La séance est ouverte à 14 heures.
La Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes procède à l'audition de M. François Fondard, président de l'Union nationale des associations familiales (UNAF) et de Mme Guillemette Leneveu, directrice générale, accompagnés de Mme Claire Ménard, chargée des relations avec le Parlement, sur la question des femmes et du système fiscal.
Dans le cadre de la réflexion sur la réforme fiscale engagée par le Gouvernement, des groupes de travail ont été mis en place. L'un d'eux traitera de l'imposition des ménages. Il m'a semblé que la Délégation avait vocation à se saisir de la question des femmes et du système fiscal et j'en ai informé le Premier ministre. J'ai par ailleurs rencontré Dominique Lefebvre, qui préside le groupe de travail sur la fiscalité des ménages, et Christian Eckert, le rapporteur général de la Commission des finances, qui mènent des travaux sur ces questions.
J'imagine que l'UNAF se sent particulièrement concernée. Vous avez d'ailleurs publié le 31 janvier un communiqué intitulé : « Ne décidez pas pour les familles, sans les familles ! ». J'aimerais que vous nous disiez pourquoi vous vous êtes manifestés de cette façon, et si vous pensez que la question de la fiscalité et femmes » mérite d'être traitée.
J'espère que la réforme fiscale apportera davantage de clarté et de justice sociale, et je m'interroge plus particulièrement sur l'intérêt que présenterait une individualisation de l'impôt. La France est en effet un des quatre derniers pays de l'Europe, avec le Luxembourg et la Suisse –, à conserver ce système fondé sur la déclaration commune qui est obligatoire dans notre pays, à partir du moment où les conjoints sont mariés ou pacsés ; il en va différemment s'ils sont en union libre. Il est d'ailleurs à noter que certains dispositifs, comme le revenu de solidarité active (RSA), prennent en compte les revenus de l'ensemble des personnes vivant sous le même toit, y compris en union libre, et d'autres encore sont calculés individuellement, comme c'est le cas de la prime pour l'emploi (PPE).
Il ressort de certaines études que la non individualisation de l'impôt serait un frein à l'emploi des femmes – reprise ou continuation. Ces études s'appuient sur le fait qu'aujourd'hui les femmes françaises sont majoritairement actives – et dans la majorité des cas, elles gagnent moins que leur conjoint –, et que 64 % seulement des ménages mettent la totalité de leurs revenus en commun. Mais, pour autant, nous ne connaissons pas suffisamment les conséquences qu'aurait, sur les ménages ou pour l'État, une individualisation, d'où l'intérêt d'études d'impact en la matière. Je pense qu'il serait intéressant de savoir ce qu'il en est. Pour moi, l'individualisation est une question d'autonomie et de responsabilité. De fait, les couples durent moins longtemps que dans le passé. D'ailleurs, en cas de séparation et de recomposition de la famille, la mise en commun des ressources est moins fréquente.
J'aimerais avoir votre point de vue sur tous ces sujets, connaître les propositions que vous pourriez faire en faveur d'une fiscalité plus juste, notamment à l'égard des femmes. Je précise tout de suite qu'il n'est pas question de s'en prendre aux familles, bien au contraire. Il s'agit plutôt d'instaurer davantage de justice entre elles.
Il est exact que nous avons fait un communiqué et sommes intervenus auprès du Premier ministre, plus précisément auprès de son conseiller social.
Dans ce communiqué du 31 janvier, vous écrivez que « la loi fait obligation aux pouvoirs publics d'entendre l'UNAF sur les sujets concernant les familles ». À quelle loi faites-vous allusion ?
Je faisais référence aux textes qui régissent l'UNAF, et plus précisément aux articles du code de l'action sociale et des familles qui font obligation aux pouvoirs publics de recueillir l'avis de l'UNAF sur toutes les questions qui concernent la famille. De fait, lors de sa création en 1945 (décret du 3 mars), quatre missions ont été assignées à l'UNAF : donner son avis aux pouvoirs publics sur toutes les questions qui concernent la famille ; représenter l'ensemble des familles françaises et étrangères ; gérer les services d'intérêt familial que lui confiera le Gouvernement, notamment la gestion des mesures de tutelle ; ester en justice, à partir du moment où elle considère qu'il y a discrimination envers les familles.
Ces dernières années, nous avons beaucoup travaillé les questions fiscales avec le Gouvernement. Nous restons en contact très étroit avec le Premier ministre, la ministre déléguée chargée de la Famille et la ministre des Affaires sociales et de la santé. C'est ainsi qu'en 2013, nous avons discuté de la réduction du déficit de la branche famille et de l'abaissement du plafond du quotient familial à 1 500 euros – privilégié par rapport à une mise sous condition de ressources des allocations familiales.
Mais vous m'avez interrogé sur le quotient conjugal. Nous tenons à souligner que celui-ci fait partie intégrante de la politique familiale. Il existe trois leviers dans ce domaine : le levier fiscal, avec le quotient familial et le quotient conjugal, les prestations familiales, comme celles qui visent à concilier vie familiale et vie professionnelle, et les services, comme les crèches et structures d'accueil des jeunes enfants. Le système est un peu complexe, mais il est efficace. L'indice de fécondité de notre pays, notamment par rapport à d'autres pays européens, atteste de la réussite de cette politique familiale.
Mais revenons au quotient conjugal. Je rappelle d'abord qu'avec la réforme du quotient familial, les parents d'enfants à charge ont été amenés à contribuer au redressement des comptes publics…
En quoi le quotient conjugal fait-il partie de la politique familiale ? Est-ce au fisc de s'occuper des familles et des ménages ?
Le fisc ne fait là que se conformer à des choix politiques qui remontent à 1945.
En 1945, le Gouvernement menait une politique nataliste et familialiste. Mais nous sommes en 2014.
La politique nataliste mise en place après 1945 et dans les années cinquante a porté ses fruits. L'indice de fécondité était très élevé et les allocations familiales très conséquentes. Nous n'en sommes plus là. Aujourd'hui, il n'y a plus de politique nataliste, mais une politique familiale.
Pour nous, il est important, dans une société et un pays comme les nôtres, de permettre aux jeunes familles de concrétiser leur désir d'enfant. Aujourd'hui, les enfants qui naissent ont été désirés ; ce n'était pas le cas il y a deux générations, dans la mesure où le contrôle des naissances n'était pas possible. Et comme le relevait la ministre déléguée chargée de la Famille, Mme Dominique Bertinotti, ce matin sur France Inter, les jeunes mettent aujourd'hui la famille au premier rang de leurs valeurs.
Nous avons réussi notre politique familiale, et nous pouvons faire des comparaisons avec ce qui se passe en Allemagne, où 40 % des jeunes femmes cadres ont décidé de ne pas avoir d'enfants. Je trouve catastrophique que, dans une société moderne, de jeunes familles ne puissent pas avoir les enfants qu'elles souhaitent. Les jeunes familles françaises sont beaucoup plus heureuses – et encore, la récente enquête que nous avons menée montre qu'aujourd'hui, elles souhaiteraient avoir davantage d'enfants.
Nous n'allons donc pas dissocier le débat de la fiscalité du débat sur la politique familiale, et des prestations et services. Dans notre société, c'est un tout. Au Gouvernement de s'interroger sur l'intérêt de maintenir, ou non, les dispositifs existants. Il faut bien reconnaître que le système est très complexe et que personne ne s'y retrouve. Mais si l'on s'attaque à des fondamentaux, dont le quotient conjugal fait – selon nous – partie, les conséquences ne se feront pas attendre.
Nous l'avons déjà dit à propos du quotient familial : on peut encore descendre son plafond, qui est aujourd'hui à 1 500 euros, mais cela finira par avoir des conséquences sur le choix des jeunes familles de concrétiser, ou pas, leur désir d'enfants. Je pense donc que c'est au Gouvernement de prendre ses responsabilités et de dire jusqu'où il envisage d'aller.
Encore une fois, notre politique familiale est bonne dans la mesure où elle a réussi. C'est ce nous disent les jeunes familles, qui bénéficient, notamment, de dispositifs leur permettant de concilier vie familiale et vie professionnelle – même si les places en crèche sont en nombre insuffisant.
Malgré la crise, la natalité n'a fléchi que légèrement l'année dernière – de 2,01 à 1,99 enfant par femme. C'est peu si l'on pense à l'effondrement de la natalité qui s'était produit en 1993, autre année de crise, où le taux de natalité était descendu à 1,65. Le Gouvernement avait alors consulté les jeunes familles dans le cadre de la Conférence de la famille. Mme Gisserot, dans son rapport, a montré que les jeunes femmes françaises ne faisaient pas d'enfants parce qu'il n'y avait pas de politique permettant de concilier la vie familiale et la vie professionnelle. À partir de 1996, cette politique s'est considérablement développée : en 2000, premiers plans crèche, avec Mme Royal ; en 2003, prestation d'accueil du jeune enfant (PAJE), avec M. Jacob. Ensuite, tous les ministres successifs en charge de la famille ont pris des mesures pour continuer à développer les dispositifs de conciliation de la vie familiale et de la vie professionnelle.
Non, pour le moment, nous n'avons pas travaillé au fond. Nous nous référons aux dernières études qui ont été faites et selon lesquelles l'impact qu'aurait le quotient conjugal sur l'emploi féminin en France ne repose sur aucune certitude scientifique.
Une étude de 2003 avançait un chiffre très modeste : 80 000 femmes de plus au travail – et 3,5 milliards d'euros de recettes fiscales supplémentaires en cas d'individualisation totale de l'impôt. De la même façon, une note du Trésor, en 2007, concluait à un effet très faible dans les deux cas. Je souligne qu'il s'agissait d'analyses reposant sur des modélisations de données fiscales, et non d'enquêtes menées auprès des familles. Or, selon nous, un débat scientifique sur l'impact du quotient conjugal ne correspond pas à la réalité vécue par les couples.
Le Haut conseil de la famille, auquel nous participons, avait pour sa part précisé en 2011, dans sa note relative à l'architecture de la politique familiale, que l' « on ne dispose pas d'éléments objectifs sur cette éventuelle dissuasion, et il est vraisemblable que la fiscalité ne joue qu'un rôle modeste sur le taux d'activité féminine ».
Enfin, la plus récente de ces études, celle d'Olivier Thévenon, de mai 2013, mérite d'être portée au débat. Elle s'appuie sur l'évolution du système socio-fiscal des pays de l'OCDE entre 1987 et 2007. Son auteur conclut que dans ces pays, il n'existe aucun effet négatif sur l'emploi féminin qui serait lié au différentiel de fiscalité dans le couple.
Ainsi, selon un certain nombre d'experts, le quotient conjugal n'a pas d'influence sur le taux d'activité féminine.
C'est une bataille d'experts ! Certains vont dans un sens, d'autres vont dans l'autre sens.
Peut-être n'est-ce pas forcément le quotient conjugal en tant que tel qui a un impact négatif sur le taux d'activité des femmes, mais, du fait notamment des effets de seuil, l'ensemble des aides et avantages que les femmes risquent de perdre en se mettant ou en se remettant à travailler ? Pour une mère de famille peu formée ou qui a un travail à temps partiel, il peut être plus intéressant de rester à la maison. Il n'en reste pas moins que les chercheurs que nous avons entendus ont évoqué des études selon lesquelles le quotient conjugal n'était pas favorable à l'activité des femmes. J'aimerais que Bercy nous donne des éléments d'appréciation. De nombreux pays sont passés à l'individualisation.
Le quotient conjugal n'est pas une exception française. Le système existe aussi en Allemagne, en Espagne, en Irlande, au Portugal et en Pologne. Aujourd'hui, la moitié des couples européens ont la possibilité de déclarer leur imposition conjointement.
Mais en France – et dans trois autres pays, d'après ce que j'ai entendu – la déclaration commune est obligatoire dès qu'il y a mariage ou pacs. Ne pourrait-on pas imaginer de laisser les ménages choisir ? Les couples iraient sur le site des impôts, entreraient leurs revenus, préciseraient leur situation et verraient ce qui est le plus intéressant pour eux, quotient conjugal ou individualisation. Peut-être que, finalement, la majorité des couples resterait au quotient conjugal. Mais peut-être pas. Après tout, depuis 1945, les familles ont changé. Il y a une grande part de familles monoparentales.
Tous les ans, nous sortons ce que l'on appelle « les chiffres clés » et nous avons constaté que le nombre des couples s'établissait, depuis plus de cinq ans, à 15 millions. Parmi ces couples, 80 % sont toujours mariés.
Les derniers chiffres que nous avons sortis sur 2013 et que nous sommes en train de finaliser, tout comme l'enquête INSEE de l'année dernière, nous ont montré que, finalement, la configuration des familles avait peu évolué.
Ainsi, 75 % des couples – pas forcément mariés – vivent avec leurs enfants. Autrement dit, 75 % des enfants vivent avec leurs deux parents. Pourtant, on a l'impression du contraire et on entend souvent dire qu'un couple sur deux divorce. Mais c'est faux. Il y a par ailleurs 7 % de familles recomposées et 18 % de familles monoparentales. Ce dernier pourcentage n'a pas évolué depuis dix ans. Il faut dire que les familles monoparentales sont, en majeure partie, dans une situation transitoire puisqu'elles évoluent souvent vers la recomposition et le mariage.
Les chiffres de 2011 illustrent cette stabilité. Les mariages sont toujours aux alentours de 250 000 par an et les divorces de 140 000 par an – dont la moitié, soit un peu plus de 70 000, sont avec des enfants à charge. Le premier enfant est à 60 % hors mariage, le deuxième à 40 % hors mariage, mais s'il y en a un troisième et au bout de dix ans de vie commune, le taux de « régularisation » se situe entre 75 et 80 %.
Ensuite, le Pacs a connu une montée en charge importante, avec une apogée, en 2010, à près de 200 000. Mais ce nombre est aujourd'hui descendu aux alentours de 160 000. Quant au concubinage, il reste stable.
Aujourd'hui, les jeunes couples ont pris conscience que le mariage garantissait certains droits et devoirs. Ils se marient parce que, au moins, en cas de séparation, il n'y aura pas de spoliation. Et si le Pacs est monté en charge en 2006, c'est en raison de l'alignement des droits fiscaux sur ceux du mariage.
Mais allons au-delà du débat d'experts. L'UNAF demande une étude d'impact documentée à l'épreuve de la réalité vécue par les familles. Quand vous parlez du quotient conjugal autour de vous, vous constatez que personne n'a une idée précise de son impact. Moi-même, je préside la section des affaires sociales et de la santé au Conseil économique, social et environnemental, mais lorsque nous avons travaillé à l'avis sur l'évolution contemporaine de la famille, je vous avoue très humblement que je n'avais pas réalisé qu'à partir du moment où les deux conjoints gagnaient exactement la même chose, le quotient conjugal était complètement neutralisé.
De notre point de vue, le quotient conjugal est utile en cas de différence de revenus entre les conjoints, par exemple lorsque l'un des deux – souvent la femme – décide de ne pas travailler. Mais on voit bien aussi que l'aspiration des jeunes femmes françaises est de travailler.
Le tableau qui figure à la page 150 du rapport de Séverine Lemière est intéressant. On y apprend que le taux d'activité des femmes est plus important dans les hauts déciles, du sixième au dixième : entre 80 et 88 % ; ce sont des femmes qualifiées. À l'inverse, le taux d'activité féminin le plus bas, autour de 40 %, concerne les déciles 1 et 2, là où se trouvent les 14,3 % de la population en dessous du seuil de pauvreté ; ce sont des femmes non qualifiées. Seules les formations qualifiantes permettront de relever ce taux d'activité. Mais cette observation vaut aussi pour les hommes puisque les 20 % d'hommes non qualifiés sont majoritairement au chômage.
Par ailleurs, le quotient conjugal n'a d'impact que sur les plus hauts déciles, du sixième au dixième, là où les taux d'emploi des femmes sont les plus forts. Il ne peut pas en avoir sur les plus bas déciles, puisque 50 % des ménages ne paient pas d'impôts. Modifier aujourd'hui les pratiques du quotient conjugal ne changerait rien pour 50 % de la population, où les formations qualifiantes doivent être plus particulièrement concentrées, et ne ramènerait pas les femmes à l'emploi.
Venons-en à la question de la mise en commun des ressources au sein du couple. Malheureusement, nous n'avons étudié le comportement de séparation et de mise en commun des ressources que pour la moitié de ces 15 millions de couples, à partir d'une enquête INSEE de juillet 2012. Il en ressort que 49 % seulement d'entre eux étaient en situation d'activité, pour au moins un membre du couple, les autres étant des retraités, pour lesquels cela ne changera rien. Il ressort également de cette enquête que le partage total est la norme très majoritaire, puisque c'est le cas de 64 % des couples ; nous avons en effet le même chiffre que vous.
Tout à fait. La mise en commun partielle est néanmoins de 18 %. On apprend également que chez les couples les plus aisés, la mise en commun totale demeure à un niveau important : environ 57 %.
Mais revenons au quotient conjugal. Pour nous, il permet la solidarité au sein du couple, sans approche de genre, face aux aléas de la vie. Les projections statistiques montrent que 55 % des couples finiront leur vie ensemble, mais aussi que la probabilité de connaître une période de chômage est aujourd'hui de 50 % ; par les temps qui courent, l'homme comme la femme peuvent être concernés. En cas de perte de revenus, le quotient conjugal est très efficace. L'individualisation ne garantira pas automatiquement cette solidarité entre les conjoints. Il faudra trouver un autre moyen de compensation.
Enfin, lorsque les inégalités sociales augmentent, il peut être utile de recourir à l'impôt sur le revenu. À l'UNAF, nous avons toujours défendu cet impôt, qui nous semble le plus juste, dans la mesure où il est progressif – le taux moyen d'imposition augmente avec le revenu – et « familialisé » – on tient compte de la composition de la famille. De ce point de vue, le débat sur la suppression partielle ou totale du quotient conjugal est critiquable. Certains proposent d'appliquer un quotient inférieur à 2, voir égal à 1 pour les couples monoactifs, c'est-à-dire avec un seul salaire. Une telle mesure serait particulièrement injuste car elle nierait la réalité budgétaire du couple. Un couple a plus de besoins qu'une personne célibataire.
Certaines études montrent que par rapport à un célibataire, le ratio n'est pas de 2, mais de 1,5. Un couple n'a pas deux fois plus de dépenses, pour la maison, pour l'entretien, etc. Le célibataire doit faire face, pour sa part, à des charges fixes. On se rend d'ailleurs compte qu'au moment du divorce, les femmes ont une perte de revenus très importante, plus importante que le mari.
J'observe également que le quotient conjugal a pour effet de diminuer l'impôt sur le revenu des familles les plus aisées, puisqu'il est proportionnel aux revenus, sans plafonnement.
Dans la mesure où il n'est pas plafonné, il est en effet plus avantageux pour les déciles les plus aisés, où 85 % des femmes travaillent – et a fortiori aux 15 % de ces familles, où la femme ne travaille pas.
J'observe par ailleurs que pour calculer les pensions alimentaires et les prestations compensatoires, le juge s'appuie sur le revenu fiscal du ménage et non sur un revenu médian de référence. Ainsi, s'il y a des différences importantes de revenus dans le couple, le mariage garantit à certaines femmes, en cas de séparation, un revenu décent. Malheureusement, nous constatons dans nos associations familiales, et notamment dans nos associations de familles monoparentales, que les femmes n'osent pas ou ne savent pas défendre leurs intérêts. De fait, lorsqu'une mère de famille a élevé plusieurs enfants, alors que le mari a une situation conséquente, la prestation compensatoire n'est pas toujours mise en place en cas de séparation. C'est dramatique.
Nous sommes en train de travailler, au Haut conseil de la famille, sur toutes les questions de rupture. On voit bien que dans le cadre des séparations, majoritairement, ce sont les femmes qui sont spoliées. Et c'est encore pire si elles ne sont pas mariées. Si elles sont pacsées, si elles vivent en concubinage, même depuis vingt ans, elles n'ont droit à rien. Nous assistons aujourd'hui à la montée de la judiciarisation de la séparation du pacs et nous constatons, une fois encore, que les femmes s'aperçoivent trop tard qu'elles auraient dû se marier. C'est un vrai problème.
Il faut savoir aussi, et on l'a dit lors de l'examen du projet de loi pour l'égalité réelle entre les femmes et les hommes, que le non versement de la pension alimentaire est un sport national : 40 % des hommes s'en dispensent. Ensuite, s'agissant de la prestation compensatoire, j'ai découvert récemment que le juge pouvait y introduire des éléments concernant la retraite. Mais cela ne se fait jamais, parce que les femmes n'en sont même pas informées.
Comme vous l'avez dit, en cas de séparation, les femmes peuvent être spoliées, et cela commence dès la négociation. Souvent, les juges aux affaires familiales demandent aux deux conjoints, dans le cadre d'une médiation, de discuter et de négocier. Or les femmes ne s'en sortent pas toujours au mieux.
Avez-vous été voir sur le site du ministère des Droits des femmes ? Il est possible d'y calculer le montant d'une pension alimentaire. Est-ce que cela correspond à vos critères ?
Je ne suis pas allé voir. Il existe depuis quelques années un barème indicatif. Au Haut conseil de la famille, nous y avons travaillé ces derniers mois.
C'est le barème couramment appliqué par les juges aux affaires familiales. Nous allons plus loin à l'UNAF en disant qu'un barème indicatif est insuffisant. Il faudrait mettre en place un barème minimum obligatoire, dans la mesure où il arrive que le juge aux affaires familiales décide d'un montant de pension alimentaire inférieur à ce barème.
Pour ma part, je milite, depuis ces dernières années, en faveur d'un barème obligatoire. Les juges aux affaires familiales pourraient y déroger, mais moyennant une solide argumentation. Je sais bien qu'ils n'y tiennent pas, au nom de leur indépendance. Mais il me semble important qu'une société puisse se fixer des obligations de cette nature. Dans 90 % des cas, en matière de pension alimentaire, ce sont les femmes qui « trinquent », ce qui est tout à fait inadmissible. De la même façon, les prestations compensatoires sont particulièrement méconnues. Cela dit, depuis quelques années, il y a des juges spécialisés dans les divorces, qui sont majoritairement des femmes, et des offensives sérieuses ont été menées pour faire en sorte que personne ne passe au travers de la prestation compensatoire – sauf dans les cas de très grande faiblesse de la part de la femme ou de l'homme, où le droit n'est pas pris en compte.
Jusqu'à présent, nous avons surtout traité du quotient conjugal. En matière de quotient familial, voyez-vous des évolutions possibles ?
L'UNAF en a abondamment parlé ces dernières années, en réaffirmant l'utilité de son principe.
Absolument. Lors des échanges que nous avons eus le 3 juin avec le Premier ministre, au moment de la conclusion du plan de redressement de la branche famille, nous avons dit que le montant du quotient familial relevait de la responsabilité des politiques. On connaît aujourd'hui quelles seront les conséquences du plafonnement du quotient familial à 1 500 euros. 12 % des foyers avec enfant(s) à charge seront concernés, ce qui signifie que la mesure ne change rien pour les autres familles. Cela peut apparaître comme une juste participation des familles au redressement de la branche famille, mais nous regrettons que seules les familles avec charge d'enfants aient été mises à contribution.
J'ajoute que, de notre point de vue, ce serait une erreur de descendre plus bas. Je précise que si on supprimait le quotient familial, 25 % des familles seraient réassujetties à l'impôt sur le revenu. Il ne resterait donc que 25 % de familles qui ne paieraient pas d'impôt sur le revenu. Heureusement que la solidarité nationale joue en faveur de ces familles-là, qui en ont besoin.
Voilà la position de l'UNAF. Je reviendrais, pour conclure, sur le quotient conjugal. Constitue-t-il un frein au retour dans l'emploi des femmes ? Je pense que ce serait une erreur de l'affirmer. Dans aucune étude, d'ailleurs, la fiscalité n'est citée comme étant une barrière au retour dans l'emploi. L'effondrement de la natalité que l'on a connu au milieu des années quatre-vingt-dix était lié à une raison majeure bien affichée : les mères de famille voulaient travailler pour avoir leur indépendance. Cela ne changera pas, et je pense que c'est une bonne chose. Pour moi, la remise en cause du quotient conjugal ne serait pas une mesure d'égalité femmeshommes, mais risquerait de remettre en cause l'ensemble de l'architecture de la politique familiale actuelle, comme je le disais en introduction.
Madame la présidente, je comprends bien le travail qui a été mené sur le quotient conjugal. Mais je m'inquiète de l'orientation qui est prise aujourd'hui : nous nous dirigeons vers une individualisation, qui se fera au détriment de la solidarité qui doit exister dans le couple. Or le quotient conjugal est un des éléments de cette solidarité. Pour moi, c'est une véritable dérive.
Votre préoccupation est de protéger les femmes. Mais je n'ai pas le sentiment qu'aujourd'hui, les femmes soient lésées par le quotient conjugal. Vous parliez des familles monoparentales, mais le quotient conjugal ne les impacte pas. Ces familles bénéficient d'ailleurs d'autres prestations.
Certes, il faut aller chercher de l'argent partout, mais je trouve que les familles sont très souvent, trop souvent sollicitées, alors que la solidarité peut passer par l'impôt. Vous avez parlé des familles aisées, et je suis d'accord avec vous : l'impôt est un juste vecteur de la solidarité. Mais pourquoi faire croire que dans les familles, il y aurait des gens aisés qu'il conviendrait de sanctionner ?
Ce n'est pas cela, la démarche de la Délégation. À l'origine, nous travaillions sur les deux textes relatifs, respectivement, à l'égalité entre les femmes et les hommes et à la formation professionnelle, quand a été lancé le travail sur la fiscalité. J'ai appris que deux groupes de travail avaient été créés : l'un sur la fiscalité de l'entreprise et l'autre sur celle de la fiscalité des ménages. Je me suis alors demandée s'il ne serait pas intéressant de travailler sur la question des femmes et de la fiscalité. J'ai découvert qu'en France il était obligatoire, pour les conjoints mariés et pacsés, de faire une déclaration commune. Comme ma préoccupation première est l'autonomie des femmes, je me suis interrogée, sans a priori aucun, sur le quotient conjugal. Je souhaite travailler sur ce sujet, avec les collègues qui s'y intéressent. Mais mon objectif n'est évidemment pas, par ce biais, de s'attaquer de quelque façon que ce soit à la famille.
En réfléchissant sur le quotient conjugal, je me suis dit que les couples pourraient peut-être avoir le droit d'opter entre une déclaration commune ou séparée, et que ce n'était pas au fisc de choisir pour eux. Ils pourraient se décider en se rendant sur le site des impôts et en faisant une simulation. Ils pourraient ne rien vouloir changer ou choisir l'individualisation si elle s'avérait plus intéressante ou si la femme se sentait ainsi plus libre. Il ne s'agirait pas d'imposer un choix aux couples, mais de tenter d'apporter un peu plus de liberté, sans remettre en cause la famille.
Sur le fond, je ne critique pas une telle démarche. Mais en pratique, je crains qu'elle ne soit pas forcément favorable aux femmes. Bien sûr, je ne vise pas toutes les femmes, et notamment pas celles de la génération de nos filles, qui savent faire la part des choses. Mais nous devons être conscients que certaines femmes risquent de se faire spolier, et même dans les familles très aisées. Il est louable de vouloir favoriser l'autonomie des femmes, mais en l'occurrence, il me semble essentiel de préserver la solidarité dans le couple.
Les femmes cadres n'ont en effet pas de souci pour calculer leurs impôts. Mais j'observe que dans les familles où la femme est la moins formée et doit se contenter d'un travail précaire, le raisonnement le plus souvent tenu est qu'elle a intérêt à rester à la maison ; ce n'est pas un choix délibéré.
Cette situation n'a rien à voir avec le couple, mais le niveau de formation professionnelle. C'est pour cela que je pense qu'il ne faut toucher ni au couple ni à la famille, mais travailler sur la formation professionnelle et sur la compatibilité entre la vie familiale et la vie professionnelle.
Je ne touche pas à la famille ! Je réfléchis simplement aux dispositifs liés à la famille qui peuvent se révéler être un frein à l'égalité femmeshommes.
Mais on voit bien où nous mènent certaines réflexions. Aujourd'hui, la tendance n'est plus de considérer le couple dans son ensemble, mais l'homme et la femme l'un à côté de l'autre, dans le couple. Or c'est cet « ensemble » du couple que nous avons à préserver. Le couple n'a d'ailleurs pas autant évolué qu'on le laisserait entendre, comme le président de l'UNAF vient de le mettre en évidence.
Donc, plutôt que de toucher au quotient familial et au quotient conjugal, avec toutes les conséquences que cela pourrait entraîner, faisons en sorte que les femmes puissent concilier leur vie familiale et leur vie professionnelle, par exemple en développant les crèches. Les femmes d'aujourd'hui veulent travailler. Nous devons leur en donner la capacité, et elles acquerront facilement leur autonomie.
La conséquence de l'individualisation sera qu'il n'y aura plus d'obligation de solidarité entre les deux conjoints. Vous ne pourrez plus l'imposer ni dans un sens, ni dans l'autre.
Aujourd'hui, les règles du mariage garantissent à chacun, à l'homme et à la femme, des droits relevant du principe de solidarité ; je veux parler de la pension alimentaire et la prestation compensatoire. Il y a d'ailleurs un travail d'information très important à développer sur ces questions.
On ne va pas changer les dispositions du code civil relatives au mariage. Chaque époux, en fonction de ses revenus, contribue aux charges de la famille. Ce n'est pas pour autant que le fisc doit leur imposer de les déclarer ensemble.
La question posée au départ par la présidente portait sur le fait que la déclaration commune est une obligation pour les conjoints mariés ou pacsés : faut-il leur laisser la possibilité de choisir entre la déclaration commune ou la déclaration individuelle ? Mais les conjoints ont déjà le choix : 'ils décident de vivre en union libre, ils seront dans un système d'individualisation.
Le système du mariage possède sa cohérence et suppose la solidarité dans le couple. Les conjoints s'engagent en effet à être solidaires, y compris dans les difficultés – en cas de chômage, notamment, comme l'évoquait le président. On peut donc parler d'un système de solidarité familiale, que vient compléter la solidarité publique.
En fait, si l'on ouvrait la possibilité d'individualisation à tous les modes d'union, on peut se poser la question de savoir quelle serait la caractéristique liée à chacun de ces modes. De ce point de vue, le débat que lon a eu autour de la prestation compensatoire est intéressant.
Certains conjoints ne savent pas que s'ils se séparent, ils risquent – et c'est souvent le cas des femmes – de rencontrer des difficultés sur le plan financier. Dans la mesure où il y a trois modes d'union – le mariage, le Pacs et l'union libre –, il est essentiel de bien expliquer aux uns et aux autres quels sont les droits et obligations qui y sont attachés. Pendant la vie commune, la solidarité doit jouer, mais si la séparation intervient, celui qui gagne davantage a l'obligation de compenser la baisse de revenus de l'autre. Ces modes d'union ne doivent pas être considérés comme des carcans, mais comme différents moyens de protection des personnes.
L'individualisation suppose en effet que l'on clarifie les modes de contrats. Mais si j'ai engagé cette réflexion, c'est parce qu'un certain nombre de chercheurs estimaient que notre fiscalité des ménages, qui suppose une déclaration commune, dissuadait les femmes de travailler ou de se remettre au travail.
Bien sûr, on ne peut pas comparer la France à l'Allemagne, qui a une autre culture et où, longtemps, les femmes ont moins travaillé que dans notre pays – même si, aujourd'hui, le taux d'activité féminine y est le même qu'en France. On ne peut pas la comparer aux Pays-Bas où, il y a une dizaine d'années, il n'était pas question de faire garder les enfants à domicile ou de les faire prendre à l'école par quelqu'un d'autre que la mère. Les Néerlandais ont donc travaillé sur l'emploi à mi-temps pour éviter qu'en raison des contraintes sociales, les femmes ne quittent le marché du marché du travail dès qu'elles avaient un enfant. Mais j'observe que, malgré des différences, ces femmes, comme les femmes françaises, revendiquent leur autonomie, et que cette autonomie passe, notamment, par le travail.
Mon intention n'est pas de détruire la famille ou de m'y attaquer, mais simplement de savoir si notre fiscalité est favorable, ou non, aux femmes. Voilà pourquoi je vous ai demandé d'exprimer votre point de vue.
La fiscalité est-elle dissuasive ? Assure-t-elle une certaine compensation ? Y a-t-il plus d'avantages à l'individualisation qu'à la déclaration commune ?
Les études sont très intéressantes, mais je ne suis pas sûre qu'elles puissent nous apporter la solution. Je crois que nous devons nous appuyer sur notre expérience du terrain. Et sincèrement, même si une femme a intérêt économiquement à rester à la maison plutôt que de prendre l'emploi qu'on lui propose, elle choisira l'emploi. C'est la mentalité des jeunes femmes aujourd'hui, qui ont envie de s'épanouir professionnellement, tout en s'épanouissant familialement en tant que mères.
Je n'ai pas envie de remettre la femme au foyer. Notre mentalité, du moins celles de nos filles, a changé. Maintenant, elles veulent un « job ». Travaillons ensemble sur l'amélioration de la formation professionnelle et la conciliation entre vie familiale et vie professionnelle, plutôt que sur l'intérêt de tel ou tel dispositif fiscal.
L'audition s'achève à 15 heures 10.
Membres présents ou excusés
Présents. - Mme Catherine Coutelle, Mme Claude Greff, M. Jacques Moignard
Excusés. - Mme Pascale Crozon, M. Philippe Vitel