COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES ET DE L'ÉDUCATION
Mercredi 18 septembre 2013
La séance est ouverte à quinze heures cinq.
(Présidence de M. Patrick Bloche, président de la Commission)
La Commission des affaires culturelles et de l'éducation examine, sur le rapport de Mme Marie-Christine Dalloz, sa proposition de loi visant à introduire la notion de territoires ruraux et de montagne dans le code de l'éducation (n° 1031).
Nous allons tout d'abord examiner la proposition de loi de Mme Marie-Christine Dalloz et ses collègues membres du groupe UMP, visant à introduire la notion de territoires ruraux et de montagne dans le code de l'éducation.
Tout d'abord, merci de m'accueillir pour parler, une nouvelle fois, de l'école, un sujet cher au coeur de tous les membres de cette Commission. La question vous a longuement occupés au cours du premier semestre, avec la loi du 8 juillet 2013 d'orientation et de programmation pour la refondation de l'école de la République, et la semaine dernière, lors de l'audition des ministres sur la rentrée scolaire 2013.
J'ai plaisir à vous parler de l'école en territoire rural et de montagne en vous présentant cette proposition de loi que je voudrais vous convaincre d'adopter : ce texte est en effet motivé par la cohérence et l'urgence.
La cohérence tout d'abord.
Vous connaissez tous ce principe de notre droit qui veut que l'égalité passe par la reconnaissance des différences. C'est ce qu'exprime le premier article du code de l'éducation, l'article L. 111-1, qui dispose, d'une part, que l'école « contribue à l'égalité des chances » et « à lutter contre les inégalités sociales et territoriales en matière de réussite scolaire » et, d'autre part, que la répartition des moyens du service public de l'éducation tient compte des différences de situation. Or c'est là, précisément, que le législateur s'est arrêté en si bon chemin, car le code ne fait que mentionner les différences de situation « notamment en matière économique et sociale ».
On m'objectera que le « notamment » permet d'englober toutes les différences. Cependant, comme je vous le montrerai, le silence du code tend à encourager l'adoption de mesures de carte scolaire qui ne prennent pas en compte la situation particulière des territoires ruraux et de montagne.
En outre, l'article L. 111-1 précise que la répartition des moyens a pour but de renforcer l'encadrement des élèves dans les zones d'environnement défavorisé et d'habitat dispersé, oubliant ainsi, une fois de plus, les zones rurales et de montagne. Or ces dernières se caractérisent non seulement par la dispersion de l'habitat, mais aussi par leur relief, leur climat et la fragilité de leur « écosystème ».
Ce « silence » du code est d'autant plus surprenant que le législateur a reconnu, à de nombreuses reprises, la dimension territoriale du service public de l'éducation. J'en donnerai ici deux exemples.
L'article L. 113-1 du même code, qui est consacré à la scolarisation des moins de trois ans, prévoit que l'accueil de ces enfants dans les écoles maternelles est « organisé en priorité dans les écoles situées dans un environnement social défavorisé, que ce soit dans les zones urbaines, rurales ou de montagne, et dans les régions d'outre-mer ».
Par ailleurs, le service public de l'enseignement supérieur comprend dans ses missions « l'attractivité » des territoires au niveau local et « la cohésion sociale du territoire national, par la présence de ses établissements ». J'observe que ces dernières missions ont été ajoutées par la loi du 22 juillet 2013 relative à l'enseignement supérieur et à la recherche.
En outre, le droit de l'éducation n'est pas le seul à reconnaître les spécificités des zones rurales et de montagne.
Je vous rappelle que l'article 1er de la loi du 9 janvier 1985 sur la montagne dispose que le développement équitable et durable de la montagne « doit permettre à ces territoires d'accéder à des niveaux et conditions de vie comparables à ceux des autres régions ».
Je vous rappelle aussi la charte sur l'organisation des services publics et au public en milieu rural du 23 juin 2006, qui a affirmé la nécessité de promouvoir une politique « de maintien, d'amélioration et de développement de l'accessibilité et de la qualité des services publics dans les zones rurales ».
Ces éléments de droit ont d'ailleurs conduit le ministre de l'éducation nationale à adopter, le 30 décembre 2011, une circulaire relative aux écoles de montagne qui demande aux recteurs d'identifier, dans chaque département concerné, « les écoles ou réseaux qui justifient l'application de modalités spécifiques d'organisation et d'allocation de moyens au regard de leurs caractéristiques montagnardes ». Malheureusement, ce ne sont là que des mots puisque, dans les faits, les directeurs académiques des services de l'éducation nationale (DASEN) interprètent très souplement ces instructions, voire, pour certains, les ignorent.
Il convient donc de donner un fondement légal à la prise en compte des spécificités des écoles rurales et de montagne, et c'est la raison pour laquelle les oublis du premier article du code de l'éducation doivent être réparés.
Certains d'entre vous me diront que la loi dite de « refondation » de l'école a changé la donne. Je connais l'alinéa du rapport annexé à cette loi qui indique qu'« une attention particulière sera portée aux territoires ruraux et de montagne » et que « lors de l'élaboration de la carte scolaire, les autorités académiques auront un devoir d'information et de concertation avec les exécutifs locaux des collectivités territoriales concernées ». Mais je sais aussi que le rapporteur de ce texte, M. Yves Durand, n'a cessé de répéter que ce document n'avait aucune portée normative.
Le deuxième point de mon argumentation est qu'il y a urgence à légiférer.
Les territoires non urbanisés sont en effet des territoires aux équilibres fragiles, dont le développement repose en grande partie sur le maintien d'une école de proximité. Par ailleurs, cette proximité est nécessaire au bien-être et à la sécurité des enfants. Or le silence de l'article L. 111-1 du code a l'effet suivant : malgré les créations de postes programmées par le gouvernement, les fermetures de classes ont, selon la presse quotidienne régionale, rythmé la rentrée scolaire des départements ruraux ou de montagne.
De surcroît, dans de nombreux cas, il a suffi qu'une école « perde » trois ou quatre enfants pour entraîner, en septembre, l'application des mesures de carte scolaire, dont la brutalité a suscité l'incompréhension des familles. Et, comme vous le savez, cette situation a parfois conduit les parents d'élèves à occuper des écoles.
J'ai demandé au ministère de l'éducation nationale, le 11 septembre dernier, des données sur les fermetures de classe qui me sont parvenues intégralement ce matin. C'est pourquoi je vous les communique oralement, en vous précisant qu'elles figureront dans la version définitive du rapport.
Selon les données fournies par le ministère de l'éducation nationale, les départements de montagne qui ont été les plus lourdement impactés par les mesures de rentrée scolaire 2013 sont le Jura, dont les écoles primaires perdent 15 postes, et la Haute-Saône – moins 13 postes. Ces disparités territoriales sont incompréhensibles, voire inacceptables.
Selon une enquête menée auprès des départements sur leurs projets de mesures de carte scolaire avant la rentrée, le nombre de fermetures de classes dans les départements à dominante rurale ou de montagne s'élèverait à 834. Toutefois, ces données sont à utiliser avec prudence car beaucoup de mesures d'ouverture ou de fermeture de classes - environ un quart - sont conditionnées par les effectifs réels d'élèves à la rentrée, et les « remontées » sur ces effectifs ne sont pas encore toutes stabilisées. Reste que nous sommes très loin de la rentrée idyllique décrite la semaine dernière par le ministre de l'éducation nationale et sa majorité !
Au-delà de toute référence à l'actualité, je voudrais souligner le fait que l'aveuglement de l'État à l'égard des besoins des territoires ruraux - qui est ancien puisque les dispositions de l'article L. 111-1 sont, en grande partie, issues de la loi du 10 juillet 1989 relative à l'éducation - compromet, de fait, leur attractivité et leur développement, et ce pour une raison très simple : la présence ou l'absence d'une l'école est un facteur déterminant dans le choix d'une famille de s'installer dans une commune.
Par ailleurs, le desserrement du maillage scolaire en zone rurale ou de montagne peut avoir des conséquences sur la sécurité, la santé ou, à tout le moins, la qualité de la vie scolaire des enfants : une école qui « s'éloigne », c'est de la route, et donc du temps de transport en plus, avec ce que cela implique comme risques liés à la climatologie et au relief de montagne.
Pour ces raisons toutes simples, je vous propose d'ajouter les mots « territorial » et « zones rurales et de montagne » à l'article L. 111-1 du code pour que la répartition des moyens de l'école tienne compte de ces réalités.
En outre, afin de compléter ce cadre législatif par un cadre réglementaire de haut niveau, la proposition de loi prévoit de préciser que les mesures relatives au classement des secteurs et écoles en zone rurale de montagne et à l'aménagement du réseau scolaire feront l'objet d'un décret en Conseil d'État. En effet, les élus et les familles doivent avoir la garantie qu'ils seront informés à temps et que les décisions d'ouverture ou de fermeture de classes obéiront à des règles strictes, préalablement connues de tous.
J'espère ne pas avoir été trop passionnée dans mon exposé, mais je souhaite sincèrement vous avoir convaincus de la nécessité d'adopter ce texte.
Élu d'une circonscription rurale et maire d'une commune rurale de 380 habitants, j'ai porté une attention toute particulière à cette proposition dont l'exposé des motifs affirme que « les [territoires ruraux] souffrent depuis longtemps d'une absence d'aménagement du territoire qui se traduit dans tous les secteurs et notamment dans l'organisation du service public de l'éducation ».
Si nous nous reportons aux mesures prises sous le gouvernement précédent, je partage effectivement votre analyse, madame Dalloz. Les territoires ruraux que vous prétendez défendre ont fortement souffert des réformes de M. Luc Chatel, alors ministre de l'éducation nationale, et de la suppression de 80 000 postes d'enseignants entre 2007 et 2012. Les conséquences néfastes d'une telle politique ont été largement démontrées, je ne reviendrai pas dessus. J'insisterai seulement sur une donnée : du fait de la pénurie d'enseignants, notamment remplaçants, si l'on additionne l'ensemble des heures non dispensées, un élève perd, en moyenne, une année de cours tout au long de sa scolarité. Je vous laisse méditer, en vous rappelant que pour corriger cette situation inacceptable et le sous-investissement des années précédentes, 60 000 postes seront créés dans l'éducation nationale sous ce quinquennat. Pour cette rentrée 2013, on enregistre ainsi 3 350 postes supplémentaires d'enseignants dans les écoles publiques et privées sous contrat, et 720 pour répondre précisément au problème du remplacement.
Par ailleurs, il me semble que cette proposition de loi oublie un peu vite toutes les discussions que nous avons eues, lors de l'examen du projet de loi d'orientation et de programmation pour la refondation de l'école de la République, sur la nécessité de mieux prendre en compte les territoires ruraux et de montagne. Rappelez-vous les ateliers organisés pour préparer le projet de loi. L'un d'eux intitulé « Une école plus juste pour tous les territoires » a donné lieu à de riches débats qui ont été repris en partie dans le texte final. Ainsi « l'attention particulière portée aux territoires ruraux et de montagne » est-elle un principe inscrit dans cette loi.
On pourrait répondre que c'est une simple déclaration d'intention qui n'engage à rien. Mais les mesures concrètes sont là : les zones rurales et de montagne sont parmi les premières à bénéficier du renforcement de la scolarisation des enfants de moins de trois ans et du dispositif « Plus de maîtres que de classes », justement du fait de leurs spécificités.
En outre, la loi pour la refondation de l'école de la République met en place un grand service public du numérique. Il est précisé que « les cofinancements prévus par les programmes gouvernementaux en faveur du déploiement du très haut débit sur l'ensemble du territoire sont notamment mobilisés pour raccorder de façon systématique les établissements scolaires des premier et second degrés, et principalement ceux qui sont situés en milieu rural ». Chacun le sait, l'isolement est souvent le premier problème des petites structures rurales. Les nouvelles technologies, en facilitant les échanges, sont une des solutions pour réduire les inégalités, sociales comme territoriales. Elles permettront un meilleur accès à un enseignement de qualité sur l'ensemble du territoire.
Mais venons-en à la question des rythmes scolaires. La semaine dernière, je suis intervenu dans cette même Commission en attirant l'attention de la ministre déléguée chargée de la réussite éducative sur les difficultés rencontrées par les communes rurales dans la mise en place de cette nouvelle organisation. Je ne les nie pas, et le gouvernement non plus. Mais je salue la pertinence des propos de la ministre qui, à cette occasion, a souligné la singularité de chaque territoire. Vous me permettrez de la citer : « La question des activités périscolaires ne crée pas les inégalités : elle fait apparaître celles qui existent. Nous devons considérer cela comme un progrès. La réforme des rythmes scolaires améliore le travail entre les DASEN, les associations et les élus. Cette pratique de la concertation est une avancée de la démocratie éducative ». J'ajoute à titre personnel que notre école en avait bien besoin… La spécificité des territoires ruraux est par ailleurs prise en compte puisque, au-delà de la somme forfaitaire pour chaque élève « passé » en 2013, il y a un complément pour les communes classées en dotation de solidarité rurale cible. Il ne faut pas oublier que, pour la première fois, l'État aide au financement du périscolaire et qu'en outre, il le fait davantage pour les communes rurales !
Pour terminer, je voudrais évoquer rapidement le projet de loi d'avenir pour l'agriculture, la forêt et l'alimentation, qui devrait arriver à l'Assemblée dans le courant de l'année prochaine. La question de l'enseignement agricole, qui est directement liée aux territoires ruraux, sera largement abordée dans ce texte. C'est la raison pour laquelle les ministères de l'éducation nationale et de l'agriculture ont lancé, sur l'avenir de cet enseignement, une vaste concertation dont les conclusions ont été remises en mai dernier. Notre collègue Carole Delga, députée de Haute-Garonne, coordinatrice de l'atelier « Promotion sociale et réussite scolaire », a d'ailleurs tenu à souligner que « l'enseignement agricole a pris toute sa place dans le cadre de la réflexion sur l'école de la République. Ce chantier est au coeur des priorités du gouvernement ».
Les zones rurales et de montagne comptent donc autant que les autres. Elles sont enfin reconnues à leur juste valeur, ce qui n'était pas le cas ces dernières années. L'ensemble des mesures et des réformes engagées par la majorité jusqu'à présent, et celles annoncées pour les mois qui viennent, sont des preuves concrètes du souci constant du gouvernement d'assurer un développement harmonieux, équitable et juste du territoire. J'invite donc l'opposition à les étudier de plus près afin de déposer des textes qui ne soient pas seulement rhétoriques, mais porteurs d'avancées réelles. Nous y gagnerons tous, pour une véritable égalité des chances.
Je commencerai par remercier Mme Marie-Christine Dalloz pour son travail, et par souligner son engagement énergique en faveur des territoires ruraux et de la montagne. Ses nombreuses références à la loi « montagne » de 1985, à la circulaire de 2011 relative aux écoles situées en zones de montagne, ou aux consignes des DASEN afin d'éviter les effets de seuil et tenir compte des fluctuations démographiques, prouvent la pertinence de ses propos.
Notre rapporteure se fonde évidemment sur l'article L. 111-1 du code de l'éducation qui, selon moi, a perdu de sa force et de sa vigueur. En effet, avec le texte sur la refondation de l'école, cet article est devenu un véritable fourre-tout. Le groupe socialiste et le gouvernement, pour contenter les différentes composantes de la majorité, ont accepté de nombreux amendements au lieu de se contenter d'affirmer les grands principes du service public de l'éducation. Ce texte, qui se veut exhaustif, ne peut évidemment pas l'être. Il est donc tout à fait légitime que cette proposition de loi vienne combler le « silence » de l'article L. 111-1 à l'égard des territoires ruraux et de montagne.
Mme Marie-Christine Dalloz pointe dans son rapport les fermetures de classe, les problèmes liés à la sécurité routière et souligne que la présence ou l'absence d'une école est un facteur déterminant dans le choix d'une famille de s'installer dans une commune. C'est incontestable.
À l'heure de l'intercommunalité et des regroupements scolaires, je ne peux m'empêcher de relever, comme notre rapporteure, l'occasion manquée de la loi du 8 juillet 2013. Il aurait fallu redéfinir le statut des directeurs, donner davantage d'autonomie aux académies pour tenir compte des réalités de terrain, en concertation avec les parents et les élus locaux. Au lieu de cela, un décret du ministre modifie les rythmes scolaires et chamboule complètement l'organisation de la journée scolaire. Ce ne sont pas tellement les neuf demi-journées qui posent problème aux communes ; c'est l'organisation des trois quarts d'heure quotidiens ou des deux fois une heure et demie par semaine d'activités de découvertes.
On nous parle d'égalité des chances. Mais c'est bien le contraire auquel nous aboutirons. Notre collègue Yves Daniel vient de nous dire que les inégalités avaient été révélées. Nous affirmons, pour notre part, que ce dispositif ne fera que les aggraver.
Je terminerai sur une note positive, qui a peut-être échappé à certains. Après la Cour des comptes, qui pointe, dans son rapport, plusieurs éléments de la loi de refondation de l'école, la presse nationale s'est fait l'écho, il y a quelques jours, d'une étude de la direction de l'évaluation, de la prospective et de la performance du ministère de l'éducation nationale (DEPP) qui montre qu'entre 1997 et 2011, le niveau des élèves de l'école maternelle s'est largement amélioré. L'article était intitulé « Hausse inédite du niveau en maternelle » et l'on pouvait lire : « Les forts et les moins bons ont tous progressé en quatorze années. » ; « Le score au-dessous duquel se situaient les 10 % d'élèves les plus faibles en 1997 reste non atteint par 3 % des enfants seulement. » ; « Les enfants des milieux défavorisés progressent autant que les autres » – et même davantage.
Cela signifie que ce que l'on avait mis en place commence à porter ses fruits. On sait bien en effet qu'il y a toujours un temps de latence entre les dispositions nouvelles d'une loi et les résultats que l'on peut en attendre. Une évolution tendant à faire de la grande section l'antichambre du cours préparatoire est sans doute facilitée par le fait que, depuis 1989, le cycle dit des « apprentissages fondamentaux » regroupe la grande section de maternelle, le CP et CE1.
Ces résultats, globalement réjouissants, doivent néanmoins embarrasser le ministre de l'éducation nationale. En effet, ils démontrent que la majorité actuelle, qui trouve que notre école n'est ni juste ni efficace, a fait fausse route en voulant réformer dans l'urgence. Les cycles de la « loi Jospin » de 1989 et le retour aux fondamentaux de la « loi Fillon » donnent des résultats. Cette étude présente les scores moyens des élèves selon les diplômes et les professions des parents. Avec cette proposition de loi, que le groupe UMP soutient évidemment, il sera possible de prendre en compte, dans les études, les élèves des zones rurales et de montagne.
Cette proposition de loi a fait l'objet de longues discussions au sein du groupe RRDP. Mais c'est toujours pareil : quand nous nous déclarons contre les mesures visant à la transparence de la vie publique, on nous accuse d'être aveugles devant les détournements et de ne pas être totalement intègres ; quand nous nous prononçons contre le non-cumul des mandats, on nous accuse d'être ringards. Si nous combattons cette proposition de loi, nos élus de montagne pourront se dire que nous allons à l'encontre des intérêts qu'ils défendent dans certaines structures – principalement l'Association nationale des élus de montagne qui s'est penchée sur la question, mais ne s'est peut-être pas suffisamment intéressée aux débats du Parlement qui ont abouti à cette magnifique loi d'orientation et de programmation pour la refondation de l'école de la République. À ce propos, je remarque que le groupe UMP ne peut pas s'empêcher, tout en parlant des élus des territoires ruraux et de montagne, d'égratigner au passage cette loi qui s'applique aujourd'hui et a permis que la rentrée se passe de manière totalement satisfaisante.
Sur le fond, nous sommes d'accord avec le fait qu'on ne peut pas oublier les territoires ruraux et de montagne, et je pense que mes collègues socialistes sont du même avis. Mais sur la forme, faut-il une loi pour nous le rappeler ? Nous ne le pensons pas. La loi de juillet 2013 permet déjà de mettre en avant certains territoires. J'observe en outre que personne n'a déposé d'amendement sur son article 1er. Si erreur il y a eu, elle fut collective…
Mme la rapporteure ayant fait allusion au rapport que j'ai eu l'honneur de présenter sur la loi de refondation de l'école, je lui ferai quelques réflexions, dans un esprit de concorde et de consensus.
Je voudrais d'abord la remercier d'avoir cité l'amendement dont je suis l'auteur et qui inscrit justement dans le rapport annexé – qui, s'il n'a pas de valeur normative, a une valeur législative – l'importance des territoires ruraux et de montagne. Ceux-ci ne sont donc pas oubliés.
Je voudrais malgré tout m'étonner de la tonalité de son rapport, dont un chapitre s'intitule : « L'occasion manquée de la loi du 8 juillet 2013 ». L'expression fut d'ailleurs reprise par M. Frédéric Reiss, dont la très brillante intervention n'avait, remarquons-le, qu'un lien très lointain avec les territoires ruraux et de montagne. Mais quand je lis que cette loi, « placée sous le signe du quantitatif et de l'incantation, ne porte, en réalité, aucune ambition transformatrice pour l'école », je me dis que les territoires ruraux et de montagne méritaient mieux que cette petite manipulation.
Madame Dalloz, je trouve en outre cocasse de vous entendre réclamer aujourd'hui du « quantitatif » alors que pendant des semaines, au moment du débat sur la refondation de l'école, vous nous avez accusés de vouloir en faire au détriment du « qualitatif ». Et si les territoires ruraux sont en danger, c'est en raison des suppressions de postes que vous avez précédemment opérées.
Lors de la discussion de la loi sur la refondation de l'école, nous avons évoqué longuement la question de la scolarisation des enfants de moins de trois ans. Le ministre l'a même présentée comme une des avancées majeures de cette loi, insistant sur le rôle structurant de l'école maternelle, ce sur quoi nous sommes d'accord. Du reste, l'étude de la DEPP vient confirmer le rôle déterminant de l'école maternelle, avec toutefois une nuance importante : à plusieurs reprises, le ministre a dit que l'école maternelle ne devait pas être envisagée comme une propédeutique de la primaire. Or, en réalité, l'excellence de l'école maternelle montre bien qu'elle résulte justement de cette conception contestée par le ministre. Mais je referme la parenthèse…
Nous avons abondamment discuté de la prise en compte, dans les effectifs, des enfants de moins de trois ans. C'est très important, puisque cela détermine l'ouverture, la fermeture ou le maintien du nombre de classes. À cette occasion, j'ai interrogé à maintes reprises le ministre sur la définition qu'il donnait de « l'environnement social défavorisé ». En effet, il nous avait déclaré que cet environnement social défavorisé pouvait concerner la ville comme la campagne. Or c'est bien le sujet de la proposition de loi de Mme Marie-Christine Dalloz.
Le ministre, un peu excédé, a fini par répondre que la définition était la même que celle qu'avait donnée son prédécesseur. Il pensait, de cette façon, nous mettre dans l'embarras. Or il n'y a pas, dans le code de l'éducation, de définition précise d'une zone à environnement social défavorisé. Cela signifie que l'ouverture, la fermeture et le maintien de classe dans les écoles primaires, et singulièrement les écoles primaires de montagne et de zones rurales, ne sont fondés sur aucun critère objectif.
J'avais donné au ministre l'exemple de l'école de Chapelle-des-Bois , dans le Doubs, qui aurait mérité, après le passage de la « brillantissime » loi de refondation de l'école, de voir ses classes maintenues. Or il n'en a pas été question, alors qu'il s'agit d'une petite école de montagne, dans une zone rurale, éloignée de tout service, ce qui aurait justifié qu'on la considère comme une école située dans un « territoire à environnement social défavorisé ».
C'est pourquoi, à la faveur de cette proposition de loi, je demande instamment que pour les territoires ruraux, et notamment de montagne, on définisse précisément les critères objectifs des zones à environnement social défavorisé, dans lesquelles certaines écoles peuvent se trouver.
Je voudrais d'abord remercier Mme Marie-Christine Dalloz pour cette excellente proposition de loi.
Je prendrai ensuite le cas du Bas-Rhin. M. Frédéric Reiss et moi-même sommes députés de deux circonscriptions voisines qui, réunies, représentent 50 % du territoire et 20 % de la population ; ce sont les deux circonscriptions les plus rurales de ce département. Lorsqu'il y a des commissions académiques à Strasbourg et que nous échangeons avec les DASEN et les inspecteurs de l'éducation nationale sur la situation de nos écoles, on nous renvoie systématiquement à la faible densité de la population de nos circonscriptions par rapport à une moyenne. C'est une réalité. Mais lorsqu'il existe des zones rurales très peu denses, à côté de zones urbaines très peuplées, une moyenne ne veut strictement rien dire.
Ce que Mme Marie-Christine Dalloz demande, c'est qu'au-delà de toute approche quantitative ou qualitative, on prenne en compte des situations de ce type. Je sais bien, par expérience, que les DASEN essaient de faire de leur mieux. Mais concrètement, sur le terrain, les inspecteurs n'y sont pas obligés. Nous souhaitons donc que le législateur prenne le problème à bras-le-corps et qu'on inscrive dans la loi la spécificité des territoires ruraux et de montagne, que ce ne soit même plus un sujet de discussion, et que la discussion porte sur les éléments de prise en compte de cette spécificité.
Monsieur Hetzel, les difficultés que rencontrent actuellement les DASEN s'expliquent par la situation dont ils ont hérité !
Je vais vous donner l'exemple de ma circonscription de Gironde. L'année dernière, aucun poste n'avait été créé sur cette circonscription très rurale. Cette année, neuf postes l'ont été. Cela a permis d'ouvrir, par exemple, une troisième classe dans une petite école. Cela signifie que le fait rural a été pris en compte.
Les députés de l'opposition ont trouvé la loi de refondation de l'école « trop bavarde ». Aujourd'hui, inutile de rendre le code de l'éducation plus bavard : les territoires ruraux, les territoires de montagne et les territoires d'outre-mer ont déjà été pris en compte dans cette loi de refondation de l'école et ils le seront au fil du temps.
Nous avons effectivement reproché à l'article 1er de la loi de refondation de l'école d'être bavard, générique, et surtout sans aucune portée normative : vous pouvez y mettre ce que vous voulez, l'ensemble de l'administration de l'éducation nationale, les recteurs comme les DASEN, s'en lavent les mains !
L'objectif de cette proposition de loi est de faire en sorte que l'ensemble du ministère de l'éducation nationale, dans sa composante nationale comme dans ses composantes rectorales et départementales, prenne en compte la réalité des différences des territoires, et notamment des territoires de montagne et des zones rurales – ce qui pourrait avoir des conséquences sur l'affectation des postes –et arrête de raisonner exclusivement à partir de moyennes.
Vous nous dites à longueur de temps que c'est la suppression des 80 000 postes qui a miné l'éducation nationale. Mais nous essayons de vous démontrer depuis quelques mois qu'il ne faut pas confondre l'aspect qualitatif et l'aspect quantitatif, et que la question essentielle est la réforme du système scolaire, et pas les moyens qu'on y met. Et malheureusement pour vous, deux travaux viennent de le confirmer : d'abord, le rapport de la Cour des comptes affirme qu'il faut d'abord se préoccuper de réformer l'organisation du système, à savoir le statut des enseignants et celui des établissements, deux sujets qui ne sont pas abordés dans le texte de loi ; ensuite, cette étude récente de la DEPP, qui ne dépend donc pas de l'UMP, a relevé des progrès significatifs à l'école maternelle au moment même où nous y avons supprimé des postes.
Encore une fois, l'essentiel, c'est la réforme, pas la quantité. C'est l'esprit de cette proposition de loi. Inscrivez dans la loi la notion de territoires ruraux et de montagne, pour que l'administration puisse la prendre en compte !
Je salue l'initiative de Mme Marie-Christine Dalloz. Sur le fond, cette proposition tend à prendre en compte la diversité de nos territoires. C'est un texte simple qui se contente de compléter en quelques mots l'article L. 111-1 du code de l'éducation. Bien entendu, cette proposition de loi poursuit un objectif d'égalité. Or l'égalité implique de traiter de façon différente des situations différentes. Sinon, ce n'est plus de l'égalité ; c'est de l'uniformité.
Je crois que le principe d'égalité est cher à nos collègues du groupe majoritaire et j'avoue avoir du mal à comprendre que ceux qui s'en réclament à longueur d'année ne soutiennent pas cette proposition de loi. Et puis, ne sont-ils pas favorables à l'augmentation du nombre de postes et à l'amélioration du service de l'éducation ? À moins que, comme d'habitude, le groupe socialiste et ses alliés ne se désintéressent des zones rurales, ce qui serait tout aussi incompréhensible que choquant.
Élue moi aussi d'une circonscription rurale, je rappelle que tous les amendements ayant trait à la ruralité et à la scolarisation des enfants de moins de trois ans en secteur rural ont été déposés par des députés du groupe SRC. Nous n'avons donc pas de leçons à recevoir dans ce domaine.
Merci de cet échange instructif pour un député aussi peu rural que moi, qui n'a en outre même pas la butte Montmartre dans sa circonscription pour en faire un territoire de montagne.
Monsieur le président, je vous invite bien volontiers à venir constater par vous-même les difficultés que nous rencontrons en matière de scolarité dans les zones de montagne.
Je vous inviterai moi-même à venir voir dans le quartier de Belleville d'autres environnements défavorisés, qui connaissent eux aussi de réels problèmes sociaux.
Monsieur Daniel, vous êtes certes maire d'une commune rurale, mais pas dans un département considéré comme rural par le ministère de l'éducation nationale, selon le classement qu'il m'a fourni, de sorte que vous n'avez pas autant subi l'impact de la dernière rentrée scolaire. Les ateliers de réflexion que vous évoquez ne vous ont pas conduit à inscrire dans l'article L. 111-1, fondement du code de l'éducation, la notion de territoires ruraux et de montagne. Faute d'apporter les précisions nécessaires pour qu'ils soient pris en compte, vous avez stigmatisé ces territoires. S'ils étaient mentionnés dans l'article L. 111-1, nous pourrions en rester là.
Monsieur Reiss, je vous remercie pour votre intervention. La loi du 8 juillet 2013 n'a pas été aussi explicative qu'il l'aurait fallu : un amendement adopté après de longs débats a certes permis que les territoires ruraux et de montagne soient évoqués dans une annexe, mais une annexe n'a pas la même portée qu'une inscription dans l'article L. 111-1 du code – ce qui est l'unique ambition de ce texte et représenterait déjà une réelle avancée pour nos territoires.
J'ai par ailleurs appris avec intérêt que le niveau des élèves de maternelle s'était amélioré entre 1997 à 2011 : c'est là une information importante, car on nous a longtemps laissé penser l'inverse. Cette bonne nouvelle est aussi une belle reconnaissance du métier des enseignants.
Monsieur Braillard, le département du Rhône ne rencontre pas les mêmes problèmes que le Jura – département de montagne qui vient en tête du palmarès que m'a transmis le ministère de l'éducation nationale. Y figurent aussi les Vosges, la Saône-et-Loire et, plus encore, la Haute-Saône, le Morbihan et l'Allier, tous départements très ruraux.
Certes, mais il est plus difficile de défendre les territoires ruraux quand on n'a pas touché du doigt les problèmes qu'ils rencontrent. Votre quotidien est fait d'autres réalités, comme vient de le rappeler M. le président.
Non, mais nous en portons tout de même les réalités.
Monsieur Braillard, si vous jugez qu'il suffit de mentionner les territoires ruraux et de montagne dans une annexe à la loi, les élus concernés vous entendront. Par une circulaire en date du 30 décembre 2011 – c'est-à-dire sous la majorité précédente –, le ministre de l'éducation nationale prenait en compte les problèmes rencontrés par les territoires ruraux en demandant aux recteurs une application différenciée des seuils d'ouverture et de fermeture de classes. L'application de cette circulaire est cependant très disparate et les territoires ruraux ont besoin d'une plus grande attention dans la loi.
Monsieur Durand, vous qui avez été rapporteur d'un grand texte de loi, vous faites, en dénonçant une « manipulation », un amalgame entre le qualitatif et le quantitatif. S'il y a bien une base de quantitatif, ce qui importe est l'implantation des postes : il n'y a là aucune manipulation intellectuelle. Permettez-moi de citer à ce propos deux exemples tirés de ma circonscription.
Dans la commune de Lect-Vouglans, où se situe le barrage de Vouglans, troisième retenue hydroélectrique de France, la fermeture d'une classe s'est traduite par le fait qu'une classe de 26 élèves se compose de 8 élèves de CP, 8 de grande section de maternelle, 6 de moyenne section et 4 de petite section. Quinze de ces 26 enfants sont en outre issus de familles peu – voire pas du tout – francophones. Les problèmes ne se situent pas toujours en banlieue et je ne suis pas certaine que les élus de la nation que vous êtes se réjouiraient que leurs enfants ou petits-enfants soient scolarisés dans une telle école, qui ne leur assure pas les mêmes chances que d'autres écoles de notre territoire.
Dans les deux communes de La Pesse et des Bouchoux, une quatrième classe, ouverte par un gouvernement issu d'une autre majorité avec un élève de moins que l'effectif actuel, vient, sous votre majorité, d'être fermée par décision du directeur académique des services départementaux de l'éducation nationale, une semaine après la rentrée des classes. Est-ce ainsi que vous concevez l'égalité des territoires et la justice sociale ? Les parents d'élèves que je rencontre ne comprennent plus la politique que vous voulez pour les territoires.
Madame Genevard, je vous remercie d'avoir avancé des critères objectifs. On sent également que vous avez été confrontée à la question d'un enseignement de qualité dans nos territoires ruraux.
Monsieur Hetzel, je vous remercie d'avoir si bien interprété la notion du « ni quantitatif ni qualitatif ». Vous avez également bien perçu la latitude d'interprétation que permet la circulaire du 30 décembre 2011. Une circulaire n'est pas une loi et l'inspecteur ou le recteur d'académie adapte son action aux moyens qui lui sont attribués : s'il peut respecter la circulaire, il le fait ; s'il ne le peut pas, il s'en affranchit.
Madame Faure, votre département de Gironde n'est pas répertorié par le ministère comme un département rural.
Monsieur Apparu, j'ai apprécié votre explication pertinente de la nécessité d'intégrer dans la loi la notion de territoires ruraux et de montagne. Si rien n'est fait, des communes et des familles continueront de subir à chaque rentrée scolaire des impacts qui accéléreront la désertification rurale. C'est là une réalité que nous touchons du doigt. Les parents ne comprennent pas qu'un gouvernement socialiste, malgré un affichage très marqué, ne tienne pas compte de la disparité entre nos territoires et des réalités de notre ruralité.
Merci enfin, monsieur Huet, pour votre intervention qui allait dans le sens de la présente proposition de loi.
La Commission en vient à l'examen des articles de la proposition de loi.
Article 1er : Prise en compte des différences de situation territoriales
La Commission rejette l'amendement rédactionnel AC 1 de la rapporteure.
Puis elle rejette l'article 1er.
Article 2 : Introduction des termes « zones rurales et de montagne »
La Commission est saisie de l'amendement de coordination AC 2 de la rapporteure.
La Commission rejette l'amendement AC 2.
Puis elle rejette l'article 2.
Article 3 : Encadrement par un décret en Conseil d'État des mesures de classement des écoles et de carte scolaire
La Commission rejette l'article 3.
Article 4 : Gage
La Commission rejette l'article 4.
La Commission ayant rejeté tous les articles de la proposition de loi, je constate que l'ensemble de la proposition de loi est rejeté. En conséquence, c'est le texte initial de celle-ci qui sera soumis au débat en séance publique jeudi 3 octobre.
Puis la Commission examine, sur le rapport de M. Christian Kert, la proposition de loi de MM. Christian Jacob, Christian Kert, Hervé Gaymard et Guy Geoffroy tendant à ne pas intégrer la prestation de la livraison à domicile dans le prix unique du livre (n° 1189).
Cette proposition de loi, dont l'initiative est due à MM. Christian Jacob, président du groupe UMP, Hervé Gaymard, Guy Geoffroy et moi-même, nous rappelle que le livre n'est pas un bien de consommation comme un autre et que nous devons exercer notre vigilance à cet égard. Je rappellerai pour commencer les propos tenus par Mme Aurélie Filippetti, ministre de la culture et de la communication, en juin dernier : « la question de la gratuité des frais de port offerte par les sites de commerce en ligne en supplément du rabais de 5 % me semble devoir être interrogée. (…) Je vois dans l'encadrement de cette pratique un élément non négligeable pour rétablir des conditions de concurrence qui soient équitables ». Telle est la philosophie générale de notre proposition de loi.
La loi sur le prix unique du livre fait partie de ces « monuments législatifs » auxquels on ne saurait toucher que d'une main tremblante, car elle désormais érigée au rang de patrimoine commun de tous les acteurs de la chaîne du livre.
En premier lieu, cette « loi Lang », qui limitait la concurrence par les prix et obligeait les détaillants à fixer le prix de vente au public à un niveau compris entre 95 % et 100 % du prix fixé par l'éditeur, poursuivait trois objectifs : l'égalité des lecteurs devant le prix du livre, la préservation d'un réseau dense de librairies partout sur le territoire et la préservation de la diversité de la production éditoriale.
Cette loi était en effet intervenue dans un contexte marqué par l'offensive de grandes surfaces généralistes et spécialisées sur le marché du livre qui proposaient des rabais de l'ordre de 20 % à 40 % risquant à la fois d'entraîner la disparition des librairies traditionnelles et d'appauvrir considérablement la production éditoriale. En effet, ces rabais étaient pratiqués sur les nouveautés et les titres les plus destinés au grand public, tandis que les ouvrages plus difficiles ou plus confidentiels voyaient leur prix augmenter.
La loi de 1981 a mis bon ordre à ces pratiques et son bilan est très positif : elle a permis le maintien d'un réseau dense et diversifié de librairies. L'offre éditoriale, à en juger par le nombre de titres nouveaux proposés chaque année, est très riche et l'évolution du prix du livre reste dans les limites de celles de l'indice des prix à la consommation.
J'évoquerai, en deuxième lieu, les effets pérennes de cette loi face aux évolutions du marché. Trente ans après l'adoption de la « loi Lang », le marché du livre, comme celui des biens culturels en général, connaît de profondes évolutions avec le développement du numérique, notamment des services numériques. La vente en ligne de livres imprimés est actuellement la forme la plus dynamique du marché du livre : alors qu'elle ne comptait en 2003 que pour 3,2 % de ce marché, elle en représentait 13,1 % en 2011. Cette évolution intervient dans une tendance de tassement du marché, de sorte que la vente en ligne est désormais le seul segment du marché du livre en progression.
De nombreuses études économiques ont tenté de mesurer l'impact du développement des services numériques sur la diversité culturelle : le rapport commandé à M. Pierre Lescure en donne un petit aperçu. On pourrait, dans un premier temps, penser que la diminution des coûts de stockage et de distribution que permet la technologie numérique, en permettant la constitution d'un catalogue exhaustif d'oeuvres disponibles partout et à tout moment, serait propice à la diffusion des ouvrages qui font l'objet d'une faible demande ou qui n'ont qu'un faible volume de vente, mais certaines études montrent que ce n'est pas nécessairement le cas et qu'à défaut d'une véritable politique éditoriale et de recommandation des contenus par le détaillant, le caractère pléthorique de l'offre peut entraîner un appauvrissement de la demande.
Je rappellerai, en troisième lieu, quelques éléments d'appréciation qu'il nous faut garder à l'esprit. Tout d'abord, dans ce contexte nouveau, les librairies indépendantes ne parviennent pas, pour l'instant, à trouver leur place sur ce marché de la vente en ligne de livres imprimés. Plusieurs raisons peuvent être avancées pour expliquer ces difficultés et la situation tendue que connaissent les librairies indépendantes : poids des loyers, charges de personnel, coût des stocks. Entre 2003 et 2010, le taux d'excédent brut d'exploitation des librairies indépendantes a été divisé par trois : la capacité des libraires à investir dans les moyens de leur modernisation demeure pour certains d'entre eux très limitée, voire nulle, d'autant que le retour sur investissement peut être très faible dans un premier temps.
Ensuite, le marché de la vente en ligne de livres imprimés est dominé par un grand acteur américain : Amazon, qui détient 70 % des parts du marché de la vente en ligne de livres imprimés. Or, quiconque a acheté des livres sur Amazon ou sur tout autre site de vente de livres imprimés en ligne sait que, contrairement à ce qui se produit dans une librairie traditionnelle, si l'on vient sur le site sans idée précise de ce que l'on veut lire, il y a de fortes chances pour que l'on reparte sans rien acheter ou en achetant un « best-seller » ou une nouveauté de la rentrée littéraire. À la diversité des canaux de distribution s'attachent également des enjeux de diversité culturelle et de richesse de la production éditoriale.
S'y attachent également deux autres enjeux : la défense des intérêts des créateurs, qui suppose que l'accès aux contenus ne soit pas contrôlé à terme par un petit nombre de plateformes globales et internationales qui seraient alors en mesure d'imposer leurs conditions, et le développement d'un écosystème de services français et européens, composé à la fois de petits acteurs indépendants spécialisés dans des « niches » et de champions à vocation internationale, ce qui constitue une promesse de revenus et d'emplois.
Or, tous les détaillants, traditionnels ou en ligne, ne sont pas dans la même situation pour affronter la concurrence sur internet. Amazon, comme d'autres géants de l'économie numérique, pratique en effet une politique d'optimisation fiscale systématique qui a pour objet et pour effet de minimiser son taux d'imposition. Ainsi, selon la Fédération française des télécommunications, Google, Amazon, Apple et Facebook dégageraient entre 2,2 et 3 milliards d'euros de chiffre d'affaires en France, mais ne verseraient chacune, en moyenne, que 4 millions d'euros par an au titre de l'impôt sur les sociétés.
En quatrième lieu, je soulignerai qu'à cette concurrence fiscale déloyale s'ajoute une concurrence par les prix contraire à l'esprit de la loi du 10 août 1981. Les entreprises vendant des livres en ligne pratiquent quasi systématiquement la gratuité des frais de port, dans une stratégie visant à augmenter les volumes de transaction tout en limitant la marge unitaire. Cette stratégie très élaborée permet de capter une partie de la clientèle, mais elle dilue la notion de prix unique. En effet, le prix unique ne peut pas comprendre – c'est un point implicite, mais nécessaire – la gratuité d'une prestation comme la livraison à domicile.
Si de timides avancées permettent d'espérer une moindre intensité de la concurrence fiscale d'ici à quelques années – je pense notamment à la directive communautaire qui permettra d'ici à 2015 d'assujettir les entreprises à la TVA, non dans le pays d'implantation, mais dans celui où les biens sont consommés –, aucune réponse n'a été apportée au problème de la concurrence par les prix que la « loi Lang » souhaitait contenir et que les vendeurs en ligne essaient de réintroduire.
J'en viens donc, en cinquième lieu, à la proposition de loi qui vous est soumise, assortie d'amendements destinés à en parfaire la rédaction. Comme je le rappelais en prolégomènes, la ministre de la culture elle-même est consciente du problème et a pris acte, à l'occasion des rencontres nationales de la librairie en juin dernier, de la nécessité d'interroger le principe de la gratuité des frais de port offerte par les sites de commerce en ligne.
C'est là l'objet de la présente proposition de loi, qui se veut être un prolongement de la « loi Lang » dans l'univers du commerce en ligne. Le législateur ne pouvait certes pas prévoir en 1981 les défis auxquels nous sommes désormais confrontés dans l'univers numérique, mais il avait tout de même prévu la gratuité de la commande d'un ouvrage ne figurant pas dans le stock du libraire et la possibilité d'une rémunération pour des prestations exceptionnelles demandées par le client, comme la commande directement à l'étranger ou l'emploi de procédés de transmission plus rapides que ceux habituellement utilisés – le coût de ces prestations étant facturé au client et s'ajoutant au prix du livre.
Afin de souligner plus clairement le parallélisme entre le commerce « physique » et le commerce en ligne, ainsi que la nécessaire égalité qui doit exister entre tous les détaillants pour la fixation du prix du livre, je vous proposerai un amendement précisant que le coût de la livraison à domicile vient s'ajouter au prix facturé au client – j'insiste sur le fait qu'il s'agit bien du « coût », afin d'éviter la tentation de minimiser le prix de la livraison.
Votre rapporteur vous demande donc d'adopter la présente proposition de loi ainsi modifiée. Je pense en effet qu'à quelque groupe politique que nous appartenions, nous souscrivons tous à l'idée que le livre n'est pas une marchandise comme les autres. Cette proposition de loi est l'occasion de le réaffirmer. J'ajoute que la nouvelle formulation que je vous proposerai nous rapproche davantage encore des intentions de la ministre. Le texte qui vous est proposé me semble donc très consensuel.
Qui d'entre nous pourrait affirmer qu'un texte visant à protéger les librairies indépendantes des marchands de marchandises culturelles en ligne ne serait ni nécessaire ni indispensable ? Quel est le député qui ne s'inquiète pas pour la survie des librairies de proximité ? Quel est l'élu qui ne craint pas la disparition des libraires et de leur savoir-faire, ou qui n'est pas conscient du fait qu'une librairie qui ferme, c'est du lien social qui disparaît, ce sont des emplois détruits, un territoire qui perd de son attrait et une raréfaction de l'accès à la culture pour tous et partout ? Le numérique n'est pas seul en cause : des ventes déloyales et pernicieuses grugent le consommateur et le rendent dépendant, alors qu'il se croit gagnant. Quel est, enfin, le parlementaire qui ne serait pas conscient des méfaits – pour ne pas dire des ravages – causés par les nouveaux Terminator du commerce moderne, les Attila de la société de consommation culturelle, les Amazon & Cie, qui préfèrent vendre à perte pourvu qu'ils gagnent des marchés et capturent de nouvelles clientèles ?
Sans aucun état d'âme, ils traitent et transforment leurs salariés en machines, au point même, pour accroître la ressemblance, de racheter Kiva Systems, un fabricant de robots qui remplaceront bientôt les ouvriers dans les entrepôts. Sans scrupules, ils pratiquent une vente déloyale qui ajoute la gratuité du port à la remise de 5 % prévue par la « loi Lang ». Sans vergogne, ils font subventionner des créations d'emplois, plus ou moins effectifs, tout en se jouant de la législation fiscale des pays dans lesquels ils sont implantés. Ils doivent plus de 200 millions d'euros au fisc français et le Congrès des États-Unis prépare à leur encontre une nouvelle contribution, la « taxe Amazon ».
Dans cette situation, c'est bien le moins que soit débattu à l'Assemblée nationale un texte qui vise à renforcer la protection des libraires indépendants contre Amazon & Cie. Que ce texte vienne de l'UMP et soit présenté par M. Christian Kert peut surprendre, mais devons-nous pour autant manquer d'indulgence et refuser la repentance ? De fait, alors qu'en août 1981 était votée à l'unanimité la « loi Lang », protégeant le produit culturel qu'est le livre et permettant le maintien des librairies de proximité – à une époque, certes, où il n'existait ni vente en ligne, ni liseuses, ni Amazon –, en mai 2008, dans le cadre du projet de loi de modernisation de l'économie, piqués par je ne sais quelle mouche, la majorité d'alors et, plus précisément, M. Christian Kert, ont remis en cause le principe du prix unique du livre en le limitant fortement dans le temps. Sous l'effet d'efficaces pressions, la raison a heureusement prévalu et, après maints débats, les amendements en ce sens ont été rejetés.
En septembre 2013, est-ce pour vous racheter que vous nous présentez, un peu confus, cet article unique ? Il faut louer l'intention, prendre le geste en considération et ne pas rejeter le fond mais, comme vous l'avez vous-même relevé, monsieur le rapporteur, cela reste un peu court, un peu modeste, un peu timide, et ne répond pas à toutes les problématiques. Faire payer les frais de port à domicile n'empêchera pas Amazon de livrer gratuitement dans les points-livre et, compte tenu des problèmes liés au service de La Poste en ville, certaines des personnes qui commandent des livres préféreront aller les chercher au point de vente qui se trouve près de chez eux plutôt que de les recevoir détériorés ou bien plus tard – voire jamais – dans leur boîte aux lettres.
La question est l'une des plus importantes que l'on ait à traiter dans le domaine culturel et l'article qui nous est proposé n'a pas l'ambition qu'elle mérite. Le sujet, c'est l'exception culturelle française. C'est un choix de société, et même un choix de civilisation : c'est le choix de la diversité, le choix entre l'être et l'avoir, entre la consommation à tout crin et l'accès à une culture de qualité pour tous et partout.
Ne nous contentons pas de ce simple article qui, s'il a le mérite d'exister, n'a pas les moyens de moyens de freiner Amazon dans sa course infernale. Rien n'échappe au groupe américain : parti du livre, abordant tous les domaines, il touche aujourd'hui au marché de l'art, à la presse et aux carottes crues. Il est donc de notre devoir de proposer au sein de cette commission un texte qui soutiendra les libraires, les éditeurs, toute la chaîne et l'économie du livre en légiférant contre la concurrence déloyale, en accompagnant les libraires dans la mise en place de leurs propres sites de vente en ligne tels que librairie.com, en les maintenant sur nos territoires et en sauvegardant leur savoir-faire.
En cet instant, libraires, syndicats du livre et de l'édition ont les yeux rivés sur nous. Ils veulent non pas un projet a minima, mais une proposition aboutie. La ministre de la culture, Mme Aurélie Filippetti, travaille sur ce dossier depuis des mois et veut le mieux pour ce secteur capital de la culture. Le gouvernement, le Président de la République même, sont attentifs à nos débats et ne comprendraient pas que nous nous contentions d'un texte voté à la va-vite. Il y a nécessité, il y a urgence, nous en sommes tous conscients. Le sujet demande à être retravaillé.
Le plus sage ne serait-il pas, pour être efficaces, de revoir un texte consensuel comme le fut la « loi Lang », car la culture ne se marchande pas, ne se négocie pas : c'est un droit pour tous et l'une de nos valeurs essentielles.
Je remercie le rapporteur pour l'excellente présentation qu'il a faite de cette proposition de loi. Celle-ci est très importante à plusieurs titres et je ne comprends pas, madame Dessus, pourquoi vous la traitez avec une condescendance teintée de mépris.
Cette proposition de loi résulte du constat que la filière du livre, très importante, est fragilisée par de fortes concurrences – le numérique, la grande distribution et la montée en puissance de la vente en ligne par de gros opérateurs – et par un contexte économique difficile, marqué par une baisse des ventes de 2 % à 3 % en valeur cumulée et de 3 % à 9 % en volume entre 2010 et 2012, selon l'étude réalisée en juin 2013 par le Syndicat de la librairie française, qui atteste d'une situation financière critique. Il s'agit d'une filière à faible rentabilité, avec des stocks conséquents, donc coûteux, des conditions de reprise pénalisantes, un personnel spécialisé qui suppose de fortes charges de personnel et, de la part des consommateurs, des exigences de plus en plus pointues en termes de délais et d'animation. Tout cela a rendu le métier difficile et l'équilibre économique de ce secteur incertain.
L'enjeu est d'éviter aux libraires le sort qu'ont connu les disquaires, qui ont quasiment disparu en quelques années.
Cette proposition de loi s'inscrit dans un contexte plus large de soutien au commerce de proximité, terriblement fragilisé par la crise et les changements consuméristes, parfois aussi par des mesures prises par les pouvoirs publics – comme la gratuité du livre scolaire qui, malgré ses avantages en matière sociale, a très fortement pénalisé les librairies, où les lycéens ne se rendent plus.
Elle vise à protéger un commerce à la fois sensible et précieux et s'inscrit dans une lignée de mesures prises depuis de nombreuses années par toutes les majorités au niveau tant national que régional – je pense bien sûr à la loi sur le prix unique du livre, mère de toutes les lois en la matière, mais aussi, pour des périodes plus récentes, aux contrats régionaux de filière et au label « Librairie indépendante de référence », ainsi qu'à la mission d'évaluation réalisée par M. Hervé Gaymard sur le prix unique du livre, qui a très clairement démontré que la loi de 1981 restait pertinente à l'ère d'internet. Quelques chiffres : en 2009, on dénombrait 3 500 librairies indépendantes, 5 000 structures d'édition, 60 000 nouveaux titres commercialisés et 500 millions d'exemplaires vendus. C'est tout cela qu'il s'agit de protéger, de même que l'extraordinaire vitalité de la lecture, privée ou publique – qui, d'ailleurs, collaborent souvent, comme en témoignent les foires et fêtes du livre, les accueils d'auteurs ou les cafés-lecture.
La proposition de loi vise à garantir la pérennité du prix unique du livre en excluant la possibilité d'inclure dans ce prix les frais de port, qui s'apparente objectivement à un rabais déguisé.
Le prix unique du livre a contribué à maintenir un réseau dense de librairies. C'est un acquis précieux. Soutenir cette proposition de loi, c'est conserver l'esprit et la lettre de la loi, c'est revenir à l'idée initiale consistant à protéger non seulement les librairies, mais aussi toute la filière. Il n'est pas juste – et il est même périlleux – de privilégier, en ne faisant rien, des opérateurs qui ont plus de marges et moins d'obligations, par rapport aux petits opérateurs que sont les libraires, souvent mus par la passion de leur métier, l'amour des auteurs et le désir de le partager, mais qui ont aussi la légitime aspiration à en vivre, souvent d'ailleurs assez modestement.
Peut-être, comme le craint Mme Sophie Dessus, cette proposition de loi ne résoudra-t-elle pas tout et peut-être, comme le suggèrent certains de nos collègues, donnera-t-elle lieu à des détournements, mais son adoption serait un signe adressé à la profession des libraires et aux opérateurs dont Mme Sophie Dessus a fait à juste titre le procès.
En conclusion, je ne vois pas comment, sauf à n'avoir d'autre motivation qu'une posture politique, vous pourriez ne pas soutenir cette initiative de sauvegarde et de pérennité de la loi sur le prix unique du livre, votée, comme vous l'avez rappelé, à l'unanimité. Droite et gauche ont été capables de s'unir autour de cette loi, dont nous n'avons cessé de souligner le bien-fondé et dont la proposition de loi défendue par M. Christian Kert n'a pas d'autre ambition que de prolonger l'esprit et la lettre. Nous pourrions parler de « prolégomènes », pour reprendre le terme utilisé par notre rapporteur, et considérer ce texte comme une entrée en matière, une démarche bienveillante qui serait comme l'antichambre de la future grande loi du livre que portera – peut-être – notre ministre de la culture.
Monsieur le rapporteur, je suis très déçue par votre proposition de loi. Une fois de plus, vous vous emparez d'un vrai sujet pour le traiter par le petit bout de la lorgnette. Faire payer les frais de port par Amazon est une bonne idée sur le papier, mais je ne peux pas croire que vous pensiez régler ainsi tous les problèmes de nos libraires. Je vous propose d'examiner la question dans son ensemble.
Vous êtes, comme le veut la doctrine de votre parti, un défenseur du capitalisme, c'est-à-dire du dogme de la concurrence libre et non faussée, de la recherche du profit, de la main invisible du marché et de la loi de l'offre et de la demande. Dans cet esprit, vous avez, durant des années, voté des lois destinées à libéraliser le commerce, déréguler les transactions, supprimer les frontières douanières et faciliter à outrance les transferts de capitaux.
Et voilà que vous feignez aujourd'hui de découvrir que, lorsque l'on permet une concurrence sauvage entre des entreprises, il y a des gagnants et des perdants. Par quel tour de magie pouvez-vous défendre la concurrence, la raison du plus fort, pour verser ensuite des larmes de crocodile sur le pauvre perdant ? Vous aurez compris que le gagnant, c'est aujourd'hui Amazon, et que les perdants, ce sont les libraires.
Croyez-vous vraiment que c'est la livraison gratuite des livres qui permet à Amazon d'engranger autant de bénéfices ? Si j'étais en position de devoir rétablir l'équilibre, j'irais plutôt chercher du côté des 200 millions d'euros que notre administration fiscale lui réclamait l'année dernière – ce chiffre énorme dépasse l'entendement.
Je m'intéresserais aussi aux impôts plus récents. Une estimation pour l'année 2011 indique ainsi un manque à gagner – en toute légalité – de 7,6 millions d'euros sur l'imposition d'Amazon. Alors que son chiffre d'affaires est estimé autour de 1,63 milliard d'euros en France, cette entreprise n'en déclare que 110 millions. Vous conviendrez sans doute que si Amazon payait correctement ses impôts en France, sans passer par le Luxembourg, elle aurait plus de mal à offrir les frais de port.
Jetons un oeil à d'autres formes d'imposition des entreprises. Selon l'étude publiée aujourd'hui par la Commission européenne, la France ne percevrait pas toute la TVA due. Le montant total a de quoi faire rêver : 32,2 milliards d'euros par an. Je suis sûre que cet argent n'est pas perdu pour tout le monde.
Amazon utilise encore d'autres moyens pour récupérer un maximum de profit.
Un livre intitulé En Amazonie, infiltré dans le meilleur des mondes, dans lequel le journaliste Jean-Baptiste Malet raconte son expérience d'intérimaire au centre logistique d'Amazon à Montélimar, est à cet égard édifiant : la précarité est la règle et les salaires sont au minimum légal. Le directeur d'Amazon France, M. Frédéric Duval, se vante de payer 10 % au-dessus de ce minimum les salariés qui restent plus de six mois – lesquels, compte tenu du nombre d'intérimaires employés, ne doivent vraiment pas être nombreux. Comme l'a constaté le journaliste, « même ceux qui sont en CDI souffrent tellement de la dureté du travail qu'ils finissent par s'en aller ».
Pour régler ces problèmes de souffrance au travail, c'est à l'inspection du travail qu'il faudrait s'adresser. Malheureusement, les dix années de la droite au pouvoir ont quasiment détruit ce service public conçu pour les salariés. En 2011, chaque agent de contrôle de l'inspection du travail était en charge de 8 130 salariés : je vous laisse juge de la qualité du travail qui peut être atteinte dans ces conditions.
Amazon abuse du système légal en suivant une stratégie bien rodée : l'entreprise profite de son poids pour baisser les prix et ainsi éliminer les concurrents ; dans un second temps, elle remonte les prix pour augmenter les profits.
J'espère que vous l'aurez compris, monsieur Kert, votre proposition de loi composée d'un unique article ne peut prétendre changer quoi que ce soit à l'état du commerce du livre en France. Vous auriez plutôt dû vous pencher sur l'avenir des livres. Amazon est le leader de la vente de licences de lectures numériques ; ses dirigeants parlent de vente de livres, mais il s'agit d'une escroquerie sémantique : le contrat que leurs clients acceptent constitue un droit à lire, pas la possession d'un fichier électronique. D'ailleurs, Amazon se réserve le droit de supprimer les livres des comptes Kindle de leurs clients. Il est urgent de mettre fin aux systèmes qui placent ceux-ci dans une position captive.
Je vous fais donc la proposition suivante – qui réglerait au passage l'un des conflits opposant le gouvernement français à l'Union européenne : la vente de livres sous forme de fichier en format ouvert devrait bénéficier d'une TVA réduite ; en revanche, les systèmes fermés comme ceux d'Amazon ou d'Apple qui consistent en une prestation de service numérique seraient taxés au taux normal.
Enfin, vous êtes passé à côté de la nécessaire adaptation des librairies aux évolutions liées à internet. Il est nécessaire d'accompagner les libraires dans une démarche de proximité avec la population, qui passe par le conseil, la mise en relation et l'accompagnement des publics à la lecture.
Je tiens à remercier M. Christian Kert pour la présentation sereine qu'il a faite de ce texte, évitant d'adopter l'attitude de certains de nos collègues de l'opposition tout à l'heure, selon lesquels si nous n'étions pas favorables à la proposition de loi précédente c'est que nous étions des ennemis de la ruralité et de la montagne. Je rappelle que l'UMP n'a pas le monopole de la ruralité et de la montagne !
Nous arrivons au bout de la logique des propositions de loi déposées par l'opposition. Madame Genevard, la majorité ne peut accepter que ce soit l'opposition qui donne le tempo en matière de textes législatifs.
Nous sommes tous d'accord avec l'objectif poursuivi ; ma seule critique tient au fait que cette proposition de loi se borne à régler le cas d'Amazon alors que le problème va bien au-delà. Il convient notamment de réfléchir à l'adaptation des librairies au numérique et à l'arrivée des eBooks, qui crée une nouvelle façon de lire. Attendons donc le rapport pour avis sur les crédits du programme « livre et industries culturelles » que Mme Brigitte Bourguignon doit présenter prochainement dans le cadre de l'examen du prochain budget pour, tous ensemble, procéder à une modification adaptée et consensuelle de la « loi Lang ».
Chacun a bien conscience que le numérique perturbe la chaîne du livre. La loi du 10 août 1981 fut une étape importante et les préoccupations liées à ce sujet furent largement partagées. À l'occasion du rapport de notre collègue Hervé Gaymard sur le livre numérique en 2009, nous avions délibéré sur le prix unique du livre numérique ; nous avions déjà posé à ce moment-là la question des frais de port, sans toutefois faire émerger de solution. Plus récemment, le rapport de M. Pierre Lescure nous a alertés sur ce sujet. Nous aspirons donc tous à ce qu'une réponse législative appropriée et complète soit apportée à ce problème. Et les libraires sont les plus impatients, car leurs marges sont faibles et ont été divisées par trois ces dernières années.
La loi sur le prix unique du livre permet une bonne organisation de la filière, mais nous devons faire face à une concurrence déloyale sur le plan fiscal et en raison d'un prix du livre intégrant les frais de port. M. le rapporteur a rappelé la volonté de Mme Aurélie Filippetti de faire adopter un texte de nature à résoudre ce problème, mais s'il était allé au bout de la citation de la ministre il se serait aperçu que celle-ci lançait une concertation pour fortifier l'intervention du Parlement. Je ne suis donc pas opposé à votre proposition de loi, monsieur Kert, mais je souhaiterais que nous l'embellissions grâce au travail initié par la ministre. Il sera ensuite temps de nous retrouver sur un texte traitant de tous les aspects de la question pour que nous puissions légiférer utilement.
Cette proposition de loi est excellente, car elle défend l'intérêt général. Je suis surpris par les arguments avancés par la majorité, qui peuvent se résumer ainsi : nous sommes d'accord avec vous, mais comme vous êtes politiquement minoritaires, vous avez tort. Il s'agit d'une conception curieuse de la démocratie, qui prouve le décalage entre les bonnes intentions d'ouverture prônées et le traitement réellement réservé aux propositions de l'opposition – quand bien même un consensus existerait sur le fond du sujet. Cette attitude est révélatrice d'une conception particulière des rapports entre une majorité et les minorités ; pourtant, il me semblait que la majorité actuelle souhaitait défendre les minorités, mais ce désir s'arrête manifestement aux minorités politiques.
Face à un problème de concurrence déloyale et après la démonstration magistrale de M. Christian Kert, on ne peut qu'adhérer à cette proposition de loi. Je comprends mal les hésitations des députés de la majorité, qui se disent pourtant en première ligne pour défendre les intérêts des créateurs et qui souhaitent que les acteurs du livre soient implantés dans l'ensemble du territoire. La pratique du franco de port, cumulée à la réduction du prix de 5 %, représente une menace pour ce que nous souhaitons tous, à savoir le maintien d'une relation de qualité entre les libraires, les éditeurs, les détaillants et nos concitoyens. L'avenir des libraires indépendants et des chaînes culturelles dépend de notre volonté de pérenniser le prix unique du livre. Le mieux peut devenir l'ennemi du bien, et refuser une telle avancée n'est pas responsable, même si le dépôt d'un projet de loi doit suivre la discussion de cette proposition. Celle-ci ne possède d'autre ambition que de lancer un appel au gouvernement pour oeuvrer rapidement à la protection de l'ensemble des acteurs de la filière du livre.
Parmi les arguments avancés par les députés de la majorité, deux me semblent irrecevables. Tout d'abord, vous avez dénié, madame Attard, toute légitimité à l'opposition pour défendre cette proposition de loi, car notre groupe serait le héraut du libéralisme le plus sauvage : ce raisonnement est inacceptable ! Tout autant inacceptable est le propos M. Thierry Braillard qui refuse à la minorité toute initiative en matière parlementaire : cela revient à vider de son contenu la loi prévoyant que des propositions législatives puissent être présentées – voire votées.
Madame Dessus, la proposition que nous avions faite il y a quelques années visait à revenir sur les délais au terme desquels des soldes peuvent être pratiqués sur les livres. Des éditeurs et des lecteurs avaient demandé cette évolution, mais nous avions reculé, car cette disposition aurait conduit à réviser la « loi Lang », ce que personne ne souhaitait. Par ailleurs, cette proposition de loi maintient la gratuité de la livraison au point de vente, seule la livraison à domicile devenant payante. Au total, j'aurais préféré que vous amendiez ce texte plutôt que de le combattre.
Madame Attard, notre souci n'est pas d'élargir l'objet du texte, même si, en effet, de nombreuses questions méritent d'être traitées. Le gouvernement vient de faire adopter la création d'un médiateur du livre, qui aura pour tâche de conseiller la ministre dans ce domaine. Nous voulons, quant à nous, répondre à la préoccupation des libraires indépendants qui affrontent une concurrence déloyale.
Je voudrais remercier mes collègues Patrick Hetzel et Frédéric Reiss de leur soutien et dire à MM. Thierry Braillard et Marcel Rogemont que le moment de son dépôt ne constitue pas le critère principal d'appréciation d'une proposition de loi. Le gouvernement ne considère d'ailleurs pas qu'aborder ce sujet soit prématuré, puisque deux amendements portant sur le livre ont été adoptés récemment dans le cadre d'un projet de loi sur la consommation.
En l'absence de toute action volontariste, la concurrence numérique entraînera la disparition des lieux de vie que sont les librairies. Cette proposition de loi vise donc à soutenir les libraires indépendants.
Au cours de cet échange extrêmement riche, tout le monde a noté l'importance du sujet. Le gouvernement a utilement lancé une concertation, car il convient de prendre en compte la diversité des avis. De ce fait, me réclamant du Président de la République en fonctions à l'époque de l'adoption de la « loi Lang », je dirai qu'il faut donner du temps au temps, même s'il ne s'agit en aucun cas de renvoyer aux Calendes grecques l'adoption d'une disposition qui, sur le fond, fait l'unanimité.
Je vous propose donc aujourd'hui que notre Commission s'en tienne là dans l'examen de ce texte et décide de ne pas présenter de conclusions. Cela nous permettra de débattre collectivement de ce texte en séance publique le jeudi 3 octobre, conformément à l'article 42 de la Constitution.
Au nom des députés SRC, j'approuve votre proposition, monsieur le président. En effet, il existe un accord sur le fond de la proposition de loi – comment pourrait-il en être autrement ? – et le gouvernement, soutenu par une majorité, voire par l'unanimité de l'Assemblée nationale, souhaite aider les libraires, ce qui est essentiel.
Procéder à un vote aujourd'hui conduirait à afficher des divisions formelles et factices, alors que nous devons trouver un consensus.
La séance, suspendue à dix-sept heures dix, est reprise à dix-sept heures quinze.
Monsieur le président, nous vous remercions de nous avoir accordé cette interruption de séance qui nous a permis de consulter le règlement de l'Assemblée nationale. Aux termes du troisième alinéa de l'article 86, « Les rapports concluent à l'adoption, au rejet ou à la modification du texte dont la commission avait été initialement saisie ». Le groupe UMP souhaiterait donc qu'un vote sur la proposition de loi défendue par M. Christian Kert ait lieu.
Je prends acte de votre position et vais mettre aux voix ma proposition de ne pas présenter de conclusions. Le débat en séance publique aura donc ensuite lieu sur le texte initial de la proposition de loi.
Monsieur le président, votre initiative ne semble pas conforme au règlement de l'Assemblée nationale.
La Commission décide de ne pas présenter de conclusions sur la proposition de loi.
La séance est levée à dix-sept heures vingt.