La réunion

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Monsieur Percebois, nous sommes heureux de vous accueillir pour cette dernière audition de la journée. Nous avons entendu aujourd'hui des propos pour le moins étonnants. Nos interlocuteurs nous ont dit en substance qu'ils ne pourraient pas déterminer le coût de la gestion des déchets tant que le législateur ne se serait pas prononcé sur ce qu'il entendait par « réversibilité ». Nous avons aussi compris que la récupérabilité, élément de cette réversibilité, poserait des problèmes de complexité inégale selon que l'on aurait opté pour un confinement total des déchets ou réservé une ouverture avec un couvercle.

Mais, économiste, vous abordez ces questions comme nous en généraliste plutôt qu'en technicien. Vous êtes aujourd'hui auditionné par notre commission d'enquête en qualité de membre de la Commission nationale d'évaluation des recherches et études relatives à la gestion des matières et des déchets radioactifs, dite CNE2. Cette commission a une vision globale de l'ensemble des options qui s'offrent pour la gestion des déchets de haute activité, à commencer par le stockage géologique sur lequel subsistent nombre d'interrogations portant notamment sur les modalités techniques et sur le prix – deux questions d'ailleurs indissociables. Mais puisque les techniciens nous disent qu'il faudrait que le législateur affine sa demande pour pouvoir donner un prix, il est à craindre que ces incertitudes ne soient pas levées de sitôt…

Vous vous intéressez également à la séparation-transmutation des actinides, matière peu familière au grand public et au sujet de laquelle des définitions précises seraient bienvenues.

Toutes ces options n'entraînent pas les mêmes coûts ; elles nécessitent – ou non – des prototypes en vraie grandeur ; leur mise en oeuvre présente – ou non – un certain degré d'urgence compte tenu de ce que nous savons faire en subsurface aujourd'hui dans des conditions de sûreté garanties par l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN). Quant à l'impact sur les comptes des sociétés concernées, il se mesure aujourd'hui à l'aune du coût de 15 milliards d'euros annoncé initialement, mais ne faudra-t-il pas revoir cette évaluation ? On nous a par exemple parlé de mesures « technico-économiques » d'amélioration – mariage de notions qui me laisse d'ailleurs perplexe dans la mesure où on ignore laquelle des deux commande l'autre.

S'agissant du projet Cigéo, qui implique de lourds investissements, les incertitudes sont-elles moindres pour la CNE2 que pour notre commission d'enquête ? Comment analysez-vous le projet dans ses dimensions techniques et financières, qui sont intimement liées ? Faut-il se donner le temps de voir venir ? Quelle « commande » passer au législateur ? Autant de questions que nous souhaitons vous entendre aborder dans votre propos introductif.

Mais, conformément aux dispositions de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958, je dois auparavant vous demander de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(M. Jacques Percebois prête serment.)

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Jacques Percebois, membre de la Commission nationale d'évaluation, CNE

Je concentrerai mon propos sur les aspects économiques du stockage des déchets MA-VL et HA-VL – les déchets de moyenne et haute activité à vie longue.

Permettez-moi de faire deux observations préliminaires. Tout d'abord, l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA) de même que l'Union européenne et le législateur français considèrent le stockage géologique comme la solution de référence pour garantir la sûreté à long terme de la gestion des déchets radioactifs HA et MA-VL. Ensuite, il est par nature difficile de prévoir le coût d'une installation dont la durée de vie dépasse le siècle. Ce coût sera évidemment très sensible à la chronique de livraison des déchets fournis par les producteurs, à savoir principalement EDF, AREVA et le Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA).

La CNE2 a pour mission d'auditionner l'Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (ANDRA), mais aussi les producteurs de déchets, sur le projet de stockage et, à partir de là, d'émettre des recommandations. Nous publions donc un rapport annuel dans lequel nous donnons notre avis sur les projets qui nous sont soumis et nous demandons régulièrement à l'ANDRA, et indirectement aux producteurs, de nous fournir des informations complémentaires.

Rappelons que le financement de la construction et de l'exploitation de Cigéo est à la charge des producteurs de déchets, via des conventions passées entre eux et l'ANDRA, et selon une clé de répartition, pour le moment acceptée, qui est fonction de la quantité de déchets à stocker, à savoir 78 % pour EDF, 17 % pour le CEA et 5 % pour AREVA – il est entendu que nous parlons ici du stockage des seuls déchets MA-VL et HA-VL, et non de tous les déchets issus du nucléaire, ce qui impliquerait un coût plus élevé.

Aux termes de la loi, ce coût du stockage est fixé, sur proposition ou après avis de l'ANDRA et des producteurs de déchets, par le ministre en charge de l'énergie. Il est public : il a été estimé en 2005 à 16,5 milliards d'euros pour Cigéo. Dans son rapport sur les coûts de la filière électronucléaire de 2012, la Cour des comptes considère néanmoins, à l'instar d'ailleurs de la CNE2, qu'il est sous-estimé. Elle a avancé, pour sa part, un ordre de grandeur de 36 milliards, mais cette évaluation n'est pas validée à ce jour. Un groupe de travail a été constitué sur le sujet au sein de la direction générale de l'énergie et du climat (DGEC) du ministère de l'écologie, du développement durable et de l'énergie ; y participent l'ANDRA et les producteurs de déchets et la CNE2 y est associée, puisque j'y siège en tant qu'observateur. En principe, le ministre chargé de l'énergie devrait arrêter le nouveau chiffre à la fin de juin prochain.

Il y a bien sûr débat entre les parties concernées sur le coût de ce projet, qui est un projet innovant, appelé à s'étaler sur une longue durée et qui implique, outre les coûts de construction, des coûts d'exploitation. Il y a d'autant plus débat que de nombreuses incertitudes subsistent en l'absence de retour d'expérience important à l'échelle internationale.

Premier élément d'incertitude : l'inventaire des déchets à stocker peut être modifié. Il l'a d'ailleurs déjà été, ce qui explique la dérive des coûts à la hausse.

En deuxième lieu, il n'est pas aisé de faire des projections à long terme sur la base de technologies que l'on ne maîtrise pas nécessairement, et il convient donc de prendre un grand nombre de précautions.

Mais on constate d'autres incertitudes encore, relatives à la structure des coûts, qui renvoient à la décision politique : je pense au coût des assurances et à celui des taxes. Ainsi, pour Cigéo, la question se pose de savoir si ce centre va payer toutes les taxes auxquelles est assujettie une construction industrielle ou s'il pourra, comme cela a déjà été le cas par le passé pour certaines installations nucléaires, bénéficier d'une dérogation votée par le législateur.

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Jacques Percebois, membre de la Commission nationale d'évaluation, CNE

Non, à une exonération de taxes – le problème étant qu'une exonération de taxes locales entraînerait des rentrées fiscales moindres pour les collectivités territoriales…

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Pardonnez-moi de vous interrompre, mais le sujet est délicat. J'ai le souvenir que pour le site de Bure, le législateur a voté un certain nombre de dispositions spécifiques dont dépend l'acceptabilité du projet au niveau local. Les remettre en cause serait, à mon sens, se fourvoyer. Ce débat a eu lieu à plusieurs reprises dans l'Hémicycle, sous plusieurs majorités et des engagements ont été pris sur lesquels il est difficile de revenir.

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Jacques Percebois, membre de la Commission nationale d'évaluation, CNE

Pour l'instant, c'est une interrogation. Au pouvoir politique de trancher.

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Il me semble qu'il a déjà tranché ; vous lui demandez en fait de réviser sa position.

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Jacques Percebois, membre de la Commission nationale d'évaluation, CNE

La CNE2 observe ce sur quoi il y a convergence ou divergence entre l'ANDRA et les producteurs. À l'heure actuelle, il y a débat sur le niveau des taxes. L'ANDRA reviendra sans doute sur ce point lorsque vous l'auditionnerez.

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Soyons précis. Des dispositions législatives existent. Or je comprends que vous demandez au législateur de les revisiter. Encore une fois, des dispositions spécifiques ont été votées pour le site de Bure.

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Jacques Percebois, membre de la Commission nationale d'évaluation, CNE

En effet.

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Jacques Percebois, membre de la Commission nationale d'évaluation, CNE

Je n'ai pas dit que c'était la position de la CNE2. Au demeurant, celle-ci n'a pas à donner d'avis ou à formuler de jugement sur ce point. Je me borne à relever que la question a été posée.

Il nous semble d'autre part important de rappeler que nous aurons une meilleure connaissance du coût du stockage lorsque nous aurons commencé à construire le site. Nous avons aujourd'hui de nombreuses informations grâce au laboratoire, qui s'est révélé très utile. Il importe maintenant de lancer l'opération. Une procédure est prévue pour cela. La CNE2 a expressément demandé dans son rapport que l'on commence par réaliser une première tranche afin d'y voir plus clair sur les coûts. On parle aujourd'hui d'une « phase pilote », dénomination apparue à la faveur du débat public mais qui, pour la CNE2, ne renvoie pas à un pilote. Celui-ci serait une solution intermédiaire entre le laboratoire et le site définitif, alors que la phase pilote serait une première phase – autrement dit, on prévoirait de faire l'ensemble, mais on procéderait par étapes, dont la première permettrait notamment d'y voir plus clair sur les coûts. Dans son dernier rapport, la CNE2 a d'ailleurs souhaité avoir plus d'informations à ce sujet grâce à cette phase pilote.

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Ce serait donc un prototype qui serait mis sur le marché…

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Jacques Percebois, membre de la Commission nationale d'évaluation, CNE

Ce serait la première étape d'un projet. Mais il faut partir avec l'idée de l'ensemble du projet ; l'évaluation du coût doit porter a priori sur la totalité de celui-ci.

Permettez-moi d'insister sur un autre point : il importe de bien distinguer le coût prévisionnel du stockage en tant que tel, exprimé en valeur absolue, de son coût rapporté au prix du kilowattheure ou du mégawattheure. Dans son rapport, la Cour des comptes estime que ce coût reste relativement faible – de l'ordre de 1 % à 2 % – par rapport à celui de la production du kilowattheure nucléaire, mesuré à la sortie de la centrale. Cela étant, pour un coût de stockage donné, si le facteur de charge des centrales nucléaires est modifié ou si certains réacteurs sont arrêtés, le nombre de mégawattheures évoluera et le poids relatif du stockage peut alors augmenter mécaniquement.

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Plus on produit d'électricité nucléaire, moins le coût du stockage rapporté au mégawattheure produit est important.

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Jacques Percebois, membre de la Commission nationale d'évaluation, CNE

Ou inversement : moins on produit et plus le coût augmente.

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Vous voulez donc dire que plus l'on produit de déchets, moins ils coûtent ? C'est un peu surprenant.

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Jacques Percebois, membre de la Commission nationale d'évaluation, CNE

Si l'on considère que le coût du stockage est un coût fixe, son poids augmentera mécaniquement si le nombre de mégawattheures produit diminue. Sur le sujet, certains raisonnent en valeur absolue et d'autres en pourcentage du prix du kilowattheure. Aucune approche n'est meilleure que l'autre. J'observe simplement qu'il peut y avoir une ambiguïté.

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Il en va de même pour l'éolien selon qu'on calcule le coût du mégawattheure installé ou celui de la production réelle. Il faut donc manier ces ratios avec précaution et toujours préciser quelle méthode on utilise.

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Jacques Percebois, membre de la Commission nationale d'évaluation, CNE

J'en viens aux modalités de financement de ces dépenses, point sur lequel la CNE2 a beaucoup insisté dans son rapport. Comme vous le savez, les producteurs de déchets doivent constituer des provisions, dont le montant devra augmenter si le coût est réévalué – et le chiffrage qui sera donné en juin aura à cet égard un impact important. Mais, si ce point est acquis, la CNE2 dispose en revanche de peu d'informations sur les modalités pratiques de ce financement. Le stockage Cigéo n'entraînera pas seulement des coûts fixes, mais aussi, pour toute la période pendant laquelle on fera entrer les déchets, des coûts d'exploitation qui sont loin d'être négligeables. En chiffres bruts, ils seront même relativement élevés.

Il y aura donc à la fois des coûts fixes et des coûts variables, dont certains seront facilement imputables à un opérateur, parce qu'ils correspondront à tel type de colis de déchets dont la provenance sera connue, tandis que d'autres coûts seront communs. Il faut donc définir une tarification qui permette de faire payer à chacun ce qu'il doit payer. Le législateur a posé le principe du pollueur payeur ; c'est donc au producteur de déchets de payer. Encore faut-il pouvoir l'identifier et définir selon quelles modalités il doit contribuer. Il faudra que l'ANDRA nous donne des informations plus précises sur le fonctionnement de ce système de financement au fur et à mesure que le site sera construit. Par exemple, paiera-t-on au moment de l'enfouissement des déchets, sachant que celui-ci peut intervenir dans soixante ans ? Il importe d'avoir la réponse à toutes ces questions.

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Jacques Percebois, membre de la Commission nationale d'évaluation, CNE

Nous avons nous-mêmes insisté sur la nécessité de tenir compte de ce qu'on appelle les externalités. Il existe tout un programme d'accompagnement de Cigéo. Il faut en effet prendre en compte les conséquences macroéconomiques du projet, en termes de créations d'emplois, mais aussi de nuisances pour la population, avec une préoccupation : identifier ceux qui en profitent et ceux qui payent, car ce ne seront pas toujours les mêmes. On a beau se situer dans la même région, ceux qui supportent les nuisances ne sont pas nécessairement ceux qui seront indemnisés ! Il convient donc d'aller au-delà des conséquences macroéconomiques globales pour se pencher plus précisément sur ces aspects redistributifs.

On s'interroge sur les créations d'emplois à attendre selon les types d'énergie considérés. La réponse est compliquée, surtout si l'on veut prendre en compte, en sus des emplois directs, les emplois indirects, voire les emplois induits.

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Jacques Percebois, membre de la Commission nationale d'évaluation, CNE

Nous ne disposons pas de chiffres.

Un débat est en cours sur un modèle d'accompagnement au niveau local. La préfecture de la Meuse est chargée de coordonner l'élaboration d'un schéma interdépartemental de développement du territoire. Il existe un rapport qui affirme qu'il y aura création d'emplois, mais cela restera sans doute assez modeste. Cela étant, la région peut profiter d'autres externalités, sous forme d'infrastructures par exemple.

Pour ce qui est de la dérive des coûts, il convient de faire la part de ce qui revient à un renforcement des contraintes de sûreté. L'ASN est de plus en plus exigeante – c'est là un des avantages objectifs du nucléaire – et une partie de l'augmentation des coûts tient donc au fait que les exigences de sûreté sont de plus en plus fortes, ce qui est une bonne chose. C'est plus ennuyeux lorsque la dérive se produit à niveau de sûreté identique, car cela signifie que l'on avait mal anticipé les opérations concernées.

Dans son dernier rapport, la CNE2 a précisé qu'elle attendait le chiffrage définitif, à savoir celui qui doit se substituer aux 16,5 milliards d'euros dont nous avons parlé. Elle a par ailleurs demandé à l'ANDRA de se pencher sur ce qu'il en est dans d'autres pays en matière de financement et de coûts, mais, s'agissant du stockage, les comparaisons sont délicates car il existe encore peu d'expériences étrangères et chacune est en quelque sorte un prototype. Nous avons quelques éléments venant de Suède et de Finlande mais, en l'état, les choix faits dans ces pays sont assez différents des nôtres. Les comparaisons seront sans doute plus aisées pour ce qui touche au démantèlement.

Comme je l'ai dit, la CNE2 fait des recommandations et demande des précisions à l'ANDRA sur sa méthode d'évaluation du coût de Cigéo.

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Vous indiquez que nous devrions connaître à la fin de juin le nouveau chiffrage arrêté par le ministère. N'est-ce pas en contradiction avec le fait que l'ANDRA dispose de trois mois, à compter de la publication du compte rendu et du bilan du débat public, pour indiquer les suites qu'elle entend donner au projet ? Sachant qu'il faudra ensuite que le Gouvernement définisse une position, cette échéance de fin juin vous paraît-elle vraiment réaliste ? D'autre part, le chiffrage du Gouvernement portera-t-il sur le seul coût de l'investissement, ou aussi sur le coût de fonctionnement pour toutes les années à considérer ?

Quant à la distinction entre « pilote » et « phase pilote », c'est un sujet à traiter d'urgence. L'ANDRA prendra certainement position sur la question. En effet, les implications ne sont pas du tout identiques dans les deux cas. Si je comprends bien, opter pour la phase pilote emporte la décision de tout faire en échelonnant la réalisation. Pour ma part, j'avais plutôt retenu du débat public et de l'audition de la CNE2 par l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) qu'il y avait besoin d'un pilote pendant une quinzaine d'années pour voir comment cela fonctionnait avant de prendre une décision pour la suite. Vous nous dites que la CNE2 serait favorable à une phase pilote plutôt qu'à un pilote. J'aimerais savoir si elle a défini cette position avant le compte rendu et le bilan du débat public ou après, et comment elle tient compte de ce qui a été dit par les citoyens.

Nous étions hier à La Hague. Selon AREVA, stocker directement les produits des réacteurs coûterait à peu près la même chose que les retraiter et produire du MOX. Comme nous l'a dit tout à l'heure M. Repussard, directeur général de l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN), le retraitement n'a donc d'intérêt que si l'on se place dans la perspective d'une quatrième génération : en dehors de cette hypothèse, la réduction du volume de déchets n'aurait que peu d'avantage au regard du coût qu'elle engendre. J'aimerais connaître votre analyse d'économiste, car ce point a des implications directes sur le dimensionnement de Cigéo. Selon vous, cette évaluation peut-elle être validée ?

L'ASN et l'IRSN nous ont indiqué cet après-midi que la démonstration de sûreté n'était pas faite, et que de nombreuses questions restaient posées, par exemple sur le risque d'incendie ou sur la résistance des alvéoles dans le temps. Partagez-vous leur sentiment ?

Il nous a aussi été dit à plusieurs reprises – notamment par l'IRSN, par l'ASN et par le CEA – que le calendrier prévu dans la loi de 2006 devait être modifié, parce qu'il serait un peu incohérent de demander un dossier à l'ANDRA avant que ne soit votée une loi sur la réversibilité et la récupérabilité. Quel est votre avis sur ce point ? Lors de l'audition de la CNE2 par l'OPECST, j'avais demandé à quels éléments les parlementaires devraient être attentifs en matière de réversibilité ; son président m'avait répondu que la CNE2 aimerait être saisie sur ce point, ce qui m'avait stupéfié. Je n'avais pas envisagé que cette question puisse ne pas être étudiée par votre commission !

Le président Brottes a peut-être été un peu… incisif tout à l'heure, mais convenez que les parlementaires ne peuvent décider seuls de tout ce qu'il faudrait mettre sous le terme « réversibilité » : il faudra bien que les techniciens compétents nous éclairent sur de grandes lignes et sur les diverses options possibles. Il est pour le moins inquiétant que la CNE2 n'ait pas été saisie sur le sujet, alors même que le Parlement est censé voter une loi l'année prochaine…

Enfin, quelle est votre analyse sur les provisions constituées par les entreprises ? Nous savons qu'elles l'ont été en fonction d'un coût de 15 milliards que la Cour des comptes et vous jugez sous-évalué. Il en résulte qu'elles sont, elles aussi, sous-évaluées, ce qui n'est pas sans poser problème. Même si, comme vous l'indiquez, l'impact sur le kilowattheure n'est pas très important, il s'agit bien de faire payer au consommateur – dès l'instant où il utilise l'électricité – l'ensemble des coûts, et non de les reporter sur d'autres. La juste évaluation des provisions est donc une question cruciale, ne serait-ce que d'un point de vue éthique.

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Jacques Percebois, membre de la Commission nationale d'évaluation, CNE

En tant que membre observateur du groupe de travail qui a été constitué à la DGEC, j'ai demandé plusieurs fois quand le nouveau chiffrage serait connu. Il m'a été répondu qu'il le serait en principe fin juin 2014. Mais vous avez raison, monsieur le rapporteur : compte tenu de toutes les contraintes que vous avez rappelées, il sera difficile de tenir le délai. Deux nouvelles réunions du groupe de travail sont prévues d'ici au mois de mai ; j'ignore cependant si la ministre sera en mesure de donner un chiffre à la date prévue.

Parlant du coût de Cigéo, nous parlons bien d'un coût brut, qui comprend non seulement une estimation du coût de construction, mais aussi une estimation des coûts de fonctionnement – qui peuvent aller d'un tiers à 40 % du total. Bien entendu, il faut dissocier les coûts bruts des coûts actualisés, les dépenses devant s'échelonner dans le temps. Mais je raisonne en coût brut, c'est-à-dire sur l'ensemble des coûts.

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Comment procéder en pratique ? On ne peut pas additionner le coût de fonctionnement au coût d'investissement en une fois.

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Jacques Percebois, membre de la Commission nationale d'évaluation, CNE

Nous procédons par estimation des besoins annuels, en personnel par exemple.

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Vous estimez donc, sur une base annuelle, un siècle de coûts de fonctionnement, et vous ajoutez cela au coût d'investissement ?

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Jacques Percebois, membre de la Commission nationale d'évaluation, CNE

Oui.

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Est-ce ce qui a été fait pour l'évaluation de 15 milliards ?

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Jacques Percebois, membre de la Commission nationale d'évaluation, CNE

De 16,5 milliards. Oui.

La question de la phase pilote est cruciale. Sur ce point, la position de la CNE2 a été constante : elle n'a jamais parlé de « pilote », et n'a parlé de « phase pilote » qu'à la suite du débat public. Dans ses rapports, il n'a été question que de « première phase ».

Depuis peu, l'ANDRA parle de « phase pilote ». Ce terme est ambigu, car il peut laisser penser que la phase pilote est un pilote. Or ce sont deux choses différentes. Opter pour la phase pilote signifie que l'on prévoit l'ensemble du projet, mais que, parce qu'on ne sait pas tout faire, on se concentre sur la première étape, dont les coûts pourront plus aisément être estimés. C'est donc une première phase, qui a valeur d'apprentissage. Je rappellerai à ce propos que la CNE2 a toujours insisté sur la nécessité d'avoir une vision flexible des choses, car des ajustements seront probablement inévitables. Dans la phase pilote, on prévoit donc le projet dans sa globalité, et on construit au fur et à mesure ce qui est nécessaire. Le pilote est autre chose ; cela consisterait à faire un mini-Cigéo.

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En termes de sûreté, cela ne peut aboutir à la même démonstration. Si l'on fait un pilote, l'autorité de sûreté pourra constater qu'il fonctionne alors que, dans le schéma de phase pilote tel que vous l'expliquez, elle devra se prononcer avant même que l'on bénéficie d'un retour d'expérience sur quelques années de fonctionnement. Je ne pense pas que ce soit son souhait.

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Jacques Percebois, membre de la Commission nationale d'évaluation, CNE

Il appartiendra à l'ASN de se prononcer. Mais jusqu'à présent, le terme de « pilote » n'a jamais été employé dans les rapports de la CNE2, qui lui préférait l'expression « première phase ». C'est d'ailleurs depuis peu que, comme je l'ai dit, l'ANDRA utilise l'appellation « phase pilote ». Dans notre esprit, il ne s'agit pas d'un pilote, mais d'une phase pilote. Cela étant, on peut changer d'avis et, en tout état de cause, je le répète, l'ASN tranchera.

Concernant La Hague, je suis d'accord avec ce qui vous a été dit hier. L'arrêt du retraitement et le stockage en l'état ne modifieraient pas fortement les choses. Cela signifierait bien sûr que l'on renonce à la quatrième génération, ainsi qu'à l'idée de profiter d'autres éléments de la filière, mais cela n'aurait pas une grande incidence sur les coûts. Simplement, il faut le prévoir ; à l'heure actuelle, en effet, l'enfouissement du MOX en tant que tel n'est pas envisagé. La CNE2 a toutefois demandé que soit ménagée une certaine flexibilité afin de pouvoir, le cas échéant, stocker un peu plus que prévu.

Je suis également d'accord pour dire que la démonstration de sûreté n'est pas faite. La CNE2 n'a jamais prétendu que nous maîtrisions tous les paramètres. Au contraire, elle est extrêmement vigilante : lors de chaque audition, elle cherche à savoir où nous en sommes sur les risques, d'incendie ou autres. En l'état actuel des choses, nous n'avons pas la réponse à ces questions. Nous avons donc appelé l'attention sur la nécessité d'avancer sur ces points. Quoi qu'il en soit, ce n'est pas la CNE2 qui donnera le feu vert, mais bien l'ASN.

La CNE2 a rédigé une note sur la réversibilité. Ce terme de « réversibilité » est un terme compliqué qui n'est pas compris de la même façon par tous. Pour certains, il signifie qu'on pourra aller rechercher ce qu'on voudra quand on voudra. Ce n'est pas très réaliste. Certes, on peut toujours aller rechercher, mais cela coûtera très cher. Ce qui est certain, c'est que le site de stockage devra être fermé un jour, au bout de cent ou cent vingt ans – c'est en tout cas la position de la CNE2. La réversibilité signifie que s'il y a un problème avec un colis de déchets, on doit pouvoir aller le rechercher. Il faut donc maintenir des options de flexibilité à cette fin, mais il faut aussi avoir conscience que plus le temps passe, plus ce sera difficile.

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Permettez-moi de vous arrêter : il y a une loi. Ce n'est pas à la CNE2 de dire ce que le législateur a dit. Or ce que dit la loi, c'est que le jour où on aura trouvé une solution pour retraiter les déchets qu'on ne savait pas traiter auparavant, il faut avoir la possibilité de les récupérer pour les traiter. Que je sache, la loi se fait au Parlement, et non dans les commissions, quelle que soit la qualité de leurs membres. Il ne s'agit pas de réécrire la définition que le législateur a pensée, avec toutes les nuances qu'ont voulu exprimer des parlementaires qui sont, je vous l'accorde, des généralistes. L'idée est bien que si l'on enfouit des déchets, il faut pouvoir revenir sur cet enfouissement le jour où on saura les traiter, en neutraliser les effets nocifs, et non, comme vous venez de le dire, d'aller rechercher un colis sur lequel se poserait un problème. J'étais présent lors du débat sur la loi de 2006 – pour lequel je vous renvoie au Journal officiel – et je me souviens très bien de ce qui a été dit et décidé alors. Je conçois qu'on puisse le regretter, mais la définition de la réversibilité aujourd'hui en vigueur est bien celle-là.

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Jacques Percebois, membre de la Commission nationale d'évaluation, CNE

La récupérabilité peut être conçue pour le jour où on sera capable de traiter les déchets grâce à des technologies nouvelles ; mais elle peut aussi être utile en cas de problème avec un colis.

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Jacques Percebois, membre de la Commission nationale d'évaluation, CNE

Les provisions actuelles sont calculées sur la base des chiffres actuels ; on ne peut le reprocher aux producteurs mais, si le coût du stockage est revu à la hausse, ils devront bien entendu les réévaluer.

La Cour des comptes a insisté sur un autre élément : la nécessité de s'assurer que ces provisions sont bien constituées d'actifs dédiés sécurisés. La CNE2 a fait de même dans ses rapports : les provisions doivent être adaptées au coût du stockage et constituées d'actifs dédiés, sécurisés sur le très long terme.

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Dans son rapport de fin 2013, la CNE2 « observe que la réunion de restitution par l'ANDRA du 21 mai 2013 visait à statuer sur les choix structurants pour le projet industriel Cigéo, alors que son esquisse avait déjà été présentée au Gouvernement, et ce quelques jours seulement avant le lancement d'un débat destiné à recueillir les observations du public. Il lui semble que ce mode de fonctionnement n'est pas satisfaisant. À l'avenir, la concertation souhaitable avec les producteurs, menée dans le respect des prérogatives des diverses parties prenantes, devrait être conduite suffisamment en amont de tout dépôt de dossier, notamment celui de la demande d'autorisation de création du stockage prévue à la fin de 2014. » Suite à ces observations, avez-vous constaté des évolutions ? Souhaitez-vous qu'à la faveur des projets de loi qui nous seront soumis, notamment sur la transition énergétique la gouvernance soit affinée dans ce domaine ?

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Jacques Percebois, membre de la Commission nationale d'évaluation, CNE

Nous avons en effet regretté d'avoir été informés trop tardivement pour pouvoir nous prononcer valablement. Nous l'avons dit de manière un peu abrupte dans le rapport. Il ne serait pas inutile que le législateur mette « les points sur les i ».

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Nous allons nous y employer. Je vous enverrai aussi une copie des débats parlementaires sur la réversibilité. Vous n'êtes pas le premier à réécrire l'histoire sur ce point et je dois dire que cela m'inquiète un peu sur l'importance qu'accordent les experts à la législation en vigueur, et donc aux représentants du peuple…

Il me reste à vous remercier d'avoir livré vos remarques à la commission d'enquête.

L'audition s'achève à dix-huit heures cinquante-cinq.

Membres présents ou excusés

Commission d'enquête relative aux coûts passés, présents et futurs de la filière nucléaire, à la durée d'exploitation des réacteurs et à divers aspects économiques et financiers de la production et de la commercialisation de l'électricité nucléaire

Réunion du mercredi 2 avril 2014 à 18 heures

Présents. – Mme Marie-Noëlle Battistel, M. Denis Baupin, M. François Brottes, Mme Sandrine Hurel, Mme Frédérique Massat

Excusés. – Mme Françoise Dubois, M. Jean-Pierre Gorges, Mme Sylvie Pichot