La séance est ouverte à seize heures quinze.
Chers collègues, pour la quarante-neuvième fois depuis le début de cette législature, nous avons le plaisir d'auditionner M. le ministre de la Défense, venu faire le point sur les opérations en cours. Je profite de l'occasion pour vous dire que les membres de la commission ont admiré le grand professionnalisme dont les militaires ont fait preuve au Carrousel du Louvre, le 3 février dernier. Ils ont montré, s'il en était besoin, comment était conduite l'opération Sentinelle, et démontré leur capacité à réagir avec responsabilité face à des attaques de ce genre.
Et puisque l'Assemblée nationale suspend ses travaux cette semaine et que la législature se termine, je tiens à vous dire, Monsieur le ministre, le plaisir que nous avons eu, élus de la majorité et de l'opposition, à travailler avec vous. Vous-même et votre cabinet avez fait preuve d'un sens de l'écoute particulièrement exemplaire. Nous avons également apprécié les réponses franches et sincères que vous nous avez apportées à chaque fois, en commission comme dans l'hémicycle.
Madame la présidente, Mesdames et Messieurs les députés, permettez-moi tout d'abord un petit moment d'émotion, puisque c'est la dernière fois que je viens devant votre commission. Au cours de ces cinq années, j'ai eu avec vous des relations basées sur la confiance. C'est ce qui m'a permis d'être extrêmement libre dans mes propos, au point de vous donner des informations parfois hautement confidentielles – qui ne sont du reste jamais sorties d'ici, ce qui a davantage encore conforté cette confiance. J'ai aussi apprécié votre soutien dans des moments, opérationnels ou budgétaires, parfois un peu compliqués. La sécurité et la défense de la France passent avant toute autre considération dans cette commission ; c'est ce qui permet de dépasser les clivages partisans, au demeurant tout à fait normaux dans notre vie démocratique. Cet état d'esprit rejaillit aussi sur nos forces, vous avez pu le constater vous-même lors de vos déplacements. Il est important, non seulement pour l'état-major et l'encadrement mais aussi pour les soldats eux-mêmes, de sentir que, lorsqu'ils s'engagent au péril de leur vie, ils peuvent compter sur un soutien indéfectible qui se manifeste singulièrement dans cette commission.
Si je suis aussi ému, c'est aussi parce qu'il y a trente-neuf ans, je rejoignais pour la première fois la commission de la Défense nationale. Cet après-midi est donc un moment particulier pour moi, qui me rappelle bien des souvenirs.
Mais auparavant, le travail nous attend encore : cette quarante-neuvième audition n'en est pas moins une audition à part entière, notamment en raison de la gravité de la situation internationale et de notre engagement de par le monde.
Je commencerai par notre stratégie globale contre le terrorisme. Il s'est passé beaucoup de choses depuis la dernière fois que nous avons évoqué ce sujet ensemble, à la fin du mois de novembre dernier.
Nous nous retrouvons devant un phénomène majeur de notre histoire militaire, jamais vu jusque-là : la menace terroriste est aujourd'hui la principale raison du déploiement de nos forces dans le monde. Les caractéristiques de ce combat sont très particulières : actions asymétriques, nécessité de se déployer sur des étendues très vastes, coordination avec les forces étrangères au sol, multiplicité des acteurs, frappes en milieu urbanisé, etc. C'est là une nouvelle donne, tout à fait inédite dans notre histoire militaire. La mission de nos armées est de neutraliser la menace le plus possible à sa source géographique, afin de toucher ses bases, de limiter son exportation, et de contribuer à protéger nos concitoyens sur notre sol. C'est pourquoi nous déployons en permanence un dispositif cohérent et continu, avec, d'une part, des opérations extérieures appuyées sur nos forces prépositionnées en Afrique ou au Moyen-Orient et, d'autre part, des opérations sur le territoire national. Il faut frapper les terroristes dans leurs repaires, là où ils s'organisent, se forment et se financent, là où ils préparent leurs attaques contre nos concitoyens sur le territoire national.
C'est le cas au Levant, tout d'abord. Je vous rappelle les différentes phases de notre engagement, d'abord en Irak, depuis le mois de septembre 2014, avec nos premières frappes menées depuis notre base des Émirats arabes unis, puis à partir de notre base H5 installée en Jordanie au mois de novembre 2014 et que certains d'entre vous ont pu visiter. Au mois de septembre 2015, nous avons élargi nos opérations à des frappes sur la Syrie. Au mois de janvier 2016, deux mois après les attaques perpétrées à Paris, j'ai réuni à l'hôtel de Brienne les principaux ministres de la Défense de la coalition contre Daech pour que nous convenions d'intensifier notre action contre l'organisation, en particulier contre ses centres nerveux : Mossoul et Raqqa – j'y reviendrai.
Jeudi dernier, en marge de la réunion ministérielle de l'OTAN à Bruxelles, nous avons fait le point au sein de la coalition avec James Mattis, le nouveau secrétaire américain à la Défense. Grâce à notre action en Irak, à celle de l'ensemble de la coalition, Daech a perdu plusieurs dizaines de milliers de combattants, plus de la moitié des territoires qu'il avait conquis et la plupart des villes majeures qu'il occupait dans ce pays. Ses ressources principales, notamment ses installations pétrolières, ont été détruites, le flux des combattants étrangers qui rejoignent ses rangs a été considérablement réduit et les forces irakiennes et kurdes, avec l'aide de nos avions de combat et de nos formateurs, ont désormais l'ascendant sur le terrain.
Au moment où je vous parle, la deuxième phase de la bataille de Mossoul est engagée. La première s'est achevée avec la reprise de la moitié est de la ville par les forces irakiennes. Les combats ont été durs – j'avais prévenu que ce serait une question de mois – et les pertes élevées, de part et d'autre : 3 000 tués dans les rangs de Daech, 750 morts et 4 000 blessés parmi les forces irakiennes. Celles-ci, et singulièrement la Golden Division anti-terroriste, ont connu des pertes significatives : environ 25 % de ses effectifs ont été tués ou blessés, ce qui rend encore plus difficile la reprise de la partie ouest, qui s'annonçait déjà très délicate au vu du terrain urbain. L'opération a commencé il y a trois jours ; cela se passera bien dans un premier temps, les difficultés risquent d'apparaître ensuite. Trois mille djihadistes y sont retranchés, aguerris aux tactiques urbaines, et qui se servent de boucliers humains collectifs de manière extrêmement perverse. Nous continuerons notre action en termes de soutien aérien et d'artillerie ; nous sommes un contributeur majeur de la coalition. Notre conviction est que la bataille sera gagnée, mais aussi que ce sera long et sûrement très douloureux, d'autant qu'il y a des éléments de résilience de Daech dans les territoires conquis, des cellules dormantes, singulièrement à Bagdad : lorsque je m'y suis rendu avec le président de la République, au mois de janvier, des attentats ont été commis à proximité de l'endroit où nous nous trouvions. L'unification politique de l'Irak n'est donc pas encore là, même si le Premier ministre al-Abadi fait preuve d'une détermination et même d'une qualité tout à fait remarquables et même si la planification, telle qu'elle m'avait été présentée il y a six ou sept mois, est a priori jusqu'à présent globalement respectée. Il ne faudrait pas qu'une guerre civile éclate après la prise de Mossoul, provoquant la reprise d'un cycle infernal. Ce n'est présentement pas le cas, et je m'en réjouis.
En Syrie, les opérations contre Daech progressent également, mais moins vite, car les acteurs sont nombreux et désunis, ce qui profite aux terroristes d'une part, au régime de Bachar el-Assad d'autre part.
Cependant, les Forces démocratiques syriennes (FDS), qui comprennent des forces kurdes, avec l'YPG (en kurde, Yekîneyên Parastina Gel : Unités de protection du peuple), mais aussi une part arabe, ont lancé au mois de novembre dernier les premières opérations d'isolement de Raqqa, en prélude à la conquête de la ville. Avec 200 000 habitants, Raqqa est une ville beaucoup moins importante que Mossoul, mais c'est de là que sont venus les ordres et les décisions qui ont entraîné les attentats commis en France et ailleurs. Si elles ont progressé rapidement dans les parties désertiques, les FDS font désormais face à la ligne de défense principale de Daech, notamment au niveau du barrage de Tabqa. La situation est pour l'instant figée.
Ce qui m'a un peu réconforté lors des entretiens que j'ai eus, en particulier – en tête-à-tête – avec le général Mattis, c'est que la logique de la planification de notre action en Irak mais également en Syrie était respectée, avec la concomitance des interventions sur Mossoul et sur Raqqa. Concomitance ne veut pas dire faire tout en même temps, mais faire en sorte que les manoeuvres militaires soient parallèles. Sur ce point, notre détermination est intacte et la convergence de vues totale, au moins avec le secrétaire américain à la Défense. C'est absolument indispensable parce que c'est une partie extrêmement compliquée qui se joue là.
Dans le quart nord-ouest, l'action conjuguée des forces kurdes contre Manbij, au mois d'août dernier, et des forces turques contre Al-Bab, en ce moment même, ont privé Daech de l'accès à la frontière avec la Turquie et coupé des facilités dont l'organisation bénéficiait jusqu'à présent vers l'Europe. Il n'empêche que la situation dans cette zone reste complexe et concentre tous les ingrédients pour des dérapages entre groupes antagonistes : insurrection syrienne et Turcs au nord, Kurdes à l'est et à l'ouest, forces du régime et Russes au sud, Daech au centre… Tout cela, dans un espace extrêmement réduit, forme un « noeud de cristallisation » et peut créer, d'une heure à l'autre, une situation très compliquée. Jusqu'à présent, la situation évolue positivement, mais elle reste d'une grande complexité et un incident imprévu n'est jamais à exclure – il est même extraordinaire qu'il n'y en ait pas encore eu. De ce côté, l'action de Daech est donc limitée, et l'offensive contre Raqqa est bien planifiée et engagée. Cela prendra un certain temps, mais, malgré les difficultés des lieux, les choses devraient logiquement évoluer comme je l'ai indiqué.
En revanche, Daech a conservé jusqu'à présent une certaine capacité d'initiative face aux forces de Bachar el-Assad. Daech a repris Palmyre au mois de décembre et poursuit, depuis plusieurs semaines, son offensive contre Deir ez-Zor. Il s'agit, pour l'organisation comme pour le régime, d'un objectif stratégique, en raison, en particulier, de sa localisation et des ressources pétrolières environnantes. On peut s'interroger pour la suite : après la prise de Mossoul et celle de Raqqa, ce qui restera de Daech risque de se retrouver autour de Deir ez-Zor, et ce sera là une situation conflictuelle particulière. Je vous rappelle qu'une partie des forces armées syriennes est toujours à Deir ez-Zor, reliée par une espèce de pont aérien, et la présence de Daech se renforce. La situation fera sans doute l'objet de discussions dans les semaines qui viennent.
Sur le plan diplomatique, les négociations d'Astana, concentrées sur l'arrêt des hostilités et non fructueuses au plan politique, n'ont pas abouti à une avancée majeure. Nous souhaitons que les réunions qui se tiendront à Genève à partir du 23 février puissent aboutir à un accord.
J'en profite pour vous préciser que la situation dans l'ouest de la Syrie a accéléré la recomposition des groupes armés du front nord, autour de deux ensembles, l'un autour d'Ahrar al-Cham, l'autre autour de Jabhat Fateh al-Cham, anciennement Jabat al-Nosra, affilié à al-Qaïda, et qui se fait appeler maintenant Tahrir al-Cham. Il y a donc dans cette zone deux ensembles organisés, l'un plus proche d'al-Qaïda, l'autre composé d'éléments radicaux. Il n'y a plus là ce qu'on pourrait appeler l'opposition modérée – et ces groupes se battent parfois entre eux. Ce qui reste de l'insurrection modérée est regroupé principalement autour de Damas et dans le sud du pays, près de la frontière jordanienne.
Ma préoccupation principale, en tant que ministre de la Défense, est le bon règlement, dans notre intérêt, de la manoeuvre autour de Raqqa.
J'en viens à la Libye. Nous y menons essentiellement des actions de renseignement, sur les conditions desquelles je ne m'étends jamais, malgré la confiance qui règne entre nous, ou de coopération, par exemple avec la formation d'éléments de la garde présidentielle du président Sarraj, à la demande de celui-ci, depuis quelques semaines – c'est tout de même une contribution modeste, ladite garde ne comptant que soixante-dix ou quatre-vingts éléments.
S'y ajoute notre participation à l'opération européenne Sophia, à laquelle nous fournissons quasiment en permanence un navire depuis le mois de juillet dernier. Notre champ d'intervention s'est élargi, puisque nous sommes maintenant mandatés pour faire respecter l'embargo sur les armes, en restant hors des eaux territoriales libyennes – dans les eaux territoriales, cela poserait des difficultés techniques et juridiques.
Daech, qui était présent essentiellement à Syrte et un peu à Derna et à Benghazi, a reculé. Aujourd'hui, Syrte est complètement reprise, à la suite, d'une part, d'une intervention de l'armée de l'air américaine le 17 décembre dernier et, d'autre part, de l'entrée des milices de Misrata. Les combattants de Daech se sont dispersés. Il y avait aussi des « franchises » de Daech dans la zone. C'est donc un grand succès. La dernière fois que nous nous sommes rencontrés, Mesdames et Messieurs les députés, je m'inquiétais de la création, à Syrte, d'un territoire de repli pour Daech ; cela n'existe plus. Par ailleurs, Benghazi est quasiment reprise, et Derna aussi. Nous sommes désormais moins inquiets de la force de Daech, même si certains éléments ont pris la direction du sud, ce qui a d'ailleurs conduit le président tchadien à fermer la frontière.
À Tripoli, la situation est très confuse, avec d'extrêmes tensions entre les différentes milices. L'autorité du président Sarraj reste contestée. Le maréchal Haftar, pour sa part, est fort, et il faudra bien parler avec lui. Mais tout le problème en Libye est de trouver le bon endroit pour que tout le monde se parle… Jusqu'à présent, rien n'a abouti, même si les initiatives sont actuellement nombreuses, les unes menées par Alger, les autres par Le Caire, d'autres encore par les Nations unies, mais l'émissaire de l'Organisation des Nations unies n'est toujours pas remplacé, ce à quoi le secrétaire général de l'ONU doit remédier. Il importe que des initiatives soient prises pour aboutir à une solution politique. L'Union africaine elle-même s'en est préoccupée. Le président Sassou a pris l'initiative d'une réunion à Brazzaville ; cela n'a pas marché, mais il y a encore des initiatives à prendre. Je me rendrai au Caire lundi prochain, et nous aborderons la question. Nos positions sont assez proches des positions égyptiennes, mais nous ne sommes pas militairement acteurs dans l'état actuel des choses.
Le secrétaire à la Défense Mattis m'a donné le sentiment que la politique américaine sur cette question s'inscrivait dans la continuité et que nos avis se rejoignaient assez bien. Il est urgent d'agir, il est urgent de trouver une solution politique : les trafics continuent, et la guerre civile est proche. Les pays du voisinage ont des responsabilités importantes, les Nations unies aussi, et la France est disposée à prêter son concours à toutes les médiations possibles.
J'en viens à la bande sahélo-saharienne. Ce foyer de terrorisme est, pour sa part, dominé par al-Qaïda. Rappelons le chemin parcouru depuis 2013. À l'époque, tout le nord du pays, ainsi que le centre, était aux mains d'al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI), d'Ansar Dine et du Mouvement pour l'unicité et le jihad en Afrique de l'Ouest (MUJAO). Les islamistes, après avoir mis la main sur Tombouctou et Gao, envahissaient le pays au sud de la boucle du Niger et leurs colonnes de pick-up armés fonçaient sur Bamako. Depuis cette date, nous avons mené l'opération Serval et lancé l'opération Barkhane. L'armée malienne se reconstruit. L'opération EUTM Mali (European Union Training Mission in Mali) a été prolongée par l'Union européenne il y a quelques jours ; nous y sommes désormais très peu présents, avec 10 Français sur un total de 570 militaires. La nouveauté est que l'opération ne se limite pas à Koulikoro, le lieu de formation, elle comporte aussi de l'accompagnement de formation dans les garnisons. Par ailleurs, le renforcement de la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali (MINUSMA) se poursuit, avec 11 000 militaires, mais montre encore, il faut bien le dire, des insuffisances. L'arrivée progressive d'éléments européens – des Néerlandais, des Danois, des Allemands – a permis de renforcer la dimension logistique mais la situation demeure, à mes yeux, insatisfaisante. Je veux vraiment m'entretenir de la question avec des responsables des Nations unies lorsque je me rendrai à nouveau au Mali à la fin de la semaine ; le mandat est robuste, mais la composition de la mission ne l'est pas suffisamment. Si l'on veut poursuivre la pacification, en particulier dans le nord du pays, il faut y remédier.
Nous comptons pour notre part toujours entre 4 000 et 5 000 militaires dans le cadre de l'opération Barkhane, dont l'état-major est établi à N'Djamena. De vigoureuses actions de contre-terrorisme sont menées en permanence ; de grande qualité, elles forcent le respect. Une nouveauté est la fréquence croissante des opérations menées en commun avec les pays concernés, en lien avec le G5 Sahel. Parfois, ce sont les ministres de la Défense qui se réunissent ; le plus souvent, ce sont les chefs d'état-major, dont le nôtre, pour mettre en oeuvre des opérations interopérables sur des frontières tout de même extrêmement longues. Nous avons pu engager des actions mixtes avec la Mauritanie, le Tchad, le Niger et le Mali. Très bientôt, nous en engagerons avec le Burkina Faso. Cela devrait permettre le renforcement de notre action contre les terroristes.
Quant à la question des « groupes signataires » et des groupes terroristes, un événement grave est survenu : l'attentat du 18 janvier à Gao, au moment où, enfin, était en train d'aboutir la mise en oeuvre de patrouilles mixtes entre la Coordination des mouvements de l'Azawad (CMA), plutôt à dominante touarègue, et la Plateforme, plutôt proche de Bamako. L'application des accords d'Alger supposait la mise en oeuvre de ces patrouilles mixtes ; plusieurs fois repoussée, elle anticipait l'intégration de ces hommes en armes dans l'armée malienne. L'attentat, qui a fait plusieurs dizaines de morts, a été commis sur le lieu même de la prise d'armes, où étaient présentes à la fois la CMA, la Plateforme et l'armée nationale malienne. Mais, pour dramatique qu'il soit, cet événement jouera peut-être un rôle incitatif. Nous constatons d'ailleurs que les patrouilles vont pouvoir reprendre progressivement, y compris à Kidal, lieu de cristallisation de toutes les passions et parfois théâtre de tous les incidents. Un calendrier a été fixé après cet attentat. C'est une réaction saine, qui doit s'accompagner d'initiatives politiques des autorités maliennes. Le président malien a pris des engagements lors du sommet Afrique-France de Bamako ; je dois le revoir vendredi soir. Je demanderai que ces initiatives politiques soient effectivement prises.
Les initiatives politiques sont simples : il s'agit d'afficher une volonté de décentralisation pour le Nord, et de mettre en place des autorités intérimaires afin de permettre l'engagement de l'action de décentralisation inscrite dans les accords d'Alger.
L'Algérie a joué le rôle que l'on attendait d'elle en exerçant une pression suffisamment forte pour faire avancer les choses et, globalement, l'évolution paraît plutôt positive pour ce qui est des groupes signataires. Cela dit, je reste prudent, car il est déjà arrivé à plusieurs reprises que des engagements soient pris et des calendriers établis, sans que cela soit suivi des effets attendus.
Pour ce qui est des groupes non-signataires – les groupes terroristes –, nous assistons actuellement à un renforcement, alimenté notamment par des trafics de drogue, de divers groupes – Ansar Dine, al Mourabitoune et les groupes peuls du Front de libération du Macina, qui commencent à s'organiser – autour du rebelle touareg Iyad Ag Ghali, qui joue un rôle fédérateur. Tous ces groupes, qui contribuent à la fragilisation de la situation, ne mènent plus des actions semblables à celles de 2013, mais des actions asymétriques basées sur l'utilisation fréquente d'engins explosifs improvisés, souvent mis en oeuvre au cours d'actions kamikazes. Tout cela nécessite une très grande vigilance de notre part : c'est la raison d'être de l'opération Barkhane, étant précisé que la MINUSMA nous faciliterait la tâche en jouant pleinement son rôle, qui consiste à occuper le territoire afin d'assurer le respect des accords d'Alger.
Une remarque pour la suite, pour mon successeur : n'oublions pas que Daech et al-Qaïda sont cousins Si l'on se focalise sur Daech depuis deux ou trois ans pour les raisons tout à fait justes, à savoir la nécessité de continuer la lutte, après les attentats, contre une organisation constituée en proto-État – en réalité une armée terroriste – ayant une stratégie d'occupation des territoires, il ne faut pas perdre de vue pour autant l'expansion internationale du terrorisme de l'islam radical qui, demain, peut passer par d'autres moyens que Daech. Il faut donc combattre également al-Qaïda et veiller à empêcher que des résurgences de ce mouvement dans la bande sahélo-saharienne ne s'organisent suffisamment pour constituer une menace. Nous devons aussi rester très vigilants sur la situation au Yémen et autour du lac Tchad, avec Boko Haram.
Les attaques lancées l'année dernière contre des hôtels à Bamako, Ouagadougou et Grand Bassam étaient le fait d'AQMI, non de Daech. Pour ce qui est de la lutte contre Boko Haram, la situation est en voie d'amélioration. En collaboration avec le Royaume-Uni et les États-Unis, nous avons mis en place une cellule de coordination et de liaison pour le renseignement, basée à N'Djamena, et qui fournit des informations à la Force multinationale mixte constituée de troupes fournies par le Nigeria, le Tchad, le Cameroun, le Niger et le Bénin, afin de combattre Boko Haram. Avec le temps, la coordination progresse et nous avons constaté en fin d'année une amélioration des résultats obtenus par les forces armées locales, à commencer par celles du Nigeria. À la fin de l'année dernière, ces forces ont pris Camp Zéro, le repaire d'Abubakar Shekau situé au coeur de la forêt de Sambisa, et ont dispersé ses combattants. Dans les zones reconquises, la population revient, la vie reprend son cours et les écoles rouvrent.
Cela dit, ces avancées se sont faites surtout au détriment de la branche « historique » de Boko Haram, dirigée par Shekau ; il faut désormais tenir compte d'une nouvelle branche, l'ISWAP, dirigée par Al Barnawi, qui a fait allégeance à Daech et commence à mener des actions offensives. Nous soutenons la lutte contre cette branche grâce à notre action de conseil tactique et, à l'occasion, par un soutien au Niger, lorsque les frontières nigériennes sont franchies par des groupes terroristes.
Pour ce qui est de l'opération Sangaris, je voudrais rendre hommage aux soldats qui ont servi sur un théâtre d'opérations très éprouvant, où ils avaient affaire à plusieurs ennemis difficilement identifiables, ce qui a donné lieu pendant près de trois ans à un chaos généralisé et à d'épouvantables scènes de massacre. On imagine le stress auquel ont été soumis nos militaires durant toute la période de leur engagement, et je pense tout particulièrement aux quatre d'entre eux qui ont perdu la vie lors de cette opération, dont j'ai prononcé la clôture le 31 octobre dernier à Bangui.
Les élections de 2016 ont porté au pouvoir un nouveau président de la République, Faustin-Archange Touadéra et abouti à la mise en place d'un parlement devant lequel j'ai eu l'occasion de m'exprimer. La MINUSCA, que nous avions sollicitée, s'est installée et impose sa présence. La France contribue également à la mission européenne de formation des forces armées centrafricaines (EUTM RCA).
Le regain de violence qu'a connu le pays ces jours derniers trouve son origine dans la recomposition des alliances au sein de la rébellion Seleka. Les Peuls d'Ali Darass sont aujourd'hui menacés à Bambari par les autres composantes plus radicales du mouvement, en l'occurrence le Front populaire pour la renaissance de la Centrafrique (FPRC) dirigé par Noureddin Adam. La MINUSCA s'est déployée et a engagé sa force de réaction rapide, armée par le contingent portugais. De notre côté, nous avons effectué quelques vols de dissuasion, coordonnés avec les Portugais, afin de montrer que notre aviation était prête à intervenir en cas de besoin.
Au total, on peut considérer que la mise en oeuvre de l'opération Sangaris et, plus généralement, la présence française en République centrafricaine auront permis d'éviter au pays de s'enfoncer dans un nouveau cycle de massacres – même s'il convient de rester vigilant.
Quelques mots pour ce qui concerne le territoire national. Je rappelle que la menace reste très élevée et que, dès lors, le maintien de l'opération Sentinelle est aujourd'hui pleinement justifié. Comme cela avait déjà été le cas par le passé, nos soldats ont montré, lors de l'attaque perpétrée au Louvre au début du mois, une réactivité et un sang-froid prouvant que la formation préalable à laquelle ils sont soumis est efficace en ce qu'elle leur permet, le moment venu, de mettre en oeuvre une riposte graduée, allant jusqu'à l'engagement de leur arme. J'ajoute que, selon les premiers éléments de l'enquête, l'assaillant ne s'attendait pas à trouver des soldats à cet endroit, ce qui tend à montrer qu'ils ont joué le rôle de bouclier plutôt que de cible.
Si les débuts de l'opération Sentinelle n'ont pas été sans difficultés, ce qui s'explique en partie par le contexte du moment, nous pouvons nous féliciter d'avoir mis sur pied un dispositif tout à la fois souple, réactif et mobile – grâce aux moyens matériels mis en oeuvre, qu'il s'agisse des véhicules ou des éléments de transmission spécifiques. Par ailleurs, avoir réussi à faire passer la force opérationnelle terrestre de 66 000 à 77 000 hommes, objectif atteint en janvier dernier, nous permet de souffler un peu. Le recrutement s'est étendu sur deux ans. L'expérience, bien organisée comme elle le fut, se révèle fructueuse. J'ai visité des unités où le passage au cinquième escadron ou à la cinquième compagnie est apprécié et montre que le dispositif est arrivé à maturité. Nous sommes désormais de plus en plus en mesure de déployer, sans porter atteinte à nos capacités d'intervention extérieure, 7 000 hommes en permanence, avec une réserve stratégique de 3 000 hommes pouvant être mobilisés dans l'hypothèse où surviendrait un événement d'une gravité particulière.
Nous devons cependant faire face à la mise en oeuvre par Daech d'une stratégie de compensation médiatique : l'organisation terroriste cherche ainsi à masquer son recul en Irak et en Syrie par une augmentation de ses actions directes ou commanditées en Occident – la France n'est pas la seule à être visée. Nous sommes désormais face à des menaces plutôt endogènes dans la mesure où les mouvements de combattants ne se produisent plus depuis la reprise de Al-Bab et Mambij en Syrie.
Pour ce qui est de la réserve, la montée en puissance de la garde nationale va permettre de faire passer nos effectifs de réservistes de 27 000 à 40 000 à l'horizon 2018-2019. Afin d'améliorer l'attractivité du dispositif, nous avons décidé que les jeunes s'engageant dans la réserve opérationnelle pourraient bénéficier d'une subvention pour passer le permis de conduire, d'une allocation étudiant, ainsi que d'une prise en compte de leur présence au sein de la réserve dans le cadre du dispositif de valorisation des compétences. L'augmentation des effectifs s'accompagne de celle du taux moyen d'activité qui, à terme, va passer de 23 jours à 37 jours, ce qui constitue un autre motif de satisfaction.
J'en viens enfin à la position de la France dans le contexte européen, et notamment aux suites de la réunion de l'Alliance atlantique à Bruxelles. Trois événements importants ont eu lieu la semaine dernière : la réunion du Conseil des ministres de la Défense de l'OTAN, qui a donné lieu à une intervention du général Mattis ; l'entretien en tête à tête que j'ai eu avec le secrétaire à la Défense ; enfin le forum de Munich, au cours duquel est intervenu Mike Pence, vice-président des États-Unis.
Ces différentes rencontres ont été l'occasion d'une réaffirmation des grands principes du lien transatlantique ; du fait que l'Alliance est une alliance nucléaire – ce que l'on oublie parfois ; du fait qu'il convient de rester vigilant à 360°, et non seulement à l'est, pour ce qui est des missions de l'Alliance ; enfin, du fait que nous devons nous interroger sur le rôle de l'Alliance en matière de contre-terrorisme. Après les déclarations, récemment entendues, selon lesquelles l'OTAN serait une organisation obsolète, il était plutôt rassurant de s'entendre dire le contraire par les plus hautes autorités américaines, notamment le vice-président – venant du général Mattis, commandant suprême du Commandement allié de transformation (SACT) de l'Alliance atlantique entre 2007 et 2009, une telle affirmation n'avait rien de surprenant.
Quoi qu'il en soit, nous prenons acte de ces déclarations et espérons qu'elles se trouveront confirmées lors de la réunion des chefs d'État et de gouvernement de l'Alliance qui aura lieu le 22 mai prochain, en présence du président Trump. La semaine dernière, nous avons insisté sur la nécessité d'une réforme de l'Alliance – un sujet sur lequel la France est à l'offensive. La donne change ; il faut que l'Alliance s'adapte, se montre plus agile, plus souple, moins technocratique, afin d'être en mesure de mieux assumer ses responsabilités. Si elle n'est pas unanimement partagée, cette vision a été soutenue, au moins publiquement, par James Mattis.
Pour les autorités américaines, le sujet principal résidait dans la nécessité de voir l'ensemble des pays membres de l'OTAN – singulièrement les États de l'Union européenne, mais aussi le Canada – se rallier à l'objectif d'affectation de 2 % du PIB au budget de la défense. Ce discours, que l'on entend depuis le sommet de l'OTAN à Newport en 2014, ne nous visait pas directement, et l'objectif précité est d'ailleurs inscrit dans notre loi de programmation militaire pour 2014-2019. Pour 2016, si l'on intègre l'ensemble des dépenses, la France en est à 1,82 % du PIB : nous ne sommes donc plus très loin du but, mais l'effort doit être poursuivi pour l'atteindre.
Cela dit, il ne faut pas se focaliser sur les 2 % : pour que cet objectif ait un sens, il faut l'assortir d'une condition complémentaire, à savoir que 20 % des crédits correspondants soient affectés à l'investissement – c'était le deuxième critère de Newport. Si nous remplissons aujourd'hui cette condition, certains en sont loin, alors même qu'ils ont atteint l'objectif des 2 % : on peut avoir des armées pléthoriques en personnels, mais sous-dotées en matériels, avec les conséquences que l'on imagine en termes d'efficacité.
Par ailleurs, comme j'ai eu l'occasion de l'affirmer devant mes homologues, les objectifs financiers ne suffisent pas : encore faut-il s'engager réellement. C'est là qu'on peut se retrouver quelque peu en délicatesse avec certains pays européens. L'OTAN n'est pas une assurance. Il faut parfois se résoudre à payer le prix du sang.
Pour ce qui est de la situation à l'est, nous maintenons à l'égard de la Russie un discours de fermeté sur les principes en persistant à considérer inacceptables la rupture des accords internationaux, la situation en Ukraine et l'annexion de la Crimée, tout en nous efforçant de maintenir ouverte la voie d'un indispensable dialogue.
Depuis la dernière fois que je me suis exprimé devant votre commission, un certain nombre de gesticulations militaires ont été observées de la part de la Russie, qui ne sont pas passées inaperçues, dont la présence du groupe du porte-avions Admiral Kouznetsov en Méditerranée durant plusieurs semaines et, le 9 février dernier, le passage de bombardiers stratégiques russes à la limite de notre espace aérien, qui ont aussi longé les côtes norvégiennes, britanniques – et même les côtes bretonnes, ce qui est du plus mauvais goût (Sourires) et nous a obligés à les escorter jusqu'aux côtes espagnoles, en prévenant nos collègues ibériques, bien sûr. Et cela fait la quatrième fois que nous observons une manoeuvre de ce genre qui, si elle ne constitue pas réellement une agression, est tout de même la marque d'une certaine tension.
Nous avons répondu positivement, en dépit des difficultés que cela implique, à la demande de contribution au dispositif dit de « présence avancée rehaussée » de l'OTAN, consistant en la présence de forces en Estonie en 2017 et en Lituanie en 2018. Nous ne participons pas à ce stade en tant que nation-cadre – cette fonction étant assurée pour les troupes présentes en Estonie par le Royaume-Uni, et pour celles présentes en Lituanie par l'Allemagne –, mais nous allons fournir un sous-groupement tactique interarmes composé de 300 hommes et 70 véhicules, pour participer à cette présence dissuasive. Nous avons eu sur ce point des discussions avec nos amis baltes, mais elles ont abouti positivement : présence dissuasive ne signifie pas présence agressive, cela suppose des règles de comportement bien définies et partagées par tous les pays concernés. Les Allemands partageaient notre position et nous avons obtenu satisfaction.
Enfin, je conclus en vous annonçant que, dans le respect de la trajectoire de la loi de programmation militaire actualisée, je vous présenterai formellement le bilan relatif aux ressources financières et aux effectifs sous la forme d'un rapport d'évaluation qui vous sera remis avant le 31 mars 2017, ainsi que j'en avais pris l'engagement lors de l'examen de la loi d'actualisation de la LPM ; je suis même disposé à venir commenter ce document si vous l'estimez nécessaire, mais ce ne devrait a priori pas être nécessaire, cette évaluation étant strictement conforme aux prévisions.
Nous avons été nombreux, au sein de cette commission, à nous rendre au Mali, où nous avons entendu les avis les plus divers. L'impression générale est toutefois celle d'un certain enlisement de la situation. Sur le plan politique d'abord, dans la mesure où les accords d'Alger ont bien du mal, le mot est faible, à être mis en pratique – on n'en voit guère la traduction sur le terrain –, on reste toujours dans l'enlisement : sans solution politique, il n'y aura pas de solution, quels que soient les efforts militaires. Ensuite, c'est toujours la France qui se retrouve à fournir le principal de l'effort. De ce point de vue, nous sommes bien loin des illusions que l'on pouvait avoir au début des opérations, croyant qu'il n'y en aurait pas pour longtemps : nous avons désormais le sentiment d'être embarqués dans une affaire partie pour une durée que plus personne ne peut déterminer.
La dégradation de la situation intérieure au Mali que vous avez évoquée, caractérisée par une recrudescence de l'insurrection et des actes de terrorisme au centre du pays, risque d'accélérer le pourrissement général, ce qui nous fait courir le risque de nous trouver pris au piège par une situation qui nous dépasse. Monsieur le ministre, comment voyez-vous les choses évoluer, et pensez-vous que nous allons rester isolés comme nous le sommes actuellement ? Certes, quelques efforts sont faits sur le plan européen – je pense à l'EUTM et à la mission EUCAP –, mais nous sommes toujours les seuls à aller au feu et à payer le prix du sang. Entrevoyez-vous une solution ou une initiative qui serait de nature à améliorer la situation, afin que nous ne restions pas bloqués éternellement au Mali ?
Ma deuxième question porte sur l'impasse budgétaire du ministère de la Défense. Si vous avez fait des efforts, que personne ne conteste, pour redresser la trajectoire du budget de la défense – ne serait-ce que pour répondre aux engagements du président de la République –, sur le fond, on ne constate pas de véritable amélioration. J'en veux pour preuve que les chefs d'état-major se sont succédé devant cette commission nous faire part de la gravité de la situation. Je préférerais éviter de vous être désagréable au moment où vous vous apprêtez à quitter vos fonctions, mais comment ne pas entendre les appels des chefs de nos armées, qui viennent ici même sonner le tocsin ? Il serait malvenu de notre part de vous priver des éloges que vous méritez pour l'action que vous avez menée dans certains domaines – les exportations d'armements sont une réussite à mettre à votre actif, et vous avez fait preuve durant toute la période où vous avez exercé vos fonctions d'une remarquable maîtrise, ce qui n'a pas été le cas de certains de vos prédécesseurs –, mais force est de reconnaître que vous allez partir en laissant nos forces armées dans une position très difficile sur le plan budgétaire, et que le redressement de la situation sera une opération extrêmement compliquée.
Mon collègue de droite vient de faire preuve d'un pessimisme très marqué, dont on peut se demander s'il n'est pas inspiré par les prochaines échéances électorales.
Pour ma part, Monsieur le ministre, j'aimerais vous interroger au sujet de Renault Trucks Defense (RTD). Début février, 25 véhicules blindés PLFS Sherpa, qui avaient été assemblés à Limoges, ont été livrés à nos forces spéciales. La cession annoncée de RTD pose de nombreuses questions, en termes d'emplois dans la région – ce qui me préoccupe particulièrement –, mais aussi sur le plan stratégique, car il serait regrettable que le programme Scorpion puisse se trouver remis en cause. À l'heure actuelle, il semble que les acquéreurs potentiels se multiplient – on parle du groupe KNDS, mais aussi de Safran, de CMI ou encore de Rheinmetall – tandis que, de votre côté, vous semblez pousser à la conclusion d'un accord avant les élections présidentielles. Le groupe Volvo, qui possède RTD, donne l'impression de jouer la montre, peut-être pour faire monter les enchères, mais au détriment de l'entreprise et de ses salariés. Cela dit, il semble que le groupe belge CMI tienne la corde, sans être le favori de l'État français, en particulier de votre ministère. Quelle option privilégie-t-il ? Et qu'en dit Bercy ?
Monsieur le ministre, au cours des cinq dernières années, vous êtes régulièrement venu nous informer des opérations en cours, nous présenter le budget de la défense et répondre à nos questions – c'est aujourd'hui votre quarante-neuvième audition par notre commission : en soixante mois, ce n'est pas mal ! Vous avez également été un ministre de terrain, proche des troupes, et je vous en félicite. Partisan du franc-parler, je me permettrai toutefois de vous adresser quelques remarques et questions.
Vous avez choisi de refuser la vente des Mistral à Vladimir Poutine, tout en passant contrat avec la dictature égyptienne et l'Arabie saoudite. Sous le quinquennat qui s'achève, la France est devenue le troisième exportateur d'armes, ce qui peut être considéré comme une bonne chose, mais n'a pas permis d'équiper nos armées en matériel conventionnel de base. Je rappelle que nos soldats sont dorénavant équipés de chaussures et de fusils allemands, et de treillis provenant de Tunisie et d'Indonésie…
En réponse à une question écrite que je vous avais adressée, vous m'avez indiqué le 24 janvier dernier que la coopération militaire de l'armée française avec Israël était ancienne. Pouvez-vous éclairer la représentation nationale à ce sujet ? Plus précisément, pouvez-vous nous indiquer quelles sont les collaborations établies entre la France et Israël au niveau des états-majors et des forces terrestres ?
Par ailleurs, je déplore que la DGA n'ait pas aidé nos PME à se regrouper pour constituer un pôle national des industries de défense. Quelles solutions allez-vous proposer pour Renault Trucks Defense ?
Enfin, grâce à votre action énergique visant au remplacement du logiciel Louvois, il est permis d'espérer que, dans quelques années, les armées puissent enfin disposer d'un système de paie efficace et fonctionnel. Je vous en remercie sincèrement, ainsi que pour l'ensemble du travail que vous avez accompli et la disponibilité dont vous avez fait preuve à notre égard au cours des cinq dernières années.
Monsieur Fromion, vous avez parlé de poursuite de l'insurrection au Mali. Mais nous ne sommes absolument plus, et c'est heureux, dans la situation de 2013 : je rappelle que la ville de Bamako était alors sous la menace d'être prise par les islamistes. Depuis, des élections présidentielle et législatives ont eu lieu, et la situation à Bamako s'est normalisée.
Si des difficultés persistent, c'est en raison de la constitution, après l'offensive de Serval ayant abouti à la défaite de l'armée terroriste qui s'était formée, de petits groupes qui se livrent à des actions terroristes très classiques. Si nous combattons ces groupes avec succès, ce qui nous permet de récupérer leurs armements, nous devons également faire en sorte de mettre fin aux diverses porosités constatées au nord, clairement liées à des trafics, qui n'ont donc rien d'idéologique mais qui permettent cependant aux éléments fondamentalistes de disposer de moyens d'action contre la France, mais aussi l'armée malienne et les forces des Nations unies : les pertes de la MINUSMA s'élèvent actuellement à 90 hommes.
Pour combattre ces porosités, nous devons trouver les moyens d'intégrer, au sein d'un même dispositif militaire, les éléments des groupes armés signataires qui se sont déclarés volontaires. Il faut agir vite, car si nous tardons trop à intégrer ces hommes, ceux qui pensaient entrer dans le dispositif d'intégration essaieront de trouver d'autres formules d'allégeance plus rentables… Les éléments susceptibles de nous rejoindre sont identifiés et, si nous ne voulons pas les perdre, nous devons conclure des accords avec la CMA et la plate-forme afin de mettre en place au plus vite les dispositifs d'intégration qui permettront la constitution de ces fameuses patrouilles mixtes : c'est pour moi la solution incontournable, et je suis optimiste sur le fait qu'elle soit prochainement mise en oeuvre.
Parallèlement, nos amis algériens ont un rôle important à jouer : ils ont été les accoucheurs de l'accord, ils en sont un peu les garants. Ils l'ont fait le mois dernier au cours du sommet Afrique-France de Bamako et à la suite des attentats de Gao ; ils doivent poursuivre l'effort. De son côté, il faut que le gouvernement malien prenne les initiatives politiques nécessaires. Plus important encore, il faut durcir les missions des Nations unies. L'objectif n'est plus, contrairement à celui des missions antérieures, de faire de l'interposition. La MINUSMA doit faire en sorte que la sécurité du territoire soit acquise. C'est presque du contre-terrorisme – même si Barkhane s'en charge, son rôle sur ce point étant bien spécifié dans la mission de la MINUSMA.
Enfin, il conviendrait d'éviter de faire preuve de complaisance à l'égard de M. Iyad Ag Ghali qui revient aujourd'hui à une position de leader. Nous avons d'ailleurs transmis le message aux Algériens, dans la mesure où il passe la moitié de son temps dans le Sud algérien : c'est là qu'il organise ses actions.
Quant à la présence des autres acteurs au Mali, elle n'est peut-être effectivement pas suffisante. Mais sachez que j'irai samedi à Gao voir des hélicoptères d'attaque allemands. Il est tout à fait positif que d'autres acteurs interviennent, mais le fond de l'affaire est bien de durcir le type d'actions que l'on confie aux forces des Nations unies. Cela mériterait une véritable réforme au niveau international. J'ai néanmoins un motif de satisfaction : la coopération militaire entre les pays du G5 est bonne. Je ne suis donc pas pessimiste – à condition que les initiatives politiques nécessaires soient prises.
Je vous remercie des propos aimables que vous avez tenus à mon égard. Néanmoins, je ne partage pas les propos que vous avez tenus quant au bilan financier de mon ministère. Je vous souhaite bien du plaisir pour la suite si jamais votre famille politique succède à la nôtre au Gouvernement. Je comprends très bien qu'à la veille d'échéances électorales, les chefs d'état-major viennent exposer leurs besoins.
Je sais très bien ce que pense le général de Villiers. J'ai une grande confiance en lui qui, me semble-t-il, est partagée. Nous sommes généralement tout à fait transparents l'un envers l'autre sur tous ces sujets. Je ne referai pas le bilan budgétaire de toute mon action car je ne souhaite pas du tout tenir des propos polémiques aujourd'hui. Mais il est certain qu'il faudra renforcer notre effort de défense, quel que soit le président de la République. L'objectif des 2 % de dépenses doit être inscrit à notre agenda politique. Je ne dis pas que ce chiffre doit être atteint l'année prochaine, ce serait irréaliste et trompeur, mais il faut monter en puissance pour atteindre progressivement cet objectif indispensable. Et comme je l'ai indiqué tout à l'heure, cet objectif de 2 % doit être assorti d'un objectif complémentaire de 20 % de dépenses d'investissement. Quoi qu'il en soit, je suis tout de même frappé par le fait que, militairement, la France est très respectée – d'abord par ceux qui nous subissent, mais aussi par nos alliés. À chaque fois que je les rencontre, ils me font part de leur considération, voire de leur admiration, à l'égard de nos forces et de nos actions.
Sur la question de Renault Trucks Defense, Messieurs Boisserie et Candelier, je resterai relativement discret dans la mesure où des négociations sont en cours. Plusieurs options sont possibles. Je ne commenterai pas votre pronostic ; mon souci est de garantir la pérennité de cet outil dont Volvo veut se séparer pour différentes raisons. Volvo ne joue pas la montre : il respecte un calendrier juridique et technique suédois qui est très long. Je suis allé voir le ministre suédois chargé du dossier pour lui demander d'aller relativement vite, mais leur agenda est ainsi fait. Je souhaite pour ma part une solution retenue qui reste européenne et qui permette à nos contrats d'aboutir, tant pour les besoins de nos forces qu'à l'exportation, car RTD est un très bel outil. Les éléments que j'ai en ma possession me permettent de penser que cela devrait pouvoir se faire ainsi.
Je voudrais rappeler à M. Candelier que, pour ce qui est du matériel de l'armée de terre, l'accord que nous avons passé entre Nexter et KMW est tout à fait positif. Vous avez souligné que j'étais un homme de terrain : je ne me rends pas seulement dans les unités, mais aussi dans les entreprises. Je peux donc vous dire que dans les usines entrées dans le dispositif Nexter-KMW, les gens sont contents, car elles ont des plans de charge, des perspectives d'avenir et des exportations potentielles. Je rappelle aussi que c'est moi qui ai relancé Scorpion, ce qui donne à l'armée de terre des perspectives très positives. Comme je l'ai dit récemment dans un discours prononcé en Corrèze, je souhaite accélérer le processus et je pense qu'on va y arriver. Et ce n'était pas du tout un effet de manche politique puisque je ne serai plus là pour voir les résultats.
Je vous remercie de vos propos à mon égard, Monsieur Candelier. Je ne débattrai pas avec vous de la question de savoir si Mohamed Morsi était moins un dictateur que Abdel Fattah al-Sissi. Je pense que l'Égypte est un pays d'équilibre pour l'ensemble de la zone et que si elle est jamais en proie à des guerres civiles, c'est toute la zone qui sera affectée. Il est essentiel que ce pays se stabilise – or ce processus de stabilisation est en cours. Chaque fois que le président de la République ou moi-même rencontrons le président Sissi, nous lui faisons part de nos observations. Reste que la géopolitique ne se fonde pas uniquement sur le respect de certains critères à nos yeux essentiels et que nous nous attachons à essayer de faire respecter ; il y a aussi d'autres considérations dont nous devons bien tenir compte. Et pour revenir sur la vente des Mistral, je ne suis pas certain que la Russie soit non plus un exemple dans ce domaine. Je reste tout à fait convaincu que la France a maintenant noué avec l'Égypte un vrai partenariat, susceptible d'y renforcer à terme la démocratie. J'en suis intimement convaincu.
Pour ce qui est des fusils, c'est un problème que j'ai découvert en arrivant. Et j'ai un autre pari à gagner : la question des munitions. J'espère réussir avant mon départ. Mais ce n'est pas évident.
Je ne cherche pas à savoir qui est le responsable. Et si c'était vraiment lui, vu les échéances, on avait vraiment tout le temps de rectifier le tir… Quoi qu'il en soit, je pense parvenir à le faire avant de quitter mes fonctions – je ne suis pas loin du but. On peut rétablir la situation, mais cela exige un peu de temps. Et pour ce qui est du remplacement des FAMAS, je n'en avais pas du tout : il fallait agir immédiatement.
Monsieur Candelier, j'ai mis en place un pacte défense-PME et j'organise tous les ans un forum des PME défense. Je crois être suffisamment disponible pour recueillir leurs critiques et observations mais chaque fois que je me rends à ce forum, j'entends leur satisfaction et elles m'encouragent à poursuivre mon action. Ce pacte vise les PME, mais il engage aussi les grands groupes, comme Thales ou Dassault, qui ont eux-mêmes passé des contrats auprès de ces PME, lesquelles sont généralement des foyers d'innovation et d'excellence.
Je ne me suis jamais rendu en Israël depuis cinq ans, monsieur Candelier. J'ai reçu deux fois mon homologue israélien à Paris et l'ai rencontré par ailleurs. D'une fois sur l'autre, il avait changé et ce n'est plus le même aujourd'hui. Un dialogue stratégique existe entre nos deux pays. Nous entretenons quelques échanges avec l'armée de l'air et bénéficions de facilités pour notre flotte lorsque nous passons dans le secteur, mais nous n'avons pas d'échanges majeurs, si ce n'est dans le domaine du renseignement.
Monsieur le ministre, j'espère que vous réussirez effectivement à faire revenir cet élément de souveraineté nationale que sont les munitions de petit calibre, au vu des nécessités de consommation de cartouches non seulement des forces armées mais aussi pour les forces de sécurité intérieure.
En ce qui concerne le Mali, je suis aussi inquiet qu'Yves Fromion de voir la situation durer.
Je suis un peu étonné qu'à chaque fois que l'on évoque la Russie, on ne parle jamais des gesticulations de M. Porochenko – qui n'est pas, lui non plus, un grand exemple de démocratie – ni des activités de la Rada, plus préoccupée par le pourcentage de chansons russes diffusées à la télévision ukrainienne que par quoi que ce soit d'autre. Cela m'étonne d'autant plus qu'au sommet de Munich, les représentants ukrainiens parlaient parfaitement russe mais que dès que les Russes arrivaient, ils se mettaient à parler l'ukrainien, langue somme toute assez proche. Accessoirement, le parlement de la Crimée a voté, et l'avait déjà fait en 1991, en faveur du rattachement de ce territoire à la Fédération de Russie.
Je suis assez triste de la tragédie que vit la Syrie. J'ai une pensée pour les soldats de l'armée arabe syrienne qui, en ce moment même, se battent courageusement à Deir-ez-Zor encerclée par Daech. Les islamistes sont concentrés à Idlib où personne, pas même le moindre journaliste, ne peut pénétrer sous peine d'être décapité : que pensez-vous de l'avenir de cette enclave ? Si nous ne laissons pas les forces régulières de l'État syrien nettoyer ce nid, il restera un poison permanent. De même, on n'évoque pas non plus la situation des enfants réfugiés dont les parents ont été des combattants djihadistes et qui ont appris à décapiter des adultes à l'âge de dix ou onze ans. Ce sont de vraies bombes à retardement non seulement en Syrie, mais aussi au Liban proche.
J'ai été surpris que des islamistes possèdent des missiles Milan et en aient fait état sur les réseaux sociaux, de même que je suis étonné d'avoir vu à la télévision syrienne des obus de mortiers flambant neufs et des roquettes, les mêmes dont nous chargeons les paniers sur nos hélicoptères, tout aussi neuves. Pourquoi n'évoque-t-on pas cette situation ?
Enfin, vous avez signé le 2 février dernier un arrêté effaçant 14,398 milliards d'euros d'autorisations d'engagement pour les reporter à l'année prochaine : de quoi s'agit-il ?
Je voudrais me joindre aux hommages qui vous ont été rendus, Monsieur le ministre, et vous remercier pour votre compétence, votre sens des responsabilités, votre soutien aux militaires et surtout votre totale absence d'arrogance, qui se double d'une efficacité relativement rare, a fortiori dans cette période.
J'ai apprécié votre engagement en faveur de la filière spatiale qui est duale et qui joue un rôle de plus en plus important dans la fourniture de données indispensables aux opérations militaires comme au renseignement.
Je souhaiterais vous interroger concernant l'Europe de la défense. Vous avez su anticiper le Brexit en tissant des liens avec votre homologue britannique et je sais que le dialogue avec l'Europe fait partie de vos préoccupations. Avant que vous ne quittiez vos fonctions, pourriez-vous nous présenter un état des lieux aussi exhaustif que possible de la situation de cette Europe de la défense ? Croyez-vous en l'Europe de la défense renforcée que la plupart d'entre nous appellent de leurs voeux ?
Monsieur Dhuicq, j'ai déjà répondu à M. Fromion sur la situation au Mali. Eu égard aux gesticulations que vous avez évoquées, je vous répondrai avec humour que je n'ai pas vu de sous-marin ukrainien dans l'Atlantique nord ni de bombardier ukrainien à capacité nucléaire au large des côtes françaises… Dès lors qu'une flotte s'approche de notre propre territoire, il faut quand même pouvoir lui dire de circuler… Quant à la position de la France sur l'Ukraine, vous la connaissez : nous souhaitons le respect des accords de Minsk II tant par les acteurs du Donbass que par les autorités ukrainiennes. À cet égard, je n'ai pas senti à Munich de rupture dans les propos tenus par les différents acteurs concernés, y compris par M. Lavrov, sur l'Ukraine : tous visaient le respect intégral des accords de Minsk II. Cet objectif n'est pas facile à atteindre, on observe toujours des violations, mais il faut essayer de les respecter.
En ce qui concerne Idlib, vous me demandez ce que nous allons faire, mais nous n'y sommes pas présents : nous n'intervenons que dans les actions contre Daech et pas pour autre chose. Ensuite, nous sommes favorables à un accord de paix qui puisse régler l'ensemble de ces situations particulières, y compris celle d'Idlib. Mais si vous me parlez d'Idlib, je pourrai vous parler des forces qui menacent les Jordaniens.
Enfin, les 14 milliards d'autorisations d'engagement sont reportés pour des raisons strictement techniques. Je pourrai vous fournir une note circonstanciée sur le sujet. S'il y a bien quelqu'un de vigilant en matière budgétaire, c'est moi.
Je vous remercie de vos compliments, Madame Fioraso. La grande nouveauté de l'année 2016, c'est que le document franco-allemand que Mme von der Leyen et moi-même avons initié en septembre a d'abord été soutenu par l'Italie, l'Espagne, le Portugal et les Tchèques, puis validé par le Conseil des chefs d'État et de gouvernement en décembre, y compris par les Britanniques. Je ne détaillerai pas l'ensemble de ce document car il me faudrait pour cela une séance entière. Mais je puis vous dire que j'ai toujours été pragmatique à l'égard de l'Europe de la défense, considérant que le meilleur moyen de la faire avancer n'était pas d'en réclamer une tous les matins mais de voir, dans les différents dossiers, quels points on pouvait faire progresser ensemble. Dans le document qui a été validé par le Conseil européen figurent des éléments financiers, capacitaires et opérationnels.
Parmi les éléments opérationnels, est prévue une plus grande capacité de réactivité si une opération européenne est décidée, la capacité de planification propre – en faveur de laquelle les Britanniques eux-mêmes ont voté – et l'identification de l'Eurocorps comme creuset des actions communes.
Sur le plan financier, le document prévoit le renforcement du dispositif Athéna et la mise en place d'un dispositif d'aide au financement des forces armées que l'Union européenne aide par ailleurs comme mission EUTM. Ce dispositif CBSD (Capacity building in support of security and development) va nous permettre de financer, sur fonds européens, des équipements non létaux – jumelles, gilets pare-balles, casques, chaussures, etc. – pour les armées que nous reconstituons. Enfin, a été actée, à hauteur de 90 millions d'euros pour la période 2017-2019, « l'action préparatoire » aux dispositions de la programmation budgétaire de l'Union européenne 2020-2026 qui prévoit une capacité de financement de dépenses de recherche militaire. Cette action préparatoire comprend notamment un programme particulier en faveur de l'hélicoptère dronisé. À cela s'ajoute le Fonds européen de défense, initiative propre au président Juncker, dont le principe est affiché et dont nous essayons en ce moment de décliner les modalités.
C'est une avancée considérable ; reste à passer à la mise en oeuvre. Les principes ont certes été votés par les chefs d'État et de gouvernement mais les choses risquent de se compliquer quand il faudra les décliner aux échelons inférieurs. J'en ai fait l'expérience dès samedi matin à Munich, lorsque j'ai commencé à discuter de ces sujets avec la commissaire européenne : elle y est tout à fait favorable, mais il va falloir que nous nous associions avec les Allemands pour faire valider ces décisions rapidement. Je précise que l'Europe de la défense ne se fait pas contre l'OTAN : les propos des uns et des autres montrent bien qu'il s'agit de complémentarité et non de substitution. C'est une avancée tout à fait significative qui, j'espère, nous permettra d'engranger des succès en 2017.
C'est un honneur et un plaisir pour moi de poser la dernière question de la législature. Je voudrais vous dire, Monsieur le ministre, combien nous avons eu plaisir à travailler avec vous de manière très républicaine et très constructive. Cela tient beaucoup à votre personne et à la qualité d'écoute dont vous avez fait preuve.
À votre avis, l'opération Sentinelle pourra-t-elle se poursuivre longtemps dans son format actuel ? Elle suscite en effet de nombreuses interrogations de la part de nos forces armées. Autant son déploiement sur un temps court et précisément défini ne pose pas de difficultés, autant on peut se demander s'il est tenable de confier durablement à nos armées d'active des missions qui relèvent plutôt de la police et de la gendarmerie. Je mets les réserves à part : peut-être devraient-elles avoir à terme davantage de moyens et un rôle plus important à jouer en la matière. C'est une question importante pour nos militaires sur le terrain : lorsqu'ils s'engagent, ils ne le font pas pour cela, sinon ils iraient dans la police ou la gendarmerie.
Comme je l'ai dit tout à l'heure, autant je partageais une partie des réserves que pouvaient formuler nos militaires sur les modalités de l'opération Sentinelle lorsqu'il est apparu, au début, qu'elle allait s'inscrire dans la durée, autant la situation s'est maintenant nettement améliorée, y compris en termes de temps de présence et d'équipements nécessaires.
Plus généralement, que ce soit dans la situation antérieure ou dans la situation actuelle, il n'y a pas de plan B. Si quelqu'un peut me démontrer le contraire, qu'il le fasse. Pour ma part, je ne prendrai pas le risque d'essayer. J'entends bien qu'on émette des réserves mais comment faire, sachant qu'il n'y a pas de solution alternative et que la menace est là ? Je ne suis pas de ceux qui conseilleraient d'arrêter Sentinelle demain matin au motif que ce ne serait pas la mission historique de nos soldats : nous sommes dans une période de tensions et d'attentats qui ne correspond pas non plus aux schémas du passé. C'est la dure réalité du moment, face à laquelle nous n'avons pas de solution alternative. Demain, quand la menace se sera estompée – le plus vite possible, j'espère, mais compte tenu de ce qui se passe, je ne suis pas sûr que cela arrivera aussi vite qu'on le souhaiterait –, et avec la montée en puissance de la garde nationale, on pourra alléger l'opération Sentinelle. Reste que la défense du territoire national fait partie des missions assignées à nos armées. Si cette mission a pris davantage d'importance aujourd'hui, c'est qu'il y a des menaces répétées chaque jour. Nous verrons quelle sera l'évolution de la situation, mais pour l'instant, je n'ai pas de solution alternative. Qui plus est, contrer cette menace militarisée exige un professionnalisme réel. J'ai visionné la vidéo de la tentative d'attentat au Louvre pour voir comment ces soldats avaient opéré : ce sont des professionnels, car ils ont aussi l'expérience d'interventions extérieures y compris en milieu urbain. Ce professionnalisme s'est aussi manifesté lors de l'attentat de Valence ou de Nice. Si la menace faiblit, il sera bien entendu possible d'ajuster le dispositif à la baisse.
La séance est levée à dix-huit heures dix.