Notre mission a reçu, dans un premier temps, des représentants de la Délégation aux affaires francophones du ministère des Affaires étrangères, chargée des relations institutionnelles avec les organisations extérieures de la francophonie. Vous nous ferez part, aujourd'hui, de l'expérience et des analyses de votre direction générale, responsable de l'essentiel des contributions budgétaires de l'État et qui organise les partenariats avec le réseau des alliances françaises.
Je rappellerai qu'il ne s'agit pas ici d'évoquer la francophonie sous un angle politique mais bien d'un point de vue budgétaire.
La francophonie représente pour nous un triple atout : démographique, politique – à la fois pour les États dont le français est la langue officielle et pour les quatre-vingts États et gouvernements membres ou observateurs de l'OIF – et économique. Nous avons tous à l'esprit les conclusions du rapport Attali : la francophonie n'est donc pas seulement une politique mais un véritable enjeu et une priorité de notre ministère. Il est essentiel, pour que le chiffre de 770 millions de francophones à l'horizon 2050 ne reste pas une promesse, que nous apportions une réponse à la fois quantitative et qualitative à ce défi, en coordonnant nos politiques bilatérale et multilatérale. Mme Annick Girardin, Secrétaire d'État chargée du développement et de la francophonie, a rappelé, à plusieurs reprises, les trois orientations politiques qu'elle avait énoncées en conseil des ministres le 19 mars dernier. Il s'agit, dans un premier temps, de développer les actions en faveur du rayonnement culturel et de l'apprentissage de la langue française en s'appuyant sur les instituts français, les alliances françaises, les médias internationaux francophones – France Médias Monde, TV5 Monde –, ainsi que sur notre réseau d'établissements français à l'étranger (subventionné par l'Etat à hauteur de 420 millions d'euros par an). Il convient ensuite de concrétiser, en lien avec l'OIF, le potentiel que représentent les 80 pays de l'espace économique francophone et de développer l'attractivité de la France pour les talents économiques francophones. Enfin, nous devons répondre au défi du numérique et plus particulièrement proposer une offre universitaire numérique en français.
Notre politique revêt une dimension bilatérale : nous coopérons avec les autorités locales pour développer le français dans leur système éducatif et nous intervenons de façon plus directe à travers notre réseau – notre réseau culturel, les alliances françaises et nos écoles. Notre politique a également une dimension multilatérale par le biais de l'OIF et de ses principaux opérateurs, dont TV5 Monde et l'Agence universitaire de la francophonie (AUF) avec lesquels nous travaillons plus particulièrement. L'articulation de nos actions reste notre préoccupation constante.
À cette fin, le ministère des Affaires étrangères mobilise deux directions pilotes aux compétences différentes et totalement complémentaires : la direction des Nations unies et des organisations internationales (NUOIFR), au sein de laquelle se trouve la Délégation aux affaires francophones (DAF), et la direction de la Coopération culturelle, universitaire et de la recherche (DCUR). Nous travaillons également avec l'ensemble des directions géographiques ou encore avec la direction de la Coopération de sécurité et de défense chargée notamment de former les militaires dans les pays francophones.
S'agissant de la représentation de la France au sein des organismes multilatéraux de la francophonie, les compétences des deux directions sont complémentaires : la DAF a une approche stratégique alors que la DCUR a une approche programmatique. La DCUR travaille en bonne intelligence avec l'OIF pour impulser des projets, puis s'assurer qu'ils restent en cohérence avec nos actions ou les complètent. Alors que la DCUR intervient sur les projets et sur le terrain, la DAF est compétente pour les questions multilatérales et est, par exemple chargée, en lien avec l'Elysée, du renouvellement de la gouvernance de l'OIF. La DCUR a travaillé étroitement avec l'OIF lors du lancement de son programme sur le français dans la diplomatie et la fonction publique ou lors d'organisation d'événements internationaux, comme c'est le cas pour pour le Forum de la langue française dont la prochaine édition se tiendra à Liège en juillet prochain. Les deux approches sont donc très complémentaires et les deux directions travaillent très étroitement l'une avec l'autre au quotidien.
En ce qui concerne l'OIF et ses opérateurs, la secrétaire d'État chargée du développement et de la francophonie a demandé une évaluation – qui n'est pas un audit – et qui diffère du rapport, très complet, de la Cour des comptes relatif aux années 2006-2013. L'évaluation en question s'approche davantage de ce que nous avons réalisé il y a quelques années à propos de la contribution au Fonds européen de développement (FED). Il s'agit d'analyser, de façon stratégique, l'emploi qui est fait de la contribution française, de son retour sur investissement, si je puis m'exprimer ainsi, et de son impact sur les opérateurs français – une démarche que nous avons vis-à-vis de l'ensemble de nos opérateurs extérieurs et multilatéraux, du Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) ou des autres fonds des Nations unies. Les termes de référence de cette évaluation sont en cours de définition et les conclusions seront disponibles sans doute début 2016 – le budget lui étant consacré ne devant pas dépasser 130 000 euros.
Cela étant, si la contribution française à l'OIF est importante, elle représente moins d'un cinquième de notre effort global en faveur de la francophonie.
Notre effort global en faveur de la francophonie est d'environ 700 millions d'euros. Sur cette somme, l'Agence pour l'enseignement du français à l'étranger (AEFE) reçoit une subvention d'environ 420 millions d'euros, un chiffre en baisse de 2 %. On a tendance à oublier qu'il s'agit de notre principale contribution. Or, les établissements français à l'étranger, présents sur tous les continents, scolarisent en langue française 300 000 élèves dont 70 % ne sont pas français. 23 millions d'euros constituent les crédits déconcentrés attribués à notre réseau culturel dans le cadre du programme 185 Diplomatie culturelle et d'influence de la mission relative à l'Action extérieure de l'État. Les postes diplomatiques reçoivent une enveloppe annuelle, sauf désormais, ceux pour lesquels elle était inférieure à 5 000 euros. Ensuite, 120 millions d'euros sont consacrés par l'Agence française de développement (AFD) aux systèmes éducatifs francophones. Enfin, 130 millions d'euros sont attribués à l'OIF et à ses opérateurs, à raison de 75 millions d'euros pour TV5 Monde, 5,6 millions d'euros pour payer le loyer de la Maison de la francophonie et 45 millions d'euros pour l'OIF et les autres opérateurs.
Il apparaît que vos calculs n'intègrent pas, par exemple, les services en charge des questions de francophonie dans les autres ministères : Culture, Éducation nationale, Enseignement supérieur et recherche. Personne ne semble savoir aujourd'hui combien d'argent, globalement, est consacré à la francophonie.
Vous avez tout à fait raison et nous nous sommes posé cette question à plusieurs reprises. Il n'existe pas vraiment, au sein des différents ministères, de service spécifique de la francophonie : les crédits y sont éclatés, à la différence du ministère des Affaires étrangères où ma direction couvre le périmètre du programme 185 – du moins presque puisque nous avons récupéré le budget d'Atout France.
Si l'on voulait avoir une approche globale, il faudrait également, au sein des ministères de l'Éducation nationale et de l'Enseignement supérieur et de la Recherche, prendre en compte le coût des personnels détachés dans le réseau scolaire, et prendre en considération le fait que la direction générale de la Recherche et de l'innovation et la direction générale de l'Enseignement supérieur ont chacune leurs propres crédits dédiés. On doit en outre savoir qu'il existe une Mission de coordination interministérielle entre les deux, qui dispose également de crédits d'intervention dans le domaine qui nous intéresse, mais que se trouve aussi, toujours au sein de ce ministère, la Délégation aux relations européennes et internationales et à la coopération… Il conviendrait d'identifier de façon très fine les crédits qui concourent directement à la francophonie. Le ministère de la Culture et de la communication est également concerné
Nous avons évoqué la question avec les magistrats de la Cour des comptes à l'occasion de l'audit du réseau culturel français, eux-mêmes souhaitant qu'on établisse une telle cartographie. Il faudrait, dans un premier temps, savoir précisément ce qui est consacré à l'ensemble de l'action extérieure de l'État, qui contribue à sa façon au rayonnement de la langue française. Cette mesure semble impossible ; reste que le ministère des Affaires étrangères peut sans doute se prévaloir de disposer de la vision la plus globale.
Nous travaillons en bonne intelligence avec l'OIF pour nous assurer d'un retour sur investissement de notre contribution, de la bonne rationalisation de nos actions et de la complémentarité de nos travaux. Lorsque Mme Benguigui, la précédente ministre déléguée chargée de la Francophonie, avait lancé son projet « 100 000 professeurs de français pour l'Afrique », l'initiative en revenait également à l'OIF qui travaillait déjà sur le sujet. Nous organisons des réunions régulières. L'une d'entre elles, après la nomination de la nouvelle Secrétaire générale, a été plus particulièrement consacrée à l'identification des tâches de chacun. Dans les mois qui viennent, nous entendons remettre à plat cette approche et l'objectiver.
Quant aux autres opérateurs, nous travaillons essentiellement avec l'AUF et TV5 Monde. L'AUF est l'opérateur de l'OIF, voué par excellence à la promotion de la francophonie universitaire et linguistique ; il est donc essentiel pour nous d'agir avec cette agence, dans un esprit de complémentarité, afin de produire un effet de levier. C'est d'autant plus nécessaire que notre cadre budgétaire est contraint. Il s'agit aussi de relever le défi démographique à venir, principalement sur le continent africain. Or, l'AUF concourt directement à nos intérêts culturels, économiques et politiques. En outre, elle contribue à la formation des élites – un public que nous avons privilégié. L'AUF octroie des bourses à des étudiants en master ou en doctorat dont 1 500 viennent en France chaque année. Cela complète l'investissement du ministère des Affaires étrangères qui délivre, entre le réseau diplomatique et la DCUR, 70 millions d'euros de bourses. Le partenariat est réel avec un vrai retour pour la France puisque notre pays est une destination privilégiée du public visé par l'AUF.
Nous souhaitons travailler davantage avec l'AUF sur le numérique, secteur dans lequel la France accuse quelque retard. Au reste, la plateforme France université numérique (FUN) a sans doute été lancée un peu vite aux dépens du contenu. Notre objectif est de développer un contenu qui ne soit pas américain. Cet outil doit en effet servir la politique nationale française mais aussi, plus largement, la francophonie d'où la nécessité de co-fabriquer des contenus avec des pays francophones. À cet égard l'AUF est une tête de pont grâce à ses campus numériques et à son expertise sur le fonds.
Par souci de cohérence politique, c'est la DAF, et non pas la DCUR, qui siège à l'AUF et représente la France au sein de l'OIF et de ses instances opérationnelles. Nous n'en demeurons pas moins vigilants sur le fonctionnement de l'Agence, notamment en nous montrant capables de positionner des personnalités françaises au sein de sa direction - l'Agence est courtisée par d'autres pays francophones – et en surveillant de près son budget de 40 millions d'euros, que nous assurons à hauteur de 62 %. Nous avons donc mis en place, en collaboration avec l'Agence, un certain nombre d'indicateurs dans un souci de rationalisation. Il reste sans doute des marges de progression – du côté français en tout cas.
Le collège électoral du futur recteur est essentiellement composé de professeurs. De quel pouvoir votre ministère dispose-t-il ?
Il est vrai que pour nous, il s'agit d'un enjeu important.
J'en viens à TV5 Monde. Cette chaîne multilatérale est pour nous l'opérateur audiovisuel par excellence, un outil privilégié en ce qu'il porte la voix de la France et des pays francophones – ce qui importe compte tenu de l'impact de l'audiovisuel en matière de diplomatie d'influence. Nous nous réjouissons, dans un contexte de contraintes budgétaires pour chaque partie, de la complémentarité affichée avec France 24, chaîne plus récente alors que TV5 Monde est une institution. Celle-ci se positionne bien en tant que chaîne généraliste à vocation culturelle et tend à se désengager du secteur de l'information, tandis que France 24 est vouée à devenir, pour sa part, une chaîne d'informations. Cette coordination, que nous appelions de nos voeux, était nécessaire pour garantir une force de frappe plus efficace.
En effet, ou bien il fallait fermer l'une des deux chaînes ou bien exiger d'elles des efforts. France 24 ne remplissait pas du tout les missions qui lui avaient été confiées en matière d'information. Heureusement que les hôtels du groupe Accor diffusent encore cette chaîne à l'étranger car ils sont à peu près les seuls à le faire.
Exactement, il fallait faire des choix cohérents, d'autant que TV5 Monde est quasiment la seule vitrine de la création française et francophone à l'international. Elle est pour nous un vecteur d'influence essentiel. En outre, avec la régionalisation de ses signaux, son positionnement est utile. Ainsi, quand elle est diffusée en Afrique, elle n'est pas perçue comme une chaîne française ou francophone mais bien comme une chaîne panafricaine. Dans un contexte géopolitique quelque peu sensible, cet opérateur nous permet d'avancer sur plusieurs fronts, avec notamment une politique de sous-titrage multilingue qui sert notre diplomatie de la diversité culturelle.
Sur le plan économique, notons qu'aucun des États partenaires de TV5 ne serait à lui seul capable de financer la chaîne. Il est vrai que la France est le premier contributeur de TV5 Monde avec 75 millions d'euros. Cependant, à considérer l'impact et la capacité de pénétration de la chaîne, quand on met cette somme en regard des 262 millions d'euros dont bénéficie Arte, des 2,5 milliards d'euros attribués à France Télévisions et des 242 millions octroyés à France 24, nous pouvons considérer que TV5 Monde est un investissement « rentable ». Même si l'on fait en sorte qu'il ne s'agisse pas d'une chaîne seulement française, près de 70 % des programmes diffusés sont français.
Enfin, cette chaîne, dont l'activité s'inscrit dans le cadre de notre action diplomatique, fait preuve d'une très grande réactivité. Par exemple, lorsqu'on lui a demandé de se mobiliser autour de la conférence Paris-climat (COP 21), TV5 Monde a réagi immédiatement ; de même quand on a fait valoir que l'attractivité de la France était une bataille mondiale.
TV5 Monde est un opérateur avec lequel nous travaillons très bien. Certes, ce sont les chaînes publiques partenaires, et non pas les États, qui siègent au sein de sa direction mais nous assistons à la réunion dite des hauts fonctionnaires et, bien sûr, à la conférence ministérielle. Et nous avons avec la chaîne des contacts quotidiens et des réunions de concertation régulières.
Dans un contexte budgétaire contraint, et dans un souci d'efficacité, nous travaillons en synergie avec tous nos opérateurs. Depuis deux ans, nous nous employons à faire en sorte que tous les opérateurs publics qui ont une action à l'international – Business France, Expertise France, Institut français, France Médias Monde, TV5 Monde… – travaillent ensemble. TV5 Monde s'est, je le répète, montrée très réactive, nouant des partenariats avec presque tous nos opérateurs – le dernier en cours de négociation concerne l'Institut français qui vient de changer de gouvernance. Selon nous, l'enjeu pour TV5 Monde sera de s'intégrer à la télévision numérique terrestre (TNT).
Au total, notre partenariat avec TV5 Monde, et, à travers cette chaîne, avec l'OIF, est fort. C'est en effet l'opérateur direct des sommets de la francophonie et des initiatives que prennent l'OIF et l'AUF. Il démultiplie notre influence politique.
Les relations de la DCUR avec l'OIF, en particulier les relations financières, sont forcément différentes de celles que vous entretenez avec d'autres opérateurs. Comment caractériser votre contribution financière à l'OIF : s'agit-il d'une cotisation, d'une subvention, alors que la convention prévaut pour les autres opérateurs ?
Les conventions d'objectifs et de moyens (COM), précisément, sont-elles systématiques avec les autres opérateurs, quelles sont leur durée, et comment articuler les orientations pluriannuelles et les décisions annuelles ?
Il s'agit d'une contribution directe à l'organisation, d'où l'intérêt de l'évaluation qui va être conduite qui est aussi une façon, pour nous, de nous assurer de l'utilisation des fonds dans la mesure où notre suivi actuel ne repose que sur des relations, des réunions de travail, des rapports. Nous ne sommes pas dans la même configuration qu'avec un opérateur avec lequel nous avons conclu un COM. C'est incontestablement une difficulté. Nous manquons, par exemple, d'outils pour articuler les dimensions annuelle et pluriannuelle.
L'AUF et TV5 Monde sont très liés à l'OIF. Nous nous trouvons donc face à un système triangulaire. Comment l'articulation, notamment concernant le contenu des objectifs, se réalise-t-elle dès lors que la France n'est pas le seul acteur ?
Nous définissons tout d'abord notre politique dans le cadre d'une coordination interministérielle puis nous travaillons, avec chacun des trois opérateurs, dans une approche incontestablement plus bilatérale. Nous assurons, en pratique, le lien entre les trois opérateurs car chacun, même rattaché à une institution, a son fonctionnement propre. Néanmoins il se trouve toujours un moment où tous se retrouvent autour de la même table.
Non, je n'ai pas eu connaissance de divergences entre les opérateurs.
Ces opérateurs disposent de bureaux régionaux. Ainsi, nous nous appuyons beaucoup sur les bureaux africains de l'AUF. Dans le cadre du projet « 100 000 professeurs de français pour l'Afrique », l'AUF et l'Institut français travaillent sur le terrain pour accompagner les départements de français des universités. C'est également le cas pour les pays du Golfe qui expriment une grande demande en matière de francophonie. Nous avons ainsi organisé, en novembre dernier, un séminaire à Koweit avec le concours du bureau de l'AUF de Beyrouth. Ce séminaire a eu un très fort impact, avec pour conséquence la reconnaissance du français comme langue vivante étrangère dans le système éducatif koweitien. Les bureaux régionaux travaillent en synergie avec les services de coopération et d'action culturelle (SCAC) et représentent, dans des contextes géographiques variés, des forces de proposition essentielles à notre action. On retrouve dans ce travail la complémentarité évoquée par Anne Grillo entre le bilatéral et le multilatéral.
Souvent, avancer avec l'OIF et ses opérateurs nous permet d'aller dans des zones de conquête où nous ne nous rendrions pas aisément seuls. Je pense à la forte demande de français – et c'est là qu'elle est la plus forte – dans les pays du Golfe ou dans certains pays d'Asie qui sont loin d'être des terres traditionnelles de francophonie. En attendant que les redéploiements en cours produisent leurs effets, nous devons passer par ces opérateurs qui sont historiquement plus présents que nous. Il est encore difficile de chiffrer le retour sur investissement mais ces complémentarités sont essentielles dans ces territoires où se trouvent nos plus grands enjeux économiques.
À l'inverse de notre réseau d'établissements scolaires qui est un vrai réseau intégré sous l'égide de l'opérateur AEFE, le « réseau » de la Fondation Alliance française n'est pas un dispositif intégré. Les quelque 800 alliances françaises sont en effet des structures de droit local, totalement autonomes.
Un peu moins de 400 sont conventionnées avec le MAE, ce qui nous permet de mettre du personnel à leur disposition et de leur verser une subvention. Ce réseau est notre pilier associatif. Dans le domaine de l'enseignement français à l'étranger, l'opérateur public est l'AEFE et le partenaire associatif est la Mission laïque française. Ce schéma est peu ou prou le même pour l'enseignement de la langue française avec l'Institut français d'un côté et la Fondation Alliance française de l'autre. Les publics touchés ne sont pas les mêmes : grâce à leur implantation locale plus de 500 000 étudiants fréquentent ce réseau chaque année. Surtout, il est dynamique : des alliances se créent, d'autres se ferment ; cette souplesse nous permet d'être présents dans certaines zones comme en Europe centrale et de répondre, plus souvent qu'avec un institut français, à la demande croissante de français en Asie centrale ou en Afrique non francophone.
L'objectif de la Fondation Alliance française, avec son nouveau président, Jérôme Clément, est de conforter ces synergies. La Fondation était pour nous un partenaire, mais nous n'optimisions pas autant que nous l'aurions souhaité son potentiel. La convention que nous venons de renouveler se fonde sur une meilleure articulation entre le réseau des alliances et le réseau de l'Institut français, quitte à faire, le moment venu, des choix politiques dans les pays qui sont historiquement des « terres d'alliances » – je pense à l'Amérique latine, à l'Inde ou à la Chine. En effet, la contrainte budgétaire va nous imposer une certaine rationalisation. Il nous faudra par ailleurs répondre au défi du numérique et, dans cette perspective, le réseau des alliances nous sera précieux. Enfin, dans la nouvelle convention, nous sommes parvenus à réintégrer davantage la Fondation et le réseau dans l'ensemble de nos opérateurs internationaux. En moins d'un an, la Fondation a ainsi renouvelé tous ses partenariats avec l'AEFE, l'Institut français, TV5 Monde et autres.
Nous avons donc systématisé la mise en synergie de tous les opérateurs. C'est une condition préalable à la rédaction de tous les COM puisque le hasard du calendrier nous conduit à renouveler ceux de tous les grands opérateurs.
Nous consacrons tout de même beaucoup d'argent à ce réseau : environ 37 millions d'euros que ce soit par des subventions ou par la prise en charge de personnels, souvent des directeurs d'alliance ou des directeurs de cours dans les principales alliances françaises à l'étranger, soit environ 300 équivalents temps plein.
C'est le ministère des Affaires étrangères qui les paie.
Si j'ai bien compris, ces personnels sont sous contrat de droit local ou d'expatrié, mais il ne s'agit pas de détachements ni de mises à disposition ?
De nombreux agents sont issus de l'Éducation nationale et, à nos yeux, ils sont des contractuels affectés à telle ou telle alliance. Ils ne sont ni mis à disposition, ni détachés stricto sensu.
Cela signifie qu'ils ne sont plus rémunérés par leur corps d'origine mais par le ministère des Affaires étrangères, donc ils sont en disponibilité.
Plusieurs de ces directeurs ne proviennent pas de l'Éducation nationale mais justifient d'une expérience d'enseignement, en particulier concernant le français langue étrangère (FLE). Reste que nombre des contractuels affectés dans les alliances sont passés par l'Éducation nationale ou ont encore un lien avec elle, mais on ne peut pas parler de détachement.
Qu'entendez-vous, Madame Grillo, par : « optimiser le potentiel des alliances » ? Pouvez-vous nous dire ce qui ne marche pas ? Qu'attendez-vous des alliances ?
Il s'agit d'abord, dans un pays ou une zone donnée, d'assurer une totale complémentarité entre les alliances et nos instituts français. Cela suppose une certaine discipline, lorsque par exemple des cours de français sont proposés par les deux organismes et qu'il faut éviter la concurrence ou tout effet d'éviction des publics. Les alliances sont des structures de droit local, souvent dirigées par des personnalités locales. Or, nous devons nous assurer que ces outils concourent vraiment à notre politique d'influence et servent réellement nos intérêts économiques. Par le passé, le fonctionnement de ces alliances était examiné sous l'angle culturel, ce qui est certes leur vocation, mais il faudrait en faire un levier plus politique, tout en respectant leur indépendance. Nous avons en la matière des marges de progression, dont beaucoup dépendent de l'ambassadeur. Il est en effet arrivé qu'une alliance soit dirigée par une forte personnalité locale qui n'était pas forcément un relais de nos intérêts et de nos priorités diplomatiques.
Il est vrai que, dans certaines zones, il y a eu des doublons, notamment concernant le marketing des cours. Mais une vraie réflexion commune a été menée ces dernières années, à Paris, grâce à des réunions régulières de coordination avec la Fondation. Au cours de ces réunions « de cartographie », nous examinons « qui fait quoi et où » et répartissons les rôles en fonction de nos contraintes et de nos dynamiques de redéploiement. Les alliances seront ainsi privilégiées dans tels pays et les instituts dans tels autres. Parfois, d'anciennes alliances peuvent même devenir des antennes d'institut et inversement. Dans un lieu où, d'un point de vue historique, il paraît difficile d'en supprimer une, on distribuera les charges : l'une dispensera les cours – souvent l'alliance – quand l'autre impulsera la dynamique culturelle. On pourra objecter que les retombées financières, dans ce cas, profiteront plutôt aux alliances ; mais il convient d'avoir une vue d'ensemble - d'où le travail de cartographie que nous réalisons.
Ensuite, si une convention triennale nous lie à la Fondation, près de 400 conventions différentes ont été signées entre les ambassades et les alliances. Si ces conventions comportent des stipulations-type, chacune est néanmoins marquée par des spécificités locales. Nous allons peu à peu demander aux alliances d'y intégrer des éléments liés à l'attractivité comme l'art de vivre – l'organisation d'une semaine du goût s'inscrit dans ce cadre.
Il faut en outre avoir présent à l'esprit que l'ambassade verse une subvention. Sur les 37 millions d'euros versés au réseau des alliances, 30 sont consacrés aux ETP, 1,6 million d'euros sont octroyés à la Fondation elle-même – la moitié de cette somme étant consacrée aux programmes de formation des personnels des alliances, qu'ils soient expatriés ou recrutés locaux –, enfin, 5 millions d'euros correspondent au total des sommes que nos ambassades versent chaque année à ces alliances dans le cadre des conventions triennales. Le montant de ces crédits est bien sûr lié au retour sur investissement.
Si une alliance rencontre une difficulté financière exceptionnelle liée à une situation de crise et s'il y a lieu d'investir, comme c'est le cas pour le bâtiment qui abrite l'alliance en Inde, et que des efforts de modernisation, de numérisation des salles de cours sont nécessaires, alors la réserve parlementaire peut ponctuellement aider. Mais nous ne disposons pas de données chiffrées en la matière.
Nous avons en effet connaissance, ici ou là, d'aides ponctuelles de sénateurs et de députés. Nous allons mener des recherches pour vous donner un chiffre.
Ce qui paraît aller de soi aujourd'hui n'était en rien évident il y a quelques années. Le travail de rationalisation, de contractualisation, de responsabilisation des acteurs a été accéléré au cours des deux dernières années. Les conventions, les lettres de mission, les discussions, l'élargissement du périmètre du ministère…, sont une tendance nouvelle.
On sent bien, en effet, la volonté de la Fondation de s'ouvrir aux autres acteurs de la promotion de la langue française : l'AEFE, la Mission laïque française, l'AUF, TV5 Monde – susceptible d'aider à la promotion des alliances –, mais aussi l'Institut français. Cela n'a pas toujours été facile mais, j'insiste, les choses changent.
Les réunions de cartographies auxquelles il a été fait allusion n'étaient pas envisageables il y a trois ans entre les deux principaux acteurs concernés.
Je souhaite revenir sur la contrainte budgétaire. Peut-on faire mieux, selon vous, ou, tout au moins, aussi bien avec moins, en matière de francophonie ?
L'AUF a un contrat quadriennal mais le budget de l'État n'est pas pluriannuel. Aussi l'AUF aura-elle une vision à moyen terme quand l'État français aura une vision à très court terme. Ce raisonnement vaut également pour l'OIF et TV5 Monde. Leurs représentants viennent nous voir chaque année pour nous faire savoir que la poursuite des efforts budgétaires est impossible. Jusqu'où, de votre point de vue, peut-on aller ?
Nous nous posons régulièrement cette question. La réponse réside dans la définition de priorités et de choix. Tout évolue très vite, nous ne pouvons plus continuer à tout faire et à fonctionner comme il y a dix ou vingt ans. Le numérique en est un parfait exemple et il ne me semble pas que nous ayons encore pris toute la mesure de son importance. Il faudra cesser de travailler selon certaines méthodes et d'assurer certaines tâches.
Les opérateurs ne sont pas tous dans la même situation. TV5 Monde a plutôt bien réagi à la contrainte. Cet opérateur a prouvé qu'il pouvait bien s'organiser et rationaliser ses actions, comme l'a montré le lancement de la chaîne thématique TV5 Monde Style HD, dédiée à « l'art de vivre à la française », chaîne financée par redéploiement. TV5 Monde a pour cela mis un terme à d'autres programmes.
Pour l'AUF et l'OIF, le temps de l'adaptation à la contrainte est plus long. L'organisation et le fonctionnement de ces opérateurs sont encore un peu en décalage avec ce qu'est censé imposer la contrainte budgétaire ; mais cela s'explique et certaines décisions ne sont pas faciles à prendre. Changer l'organisation et l'allocation des ressources humaines et financières implique qu'on pense et qu'on agisse autrement, ce qui est culturellement peu évident.
L'OIF manque plus précisément de projets fédérateurs et transversaux, qui faciliteraient les évolutions. Son fonctionnement reste très « normé » ; elle devrait avoir une approche plus novatrice dans ses nouveaux projets. Chaque département pense en effet « sa » politique et réfléchit encore beaucoup en silo. Le ministère a un rôle à jouer car il fonctionnait ainsi auparavant, chaque département disposant de son budget. Or, une organisation intégrée est très exigeante intellectuellement, très exigeante pour les équipes qui doivent adopter de nouvelles méthodes de travail et de formation. Nous nous y attelons à marche forcée et de façon croissante. Nous avons amené nos propres opérateurs à travailler en synergie dans une approche intégrée autour de priorités inédites. Aussi pouvons-nous aider l'OIF à développer une telle approche de coordination entre ses départements, même s'il n'est pas évident pour nous de toucher à l'organisation d'une institution internationale. Il existe encore des marges de manoeuvre en termes d'organisation, d'approche et de projets fédérateurs. Les opérateurs de l'OIF paraissent, pour leur part, beaucoup plus réactifs à ce type de changement.
L'OIF peut compter sur trois participations financières de la France : la contribution du ministère des Affaires étrangères, le règlement du loyer du siège, qui se trouve à Paris, enfin la contribution volontaire, qui est lourde et qui signifie que vous devez avoir des exigences plus fortes. Fixez-vous des objectifs précis en contrepartie ?
Nos contributions volontaires sont en général fléchées.
La dimension éducative est importante, qu'il s'agisse de l'Initiative francophone pour la formation à distance des maîtres (IFADEM), ou de l'initiative « École et langues nationales en Afrique » (ELAN). Ces deux programmes de recherche sont destinés à rénover les systèmes éducatifs, notamment en Afrique, et font l'objet d'un suivi de notre part. Nous cherchons désormais à ce l'OIF lance des programmes qui soient non seulement pilotes mais également structurants. Cependant les Etats sont souverains et nous ne pouvons pas, sous peine d'ingérence, nous immiscer dans leurs politiques éducatives.
La conférence des ministres de l'éducation des États et gouvernements de la francophonie (CONFEMEN) et le Programme d'analyse des systèmes éducatifs (PASEC) ont tout de même créé des outils d'analyse statistique et en ont équipé des pays du Sud, et notamment un certain nombre de pays africains, dans le but de vérifier la pertinence de leurs politiques éducatives. Cette initiative a plutôt réussi. De ce point de vue, l'enjeu de l'éducation au XXIe siècle est fondamental : les potentiels francophones en Afrique ne deviendront réels que si des politiques éducatives sont menées. Nos accompagnements sont essentiels.
Les programmes de l'OIF en la matière sont ciblés et assez pertinents mais leur efficacité ne pourra être optimale que grâce à une forte appropriation de la part des États et à la mobilisation d'une communauté de bailleurs.
Si je comprends bien, la contribution volontaire de la France au budget de l'OIF, qui était de 10 millions d'euros en 2014, fait l'objet d'un fléchage essentiellement vers la formation et l'éducation.
Je pourrai vous communiquer les informations dont nous disposons sur les différents programmes concernés.
Le Parlement, par le biais de la Mission d'évaluation et de contrôle, a l'obligation de vous demander à quoi sert l'argent qu'il a voté et affecté à une organisation internationale. Certes, s'agissant de la contribution classique, il est plus compliqué de demander des comptes. Pour ce qui est du loyer, on aurait pu réfléchir à ce que l'on pourrait acheter avec 5,6 millions d'euros annuels dans une perspective à vingt ans. J'attends par contre de nombreuses informations de votre part sur la contribution volontaire : on ne peut pas verser 10 millions d'euros sans en avoir un décompte et sans exiger en retour, de la part de l'institution, un engagement fort.
Nous vous transmettrons le décompte de la part volontaire.
Je vous remercie de vos explications. J'ai moi-même expliqué à l'Assemblée parlementaire de la francophonie, dont je suis le Secrétaire général, qu'il fallait promouvoir une approche transversale.