ou le développement durable. Par exemple, on nous a reproché le gaspillage que représentait le changement du tapis rouge après chaque montée des marches. Pourtant, un restaurant change bien les nappes et les serviettes après chaque repas ! Il va de soi que les équipes et les spectateurs doivent fouler le tapis rouge dans les meilleures conditions possibles. Cela étant, le tapis est conçu en matière recyclable et il est réutilisé pour fabriquer des housses de fauteuils de cinéma. De la même manière, nous avons décidé de ne plus recourir au groupe électrogène qui fonctionnait pratiquement en permanence pendant les douze jours du festival afin qu'aucune projection de film ne soit jamais coupée. Conformément aux évolutions en cours, nous adoptons chaque fois que nous le pouvons des pratiques sérieuses et responsables en matière de développement durable.

Dans le cadre de la sélection, nous nous efforçons aussi de mettre en valeur un certain nombre de valeurs qui nous sont communes. Cependant, si l'on veut que Cannes reste Cannes, il y a des règles qu'on ne peut pas toujours observer. Ainsi, lorsque Léonardo DiCaprio, qui est très impliqué sur les questions environnementales, était venu présenter un film à ce sujet lors du festival, un journaliste lui avait demandé comment il était venu des États-Unis. « En train ! », avait-il répondu.

En ce qui concerne l'avenir, l'essentiel n'est pas d'arriver au sommet, mais de s'y maintenir. L'affirmer n'est pas faire injure à nos collègues de Venise, de Toronto, de Locarno ou de Berlin : ils sont convaincus, eux aussi, que Cannes est au sommet. Il existe d'ailleurs une très bonne entente entre l'ensemble des responsables des grands festivals internationaux de cinéma.

Le Festival de Venise se porte aujourd'hui un peu mieux – notamment grâce à son formidable directeur artistique, Alberto Barbera – après avoir connu ce qui a été perçu comme un déclin. Il a souffert d'une certaine désorganisation, y compris en matière budgétaire, à tel point qu'il n'a pas pu avoir lieu certaines années. Son mode de management était bien trop trépidant : en contraste avec la permanence dont j'ai parlé à propos de Cannes, le Festival de Venise changeait de président ou de directeur pratiquement tous les trois ans. Quant au Festival de Toronto, il s'agit d'une grande manifestation, mais d'une nature différente de celle de Cannes : c'est un festival pour le public et pour le continent nord-américain.

Pour en revenir à la question de la démocratisation, Cannes n'est en effet pas le festival des films qui marchent le mieux. Mais, ainsi que le disait le très regretté Daniel Toscan du Plantier : « Si on savait à l'avance qu'un film va marcher ou non, on ne produirait que les films qui marchent ! » Le festival a pour rôle de valoriser l'art cinématographique. Néanmoins, à un moment donné, il menaçait peut-être de tomber du côté où il penchait : celui d'un cinéma d'auteur trop ou exclusivement radical. Gilles Jacob en avait conscience lorsqu'il m'a appelé à ses côtés, et il a fallu notamment, je l'ai dit, faire revenir Hollywood.

Depuis une dizaine d'années, il y a une certaine coïncidence entre les films français sélectionnés à Cannes et ceux qui sont récompensés aux César. Ainsi, le cinéma qui rencontre le succès auprès des Français est celui qui a été consacré à Cannes plusieurs mois auparavant. Ce n'est pas le fruit du hasard : nous souhaitons que tous les cinémas aient leur place au festival, même si celui-ci doit continuer à s'adresser aux professionnels et à mettre en valeur les nouvelles formes visuelles et la création, y compris dans le domaine du numérique. On ne s'étonne plus aujourd'hui de voir des acteurs populaires fouler le tapis rouge : l'année dernière, Christian Clavier est venu avec Guy Verrechia, président de l'Union générale cinématographique (UGC), célébrer les 5 premiers millions de spectateurs de Qu'est-ce qu'on a fait au bon Dieu ? ; de même, Dany Boon était présent il y a quelques années pour fêter le succès de Bienvenue chez les Ch'tis.

Nous aimons tous les cinémas. Pierre Lescure partage à cet égard la même conviction que moi, ce qui explique sans doute pourquoi sa nomination a rassuré les milieux professionnels. Nous avons sinon les mêmes goûts, du moins la même approche généreuse : nous tenons à mettre Cannes au service non pas d'un seul cinéma ou d'une seule vision du cinéma, mais de tous les cinémas.

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Pierre Lescure, président du Festival de Cannes

Depuis de nombreuses années, et plus particulièrement dans la période récente, j'ai été moi aussi frappé de constater que l'on retrouve dans le palmarès non seulement des Césars, mais aussi des Oscars, une majorité de films sélectionnés par Thierry Frémaux et son équipe pour l'édition précédente du Festival de Cannes. C'est un critère extraordinaire et objectif de notre volonté d'allier qualité et diversité, de trouver un équilibre entre les grands noms – ceux qu'ont dit être « abonnés » à Cannes – et les nouveaux venus. C'est l'un des atouts maîtres pour que Cannes demeure un festival hors pair.

Les autres festivals internationaux de cinéma se sont développés dans des grandes villes : ceux de Berlin et de Toronto, mais aussi celui de Lyon, si vivant et généreux, avec sa ligne éditoriale particulière. Quant au Festival de Cannes, il restera toujours démocratique et populaire, mais avec ce caractère particulier qui tient à la Croisette et à ses palaces. Il faut maintenir cette spécificité. Nous devons surveiller cela comme le lait sur le feu.

Plusieurs d'entre vous ont évoqué un point important : la France est sans doute le seul pays au monde où le cinéma peut être débattu politiquement et où les grandes questions relatives au cinéma – qu'elles soient structurelles, économiques ou réglementaires – ont toujours fait l'objet d'un accord sinon unanime, du moins très large entre les parlementaires des grands groupes politiques, quelles que soient les majorités. Ne cherchez pas ailleurs la raison pour laquelle le cinéma français demeure un cinéma majeur – le deuxième au monde, si l'on met à part le cinéma indien et ses spécificités –, malgré la dimension et la population moyennes de notre pays, les difficultés économiques et les révolutions technologiques. C'est grâce à votre unanimité et à votre engagement commun que nous avons maintenu en France un équilibre entre la volonté de voir le cinéma se développer et la réglementation qui préserve son modèle économique particulier, en tenant compte des intérêts des différentes parties prenantes – professionnels du cinéma, chaînes de télévision, régions, autres financeurs privés – et des goûts du public. Le Festival de Cannes est aussi le reflet de cette particularité française dont nous devons et dont vous devez être fiers, car la représentation nationale s'est toujours beaucoup impliquée dans la vie du cinéma.

Il ne faut pas non plus chercher ailleurs, a contrario, la raison de la chute de certains cinémas que nous adorions, en particulier du cinéma italien. Tel est le bilan de M. Berlusconi, qui n'a pas voulu réglementer la diffusion des films à la télévision. Quand Canal Plus a souhaité s'implanter en Italie, plus de 2 000 films par jour étaient déjà accessibles gratuitement dans l'ensemble de la péninsule. Les salles de cinéma sont mortes de l'ineptie de cette situation. En Espagne, la modification du taux de TVA et la suppression d'un certain nombre d'aides ont conduit à un effondrement du secteur. Invité par une commission de cinéastes espagnols, j'ai assisté à une scène extraordinaire : une copieuse engueulade – passez-moi l'expression – entre deux membres du Gouvernement de Mariano Rajoy. Le secrétaire d'État à la culture expliquait qu'il fallait absolument maintenir les aides, à quoi son collègue des finances répondait que la moindre quantité de bons films espagnols tenait à la piètre qualité des cinéastes. Le débat était un peu fruste !

Je souhaite dire quelques mots au sujet des propositions formulées dans le rapport sur l'acte II de l'exception culturelle, que j'avais présenté il y a quelques temps déjà devant votre Commission. Il y a deux ans, lorsque j'ai affirmé, avec toute l'équipe qui avait travaillé à ce rapport, qu'il fallait développer la vidéo à la demande avec abonnement (VàDA), mes anciens collègues de Canal Plus et le patron de TF1 m'ont caressé la tête comme à un enfant sage, en me répondant : « Vous savez, la VàDA, ça n'a pas de modèle économique ». Un an plus tard, tout le monde a poussé des cris d'orfraie en voyant arriver Netflix. Certes, la pénétration de Netflix en France n'est pas la même que dans d'autres pays, et cela tient à la réglementation française en matière de chronologie des médias, ainsi qu'à un certain nombre de mécanismes que vous avez mis en place, mesdames, messieurs les députés, en légiférant à la suite de négociations avec le monde du cinéma. Il n'empêche que nous devrons prendre en compte le développement de la VàDA, ainsi que d'autres évolutions des usages.

Des nombreuses conversations que j'ai pu avoir avec Gilles Jacob et que j'ai aujourd'hui avec Thierry Frémaux, je retiens qu'il faut être attentif aux évolutions technologiques et aux nouvelles formes de création – que ce soit avec un smartphone ou avec d'autres moyens modernes –, mais qu'il faut, dans le même temps, préserver un équilibre entre « Cannes, vitrine de la technologie » et « Cannes, défenseur de ce qui fait un film et sa spécificité », à plus forte raison l'année où nous célébrons les 120 ans de l'invention du cinéma par les frères Lumière.

Il est très intéressant d'observer ce qui se passe au niveau international : les Chinois cherchent à changer l'économie mondiale en créant deux banques d'un coup et menacent ainsi la suprématie américaine, ce qui a des aspects à la fois amusants et inquiétants. Cela dit, ils construisent – notamment par l'intermédiaire du groupe Wanda – un très grand nombre de salles de cinéma, ce qui montre qu'ils croient à cette vérité première : un film existe d'abord dans une salle.

D'autres développements m'inquiètent davantage aujourd'hui, notamment le fait que les questions relatives au droit d'auteur soient, au niveau européen, entre les mains d'une personne issue du Parti pirate. La question sera abordée à Cannes, car les professionnels du cinéma et les organismes qui défendent la création vont se mobiliser, la Société des auteurs et compositeurs dramatiques (SACD) au premier chef. Certes, on peut faire évoluer les choses, et il faut être attentif aux nouveaux modes de consommation, au mashup et à tout ce que les nouvelles technologies peuvent amener en termes de liberté de création. Cependant, si nous bouleversions les règles du droit d'auteur, nous nous exposerions à des risques majeurs.

Nous devons être conscients du prestige du Festival de Cannes, mais aussi de la nécessité de l'ouvrir et de nous rapprocher encore du public. En tant que président, je m'attacherai à développer le festival dans cette direction, en travaillant main dans la main avec Thierry Frémaux, de la même manière que le Paris Saint-Germain et l'Olympique lyonnais ne font qu'un lorsqu'il s'agit de défendre l'intérêt national !

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Merci beaucoup, messieurs, pour votre disponibilité et pour vos interventions passionnantes. Nous vous souhaitons une très bonne 68e édition. Nous serons bien évidemment attentifs à l'annonce de la sélection le 16 avril et à celle du palmarès le 24 mai.

La séance est levée à onze heures quinze.