COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES
MISSION D'ÉVALUATION ET DE CONTRÔLE DES LOIS DE FINANCEMENT DE LA SÉCURITÉ SOCIALE
Mardi 10 mai 2016
La séance est ouverte à seize heures quinze.
(Présidence de Mme Joëlle Huillier, rapporteure, puis de M. Pierre Morange, coprésident de la mission)
La Mission d'évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale (MECSS) procède à l'audition, ouverte à la presse, de M. Olivier Lebouché, président de la Fédération des prestataires de soins à domicile (FEDEPSAD), de Mme Carmela Marchand, vice-présidente, et de M. Jean-Philippe Alosi, délégué général, sur l'hospitalisation à domicile (Mme Joëlle Huillier, rapporteure).
Madame, messieurs, je vous souhaite la bienvenue et vous prie d'excuser M. Pierre Morange, notre coprésident, qui nous rejoindra sous peu.
Nous avions déjà eu l'occasion de nous rencontrer et de discuter, dans un autre cadre, de l'hospitalisation à domicile, sujet sur lequel la MECSS se penche depuis quelques mois.
L'activité de l'hospitalisation à domicile est assez atone, bien que le ministère ait tenté de développer cette forme de prise en charge, et nous restons loin derrière les autres pays européens.
Quel est votre sentiment ? Comment vous situez-vous, en tant que prestataires de santé, par rapport à l'hospitalisation à domicile (HAD) ? Pensez-vous que celle-ci réponde réellement à des besoins ? Est-ce une alternative à l'hospitalisation ? Est-ce simplement le moyen d'apporter davantage de confort à certaines personnes qui sont soignées à domicile ?
Nous avions demandé à être entendus par la mission et nous vous remercions donc de nous recevoir.
Nous souhaitions être entendus d'abord parce que le rapport de la Cour des comptes de 2013 parle des alternatives à l'hôpital, parmi lesquelles figurent non seulement l'hospitalisation à domicile, mais aussi les prestataires de soins à domicile. Nous pensions donc qu'il était important de vous apporter notre éclairage spécifique sur ces questions.
Et nous le souhaitions ensuite parce nous sommes convaincus que le développement des traitements à domicile ne doit pas s'arrêter à l'HAD. Plusieurs catégories d'acteurs interviennent à domicile. D'où la question que nous voulions aborder avec vous : comment ces acteurs peuvent-ils travailler ensemble ?
M. Pierre Morange remplace Mme Joëlle Huillier à la présidence.
J'étais retenu par le vice-président du groupe d'études sur l'économie numérique, sujet que la MECSS va aborder prochainement. Vous connaissez les enjeux stratégiques des données de santé, l'information étant le fil conducteur qui permettra de donner une cohérence à un parcours de soins et de bien articuler les établissements de soins et le secteur ambulatoire. Ce sujet n'est donc pas étranger à notre réflexion sur l'HAD.
L'hospitalisation à domicile est-elle utile ? Est-elle nécessaire ? Comment peut-elle se développer ?
L'intervention de la médecine de ville est essentielle. Ses acteurs sont capables de prendre en charge à domicile un certain nombre de maladies chroniques, de personnes handicapées ou de personnes âgées dépendantes. Et il y a une vraie attente, un vrai besoin de la part des patients.
Le médecin hospitalier se heurte souvent à une certaine complexité lorsqu'il s'agit de choisir entre les différents acteurs. D'un côté, il y a nous-mêmes, les prestataires de soins à domicile, avec les autres acteurs de la ville : les infirmiers libéraux, en lien avec les médecins généralistes, les pharmaciens d'officine – avec la liste des produits et prestations (LPP) qui n'est pas toujours très simple à utiliser. De l'autre côté, il y a l'HAD, une prise en charge assez complexe, avec un guide méthodologique qui est assez difficile à expliquer au médecin.
Il y a donc probablement un enjeu de pédagogie. Il faut donner des outils aux médecins pour leur simplifier la tâche et leur permettre de distinguer entre les différents acteurs.
Par ailleurs, il faut mettre en oeuvre des protocoles de prise en charge pour l'HAD, mais aussi pour les autres acteurs. C'est absolument nécessaire pour savoir « qui fait quoi » à domicile. Cela n'existe ni pour l'HAD, ni pour les autres acteurs.
À votre avis, qui devrait prescrire l'hospitalisation à domicile ? Le médecin hospitalier ? Le médecin de ville ? Le médecin d'un service de soins à domicile ? Le médecin coordonnateur d'un EHPAD ? Comment voyez-vous les choses ? Vous êtes tout de même partie prenante… Vous voyez souvent vos patients et vous êtes en relation avec les réseaux de professionnels médicaux et paramédicaux qui gravitent autour du malade.
Il est exact que l'on intervient en complémentarité avec l'HAD. On ne se situe d'ailleurs pas du tout comme des concurrents sur la prise en charge en ville. De fait, nous récupérons des patients de l'HAD, qui arrivent chez nous sur prescription médicale, la plupart du temps du médecin hospitalier. À l'inverse, certains de nos patients partent en HAD parce que leur état se dégrade et qu'on souhaite éviter une réhospitalisation.
Nous nous trouvons au coeur de ces systèmes, avec des transferts de malades entre HAD, infirmiers libéraux et prestataires de santé à domicile. Cela étant, nous ne sommes pas les mieux placés pour vous parler de l'hospitalisation à domicile : nos prescriptions viennent majoritairement de l'hôpital, et pour le reste, des médecins généralistes. Nous nous occupons des maladies chroniques et de patients stabilisés – à la différence de l'HAD – qui peuvent être pris en charge à domicile.
La première ordonnance pour l'HAD est souvent faite par le médecin hospitalier, bien sûr avec le médecin coordonnateur de l'HAD. Se pose ensuite la question des modifications de traitement car il n'est pas toujours très simple de fonctionner avec l'hôpital. C'est en tout cas ce que l'on constate. Maintenant, nous ne sommes pas dans le quotidien de l'HAD et il est difficile de donner des conseils. D'ailleurs, en tant que prestataires, nous ne sommes pas confrontés aux problèmes de modification de traitements et d'ordonnances, dans la mesure où nos patients peuvent se déplacer pour aller consulter le médecin hospitalier.
Dans la mesure où une prescription peut être modifiée en raison de l'évolution du contexte sanitaire, il convient de faire preuve de réactivité. Les prescriptions dématérialisées permettent de réduire le délai d'intervention. Quelle est leur proportion ?
Par ailleurs, des évolutions devraient prendre forme en 2017. Je pense, bien sûr, au dossier médical personnel (DMP), mais je lisais également ce matin qu'une équipe de chercheurs a développé une application pour smartphone : il suffit de souffler sur le micro et elle vous donne une débitmétrie respiratoire, avec une marge d'erreur d'à peine 6 %, donc inférieure aux 10 % qui sont requis par toutes les instances sanitaires ! Cela peut constituer un élément de contrôle. Et sans doute pourrait-on pourrait l'adapter à l'oxygénothérapie à domicile. Toutes ces stratégies sont actuellement en train d'exploser. Votre syndicat en a-t-il déjà anticipé les contours ? Où êtes-vous simplement dans une logique où l'on avance en marchant ?
Nous sommes dans une logique d'anticipation. Nous sommes à l'écoute, nous participons. Et parallèlement, nous vivons avec. Nous sommes sur les deux phases que vous avez décrites. Mais nous ne sommes pas seuls.
Nous prenons en charge sur plusieurs mois, voire plusieurs années, 1,5 million de malades qui sont tous des malades chroniques. Pour nous, le DMP et les données de santé constituent donc un enjeu fort.
Nous intervenons auprès de ces malades seulement lorsqu'il y a des dispositifs médicaux ; ceux-ci sont de plus en plus connectés : aujourd'hui les ventilateurs et les machines d'apnée du sommeil, demain les pompes à insuline, les pompes de perfusion, l'aérosol thérapie, etc. Nous allons pouvoir récolter des éléments autres que les éléments de base, qui vont aider le médecin dans le suivi de son malade. Et nous allons transférer ces millions d'informations.
La e-santé, la télésanté, le télésuivi sont essentiels pour nous. Un certain nombre d'expérimentations ont été lancées. Et je vous rappelle ce qui a été fait sur l'apnée du sommeil : 300 000 malades sont suivis tous les jours en France par des prestataires de santé à domicile. Les données sont transférées aux médecins, qui peuvent ensuite adapter leur traitement et leur prescription en fonction des résultats du patient, semaine après semaine. Mais les données sont également transférées au patient, qui dispose ainsi d'éléments pour se prendre en charge complètement. C'est une vraie demande de leur part, tout à fait légitime. Et c'est un moyen de les responsabiliser.
Au-delà de la question du transfert des données de santé, il y a celle de leur hébergement. Nous devons être en complète conformité avec l'état de l'art. D'ailleurs, l'Agence des systèmes d'information partagés de santé (ASIP Santé) s'est positionnée sur le rôle du prestataire : comment le prestataire doit-il héberger l'ensemble des données de santé qu'il possède ? Ces données ne nous appartiennent pas. Elles doivent être transférées à ceux qui en ont réellement besoin : le patient et le médecin. Et l'on attend avec impatience la mise en place du DMP pour pouvoir les transférer de façon simple.
Actuellement, nous fonctionnons au travers d'extranets sécurisés. Et le médecin, à travers des extranets ou de plus en plus souvent de messageries sécurisées – car c'est ce qui est demandé aux hôpitaux –, va chercher l'information directement.
De façon concrète, est-ce que toutes les procédures sont dématérialisées ? Est-ce qu'il y a encore des supports papier ? C'est en tout cas ce que nous ont dit certaines sociétés d'HAD lors de précédentes auditions.
Nous sommes loin de la dématérialisation complète. Certes, la donnée de santé à proprement parler est dématérialisée : on la récupère – on la récupérera de plus en plus – et on la transférera à ceux qui vont l'utiliser – notamment à nos équipes – pour mieux suivre le malade. En ce qui concerne les ordonnances, les demandes d'entente préalable, etc. on est encore dans un monde de papier.
Avec l'assurance maladie, notre fédération est en train de tester la dématérialisation de la facturation. Nous transférons notre facturation par SESAM-Vitale. L'assurance maladie s'est elle-même beaucoup investie dans ce pilote. L'objectif est de le finaliser dans les semaines qui viennent pour l'ouvrir ensuite à l'ensemble des prestataires. C'est une première étape importante.
La deuxième étape est, bien sûr, la prescription dématérialisée, qui est effectivement essentielle pour nous. Comme vous le faisiez remarquer, c'est une question de réactivité. Prenons l'exemple de l'oxygénothérapie : quand le service appelle, le patient est dans l'ambulance mais quasiment arrivé à son domicile, et il faut livrer l'oxygène. Alors, l'ordonnance suit par pigeon voyageur… mais on a du mal à la récupérer. Sa dématérialisation permettrait de sécuriser l'information de façon bien plus simple.
Donc, la facturation dématérialisée, c'est pour les prochaines semaines. Mais où en est la dématérialisation de la prescription ? Un échéancier a-t-il été proposé par l'assurance maladie ?
À ma connaissance, non. Nous n'en avons pas discuté, car ce sont les médecins qui sont concernés. Reste qu'il faudra que l'on puisse récupérer ensuite ces prescriptions.
J'ai envie d'aller jusqu'au bout de la démarche.
Quel est le périmètre exact de vos interventions ? Comment sont composées vos équipes ? Est-ce que vous êtes des prestataires de services ou de santé ? Est-ce que vous livrez du matériel ? Est-ce que vous soignez les malades ? Quelles sont vos relations avec les services de soins infirmiers à domicile (SSIAD) et avec les services d'HAD ?
Quels sont les critères qui permettent de dire que telle personne relève de l'hospitalisation à domicile, que telle personne n'en relève pas mais qu'elle relève de vos services, ou qu'elle a besoin des soins des infirmiers libéraux ?
Que se passe-t-il lorsque vous intervenez avant un service d'HAD qui, comme vous, possède des équipements, des lits médicalisés, des pompes à insuline ou à morphine ? Laissez-vous votre matériel en place, quitte à ce que le service d'HAD passe une convention avec vous pour vous rémunérer ? Est-ce vous enlevez votre matériel et que le service de HAD installe le sien ?
On connaît la théorie, mais on voudrait savoir ce qui se passe en pratique. Car notre rôle est de faire des recommandations et d'apporter des améliorations. Et l'on sait bien que tout ne se passe pas de la même façon partout en France. Pouvez-vous nous éclairer ?
Vous nous avez dit que vous n'étiez pas des concurrents, même si cela peut parfois y ressembler ; mais ce sont peut-être les autres qui sont vos concurrents. Vous nous avez dit que vous agissiez en complémentarité. Je veux bien le croire, et je pense que vous avez vraiment votre place. Mais n'y a-t-il pas, parfois, des dérapages ? C'est à nous de trouver les solutions pour qu'il n'y en ait plus.
D'abord, qui sommes-nous ?
Les prestataires de santé à domicile n'existent pas tous seuls. Ils s'intègrent à une offre de professionnels de santé de ville. Nous fonctionnons avec les infirmiers libéraux, en lien avec les médecins hospitaliers, mais aussi avec les médecins généralistes et les pharmaciens. C'est un point important.
Nous travaillons avec les infirmiers libéraux ; nous informons le médecin traitant – et le pharmacien quand il y a un lien avec le médicament.
Pour leur part, les équipes de prestataires sont composées de trois types de personnels.
Premièrement, des techniciens biomédicaux. Nous achetons en effet, pour le compte de la sécurité sociale, l'ensemble des dispositifs médicaux mis en oeuvre au travers de la LPP. Ce sont des millions de dispositifs médicaux de toutes sortes : ventilateurs, pompes, pompes à gravité, pompes portables, lits, fauteuils roulants, etc. Pour mettre en oeuvre un certain nombre de dispositifs médicaux, pour expliquer leur fonctionnement à l'entourage du patient, assurer la maintenance et l'astreinte, nous avons besoin de cette population de techniciens, qui doivent faire preuve d'empathie dans la mesure où ils sont en lien avec le malade et sa famille à domicile.
Vous acquérez des dispositifs de santé « par millions ». Selon quelle procédure ? Êtes-vous tenus par les règles des marchés publics ?
Nous sommes tenus par le système de la LPP : avis de la Haute autorité de santé sur la prestation ; une fois cet avis obtenu, négociation avec le Comité économique des produits de santé. La procédure est exactement la même pour les dispositifs médicaux et pour les médicaments. Ainsi, nous avons participé tout à l'heure à une négociation sur la nutrition parentérale. Je précise que l'on parle de négociation, mais qu'il s'agit plutôt de prix à la baisse…
Nous avons un forfait – la plupart du temps, un forfait semaine ou un forfait jour, sur une prestation. Et cette prestation intègre des actes humains, ainsi que la mise à disposition de dispositifs médicaux.
Nous sommes acheteurs pour les autorités de santé et pour l'assurance maladie. L'assurance maladie dit : « en fonction des volumes, on va vous baisser les prix ». Mais il faudra que l'on retrouve cette baisse de prix au niveau des fabricants, comme au niveau de nos tournées – 70 % de nos personnels sont au volant d'une voiture. Nous devrons donc faire preuve d'efficacité dans l'organisation de nos tournées et dans l'achat de nos dispositifs médicaux et de nos consommables.
Nous sommes payés au forfait. À nous de gérer nos stocks et l'obsolescence commerciale. Ces matériels ne sont pas à usage unique. Un ventilateur va connaître plusieurs malades. Il sera installé une première fois, récupéré, nettoyé, désinfecté et fera l'objet d'une maintenance régulière. Il va revenir dans nos stocks, puis repartir. Tout cela est de notre responsabilité.
Non, ce sont des acteurs privés qui achètent avec leurs fournisseurs…
Le sujet n'est pas marginal puisque cela sous-entend des marges de manoeuvre supplémentaires. Cela sous-entend aussi que s'il n'y a pas une concurrence suffisante, vous risquez de devoir passer sous les fourches caudines de certains producteurs.
Je suis d'accord avec vous. Ce n'est pas toujours très simple. Nous essayons de faire notre travail, mais il n'y a pas un grand choix. En France, il y a plus de prestataires que de fabricants de dispositifs médicaux.
C'est l'un des éléments sur lesquels on pourrait dégager quelques marges de manoeuvre budgétaires, tout en étant parfaitement rigoureux dans l'établissement du cahier des charges.
Je reviens à la composition des équipes.
Deuxièmement, il y a des professionnels de santé, qui représentent 20 à 25 % de nos équipes. C'est une population en forte croissance chez les prestataires de santé à domicile : pour la grande majorité d'entre eux, des infirmiers ; des diététiciens ; des kinésithérapeutes ; des pharmaciens. Dans le cadre de la mise en oeuvre des bonnes pratiques de dispensation de l'oxygène, le fait, pour les prestataires, de pouvoir dispenser un certain nombre de molécules est probablement un facteur d'efficacité du système. C'est ce qui se passe depuis maintenant quinze ans sur l'oxygénothérapie, quelques centaines de pharmaciens étant présents dans nos équipes pour mettre en oeuvre ce médicament. Nous avons aussi quelques médecins à des postes clé : je pense aux postes de directeur médical, où le médecin s'engage sur la qualité de la prestation rendue au patient et sur le niveau de compétence des collaborateurs que l'on envoie chez les malades.
Troisièmement, nous sommes aussi un métier de la relation. Avec ce million et demi de malades, nous recevons de très nombreux appels téléphoniques de patients, mais aussi de médecins. Vous avez parlé de dématérialisation. En fait, l'échange d'information passe beaucoup par l'appel téléphonique, qui est par nature dématérialisé. Mais cela reste un appel téléphonique. D'où cette autre population de centres d'accueil, d'appels téléphoniques.
Beaucoup d'échanges, donc, et beaucoup d'écoute. Le lien social avec nos malades est très important. Il faut savoir que certains d'entre eux n'ont comme visite que celle de leur technicien ou de leur infirmier. Ils sont laissés à eux-mêmes à domicile, ce qui peut être un frein. Le principal frein de l'aide à domicile est d'ailleurs un patient isolé qui ne peut pas se prendre en charge. Et notre rôle, lorsque l'on met en place le traitement, est d'alerter le médecin sur ce point.
Je rappelle un élément important : nos infirmiers ne font pas de soins ; ils sont dans une démarche d'éducation et de formation à la mise en oeuvre des traitements techniques, pour les patients et les infirmiers libéraux, qui seuls interviennent pour réaliser le soin. Nous n'avons pas de relations d'argent avec les infirmiers libéraux.
On peut vraiment parler de complémentarité quand on fonctionne sur des traitements comme les perfusions, la chimiothérapie, les antibiothérapies, etc. Le prestataire tout seul ne fait rien : c'est le couple formé par l'infirmier libéral et le prestataire de santé à domicile – en particulier son infirmier – qui agit ensemble à domicile.
En HAD, l'infirmier libéral, en fonction des protocoles, va travailler soit en sous-traitance de l'HAD pour un certain nombre de protocoles lourds, soit en collaboration – car il n'y a pas de relation de sous-traitance – avec le prestataire de santé à domicile.
Une autre de vos questions portait sur le matériel.
Imaginons un patient sous insulinothérapie par pompe, qui va passer en mode HAD. Je précise que ce ne sont pas les mêmes modes de facturation : d'un côté la LPP, de l'autre la tarification à l'activité (T2A). Si nos équipes prennent en charge un patient pendant six mois et que ce patient part en HAD, nous récupérons l'ensemble du traitement et du matériel, et il passe effectivement en HAD avec le matériel de l'HAD. Mais la plupart du temps, les HAD n'ont pas le matériel et elles sous-traitent la fourniture des dispositifs médicaux – oxygène liquide, ventilateurs, pompes, lits, etc. – au prestataire de santé à domicile.
Je vais jouer les Candide. Vous avez dit ce que vous faites, vous avez dit quelles sont vos équipes – techniciens, pharmaciens, diététiciens, infirmiers, médecins, etc. –, vous avez évoqué les infirmiers libéraux qui viennent prodiguer les soins. Mais quelle est la différence avec l'hospitalisation à domicile ?
Je vais vous donner la définition exacte de l'HAD…
Je pense vraiment que chacun a sa place.
Nous ne pouvons pas prendre en charge les malades qui sont en HAD parce qu'ils ne sont pas stabilisés et parce que nous n'avons pas de médecin coordonnateur. D'ailleurs, nous ne le revendiquons pas du tout.
En France, il y a l'HAD, les infirmiers et les prestataires, qui sont complémentaires. La difficulté tient au fait que l'HAD est bien encadrée, alors que le reste de la médecine de ville ne l'est pas.
Vous avez remarqué que si nous ne sommes pas concurrents, nous sommes parfois un peu en guerre. Je ne vais pas le nier. Ce qui s'est passé très récemment avec la perfusion en est un exemple. La négociation autour d'une nouvelle LPP « perfusion » avait demandé plusieurs années et tout le monde était d'accord : les prestataires, l'assurance maladie, la direction de la sécurité sociale, tous les services de l'État, les infirmiers libéraux et les pharmaciens. Mais brutalement, l'HAD a tout bloqué, considérant que l'on avait empiété sur son domaine d'intervention. Le texte a fini récemment par être adopté et nous avons assisté à une discussion entre Mme Élisabeth Hubert et le directeur général de l'offre de soins (DGOS), qui s'est conclue sur la nécessité de clarifier entre nous les protocoles.
Encore une fois, nous devons rester à notre place et adopter une logique d'efficacité. Il faut repenser le rôle des acteurs en prenant en compte l'efficacité des traitements à qualité et sécurité équivalentes. Cherchez des études qui montrent que la médecine de ville est plus dangereuse que l'HAD : aucune ne le montre. Un infirmier libéral travaille tout aussi bien quand il fonctionne pour une HAD que pour un prestataire. Le prestataire a ses propres règles. On pourra en parler mais globalement, il n'y a pas d'accidents ni de risques supplémentaires. Donc, à qualité et sécurité équivalentes, il faut vraiment repositionner les acteurs sur l'efficacité du traitement. Actuellement, ce n'est pas le cas.
N'a-t-on jamais tenté de réaliser une prestation complète, un service global, associant les deux compétences : celui qui délivre les dispositifs et celui qui délivre les soins au titre de l'HAD ?
Je vais laisser la parole à Mme Carmela Marchand, qui représente le monde associatif. Car il faut savoir que dans le monde associatif, certains acteurs ont les deux métiers : ils sont à la fois prestataires de santé à domicile et HAD. Ils les exercent ensemble, et quand on les interroge, on s'aperçoit qu'il n'y a pas de concurrence. Ils voient d'ailleurs très bien les limites et les complémentarités de chacun des métiers.
Personnellement, je ne gère pas d'HAD. Nous sommes simplement prestataires. En revanche, dans d'autres structures associatives, cela se passe d'une façon très naturelle.
Dans la mesure où l'HAD est très réglementée et répond à des critères très précis, tout ce qui n'entre pas dans les filtres du médecin coordonnateur de l'HAD est forcément et naturellement pris en charge par le prestataire. Dès que le prestataire voit que l'état du patient se dégrade, il remet celui-ci, tout aussi naturellement, entre les mains des services d'HAD. Ces derniers apprécient alors si le patient entre dans les critères de l'HAD, où il pourrait être placé le temps d'être stabilisé, ou s'il doit retourner directement à l'hôpital. Il s'agit d'éviter l'hospitalisation du patient. Si c'est possible, tout le monde y trouve son compte.
Il n'y a pas de schéma organisationnel de type horizontal ? C'est toujours une construction de type vertical ?
Oui, c'est toujours vertical.
De façon tout aussi pragmatique, des réseaux se mettent en place au niveau local : par exemple des réseaux d'entente parce que dans certaines régions, il n'y a qu'un opérateur HAD et il n'y a pas forcément de prestataire. Peut-être parce que l'unique opérateur est suffisamment important, ce genre de relations se met en place en bonne intelligence. Et les services hospitaliers jouent aussi le jeu, parce qu'ils sont au courant.
Comme le disait M. Lebouché, parfois, le secteur hospitalier méconnaît l'offre disponible qu'il pourrait activer. Ajoutez à cela que les textes peuvent être trop lourds et trop difficiles à comprendre. Résultat : il prend le premier opérateur qui vient.
Il peut décider, dans un premier temps, de s'adresser à l'HAD. L'HAD examine le respect des critères. Elle passe ensuite le patient au prestataire, évidemment au choix du patient. Ensuite, s'il y a une déstabilisation, on repart sur une HAD, voire sur une hospitalisation. Et cela fonctionne très bien. Je parle d'expérience, car je suis dans une région comme celle-ci. À tel point que l'on a envisagé de créer un réseau. Mais ce n'est pas très facile car on entre alors dans des arcanes administratifs.
Ce ne sont pas des positions de principe syndicales ou fédérales venant de Paris. C'est vraiment ce qui se passe. Il y a une vraie complémentarité.
J'insiste toutefois sur le besoin de positionner les acteurs en fonction de la lourdeur de la charge en soins. C'est essentiel, puisque c'est sur ce plan que va se manifester la complémentarité entre HAD, prestataires plus infirmiers, ou infirmiers seuls ; en effet, le prestataire n'intervient pas quand ce n'est pas nécessaire, c'est-à-dire quand il n'y a pas de dispositifs médicaux complexes. Il faut que le cloisonnement soit suffisamment précis et qu'il soit porté par les coûts, et uniquement par les coûts – bien sûr à qualité et sécurité identiques. Sinon, effectivement, on va créer des « silos », au détriment de l'efficacité.
Nous nous positionnons comme acteur de l'efficacité. Répondre à l'explosion de la maladie chronique est un enjeu fort. Le prestataire doit fonctionner en coordination et en complémentarité avec les autres acteurs de la médecine de ville, qui peut prendre en charge un certain nombre de malades. C'est notre conviction : on n'est pas obligé de rester dans un système « hospitalo-centré ». Et c'est ce que nous portons, en tant que fédération.
Est-ce qu'il vous arrive d'intervenir dans les EHPAD ou dans des établissements pour handicapés ?
La réglementation est un peu différente entre les EHPAD et les établissements pour handicapés.
Pour les EHPAD, c'est assez simple : ce sont des établissements médico-sociaux qui fonctionnent à peu près comme des établissements de santé. Dans le cadre du forfait soins, l'EHPAD est chargé d'acquérir lui-même les dispositifs médicaux. Donc, le prestataire se positionne en fournisseur de dispositifs médicaux dans le cadre d'un marché. Il y a une petite liste de dispositifs médicaux, qui peuvent être facturés directement à la LPP au patient.
En revanche, les établissements médico-sociaux sont considérés comme le lieu de vie des patients. La facturation des dispositifs médicaux se fait donc à la LPP, classiquement. L'établissement médico-social dispose de ses propres équipes de soins, mais la fourniture de dispositifs médicaux est faite par le prestataire.
Sur la santé mentale, le prestataire à domicile intervient très peu. Il n'existe pas de lien – ni de complémentarité, ni de travail, même en équipe – avec l'HAD. Nous ne sommes donc pas les mieux placés pour vous répondre.
Vous avez évoqué à juste titre la complémentarité et la place de chacun dans un réseau que vous arrivez à constituer. Mais des textes récents prévoient, d'une part, la communauté hospitalière de territoire et, d'autre part, les groupements hospitaliers de territoire, qui sont en train de se mettre en place. Il se trouve que j'ai visité hier un centre hospitalier dans ma circonscription de la Nièvre, et qu'il a été effectivement question de l'organisation, sur le territoire, de tous les intervenants, et du positionnement de chacun.
D'après ce que j'entends, vous avez sans doute pris de l'avance. Mais je crois que, plus généralement, sur l'ensemble du territoire, l'enjeu est très fort. Il serait intéressant de voir comment, à terme, vous allez pouvoir développer ces relations et cette complémentarité avec l'HAD et, plus largement, comment l'ensemble des prestataires et des acteurs seront intégrés dans un projet global de territoire.
J'aimerais savoir comment vous voyez l'avenir, comment vous allez utiliser votre expérience là où cela fonctionne bien, et comment vous irez plus loin là lorsque cela n'a pas encore été mis en place.
Votre question est très intéressante.
Il est difficile pour nous d'entendre parler de groupements territoriaux en lien avec les agences régionales de santé (ARS). En effet, nous sommes plutôt « assurance maladie » : nous fonctionnons au niveau national, avec un tarif national et une organisation nationale. Nos acteurs soit nationaux soit régionaux, mais nous pensons beaucoup en termes de LPP, de titre I, de titre II, de titre III, de titre IV… Pourtant, nous sommes souvent intégrés dans le maillon régional avec les ARS et considérés comme un acteur en tant que tel. Or, ceux qui nous portent, ce sont les acteurs de la médecine de ville : les infirmiers, les médecins, etc.
Les groupements territoriaux sont intéressants parce qu'on y intègre les hôpitaux de référence. Nous pourrons, dans ce cadre, être de véritables acteurs car nous faisons déjà partie de leurs acteurs du quotidien.
Le sujet n'est pas simple pour nous. Il faut que l'on y travaille. D'ailleurs, nous avons eu la chance de participer aux travaux du Haut conseil pour l'avenir de l'assurance maladie (HCAAM) consacrés à l'innovation. Ils portent, notamment, sur le premier recours, et l'on y parle un peu de nous : on s'y est en effet interrogé sur le rôle du prestataire. À mes yeux, c'est là un vrai enjeu, qui nous amènera peut-être à des solutions plus simples que d'être intégrés au fonctionnement traditionnel des ARS, et grâce auxquelles nous pourrons nous repositionner par rapport aux hôpitaux de référence, CHU, etc. Nous fonctionnerons alors beaucoup plus en réseau.
Monsieur le président, le pragmatisme et les considérations pratiques sont au coeur de la démarche de la MECSS. Si vous avez des suggestions à nous faire, nous aurons à coeur de les étudier et, éventuellement, de les reprendre à notre compte pour améliorer l'efficience du dispositif d'HAD.
Vous occupez une position stratégique face au monde des producteurs des dispositifs de soins. J'aimerais avoir un panorama – pas forcément exhaustif mais suffisamment éclairant – sur les producteurs de dispositifs de soins, afin de nous assurer qu'il n'y a pas de position par trop monopolistique qui s'opposerait à la bonne utilisation de l'argent public.
Nous vous communiquerons un tel document. Je terminerai sur trois recommandations.
Premièrement : j'ai beaucoup insisté sur la complémentarité des acteurs de la ville. Je pense que la définition d'un statut vraiment cohérent pour les prestataires est devenue essentielle. Ce serait le moyen de développer cette offre – qui est intéressante en termes d'efficacité – et l'occasion de consacrer le rôle du prestataire comme acteur de santé.
Deuxièmement : certaines barrières réglementaires n'ont plus de sens. Je pense à la dispensation de certains médicaments. Lever ces barrières permettrait de fluidifier le système – par exemple pour acheter en gros certains médicaments – et d'accroître l'efficacité du système de santé.
Troisièmement : on a beaucoup parlé de la dialyse à domicile. Le prestataire peut contribuer au déploiement de la dialyse en ville : hémodialyse à la maison, ou dialyse péritonéale. C'est essentiel. Il y a quelques obstacles réglementaires. Mais de nouvelles technologies vont arriver dans les années qui viennent, notamment des petits dialyseurs à domicile. Il faut s'y préparer. Le prestataire peut vraiment être un acteur au service des médecins et des patients.
Enfin, 1 % seulement de la chimiothérapie en France est dispensée en ville. C'est le plus mauvais chiffre de toute l'Europe ! Il faut que les prestataires, les infirmiers et l'HAD essaient, intelligemment, de développer la chimiothérapie en ville en abandonnant le principe selon lequel elle relève impérativement de l'hospitalisation de jour. Suivant les protocoles, il y a une place pour l'hospitalisation de jour, pour l'HAD et pour les prestataires.
Voilà quelques suggestions, très pragmatiques. J'estime qu'il y a des centaines de millions d'euros d'économies à faire sur la chimiothérapie. Sur la dialyse, nous avons déjà eu l'occasion de fournir des évaluations. Entre les deux, c'est 500 à 600 millions d'euros d'économies que l'on pourrait réaliser dans les prochaines années.
Bien sûr, on n'y parviendra pas sur l'exercice budgétaire qui vient. Mais cela se prépare, et je pense que nous pouvons vous y aider. Nous avons montré que nous étions des partenaires crédibles, que nos prestations étaient de qualité, et nous sommes prêts à assumer les responsabilités et les contraintes qui vont de pair avec la prise en charge de ce genre de malades. Vous avez des acteurs responsables en face de vous.
Avez-vous inclus dans ces 500 à 600 millions d'euros les économies générées par un moindre recours aux transports sanitaires ?
Tout à fait.
Les transports sanitaires ont d'ailleurs fait l'objet d'un rapport de la MECSS, qui a mis en évidence qu'il y avait au moins 150 millions d'euros à économiser rien qu'au titre des transports indus.
C'est un des éléments de l'économie du système. Cela étant, il faut tout de même se déplacer, puisque le patient est à domicile. Mais comme nos infirmiers voient cinq à six malades par jour, d'une certaine manière, les transports sont déjà payés.
M. Lebouché a parlé d'insuffisance rénale. Par rapport à beaucoup d'autres pays européens, la France prend moins souvent en charge la dialyse à domicile. Certes, ce n'est pas de l'HAD et l'on sort un peu du sujet. Mais à l'heure actuelle, la tendance est de limiter la prise en charge dans les centres d'hémodialyse lourds, les centres hospitaliers, en créant des centres légers, qui restent toutefois des établissements. Mais en multipliant ce genre de centres, on va à l'encontre du transfert à domicile et de la prise en charge à domicile.
Tout à fait. La diversification de l'offre de soins n'est pas forcément rationalisée.
Madame, messieurs, je vous remercie.
La séance est levée à dix-sept heures quinze.