La Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes a procédé à l'audition, ouverte à la presse, de Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée auprès de la ministre des Affaires sociales et de la santé, chargée de la Famille.
Présidence de Mme Catherine Coutelle, présidente.
La séance est ouverte à 16 heures 20.
Mes chers collègues, nous sommes heureux d'accueillir aujourd'hui Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée auprès de la ministre des affaires sociales et de la santé, chargée de la famille.
Madame la ministre, les questions relatives à la famille renvoient à de nombreux sujets, en particulier les congés parentaux et la possibilité pour les mères de reprendre un travail. En France, le taux d'activité des femmes – qui est l'un des plus élevé d'Europe – chute au deuxième, voire au troisième enfant ; ainsi, seules 42 % de celles qui ont trois enfants continuent de travailler. Les obstacles à l'accès ou au maintien dans l'emploi des femmes sont souvent liés à des problèmes de garde d'enfant et à la difficulté d'articuler vie professionnelle et vie familiale, ce qui a des incidences importantes sur leur carrière et le niveau de leur retraite.
Madame la ministre, quels principaux chantiers allez-vous mener ? Une loi sur la famille est-elle actuellement en préparation ?
De quelle façon se fait l'articulation entre le périmètre du ministère de la famille et celui du ministère des droits des femmes ?
Enfin, les familles monoparentales, généralement une mère avec ses enfants, sont plus souvent exposées à la pauvreté. Nous le savons : une majorité de femmes se présente aujourd'hui aux Restos du coeur. Que compte faire le Gouvernement face à cette situation ?
Il n'y a pas de ligne de partage entre le ministère des droits des femmes et le ministère de la famille. Toutes les femmes sont concernées par les thématiques que vous évoquez, madame la présidente : petite enfance, conciliation des temps, familles monoparentales.
En raison de leur augmentation et de leur forte exposition à la pauvreté et à la précarité, les familles monoparentales constituent un sujet très important qui sera abordé lors de la conférence contre la pauvreté et pour l'inclusion sociale qui se tiendra les 10 et 11 décembre. On sait que la majorité des enfants pauvres vit dans des familles monoparentales, les neuf dixième d'entre elles étant composées d'une mère et de ses enfants.
La pauvreté touche donc de plus en plus de familles monoparentales. C'est pourquoi toutes nos actions en matière de lutte contre la pauvreté et de soutien à la parentalité doivent prendre en compte ce phénomène.
J'ajoute que la précarité grandissante des retraitées est également un sujet préoccupant. Les Restos du coeur accueillent aujourd'hui des femmes dont la pension ne leur permet pas de subvenir à leurs besoins.
L'égalité entre les femmes et les hommes au sein de la famille est une conquête relativement récente. C'est seulement dans les années soixante à soixante-dix que les femmes ont obtenu le droit d'ouvrir un compte bancaire à leur nom sans l'accord de leur époux, que leur a été accordé le droit à l'autorité parentale, et qu'elles ont pu bénéficier d'un assouplissement des procédures de divorce. Au XIXe siècle, le travail était réservé aux classes les plus modestes, et les femmes des classes moyennes ou aisées vivaient l'enfermement au travers de la famille. Le XXe siècle a été celui de l'émancipation des femmes. Et aujourd'hui, de plus en plus d'hommes réclament l'égalité de traitement en matière familiale.
En effet, un mouvement s'exprime aujourd'hui pour réintroduire les hommes dans leur rôle de père. À la maison des adolescents que j'ai visitée à Toulouse samedi et qui accueille des jeunes entre onze et dix-huit ans, une des mères qui élève seule son enfant a expliqué qu'elle en était venue à s'interroger sur le fait de savoir si les femmes doivent se substituer à la défaillance du père et si celui-ci n'est pas trop souvent mis à l'écart. Le centre parental du XIXe arrondissement, que j'ai visité récemment avec Jean-Marc Ayrault, accueille de très jeunes mères avec leur compagnon.
Cette évolution ne signifie pas que les hommes assument le même volume de tâches domestiques que les femmes ou qu'ils sont exemplaires pour le versement des pensions alimentaires. Mais aujourd'hui, on constate que les gardes alternées sont en augmentation et que, dans ce cas, de plus en plus d'hommes demandent que leur soit versée une partie des prestations familiales.
Un chantier de mon ministère porte sur la petite enfance – les enfants de zéro à trois ans – et le soutien à la parentalité.
Le Gouvernement a décidé d'appréhender la question de la petite enfance, non sous l'angle chiffré des places d'accueil à pourvoir, mais sur la base d'un travail avec les territoires pour inciter les communes, les syndicats de commune, les départements, voire les régions, à se mettre autour d'une même table afin de déterminer leurs besoins à l'échelle régionale. Les parents sont associés à cette consultation citoyenne qui se déroulera jusqu'à la mi-janvier. L'objectif est que chaque région soit capable de déterminer le nombre de places d'accueil dont elle a besoin, le mode d'accueil qu'elle souhaite privilégier en fonction des territoires – coeurs de ville ou secteurs ruraux –, et l'échéancier en fonction des départements dont certains sont moins pourvus que d'autres. J'ai choisi cette démarche car nous renégocions actuellement la convention d'objectifs et de gestion de la Caisse nationale des allocations familiales (CNAF), qui est un financeur important des collectivités locales en matière de petite enfance.
Au-delà du manque de places d'accueil, trop peu de villes pratiquent la transparence pour l'attribution des places. Un travail devra donc être mené sur les critères d'attribution. Certaines agglomérations, comme Rennes, mènent des expériences très innovantes en centralisant tous les types de demandes, de la demi-journée à la semaine de garde. En outre, certaines villes, comme Sartrouville, manquent cruellement de structures collectives. La politique de la petite enfance doit corriger ces inégalités territoriales.
Dans ce contexte, un trop grand nombre de femmes renonce à un emploi, soit parce qu'elles n'ont pas obtenu une place d'accueil, soit parce que leur salaire est insuffisant pour couvrir le coût de la garde de leur enfant. Là aussi, la politique de la petite enfance doit être un correctif des inégalités sociales.
Les demandes de soutien à la parentalité sont en augmentation, quels que soient les milieux sociaux. Ce sont souvent les femmes, y compris de milieux très défavorisés, qui prennent l'initiative de résoudre les difficultés auxquelles leurs enfants et elles-mêmes sont confrontés.
Pour conclure, la Délégation aux droits des femmes a naturellement toute sa place pour contribuer à la réflexion sur l'ensemble des sujets relatifs à la petite enfance et à la parentalité.
Au cours de la précédente législature, nous avons travaillé sur la durée du congé de maternité et sur le partage du congé parental entre la mère et le père. Y a-t-il des réflexions sur ces sujets ?
Madame la ministre, je tiens à vous féliciter de votre engagement en faveur d'une nouvelle politique de la petite enfance.
Comme vous l'avez dit, les familles sont aujourd'hui diverses et des attentes s'expriment dans nos territoires. À cet égard, je pense que les villes, mêmes moyennes, doivent être capables d'offrir un service de la petite enfance aux familles, y compris les familles monoparentales qui sont de plus en plus touchées par la précarité.
En outre, le soutien à la parentalité est très important, en particulier pour les familles en détresse et les femmes qui élèvent seules leurs enfants et dont certaines se rendent aux Restos du coeur ou à l'épicerie sociale. Là encore, un accompagnement est nécessaire, en lien avec les collectivités.
La préscolarisation des enfants de moins de trois ans doit être menée en lien avec l'Éducation nationale. Fera-t-elle l'objet de concertations avec les collectivités locales ?
Y a-t-il une réflexion sur les revendications du collectif « Pas de bébés à la consigne », qui dénonce une dégradation des dispositifs de garde existants, en particulier l'extension des capacités maximales d'accueil des assistantes maternelles de trois à quatre enfants ?
Les rythmes scolaires actuels sont inacceptables pour certains enfants. Des efforts sont demandés aux collectivités territoriales et aux parents. Mais pourquoi les entreprises ne participeraient-elles pas au soutien à la parentalité ? L'idée d'un assouplissement du temps de travail pour permettre aux parents d'accompagner et de récupérer leurs enfants à l'école sans avoir à les laisser « à la consigne » vous semble-t-elle intéressante ?
Ce sujet est très important. Les entreprises et les administrations y gagneraient énormément, en particulier au regard du stress de leurs salariés, si elles pouvaient leur proposer la généralisation du temps de travail sur la carrière et la différenciation des horaires en fonction des moments de la vie familiale.
Par ailleurs, les emplois précaires, en particulier des femmes qui ont plusieurs coupures dans la journée, constituent un véritable problème.
Bien souvent, les familles choisissent leur mode de garde en fonction de la confiance qu'elles accordent en la personne qui va garder leur enfant. La formation des assistantes maternelles assurée par les conseils généraux comprend cent vingt heures au total, ce qui est peu par rapport à l'enseignement reçu par les personnes titulaires d'un CAP petite enfance. Est-il possible d'uniformiser les formations par le haut ?
Par ailleurs, tous les personnels de la petite enfance ne devraient-ils pas bénéficier d'un enseignement sur les stéréotypes sexués ? Certaines collectivités le font, mais je pense que cela devrait être généralisé au niveau national.
Sur les stéréotypes, il est peu étonnant que très peu d'hommes exercent le métier d'assistant maternel : un terme plus neutre, comme assistant parental, conviendrait mieux.
Il est possible que la professionnalisation des métiers de la petite enfance finisse par faire l'objet d'une disposition législative, au regard des exigences en la matière, que ce soit pour les assistantes maternelles ou les personnels de crèche, sachant que de plus en plus d'hommes demandent à pouvoir exercer ces métiers. Nous devrons donc travailler au niveau des CAP et des BEP pour renforcer l'exigence de professionnalisation. En outre, les crédits régionaux devront être mobilisés à court terme, en particulier pour permettre aux auxiliaires de puériculture exerçant dans les crèches collectives de former les assistantes maternelles. Les relais d'assistantes maternelles (RAM) ne suffisent pas car ils sont très hétérogènes sur le territoire.
Ainsi, nous réfléchissons actuellement à des modalités très précises de nature à améliorer cette professionnalisation, sachant que le décret Morano sera supprimé lorsque la convention d'objectifs et de gestion sera signée le 1er trimestre 2013.
L'Observatoire de la parentalité en entreprise encourage les entreprises à signer des chartes de parentalité. Ces chartes définissent la façon dont les entreprises sont capables d'intégrer le temps parental dans le temps de travail. Une agence du Crédit agricole signataire a ainsi proposé à ses employés, dont les temps de transport sont très longs, une ou deux journées de télétravail. Les salariés qui en bénéficient vont du nouveau papa qui désire soulager la maman et voir son enfant plus souvent, à des hommes dont la carrière est déjà longue et qui souhaitent être présents aux côtés de leurs enfants adolescents le mercredi, en passant par des femmes qui y voient la possibilité d'emmener leurs enfants à tous les rendez-vous médicaux. Les entreprises sont très satisfaites de cette formule car elle est la preuve que le temps salarié n'est pas incompatible avec le temps parental. Malheureusement, seules les grosses structures sont actuellement signataires. Je pense donc qu'une réflexion au niveau de l'ensemble des entreprises, y compris des administrations, constituerait un énorme progrès, car elles gagneraient beaucoup à développer ces chartes. Je pense même que les conventions devraient prévoir un volet relatif aux mesures en faveur de l'équilibre des temps professionnel et familial, auquel les jeunes générations attachent une grande importance.
S'agissant de l'accompagnement des mères, une difficulté est qu'un grand nombre d'entre elles sont dans un processus de réinsertion professionnelle et peuvent se voir proposer un contrat à durée déterminée (CDD) ou un poste à temps partiel. Face à cette situation, nous devons fortement inciter les collectivités à introduire des éléments de souplesse, c'est-à-dire à réserver dans leurs structures de garde un minimum de places, par exemple sur la base de trois heures sur deux jours, pour permettre à ces mères d'accéder à l'emploi. Cela serait une véritable révolution. Certaines collectivités le font, comme la ville de Rennes.
Le bilan de la concertation actuellement en cours avec les territoires nous placera devant une alternative. Soit nous miserons sur la contractualisation, et l'État s'assurera de la mise en oeuvre des corrections des inégalités. Soit, en cas de politique contractuelle molle, il nous faudra envisager de passer par la loi, même si cette éventualité n'est pour l'instant envisagée ni par le Premier ministre ni par le Président de la République.
Parmi les partenaires de la contractualisation, figure la Caisse des allocations familiales (CAF), dont le comptage du prix de journée et la comptabilisation des enfants dans les crèches ont énormément influencé le remplissage des structures.
En Suède, les communes ont l'obligation d'offrir une place en structure collective à tous les enfants trois mois après leur premier anniversaire. Ce dispositif, dénommé préélémentaire, pèse pour 50 % dans le budget de certaines communes, pour 20 % à 30 % dans d'autres. Ainsi, le taux d'activité des Suédoises est aujourd'hui plus élevé que celui des Françaises, certes avec beaucoup d'emplois à temps partiel.
En France, la préscolarisation fonctionne lorsque le secteur de la petite enfance, l'Éducation nationale et la collectivité travaillent en commun. Vincent Peillon a annoncé, et j'approuve sa démarche, le renforcement de la préscolarisation dans les quartiers défavorisés. Les classes passerelles ont prouvé leur succès, mais elles sont mises en place à l'initiative des collectivités. Celles de l'Ouest, par exemple, ont choisi d'y admettre uniquement des enfants de deux ans qui n'ont jamais été gardés dans une structure d'accueil. Ces classes passerelles sont un formidable outil car elles ne peuvent se faire sans l'accord et la participation des parents. Elles permettent ainsi à des familles dont la maîtrise de la langue française est difficile, ou le rapport avec l'école très conflictuel, d'entrer à nouveau dans l'école. La préscolarisation est donc est un correctif des inégalités en matière scolaire, et je pense qu'il faut la développer.
S'agissant des rythmes scolaires, les modalités d'accueil des enfants de plus de trois ans entre la fin de la classe et le retour de leurs parents du travail constituent un vaste chantier ! Il ne faut pas oublier que le coût financier pour la collectivité et la CAF entre en ligne de compte.
Pour l'instant, les parents font ce qu'ils peuvent en fonction des horaires de garderies lorsqu'elles existent, et des possibilités des aides maternelles qui n'acceptent pas toutes de garder, à la fois, des petits à domicile et des plus grands qu'elles vont chercher à l'école.
L'amélioration de la formation des aides maternelles est certes une piste intéressante, mais ces professionnelles travaillent souvent onze heures par jour pour des salaires relativement faibles et, au bout du compte, des retraites misérables.
Ma première question porte sur l'intervention remarquée de la philosophe Sylviane Agacinsky aux « Semaines sociales de France » qui viennent de s'achever. Interrogée sur les droits des enfants, celle-ci a répondu : « Quant à la parenté, même adoptive, doit-elle renoncer à son modèle bilatéral et non symétrique, et instituer une équivalence des sexes ? Avant toute décision législative en matière de procréation et de parenté, il faudra au moins entreprendre une réflexion collective sur les droits de l'enfant, qui sont prioritaires. L'enjeu est l'égalité de tous les enfants face à l'institution parentale et leur droit à n'être pas de simples produits. »
Que vous inspirent ces propos, madame la ministre ? Le Gouvernement ne doit-il pas encore réfléchir aux conséquences que le mariage pour tous va entraîner sur la notion de famille ?
Ma deuxième question a trait à la réforme du congé parental, lequel pénalise les femmes. Pouvez-vous nous en dire plus sur les expérimentations régionales que vous avez mises en place et sur les suites législatives que vous leur donnerez ? Un calendrier a-t-il été fixé et une concertation est-elle prévue ?
Enfin, que pensez-vous de la campagne des militantes d' « Osez le féminisme ! », intitulée « Qui va garder les enfants ? ». Seuls 10 % des enfants de moins de trois ans ont une place en crèche, et 63 % d'entre eux sont gardés par un de leurs parents, presque toujours leur mère. Faut-il réellement abroger le décret Morano ? Dans le contexte actuel, quelle réponse concrète pouvez-vous apporter au nombre insuffisant de places d'accueil ?
Le PLFSS pour 2013 prévoit, à titre expérimental, le versement en tiers payant du complément de mode de garde pour les familles modestes. Les départements pourront ainsi se porter volontaires pour assister des familles bénéficiaires du revenu de solidarité active (RSA), qui sont donc dans un processus de réinsertion dans l'emploi, mais qui se trouvent dans l'incapacité d'avancer les sommes correspondant aux salaires des assistantes maternelles. La CAF avancera alors une grande partie du salaire de l'assistante maternelle. Ce dispositif aura vocation à être généralisé s'il permet aux femmes de retourner à l'emploi, et aux assistantes maternelles d'accueillir le nombre d'enfants correspondant à leur agrément.
S'agissant du manque de places d'accueil, je vous rappelle que nous avons lancé une vaste consultation en Pays de Loire, Nord-Pas-de-Calais, Midi-Pyrénées et Bourgogne, ces quatre régions représentant la grande diversité des territoires, qu'ils soient urbains ou ruraux. L'ensemble des conclusions sera rendu à la mi-janvier et préfigurera la définition de la nouvelle convention d'objectifs et de gestion.
Aujourd'hui, la proportion d'enfants qui vivent dans des familles homoparentales est incertaine : on estime qu'ils sont entre 40 000 et 300 000. Le problème est que s'il arrive quelque chose au parent biologique, le deuxième parent ne bénéficie d'aucune reconnaissance légale, ce qui met l'enfant dans une situation de fragilité juridique. C'est le cas des enfants conçus grâce aux techniques de procréation médicalement assistée (PMA) avec donneur anonyme. Il est donc nécessaire selon moi que notre pays se dote des moyens permettant d'assurer la sécurité juridique de ces enfants, ce qui constituerait une mesure d'égalité.
Le problème est d'ailleurs le même pour les familles recomposées. En effet, de plus en plus d'enfants sont élevés par un des deux parents biologiques et par un autre adulte qui n'a aucun droit.
Par conséquent, le débat n'a rien à voir avec l'homosexualité ou l'hétérosexualité. Il doit prendre en compte l'évolution de la composition des familles, qui implique d'assurer la protection juridique de tous ces enfants. La loi sur le mariage et l'adoption des couples homosexuels constitue un premier élément de réponse.
Le débat doit aussi prendre en compte la notion d'éducation de l'enfant. J'attends que l'on me démontre qu'il y a une différence substantielle entre des enfants qui sont élevés par un père et une mère, et des enfants qui sont élevés par une mère seule, par une mère et un beau-père, par deux hommes ou encore par deux femmes. Si l'éducation d'un enfant par un couple classique était la garantie de son bien-être et de son bonheur, à mon avis, cela se saurait. L'enfant doit avoir accès à des biens élémentaires – alimentation, santé –, mais il a aussi besoin de l'affection, de l'amour de ses parents.
Il fut un temps où il ne fallait pas dire à l'enfant qu'il était adopté. Puis les choses ont évolué, et les familles adoptantes sont à présent encouragées à lui dire la vérité. Je dis cela parce que l'enfant a le droit de connaître son histoire et donc les conditions qui ont entouré sa naissance, quelles qu'elles soient. On n'a pas eu ce débat lorsque la procréation médicalement assistée a été autorisée pour les couples hétérosexuels infertiles. Alors pourquoi utiliser aujourd'hui l'argument de l'homosexualité pour interdire ?
Le débat n'a rien à voir avec une remise en cause de la civilisation – ce qui renvoie à ces considérations religieuses, philosophiques, personnelles. Il s'agit de prendre en compte la diversité des situations familiales car, aujourd'hui, tout le monde demande à bénéficier d'une règle, d'un cadre. Il n'y a rien de déstructurant dans cette approche puisque l'on ne fait pas exploser le mariage et que l'on ne supprime pas le PACS. On est très loin de mai 1968 ! C'est un fait : l'aspiration à entrer dans une norme juridique est très importante chez nos concitoyens.
Je pense que toutes ces questions peuvent être abordées sans tabou puisque toutes ces situations familiales existent déjà. Ce n'est pas la loi qui va les créer. Mais il revient au législateur d'adapter le droit à toutes ces situations. L'enjeu est là.
Dans le cadre du débat sur la loi sur le mariage et l'adoption, aucune revendication n'a été exprimée sur la gestation pour autrui (GPA), y compris des associations. Je pense qu'aucun débat ne sera ouvert à ce sujet. La seule question a été celle de la non-inscription à l'état civil des enfants nés par GPA de couples hétérosexuels, que nous ont posée ces derniers.
La PMA est déjà autorisée pour les couples mariés et les couples pacsés. En revanche, l'adoption est autorisée pour les célibataires et les couples mariés, mais ne l'est pas pour les couples pacsés. Le code civil est ainsi fait qu'il aboutit à certaines aberrations.
Je pense que si la PMA était autorisée pour les couples homosexuels, cela ne risquerait pas, au regard du risque de discrimination entre les couples femmes et les couples hommes, d'aboutir à des demandes de GPA puisque celle-ci est interdite en France.
Nous travaillons actuellement à la définition des missions de service public de la petite enfance qui devront tenir compte, dans le cadre de l'acte III de la décentralisation, de la spécificité des territoires.
Une réflexion est-elle menée sur le congé de maternité, dont la durée varie au sein des pays européens, et sur le partage du congé parental, sachant que la Suède, souvent prise en exemple, est loin d'avoir abouti aux résultats qu'elle escomptait.
Ces sujets doivent, certes, faire l'objet d'une réflexion, mais ne sont pas prioritaires. Pour le Gouvernement, la priorité est le développement des modes d'accueil et la possibilité d'offrir à chaque famille une place pour leur enfant, afin que les femmes aient le choix de travailler ou pas.
Dans le commerce notamment, les femmes de retour d'un congé de maternité ont parfois des difficultés à se réinsérer. Certains patrons, qui considèrent en effet la maternité comme un handicap, poussent ces femmes à occuper un poste qu'elles ne peuvent pas assumer ou les mettent au placard, au point que certaines d'entre elles en viennent à démissionner.
D'où la nécessité de développer les chartes de la parentalité en entreprise, dont j'ai parlé tout à l'heure.
Ce pourrait même être des chartes interentreprises, comme à Lyon.
Les crèches à horaires différés sont également intéressantes. Néanmoins, la création de crèches ouvertes vingt-quatre heures sur vingt-quatre est-elle une nécessité ? Hormis les professions qui exigent de travailler la nuit – infirmières, pompiers, etc. –, d'autres métiers, comme vendeuses ou caissières dans des magasins parisiens, demandent une présence jusqu'à vingt et une heure, vingt-deux heures, voire vingt-trois heures comme à Monoprix. Doit-on suivre la demande des entreprises et accompagner les parents jusqu'au bout dans cette sorte de dérégulation ?
Le travail à partir des territoires est important. À Toulouse, une crèche fonctionne vingt-quatre heures sur vingt-quatre heures et sept jours sur sept, mais fixe des critères pour l'attribution des places. Elle accueille, par exemple, un enfant élevé par une jeune maman seule qui travaille dans une maison de retraite plusieurs jours par semaine, y compris le samedi et le dimanche.
Dans la consultation citoyenne qui se déroule en Midi-Pyrénées, une maman domiciliée loin de Toulouse et occupant un emploi de nuit très qualifié à la SNCF a expliqué qu'elle n'avait trouvé aucune structure qui puisse garder son enfant la nuit, son mari exerçant le même métier. Elle a négocié avec son employeur, mais a dû finalement accepter un travail de jour moins qualifié.
On le voit : dans certains cas, la crèche de nuit a une vraie pertinence car elle permet à des femmes de travailler, les critères d'accueil entrant en ligne de compte. Cela étant dit, les enfants qui ont besoin d'être gardés toute la nuit sont très rares ; il s'agit plutôt d'enfants qui doivent l'être jusqu'à minuit ou très tôt le matin.
Certaines assistantes maternelles accueillent les enfants à partir de cinq heures du matin.
Le temps domestique est également un facteur qui entrave le travail des femmes. Or les statistiques montrent que le temps domestique des hommes a peu augmenté au cours des vingt-cinq dernières années. Selon l'Observatoire de la parité, dans un couple français moyen avec un enfant, la femme fait en une semaine vingt heures de travail rémunéré et trente-quatre heures de travail non rémunéré, alors que l'homme réalise respectivement trente-trois heures et dix-huit heures de travail.
Que peut faire un ministre de la famille pour lutter contre ce phénomène ?
Il n'est pas étonnant que la maternité soit de plus en plus tardive. Mais pour répondre à cette dernière question, je dirai qu'il faut engager un travail sur les mentalités, en particulier combattre les stéréotypes, et ce le plus tôt possible, c'est-à-dire à la crèche et à l'école. Certes, beaucoup de jeunes pères s'occupent de leur enfant – le nourrissent, le changent, etc. –, mais il reste encore beaucoup à faire. Il faut lutter contre les représentations inégalitaires des rôles respectifs des femmes et des hommes. C'est d'ailleurs pourquoi l'accueil des pères est fondamental dans les crèches.
Selon les statistiques, après un divorce, l'homme retrouve très rapidement une compagne, alors que la femme décide le plus souvent de rester seule. En fait, les hommes seuls sont perdus, notamment au regard des tâches ménagères, et préfèrent retrouver une compagne assez vite.
Dans les maisons de retraite que j'ai visitées en tant que maire d'arrondissement, les femmes, même très âgées, sont pomponnées, alors que les hommes ne connaissent pas l'hygiène ! J'ai donc suggéré à certaines directrices de maison de retraite d'organiser des actions autour de l'entretien de soi. Sur ce plan-là aussi, il faut travailler sur les stéréotypes.
Les tâches domestiques représentent plusieurs milliards d'heures et pèsent dans le produit intérieur brut (PIB). Une réflexion est-elle menée sur la valorisation du temps domestique ?
Peut-être le Centre d'analyse stratégique l'a-t-il fait ; il faudrait vérifier. Une campagne sur le sujet serait certainement utile.
Ce qui est fondamental, c'est l'égalité professionnelle. Le combat est là.
Certes, mais ce qui entrave l'égalité professionnelle, c'est la maternité. Pour preuve, en Allemagne, où les modes de garde collectifs sont très rares, 30 % des femmes nées en 1965 n'ont pas d'enfant.
Les moeurs de la société allemande font que la femme doit élever elle-même son enfant.
Aux Pays-Bas, où les femmes travaillent peu, il est inconcevable – la religion y est certainement pour quelque chose – que la mère n'aille pas chercher elle-même son enfant à l'école, y compris à midi car il n'y a pas de cantine scolaire.
En France, les femmes sont majoritaires à s'occuper de leurs parents âgés et souvent malades. Elles assument à la fois leur emploi et cette responsabilité familiale.
Aujourd'hui, deux, trois, voire quatre générations peuvent cohabiter. Y a-t-il une réflexion en la matière ?
Des études sont-elles conduites sur les familles recomposées, en particulier au regard du statut des beaux-parents et de la situation des enfants qui ne voient qu'un seul de leurs parents ?
Encore une fois, le soutien à la parentalité est primordial. Je pense d'ailleurs que, dans un avenir proche, les parents demanderont un service public de la parentalité.
La maison des adolescents à Toulouse que j'ai visitée accueille aussi bien des mères et des grands-mères, autrement dit plusieurs générations, y compris de milieux très favorisés. Il s'y exprime une demande très importante de soutien à la parentalité.
Aujourd'hui, nous sommes confrontés au problème des « enfants carte bleue » : ils ne manquent de rien, sauf du lien affectif avec leurs parents qui ne s'occupent pas assez d'eux. C'est encore la preuve que des mutations sont en train de s'opérer. C'est pourquoi, de la même façon que nous devons définir les missions de service public de la petite enfance, nous devrons travailler à la définition des missions de service public d'aide à la parentalité pour répondre à toutes les demandes. En effet, aujourd'hui, quel que soit leur milieu social, certains parents sont désemparés et un certain nombre d'enfants ont besoin de retrouver une écoute, une parole.
Dans les communes périurbaines, l'accueil de la petite enfance est assuré, mais pas celui des préadolescents et adolescents, pour lesquels d'ailleurs la CAF s'est désengagée. J'ai récemment participé à l'inauguration d'un centre d'accueil pour la petite enfance dans une commune, laquelle dispose également de deux pièces destinées aux préadolescents et adolescents, mais pour lesquels elle ne sait pas encore ce qui pourrait être organisé.
Aujourd'hui, un certain nombre de pères divorcés ont de grandes difficultés à préserver le lien avec leurs enfants. Les juges accordent le plus souvent la garde des enfants à la mère, si bien que des associations de défense des pères existent. J'ai même reçu des pétitions de pères à ce sujet.
Les maisons des adolescents sont très hétérogènes. Certaines sont très médicalisées – on y traite l'anorexie, l'addiction aux drogues, etc. –, d'autres sont des lieux d'écoute et de parole où des spécialistes apportent une aide psychologique et donnent des conseils juridiques. Là aussi, il faudra définir le type de maison des adolescents dont les grandes villes devraient se doter, parce que cela correspond à une vraie nécessité, pour les adolescents comme pour les parents.
Il faut entamer une vraie discussion avec le juge aux affaires familiales, car la notion de lien entre les pères et leurs enfants est à repenser au regard de l'évolution de la nature des familles. La position de la justice française n'est pas de rompre le lien, et pourtant des enfants sont en grande difficulté.
C'est encore la preuve que l'explosion des modèles familiaux conduit nos concitoyens à nous demander de respecter leur choix individuel, mais aussi de leur apporter une sécurisation, ce qui n'est pas toujours simple.
L'âge de la première grossesse augmente dans les couches sociales les plus favorisées, alors que dans les milieux défavorisés, on assiste toujours à des grossesses précoces, voire extrêmement précoces. Dans les Pyrénées orientales, dont je suis élue, les jeunes filles issues de la communauté gitane ont des enfants dès douze ou treize ans. Bien sûr, une appartenance culturelle explique cela, mais dans d'autres milieux défavorisés, les jeunes femmes sont enceintes dès dix-huit ou dix-neuf ans. Quand on les interroge, ces jeunes filles nous expliquent qu'elles acquièrent le statut d'une personne respectable à partir du moment où elles sont mères. D'où l'éternelle question : une femme ne devient-elle respectable, un humain à partir entière, qu'à partir du moment où elle est mère ? Comment la ministre de la famille peut-elle agir en la matière ?
La contraception est un acquis pour certaines générations, mais son utilisation régresse chez les jeunes – j'ai même entendu des jeunes filles exprimer leur méfiance au regard de sa nocivité pour leur santé.
Je pense qu'une campagne devrait être menée, en particulier sur le Pass'contraception et l'anonymat, qui sont des éléments fondamentaux.
Je crois également qu'un travail au niveau de l'Éducation nationale devrait être conduit. La présence autrefois des infirmières et des assistantes sociales dans les collèges et les lycées était finalement une bonne chose, car ce n'est pas forcément avec un professeur qu'un jeune a envie de parler de ces choses.
S'agissant des grossesses précoces, la question est de savoir comment on entre en contact avec ces familles, comment on contribue à une prise de conscience. C'est une question très difficile.
En tout état de cause, l'accès à la contraception n'est pas si évident qu'on le croit, y compris en termes d'information.
Les médecins eux-mêmes ont tendance à ne pas proposer toutes les formes de contraception qui existent.
C'est vrai.
La séance est levée à 17 h 55.