Nous ouvrons aujourd'hui les travaux de la mission d'évaluation et de contrôle (MEC) sur les programmes d'investissements d'avenir (PIA) finançant la transition écologique. J'ai le plaisir de co-rapporter, avec Mme Eva Sas, cette mission qui associe les commissions du développement durable et des finances afin de faire le point sur l'utilisation des crédits du PIA dans le domaine de la protection de l'environnement. En effet, l'investissement dans l'économie verte figure parmi les priorités du rapport de novembre 2009, qui a donné naissance au premier PIA. Ce dispositif innovant traduit l'ambition largement partagée de permettre aux entreprises et aux établissements de recherche d'atteindre l'excellence dans les technologies qui réduisent notre impact sur l'environnement et qui promeuvent les énergies renouvelables. La MEC cherchera à mesurer l'état d'avancement des investissements concernés.
Madame Pappalardo, nous avons souhaité vous entendre car vous avez participé à la rédaction du rapport public thématique « Le programme d'investissements d'avenir. Une démarche exceptionnelle, des dérives à corriger » que la Cour des comptes a consacré au PIA en décembre 2015. Votre contribution sera d'autant plus précieuse que vous avez aussi exercé les fonctions de directrice générale de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME) et de commissaire générale au développement durable.
Nous avons décidé de lancer cette mission car la commission des finances a observé à plusieurs reprises que des redéploiements avaient été opérés à partir de certains programmes d'investissement, notamment les programmes Innovation pour la transition écologique et énergétique et Ville et territoires durables. À peine mis en place, ces programmes ont été amputés, par la loi de finances rectificative (PLFR) d'août 2014, respectivement de 170 et de 50 millions d'euros. Dans le deuxième PLFR, le programme Innovation pour la transition écologique et énergétique a de nouveau été ponctionné à hauteur de 100 millions d'euros. À nos questions sur la raison de ces redéploiements, l'ADEME et le commissariat général à l'investissement (CGI) ont répondu qu'ils faisaient suite à la sous-consommation des crédits. Notre mission souhaite comprendre dans quelle mesure le PIA est adapté aux besoins du secteur de la transition écologique. Comment s'explique cette sous-consommation des crédits ? S'agit-il d'un problème de temporalité ou vient-elle des modalités du PIA ? La répartition des financements entre avances remboursables et subventions convient-elle aux projets de ce secteur ? Les résultats sont-ils conformes à l'ambition de départ du PIA 2 : un engagement fort en faveur de l'écologie ? Les objectifs affichés lors du lancement du PIA ont-ils été atteints ?
La Cour des comptes a effectué un travail global sur le fonctionnement et la gouvernance du PIA – dispositif désormais vieux de cinq ans –, sans analyser spécifiquement telle ou telle dépense. Néanmoins, dans le cadre de ses contrôles, la Cour examine désormais régulièrement des opérations financées sur les crédits du PIA, qui irriguent aujourd'hui une grande partie des investissements de l'État. Nous disposons donc d'éléments susceptibles de vous aider.
Il n'est pas évident de définir les investissements qui financent la transition écologique. Globalement, il s'agit de crédits dédiés à l'énergie et aux écotechnologies, ces dernières se retrouvant dans différents secteurs. Le découpage habituel du PIA en grand programmes n'étant pas suffisamment fin, il faut regarder, programme par programme, quels investissements font partie du champ de votre investigation. Les assemblages réalisés ne rendent pas la tâche aisée : ainsi, au sein des regroupements de prêts, certains – comme les prêts verts – visent clairement la transition écologique sans être classés dans la partie relative à l'énergie ou aux écotechnologies. De plus, le PIA 2 affirme la nécessité d'introduire des critères transversaux d'éco-conditionnalité, beaucoup de programmes étant censés participer, d'une manière ou d'une autre, à la transition écologique, à travers des critères d'éco-conditionnalité pour le PIA2 notamment ; l'évaluation de la mise en oeuvre de ce critère fait donc partie intégrante du sujet.
En résumé, nous n'avons pas analysé les effets du PIA sur les filières de l'économie verte ; c'est programme par programme qu'il faut en apprécier l'évolution.
S'agissant de la stratégie du PIA en matière de transition écologique, le nouveau « modèle de développement durable » était présenté comme une des priorités du programme à la fois dans le rapport de MM. Juppé et Rocard et dans le PIA1. Le PIA 1 contient déjà des mesures importantes en matière d'énergie, d'éco et de bio-technologies. La stratégie du PIA 2, qui s'éloigne progressivement du rapport initial, paraît moins évidente : on y voit apparaître des thématiques telles que la défense, qui ne faisaient pas partie des objectifs de départ. Mais la transition écologique est bien présentée comme un enjeu important, notamment à travers les trente-quatre programmes du ministère de l'économie qui sont censés être financés à travers le PIA2. C'est également dans le cadre du PIA 2 qu'on voit apparaître le critère de l'éco-conditionnalité.
La question du redéploiement des crédits n'est pas facile à appréhender. En fonction de leur importance et de l'ampleur des changements qu'ils induisent, les redéploiements sont réalisés selon des procédures différentes, ce qui complexe la compréhension de l'ensemble. L'annexe de notre rapport répertorie toutes les informations disponibles pour tenter de dresser un tableau global des redéploiements – un travail qui nous a demandé beaucoup de temps. L'environnement fait clairement partie des thématiques les plus affectées par les redéploiements négatifs, même s'il faut regarder les choses de très près car on peut, par exemple, diminuer des crédits de l'ADEME pour les transférer à la Banque publique d'investissement (BPI), mais toujours pour financer des projets écologiques. Comme le montre le tableau p. 123 du rapport, le programme Démonstrateurs énergies renouvelables du PIA 1, le plus touché, a perdu 32 % de ses montants ; le programme Tri et valorisation des déchets en a perdu 42 %. Le tableau p. 125 montre que l'ADEME, qui porte une partie non négligeable des programmes liés à la transition écologique, est l'opérateur le plus affecté par les redéploiements négatifs.
Ces redéploiements s'expliquent par plusieurs raisons. D'abord, certains domaines – tels que les écotechnologies ou les économies d'énergie – sont relativement « neufs » ; il n'existait pas forcément dans les tiroirs de quoi répondre aux appels à projets du PIA 1. Ce n'est pas une critique, au contraire : dans d'autres domaines, les appels à projets ont été rapidement satisfaits car il y avait des projets qui dormaient dans les tiroirs… et ce ne sont pas forcément les meilleurs ! En matière de déchets notamment, la recherche n'est pas très développée ; un appel à projets dans ce domaine suscitera donc des recherches et des travaux universitaires, mais ne donnera pas immédiatement un programme à financer. Ce délai représente une vraie difficulté du secteur. De plus, le PIA finance des projets d'une certaine taille ; or une partie des sujets liés à la transition écologique – par exemple l'efficacité énergétique – n'ont pas fait l'objet de recherches à grande échelle. Les appels à projets n'y sont donc pas forcément adaptés. Ces éléments ont été pris en compte et les appels à projets du PIA 2 ont été reformatés par rapport à ceux du PIA 1. Mais pendant un certain temps, les taux de consommation des crédits sont restés faibles.
Une autre difficulté renvoie à la méthode utilisée par l'ADEME qui avait tenu, avant de lancer les appels à projets, à rédiger des feuilles de route afin de définir plus précisément, avec les différents acteurs – chercheurs et entreprises – les thématiques à aborder. Or l'élaboration de feuilles de route exige un temps de concertation ; ce délai a conduit à décaler les appels à projets qui ensuite ont été lancés avec succès. Au début, ce décalage a été relativement fort, donnant lieu à des discussions entre le CGI et l'ADEME. En effet, à la différence de l'Agence nationale de la recherche (ANR) ou de la BPI, qui peuvent lancer des AAP ouverts, sans thématiques précisent, l'ADEME met en oeuvre des politiques publiques déterminées, avec des objectifs précis. Cette volonté d'identifier des sujets ciblés correspond à la position de l'ADEME, en aval du processus, alors que l'ANR se situe plus en amont et la BPI reste éloignée de l'expertise pointue du secteur. La manière de gérer les appels à projets et les programmes diffère donc selon le type d'opérateur impliqué.
Le type d'aides – subventions, avances remboursables, prêts ou prises de participation – est un autre sujet abordé dans le rapport. La Cour des comptes, tout comme l'ADEME, reconnaît qu'il est positif de se préoccuper de la dimension financière et économique des programmes, de ne pas s'en tenir aux progrès technologiques, mais de se demander si, et de quelle façon, la nouvelle technologie a une chance d'aboutir sur le marché. Mais dans certains domaines, les entreprises ont pu être découragées par des appels à projets qui exigent une organisation complexe, avec des systèmes de retour sur investissement très lourds. Elles préfèrent alors soit trouver un autre système de financement, soit renoncer à innover. Il en va ainsi pour le bâtiment, où peu de programmes sont financés par le PIA. Avec le temps, certains éléments des contractualisations en matière de retour financier ont été simplifiés ; il faut donc regarder les choses dans la durée.
Dans le tableau p. 123, on observe également des redéploiements de crédits à la hausse, qui concernent souvent des organismes porteurs. Il en va par exemple ainsi de l'action États généraux de l'industrie – compétitivité filières industrielles. S'agit-il de redéploiements vers des frais de fonctionnement, au détriment des vrais projets ?
Les initiatives d'excellence (IDEX) ou les laboratoires d'excellence (LABEX) renvoient en effet à des structures de recherche ; mais pour le reste, il s'agit bien de programmes d'investissement. Par exemple, les crédits du PIA ne financent pas les états généraux de l'industrie, mais des projets qui en sont issus, de plateformes industrielles pour les pôles de compétitivité ou pour l'organisation des filières, qui permettront ensuite aux entreprises et aux laboratoires de conduire des programmes de recherche. Il ne s'agit donc pas de frais de fonctionnement. Certes, ces derniers devront être financés d'une manière ou d'une autre, une fois que les investissements seront faits ; mais ces financements ne sont pas prévus dans les crédits du PIA. Les redéploiements positifs et négatifs se compensent globalement, mais il faut regarder les choses dans le détail. Ainsi l'augmentation importante des crédits destinés aux LABEX s'explique par un changement dans la répartition des crédits entre les IDEX et les LABEX ; l'augmentation des financements des LABEX a donc pour pendant une diminution de ceux des IDEX, alors qu'il s'agit de dépenses de même nature.
La substitution de crédits du PIA à des crédits budgétaires concerne notamment le fonds démonstrateur de l'ADEME et le programme Véhicule du futur. L'appel à projets concernant de dernier programme ayant déjà été lancé avant le PIA, il aurait de toute façon été financé, même en l'absence du PIA ; c'est pourquoi nous le classons parmi les substitutions ou les cas de non-respect du principe d'additionnalité. De même, le fonds démonstrateur préexistait au PIA et fonctionnait grâce à un financement budgétaire classique avant d'être financé par le PIA. La substitution est ici très apparente. Quant à l'appel à projets Transports en commun, il relève davantage de la débudgétisation : il ne s'agit pas d'un problème d'additionnalité au sens où les crédits du PIA seraient venus remplacer d'autres crédits, mais de dépenses qui, selon nous, n'étaient pas censées être financées par le PIA car le projet ne correspondait pas à sa stratégie initiale. En effet, il était clairement expliqué dans le rapport de 2009 que le PIA ne devait pas financer des infrastructures. Là aussi, les appels à projets avaient été lancés bien avant le PIA et les villes et les projets avaient déjà été sélectionnés, que le PIA est alors venu financer. Certes, on peut changer la règle et décider que le PIA peut financer les infrastructures ; mais ce n'est pas actuellement le cas.
On venait de lancer le PIA, mais ce n'était peut-être pas le premier appel à projets sur ce thème.
Il y a eu trois appels à projets Transports en commun ; le troisième vient d'être lancé. La substitution par le PIA est-elle intervenue au cours du processus de financement de cette opération ou bien dès le départ ?
À ma connaissance, par la suite, les transports en commun n'ont plus été financés par le PIA ; seul cet appel à projet -, qui avait été lancé mais non financé, a bénéficié de ces crédits. Désormais, le programme Ville de demain ne finance plus ce genre de projets.
Pour siéger au comité de surveillance du PIA, j'observe que le programme finance le plan Très haut débit, qui renvoie également à des infrastructures.
En effet, certains programmes s'éloignent de plus en plus des objectifs du rapport stratégique d'origine, soit sur le type d'action financé, soit sur les thèmes sectoriels. C'est pourquoi nous suggérons, dans notre rapport, de redéfinir la stratégie.
Vous dites que le secteur étant nouveau, on manque encore d'outils adaptés et met plus de temps à susciter des projets ; mais le PIA 1 a été lancé en 2010. Ces cinq ans n'ont-ils pas permis d'adapter les outils et, du côté de la recherche et des industriels, de commencer à faire éclore ces secteurs tels que la valorisation des déchets ?
C'est ce qui se passe, progressivement. Les outils de recherche et les entreprises s'adaptent à l'outil de financement PIA et s'organisent pour en bénéficier. Mais on n'invente pas des pôles de recherche en claquant des doigts ; trouver des chercheurs et les former pour aboutir à des projets prend du temps. L'ADEME et l'ANR pourront vous décrire plus précisément la manière dont évoluent les thématiques et les réponses aux appels à projets. Je vous ai également donné d'autres explications potentielles de la sous-consommation des crédits en matière de transition écologique, renvoyant notamment à la taille des projets et aux objectifs du PIA, ce qui pose la question de l'adaptation de ce programme, tel qu'il existe aujourd'hui, à ce type de domaines.
Une question iconoclaste : ces éléments n'incitent-ils pas à mettre en place des programmes blancs dans ce domaine, qui mobiliseraient peut-être mieux la recherche et développement privés ? En effet, l'on cherche non seulement le retour sur investissement de l'argent public, mais aussi un effet de levier où un euro d'argent public générerait cinq euros d'argent privé investi. Concevoir de tels appels à projets permettrait à davantage d'entreprises d'y répondre, facilitant l'organisation de ce secteur et l'évolution des mentalités.
Il faudrait poser la question aux entreprises et aux chercheurs. Mais les programmes blancs se situent normalement plus en amont, alors que dans les domaines en question on se situe dans la phase de démonstration, voire de mise sur le marché. Je ne suis donc pas convaincue que le montant des crédits non consommés s'explique pas l'inadaptation de l'outil sur ce point. Cependant l'intérêt de votre mission est précisément d'explorer cette question. Il existe peut-être des programmes particuliers que l'on n'arrive pas à consommer à cause de la forme de l'outil, malgré les efforts entrepris depuis cinq ans pour le simplifier et l'adapter aux besoins.
Pour résumer, nous voulons comprendre s'il y a eu des redéploiements de crédits parce qu'il y avait, ailleurs, des besoins non financés considérés comme plus urgents – par exemple dans le domaine de la défense ou des nanotechnologies – ou parce que, comme vous semblez le dire, le secteur souffre d'un problème de rentabilité économique et de maturité de la recherche qui expliquerait le faible nombre de projets à financer.
Les deux sont en cause. L'objectif du CGI est de faire engager les crédits du PIA le plus vite possible ; donc lorsqu'il a, d'un côté, des crédits non consommés et de l'autre, des demandes urgentes, il propose des redéploiements. En même temps, la consommation des crédits en matière de transition écologique est longtemps restée lente car les appels à projets ont été longs à venir et les réponses n'ont pas toujours été à la hauteur des attentes. Mais il faut regarder comment les choses évoluent dans la durée car il y a un phénomène d'apprentissage des secteurs en question : va-t-on vers une diminution ou une augmentation du nombre des réponses ?
En effet, les projets semblent aujourd'hui plus nombreux qu'au début. Peut-on dégager une « plus-value » du Pia par rapport à d'autres modes de financement ?
Tout à fait. Il s'agit de secteurs relativement nouveaux qui n'ont pas l'habitude de bénéficier de ce type de financements – destinés à des consortiums, aux programmes et aux projets lourds. Ce phénomène d'apprentissage, même si de prime abord il ralentit le processus, constitue un effet positif du PIA.
Je précise que les Instituts pour la transition énergétique n'ont pas été examinés dans notre rapport.
S'agissant de la plus-value du PIA en matière de transition écologique, le programme a permis, deux fois de suite, d'afficher les priorités dans ce domaine tout en fournissant des moyens supplémentaires pour financer les opérations. La généralisation de l'évaluation avec des critères d'impact sur l'environnement peut aussi avoir un impact important sur l'ensemble des programmes mais les difficultés dont nous venons de parler subsistent.
Pour ce qui est de la répartition des rôles entre les intervenants, les divergences de méthode ont d'abord suscité des problèmes dans les relations entre l'ADEME et le CGI, mais les deux organismes ont trouvé un modus vivendi qui a l'air de bien fonctionner, réduisant considérablement les délais. Les choses ont également l'air de bien se passer avec le ministère de l'écologie, du développement durable et de l'énergie – un des rares ministères à s'être organisé pour coordonner, en son sein, les travaux du PIA, nommant pour cela un correspondant chargé de suivre l'ensemble des programmes et de communiquer avec les directions et les opérateurs concernés. L'année dernière, ce pilotage a été renforcé au sein de la direction recherche du commissariat général au développement durable (CGDD). Tous les ministères n'ont pas mis en place une telle organisation.
Il y a également un débat entre l'ADEME et la BPI sur le financement des actions et des programmes. L'ADEME est un organisme spécialisé dans le domaine de la transition écologique, alors que la BPI est davantage un expert en financement. Le débat, qui porte sur l'intérêt de chacun de ces deux types d'expertise, est difficile à trancher dans l'absolu ; c'est programme par programme qu'on arrive à déterminer de quelle compétence on a le plus besoin. Quand la BPI réalise des investissements dans des domaines de spécialité de l'ADEME, elle associe généralement cette dernière à la démarche mais le sujet reste sensible.
Pouvez-vous revenir sur le principe d'éco-conditionnalité ? La mise en place de ce critère a fait l'objet de peu de suivi.
En effet, il n'est pas complètement au point. À l'été 2015, le critère d'éco-conditionnalité, censé être appliqué à tous les programmes, était défini de manière encore assez floue ; le CGDD doit y travailler. Au début, le CGDD abordait le sujet de manière bilatérale avec chacun des ministères et opérateurs. Nous recommandions au contraire de traiter la question de manière plus transversale, non dans l'idée de mesurer l'impact du PIA sur l'environnement – cela nécessiterait de définir, en amont, les indicateurs et les systèmes de mesure cohérents, ce qui n'a pas été fait –, mais pour développer une culture de travail partagée sur l'éco-conditionnalité entre les différents ministères et opérateurs. Il faut notamment expliquer comment les programmes intègrent ou non les indicateurs d'éco-conditionnalité – une question relativement simple pour les opérations qui relèvent spécifiquement de la transition écologique, bien plus compliquée pour les autres. En fonction de son impact sur l'environnement, un projet peut, par exemple, être subventionné ou aidé plus qu'un autre. Ces réflexions étaient en cours quand nous avons fait notre rapport. L'introduction de ce critère, encore en gestation, représente un point innovant du PIA 2.
Vous critiquez donc le fait que l'application de ce critère soit à géométrie variable selon les projets.
Ce n'est pas une critique, c'est un constat. Les projets sont en effet très différents.
Lors que nous faisions notre rapport, le travail sur ce sujet était en cours. C'est pourquoi nous avons tenu à l'aborder sous une forme positive et non uniquement critique. La volonté d'évaluer l'éco-conditionnalité, de l'inscrire dans les projets et d'obliger tous les intervenants à se poser des questions et à travailler ensemble constitue une innovation. Tout en restant prudents quant aux résultats, car nous n'en sommes qu'au début du processus, nous avons essayé de donner quelques lignes d'orientation pour le travail à mener dans ce domaine. Il est rare de trouver ce genre de dispositifs clairement affichés ; mais c'est aussi révélateur d'un problème de « culture ». Ainsi, certains opérateurs ne comprenaient pas de quoi ils allaient pouvoir parler, ou mettaient en avant le fait que ce critère allait encore tout compliquer. Cela n'est pas faux, il faut trouver la bonne mesure et aller vers les référentiels les plus partagés possible, situés en amont des processus. Mais avant tout, il faut élaborer le dispositif, qui n'est pas encore complètement au point.
Une question innocente : d'après les travaux de la Cour des comptes, que se serait-il passé si au lieu de créer cette usine à gaz qui s'appelle le PIA, on avait simplement augmenté les crédits des ministères concernés – par exemple celui de l'écologie ? Ne serait-on pas allé beaucoup plus vite ?
Dans le cadre du PIA, il ne s'agit pas uniquement d'augmenter les crédits ; la stratégie est essentielle. Le rapport initial de 2009 avait bien défini les priorités, à travers une réflexion non partisane qui a permis de définir des axes prioritaires d'investissement pour l'État, qu'on s'est ensuite organisé pour financer. La question est donc de savoir comment affecter des crédits à des axes prioritaires prédéfinis et comment vérifier que les crédits sont bien utilisés comme prévu, dans la durée. La Cour considère qu'on pourrait très bien le faire avec un programme budgétaire réellement interministériel placé auprès du Premier ministre, doté d'une vision globale de l'affectation et de la consommation des crédits. En effet, la particularité du PIA réside dans cette gestion interministérielle qui a permis, par exemple, de redéployer facilement des crédits de l'environnement vers la défense ou le transport – une opération qui aurait été plus difficile avec les procédures habituelles.
Mais comment garantir alors le caractère pluriannuel de ces investissements ? Un budget est par définition annuel, alors que le PIA permet de gérer la montée en charge des programmes dans le temps.
Il s'agit d'un problème de volonté politique. Rien n'empêche un Gouvernement de consacrer un montant défini à un programme sur les cinq années à venir, par exemple.
Pour aller dans le sens de M. de Courson, pourquoi ne pas utiliser les instruments existants, tels que les contrats de projets ? On pourrait les flécher systématiquement en abondant des lignes particulières correspondant à des investissements privilégiés, diagnostiqués comme les plus urgents. On irait tout aussi vite ; les collectivités et les partenaires seraient déjà autour de la table, et l'outil autoriserait une gestion pluriannuelle.
Le PIA ne montre-t-il pas l'incapacité des gouvernements successifs à réformer les ministères ? Les autorisations d'engagement sont précisément pluriannuelles, les crédits de paiements peuvent être reportés et les mouvements entre ministères sont prévus dans la loi organique. Mais comme toujours en France, au lieu de se poser des questions de fond sur la restructuration des administrations – comment les faire travailler ensemble, comment créer un système d'évaluation plus performant –, on crée un dispositif supplémentaire en créant un CGI auprès du prince…
Je ne suis pas d'accord. Présidé de façon transpartisane par Michel Rocard et Alain Juppé, le comité de surveillance du PIA représente un outil très spécifique, géré dans la durée, au-delà des mandats. Ce caractère pluriannuel et transpartisan est beaucoup plus simple à manier dans le cadre du PIA qu'au sein du budget de l'État. Ce n'est pas que les administrations ne fonctionnent pas ; c'est qu'elles sont centrées sur le fonctionnement annuel et non sur l'investissement pluriannuel. D'où l'intérêt de cette structure spécifique qui garantit la continuité des programmes dans le temps.
Nous disposons de tous les outils nécessaires pour arriver au même résultat sans passer par ces usines à gaz qui suscitent nombre de polémiques. Pensez à ces incroyables subventions dites non consomptibles, une espèce de monstre intellectuel où l'État garde les sommes dont il ne permet d'utiliser que les intérêts ! Ces constructions n'existent que parce qu'on n'arrive pas à faire fonctionner les ministères.
Elles sont faibles. Les frais de fonctionnement du PIA ne sont pas élevés car on a utilisé des structures existantes, notamment les opérateurs de l'État ; quant au CGI, c'est une petite structure. Il y a eu des pertes de temps au début, à cause des délais imposés par les discussions entre l'État et les opérateurs pour bien caler les conventions qui ont permis le fonctionnement ultérieur du programme. Mais nous avons repéré plusieurs cas d'investissements où l'on ne passe par l'opérateur que parce que la procédure est prévue dans le PIA – une perte de temps et une complexité regrettable.
Pour le reste, il est vrai que le dispositif ne conforte pas les ministères dans leur volonté de changement et que – et c'est écrit dans le rapport de la Cour – on les a contournés parce qu'on considère qu'ils ont tendance à financer du fonctionnement plutôt que l'investissement et à répondre à des besoins de court plutôt que de moyen ou de long terme. Mais la Cour préférerait que l'on revoie le mode de fonctionnement des ministères plutôt que de trouver des systèmes qui les contournent.
Le vrai point fort du PIA est d'offrir une vision et une gestion interministérielles. Mais cela aussi, on pourrait le réaliser sans passer par un dispositif aussi compliqué. Il s'agit d'un problème d'organisation et de volonté politique – tous partis confondus. Rien n'empêche – c'est même prévu dans les textes – de faire en sorte que le CGI ait une vision globale des investissements de l'État, de manière à ce que le Gouvernement sache où et pourquoi il investit. Aujourd'hui, ce n'est le cas que pour le PIA, et c'est une aberration. On devrait toujours savoir combien l'État affecte globalement aux investissements et en particulier aux hôpitaux, aux routes, aux trains, etc., pour que les gouvernements puissent mieux définir leurs priorités et les faire respecter ; or on n'arrive pas à avoir cette information. Comme on ne parvient pas à centraliser l'information et la décision au niveau interministériel, on le fait à travers le PIA, la part des crédits de ce programme devenant de plus en plus importante par rapport au reste des investissements de l'État. Dans la conclusion de notre rapport, nous proposons donc, plutôt que de continuer à utiliser des procédures « exceptionnelles », de créer un programme interministériel d'investissements à moyen et long terme. Ce type d'investissements de l'État a existé bien avant le PIA ; on peut y revenir à condition de bien s'organiser, de définir une stratégie et d'en rendre compte régulièrement au Parlement. L'existence du comité de surveillance pourrait tout à fait perdurer pour suivre le déroulement de ce programme. En tout état de cause, pour mener à bien un programme défini d'investissements de moyen-long terme, il n'est pas obligatoire de passer par le fonctionnement « extraordinaire » du PIA. Cela n'empêche pas le rapport de la Cour de souligner les éléments positifs de certaines de ses procédures, qui mériteraient tout à fait être généralisées.
Si l'on revient sur ce dispositif, ne court-on pas le risque de revenir à un fonctionnement ministériel, non partagé et annuel ? Réformer les ministères peut rester un voeu pieux ; en cas d'échec, on perdrait le bénéfice du PIA sans rien obtenir en retour. Faut-il donc se résoudre à revenir au Commissariat général au plan ?
Mais le fonctionnement du PIA est-il si différent ? Ce programme permet justement de « planifier », de manière publique et transparente, la façon dont l'État va dépenser une partie de ses crédits, ce qui permet aux autres acteurs de s'organiser pour répondre à ces priorités. On peut appeler ce système comme on veut, mais il s'agit d'une stratégie conçue après une large concertation et mise en oeuvre dans le cadre d'un système de suivi et d'évaluation publique ; cela ressemble beaucoup à ce que permettait de faire le commissariat au plan, pour les crédits de l'Etat uniquement. Au demeurant, la Cour a du mal à accepter l'idée que l'on abandonne toute volonté de réforme au prétexte que celle-ci serait impossible ; s'y résoudre, c'est renoncer à avancer.
Pour aller au bout de la logique, ne faut-il pas associer le privé à la fois à la décision et aux sommes mises en compte ?
Le rapport d'origine était le fruit d'une commission composée de personnalités issues tant du public que du privé, qui avaient entendu des entreprises, des collectivités et des représentants de l'État. Leurs conclusions ont fait consensus tant au sein des partis politiques que dans la société. On en revient donc toujours à la nécessité de définir une stratégie nationale.