COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES
Mercredi 3 juin 2015
Présidence de Mme Danielle Auroi, Présidente de la Commission
La séance est ouverte à 16 h 30
I. Examen de la proposition de résolution européenne (no 2654), présentée par Mesdames et Messieurs Jean-Patrick Gille, Noël Mamère, Armand Jung, Barbara Romagnan, Charles de Courson, Christian Kert, Danielle Auroi, Denys Robiliard, Geneviève Gaillard, Jean Launay, Jean-Christophe Lagarde, Jeanine Dubié, Jean-Pierre Decool, Joël Giraud, Lionnel Luca, Martine Lignières-Cassou, Patrick Bloche, Paul Molac, Philippe Vitel, Guy Geoffroy, Jean Lassalle, Laurence Abeille, Éric Alauzet, Michèle Bonneton, Sergio Coronado, François-Michel Lambert, Barbara Pompili, Isabelle Attard, Jean-Louis Roumégas, Brigitte Allain, François de Rugy, Eva Sas, Jean-Paul Chanteguet et Cécile Duflot relative à l'action de l'Union européenne en faveur de la protection des droits des Tibétains
Cette proposition de résolution européenne est un peu originale, dans le sens où elle est transpartisane et où elle est similaire à une résolution européenne déjà adoptée au Sénat.
Face aux violations des droits de l'homme à l'encontre des Tibétains dans les différentes provinces chinoises où ils vivent, l'Union européenne ne saurait rester passive. Conformément aux dispositions des traités qui érigent le respect des droits humains en valeur européenne essentielle – et sans pour autant remettre en cause la souveraineté inaliénable de la République populaire de Chine dans ses frontières reconnues internationalement –, l'Union européenne s'honorerait en apportant une contribution plus déterminée à la défense des droits humains des Tibétains.
C'est dans cet esprit que je présente à la commission des Affaires européennes cette proposition de résolution européenne raisonnable et équilibrée.
Il s'agirait de confier de manière explicite et particulière au représentant spécial de l'Union européenne pour les droits de l'homme, parmi ses priorités, le mandat de promouvoir la coordination politique au sein de l'Union européenne afin de contribuer à la protection des droits des Tibétains.
Pour mieux être en mesure d'évaluer les enjeux, j'ai auditionné M. Tsering Dhondup, secrétaire général du bureau du Tibet à Paris et Bruxelles, accompagné de Mme Rigzin Genkhantg, sa chargée de mission, puis M. Vincent Metten, directeur des affaires européennes de l'organisation non gouvernementale International Campaign for Tibet. Auparavant, le groupe d'études Questions du Tibet de l'Assemblée nationale – que j'ai l'honneur de coprésider avec notre collègue Noël Mamère – avait reçu, le 10 décembre 2014, Mme Dicki Chhoyang, ministre des affaires étrangères de l'Administration centrale tibétaine, puis, le 12 mars 2015, M. Lobsang Sangay, premier ministre de l'Administration centrale tibétaine.
Répression politique, assimilation culturelle, destruction environnementale et marginalisation économique et sociale se poursuivent au Tibet, faisant des Tibétains des citoyens de seconde zone. Le Parlement européen a adopté plusieurs résolutions à ce sujet, dont la dernière il y a trois ans.
Fin mai 2015, le bureau du Tibet à Paris et à Bruxelles établissait le bilan humain suivant : 2 210 Tibétains emprisonnés, détenus ou disparus ; 139 Tibétains auto-immolés par le feu depuis février 2009, dont 118 sont morts des suites de leurs blessures ; 10 Tibétains morts en prison ou après leur libération en 2014 ; 9 manifestants solitaires arrêtés au cours des neuf mois précédents ; 22 condamnations à l'emprisonnement à perpétuité depuis 2008.
De nombreux prisonniers tibétains sont soumis à des brutalités voire torturés et privés de soins médicaux. En 2014, un nombre croissant de personnes sont mortes des suites des mauvais traitements reçus en prison.
Le mouvement d'auto-immolations, forme extrême et sans précédent de protestation politique, manifeste une résistance désespérée à la brutalité de l'administration chinoise au Tibet. Elle est adoptée par différentes catégories de citoyens – hommes, femmes, moines, nonnes, nomades, paysans, étudiants – appelant au retour du dalaï-lama au Tibet et à la liberté pour le peuple tibétain. Plutôt que d'en examiner les causes, les autorités chinoises accusent le dalaï-lama et la communauté tibétaine en exil d'en être les instigateurs et ont criminalisé ceux qui s'y livrent ainsi que les membres de leur famille et parfois des villages entiers.
Il est interdit aux monastères de prodiguer l'enseignement traditionnel bouddhiste. Les moines et les nonnes sont soumis à un endoctrinement politique afin d'assurer leur encadrement par le pouvoir central.
Le tibétain, langue principale de communication orale et écrite, est remplacé par le mandarin en tant que langue de l'instruction dans les écoles tibétaines, y compris dans les manuels scolaires.
Depuis 2006, sous prétexte de protéger les pâturages, plus de 2 millions de nomades tibétains ont subi des déplacements forcés vers de « nouveaux villages socialistes », constitués de barres d'immeubles isolées de tout. Les populations concernées sont privées d'accès à l'emploi, à l'éducation et aux services de santé. Cette opération a appauvri les nomades et les transhumants tibétains, et a radicalement modifié leur style de vie et leurs moyens d'existence. Ils ont touché un pécule en compensation mais ont été contraints à vendre leur bétail et, une fois leurs économies asséchées, ils n'ont plus disposé d'aucun moyen de subsistance.
Une autre menace sérieuse est l'afflux de Chinois d'ethnie han dans les zones tibétaines, transfert démographique qui marginalise les Tibétains sur leur territoire – ils y sont désormais minoritaires. Outre les conséquences socio-économiques négatives qui en résultent, cela perturbe le fragile équilibre écologique sur le toit du monde. En janvier 2015, les autorités chinoises ont déclaré que, d'ici à 2020, la population chinoise augmenterait de 30 % dans les zones urbaines tibétaines, soit environ 280 000 nouveaux immigrants au Tibet.
Les sociétés chinoises d'exploitation minière s'emparent de nombreuses terres au Tibet, zone possédant de riches gisements de ressources naturelles : or, uranium, cuivre et eau. Les Tibétains protestent contre les conséquences de certains projets, désastreux en termes écologiques, mis en route sans consultations locales ni études d'impact environnemental et social.
Le plateau tibétain détient les plus grandes réserves d'eau potable au monde après les deux pôles. Le Brahmapoutre, l'Indus, le Sutlej, la Salouen, le Mékong, le Yang Tse et le Fleuve Jaune, qui coulent en Chine, en Inde, au Pakistan, au Népal, au Bhoutan, au Bangladesh, en Birmanie, en Thaïlande, au Vietnam, au Laos et au Cambodge, prennent tous leur source au Tibet. Conséquence de la construction par la Chine de gigantesques barrages sur ses fleuves principaux, la modification du cours des fleuves tibétains vers les zones asséchées chinoises pourrait avoir des conséquences extrêmement graves pour les nations en aval, comme l'Inde, le Bangladesh, le Cambodge et le Laos. Il s'agit là d'une question géostratégique essentielle.
En 2011, depuis son exil à Dharamsala, en Inde, le dalaï-lama a remis ses responsabilités politiques entre les mains de l'Administration centrale tibétaine, instance représentative de l'opposition tibétaine, dirigée par M. Lobsang Sangay.
Cette décision historique a envoyé deux messages à Pékin : la volonté de démocratisation et de sécularisation de la gouvernance de l'opposition tibétaine en exil ; la transmission de la direction du mouvement à une nouvelle génération.
Elle s'inscrit dans une stratégie de recherche d'une « voie médiane » pour parvenir à une solution pacifique, non-violente et concertée de la question tibétaine : une véritable autonomie, telle qu'inscrite dans la Constitution chinoise. Les Tibétains ne revendiquent donc nullement l'indépendance ou une quelconque séparation vis-à-vis de la Chine.
Cette approche pragmatique a été formalisée dans le « Mémorandum sur l'autonomie effective pour le peuple tibétain » de novembre 2008, complété par un document explicatif de février 2010.
L'article 21 du Traité sur l'Union européenne soumet la politique européenne extérieure au respect des principes universels des droits de l'homme :
« L'action de l'Union sur la scène internationale repose sur les principes qui ont présidé à sa création, à son développement et à son élargissement et qu'elle vise à promouvoir dans le reste du monde : la démocratie, l'État de droit, l'universalité et l'indivisibilité des droits de l'homme et des libertés fondamentales, le respect de la dignité humaine, les principes d'égalité et de solidarité et le respect des principes de la charte des Nations unies et du droit international. »
Le 25 juin 2012, le Conseil européen a adopté un cadre stratégique sur les droits de l'homme et la démocratie à l'horizon de dix ans, assorti d'un plan d'action. Y sont définis les principes, objectifs et priorités permettant d'améliorer l'efficacité et la cohérence de la politique de l'Union européenne dans ce domaine. Il consacre notamment les droits de l'homme comme « fil conducteur » de toutes les politiques de l'Union européenne, y compris la politique étrangère et de sécurité commune (PESC).
Placés sous l'autorité de la haute représentante de l'Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, Mme Federica Mogherini, les représentants spéciaux de l'Union européenne sont investis de deux missions, contribuant au déploiement de la Politique étrangère et de sécurité commune : assurer la promotion des politiques et des intérêts européens dans les régions et les pays en difficulté ; jouer un rôle actif dans les efforts visant à consolider la paix, la stabilité et la primauté du droit.
Le 25 juillet 2012, le Conseil a nommé M. Stavros Lambrinidis représentant spécial de l'Union européenne pour les droits de l'homme. Son mandat a été prorogé par deux fois, d'abord de six mois puis de vingt-quatre mois supplémentaires.
Son champ d'action est fondé sur les objectifs généraux de l'Union européenne dans le domaine des droits de l'homme, tels qu'énoncés dans le traité sur l'Union européenne, dans la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, ainsi que dans le cadre stratégique et le plan d'action de 2012, à savoir : accroître l'efficacité, la présence et la visibilité de l'Union européenne en matière de protection et de promotion des droits de l'homme dans le monde, notamment en approfondissant la coopération et le dialogue politique avec les pays tiers, le secteur privé, la société civile et les organisations internationales et régionales, ainsi que par une action dans les enceintes internationales appropriées ; accroître la contribution de l'Union européenne au renforcement de la démocratie et des institutions, à l'État de droit, à la bonne gouvernance, ainsi qu'au respect des droits de l'homme et des libertés fondamentales dans le monde entier ; renforcer la cohérence de l'action menée par l'Union européenne dans le domaine des droits de l'homme et intégrer cette dimension dans tous les domaines de son action extérieure.
Partant de l'hypothèse vraisemblable où la nomination d'un représentant spécial chargé de la question du Tibet semble une option difficilement envisageable par les institutions européennes, la présente proposition de résolution européenne suggère de confier explicitement au RSUE, parmi ses priorités, la mission de promouvoir, au sein de l'Union européenne, la coordination politique en faveur des droits des Tibétains, dans trois directions : faire progresser les droits humains et les libertés des Tibétains ; encourager le dialogue entre le gouvernement de la République populaire de Chine et les émissaires du dalaï-lama ; soutenir l'action de la communauté tibétaine en exil.
Étant moi-même membre du groupe d'études consacré à la question du Tibet, cette initiative de dépôt d'une proposition de résolution européenne a évidemment suscité la plus grande attention de ma part et il ne vous a pas échappé que j'en suis cosignataire.
Son intérêt me semble résider dans le fait que le texte proposé ne se résume pas à une énième énumération des violations des droits humains par les autorités chinoises ou à un nouvel appel en faveur de l'État de droit en Chine. Il est ici proposé aux autorités européennes de prendre une mesure politique concrète, non pas de rupture – ce qui serait vain – mais de dialogue, en s'appuyant sur une base juridique solide et un instrument diplomatique éprouvé.
La base juridique, c'est tout simplement la lettre des traités, plus particulièrement de l'article 21 du traité sur l'Union européenne. M. le rapporteur a bien voulu nous en lire le premier alinéa, parfaitement clair quant aux principes qui doivent guider l'action de l'Union européenne dans son action extérieure.
L'instrument diplomatique, il s'agit de celui des représentants spéciaux de l'Union européenne. Dans la proposition de résolution telle qu'elle vous est présentée, il est question de confier de manière explicite au représentant de l'Union européenne pour les droits de l'homme la tâche de travailler particulièrement sur le dossier tibétain.
Avec Jean-Patrick Gille, nous avons toutefois convenu, après réflexion, qu'il serait encore préférable que l'Union européenne nomme un représentant spécial dédié à la question du Tibet – sachant que, hormis celui chargé des droits de l'homme, dont la vocation est universelle, les huit autres représentants spéciaux sont déjà responsables de pays ou de zones géographiques précis.
Nous proposerons par conséquent, à l'amendement no 5, que l'Union européenne désigne un représentant spécial pour le Tibet et, seulement à défaut, dans l'hypothèse où elle s'y refuserait, qu'elle confie ce dossier à son représentant spécial chargé des droits de l'homme.
Certes, nous nous écarterons ainsi légèrement de la résolution européenne similaire adoptée par le Sénat en 2012, mais cela n'a aucune incidence juridique. L'essentiel me semble être que les deux chambres, sur ce sujet, émettent deux résolutions européennes procédant du même raisonnement. Nous y reviendrons, si vous le souhaitez, lorsque cet amendement arrivera en discussion.
Mes autres amendements sont moins substantiels – ils portent sur des précisions factuelles ou des harmonisations rédactionnelles mineures.
Cette proposition gêne un peu le groupe socialiste, républicain et citoyen (SRC). Nous sommes sensibles à la question des droits de l'homme au Tibet mais ce texte est restrictif : il ne traite qu'un volet de nos relations avec la Chine, qui sont complexes et doivent être considérées dans leur ensemble.
La France – notamment dans le cadre de sa priorité politique de diplomatie économique – et l'Union européenne entretiennent un dialogue constructif avec la Chine, puissance économique et partenaire commercial incontournable. Mais c'est aussi un dialogue critique sur la question des droits de l'homme, s'agissant d'ailleurs du Tibet comme des droits économiques et sociaux. Nous observons d'ailleurs que les choses évoluent, même lentement, notamment sur ce dernier point, et que, pour amener des changements, la stigmatisation est moins efficace que le dialogue constructif.
Le groupe SRC votera donc contre cette proposition de résolution européenne.
Sur un sujet aussi sensible, il aurait été utile que le travail soit préparé en concertation avec la commission des Affaires étrangères, compétente au fond en ce qui concerne les relations avec la Chine, ce qui n'a pas été le cas.
Mais je ne voudrais pas que cette position soit comprise comme une opposition à la défense des droits de l'homme au Tibet.
Il revient à chaque groupe politique de travailler sur les sujets qui arrivent en débat.
Quant à la commission des Affaires européennes, elle est saisie de toutes les propositions de textes portant sur des sujets européens et jouit d'une totale autonomie : elle n'a nullement l'obligation de travailler en coordination avec les commissions permanentes, même si elle le fait très volontiers – ce sera d'ailleurs le cas encore en fin d'après-midi, sur un autre sujet, les questions économiques et monétaires, avec la commission des Finances et la commission des Affaires étrangères.
Je trouve par conséquent vos propos surprenants, déplacés, voir un peu choquants, car ils méconnaissent les usages.
Je suis le premier à vous suivre pour ce qui concerne les sujets européens. En l'occurrence, il s'agit d'une question de politique étrangère, éminemment sensible pour la diplomatie française, qui va bien au-delà des problématiques européennes.
Je répète que nous respectons scrupuleusement les règles : ce texte est bien à vocation européenne puisqu'il porte sur l'action de l'Union européenne en faveur de la protection des droits des Tibétains. La commission des Affaires européennes en a été officiellement saisie. Si elle l'adopte, il sera examiné par la commission des Affaires étrangères. Je ne retire donc rien de mes propos. J'observe en outre que toutes les résolutions que nous examinons concernent aussi une commission sectorielle. Si l'on suivait votre raisonnement, notre commission serait privée de toute autonomie.
Vous avez parfaitement raison, madame la Présidente, de rappeler ce point de procédure : si la proposition de résolution européenne est adoptée, elle sera effectivement examinée en commission des Affaires étrangères dans un deuxième temps.
Je ne cache pas ma surprise face à la position du groupe SRC – auquel j'appartiens, cela n'aura échappé à personne. Peut-être n'ai-je pas suffisamment pris soin d'expliquer devant lui le sens de ma proposition ? J'en ai tout de même parlé en réunion de groupe et, une fois passé l'effet de surprise, je n'ai pas noté de rejet ou d'objections, pas même de la part du président du groupe, qui préside par ailleurs le groupe d'amitié France-Chine de l'Assemblée nationale.
Nous nous retrouvons dans une position courante lorsqu'il est question de la Chine mais je ne propose pas là d'ouvrir un débat international sur les relations que nous devons entretenir avec la Chine. Notre collègue Philip Cordery, dont j'ai compris qu'il s'apprêtait à voter contre, n'a manifestement pas lu précisément notre proposition de résolution ; je l'invite à le faire – elle n'est pas très longue –, ce qui le conduira peut-être à se ressaisir.
Parlons franchement. Tous les pays européens sont gênés car ils sont favorables au respect des droits humains aux Tibet mais ne savent pas comment se positionner par rapport à la Chine pour ne pas fragiliser leurs économies nationales respectives. C'est précisément pourquoi nous suggérons qu'ils travaillent en commun, ce qui s'inscrit bien dans le cadre européen. Nos amis allemands sont parfois plus courageux que nous ; il leur arrive d'adopter des positions plus fermes que les nôtres – soyons désagréables, rappelons qu'Angela Merkel a reçu le dalaï-lama –, alors que leurs échanges commerciaux avec la Chine sont plus développés.
Le sens de notre démarche est donc de demander à l'Union européenne de se muscler et d'intervenir vis-à-vis de la Chine, d'égal à égal, pour que ses États membres ne soient plus obligés de formuler craintivement, chacun de leur côté, quelques petites remontrances.
Je le répète, notre proposition est plutôt pondérée et équilibrée, elle rapporte des faits que personne ne conteste et qu'il est de notre devoir d'évoquer. Il ne s'agit pas d'agresser ou de dénoncer le gouvernement chinois. Les Tibétains souhaitent renouer le dialogue – nous en avons discuté avec Lobsang Sangay, le premier ministre de l'Administration centrale, lorsque le groupe d'études l'a rencontré – et l'Union européenne a l'envergure pour jouer le rôle d'intercesseur. Notre démarche consiste donc à demander à l'Union européenne qu'elle désigne un représentant spécial pour le Tibet ou au moins, parce que nous n'en sommes pas tout à fait là, qu'elle confie au représentant spécial pour les droits de l'homme la charge de se saisir de cette question, avec trois objectifs : promouvoir une coordination politique en faveur des droits humains des Tibétains ; rétablir et soutenir le dialogue entre le gouvernement de la République populaire de Chine et les émissaires reconnus du dalaï-lama, et non pas l'Administration centrale tibétaine, ce qui aurait pu être considéré comme une provocation ; appuyer l'action de la communauté tibétaine en exil, notamment en Inde et au Népal, et en direction de la jeunesse, qui connaît des difficultés.
J'appelle par conséquent mes collègues – en l'occurrence mes camarades – à revoir leur positionnement vis-à-vis de cette proposition de résolution, qui n'a rien de révolutionnaire ou d'agressif. Si l'Union européenne se saisit du dossier et parle d'une seule voix avec les autorités chinoises, qui ont connaissance de nos débats, elle pourra améliorer le rapport de force et faire avancer les choses, ce qui contribuera à sa politique étrangère et de sécurité commune.
Et je répète que le Sénat, en 2012 – c'est-à-dire à une époque où la gauche y était encore majoritaire –, a adopté un texte similaire.
Nous en venons maintenant à la discussion sur les amendements.
L'amendement nº 1 tend à ajouter, après l'alinéa 2, un alinéa ainsi rédigé : « Vu l'article 21 du traité sur l'Union européenne, ». Ce nouveau visa fait référence à l'article 21 du traité sur l'Union européenne. En effet, comme l'a indiqué Jean-Patrick Gille dans sa présentation, cet article fixe les principes généraux qui doivent guider ses relations internationales et ses partenariats avec les pays tiers : démocratie, État de droit, universalité et indivisibilité des droits humains et des libertés fondamentales, respect de la dignité humaine, égalité et solidarité.
L'amendement nº 1 est adopté.
L'amendement nº 2 vise à ajouter, après l'alinéa 3, un alinéa ainsi rédigé : « Vu la résolution du Parlement européen du 14 juin 2012 sur la situation des droits de l'homme au Tibet (texte adopté T7-02572012), ». Ce visa supplémentaire relatif à la dernière résolution adoptée par le Parlement européen à propos des violations des droits humains au Tibet.
J'y suis évidemment favorable.
J'en profite par vous faire observer que, si nous n'adoptions pas cette résolution européenne, nous nous mettrions largement en retrait par rapport aux positions prises par le Parlement européen ; ce geste ne serait pas neutre, il serait même très négatif. Mais je ne soupçonne évidemment personne ici de ne pas être favorable à la défense des droits humains au Tibet ; je sais que nous sommes tous au courant de la situation que j'ai décrite avec modération.
L'amendement nº 2 est adopté.
L'amendement nº 3 a pour objet, à l'alinéa 4, de remplacer les mots : « ainsi que des libertés de religion et d'association » par les mots : « ainsi que des libertés d'expression, d'association et de religion », par souci d'harmonisation rédactionnelle avec l'alinéa 6.
L'amendement nº 3 est adopté.
Depuis le dépôt de la proposition de résolution, le 11 mars 2015, trois autres Tibétains se sont immolés par le feu. La dernière auto-immolation est intervenue le 20 mai 2015. L'amendement nº 4 a donc pour objet de mettre à jour le nombre de victimes en remplaçant, à l'alinéa 7, le nombre : « 136 » par le nombre : « 139 ».
L'amendement nº 4 est adopté.
Mon amendement nº 5 était le plus substantiel puisqu'il s'agissait, à l'alinéa 12, de remplacer les mots « , à défaut d'un représentant spécial pour le Tibet, » par les mots : « de désigner un représentant spécial pour le Tibet ou, à défaut, ». L'idée était de ne pas renoncer a priori à la désignation d'un représentant spécial ad hoc pour le Tibet.
Pour faire un pas dans le sens des préoccupations exprimées dans la discussion générale, je retire cet amendement, qui durcirait le texte.
L'amendement nº 5 est retiré.
Les enjeux environnementaux revêtent une grande importance pour les Tibétains. Le plateau tibétain détient notamment les plus grandes réserves d'eau potable au monde après les deux pôles. L'amendement nº 6 tend à prendre cette dimension en compte dans la proposition de résolution, en ajoutant, à l'alinéa 13, les mots : « , ainsi que leur environnement, » entre les mots : « dans ses aspects religieux, culturels et linguistiques » et les mots : « y compris à travers des projets d'assistance humanitaire et de développement ».
J'y suis extrêmement favorable, d'autant que j'ai abordé la question des ressources en eau dans mon propos liminaire, après y avoir été sensibilisé, notamment par Lobsang Sangay. C'est un problème de dimension géostratégique : si l'on commence à détourner les fleuves, les relations entre la Chine et l'Inde se tendront très rapidement.
En outre, comment faire face au réchauffement climatique, qui aura des impacts très importants sur la fonte des glaciers et sur tout ce bassin hydraulique ? Le groupe d'études envisage même d'organiser un séminaire sur ce sujet, dont je ne maîtrise pas toutes les implications techniques, mais qui est un angle d'attaque original et intéressant pour traiter de la question himalayenne. Il n'y a pas les méchants d'un côté, les méchants de l'autre, mais des tensions, liées à des réalités économiques, notamment en lien avec la question de l'eau, davantage qu'avec celle de l'énergie. Il serait utile de sensibiliser la représentation nationale à cet enjeu.
L'amendement nº 6 est adopté.
Je suis partagé. Un, la problématique que vous soulevez est réelle. Deux, nos relations diplomatiques avec la Chine sont importantes et sensibles. Trois, il importe de prendre en compte un élément de calendrier, la Conférence Paris climat (COP 21), qui implique de rassembler au maximum les différents partenaires concernés.
Je comprends certes votre démarche et apprécie que vous cherchiez à élever le débat au niveau européen, mais il y a vraiment un problème d'opportunité : évitons de brouiller notre message diplomatique vis-à-vis de la Chine. J'ignore la teneur de vos échanges avec le Quai d'Orsay mais l'affaire de la COP est délicate et nous connaissons tous la capacité de nuisance des Chinois et leur force d'entraînement vis-à-vis de certains de nos alliés traditionnels, qui nous suivent de moins en moins.
Certains éléments du texte – que j'ai découvert assez tardivement, comme beaucoup de mes collègues – ne pourraient-ils pas être retravaillés, à la lumière d'éléments d'information complémentaires ?
Il faudrait notamment creuser la question du représentant spécial. Cela me rappelle le cas de Tony Blair, pour le Moyen-Orient. Si c'est pour nommer quelqu'un qui voyage et rédige des rapports mais ne fait pas avancer le « schmilblick » au profit du respect des droits des Tibétains, de la protection de l'environnement et de la gestion de l'eau douce dans l'Himalaya…
Et nous savons aussi que le Service européen pour l'action extérieure (SEAE) est un monstre sans dents – même si la nouvelle haute représentante de l'Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité est un peu plus dynamique.
En outre, la région est tout de même une poudrière, notamment du fait de sa proximité avec le Pakistan.
Ne serait-il pas possible de trouver une solution plus consensuelle ?
Je m'apprêtais effectivement à formuler une suggestion analogue à celle d'Arnaud Leroy : la sagesse voudrait que le rapporteur retire provisoirement sa proposition, afin que nous puissions la retravailler et éventuellement aboutir à un texte permettant à la majorité de s'y retrouver et de le voter. Le groupe SRC est évidemment attaché à la défense des droits de l'homme au Tibet, mais partisan d'examiner aussi la question sous l'angle plus large des relations avec la Chine.
Si nous trouvons une solution de sortie par le haut, j'en serai la première ravie. Je me permets de rappeler que la proposition de résolution européenne a été déposée il y a un bon moment, le 11 mars…
Nous ne sommes pas très nombreux et tous les collègues présents à cet instant appartiennent au groupe SRC, qui a déclaré son opposition au texte. Étant pragmatique et réaliste, je propose que nous poursuivions la réflexion.
Monsieur Leroy, nous partageons le constat mais pas la conclusion : c'est justement parce que la COP 21 se profile qu'il faut mettre les sujets sur la table, y compris celui des droits de l'homme au Tibet. La Chine impose au Tibet une forme de colonisation, car les enjeux sont énormes, et cela concerne l'ensemble de la planète. La France, pays des droits de l'homme, doit revendiquer de discuter avec la Chine, face-à-face et par l'intermédiaire de l'Union européenne, non seulement de commerce mais aussi de droits de l'homme et d'environnement. À quoi cela nous avancerait-il d'organiser une conférence environnementales entre pays occidentaux et de laisser les autres agir à leur guise ?
Je propose donc à mes collègues de suivre la voix de la sagesse et de ne pas passer au vote mais d'ouvrir des échanges, en particulier avec le Quai d'Orsay, à partir du texte tel que nous venons de l'amender. Cela nous permettra de faire oeuvre de sensibilisation, ce qui n'a pas été possible aujourd'hui.
Nous ne lâcherons pas l'affaire : nous y reviendrons, après avoir créé les conditions pour être efficaces et faire accepter notre proposition.
Si vous en êtes tous d'accord, nous n'allons pas passer au vote sur cette proposition de résolution ; mais, telle que nous venons de l'amender, elle servira de base à une réflexion plus approfondie, en vue d'une réinscription ultérieure à notre ordre du jour.
Avons-nous une idée du prochain rendez-vous de discussion bilatérale entre l'Union européenne et la Chine, dans le cadre des négociations climatiques ?
La discussion est en cours et les deux parties se retrouveront à Addis-Abeba pour la Conférence sur le financement du développement puis à New-York pour le Sommet spécial sur le développement durable. De notre côté, nous nous efforçons aussi, à l'échelle parlementaire, d'accomplir le travail de lobbying nécessaire. Si des rendez-vous précis impliquant le commissaire Miguel Cañete sont programmés, j'en serai avertie et vous en informerai.
II. Communication de Mme Marietta Karamanli sur le programme européen en matière de migration présenté par la Commission européenne
Madame la Présidente, mes chers collègues, je vous propose d'examiner le programme européen en matière de migration publié le 13 mai dernier par la Commission européenne. L'an passé, l'immigration irrégulière aux portes de l'Union a atteint un chiffre record de 240 000 personnes contre 85 000 en 2008 ; le nombre de morts se montant lui au chiffre inédit et inouï de 4 000.
Cette vague migratoire est sans précédent depuis un siècle et est due pour une large part à l'effondrement de trois États, la Syrie, l'Irak, la Libye et à la déstabilisation djihadiste meurtrière qui sévit dans une grande partie de l'Afrique.
La Méditerranée ne peut se transformer en cimetière marin mais doit au contraire demeurer une mer de civilisation comme elle l'est depuis trente siècles. À cet égard, Homère dans l'Odyssée nous rappelle à la fragilité des êtres humains aux prises avec l'adversité de la vie et des éléments naturels : « Douce est la terre quand elle parait aux yeux des naufragés ».
Dans sa communication présentée le 13 mai puis précisée la semaine dernière le 27 mai, la Commission européenne semble relever le défi humain, humanitaire et de sécurité auquel elle est confrontée. Elle devra mener cette bataille sur trois fronts simultanément :
- le front humanitaire de sauvetage des migrants,
- le front de l'accueil des réfugiés,
- le front stratégique et géopolitique afin de stabiliser un environnement moyen-oriental et maghrébin extrêmement agité.
S'agissant du front humanitaire et du sauvetage des vies en mer, rappelons que, en vertu des articles 67 et 77 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE), les frontières extérieures de l'Union sont gérées conjointement par les États membres et l'UE, par le biais notamment de l'Agence européenne pour la gestion de la coopération opérationnelle aux frontières extérieures (Frontex).
Nonobstant cette européanisation de la gestion des frontières, l'Agence Frontex, créée en octobre 2004 a seulement une fonction d'appui. Il revient donc aux États d'assurer les contrôles opérationnels courants. L'opération Triton est coordonnée par Frontex a été décidée le 24 septembre 2014.
L'Agenda en matière de migration présenté par la Commission européenne fait état d'un nouveau plan opérationnel pour le sauvetage des vies en mer. Il s'agit d'une réponse immédiate de l'UE aux drames survenus en mer Méditerranée pour lesquels il faut absolument éviter qu'ils se reproduisent.
Comparée à l'opération « Mare Nostrum », l'opération Triton souffre de nombreuses lacunes que le plan Juncker veut combler.
La première tient à la nature même de l'opération Triton. En effet, cette opération conjointe est une opération uniquement de surveillance des frontières extérieures de l'espace Schengen en mer Méditerranée. La mission principale n'est donc pas de sauver des vies.
La deuxième lacune réside dans l'étendue géographique de l'opération Triton puisque celle-ci est limitée à 30 miles nautiques au large des côtes italiennes et maltaises, contre 100 miles nautiques pour l'opération « Mare Nostrum ». Le nombre de routes empruntées par les migrants effectivement surveillées et donc le nombre de vies susceptibles d'être sauvées sont donc relativement restreints.
Dans le cadre de l'opération Triton, l'Agence Frontex souffre également d'un manque criant de moyens. L'Agence elle-même a admis que ses ressources étaient adaptées à son mandat, qui consiste à contrôler les frontières de l'UE mais pas à surveiller les 2,5 millions de km2 de la Méditerranée.
De manière immédiate, la Commission propose le triplement des capacités et des ressources disponibles en 2015 et 2016 pour les opérations conjointes Triton et Poséidon de Frontex, avec l'adoption d'un budget rectificatif pour 2015.
Ce point est notable, car malgré les déclarations rassurantes de ces dernières semaines, aucun moyen financier n'était disponible pour poursuivre les actions, comme nous l'avait d'ailleurs signalé notre collègue européen, Président de la commission des Budgets du Parlement européen et entendu par notre commission ces dernières semaines au sujet des ressources propres de l'Union.
Elle a également pris acte, le 27 mai 2015 du nouveau plan opérationnel de l'opération Triton. Ce dernier étend la zone géographique couverte à celle couverte par l'ancienne opération « Mare Nostrum ».
Parallèlement à ces propositions, la France et plusieurs autres États membres s'emploient à déployer des moyens supplémentaires (navire, avions). La France s'est engagée, à l'issue du Conseil Européen du 23 avril 2015, à doubler sa contribution à l'opération Triton. L'Agence dispose actuellement de 51 équipements techniques et de 121 personnes.
Dans son Agenda, la Commission européenne a insisté sur le rôle essentiel des garde-côtes dans le sauvetage des vies humaines et le maintien de la sécurité des frontières maritimes. L'Assemblée Nationale, à la suite des travaux de notre commission, a adopté une résolution le 28 mars 2015 rappelant son soutien, à moyen terme, à la création d'un corps européen de gardes-frontières.
La Commission européenne souhaite parvenir à une exploitation optimale des trois systèmes d'information à grande échelle de l'Union (le système d'information sur les visas, Eurodac et le système d'information Schengen). L'initiative « Frontières intelligentes » prévoit la création d'un registre de tous les mouvements transfrontières des ressortissants de pays tiers, dans le strict respect du principe de proportionnalité. La Commission européenne entend présenter une proposition révisée d'ici au début de l'année 2016. Elle appelle également à ce que les règles d'engagement adoptées pour l'opération Triton soient considérées comme le modèle des actions futures sur l'ensemble de la frontière maritime et terrestre extérieure.
Sur le front de l'accueil des migrants dans l'union européenne, il est nécessaire, à court terme, de mettre en place un mécanisme de relocalisation et un programme de réinstallation.
Suite à l'afflux massif de migrants, la capacité d'accueil et les centres de traitement des dossiers des États membres situés en première ligne – la Grèce et l'Italie – sont proches de la saturation. C'est pour répondre à cette situation d'urgence que la Commission européenne propose, pour la première fois, d'activer le mécanisme de l'article 78§3 prévu par le TFUE.
Il s'agirait de mettre en place un mécanisme temporaire de relocalisation permettant le transfert des demandeurs d'asile « ayant manifestement besoin d'une protection internationale », d'Italie et de Grèce, vers les autres États membres.
Ainsi, durant les deux prochaines années, 40 000 personnes seraient relocalisées de ces deux États vers les autres États membres dont 24 000 personnes en provenance d'Italie et 16 000 en provenance de Grèce.
Pour entrer en vigueur, cette proposition de décision de la Commission devra être votée à la majorité qualifiée du Conseil, après consultation du Parlement européen.
Si le mot « quota » n'a été énoncé que verbalement lors de la présentation de la communication du 13 mai et ne se trouve pas dans le document officiel, les mécanismes qui seront mis en oeuvre relèvent d'une logique proche, à savoir d'un pourcentage déterminé et autorisé.
Toutefois, comme l'a précisé le Gouvernement français, il est inapproprié de parler, sans plus de précisions, de « quotas de migrants », termes qui ont été trop rapidement relayés dans la presse.
D'une part, la répartition envisagée concerne les demandeurs d'asile qui ont de fortes chances de se voir accorder le statut de réfugié, et non les migrants économiques en situation irrégulière.
D'autre part, il ne s'agit pas de quotas, puisque comme l'a précisé la Commission dans un communiqué de presse et comme le soutenait la France, un quota serait une limitation du nombre de demandeurs d'asile. C'est pour cette raison que le Gouvernement français a préféré parler d'une « répartition solidaire » et a rappelé, à juste titre, que l'asile est un droit et que les demandes d'asile ne peuvent en aucun cas être traitées sur la base d'un mécanisme de quotas. Sur ce point, il est donc nécessaire d'être précis et de prendre des précautions quant aux termes employés.
La solidarité est indissociable d'une plus grande responsabilité des pays de première entrée.
Une telle démarche de solidarité doit émaner de tous les États de l'Union, qu'ils soient ou non directement exposés à l'afflux de migrants. Cela est primordial. Il est inacceptable que 75 % des demandeurs d'asile soient accueillis dans seulement cinq États membres : l'Allemagne, la Suède, l'Italie, la France et le Royaume-Uni.
La solidarité européenne doit cependant s'accompagner d'une réelle responsabilité et responsabilisation des pays situés en première ligne auxquels il appartient de distinguer entre les migrants qui ont un réel besoin de protection et les migrants économiques, en situation irrégulière.
Ces derniers devraient et devront alors faire l'objet d'un retour dans leur pays d'origine, notamment par voie aérienne. Il serait, par ailleurs, souhaitable que ces vols, organisés par Frontex, le soient à son initiative et non sur demande d'un État membre.
Afin de réaliser l'identification et l'enregistrement rapides des migrants et le retour pour les personnes dont la demande d'asile est refusée, l'Italie et la Grèce devront recevoir un appui de l'UE, tant financier que logistique et technique. Pour cela, la création, envisagée par la Commission, de centres d'attente (« hotspots ») peut être une réponse adaptée.
Ces centres seraient établis dans les États membres situés en première ligne et gérés conjointement, afin de permettre aussi rapidement que possible l'enregistrement et l'identification des migrants, l'examen des demandes d'asile ainsi que les retours par Frontex en concertation avec les pays de provenance. Allant dans ce sens, la Commission a publié, le 27 mai 2015, des lignes directrices qui exposent les meilleures pratiques pour relever les empreintes digitales des demandeurs de protection internationale.
Les demandeurs d'asile concernés par le mécanisme de relocalisation sont les ressortissants syriens et érythréens arrivés en Italie et en Grèce après le 15 avril 2015 et ceux qui arriveront après l'adoption de la décision par le Conseil.
Je considère comme insatisfaisant que le mécanisme de répartition d'urgence ne s'applique qu'aux flux de migrants à venir et ne prenne pas en considération les demandeurs d'asile arrivés sur les territoires italien et grec avant le 15 avril 2015, lesquels sont par ailleurs parqués dans des camps d'accueil et de rétention surpeuplés.
La répartition entre les États membres envisagée par la proposition de la Commission est réalisée sur la base d'une « clé de répartition » – c'est en cela qu'on évoque des pourcentages – qui tient compte de leur capacité d'absorption et d'intégration. Quatre éléments sont ainsi pris en compte et pondérés de manière distincte :
- la taille de la population (40 %) ;
- le PIB (40 %) ;
- le nombre de demandes d'asile reçues et de places de réinstallation déjà offertes ces cinq dernières années (10 %) ;
- le taux de chômage (10 %).
Dans la définition des facteurs à prendre en compte, la proposition de la Commission européenne est, il me semble, assez juste.
Le choix de la pondération est, en revanche, discutable.
D'une part, nous ne connaissons pas les raisons qui ont amené à définir la part de chaque critère. D'autre part, la prise en compte de l'effort déjà consenti en matière d'asile est insuffisante. Pour que la clé de répartition soit équitable, elle devra mieux prendre en compte les efforts déjà effectués par les Etats membres au regard de la protection internationale et des autres formes d'assistance déjà mises en place, telles que l'admission humanitaire.
Au terme du mécanisme de relocalisation, les quatre États qui seront le plus mis à contribution seront :
- l'Allemagne, qui devra accueillir 8 766 demandeurs d'asile,
- la France 6 752,
- l'Espagne 4 288,
- la Pologne 2 659.
Afin d'apporter une aide financière aux États membres qui acceptent de relocaliser des demandeurs d'asile, la Commission a déclaré que ces États recevront une somme forfaitaire de 6 000 euros par personne relocalisée, provenant du Fonds « Asile, migration et intégration » (FAMI), pour un coût total de 240 millions d'euros.
La Commission européenne a adopté, le 27 mai 2015, une recommandation invitant les États membres à réinstaller, sur une période de deux ans, 20 000 personnes provenant de pays tiers et dont le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) a reconnu qu'elles ont manifestement besoin d'une protection internationale. Il s'agit de ressortissants de pays tiers ou d'apatrides se trouvant aujourd'hui dans des camps de réfugiés, notamment au Liban, en Jordanie ou en Turquie.
À ce titre, la France devrait accueillir 2 375 personnes dans les deux prochaines années.
Pour financer ce programme de réinstallation, le budget de l'UE fournira une aide de 50 millions d'euros supplémentaires en 2015-2016. Toutefois, rien n'a encore été précisé sur l'origine de ce financement supplémentaire.
À long terme, il est indispensable de construire une politique commune solide en matière d'asile et établir une nouvelle politique de migration légale.
Outre les actions immédiates annoncées par la Commission européenne en termes d'accueil des migrants, l'agenda européen en matière de migration contient également des engagements à long terme.
En matière d'asile, il s'agira principalement d'approfondir les règles communes qui existent déjà en la matière et de réviser le système de Dublin. En ce qui concerne l'immigration légale, la Commission a pour ambition d'améliorer le système actuel de « carte bleue » qui établit les conditions d'entrée et de séjour des ressortissants de pays tiers aux fins d'un emploi hautement qualifié.
Je crois une nouvelle fois nécessaire d'attirer l'attention sur plusieurs éléments : l'accueil d'une main d'oeuvre qualifiée et le risque d' » assèchement » des États d'origine ; la pression exercée sur les bas salaires dans les pays accueillant une main d'oeuvre étrangère en nombre. Ces questions nous préoccupent en tant que parlementaires nationaux et doivent être prises en compte par la Commission européenne.
Sur le front stratégique et géopolitique, les actions sont destinées à réduire les incitations à la migration irrégulière.
En ce qui concerne la lutte contre les passeurs et les trafiquants d'êtres humains, la Commission européenne a annoncé son souhait de « faire de ces activités peu risquées mais très rentables, des activités à haut risque et non rentables ». Cela passe par des actions immédiates et des propositions s'inscrivant dans le long terme.
L'action immédiate consiste en une opération de politique de sécurité et de défense commune (PSDC).
Dans l'immédiat, l'Agenda de la Commission européenne s'inscrit dans la continuité de la déclaration du Conseil européen du 23 avril et de la résolution du Parlement européen adoptée le 28 avril 2015, en évoquant le lancement d'une opération relevant de la PSDC visant à « repérer, capturer et détruire les embarcations utilisées », dans le respect du droit international. Il s'agissait d'une option défendue notamment par la France.
Compte tenu des drames qui surviennent quasi-quotidiennement en Méditerranée, une telle opération représente, à n'en pas douter, l'un des éléments clés de l'action de l'UE dans le domaine de la lutte contre la migration irrégulière.
L'adoption par le Conseil affaires étrangères du 18 mai 2015, du concept d'opération navale militaire PSDC, baptisée « EUNAVFOR MED », devant être conduite dans le respect du droit international et en partenariat avec les autorités libyennes, répond à cette préoccupation.
Le plan d'EUNAVFOR doit encore être approuvé au Conseil européen de fin juin mais je constate que le lancement de l'opération est sujet à plusieurs incertitudes.
La légitimation de l'action des Européens, qui souhaitent intervenir au plus près des côtes, doit passer par une résolution du Conseil de sécurité de l'ONU autorisant le recours à la force au titre du chapitre VII de la Charte des Nations unies. Si la Chine soutient l'initiative, la Russie, elle, refuse le principe de destruction des navires.
D'une manière générale, l'action militaire doit-elle être la principale réponse à la vague migratoire que connait notre continent ?
Dans notre récente communication sur le Parquet Européen, nous avons rappelé que « les trafiquants et passeurs d'immigrés clandestins en méditerranée utilisent des réseaux, des comptes et des complicités analogues à ceux des autres trafiquants de grande criminalité » et que cette grande criminalité devait aussi être poursuivie par une action coordonnée et démultipliée de répression pénale comme le sont les grands trafics.
Il convient également de s'attaquer aux causes profondes des déplacements irréguliers et forcés dans les pays tiers.
Si une opération navale apparait essentielle pour enrayer ce « commerce » insupportable, une action de fond, s'attaquant aux causes qui poussent tant d'hommes, de femmes et d'enfants à choisir la voie périlleuse de la migration irrégulière, est obligatoire.
À ce titre, nous pouvons nous réjouir de la place accordée par la Commission européenne à la coopération avec les pays tiers. Il s'agit là d'un axe défendu par notre commission et par la France plus généralement.
Les actions de l'Union européenne devront être définies de concert avec nos partenaires des pays tiers, lors d'un Sommet organisé à Malte à l'automne 2015. D'ici à l'automne, elle a tout de même annoncé certaines pistes.
En matière d'aide au développement, la Commission européenne a annoncé le renforcement de son soutien aux pays qui doivent supporter le poids de l'afflux de personnes déplacées.
Cette annonce est à saluer puisque les mesures en matière de lutte contre les trafiquants d'êtres humains ne peuvent être effectives que si le développement économique des pays concernés permet de réduire les incitations au départ.
En matière de gestion des migrations, l'Agenda prévoit, de même, la création d'un centre polyvalent pilote, de prévention des départs et d'aide au retour des migrants, au Niger, d'ici la fin de l'année 2015.
Il faut désormais que l'identification et la mobilisation des financements européens nécessaires interviennent rapidement. Le Sommet international devant se tenir à Malte à l'automne avec les partenaires de l'Union africaine en offre la possibilité.
Sur le plus long terme, la Commission européenne a fait part de sa volonté de consolider le cadre de coopération bilatéral et régional existant.
À cet effet, il est prévu de renforcer le rôle, en matière de migration, des délégations de l'Union européenne dans les pays concernés. Des officiers de liaison européens seront détachés auprès des délégations dans les pays clés.
Le dernier axe d'action annoncé par la Commission européenne dans sa volonté de réduire les incitations à la migration irrégulière concerne la question du retour. Nous avons pu constater lors de nos précédents travaux que tout dépend de la mise en oeuvre des accords de réadmission conclus et de l'obtention des visas nécessaires au retour de la part des États d'origine.
La Commission européenne considère que l'Union doit veiller au respect, par les pays tiers, de l'obligation internationale qui leur incombe de reprendre en charge leurs propres ressortissants en séjour irrégulier en Europe.
Une révision de la méthode d'approche des accords de réadmission, dont la priorité sera accordée aux principaux pays d'origine des migrants en situation irrégulière, est prévue.
Une politique de retour efficace se conçoit également par l'application des règles existantes, notamment de la directive « retour ». Cette mise en oeuvre suppose un système de retour plus rapide associé au respect des procédures et des normes, permettant de garantir ainsi « un traitement humain et digne » aux personnes soumises à une mesure de retour.
Un « manuel sur le retour » composé d'orientations, de bonnes pratiques et de recommandations communes devrait procurer une aide pratique aux États membres.
La création d'un code de déontologie, qui irait au-delà d'une manuel pourrait aussi être suggérée en direction des agents participant aux actions de retour.
Nonobstant l'appui aux États membres fourni par l'agence Frontex et l'existence de règles communes relatives aux retours, l'Union européenne souffre également d'un manque de coopération opérationnelle. Il est nécessaire de renforcer le mandat de l'Agence Frontex afin de pallier cette défaillance. Une prise en charge financière est également nécessaire car cette charge est trop lourde pour les Etats situés en première ligne, comme l'ont souligné devant nous la Grèce et l'Italie.
L'Agence Frontex a, de par sa nature juridique, un rôle limité en matière de retour.
En conclusion, je dirai que ces propositions peuvent constituer un tournant.
L'Europe décide enfin d'agir dans un domaine qu'elle a délaissé et cela va être aussi le premier test politique pour la Commission européenne car le plan est loin de faire l'unanimité.
À bien des égards, l'Union européenne adopte une partie des recommandations figurant dans notre résolution sur l'immigration irrégulière de février dernier.
Notre commission a joué et continuera de jouer ce rôle d'aiguillon, de proposition et d'évaluation au service de la Représentation Nationale, de notre pays et de l'Union Européenne.
Sur ce point je ne peux que regretter que nos travaux ne reçoivent pas toujours l'écho nécessaire afin de mieux faire valoir la pertinence et la cohérence de nos positions, souvent adoptées à l'unanimité.
De façon plus globale, il est possible de dire qu'avec ces propositions utiles de l'Union européenne nous restons loin du compte.
Si 60 000 personnes sont à accueillir sur les deux prochaines années, il convient de rappeler que l'Europe a fait face en 2014 à 680 000 demandeurs d'asile.
L'Europe doit évidemment contrôler ses frontières tout en donnant une réalité aux valeurs fondatrices d'humanisme qui font sa spécificité mais l'Europe doit aussi s'efforcer d'être une vraie puissance diplomatique capable de peser sur les évolutions politiques de ces voisins méditerranéens, maghrébins et moyen-orientaux.
Je tiens à vous remercier pour cette excellente communication. Il y a peu à ajouter. Je rentre de Riga où nous étions réunis pour la COSAC et où cette question a été largement évoquée. La solidarité européenne doit jouer à plein. À cet égard, soulignons que la Lettonie est prête à accueillir 50 réfugiés alors que la Commission européenne propose qu'elle en accueille 750 ! Je rebondis sur votre citation de Homère en introduction pour souligner que l'Union européenne ne doit pas se prendre pour Troie, et nous savons ce qu'il est advenu de cette cité. Les Ulysse en mer sont nombreux. Il faut être très solidaires dans cette affaire difficile.
Je vous adresse mes félicitations pour cette communication très claire et je ne souhaite en aucun cas remettre en cause nos valeurs communes sur lesquelles il n'y a pas à discuter. J'aurais des questions pragmatiques. Sur quelle base juridique sera organisée la réinstallation des migrants ? Comment seront financés les centres de rétention aux frontières extérieures ? Et quelle aide sera accordée par l'Union, au-delà des 6.000 euros accordés par réfugié au titre du fonds FAMI ? Pourquoi un tel montant, lorsque l'on sait que l'accueil d'un demandeur d'asile est bien plus coûteux, et pour plusieurs années, et il est important de le faire dans de bonnes conditions ? Je souhaite par ailleurs avoir des précisions sur la façon dont sont traités les hommes, femmes et enfants, une fois que les bateaux ont été arraisonnés cela dépendant nécessairement des eaux dans lesquelles sont arraisonnés les bateaux. Où les emmène-t-on et, si nous les emmenons en Europe, ne donne-t-on pas raison aux passeurs ?
Je souhaite ajouter que nous n'aurons probablement pas l'aval de l'Onu pour une intervention autorisant le recours à la force.
Au-delà de la relocalisation et des 50 millions d'euros annoncés, toutes les aides supplémentaires n'ont pas encore été discutées. Le rôle de Frontex lui permet d'intervenir en mer et ensuite d'organiser le retour des personnes qui ne relèvent pas de l'asile. Les premières procédures après le débarquement des personnes consistent en leur identification et en leur orientation. Il faut également prendre en considération les migrants qui arrivent sur les côtes européennes et traiter la situation des personnes en attente à proximité des frontières. Nous aurons à revenir vers vous sur ces aspects et leur financement.
Les procédures d'asile sont complexes et durent plusieurs mois. Les procédures ne pourront durer quelques heures. Ces procédures se feront-elles dans des centres ?
Nous ne disposons malheureusement pas de plus de temps pour traiter de ce sujet sur lequel il nous faudra revenir. Ceci est une communication d'étape. Et je rappelle que ce sont les pays voisins des pays en guerre qui supportent le plus lourd tribut : je pense à la Jordanie, au Liban et à la Turquie. Nous pouvons toujours empêcher les migrants de Libye de monter sur les bateaux mais comment imaginer renvoyer ces personnes dans le désert du Sahara ? C'est la première fois que l'Europe essaie d'avancer autant et dans quelques semaines, nous aurons sans doute davantage d'éléments à vous communiquer.
Je vous remercie encore pour cette excellente communication.
III. Examen de textes soumis à l'Assemblée nationale en application de l'article 88-4 de la Constitution
Sur le rapport de la Présidente Danielle Auroi, la Commission a examiné des textes soumis à l'Assemblée nationale en application de l'article 88-4 de la Constitution.
l Communications écrites
La Commission a approuvé les textes suivants :
Ø ENERGIE
- Règlement de la Commission établissant une ligne directrice relative à l'allocation de la capacité et à la gestion de la congestion (D03752702 - E 10194).
Ø TELECOMMUNICATIONS - NUMERIQUE
- Proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil établissant des mesures relatives au marché unique européen des communications électroniques et visant à faire de l'Europe un continent connecté, et modifiant les directives 200220CE, 200221CE et 200222CE ainsi que les règlements (CE) no 12112009 et (UE) no 5312012. (COM(2013) 627 final - E 8651).
l Textes « actés » de manière tacite
Accords tacites de la Commission liés au calendrier d'adoption par le Conseil
La Commission a pris acte de la levée tacite de la réserve parlementaire, du fait du calendrier des travaux du Conseil, pour les textes suivants :
Ø POLITIQUE ETRANGERE ET DE SECURITE COMMUNE (PESC)
- Décision du Conseil modifiant la décision 2013255PESC concernant des mesures restrictives à l'encontre de la Syrie (895415 - E 10303).
- Règlement d'exécution du Conseil mettant en oeuvre le règlement (UE) no 362012 concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Syrie (895515 - E 10304).
- Règlement du Conseil modifiant le règlement (UE) nº 362012 concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Syrie (914815 - E 10305).
- Décision du Conseil modifiant l'action commune 2008124PESC relative à la mission "État de droit" menée par l'Union européenne au Kosovo (EULEX KOSOVO) (868915 - E 10309).
- Décision d'exécution du Conseil mettant en oeuvre la décision 2012642PESC concernant des mesures restrictives à l'encontre de la Biélorussie (872915 - E 10310).
- Règlement d'exécution du Conseil mettant en oeuvre le règlement (CE) nº 7652006 concernant des mesures restrictives à l'encontre de la Biélorussie (873015 - E 10311).
La séance est levée à 17 h 50