COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES
Mardi 13 octobre 2015
Présidence de Mme Danielle Auroi, Présidente de la Commission
La séance est ouverte à 17 h 15
Réunion conjointe, en visioconférence, avec la commission des Libertés civiles, Justice et Affaires intérieures du Parlement européen, sur les questions migratoires
Je salue mes collègues, parlementaires européens et députés de l'Assemblée nationale. Je suis heureuse que nous ayons pu organiser cette réunion en visio-conférence qui rassemble nos deux commissions. Il me paraît essentiel qu'un dialogue de plus en plus étroit se noue entre les parlementaires européens et les parlementaires nationaux sur les principaux sujets de l'actualité européenne et les perspectives politiques de l'Union. En un temps où la construction européenne est mise en cause par les nationalismes et populismes de tous genres, il est crucial que la voix des Parlements se fasse entendre. Nous pouvons contribuer, ensemble, à un renouveau européen, dans un esprit de complémentarité entre le Parlement européen, co-législateur, et les parlements nationaux, qui doivent constituer une capacité d'influence et de proposition – nous nous y attachons à l'Assemblée nationale.
Nous traiterons d'un sujet majeur pour l'avenir du continent. La question migratoire qui fait la une des journaux est au coeur des valeurs de solidarité qui constituent notre Union : solidarité avec les personnes en danger, mais aussi entre les États membres, singulièrement avec la Grèce, l'Italie et Chypre, pays sur lesquels pèse un poids très lourd.
Face à la crise migratoire, nous avons besoin de plus d'Europe et d'une Europe plus démocratique encore, non d'un repli nationaliste, toujours dangereux ; le Président François Hollande l'a rappelé devant le Parlement européen, la semaine dernière, en compagnie de la Chancelière Angela Merkel.
Le 9 octobre dernier, le Conseil de sécurité des Nations Unies a autorisé l'Union européenne à arraisonner en haute mer des navires de migrants venus de Libye. Cette résolution, qui était débattue depuis juin, n'est qu'une partie de la solution – et l'est-elle-même ? À mon avis, l'usage de la force ne résoudra rien, bien au contraire et je regrette de constater qu'il est plus facile aux Européens de s'entendre pour faire la guerre que d'ouvrir les bras. S'attaquer aux embarcations qui transportent les migrants en disant que l'on s'attaque aux passeurs, c'est d'abord s'attaquer aux réfugiés.
Le 20 mai 2015, j'interpellai d'ailleurs notre Premier ministre à propos du rejet par la France de la proposition du Président Juncker tendant à une répartition équitable des migrants : construire une ligne Maginot, selon l'expression que j'avais alors employée, contre des civils fuyant la guerre, la persécution et la misère était « totalement illusoire et voué à l'échec ». L'actualité me donne malheureusement raison.
L'attitude offensive et constructive du Parlement européen et plus particulièrement de la commission des libertés civiles, de la justice et des affaires intérieures du Parlement européen – la commission LIBE –, que je salue, a été un élément clef de l'évolution des positions, amenant à l'adoption du principe de répartition équitable et contraignant des réfugiés. Nous serons bien sûr très intéressés par ce que vous aurez à nous dire sur ce point.
Ce principe doit avoir pour corollaire une meilleure gestion des frontières extérieures de l'Union. Jeudi dernier, la présidence luxembourgeoise a appelé, à raison, à la création d'un corps de garde-frontières européens ; c'est une demande que nous faisons depuis longtemps et nous entendrons vos points de vue à ce sujet avec un vif intérêt.
De nombreux chantiers sont devant nous ; je n'en évoquerai que quelques-uns. Doit-on mettre en place des règles européennes communes en matière de droit d'asile ? Si oui, sur quelles bases ? Permettre aux nouveaux arrivants de travailler rapidement est essentiel pour leur bonne intégration. Malheureusement, la proposition faite en ce sens par le Président Juncker a été rejetée ; qu'en pensez-vous ?
Sur le plan diplomatique, comment aider les pays qui accueillent les migrants en grand nombre ? L'Europe est loin d'être en première ligne : n'oublions pas que les pays voisins de la Syrie portent la charge la plus lourde et prennent le plus grand nombre de réfugiés en charge.
Enfin, comment renforcer l'accueil de l'Union européenne pour l'immigration régulière et la valoriser davantage ? N'oublions pas que les migrants ne sont ni un fléau, ni une menace. Bien au contraire, ils peuvent constituer une chance majeure pour nos pays ; la solidarité peut permettre le bien-être pour tous.
(Interprétation) Je me félicite de l'organisation de cette visio-conférence. C'est une méthode efficace, économique et écologique pour faire se parler des interlocuteurs réunis en des lieux différents. C'est une première pour notre commission et je ne doute pas que l'exercice sera fructueux.
Nous sommes amenés à traiter des migrations, de la situation des réfugiés et des questions connexes. La commission LIBE prépare un rapport stratégique sur la situation en Méditerranée et la nécessité d'une approche globale en matière de migrations. Nos co-rapporteures, Mmes Roberta Metsola et Cécile Kyenge, parties en mission en Tunisie dans ce cadre, ne pourront participer au débat.
La commission LIBE a auditionné de nombreux experts, venus traiter devant elle de sujets variés : la solidarité, le partage équitable des responsabilités, la lutte contre le trafic et l'exploitation des migrants, la gestion des frontières, la politique en matière de visas, le développement de voies plus sûres pour les demandeurs d'asile et les réfugiés, la coopération avec les pays tiers. Pour sa part, dans le cadre de l'Agenda sur la migration, la Commission européenne a formulé plusieurs propositions législatives : la mise au point d'un système contraignant de relocalisation des réfugiés ; la création de hot spots pour assurer le premier accueil dans les pays situés aux frontières extérieures, l'identification des migrants et de leurs besoins et la systématisation de la prise d'empreintes digitales ; la constitution d'une liste commune européenne des pays d'origine sûrs. La réunion qui s'ouvre permettra une discussion approfondie sur ces thèmes et, plus généralement, sur la migration, le droit d'asile et la politique européenne de gestion des frontières.
Comment accueillir avec humanité les réfugiés qui arrivent à nos portes ? Cette question est au premier rang des préoccupations du groupe PPE. Une approche globale de la question des migrations est nécessaire : il faut mettre un terme à la guerre en Syrie et à la déliquescence de la Lybie, et renforcer la politique étrangère et de défense commune. Mais, avant cela, notre devoir fondamental, même si nous ne pouvons accueillir tout le monde en Europe, est de sauver les vies de ceux qui s'y risquent. J'ai guidé la délégation de la commission LIBE qui s'est rendue à Lampedusa et auprès des missions Triton et Mare sicuro en Méditerranée, et je reviens de Bodrum, en Turquie, là d'où, chaque nuit, des milliers de personnes risquent leur vie pour parvenir sur nos côtes. Ces opérations sont efficaces mais insuffisantes et elles doivent être renforcées, surtout en Méditerranée orientale.
Mais les secours en mer, aussi indispensables qu'ils soient, ne font pas une politique. La question que nous devons nous poser est : pourquoi tant de gens veulent-ils venir en Europe ? Au moment où ils arrivent aux frontières de l'Union européenne, il est très important de les enregistrer. Nous devons contrôler nos frontières et renforcer notre combat contre les trafiquants d'êtres humains. Je suis à ce sujet en désaccord avec vous, madame la présidente : je considère pour ma part que combattre les trafiquants, ce n'est pas combattre les migrants mais les protéger de criminels qui les exploitent.
Il faut aussi mettre en pratique les règles communes existantes, en particulier celles qui concernent l'asile ; or, les États membres ne le font pas. Aussi, je demande à l'Assemblée nationale française de faire tout ce qui est en son possible pour que les 28 États membres assument, tous, leur responsabilité, qui est d'accueillir les réfugiés avec humanité, selon les dispositions qui régissent le droit d'asile, en les distinguant des migrants économiques, auxquels doivent s'appliquer les normes et procédures communes figurant dans la directive relative au retour des immigrants en séjour irrégulier au sein de l'Union européenne.
Êtes-vous d'accord avec notre ligne, qui est de passer d'un système volontaire d'accueil des réfugiés à un système obligatoire de quotas ? Le nombre de 160 000 migrants sur lequel l'accord s'est fait n'est pas suffisant. Il faut aussi mettre en oeuvre le plan d'action que nous venons de lancer avec la Turquie, et soutenir davantage les efforts de ce pays en faveur des 2 millions de personnes actuellement réfugiées sur son territoire.
Face à la crise migratoire, l'Europe doit être plus forte que jamais, à l'inverse de ce que veulent nous faire croire certains populistes et souverainistes. Le repli national serait une aberration face à l'ampleur de la crise des réfugiés, qui implique une solidarité européenne accrue et des mesures nouvelles.
Avant cette crise sans précédent, les flux migratoires étaient considérés par les gouvernements comme relevant exclusivement de leurs prérogatives nationales. Aujourd'hui le constat est sans appel : toutes les frontières de l'Union sont les frontières de chacun des États. Croire qu'un pays peut résoudre seul la question est utopique. S'isoler, comme le voudraient certains, c'est se fragiliser. Moins d'Europe signifierait la fin du projet européen, comme l'a rappelé le Président Hollande le 7 octobre devant le Parlement européen.
Depuis le début de l'année, 600 000 femmes et hommes fuyant la misère, les persécutions, la dictature et la guerre après avoir été rackettés par les esclavagistes modernes que sont les réseaux de passeurs ont rejoint le continent européen.
Le 3 juin dernier, j'ai présenté à notre commission le programme européen en matière de migration qu'avait publié la Commission européenne le 13 mai. Je le disais alors et je le redis ici, ce défi est peut-être le plus périlleux que l'Union européenne ait connu depuis sa création ; il s'agit d'une vraie bataille qui se mènera sur trois fronts : le front humanitaire de sauvetage des vies en mer ; le front de l'accueil des réfugiés : la relocalisation ; le front stratégique et géopolitique afin de stabiliser l'environnement moyen-oriental.
Vendredi 9 octobre, les premières relocalisations de réfugiés ont été lancées depuis l'Italie. Qu'en est-il aujourd'hui de la politique de la Commission européenne s'agissant des ordres de reconduite à la frontière et de leur exécution ? Sur les 400 000 ordres de reconduite signés depuis deux ans, 160 000 seulement auraient été exécutés. Quid, enfin, de l'action diplomatique ? Elle doit devenir un axe essentiel de notre politique, ce qui n'est pas évident pour l'Europe qui a encore du mal à peser sur les grands enjeux géopolitiques en raison de la disparité des positions exprimées par les États membres.
Nous sommes des législateurs, et nous devrions prendre position sur les principaux chantiers législatifs qui ont été engagés – mécanisme de relocalisation, liste de pays sûrs, projet de garde-frontières européens…
Notre groupe soutient une approche globale, c'est-à-dire une politique de l'immigration conjuguée à une gestion européenne des frontières et, bien sûr, au respect des droits de l'homme. Il faut appliquer sans faillir les principes de solidarité et de partage équitable de responsabilités entre les États membres consacrés par l'article 80 du traité sur le fonctionnement de l'Union, et aussi réviser le règlement Dublin II en prévoyant la répartition et la réinstallation obligatoires des réfugiés. Le droit d'asile doit être reconnu comme un droit individuel, et les demandes être soumises, à ce titre, à un examen individuel. Et pour que l'Union européenne participe autant qu'elle le doit aux sauvetages en mer, il faut augmenter le budget prévu à cet effet en 2016.
Enfin, on connaît les raisons des migrations illicites : la pauvreté, les inégalités, les injustices, les conflits armés. Il faut donc établir des corridors humanitaires – des voies d'accès sûres et légales – mais aussi s'assurer que l'Union européenne a une politique commune des réfugiés et qu'elle favorise leur intégration dans le marché du travail, ainsi que l'immigration régulière.
M. Charles de La Verpillière, co-rapporteur sur les politiques européennes en matière de lutte contre l'immigration irrégulière au regard des migrations en Méditerranée. L'agence Frontex a rendu publics aujourd'hui les chiffres des migrations vers l'Union européenne en 2015. On y apprend que depuis le début de l'année jusqu'au 30 septembre, 710 000 migrants sont entrés en Europe ; ils étaient 282 000 en tout en 2014. Cette crise migratoire est un défi considérable pour l'Europe et sa solution sera nécessairement européenne. Je mettrai l'accent sur les mesures que le groupe Les Républicains souhaite voir prises par l'Union européenne et appliquées.
Il faut d'abord traiter les demandes d'asile le plus en amont possible – c'est-à-dire en Afrique et en Turquie ainsi qu'en Libye quand l'ordre y aura été rétabli – avant le franchissement de la Méditerranée, pour distinguer réfugiés et migrants économiques et permettre un retour plus rapide et plus facile vers les pays d'origine si la demande d'asile est rejetée. Dans cet esprit, le groupe Les Républicains salue la création des hot spots, dont le premier a été ouvert sur l'île de Lesbos, et souhaite que l'Union européenne approfondisse ses relations diplomatiques avec les pays d'origine et de transit pour faciliter les retours. Nous sommes aussi favorables à l'harmonisation des règles de traitement des demandeurs d'asile et à l'établissement à cette fin d'une liste commune des pays sûrs. Nous souhaitons enfin le renforcement de la lutte contre les trafiquants d'êtres humains et pour cela la création des instruments juridiques permettant la saisie et la destruction des embarcations des passeurs.
(Interprétation) La coopération entre les instances européennes et les États membres est essentielle pour trouver une solution de long terme à la crise actuelle. Ayant été secrétaire d'État à l'immigration du Royaume-Uni, j'ai étudié le droit français des étrangers ; il me semble à la fois très complet et différent de la législation britannique à ce jour, mais nous sommes en train de la faire évoluer. Rapporteur de la commission LIBE sur la proposition législative de mécanisme contraignant et permanent de répartition et de réinstallation des demandeurs d'asile dans l'Union européenne, j'aimerais connaître votre opinion à ce sujet. Le Gouvernement français est-il prêt à envisager un tel dispositif ? Pour gérer les demandes d'asile, la solution idéale, n'est-elle pas plutôt de régler à la source les crises qui déclenchent l'afflux de migrants ? En matière d'intégration, quels aspects jugez-vous les plus compliqués ? Nous connaissons tous des problèmes similaires sur ce plan, et nous savons que les relations entre les groupes qui composent une population peuvent être difficiles ; comment résoudre ce problème commun ?
L'afflux de réfugiés, ces derniers mois, a d'abord mis en évidence des frictions entre les Européens. L'incapacité de l'Union à faire face collectivement à ce défi dit la nécessité d'une plus forte intégration européenne. Tous les réfugiés doivent être accueillis dans l'Union européenne, et bien accueillis. C'est une réponse humaniste, et c'est un devoir au regard de notre histoire et des conventions internationales. Les États membres de l'Union qui refusent d'accueillir les réfugiés à la hauteur de leurs capacités, voire annoncent leur intention de sélectionner ces hommes et ces femmes en fonction de leur religion ou de leur nationalité, ces États-là devraient pouvoir être sanctionnés.
À court terme, la politique commune d'installation de hot spots est une bonne chose mais, à moyen terme, nous devrons définir une politique européenne de l'asile. Elle doit se traduire par des règles communes en matière de conditions d'admission, de répartition juste et équitable dans l'ensemble des États membres, d'installation, notamment en termes de droit du travail, de reconnaissance des diplômes et de mobilité intra-européenne. On peut imaginer la création d'un Office européen chargé de la mise en oeuvre de cette politique commune.
Je salue l'organisation de cette visio-conférence qui nous permet de débattre d'un défi historique sans précédent, auquel l'Union européenne doit apporter une solution au plus vite. Les hot spots commencent d'être installés aux frontières externes de l'Europe, ce qui est une bonne chose car ils doivent permette l'accueil dans la dignité – enfin ! – et le recensement des personnes déplacées pour distinguer les demandeurs d'asile d'une part, d'autre part les migrants économiques qui sont aussi dans une situation dramatique mais pour lesquels l'urgence n'est pas la même. Depuis le début de la crise, il y a plus de trois ans, nous demandons le soutien aux propositions avancées pour aboutir à une politique commune fondée sur la responsabilité et la solidarité, avec un mécanisme permanent de relocalisation et un engagement clair de notre pays, assorti de l'implication active et ambitieuse de la France dans la réinstallation chapeautée par les ONG. Outre cela, qu'en est-il de la transposition des textes ? Le « paquet asile » a été adopté il y a trois ans, mais la procédure parlementaire à ce sujet en France est encore au milieu du gué.
Député du groupe les Républicains, j'approuve les propos de mon collègue Charles de la Verpillière. L'Union européenne doit avoir une vision à long terme car, en l'espèce, on assiste à une réaction quelque peu tardive à un phénomène qui était déjà connu. Une politique d'asile commune est nécessaire, caractérisée à la fois par un statut reconnu de réfugié et par la reconduite à la frontière quand il le faut. Pour l'instant, les disparités sont remarquables : dans certains pays membres, 70 % des migrants sont reconduits à la frontière ; dans d'autres, dont la France, la proportion est inférieure à 20 %. Pour que la solidarité entre États membres soit réelle, il faut renforcer le rôle et les moyens de l'agence Frontex pour le contrôle des frontières extérieures, et notamment instituer un corps européen de garde-frontières. De tout cela, on parle depuis longtemps, mais les projets restent dans les cartons sans que jamais le taureau soit pris par les cornes. Il faut pourtant régler le problème à long terme, sans se limiter aux mesures d'urgence que justifie la crise aiguë actuelle.
La situation que nous connaissons est le signe inquiétant que l'Union européenne n'est pas à la hauteur du défi, alors même que les réfugiés accueillis en Europe ne constituent que 0,1 % de sa population. L'ordre du jour du Conseil européen qui se tiendra demain est éloquent. Il est certes question d'examiner le règlement Dublin II, mais pas de le supprimer ; on parlera en revanche d'arrêter le flux d'immigrants en durcissant la politique de rapatriement, privilégiant donc les mesures qui peuvent conduire à refouler des réfugiés. Le Conseil parlera aussi d'augmenter les moyens alloués à l'agence Frontex et d'installer des hot spots pour distinguer les réfugiés des migrants économiques. Or, M. Frans Timmermans, vice-président de la Commission européenne, a souligné à Strasbourg, il y a quelques jours, que 80 % de ceux qui arrivent en Europe sont des réfugiés. Je pense, comme Mme la présidente Danielle Auroi, qu'il n'y aurait pas de trafic d'êtres humains si l'on définissait des corridors humanitaires facilitant l'arrivée des fugitifs en Europe.
Le problème est certes considérable, mais même si un million de réfugiés se présentaient aux frontières européennes, ce n'est que 0,22 % de la population de l'Union qu'il faudrait accueillir ; est-ce vraiment insurmontable ? J'admire l'attitude de Mme Angela Merkel, qui a honoré l'Europe.
La relocalisation a commencé ; quelle évolution des positions des États espérer à ce sujet, tous n'étant pas au diapason ? Quelles mesures véritablement efficaces peuvent être prises pour améliorer l'accueil des réfugiés et les capacités d'intégration ? L'aide à la Grèce et à l'Italie, que l'on a laissées bien seules, sera-t-elle renforcée? Quelle évolution envisager dans les relations jusqu'alors ambiguës avec la Turquie mais aussi avec le Liban et la Jordanie ? Quelle politique extérieure européenne définir et comment lui donner la dimension onusienne nécessaire pour mettre en oeuvre des contrôles militaires aux frontières de la Libye et dans les eaux internationales de la Méditerranée ?
Les dernières réunions du Conseil européen m'ont donné le sentiment très désagréable qu'il n'y a pas d'Union européenne et que les intérêts nationaux prévalent. L'Italie, la Grèce et la Hongrie sont laissées en première ligne sans qu'une solidarité bien marquée s'exerce. Nous devons refonder le règlement Dublin II et nous comptons sur une proposition de la Commission européenne à ce sujet avant la fin de l'année.
En ma qualité d'ancienne présidente de la commission du développement du Parlement européen, je suis choquée que l'on ose proposer d'utiliser les fonds destinés à l'aide au développement pour le contrôle aux frontières alors même que cette aide n'a jamais été plus nécessaire. Je salue d'ailleurs le ministre Michel Sapin, qui a rétabli l'aide au développement que le Gouvernement français voulait fortement diminuer. La situation à Calais, où quelque 4 000 personnes vivent dans des conditions indignes, déshonore la France. Comment pouvons-nous être incapables d'héberger dignement 4 000 personnes ? On détruit leurs pauvres abris sans leur proposer un relogement ; l'Assemblée nationale est-elle consultée ? M. François Hollande se paye de mots ; en réalité, il n'a pas d'action pour intégrer les réfugiés en France. J'espère que les députés français ont des propositions pour y remédier.
Les migrations sont vouées à durer aussi longtemps que la guerre, l'extrémisme et la misère. C'est en renforçant l'Europe que nous pourrons lutter contre l'immigration clandestine. Il faut pour cela définir et une politique de long terme qui suppose une très forte aide au développement et une politique de défense commune et donc solidaire : l'Union européenne doit se doter des moyens d'intervenir militairement au lieu que ces opérations soient faites par quelques pays seulement. Il convient encore d'établir un corps de garde-frontières européens. Enfin, les institutions européennes doivent peser la crédibilité de leurs annonces. Ainsi, il a été dit que la France accueillera 24 000 migrants ; ce nombre est très faible mais la réalité est tout autre et le pays reçoit plusieurs centaines de milliers de migrants chaque année.
(Interprétation) Différents orateurs ont exposé que, rapporté à la population totale de l'Union européenne, le nombre de migrants arrivés en Europe est faible, mais tout dépend du pays où l'on se trouve. Ainsi, en 2014, le gain net de population au Royaume-Uni a officiellement été de 300 000 personnes, mais si l'on se réfère aux cartes d'assurance sociale distribuées, le nombre réel est plus proche de 800 000. Nous n'avons pas besoin d'un système d'asile commun qui encouragerait encore plus de gens à venir au Royaume-Uni alors que nous avons été confrontés à une immigration massive au cours des quinze dernières années. Le citoyen britannique moyen considère que nous ne pouvons plus accueillir de nouveaux arrivants en grand nombre.
À Calais, où les Français ont, au fil des ans, laissé la situation se dégrader, l'anarchie règne. Certaines des personnes qui sont là ne sont pas des réfugiés mais des migrants économiques très agressifs qui se livrent à des actes révoltants, intimidant et menaçant les chauffeurs routiers. C'est une véritable invasion et je demande aux Français de tout faire pour arrêter non seulement les auteurs de trafic d'êtres humains mais aussi les migrants qui causent des dommages. Cela doit avoir lieu sur la base d'un accord inter-gouvernemental bilatéral et non sur le fondement d'un accord européen. Une intervention militaire est nécessaire à Calais, comme elle l'est en Méditerranée, pour arrêter ce que la France doit reconnaître comme étant une invasion et permettre de nettoyer la ville.
Chacun convient que la question migratoire, phénomène mondialisé aux causes régionales, ne peut être traitée au niveau national. L'Union européenne doit lui apporter une réponse efficace et durable. Dans cette optique, la commission des affaires européennes de l'Assemblée nationale française avait déjà demandé le renforcement du budget et des moyens juridiques et humains alloués à Frontex ; cela reste nécessaire pour que l'agence puisse remplir les missions élargies qui lui ont été confiées.
Mais se posent aussi des questions précises sur la manière dont nous prendrons en charge l'arrivée des migrants en Europe. L'ouverture de hot spots dans les pays où les migrants se regroupent pour partir vers l'Union européenne a été décidée, afin de différencier d'emblée ceux qui sont éligibles au statut de réfugié des migrants dont le motif de rejoindre l'Europe est principalement économique. Mais la manière dont ces centres seront gérés et l'implication exacte de l'ensemble des États membres dans ce dispositif restent à déterminer. Or, sa réussite suppose d'une part que les procédures soient standardisées pour assurer l'efficacité et l'équité des décisions, d'autre part qu'une indispensable solidarité soit assurée aux États qui accueillent ces centres. Leur installation, leur fonctionnement et la mise en oeuvre des décisions négatives auront un coût élevé ; il ne pourra être supporté par les seuls pays en première ligne. Un engagement financier des États qui pourraient se considérer comme non concernés est donc nécessaire.
Mais si nous souhaitons ne plus devoir faire face, à terme, à une situation de ce type, l'Union européenne et les États membres doivent agir sur les causes des déplacements des réfugiés et des migrants économiques. Les sommes consacrées chaque année au développement et l'implication de notre diplomatie dans la résolution de la crise au Moyen Orient visent précisément à ce que ces hommes et ces femmes n'aient plus à quitter leurs pays au risque de leur vie. Enfin, il reste à préciser la manière dont la prise en charge doit se faire pour accueillir dans de bonnes conditions les migrants qui ont le statut de réfugié.
Je salue mes chers compatriotes. Le règlement de Dublin est mort : il a été emporté par la vague migratoire. Il est remplacé par une politique de relocalisation, c'est-à-dire de quotas de migrants : 40 000 en juin, 160 000 en septembre, et demain des quotas obligatoires qui représenteront des volumes beaucoup plus élevés, comme Mme Anna Maria Corazza Bildt, du Groupe du Parti populaire européen, vient de l'appeler de ses voeux. Il faut donc agir, et je me félicite de la prochaine tenue du sommet international de La Valette qui sera consacré à la coopération entre l'Union européenne et l'Union africaine. Plusieurs points de l'ordre du jour donnent de l'espoir : le renforcement de la coopération pour inciter les États concernés à garder leur population et de la politique de retour vers les pays d'origine et une lutte plus efficace, avec le concours des pays d'origine et de transit, à la traite des migrants, c'est-à-dire aux passeurs. Mais d'autres éléments sont plus inquiétants, notamment la perspective de « l'organisation de voies de migration légale ». Cet intitulé prouve que l'Union européenne ne cesse de se rallier à la philosophie immigrationniste décrite par le commissaire Avramopoulos : en juin déjà, évoquant la démographie européenne, il signalait que 50 millions de personnes manqueraient à l'Union à l'horizon 2060. De là à combler ce manque avec des migrants, il n'y a qu'un pas ; je crains que l'Union européenne ne soit en train de le franchir.
J'aimerais connaître l'avis de nos collègues du Parlement européen sur trois points qui me paraissent conditionner l'accueil des migrants en Europe. Quelles mesures et quels engagements envisager pour garantir l'éloignement des migrants définitivement déboutés de leur demande d'asile ? Quels sont les moyens d'action efficaces pour se prémunir du risque d'infiltration de djihadistes dans le sillage des victimes et des réfugiés politiques ? Comment harmoniser les moyens mis en oeuvre pour garantir la qualité de l'accueil, notamment l'accueil dans les écoles des enfants qui ne parlent pas la langue du pays où ils arrivent ? En France, on tarde un peu à mettre ces moyens en oeuvre.
(Interprétation) Ce n'est pas la première fois que l'Europe doit faire face à des flux migratoires importants et à des déplacements de population – que l'on veuille bien se rappeler les Kosovars fuyant les exactions de Milosevic lors de la crise dans les Balkans. À l'époque déjà, l'Allemagne avait accueilli toutes ces personnes avec générosité, comme elle le fait maintenant. Nous savons, depuis 1951, ce que sont des réfugiés. Qui sont-ils en ce moment ? Généralement, ce sont des Syriens qui fuient la guerre, des Irakiens, des Érythréens, des Libyens. La guerre en Syrie a créé 4 millions de réfugiés ; s'y ajoutent ceux qui ont fui vers la Turquie, la Jordanie et le Liban, si bien que les personnes déplacée sont, en tout, 7 millions. Elles continuent d'arriver en Europe. Cet exode forcé s'explique bien sûr par la guerre, mais il y a aussi des gens qui achètent de faux passeports syriens en Turquie, et des passeurs et des taxis qui s'enrichissent avec ce commerce de la mort. Ceux dont on parle sont la plupart du temps des réfugiés mais, dans le nombre, il y a aussi des opportunistes et des délinquants.
En conséquence, nous devons faire preuve de compassion et accueillir de manière illimitée les réfugiés, solidairement, en répartissant correctement les arrivants, mais nous devons aussi définir une politique de retour effective pour ceux qui ne sont pas de véritables réfugiés. La création de hot spots, le plus vite possible, est donc indispensable pour recenser et enregistrer tous ces gens, distinguer les réfugiés de ceux qui ne le sont pas et appliquer, pour ces derniers, une politique de retour effective. Autant dire que pour mener cette politique à bien, un budget de 460 000 euros est insuffisant. La Croix-Rouge et le Croissant-rouge devront aussi intervenir. Nos capacités d'accueil sont bien supérieures à 160 000 personnes et nous pouvons améliorer les choses, mais nous prenons actuellement des mesures d'urgence. Nous devons nous attaquer aux causes de cette situation en combinant mesures coercitives et diplomatiques pour mettre fin au conflit en Syrie. Le temps me manque pour traiter du rôle de la Turquie et de la Russie dans cette crise ; nous y reviendrons à une autre occasion.
L'Europe est devenue ces derniers mois un champ migratoire mondialisé. Le dernier rapport de l'agence Frontex comptabilise 100 000 entrées irrégulières dans l'Union européenne en juillet 2015 et les derniers chiffres indiquent que 710 000 migrants sont arrivés sur le territoire de l'Union depuis le début de l'année ; ils viennent s'ajouter à ceux qui étaient entrés précédemment. La majorité d'entre eux fuient la barbarie et les conflits en Syrie et en Libye. Des mesures d'urgence, principalement des relocalisations, ont été arrêtées, et un budget a été prévu pour 2015 et 2016 ; mais l'on ne peut s'en tenir à une redistribution des migrants par quotas. Notre partenaire allemand lui-même a été débordé par l'ampleur de l'afflux en dépit du plan d'action en dix points élaboré en avril dernier par le conseil conjoint des ministres des affaires étrangères et de l'intérieur. Il faut certes parer aux besoins immédiats, mais la diversité d'origine des populations et l'ampleur du mouvement imposent la mise en oeuvre urgente de coopérations vertueuses avec les pays périphériques à l'espace Schengen, le renforcement des contrôles aux frontières et l'établissement de hot spots à l'extérieur de l'Union européenne. La politique européenne en matière de migration ne dispose pas encore de mécanismes impliquant tous les membres pour la gestion régulière des pressions migratoires qui inquiètent nos populations. Quel est l'état de la réflexion de nos collègues du Parlement européen à ce sujet ?
(Interprétation) Mon groupe se félicite que l'immigration figure au nombre des priorités de l'Union européenne, mais nous sommes préoccupés de constater que l'accent n'est pas suffisamment mis sur l'approche humanitaire de la question et donc sur la protection des personnes. Il faut prendre de la distance avec la vision utilitaire de la migration et ne pas voir les choses seulement du point de vue de la sécurité et du contrôle. Le groupe de l'Alliance progressiste des socialistes et démocrates souhaite la mise en oeuvre complète, dans les délais les plus brefs, de la décision de relocalisation prise par le Conseil européen, sans que les États reportent indéfiniment la répartition des réfugiés. Nous demandons aussi la révision du règlement Dublin II, et que, dans l'intervalle, des normes respectant la dignité des personnes s'appliquent partout en Europe. Nous pensons enfin que des politiques nationales plus affirmées doivent être conduites pour favoriser l'intégration des réfugiés dans les pays d'accueil. Que fait la France pour susciter ce dialogue entre communautés ?
Le premier défi auquel l'Union européenne doit répondre est celui du secours en mer, pour sauver des vies ; la question se pose encore. Ensuite, la difficulté naît de ce que les personnes arrivant sur les côtes européennes sont pour certaines des réfugiés, pour d'autres des migrants. La question migratoire est un enjeu pour l'avenir, car l'Europe ne peut espérer vivre en paix, comme sur une île, dans un monde en difficulté en raison des différences de développement économique et des questions climatiques. Nous devons tout mettre en oeuvre pour limiter par une politique de coopération l'arrivée de migrants, en intervenant dès l'origine dans les pays concernés. Pour ce qui est des réfugiés, notre responsabilité est-elle de les assimiler, ou leur offrir un abri – et quel abri ? – en attendant le retour de la paix dans leur pays ? Nous avons pour responsabilité de tout faire pour supprimer les causes de leur arrivée en Europe, c'est-à-dire pour favoriser le retour de la paix dans les pays considérés.
(Interprétation) La Finlande pense recevoir 50 000 demandes d'asile cette année. C'est quatorze fois plus que le nombre habituel, et c'est beaucoup pour un pays de 5 millions d'habitants. La situation est encore plus préoccupante en Suède. Des questions pratiques se posent à nous, et j'aimerais savoir comment d'autres pays s'essayent à les résoudre. Jusqu'à présent, parce que nous n'avons pas d'autres possibilités d'accueil pour autant de personnes, nous avons trouvé des abris temporaires pour les demandeurs d'asile : dans des écoles, des hôpitaux, des prisons, des casernes et même sous des tentes. Mais nos procédures sont engorgées par cet afflux : l'examen d'une demande d'asile prend généralement six mois et, étant donné la situation, ce délai va s'allonger.
Ceux qui viennent en Finlande sont presque exclusivement des jeunes Somaliens et Irakiens, parce qu'ils ont lu sur l'Internet qu'ils ont plus de chance d'obtenir une protection internationale chez nous que dans d'autres pays européens. Par exemple, le taux d'octroi du statut de réfugié aux demandeurs d'asile irakiens est de 75 % en Finlande et de moins de 15 % au Danemark. Ces gens qui arrivent chez nous avec de grandes espérances se sentent frustrés quand ils se retrouvent sous des tentes, désoeuvrés. Et quand, tout à coup, vous devez faire face à des milliers de personnes irritées de culture étrangère, cela crée des problèmes. On ne peut les faire vivre sous des tentes à tout jamais, mais il ne faut pas se leurrer : il est difficile de trouver des possibilités d'accueil pour des dizaines de milliers de personnes, surtout lorsqu'elles ne peuvent pas payer un loyer et risquent de ne pas trouver rapidement un emploi. Le fait que les migrants veulent en général rester dans les plus grandes villes et non aller là où existent des logements vacants aggrave encore la situation.
Je me félicite que l'Union européenne fasse de la question migratoire l'une de ses priorités politiques. C'est en effet au niveau de l'Europe que l'on pourra agir le plus efficacement, une Europe humaniste qui doit se montrer solidaire de gens fuyant la guerre et la pauvreté. Il convient de ne pas réagir uniquement dans l'urgence mais de définir la politique européenne de l'immigration qui, eût-elle existé, aurait permis d'anticiper la situation actuelle. D'autre part, on annonce un plan d'urgence, mais un budget est-il véritablement fléché vers l'accueil des réfugiés de manière à faciliter leur intégration en Europe ? La presse a évoqué l'hypothèse d'une taxe européenne exceptionnelle ; qu'en est-il ? Enfin, quelle articulation y a-t-il entre l'Union européenne et le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés ? Il est de notre responsabilité de venir en aide aux personnes réfugiées dans les camps établis dans les pays limitrophes des pays en guerre, qui accueillent bien davantage de personnes déplacées que ne le fait l'Europe.
Beaucoup de dirigeants européens estiment qu'il faut définir une vraie politique d'immigration européenne allant au-delà du règlement de Dublin, régulièrement dénoncés par les États membres du Sud de l'Europe car il prévoit que le demandeur d'asile ne pourra déposer un dossier que dans le pays où il a été enregistré par les autorités pour la première fois. Cela induit une pression importante sur les pays les plus proches de la Méditerranée, principale route migratoire en Europe.
Pour limiter ces flux migratoires, il nous faudra aller évaluer la validité des demandes d'asile dans les pays de provenance des réfugiés, et éviter ainsi « les voyages de la mort ». J'aimerais donc savoir si la commission LIBE a engagé des travaux sur une politique européenne du droit d'asile d'autant plus urgente que des recours s'accumulent devant les juridictions nationales et devant la Cour de justice européenne. Faut-il réviser le règlement de Dublin, et si oui, dans quel sens ? On notera que le mécanisme d'urgence prévu à l'article 33 de ce règlement n'a pas été activé en raison de la difficulté de sa mise en oeuvre. Enfin, ne faut-il pas constituer un fonds européen destiné à l'apprentissage des langues des pays d'accueil, facteur important pour l'insertion des réfugiés dans la société hôte ?
Quel regard les députés français portent-ils sur les propositions relatives à la politique migratoire de la Commission et du Conseil européens ? Quelle est, plus particulièrement, votre opinion sur les hot spots ? N'y a-t-il pas un risque qu'ils se transforment en ghettos pour les migrants ? Je tiens à dire mon désaccord complet avec l'homme politique français qui, dans une interview au journal Le Figaro, il y a quelques semaines, s'est déclaré favorable à la création de « zones tampons » dans certains États membres tels la Bulgarie, l'Italie, la Grèce, zones conçues, selon lui, pour « protéger » le reste de l'Union. Quelle solidarité européenne est-ce là ? Cette approche inacceptable ne peut que diviser l'Union européenne et de tels propos effrayent les citoyens.
Ces échanges montrent notre volonté partagée d'une Europe plus affirmée face au défi d'une immigration massive. Les idées avancées définissent une politique migratoire fondée sur la protection des libertés et l'accueil raisonné et affirmant notre solidarité et notre force. Des propositions communes se sont dégagées : la constitution d'un corps de garde-frontières européens, l'élaboration d'une liste européenne des pays sûrs, la définition d'un mécanisme de relocalisation, la création d'un Office européen de protection des réfugiés et des apatrides mais aussi l'action continue en faveur des pays d'origine et des pays tiers. Une question reste en suspens : la réalité des crédits destinés à mener ces actions à bien.
Vous nous avez interrogés sur l'action de la France en ces matières. Le Parlement français a fait des propositions relative à la répartition des réfugiés au sein de l'Union européenne, considérant que, pour que la solidarité s'exerce comme elle le doit, il convient de revoir les critères retenus par la Commission européenne en prenant mieux en compte la réalité de la situation dans chaque État et par exemple le taux de chômage. D'une manière générale, il faut en appeler à l'esprit de responsabilité de tous les États membres, la taille d'un pays ne justifiant pas qu'il s'abstienne de participer à ce qui doit être un effort solidaire. D'autre part, la France contribue au fonctionnement des centres d'accueil et d'orientation - les hot spots. Le « paquet asile » a été transposé et il sera effectif à la fin de l'année. Enfin, le ministre de l'intérieur a confirmé la forte implication de l'Office français de protection des réfugiés et des apatrides et de la police aux frontières dans le fonctionnement des hot spots et dans la relocalisation et l'accompagnement des réfugiés.
La tonalité et le contenu de votre engagement européen, chers amis français, tranchent heureusement avec les vociférations du dernier groupe politique qui s'est constitué dans notre propre hémicycle. Nous nous accordons tous pour juger nécessaire une politique migratoire et d'asile commune, mais il faudrait aussi une politique commune pour traiter les causes, au Moyen Orient, de ce flux migratoire – et elle est malheureusement inexistante. Sur le plan militaire, François Hollande bombarde mais c'est Vladimir Poutine qui avance. Sur le plan diplomatique, nous ne parvenons pas à nous mettre d'accord sur l'attitude à adopter à l'égard de la Turquie, à déterminer si nous devons la considérer comme un pays sûr, quel est le montant de l'aide à lui apporter et en contrepartie de quels engagements ; c'est pourtant le pays de transit de la plupart des ressortissants de pays tiers et de demandeurs de protection viennent en Europe.
Pour ce qui est de la solidarité entre les États membres, je ne suis pas certain que l'on fasse suffisamment : certes, les hot spots permettront de relocaliser un certain nombre de gens mais, si l'on s'en tient au dispositif actuel, au moins la moitié d'entre eux restera sur le territoire des pays où ces centres seront installés. Nous n'allons pas assez loin non plus dans la définition commune de l'asile. La France a lancé l'idée de créer un Office européen de protection des réfugiés ; pourquoi, pour l'instant, ne demande-t-on pas aux membres du Réseau européen des organisations travaillant sur la réintégration (ERSO) d'examiner les demandes d'asiles, ce qui garantirait le traitement adéquat de toutes les demandes ?
Vous pourrez compter sur nous pour appuyer la création d'un corps de garde-frontières européens – ce qui ne sera pas une mince affaire – et pour renforcer le rôle de l'agence Frontex dans l'organisation des retours. Le retour n'est pas la priorité cardinale de l'Union européenne, mais pour que la politique européenne relative à la migration soit crédible, ceux qui n'ont ni de raison ni le droit de rester sur le territoire européen doivent être fermement reconduits dans leur pays d'origine, dans des conditions décentes.
(Interprétation) On parle d'immigration et d'asile depuis des mois et les questions qui se posent vont bien au-delà des 120 000 personnes dont il a été fait état. Accorde-t-on l'asile ? Renvoie-t-on ces personnes dans des zones de conflit ? Doivent n'avoir droit à l'asile que ceux qui peuvent payer les trafiquants qui les mèneront en Europe ? Il faut venir en aide, aussi, aux personnes qui n'ont pas d'argent pour venir jusqu'ici et qui, elles aussi, ont besoin de protection. Ensuite, puisque les frontières de l'Union européenne sont ses frontières extérieures, il faut en tirer les conséquences. Mais que fait-on des personnes parvenues dans les pays limitrophes de l'Union ? Va-t-on les entasser quelque part en attendant qu'elles arrivent en Europe du Sud ? Ces personnes doivent être réinstallées partout en Europe, pas seulement dans les pays qui sont en première ligne. Et l'on ne peut les réinstaller et les oublier : il faut leur donner un logement et les insérer dans le monde du travail. Voilà à quoi nous devons travailler pour donner une réponse exhaustive à la situation que nous constatons.
Pour finir, je reviens sur ce qu'a dit le président François Hollande la semaine dernière à Strasbourg : « En France, nous cherchons les réfugiés sans les trouver : ils veulent tous aller en Allemagne». Mais pourquoi cela ?
Ces échanges montrent que les mêmes visions politiques s'affrontent à Bruxelles et à Paris, avec, malheureusement, le même fantasme d'un « afflux » ou d'une « vague » de migrants, des termes qui donnent un écho terrible aux traversées meurtrières de la Méditerranée. Au-delà de l'urgence, comme l'ont rappelé les collègues de mon groupe, une approche globale de l'immigration est nécessaire. Nous devons aussi définir une législation européenne relative à la migration économique, qui ne doit plus être considérée comme négative – les études réalisées à ce sujet par les syndicats européens le montrent et il faut en tenir compte.
(Interprétation) Il a été dit que la solidarité impose à tous les États membres de prendre leurs responsabilités. C'est vrai. Mais nous parlons aussi de souveraineté, et chaque pays a le droit de décider du nombre de réfugiés qu'il peut accueillir. Les pays membres n'acceptant pas l'idée de quotas, comment faire pour qu'ils prennent leurs responsabilités ? Pour ma part, je n'admire pas Mme Angela Merkel, qui a décidé d'ignorer le règlement Dublin II. Qui décide des règles ? Celles qui ont été définies doivent être respectées. Étant donné l'état des finances publiques, comment intégrera-t-on tous ces migrants ?
J'ai beaucoup apprécié ces échanges sur un problème commun auquel nous devons trouver ensemble une solution commune. L'extrême-droite, qui a fait main basse sur les questions migratoires, ne sait que critiquer et s'acharne à polariser le débat et à créer la tension sans proposer aucune solution concrète viable. La voie nationale ne résoudra rien ; nous devons partager les responsabilités. Oui, il faut réviser le règlement de Dublin pour mettre au point un mécanisme de répartition obligatoire entre tous les États membres. Il y a déjà une politique commune, qui prend diverses formes – l'agence Frontex, le Fonds européen pour les réfugiés et le Bureau européen d'appui en matière d'asile – et des règles communes. Ce qui fait défaut, c'est la volonté de les mettre en oeuvre, et un leadership à ce sujet. La France, patrie des droits de l'homme, doit aller de l'avant et guider l'opinion publique au lieu de se laisser entraîner par la rhétorique destructrice de l'extrême droite.
J'abonde en ce sens. À ce phénomène durable et d'une importance capitale, il faut trouver des solutions européennes pour le court terme comme pour le long terme. C'est maintenant que nous devons décider d'une politique européenne de l'asile ; d'une politique commune, harmonisée, du retour ; du renforcement du rôle et des insuffisants crédits de l'agence Frontex pour créer un corps de garde-frontières européens.
Je félicite Mme la présidente Danielle Auroi d'avoir organisé cette réunion avec nos collègues du Parlement européen. Je souhaite que cette excellente initiative se renouvelle.
Je constate, au terme de notre réunion, une large convergence de vues sur la nécessité d'une action commune renforcée en matière de politique migratoire européenne, dans toutes ses composantes, y compris ce qui touche à l'accueil, à l'enseignement linguistique et à l'accès à l'emploi. Il n'y aura pas d'avenir pour nos peuples sans une solidarité européenne renforcée. Le Parlement européen jouera son rôle de co-législateur et nous suivrons avec intérêt ses propositions, qu'elles aient trait à la révision du règlement de Dublin, à la création d'un corps de garde-frontières européens, aux ressources de l'agence Frontex, à l'action diplomatique ou à l'aide au développement. J'y insiste : il convient de ne pas assécher les crédits de la politique de développement. La question budgétaire est centrale puisque l'on ne peut espérer une Europe forte et efficace si les moyens de fonctionnement lui font défaut. Cette préoccupation devrait transparaître dans le cadre financier pluriannuel mais aussi dans la réflexion sur les ressources propres. Comment alors ne pas évoquer à nouveau l'hypothèse d'une taxe européenne sur les transactions financières, qui montrerait que l'Union européenne est en train de devenir solidaire ?
Je remercie tous les orateurs, ceux du Parlement européen comme ceux de l'Assemblée nationale et j'espère que d'autres échanges de même qualité nous réuniront à nouveau. (Applaudissements)
(Interprétation) Je joins mes remerciements aux vôtres, madame la présidente. Il nous faudra poursuivre ce dialogue sur le mécanisme de réinstallation et sur l'agence Frontex, tant avec le Parlement français qu'avec d'autres parlements nationaux. (Applaudissements)
La séance est levée à 18 h 45