Mission d'évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale

Réunion du 31 janvier 2017 à 14h00

Résumé de la réunion

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  • CNOM
  • informatique
  • médecin

La réunion

Source

COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES

MISSION D'ÉVALUATION ET DE CONTRÔLE DES LOIS DE FINANCEMENT DE LA SÉCURITÉ SOCIALE

Mardi 31 janvier 2017

La séance est ouverte à quatorze heures.

(Présidence de M. Pierre Morange, coprésident de la Mission)

La Mission d'évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale (MECSS) procède à l'audition, ouverte à la presse, du Dr Jacques Lucas, vice-président du Conseil national de l'Ordre des Médecins, délégué général aux systèmes d'information en santé

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Monsieur Lucas, je vous souhaite la bienvenue et vous prie de bien vouloir excuser Mme Gisèle Biémouret, coprésidente de la MECSS, empêchée. Votre audition porte sur les données médicales personnelles inter-régimes détenues par l'assurance maladie, versées au Système national d'information inter-régimes de l'Assurance maladie (SNIIRAM) puis au Système national des données de santé (SNDS). Nous rendrons un rapport préliminaire le 21 février, mais l'ampleur du sujet est telle que la réflexion de notre mission se poursuivra pendant la prochaine législature. Une partie des décrets d'application de l'article 193 de la loi du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé sont en cours d'élaboration et la Cour des comptes, que nous avons sollicitée à cet effet, nous a remis en mars 2016 un rapport consacré à la gestion des données de santé. Nous souhaitons connaître la position du Conseil national de l'Ordre des médecins sur les recommandations de la Cour.

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Jacques Lucas, vice-président du Conseil national de l'Ordre des médecins, délégué général aux systèmes d'information en santé

Le Conseil national de l'Ordre des médecins (CNOM) a participé à cette réflexion dès l'élaboration de la loi en sa qualité de membre du groupe de concertation installé par Mme la ministre de la santé et des affaires sociales et coordonné par MM. Philippe Burnel et Franck Von Lennep, que vous avez reçus. Nous avons ensuite proposé plusieurs amendements à l'article 193, qui ne nous semblait pas immédiatement intelligible. Il ne l'est manifestement toujours pas, puisque notre directeur des affaires juridiques m'a dit se perdre quelque peu dans les moyens et les procédures mis en oeuvre pour élargir l'accès aux données publiques de santé.

Ce préambule explique pourquoi, à la première des demandes du questionnaire que vous nous avez adressé – « L'article 193 de la loi satisfait-il vos attentes ? » –, ma réponse est : « Oui et non ». On comprend qu'une base de données de santé « chaînées » soit utile pour piloter le système de santé et déterminer la qualité de ce que produisent les structures et les personnes et qui est pris en charge par la solidarité nationale ou le Programme de médicalisation des systèmes d'information (PMSI). Ce n'est pas tant l'organisation du SNDS, récemment précisée par décret, qui nous préoccupe que les conditions d'accès aux données. L'ouverture de l'accès est nécessaire, mais vous ne serez pas surpris de m'entendre dire que le CNOM, particulièrement soucieux de la protection des libertés individuelles, souhaite que l'on ne puisse redescendre à un degré de granularité qui permettrait de reconnaître les personnes. En bref, l'article 193 nous satisfait sous réserve d'adaptations ; elles pourraient avoir lieu si la loi de modernisation du système de santé venait à être modifiée au cours de la prochaine législature.

En revanche, il est un sujet sur lequel nous restons dans le brouillard : le fonctionnement du futur groupement d'intérêt public (GIP) dénommé « Institut national des données de santé » (INDS), que la loi charge d'« émettre un avis sur le caractère d'intérêt public que présente une recherche, une étude ou une évaluation ». L'intérêt « public » étant entendu comme étant l'intérêt « général », terme plus parlant, nous avions suggéré de modifier le libellé du texte de cette manière. À ce jour, la convention constitutive de l'INDS, qui doit faire l'objet d'un arrêté ministériel, n'est pas parue. Le CNOM a demandé qu'un comité d'éthique qui ne soit pas seulement décoratif soit placé auprès de l'INDS et que les personnalités qualifiées ainsi réunies soient appelées à se prononcer sur « le caractère d'intérêt public » des études envisagées. Selon les personnes chargées de la préfiguration de l'INDS, et dont le taux de rotation dit en soi les difficultés à aplanir le sujet, il serait question d'installer auprès de l'Institut un « comité de l'intérêt public ». On pense immanquablement au Comité de salut public, mais pourquoi pas ? Le tout est de savoir ce que l'on y fera. Il semble que le CNOM serait membre de cette instance, probablement en représentation des autres Ordres concernés, dont celui des pharmaciens, grands producteurs de données de santé.

Vous l'aurez compris, nous éprouvons encore une certaine perplexité.

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Jacques Lucas, vice-président du Conseil national de l'Ordre des médecins, délégué général aux systèmes d'information en santé

Il nous est dit qu'en tant qu'adhérent au GIP, nous serions membre de l'assemblée générale de l'INDS, avec les aspects financiers que cela implique. À dire vrai, être membre de l'assemblée générale sans faire partie des instances de décision nous intéresse assez peu.

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Jacques Lucas, vice-président du Conseil national de l'Ordre des médecins, délégué général aux systèmes d'information en santé

Tous les membres de l'assemblée générale doivent apporter leur contribution au GIP par une cotisation. Ce débours entre dans les missions assignées à l'Ordre, et je ne pense pas que la Cour des comptes considérerait qu'il s'agit d'une utilisation abusive du produit des cotisations obligatoires de nos membres.

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La Cour des comptes, s'interrogeant sur l'obsolescence de certains algorithmes de cryptage, s'est inquiétée de la qualité du « coffre-fort informatique » où sont stockées les données de santé confiées à la Caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS), et le directeur du Centre d'accès sécurisé aux données (CASD) s'est dit devant nous partisan de confiner ces données dans une « bulle sécurisée ». D'évidence, comme le recommande la Cour, la prochaine convention d'objectifs et de gestion de la CNAMTS devra être l'occasion de renforcer la sécurité informatique. Quelles réflexions ces questions vous inspirent-elles ? Qu'avez-vous à nous dire sur la gouvernance retenue, sur la fluidité de l'accès aux données de santé et sur leur exploitation ? Pensez-vous que des contrôles a posteriori, qui sous-entendent des moyens techniques, humains et financiers, suffiront à préserver la confidentialité des données de santé rendues accessibles ? Sur quel modèle économique devraient reposer la mise à disposition de ces données en vue de leur exploitation par des tiers, dont les compagnies d'assurances ? La marchandisation des données de santé comporte-t-elle un risque pour les assurés, qui pourraient se voir imposer des contrats catégoriels, et pour les praticiens, qui pourraient être « classés » de manière inadéquate par les médias en fonction de leurs pratiques professionnelles comme le sont périodiquement les établissements de santé ?

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Jacques Lucas, vice-président du Conseil national de l'Ordre des médecins, délégué général aux systèmes d'information en santé

Le CNOM s'est engagé dans le contrôle a posteriori pour les données sensibles collectées par le biais d'applications et d'objets connectés. La masse d'informations ainsi recueillies dépasse probablement celle du SNIIRAM, et l'on constate que les citoyens aliènent leur liberté en acceptant les conditions qui leur sont proposées.

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Jacques Lucas, vice-président du Conseil national de l'Ordre des médecins, délégué général aux systèmes d'information en santé

Je ne le crois pas.

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Jacques Lucas, vice-président du Conseil national de l'Ordre des médecins, délégué général aux systèmes d'information en santé

L'État devrait mener une campagne de sensibilisation à ce sujet, qui pourrait englober le SNDS afin que les citoyens, clairement informés, en acceptent les risques comme ils en acceptent les bénéfices – le rapport entre bénéfices et risques étant assez difficile à déterminer.

Le CNOM s'est donc prononcé en faveur de contrôles a posteriori pour les applications et les objets connectés. Les contrôles de ce type impliquent que l'on assume les risques qui n'auraient pas été détectés a priori, mais aussi que ceux qui utiliseront les données du SNDS seraient animés de mauvaises intentions. C'est donc la question de la protection sociale qui se trouve posée, ce qui fait écho aux déclarations de certains candidats à la présidence de la République relatives aux rôles respectifs de l'assurance maladie solidaire et d'assurances complémentaires qui peuvent également participer à un modèle de protection sociale. D'ailleurs, des assurances complémentaires santé et des mutuelles s'intéressent de très près à ce sujet – certaines, comme Axa, utilisant les moyens numériques pour des téléconsultations et des télé-conseils.

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Et Axa consent unrabais de 8 % sur leurs contrats à ceux de ses assurés prouvant qu'ils font 10 000 pas chaque jour !

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Jacques Lucas, vice-président du Conseil national de l'Ordre des médecins, délégué général aux systèmes d'information en santé

La question étant éminemment politique, il n'appartient pas au CNOM de se prononcer, sauf pour rappeler l'attachement de l'Ordre à l'équité dans l'accès aux soins et à l'absence de discrimination.

Nous nous retrouvons dans la troisième recommandation de la Cour des comptes qui incite à reconnaître à la CNAMTS le statut d'« opérateur d'importance vitale », mais aussi à la soumettre aux « règles et contrôles périodiques externes de sécurité y afférents », de manière qu'elle ne soit pas juge et partie. C'est dans cette voie que la réflexion doit se poursuivre et, même si notre religion n'est pas entièrement faite, nous nous engageons dans la voie de contrôles a posteriori assortis d'audits extérieurs rendus publics. Cela étant, on ne saurait se satisfaire d'un audit qui ne donnerait lieu qu'à un nouveau rapport courroucé de la Cour des comptes. Il faut prévoir une sanction financière proportionnelle au chiffre d'affaires de l'entreprise fautive, car si l'on s'en tient à une amende de 150 000 euros, les très gros opérateurs, étant donné l'ampleur des bénéfices qu'ils retireront de l'exploitation des données auxquelles ils auront accès, choisiront d'assumer ce risque. Je partage donc le point de vue exprimé devant vous par M. Christian Babusiaux à ce sujet.

Je ne pense pas que le recensement des pratiques individuelles en médecine de ville fondé sur les données extraites du SNIIRAM soit une voie très prospère. On connaît les classements de services hospitaliers faits à partir des données du PMSI et parus dans la presse, qui incitent, par exemple, les patients qui doivent subir une opération chirurgicale liée à une affection thyroïdienne à se rendre pour cela dans une certaine clinique nantaise plutôt qu'ailleurs. Il s'agit d'une appréciation collective sur la qualité d'un service donné ; or, dans un même établissement, les niveaux de compétence selon les services peuvent varier d'« excellent » à « bien », et nous pensons qu'une équipe ne se maintiendra pas si elle compte en son sein un canard très boiteux, car il portera inévitablement atteinte au groupe.

Au Royaume-Uni, on utilise les données de santé pour mesurer la qualité des pratiques professionnelles en redescendant de la structure de regroupement jusqu'à l'individu. Il serait redoutable que nous nous engagions dans cette voie, qui provoquerait appréhensions et révolte – et pourquoi individualiser les praticiens alors qu'on se refuse à individualiser les patients ?

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La question se pose en effet, d'autant que l'existence de contrats de soins et de réseaux constitués par affiliation, couplée à la codification des actes et à la définition de référentiels, soumet de fait certains praticiens à d'éventuels diktats médico-économiques fondés sur des critères assurantiels, lesquels ne sont pas nécessairement la réponse pertinente aux besoins de nos concitoyens et aux impératifs de santé publique. La financiarisation des données de santé comporte un risque réel.

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Jacques Lucas, vice-président du Conseil national de l'Ordre des médecins, délégué général aux systèmes d'information en santé

C'est d'autant plus vrai que, pour favoriser l'équipement territorial et tenir compte de la forte demande exprimée par les professionnels de santé, notamment les médecins, on s'oriente vers un exercice des soins groupé – ce pourquoi la loi a introduit dans le code de la santé publique la notion d'« équipe de soins ». En l'état de la loi, cette équipe pourrait être évaluée par le biais des données du SNDS, mais nous ne pensons pas opportun de structurer l'évaluation individuelle des pratiques sur ce fondement. C'est le point de vue de l'Union nationale des professionnels de santé (UNPS), et il avait été convenu au sein du groupe de concertation que la question devrait être étudiée plus attentivement avant de décider que les médecins seraient dorénavant « labellisés » ou notés en fonction des données collectées par le SNDS.

Vous nous avez demandé, quasi insidieusement, si une évaluation faite de cette manière ne serait pas préférable aux opinions subjectives des internautes. Je ne suis pas sûr que, même si les médecins étaient notés en fonction de données objectives du SNDS, les internautes ne continueraient pas d'exprimer des avis bien plus impulsifs qu'argumentés. Revenons-en à notre patient dont la thyroïde a été opérée : une fois le pansement retiré, la plaie, pendant huit jours, n'est pas belle à voir. Ce peut être le point de départ de commentaires ravageurs, sur le mode : « N'allez pas consulter ce chirurgien, c'est un boucher ! », alors que la cicatrice sera parfaite trois semaines plus tard. Or, les médecins ne peuvent répondre à ces commentaires malveillants ; ils devraient au moins pouvoir se défendre de telles attaques publiques. Nous avons saisi la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes à ce sujet, ainsi que la société Google.

En résumé, le dossier reste à instruire : on ne peut balayer d'un revers de main l'idée d'utiliser les données collectées par le SNDS aux fins d'évaluation des pratiques professionnelles, mais mieux vaudrait peut-être le faire pour des regroupements ou dans un territoire donné – si l'on souhaite, par exemple, comprendre pourquoi la consommation de soins pour une pathologie donnée est plus importante dans une certaine région que dans une autre alors que l'indice de mortalité est partout le même.

La cinquième recommandation de la Cour des comptes est d'exploiter les potentialités du SNIIRAM « pour sanctionner plus systématiquement les comportements abusifs, fautifs et frauduleux ». Pourquoi pas, en effet, si la preuve de ces manquements est fondée sur des données objectives, puisque ces comportements sont déjà l'objet de sanctions ?

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J'ai été à l'origine de l'interconnexion de tous les fichiers, et je pense que l'exploitation des données pour combattre la fraude en matière sociale est encore insuffisante, mais je rappelle que cette fraude ne porte que pour un quart ou un tiers sur les prestations, le reste étant une fraude aux prélèvements, par travail dissimulé ou emploi de travailleurs détachés.

Quels sont selon vous les usages les plus intéressants de l'exploitation des données de santé ? Le CNOM y a-t-il recours et, si tel est le cas, pour quel emploi ? Quel degré d'agrégation des données par spécialité et par territoire protège d'une part les professionnels de santé des risques de ré-identification et donc d'atteinte à l'indépendance de la prescription, d'autre part les patients des risques de rupture de la confidentialité et de ses conséquences possibles en termes d'assurance ?

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Jacques Lucas, vice-président du Conseil national de l'Ordre des médecins, délégué général aux systèmes d'information en santé

Sous la présidence de M. Didier Sicard, l'actuel Institut des données de santé (IDS) a estimé souhaitable que nous participions au comité d'experts, mais c'est tout récent. Je rappelle que tout a commencé après que M. Sicard eut cosigné avec M. Jean de Kervasdoué une tribune dans Le Monde, dans laquelle tous deux fustigeaient la sous-exploitation, tant par la puissance publique que par l'assurance maladie et les chercheurs, du précieux matériel que sont les données publiques de santé.

Parce que l'on parle beaucoup de burn out et de suicides chez les professionnels de santé, le CNOM avait l'idée de faire procéder à une étude sur l'état de santé du corps sanitaire français en croisant le répertoire d'identification des personnes physiques et le répertoire partagé des professionnels de santé. Après avoir, bien sûr, recueilli l'accord de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL), il nous faudra passer par un tiers de confiance, universitaire titulaire d'une chaire de santé publique ou chercheur à l'Institut national de la santé et de la recherche médicale, pour nous assurer que les informations recueillies ne permettent pas d'identifier les individus. Les médecins en difficulté peuvent nous être signalés par le biais de la fonction d'entraide du CNOM et nous nous efforçons de les aider. Là, c'est autre chose : il s'agit de dresser le tableau de l'état sanitaire des professionnels de santé dans leur ensemble et de leur consommation de soins. L'UNPS a de l'exploitation des données de santé une expérience plus grande que la nôtre mais qui reste mesurée, car il ne suffit pas d'avoir accès à ces données : il faut aussi disposer de capacités et de ressources propres spécifiques pour les traiter.

Étant donné le très faible nombre de médecins qui exercent dans certains territoires, l'échelon pertinent pour procéder à de telles études sans courir le risque de remonter jusqu'à l'individu est probablement le département.

De même, pour les patients, une expertise technique nous semble nécessaire pour déterminer le niveau de granularité acceptable des données agrégées, celui qui ne permet pas de ré-identifier les malades – en sachant que ce risque ne pourra pas être totalement exclu, notamment si les recherches portent sur des pathologies rares.

Le risque, vous l'avez souligné, est que les assureurs fixent une cotisation en fonction du risque individuel, ce qui est actuellement interdit par la loi ; faut-il, monsieur le député, renforcer la loi ?

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Je suis un grand partisan de l'assurance maladie obligatoire, et très réservé à l'idée de décliner les contrats en fonction de tranches d'âge. C'est une hérésie si l'on se rappelle l'esprit dans lequel a été créée notre sécurité sociale, expression de la solidarité nationale. Je pense que mon collègue Renaud Gauquelin ne me contredira pas.

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Jacques Lucas, vice-président du Conseil national de l'Ordre des médecins, délégué général aux systèmes d'information en santé

Non plus que le CNOM !

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Je me réjouis de constater qu'en ces temps troublés le consensus reste possible sur certains sujets.

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Jacques Lucas, vice-président du Conseil national de l'Ordre des médecins, délégué général aux systèmes d'information en santé

Certes, mais ce n'est pas parce que ce consensus s'exprime dans l'enceinte de l'Assemblée nationale que la pression économique ne joue pas.

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C'est bien pourquoi je tiens à dire les choses clairement, puisque l'utilisation croisée des métadonnées, de la médecine prédictive et du séquençage du génome permettrait d'affiner les contrats d'assurance complémentaire santé en fonction des risques de maladie potentiels. Le développement obligatoire des assurances complémentaires amplifie ce risque.

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Jacques Lucas, vice-président du Conseil national de l'Ordre des médecins, délégué général aux systèmes d'information en santé

C'est aussi pourquoi le CNOM a rendu public un avis adressé au ministère au sujet de la téléconsultation offerte par un assureur privé, demandant si cela marque le désengagement de l'assurance maladie au profit des assureurs. Nous attendons encore une réponse – et, en cas d'alternance politique, la question restera posée.

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La masse de données de santé collectées va considérablement progresser et, en parallèle, les piratages informatiques malveillants. La complexité de l'arborescence sanitaire et l'hétérogénéité des procédures et des logiciels renforcent les risques d'atteintes à la sécurité informatique et donc à la confidentialité des données de santé. Le CNOM a-t-il engagé une réflexion à ce sujet ?

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Jacques Lucas, vice-président du Conseil national de l'Ordre des médecins, délégué général aux systèmes d'information en santé

Nous rappelons régulièrement par des communiqués que, pour les médecins comme pour les autres professionnels de santé, la sécurité informatique est une exigence déontologique. Ceux qui ne respectent pas la procédure mise au point pour assurer la confidentialité des données de santé sont donc en infraction. Pourtant, dans certains hôpitaux, les postes de travail sont ouverts à tous – au mieux, mots de passe et identifiants sont scotchés sur les appareils, de même que les codes des cartes d'authentification quand il en faut une ! Quand je suis témoin de tels errements, je fais observer à mes confrères qu'il ne leur viendrait pas à l'idée de laisser leur carte bancaire accompagnée de son code près d'un distributeur automatique de billets... L'Ordre doit faire un effort pédagogique puis en venir aux sanctions disciplinaires, mais l'État doit se préoccuper de la sécurité de l'accès aux bases de données de santé, mise en péril par ces failles béantes.

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La Cour des comptes s'en est inquiétée et a recommandé que la prochaine convention d'objectifs et de gestion (COG) de la CNAMTS prévoie expressément le rehaussement du niveau de sécurité informatique du SNIIRAM.

À quelles sanctions ordinales faites-vous référence ?

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Jacques Lucas, vice-président du Conseil national de l'Ordre des médecins, délégué général aux systèmes d'information en santé

Aux sanctions qui s'appliquent à la violation de l'article 4 du code de déontologie médicale, relatif au secret professionnel, ainsi que de son article 73 qui traite de la conservation et de la protection des documents médicaux en ces termes : « Le médecin doit protéger contre toute indiscrétion les documents médicaux concernant les personnes qu'il a soignées ou examinées, quels que soient le contenu et le support de ces documents […] »

Les risques sont démultipliés depuis la dématérialisation, car il est plus facile de faire une intrusion dans un système informatique que d'emporter sur l'épaule une armoire métallique contenant les dossiers papier des patients. Des mesures répressives existent et il faudra peut-être, malheureusement, en arriver là pour l'exemple, mais il y a sans doute d'autres moyens, insidieux mais plus efficaces. Pour les établissements hospitaliers, les dotations pourraient être modulées en fonction du degré de sécurité informatique défini pour protéger les données personnelles des patients. Pour les praticiens libéraux, la sécurité des postes informatiques pourrait être prise en compte dans la rémunération sur objectifs de santé publique (ROSP) – actuellement, seul l'est le niveau d'informatisation, sans que l'on se préoccupe du fonctionnement choisi.

La Cour de comptes a estimé dans l'un de ses rapports que l'informatisation des cabinets médicaux n'aurait pas dû être comprise dans la ROSP. C'est, à mon avis, une erreur d'analyse, car si l'on veut faciliter le fonctionnement du système de santé, il faut des incitations : si un praticien fait les efforts nécessaires pour garantir son authentification, son comportement vertueux doit être reconnu.

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Avez-vous des recommandations à faire sur la qualité des informations collectées, dont certains considèrent la médicalisation inaboutie ?

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Jacques Lucas, vice-président du Conseil national de l'Ordre des médecins, délégué général aux systèmes d'information en santé

La Cour des comptes considère que coder les actes ne suffit pas et qu'il faudrait également coder les pathologies. Le CNOM observe qu'est prévue dans la dernière convention une cotation spécifique pour les consultations relatives aux pathologies complexes, notamment pour le suivi des patients séropositifs. Mais toute cotation spécifique étant parfaitement identifiante, cela peut, en fonction des pathologies, avoir un effet stigmatisant et discriminant pour les patients. J'ai évoqué les patients porteurs du virus de l'immunodéficience humaine (VIH), mais l'on peut imaginer qu'il en serait de même si, en raison d'une couverture vaccinale imparfaite, on assistait à une flambée de tuberculose, cette maladie étant parfois, sottement, considérée sinon comme une marque d'infamie du moins comme justifiant un possible ostracisme. C'est pourquoi le CNOM appelle l'attention sur le risque que comporte le codage des pathologies ayant entraîné une prescription. Nous ne savons quelle solution envisager, car nous sommes conscients que, pour garantir la qualité des données, il faut s'assurer, autant que faire se peut, que la prescription correspond bien à la pathologie prise en considération.

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Nous sommes nombreux, au sein de l'Assemblée nationale, à penser que l'assurance maladie ne doit pas dépendre du mode de vie. L'approche retenue au Royaume-Uni où, selon que l'on est fumeur, skieur ou alpiniste, on a droit à tel ou tel contrat, est contraire à l'esprit même de la sécurité sociale française.

Je suis par ailleurs inquiet de la perte de substance du secret médical. Il me paraît stupéfiant que, si vous téléphonez à un hôpital en vous présentant comme l'ami médecin d'une personne hospitalisée, on vous donne presque systématiquement des indications sur son état de santé alors même que vous n'êtes pas son médecin traitant. De plus, les patients eux-mêmes ne savent plus ce qu'est le secret médical et déballent leur pathologie à tout va, ce qui peut entraîner bien des abus, notamment de la part d'un employeur peu scrupuleux.

Sur un autre plan, je trouve choquant que des hebdomadaires publient des listes de ceux qui seraient les « meilleurs » et les « pires » services hospitaliers, en se fondant sur des bases contestables. Comme la presse n'est pas totalement indépendante des pouvoirs d'argent, on peut s'interroger sur le sérieux de ces publications et sur leur impact : je crains un retentissement sur les suites opératoires quand un patient qui vient de se faire opérer de la prostate lit, deux jours plus tard, qu'il aurait mieux fait de s'adresser ailleurs. Ces classements ne me paraissent pas assez contrôlés sur le plan scientifique.

Mon troisième sujet d'inquiétude est la télémédecine. Je suis de ceux pour qui un diagnostic médical est fondé sur l'interrogatoire puis l'examen du malade. On ne fait pas un diagnostic par télémédecine sans risque d'erreurs, erreurs qui peuvent être très graves. La télémédecine doit être beaucoup mieux encadrée, et si, à l'heure de la désertification médicale, ce peut être un outil complémentaire, ce ne peut en aucun cas être l'alpha et l'oméga de la médecine de demain.

Enfin, nous avons adopté le principe de l'aide au répit pour les aidants familiaux des patients atteints de la maladie d'Alzheimer, mais nous ferions bien, comme vous l'avez indiqué, de nous occuper des soignants dont on sait que l'état sanitaire laisse à désirer, y compris pour la vaccination : ainsi, combien de chirurgiens sont vaccinés contre l'hépatite B ? Surtout, j'aimerais savoir quel est le véritable nombre de suicides chez les médecins : il est très certainement supérieur au nombre officiel, déjà effarant, en raison d'une certaine habileté professionnelle à faire la chose discrètement. La question mérite que l'on s'y intéresse, de même qu'aux cas de burn out, comme vous l'avez opportunément indiqué.

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Jacques Lucas, vice-président du Conseil national de l'Ordre des médecins, délégué général aux systèmes d'information en santé

La MECSS pourrait consacrer une audition à la télémédecine et aux économies qu'elle peut permettre, à qualité égale. Ce serait très intéressant, car la CNAMTS – comme la direction de la sécurité sociale (DSS) du ministère – est tétanisée à l'idée que cela va entraîner des coûts, alors qu'elle a les moyens d'effectuer des contrôles puisque l'acte de télémédecine pourrait être tracé dans le dossier médical partagé (DMP). Le principe du DMP a été adopté, des fonds publics lui sont alloués ; cet outil doit servir.

Je partage votre point de vue sur le diagnostic formel, mais l'on sait bien que, très souvent, quand on prend un patient en charge, la consultation se conclut par l'indication d'une conduite à tenir davantage que par un diagnostic. En cas de douleurs thoraciques, par exemple, le cardiologue prescrira des examens complémentaires avant de poser un diagnostic formel d'insuffisance coronaire. D'autre part, la régulation des appels vers le service public par le centre 15 est bien le cinquième acte de télémédecine, et cela rend service dans l'organisation des soins.

Pour ce qui est du secret médical, quand les citoyens aliènent leurs libertés en se répandant sur Twitter et Facebook en confidences sur leurs affections, on ne peut les protéger d'eux-mêmes contre leur gré. Nous avons demandé avec insistance à M. Xavier Bertrand, alors ministre de la santé, et ensuite sans désemparer, la tenue d'un débat public avant que le Parlement légifère – ou décide de ne pas légiférer. Nos demandes réitérées n'ont jamais abouti ; seules ont eu lieu des concertations à la portée limitée. Mais, sur le fond, je partage votre opinion, monsieur Gauquelin.

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La finalité n'est pas de substituer la télémédecine à la médecine classique mais de faire qu'elle participe d'un système multivectoriel.

Je vous remercie, monsieur Lucas, pour la précision de vos réponses.

La séance est levée à quinze heures.