COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES ET DE L'ÉDUCATION
Mercredi 19 juin 2013
La séance est ouverte à neuf heures quarante-cinq.
(Co-présidence de M. Patrick Bloche, président de la Commission, et de Mme Danielle Auroi, présidente de la Commission des affaires européennes)
La Commission des affaires culturelles et de l'éducation organise une table ronde, ouverte à la presse, commune avec la Commission des affaires européennes, sur le financement du cinéma européen, réunissant M. Radu Mihaileanu, réalisateur ; M. Brahim Chioua, distributeur ; M. Roberto Olla, directeur d'Eurimages ; M. Claude-Éric Poiroux, directeur général d'Europa Cinemas ; M. Nuno Ferreira Fonseca, conseiller à l'ICA (Institut du cinéma et de l'audiovisuel du Portugal) ; Mme Conchita Airoldi, productrice, présidente d'Urania Pictures ; Mme Isabelle Giordano, directrice générale d'Unifrance ; et clôturée par Mme Aurélie Filippetti, ministre de la culture et de la communication.
Je remercie les divers professionnels du cinéma qui ont répondu à l'invitation de nos deux commissions, à l'initiative de notre collègue, Mme Marietta Karamanli, rapporteure au nom de notre commission, avec Rudy Salles, sur le cinéma européen et son financement. La présente table ronde fait suite à celle tenue hier entre élus des parlements nationaux, qui a confirmé que, faute de la poursuite d'un soutien public et solidaire, à la fois communautaire et national, une forme de culture serait en danger grave.
Le président Patrick Bloche, président de la Commission des affaires culturelles, et moi-même avons souhaité qu'une résolution sur le financement du cinéma européen et une résolution sur l'exception culturelle soient adoptées au moment où se discute le champ du mandat confié à la Commission européenne pour sa négociation avec les États-Unis en vue d'un nouvel accord de libre-échange. Cette discussion s'est achevée vendredi dernier et, dans des conditions difficiles, la France a tenu bon afin de préserver, dans toutes ses formes et sous tous ses aspects, à partir du secteur de l'audiovisuel et du cinéma, l'exception culturelle européenne qui, donc, ne fera pas partie du mandat de négociation avec les États-Unis. Car la Commission européenne ne peut vendre l'Europe pour un plat de lentilles.
Dans ce contexte, la résolution sur l'exception culturelle adoptée à l'unanimité en séance publique, ce qui est rare, par notre Assemblée nationale, atteste notre détermination sans faille et de notre volonté de ne jamais baisser les bras en la matière, au cours des deux ou trois années de négociations internationales qui s'annoncent.
Je dois vous indiquer, avant de passer la parole au président Patrick Bloche, que Costa Gavras, très attaché aux mêmes objectifs, devait participer à notre réunion, mais il est en ce moment dans un avion qui le ramène de Los Angeles.
Je salue enfin la présence parmi nous d'une délégation représentant le parlement égyptien.
Nos deux commissions ont oeuvré de concert pour l'adoption de la résolution relative au respect de l'exception et de la diversité culturelles. La commission des affaires européennes travaille depuis quelque temps sur la question du financement du cinéma européen. Le rapport d'étape qu'ont récemment présenté Marietta Karamanli et Rudy Salles permet de formuler certaines observations sur un projet de communication de la Commission européenne, qui nous pose problème et pourra ainsi être corrigé en temps utile.
Je salue la présence de plusieurs parlementaires venus de divers pays de l'Union avec qui nous collaborons actuellement sur les mêmes thèmes. Nous souhaitons évidemment développer ce type d'échanges dans l'intérêt culturel qui nous est commun.
Je remercie également les professionnels du cinéma ici présents et dont nous écouterons la parole avec grand intérêt.
Le Conseil européen de vendredi dernier a adopté une position que nous approuvons puisqu'elle exclut le cinéma du mandat de négociation confiée à la Commission européenne. Réjouissons-nous, mais restons vigilants ! Car Karel De Gucht, commissaire européen au commerce, a estimé que l'on pourrait réviser cette position lors de la négociation avec les États-Unis. Qu'il ne se fasse pas d'illusion : nous resterons fermes sur les limites du périmètre de ladite négociation ! Au besoin, nous utiliserons le droit de veto dont disposent plusieurs États membres, dont la France.
Parler du financement du cinéma européen conduit automatiquement à évoquer la diversité des expressions culturelles, dont l'enjeu dépasse largement chacun des pays membres de l'Union et l'Union elle-même. En effet, les négociations qui vont s'ouvrir préciseront ce qu'on entend par libre-échange, y compris à l'échelle mondiale, compte tenu des poids économiques respectifs des deux grands ensembles de part et d'autre de l'Atlantique.
Je salue aussi le rôle essentiel joué dans cette affaire par le Parlement européen, d'abord avec l'amendement adopté par sa commission du commerce international sur la proposition d'Henri Weber, puis avec le vote de l'Assemblée plénière intervenu fin mai, par 391 voix favorables et seulement 191 voix hostiles, afin d'affirmer clairement que nous voulons préserver les dispositifs qui ont fait leur preuve : à la fois pour soutenir le financement du cinéma et pour le protéger par des quotas de production et de diffusion. Il ne s'agit pas là de protections nationales frileuses : elles visent au contraire à faire vivre une production cinématographique de qualité, au niveau européen comme au niveau mondial.
Le mécanisme français a depuis longtemps démontré ses vertus puisqu'il n'ampute nullement le budget de l'État, reposant entièrement sur les obligations des chaînes de télévision et sur un compte de soutien alimenté par des taxes parafiscales, régulièrement réadaptées à l'évolution des modes de diffusion télévisée, notamment à la suite de l'arrivée du numérique. Il faut conserver ce qui fonctionne bien !
C'est dans cet esprit que nous avons, lors de la discussion de la loi de finances pour 2013, modifié plusieurs dispositions fiscales afin de favoriser les tournages de films français en France et en Europe.
Je rappelle que le principe de la diversité culturelle se trouve inscrit dans la convention de l'UNESCO de 2005, à laquelle l'Union européenne, en plus de ses États membres, a adhéré en tant que telle.
C'est ainsi que notre Centre national du cinéma (CNC) finance aussi des films européens et en dehors du vieux continent, comme peuvent l'attester nos amis parlementaires égyptiens ici présents.
Le débat qui nous réunit ce jour est important pour les créateurs, pour les citoyens et pour toutes les professions qui vivent du cinéma.
Mon collègue Rudy Salles et moi-même avons voulu une meilleure coordination entre nos différents parlements nationaux, sur des questions européennes d'importance particulière. Il s'agissait pour nous, à travers les rencontres d'hier et d'aujourd'hui, d'une part, de repérer les États membres partageant la même conception du financement européen du cinéma, d'autre part de définir une stratégie commune visant à assurer une meilleure maîtrise collective des initiatives prises par la Commission européenne lorsque celles-ci font peser un risque majeur sur la pérennité du cinéma européen. C'est pourquoi nous entendons recueillir auprès des professionnels que vous êtes un avis circonstancié et argumenté.
Le financement européen du cinéma constitue un enjeu d'autant plus important que se profile derrière lui une démarche autant démocratique qu'économique. Il s'agit de mettre à profit nos régimes institutionnels fondés sur les libertés pour préserver des valeurs elles-mêmes fondatrices d'activités qui encouragent la capacité de chaque individu, potentiellement créateur, et de chaque communauté, à déployer au profit du public les sensations, les émotions et les jugements, subjectifs et artistiques, si utiles dans notre monde matériel.
Il faut, pour cela, pouvoir proposer au public des oeuvres qui ne soient ni automatisées ni formatées, ce qui exige que les modes de financement des créations soient abondants et diversifiés. C'est si vrai que, tout récemment, deux cinéastes américains qui ne sont pas parmi les moins connus, Steven Spielberg et George Lucas, ont exprimé leur inquiétude devant l'évolution de l'équation économique de l'industrie cinématographique outre-Atlantique, dénonçant en vrac la concentration des financements sur quelques films par les « majors », l'abandon des films originaux et d'auteurs, l'importante augmentation du prix des places dans les salles… Ils ont ainsi décrit un système qui ne fonctionne plus de manière satisfaisante, n'offrant que de chiches opportunités à la créativité, à l'innovation, au renouvellement des formes.
Voilà pourquoi Rudy Salles et moi-même travaillons depuis plusieurs mois en faveur de la territorialisation des aides au niveau européen, notamment à travers la résolution sur le projet de révision des règles relatives au contrôle des aides d'État dans le secteur du cinéma, qui, on l'a dit, a été adoptée à l'unanimité.
Il faut d'abord affirmer que la territorialisation des aides doit devenir un principe conducteur d'une industrie cinématographique à la fois spécifique et compétitive, tout en luttant contre les concurrences fiscale et sociale déloyales, dites de dumping.
Le nouveau projet de communication de la Commission européenne, en date du 30 avril dernier, n'a nullement apaisé les inquiétudes des professionnels. Il nous soumet à un calendrier contraint et risque de vider de sa substance le principe de la territorialisation des aides.
À la demande de l'Allemagne et de la France, la consultation publique afférente a été prolongée de un mois, ce qui reporte son terme au 28 juin prochain.
L'extension du champ d'application de la communication de la Commission nous fait déplorer l'absence de la mention des jeux vidéo, secteur par excellence innovant et créatif. Dans ce cas, excluons aussi les aides aux salles puisqu'elles ne relèvent pas de la libre circulation des biens et des services en raison de leur intrinsèque immobilité.
La Commission semble aujourd'hui faire droit aux demandes initiales des tenants du libre-échange absolu, en conservant le critère de 80 % de tournages et de productions des services correspondants en dehors des lieux nationaux de production. Dans ces conditions, les États membres ne pourront plus permettre à leurs industries nationales de conserver les savoir-faire inhérents à la création artistique, ce qui amputerait de l'essentiel de sa portée le principe de territorialisation des aides, risquerait de favoriser la multiplication de dispositifs de substitution, plus ou moins opaques et susceptibles d'inciter à des délocalisations de tournages pour motif fiscal, et provoquerait une concurrence artificielle et contraire aux intérêts bien compris du cinéma européen. C'est pourquoi nous avons adopté ce projet de résolution et demandé que la Commission européenne réexamine son projet de communication afin de tenir compte de l'avis des représentations nationales. À court terme, l'avenir de l'industrie cinématographique européenne repose donc sur le maintien de la territorialisation des aides.
J'aimerais interroger les professionnels sur leurs propositions visant à renforcer le financement européen du cinéma. Quelle est leur position sur la chronologie des médias, sur l'avenir du cinéma, compte tenu du bouleversement de son modèle économique avec l'arrivée du numérique ? Que pensent-ils de la possibilité, pour les États membres de l'Union européenne, de taxer, afin de financer la création, les opérateurs de télécommunications et les plateformes de téléchargement qui participent de plus en plus à l'acheminement et à la diffusion des contenus ?
Rudy Salles et moi-même avons émis l'idée de créer un centre européen du cinéma et de l'image animée assorti d'un mécanisme de redistribution et de mutualisation alimenté par des taxes dédiées. Les professionnels y sont-ils favorables ?
Je tiens d'abord à remercier tous les parlementaires qui nous ont aidés à préserver l'exception culturelle européenne. Il nous faut rester vigilants, car le combat n'est pas terminé et ne finira pas de sitôt. Il ne s'agit nullement d'un combat corporatiste, mais d'une lutte pour la démocratie et pour la liberté d'expression dans les relations entre la culture et les citoyens, non seulement en Europe, mais dans le monde entier.
Des cinéastes américains nous ont soutenus, ayant compris depuis longtemps que l'enjeu ne ressortait pas d'un affrontement entre l'Europe et les États-Unis. Ils ont admiré la Nouvelle-Vague, comme de nombreux cinéastes français et européens ont admiré les grandes productions américaines. Nous ne sommes pas davantage des ennemis de la mondialisation, mais, bien au contraire, des universalistes qui créent des oeuvres spécifiques en espérant les diffuser dans le monde entier et qui sont également avides de découvrir les oeuvres des autres. Les artistes ont toujours fait preuve d'une ouverture au monde bien antérieure à celle de l'économie générale et avant même la création d'un marché commun en Europe.
L'exception culturelle exprime le droit du citoyen et des peuples à définir des politiques culturelles favorisant la liberté et la diversité de la pensée, à travers la production et la diffusion de celle-ci. Mais la mise en place de cadres juridiques supranationaux, bénéfique pour les échanges courants de marchandises industrielles, recèle en revanche certains dangers dans le domaine de la pensée et pour la démocratie. Le citoyen doit rester libre de produire des idées et d'accéder à la diversité de celles-ci, faute de quoi le pouvoir politique deviendrait le serviteur du pouvoir économique, ce qui favoriserait la montée des extrémismes et de la violence.
On entend souvent affirmer que l'État ne doit pas s'occuper de création artistique. Sa contribution est pourtant minime : en France, les fonds publics alimentant le cinéma n'interviennent qu'à hauteur de 7 % de son chiffre d'affaires. Mais le citoyen ne doit-il pas, à travers sa participation financière, défendre un bien aussi important que le droit à la pensée et à la diversité ?
Le monde entier envie le modèle français de soutien au cinéma, qui, bien sûr, n'est pas parfait. La solidarité des artistes s'est traduite par une pétition internationale signée par 8 000 cinéastes, musiciens, écrivains, etc., confirmant la valeur d'un système qui permet à la fois de défendre la diversité des expressions sociales, notamment celles des minorités, et de protéger l'indépendance des créateurs à l'égard de groupes privés de plus en plus puissants, dont les chiffres d'affaires se lisent en milliards et qui s'appellent désormais Google, Netflix, Amazon, Facebook, Apple. Nous ne cherchons pas pour autant à limiter leur champ d'activité : libre à eux de produire un certain type de pensée, dès lors qu'ils ne l'imposent pas comme la seule à travers leur domination du marché.
Nous soutenons donc le mécanisme français des quotas, comme nous avons soutenu le programme européen MEDIA, devenu « Europe créative ». Ces modèles doivent néanmoins évoluer en fonction des progrès techniques et s'adapter aux données nouvelles. Il ne s'agit évidemment pas pour nous de réclamer un gel des réglementations, comme on nous en a parfois adressé le reproche.
Le positionnement initialement franco-allemand d'ARTE s'ouvre à une dimension internationale, à travers plusieurs accords conclus avec d'autres pays européens.
Soucieux de soutenir la création, nous avons pris l'engagement d'appliquer les obligations incombant en la matière aux chaînes de télévision françaises. Nous investissons à ce titre quelque 10 millions d'euros par an dans la production cinématographique, ce qui représente environ vingt-six films, dont la moitié sont des films étrangers. En 2012, la totalité des engagements financiers de notre filiale cinéma a bénéficié d'un agrément européen.
Le système de soutien qui a fait ses preuves en France et en Europe mérite de perdurer. ARTE privilégie bien sûr le cinéma d'auteur, qui s'amortit principalement sur le marché national, mais dont le financement nécessite une coproduction internationale. C'est pourquoi nous avons mis en place un « grand accord » avec les Allemands afin que les films coproduits par nos deux pays bénéficient également d'un soutien bilatéral, correspondant aussi au « mini-traité » conclu entre le Filmförderungsanstalt (FFA) et le CNC.
Ce type de coproductions ne se limite pas à son aspect financier : il permet avant tout à deux pays et à deux producteurs de partager à la fois leurs points de vue artistiques, les talents disponibles – des réalisateurs, des scénaristes, des acteurs, des techniciens – sur chaque rive du Rhin.
Le système français de soutien au cinéma d'auteur, dont le succès ne se limite pas au public des festivals, a exercé un effet d'entraînement en Europe, ce qui montre l'importance de la territorialisation des aides, non pour conserver les financements dans chaque pays, mais, au contraire, pour permettre aux savoir-faire et aux cultures de plusieurs pays de se conjuguer.
Nous avons produit et distribué La Vie d'Adèle, Palme d'or au dernier festival de Cannes. Une part significative des films récompensés avait d'ailleurs bénéficié d'un financement français. Cette force du cinéma français s'explique en grande partie par le mécanisme de soutien mis en place depuis de nombreuses années.
Plusieurs calendriers se croisent en ce moment : celui de la défense de l'exception culturelle et de la résolution qui vient d'être votée, celui du projet de communication de la Commission européenne, celui des suites qui seront données au rapport de Pierre Lescure, celui des assises du cinéma, auxquels s'ajoute le changement radical du modèle de diffusion des oeuvres avec le développement du numérique, dans les salles comme sur les autres supports. Tous ces débats vont probablement bouleverser les conditions de production et d'exploitation des films dans les années qui viennent.
Le syndicat des Distributeurs indépendants réunis européens (DIRE) regroupe treize distributeurs et détenait, en 2012, 17 % du marché des salles de cinéma de France, soit environ 34 millions d'entrées et 140 films : 46 % étaient français, 25 % européens, 15 % américains et 14 % en provenance du reste du monde. Tandis que les chiffres du box-office national donnent, en répartition comparable, 40 % de films français, 45 % de films américains et 15 % pour tous les autres. Cela devrait inciter les distributeurs indépendants à se concentrer sur les films purement français ou américains : s'ils ne le font pas, c'est justement parce notre système de soutien leur permet une programmation conforme, non à leurs intérêts commerciaux immédiats, mais à l'exception culturelle européenne. Toute remise en cause de ce système basculerait donc le secteur de la distribution dans le mercantilisme ordinaire.
Il faut aussi tenir compte de l'exportation de notre cinéma. Si je m'en tiens à l'expérience de Wild Bunch, j'observe que nous avons présenté quarante et un nouveaux films en prévente à l'ensemble des acheteurs étrangers potentiels, dont vingt-quatre films français, dix films européens (soit 25 % de notre catalogue), cinq films américains et deux films venus d'ailleurs. Les sociétés françaises d'exportation de films sont les plus importantes au monde après les sociétés américaines, toujours grâce à cet ensemble de mesures d'aides publiques.
Pour le rendre encore plus performant, il faudrait aussi combattre la lourdeur des procédures administratives qui handicape la mise en place rapide de coproductions européennes, et réviser la chronologie des médias en fonction des résultats que nous fournirons les quelques expériences en cours afin de mesurer ses éventuelles modifications : notre profession n'est plus aussi arc-boutée qu'elle le fut sur cette question sensible.
Enfin, on ne parle pas assez des problèmes soulevés par les pratiques de piratage des oeuvres. Des pans entiers de l'industrie cinématographiques se sont ainsi effondrés, notamment en Espagne et en Italie. Des mesures ont déjà été prises pour lutter contre ce fléau, mais il faudra aller beaucoup plus loin.
J'interviens ici en tant que représentant des salles, là où les films bénéficient de leur première et de leur plus spectaculaire exposition, comme de leurs premières recettes, qui déterminent largement la suite du circuit financier d'exploitation. Nous sommes donc parfaitement solidaires du secteur de la production lorsqu'il défend sa diversité, point fort de l'attrait des salles pour le grand public.
L'Europe compte 30 000 écrans de cinéma, ce qui est beaucoup par rapport au reste du monde. Les salles ont accompli, au cours des dernières années, de remarquables efforts de modernisation et d'adaptation au numérique, pour environ 3 milliards d'euros.
La chronologie des médias, qui repose sur la primauté de la sortie en salles, reste pour nous un important facteur de maintien et de développement. Le système n'est certes pas verrouillé au détriment des autres supports, mais si, demain, les films étaient privés de leur premier espace d'exposition, l'industrie du cinéma entrerait dans un déclin irrémédiable. Prenons l'exemple de La Vie d'Adèle, projeté à Cannes sur un écran de 20 mètres de large et bientôt proposé ainsi dans nos salles. Ramené aux petits écrans des téléviseurs, des ordinateurs et des tablettes, le film perdra sa dimension spectaculaire. N'oublions jamais que le cinéma, industrie publique du spectacle, a besoin de supports adaptés au lancement de ses oeuvres, à la fois pour leur qualité et pour leur convivialité.
C'est pourquoi le secteur de la distribution cinématographique s'est d'emblée et activement solidarisé avec la démarche des producteurs, qu'il s'agisse de l'Union internationale des cinémas (UNIC), qui représente tous les exploitants de salles d'Europe, d'Europa Cinémas, réseau des salles de cinéma pour la diffusion des films européens, ou de la Confédération internationale des cinémas d'art et d'essai (CICAE).
Les salles de cinéma sont évidemment libres de leur programmation, offrant ainsi aux films américains, notamment des majors, entre 60 et 65 % du marché. Notre réseau compte 2 200 écrans pour l'ensemble de l'Europe. La plupart relève de salles indépendantes, mais certaines appartiennent à des circuits qui ont fait des choix de programmation : l'année dernière, 63 % des séances étaient consacrées à des films européens.
Nous tenons beaucoup à la circulation des oeuvres, condition indispensable à la diversité de la production et, partant, à la satisfaction d'un important public de cinéphiles.
Le programme européen MEDIA a, pendant vingt ans, à raison de 10 à 12 millions d'euros par an, soutenu l'exploitation du cinéma en salles, certes avec de petites sommes unitaires, mais néanmoins déterminantes à certains moments. S'y ajoutent des aides nationales et régionales, qu'il faut aussi conserver.
Le secteur de la distribution souffre cependant de quelques fragilités. Il s'est effondré en Espagne avec la disparition de 180 salles d'art et d'essai. Il se porte mal en Italie et au Portugal. Dans bien des pays, les salles ne survivent que grâce aux installations de multiplex.
Le cinéma d'auteur propose chaque année un peu plus de 1 000 films en Europe. La diversification des salles de cinéma doit rester à la hauteur de celle de la création.
Comment le cinéma portugais a-t-il pu subsister dans un contexte économique et financier extraordinairement défavorable ? Il a réussi à préserver un volume minimal de productions, car il ne dépend pas directement du budget de l'État, à la différence de l'Espagne ou de l'Italie, mais, depuis quarante ans, d'un système parafiscal similaire au modèle français.
Nous avons aussi accompli des efforts de modernisation de notre gestion, avec des contrôles financiers très sévères et une transparence qui ont accru notre crédibilité, notamment auprès du pouvoir politique.
Nous avons cependant été confrontés à une crise économique particulièrement dure en 2012. Alors que le cinéma portugais se distinguait sur le plan artistique, notamment avec Tabou, de Miguel Gomes, récompensé par un prix au festival de Berlin et qui a connu un grand succès en France – près de 200 000 entrées – et à l'international, nous luttions contre une terrible érosion de nos recettes depuis 2008. Le revenu non commercial du cinéma portugais reposait alors sur une seule taxe assise sur la publicité télévisée, dont le marché s'était écroulé de presque 40 % avec la crise économique.
D'autres ressources ont donc été mises en place par une loi adoptée l'année dernière et taxant les nouveaux agents économiques que sont notamment la télévision payante et les services de vidéos à la demande. Le nouveau dispositif entrera en application le mois prochain et nous espérons ainsi renforcer notre production comme la fréquentation des salles.
Nous coopérons, depuis une dizaine d'années, avec les différents organismes publics de soutien au cinéma des États membres de l'Union européenne sur la base d'une plate-forme commune qui nous sert de lieu de débat et de confrontation de nos expériences, notamment en matière d'aides publiques.
Les projets de taxation des nouveaux services doivent faire face à une opposition parfois virulente des contribuables et à des interrogations de la part de la Commission européenne, car il s'agit le plus souvent d'entreprises de télécommunications.
Les questions agitées en France, au Portugal et en Europe sur l'économie du cinéma se ressemblent beaucoup, portant essentiellement sur l'avenir que nous pouvons offrir à nos créateurs et que méritent nos citoyens, dans le cadre d'une ouverture au monde à laquelle nous demeurons très attachés, compte tenu notamment de nos relations historiques avec les pays d'expression lusophone comme le Brésil et certains pays d'Afrique.
La différence principale entre la France et l'Italie dans le domaine audiovisuel tient à ce que, d'un côté, l'État joue un rôle actif dans la politique culturelle et que, de l'autre, un monopole privé plaide en faveur d'une totale dérégulation.
En Italie, le ministère de la culture attribue des aides sélectives sur la base de l'intérêt culturel du film. Celles-ci peuvent représenter de 8 à 17 % du coût global d'un film. L'État peut ensuite récupérer jusqu'à 30 % de son investissement en fonction des recettes d'exploitation. S'il n'en existe pas, l'aide demeure à fonds perdu.
Les aides automatiques contribuent à la production et à la coproduction de films italiens en fonction des recettes obtenues en salles. Elles s'échelonnent de 10 à 22,5 % du budget du film.
Le service public de la RAI doit affecter 3,6 % de ses ressources de diffusion à la production, à l'achat et au préachat de films originaux, dont 30 % à leur préachat. Il doit aussi consacrer 1,3 % de la durée de ses émissions à la programmation de films italiens sur les chaînes généralistes et 4 % sur les chaînes thématiques du cinéma.
Comment définir la notion d'intérêt général sans se perdre dans la spirale des débats idéologiques entre traditionalistes et innovateurs, entre partisans de l'intervention de l'État et défenseurs de la liberté des marchés ?
La notion d'exception culturelle, élaborée par la France, représente maintenant une donnée historique incontournable. La situation ayant beaucoup changé depuis le début des années 1990, il serait vain de ressasser de vieux mots d'ordre de moins en moins en prise sur les réalités mouvantes du secteur. Seule une politique pragmatique peut concilier le droit culturel et l'intérêt économique.
Si la logique d'entreprise, comme le montre le cinéma chinois, constitue un élément utile à la conclusion d'accords de partenariat permettant d'échanger au mieux les talents, la créativité doit être encouragée dans le domaine de la fiction comme du documentaire et la diffusion des oeuvres doit demeurer libre, ce qui exige une politique européenne, en amont comme en aval de la création, au moyen de normes juridiques souples et communes.
La protection des droits au niveau mondial nécessite également un instrument européen à travers un réseau de distribution transparent. Je propose à cet égard l'instauration d'un organisme européen ayant pour mission, d'une part, de contribuer à l'harmonisation des différentes législations nationales, d'autre part de constituer une base de données relative à la chaîne des droits d'un film ou d'une production audiovisuelle.
Les politiques européennes de soutien au cinéma ont obtenu des résultats positifs, permettant de réaliser des oeuvres qui, autrement, n'auraient jamais vu le jour. Elles sont devenues parties intégrantes de tout plan de financement, aussi bien en matière de production que de distribution.
Il faut aujourd'hui parvenir à repérer dans ces filières les articulations essentielles à leur développement afin d'adapter au mieux les soutiens publics. Ainsi, une aide à l'enrichissement des scénarios pourrait être financée par des fonds européens existant déjà, mais complétés par un prélèvement spécifique sur les recettes d'exploitation au-delà d'un certain seuil.
Il conviendra aussi de simplifier les modalités des coproductions européennes, dont le nombre diminue du fait d'une excessive complexité.
Les aides nationales aux coproductions traditionnelles devraient être étendues aux coproductions financières par une rationalisation et un regroupement des différentes normes nationales en matière de crédits d'impôt.
Il faut enfin renforcer l'aide à la distribution en coopération avec le service public de la télévision et en tenant compte de l'entrée en lice d'opérateurs de télécommunications comme Orange, qui offrent désormais une alternative supplémentaire à la salle de cinéma.
Enfin, le secteur bancaire et industriel, qui n'est pas directement lié au monde de l'audiovisuel, le soutient cependant sur le plan financier, grâce aux dispositifs dits de crédits d'impôt externes. Ce fut, par exemple, le cas du financement des deux derniers films de Paolo Sorrentino, This must be the place, en 2011, et La grande bellezza, en 2013.
Unifrance se joint avec force et conviction à ce beau combat pour l'exception culturelle.
L'exception culturelle telle qu'elle est vécue en Europe, les experts d'Unifrance constatent qu'elle concerne en réalité tous les pays du monde. Aujourd'hui, sur les écrans péruviens, argentins, brésiliens, chinois, japonais, c'est Iron Man III que l'on peut voir. Comme Radu Mihaileanu, j'apprécie le cinéma américain, mais force est de constater que la position des films français et européens est fragilisée, à plus forte raison dans le contexte de révolution numérique.
Se battre pour l'exception culturelle en Europe, c'est aussi se battre pour nos films partout dans le monde. Aujourd'hui, on ouvre des dizaines de salles en Chine, on construit douze multiplexes dans les grandes villes d'Afrique, et, pourtant, il y a moins de diversité.
Claude-Éric Poiroux l'a dit, la situation est inquiétante en Espagne, en Italie, au Portugal. Or le modèle français montre que, avec plus de régulation, il est possible de défendre les cinématographies nationales. Il ne s'agit pas, bien entendu, de bomber le torse : le modèle est adaptable. En Corée, par exemple, où l'on s'en est inspiré, on produit beaucoup de très beaux films.
C'est bien mal connaître le cinéma et la culture en général que d'accuser la France d'être « anti-mondialisation ». Tous les intervenants l'ont dit ce matin : la France est forte sur le plan international. Nos films sont admirés. Nous avons de grands talents. Les meilleurs studios américains, d'ailleurs, font appel à nos réalisateurs, à nos acteurs, ainsi qu'aux artistes formés par nos écoles d'animation. Et nous sommes d'autant plus forts que nos alliés sont MM. Weinstein, Spielberg et Lucas.
Je suis très intéressée par l'idée d'un centre européen du cinéma, dont il a été question. En tout cas, nous pouvons envoyer ce message à M. Barroso : la France n'est absolument pas contre la mondialisation puisqu'elle est présente partout dans le monde.
Une réflexion complémentaire serait sans doute opportune sur les outils permettant d'articuler universalisme et mondialisation. Les pistes évoquées par Marietta Karamanli et par Conchita Airoldi semblent converger.
Membre de la commission de la culture et de l'éducation du Parlement européen, je suis l'auteur d'un rapport, voté hier, sur la promotion des secteurs culturels et créatifs dans un objectif de croissance et d'emploi.
Les représentants de la profession, emmenés par Costa-Gavras, étaient récemment au Parlement européen. Nous avons été heureux de nous joindre à leur combat pour l'exception culturelle. Il faut néanmoins rester très vigilant : le commissaire, contraint et forcé de se ranger à la décision du Conseil, n'a-t-il pas affirmé que l'on peut remettre l'affaire sur le tapis ? Les parlements nationaux et européens devront donc organiser un groupe de suivi très précis sur ce qui passera dans la négociation de ces accords.
S'agissant de la communication de la Commission, le Parlement européen et la commission de la culture et de l'éducation examineront la version définitive qui en sera établie en septembre. Nous ferons un rapport et aucun vote n'interviendra avant l'année prochaine. C'est pourquoi je souhaite que nous restions en relation pour travailler à amender ce texte.
Je voulais aussi indiquer qu'on ne doit pas oublier les autres fonds européens. Les fonds de cohésion, en particulier, représentent une enveloppe énorme – 350 milliards d'euros dans la prochaine période – et peuvent aider à ancrer la territorialisation, par exemple à travers le Fonds européen de développement régional ou le Fonds européen agricole pour le développement rural.
Je salue la fermeté, le courage et la mobilisation qui ont abouti à l'exclusion des services audiovisuels du mandat de négociation pour l'accord de libre-échange. Cela dit, s'il est indéniable que le système protecteur fonctionne bien, est-il infaillible ? Ne convient-il pas de souligner certaines limites et de mener une réflexion sur de possibles aménagements ? Des critiques se sont élevées contre le système régissant le film français : une minorité d'acteurs et de producteurs profiteraient de la manne financière, certaines vedettes seraient surpayées, les exportations seraient insuffisantes… Quelle est votre position à ce sujet ?
Les Vingt-sept ont certes accédé aux demandes de la France, mais le compromis final prévoit que l'audiovisuel pourra être ajouté plus tard au mandat de négociation si cela est décidé à l'unanimité. L'exception culturelle est-elle donc véritablement sauvée ?
Même si certains la considèrent comme provisoire, il faut se féliciter de la victoire remportée vendredi soir. Ce combat est tout sauf réactionnaire : il est celui de la liberté, en particulier de la liberté de création. Au-delà de notre combat pour la culture, c'est notre conception même de la liberté que nous défendons.
Les déclarations de responsables européens de haut niveau et l'évolution même du débat économique montrent que ce combat est permanent. Comment créer une synergie européenne pour le mener tout en respectant les particularités et les richesses nationales ?
Après treize heures de négociations, nous sommes parvenus, avec les parlementaires européens, à exclure l'audiovisuel du mandat confié à la Commission européenne. Mais, comme l'a rappelé Patrick Bloche, il faut rester vigilant. Les États-Unis exercent une pression colossale pour retirer la vidéo à la demande et la télévision de rattrapage du secteur audiovisuel classique : l'exception culturelle ne concernerait plus, pour le cinéma, que la distribution en salle et ne s'étendrait pas à la diffusion des oeuvres sur internet, alors que les Américains savent pertinemment que ce secteur sera ultra-dominant dans quelques années. Ils préserveraient ainsi les GAFA (Google, Apple, Facebook, Amazon) des obligations de soutien. Les partenaires européens sont-ils également unis sur ce point ?
La mission Lescure propose de ramener de quatre à trois mois le délai de la mise à disposition de vidéos à la demande payées à l'acte. Par souci de cohérence et de lisibilité, le délai d'exploitation en vidéo sur support physique serait également réduit. Que pensent les intervenants de cette modification de la chronologie des médias ?
Quant aux dangers du piratage évoqués par M. Brahim Chioua, je crois que l'accessibilité de l'offre légale peut les réduire. Les ayants droit sont aujourd'hui en mesure de proposer une offre concurrentielle, d'autant que les spectateurs veulent que leur argent aille aux créateurs : la souscription Kickstarter pour le film Veronica Mars, par exemple, a atteint 5,75 millions de dollars.
Les producteurs sont évidemment les mieux placés pour offrir un accès de qualité à leur catalogue. Encore faut-il que la politique d'offre numérique soit cohérente. Une fois de plus, je vois renvoie au site de microblog « j'voulais pas pirater », qui permet de comprendre comment les gens se dirigent vers le piratage alors qu'ils n'en ont nullement l'intention au départ.
Libération titre aujourd'hui : Exception culturelle, l'art qui cache la forêt. Comme le disait récemment Noël Mamère à la tribune de l'Assemblée nationale, ce serait une erreur de limiter la discussion de ces traités à la simple question de l'exception culturelle. Nous n'en avons que très peu parlé à l'Assemblée, et nous le regrettons tous.
La représentation nationale a évoqué de nombreuses fois la difficulté à laquelle le public se trouve confronté pour accéder à une offre légale suffisamment large et diverse. Nous avons dénoncé à de nombreuses reprises l'insuffisance des catalogues, qui nous empêche de regarder les films que nous aimons.
La réunion, dans cette salle, de législateurs et de créateurs de tous pays pour défendre les industries culturelles mérite d'être saluée. J'espère que mon pays s'en inspirera.
La société et l'économie irlandaises figurent parmi les plus mondialisées. Nous sommes soumis à d'intenses pressions qui empêchent le développement d'une culture nationale, qu'il s'agisse de cinéma ou de télévision. Il est difficile d'envisager une carrière dans ce secteur qui est constamment menacé d'effondrement et qui ne dispose pas des aides, des incitations fiscales accordées en France.
De par notre lien historique avec les États-Unis, nous sommes demandeurs des histoires qui nous viennent d'Amérique. Mais nous souhaitons également maintenir notre identité culturelle.
Beaucoup d'intervenants insistent sur la lutte contre le piratage. Comment éviter que les films ne soient vendus au marché noir sur DVD avant d'être disponibles dans le commerce ?
D'autre part, la distribution numérique court-circuite de plus en plus la projection en salle. Dans les cinémas d'art et d'essai irlandais, le choix se réduit, alors même qu'il s'accroît pour la diffusion sous des formats tels que Netflix. Pourtant, il n'y a pas de meilleur moyen de découvrir un film que lors d'une projection sur grand écran comme à Cannes. Comment la numérisation pourrait-elle accroître notre place dans la culture cinématographique et permettre aux artistes de créer davantage ?
Les lois sur le cinéma sont nombreuses en Italie, mais elles manquent cruellement de coordination et de vision d'ensemble. Le retard de l'industrie cinématographique et de la politique culturelle par rapport à la France est difficile à rattraper. Nous espérons que la Chambre des députés et le Sénat nouvellement élus s'emploieront à mettre en place une politique unitaire.
En outre, selon un préjugé répandu en Italie, l'exception culturelle serait une exception franco-française et on parlerait bien plus de cinéma français que de cinéma européen. C'est faux, bien sûr, et nous devrons convaincre les Italiens que nous devons cheminer ensemble vers une législation européenne du cinéma pour faire face à la concurrence du cinéma américain, rendue plus vive encore par la numérisation.
Mon travail est d'essayer d'y parvenir, notamment au sein de la commission de l'instruction publique et des biens culturels du Sénat italien. Ce n'est pas simple, tant les histoires nationales sont différentes.
L'Europe produit de plus en plus de films, ce dont il faut se réjouir, mais ces films ont du mal à circuler, que ce soit dans leur pays de production, en Europe ou en dehors de l'Europe. Il serait donc souhaitable de renforcer les soutiens à la distribution et à l'exploitation. L'accès des films aux salles est le maillon faible du système partout en Europe.
En France, on tente de réguler l'offre de films en salle par des accords de programmation qui limitent le nombre de copies d'un même film projetées dans un établissement cinématographique. Ces accords sont un gage de diversité culturelle et pourraient inspirer d'autres pays.
Pour le non-spécialiste que je suis, il semble contradictoire de plaider pour un rapprochement européen tout en défendant la territorialité. Tous vantent le modèle français. S'agit-il de favoriser une solidarité européenne ou l'Europe n'est-elle qu'un moyen pour préserver la territorialité ? J'aimerais qu'on me montre que ces deux notions ne sont pas conflictuelles comme elles peuvent l'être dans d'autres matières.
Le combat contre le système américain ne pourra se mener qu'au niveau de l'Union, en se fondant non pas sur une réflexion nationaliste, mais sur une réflexion européenne. Je crains que quelque chose ne m'échappe dans ce débat !
Je ne crois pas, cher collègue Walter Vandenbossche, que les deux aspects soient incompatibles. Si l'on remet en cause l'aide européenne au cinéma au niveau territorial, c'est aussi l'identité européenne que l'on met en difficulté. Les aides ne servent pas forcément le cinéma français : elles servent le cinéma européen. On l'a dit, les coproductions mettent en valeur la diversité des pays et des artistes.
Cette table ronde vise également à coordonner nos actions et à apporter des réponses là où la Commission européenne risque de mettre le cinéma européen en difficulté. Au-delà de l'exception culturelle, en effet, la Commission prévoit de changer le règlement relatif au financement du cinéma. Au-delà du 28 juin, date à laquelle le délai fixé expire, le Parlement européen et les parlements nationaux ne peuvent plus intervenir dans la mesure où il s'agit d'une procédure interne à la Commission. C'est pourquoi l'Assemblée nationale française a choisi de prendre position par une résolution. D'autres collègues parlementaires le feront dans les jours qui viennent. Mais, malheureusement, le sujet ne reviendra pas en discussion au Parlement européen.
Lorsque Rudy Salles et moi-même nous sommes rendus à la Commission européenne, nous avons eu affaire à des personnes qui ignoraient ce qu'est le cinéma, le réduisant à l'achat de caméras dans tel pays et de costumes dans tel autre. Je suis heureuse de la mobilisation des professionnels et des parlementaires, car l'affaire n'est pas réglée ! Cette modification des règles relatives au financement ouvre une petite porte par laquelle s'introduira une concurrence déloyale entre les pays.
La Grande Bellezza de Paolo Sorrentino, financé par la région du Latium, par Canal+ et par des fonds de soutien français, est un bel exemple de coproduction européenne. Dans le cas d'espèce, il serait selon moi normal que la région qui finance le film exige que certaines dépenses se fassent sur son territoire, afin que cet argent public serve au développement économique local et aux industries de la création présentes sur place.
Pour autant, cela n'empêche pas la création européenne. Woody Allen est à ce titre le meilleur défenseur de l'identité européenne, lui qui tourne des films dans toutes les villes d'Europe en y portant son regard critique de juif new-yorkais et en recourant à des financements européens. La localisation des aides n'est pas un frein, bien au contraire. Notre réflexion doit porter sur la manière de les agréger entre elles.
Les industries techniques du cinéma en Europe ont connu une période très difficile pendant quatre ou cinq ans du fait de leur conversion au numérique. Elles s'en sortent plus ou moins bien. En France, leur survie tient à un fil. Si les aides publiques ne peuvent plus être localisées à leur profit, le danger est considérable.
S'agissant de la circulation des oeuvres en Europe et de l'expérience de la Commission européenne évoquée par Brahim Chioua, l'ARP a apporté sa contribution avec des films européens, l'idée étant d'organiser la sortie d'un film simultanément dans les salles de nombreux territoires et de rapprocher la date de sortie en vidéo à la demande de la date de sortie en salle. Notre objectif est d'associer les salles à une réflexion réunissant les distributeurs, les vendeurs, les agrégateurs de vidéos à la demande et les plateformes, tant au niveau européen qu'au niveau local, de manière à trouver les meilleures solutions pour diffuser les films. Jamais l'organisation de cinéastes que je représente ne voudrait porter atteinte aux salles : la salle est la première destination du film. Cela étant, nous travaillons à tout ce qui peut favoriser la diffusion des films auprès des différents publics de tous les pays.
L'association de producteurs indépendants Ateliers du cinéma européen est présente dans la plupart des pays d'Europe. Ce qui se joue dans le débat sur la territorialisation des aides, c'est avant tout la diversité. Il a été question jusqu'à présent de grands pays, mais, sans ces aides, certains pays ou régions – la Croatie, la Suisse alémanique, la Belgique flamande, par exemple – ne pourront maintenir un cinéma, car leur marché ne le leur permet pas : il y a 4 millions d'habitants en Croatie, soit le score que font généralement les gros films américains en France.
La disparité des fiscalités européennes est un dossier qu'il faut prendre à bras-le-corps. Je félicite Mme Filippetti d'avoir abordé le sujet à de nombreuses reprises. Les grands acteurs d'internet étant très peu taxés, ils ne peuvent entrer dans le dispositif européen idéal inspiré par le modèle français, qui repose sur le donnant-donnant : nous sommes heureux que ces grands groupes permettent la diffusion de nos oeuvres dans le monde entier, mais, dans la mesure où ils profitent de nos oeuvres, ils doivent aussi apporter leur contribution à la création au même titre que les télévisions et les autres entreprises de l'audiovisuel. Or ces grands groupes ont souvent leur domiciliation fiscale en Irlande ou au Luxembourg pour bénéficier d'un régime plus favorable. On peut même parler de fuite des capitaux du marché européen vers des paradis fiscaux comme les Bahamas.
Outre la taxation des acteurs d'internet, le rapport Lescure propose celle des fabricants de matériel, qui profitent eux aussi des nouveaux modes de diffusion de nos oeuvres. Pourquoi ne pas élargir la redevance sur les écrans de télévision – lesquels deviendront de plus en plus en obsolètes comme moyens de diffusion – aux nouveaux matériels ?
Concernant la chronologie des médias, je partage l'avis de Florence Gastaud et de Claude-Éric Poiroux : le cinéma est d'abord fait pour la salle, mais il faut mener une réflexion sur l'adaptation de la chronologie en fonction du financement. Lorsque les chaînes de télévision ne contribuent pas à ce financement, il est absurde d'attendre une période très longue, car cela encourage le piratage.
Nous ne pourrons pas non plus éviter d'ouvrir un chantier que je considère depuis longtemps comme prioritaire, celui du nombre d'écrans par film. Alors que notre système d'ensemble est vertueux et équilibré, nous ne sommes pas encore arrivés à cet équilibre dans la diffusion en salle. Les sorties en masse d'un seul film ne permettent pas à d'autres films d'être projetés dans un nombre suffisant de salles pendant une durée suffisamment longue.
En se demandant si le système français est aussi vertueux qu'on le dit, M. Féron fait écho au débat qui a agité le monde du cinéma français à la fin de l'année dernière après la publication de la tribune de Vincent Maraval, par ailleurs associé de Wild Bunch. On n'a pas assez relevé que l'auteur soulignait aussi combien le système français était vertueux et combien il était important de ne pas le dévoyer. Certes, cet environnement soulève certaines préoccupations et donne lieu à quelques abus – en matière de salaires de certains, par exemple –, mais il faut absolument le préserver.
S'agissant du piratage, on constate malheureusement que les oeuvres les plus piratées ne sont pas celles que l'on ne trouve pas ou que l'on trouve difficilement sur le marché. La mission Lescure a proposé des éléments de réponse. Nous devons maintenant examiner les dispositifs qui en découleront et mesurer leur efficacité.
Il me semble aller de soi que le délai de mise sur le marché du DVD soit avancé à trois mois comme celui de la vidéo à la demande. Cela étant, fabriquer un DVD et le mettre sur le marché prend plus de temps que de mettre à disposition un produit en VOD. Il n'est donc pas certain que beaucoup d'éditeurs vidéo utiliseront cette possibilité.
C'est une assez bonne surprise de constater que des salles de cinéma, dans de nombreux pays du monde, présentent des films européens. L'hégémonie du cinéma américain existe, certes, mais on ne peut tout y ramener. Il y a partout dans le monde un public qui aime le cinéma d'auteur.
Sans doute faut-il agir en faveur d'une diversification de la diffusion, car les multiplexes sont généralement occupés par un certain type de cinéma. Le réseau Europa Cinemas rassemble en majorité des salles indépendantes et il présente des oeuvres de tous les pays du monde. Le cinéma vient du monde entier, c'est ce qui fait sa force.
Cela dit, si on demande aux salles de faire un effort en matière de diversification, il convient de respecter la chronologie des médias. Cinéphile avant d'être exploitant et distributeur, je pense qu'il est essentiel que les salles conservent la capacité à donner au film sa vraie dimension. Si nous permettions une diffusion simultanée en salle et sur les ordinateurs ou les tablettes, nous ferions paradoxalement le jeu du cinéma américain qui, lui, est très attaché à la chronologie des médias, sachant qu'un film doit d'abord être bien exposé en salle pour être bien rentabilisé ensuite sur d'autres supports. Le cinéma européen ne doit pas se rapetisser en laissant entendre qu'il ne vaut peut-être pas tout à fait le grand écran et qu'un petit écran pourrait faire aussi bien l'affaire. Une telle dérive serait fatale aux cinéastes européens, qui ont besoin de s'exprimer sur grand écran et dont les oeuvres doivent avoir accès aux salles.
Les salles de cinéma sont capables d'assurer cette diversité qui est aussi une nécessité pour elles – le spectateur, bien entendu, ne veut pas se voir proposer un seul produit. Aussi faut-il respecter l'étape de la salle. Un film qui quitte les écrans perd une dimension. Non que la diffusion en format réduit et démultiplié ne soit pas utile, mais il faut conserver la priorité de la salle.
Le sujet de la territorialisation doit être envisagé de manière différente selon les pays. Il se pose de façon aiguë dans les pays possédant des mécanismes fiscaux ayant une forte incidence économique, comme l'Irlande, la Belgique avec le tax shelter ou la France avec le crédit d'impôt. Le système portugais, plus axé sur des productions très culturelles, était jusqu'à présent ouvert à de tels dispositifs. Cela étant, si nous voulons développer, comme d'autres pays, un système destiné à accueillir des productions étrangères afin d'en recueillir les bénéfices culturels et économiques, il faut être en mesure de montrer au contribuable que la dépense sera en effet suivie d'un retour sur les territoires.
Dans ce domaine, les effets d'économies d'échelle et de masse critique sont également très importants. La grande et coûteuse étude que la Commission européenne a commandée sur ces sujets n'a pas permis de déterminer que les systèmes existants provoquaient des distorsions des marchés intérieurs ou des problèmes de concurrence entre producteurs ou entre agents dans les différents États membres. À l'occasion de la révision de la convention européenne sur la coproduction cinématographique, le Conseil de l'Europe devra veiller à la bonne articulation entre les systèmes nationaux et régionaux. Pour l'heure, nous pensons que les garanties sont suffisantes pour assurer le bon fonctionnement du système. De fait, la coproduction européenne est en bonne santé et produit des effets très positifs.
Chaque pays a sa richesse et ses particularités, qu'il faut bien entendu maintenir. Il convient aussi d'aider les industries nationales de cinéma, qui connaissent toutes des difficultés. L'Italie avait une dizaine de studios, elle n'en a plus que trois. Cela étant, j'insiste sur la nécessité de simplifier la législation et la fiscalité au niveau européen.
Je vais maintenant donner la parole à Mme Aurélie Filippetti, ministre de la culture et de la communication.
Mercredi dernier, l'Assemblée nationale a voté à l'unanimité la résolution européenne sur le respect de l'exception culturelle et de la diversité des expressions culturelles. Je salue la mobilisation du Gouvernement à ce sujet lors de la réunion du Conseil européen de vendredi. Comme en témoignent cependant certains propos polémiques, il y a lieu de rester vigilants.
En effet, la mobilisation ne doit pas faiblir. Nous avons certes remporté une grande victoire sur laquelle il sera impossible de revenir, mais cette victoire a mis au jour la volonté de certains, au sein de la Commission européenne, d'affaiblir une certaine conception de la culture en Europe, en remettant notamment en cause les mécanismes de financement du cinéma.
Votre table ronde aborde la question du financement selon deux axes, politique et économique. Comme l'ensemble des secteurs culturels et audiovisuels en Europe, le cinéma relève de ces deux aspects. La culture ressortit au politique dans la mesure où elle tient une place spécifique dans le projet de construction européenne. Elle appartient aussi à la sphère économique puisqu'elle est génératrice d'échanges marchands, de richesse, d'emploi, de croissance et d'exportations. Nous devons toujours combiner ces deux aspects et ne pas avoir honte du poids économique des secteurs culturel et audiovisuel, bien au contraire : alors que l'importance politique et symbolique traditionnellement attachée à ces domaines s'est affaiblie chez une partie des responsables politiques européens, il n'est pas insignifiant de mettre ceux-ci en face de leurs responsabilités en termes économiques.
Bref, il faut préserver ces secteurs non pas pour faire plaisir aux artistes et aux créateurs – même si cela nous importe ! –, mais parce que c'est bon pour le projet européen et bon pour l'économie européenne.
Jusqu'à présent, l'Union européenne a répondu à la question du financement du cinéma par un référentiel politique fort, l'exception culturelle – qui sera maintenue grâce à notre mobilisation à tous –, et par des soutiens directs et indirects – je ne parlerai pas d'« aide », car il ne s'agit pas d'un système subventionné. Ce dispositif a fait ses preuves. Il faut le préserver tout en l'adaptant au contexte actuel, notamment aux évolutions technologiques.
L'exception culturelle permet de réaffirmer que les produits culturels ne sont pas des marchandises comme les autres. Non qu'il s'agisse de marchandises qui ne puissent faire l'objet d'échanges et de commerce, mais les seules règles de la concurrence sauvage ne peuvent garantir les conditions optimales de production et de diffusion des oeuvres. Il faut donc penser la politique culturelle à raison de la spécificité du fonctionnement économique de ces secteurs.
Cette approche n'est pas uniquement française : elle est européenne. La défense de la diversité culturelle est inscrite dans le traité sur l'Union européenne. La démarche est partagée au plan mondial, puisque 128 États sont parties à la convention de l'UNESCO de 2005 sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles. Les services audiovisuels sont un des secteurs où le nombre de pays membres de l'OMC ayant pris des engagements est le plus faible et où les exemptions à la clause de la nation la plus favorisée sont les plus nombreuses.
Nous nous sommes battus ensemble pour éviter toute remise en cause de l'exception culturelle au sein de l'Union européenne. Je suis profondément heureuse de notre réussite : en cette matière, nous avons démontré notre sens de l'intérêt général. Nous avons maintenant à mener un combat d'explication, car, si notre victoire a été globalement bien accueillie, certaines critiques commencent à poindre quant à l'impact économique de l'exception culturelle. À ceux qui s'inquiètent de ce que nous risquerions de perdre en échange, nous devons répondre que les vingt années d'exception culturelle n'ont nullement interrompu le commerce audiovisuel et que les industries culturelles contribuent au moins autant que les industries traditionnelles à la croissance économique de l'Union européenne.
Merci au Président de la République et à Mme Nicole Bricq, qui ont porté la position française. Merci aux quatorze ministres de la culture qui ont signé avec moi la lettre à la Commission européenne pour l'exception culturelle. Merci au Parlement européen, qui a adopté une résolution décisive. Merci au Bundesrat allemand, qui a également pris position. Merci enfin à l'Assemblée nationale d'avoir adopté à l'unanimité cette résolution.
Ces actions ont été menées avec les professionnels du cinéma et de la musique, dont nous avons maintenant compris à quel point le président de la Commission européenne les aime et les respecte !
L'exclusion des services culturels des accords de libre-échange nous permettra de définir un cadre législatif spécifique dont nous aurons besoin pour nous adapter aux évolutions technologiques et au numérique. Le maintien de la législation existante n'aurait de toute manière pas constitué un engagement suffisant : ces évolutions appellent une préservation de nos capacités réglementaires afin d'inventer demain des modes de régulation spécifiques en matière de protection des investissements, d'organisation de l'accès au marché ou de définition de la nationalité. En un mot, nous devons conserver notre capacité à dessiner les contours d'une politique culturelle européenne qui puisse évoluer avec son environnement.
Nous allons maintenant pouvoir travailler à l'acte II de l'exception culturelle, en nous appuyant sur les conclusions de la mission que Pierre Lescure a menée pendant neuf mois. Le maintien de l'exception culturelle était le socle indispensable pour pouvoir ouvrir ce chantier.
S'agissant des outils de l'exception culturelle, la France défend le maintien de ceux qui ont fait leur preuve en matière de soutien direct. Des évaluations régulières démontrent leur efficacité et il n'y a aucune raison de les détruire. Le nouveau projet de communication de la Commission européenne sur le cinéma ne doit pas remettre en cause les modalités de soutien en vigueur, qui ont permis depuis plus de dix ans au cinéma européen de s'affirmer comme une industrie dynamique et productive participant au rayonnement de la culture européenne dans le monde.
Lors de l'examen en mai dernier, devant la Commission des affaires culturelles, de la proposition de résolution sur les aides d'État au secteur du cinéma, Michel Pouzol a rappelé quelques chiffres importants : en 2011, 1 285 longs-métrages ont été produits dans l'Union européenne, contre 1 274 en Inde et 817 aux États-Unis, et les films européens ont attiré 963 millions de spectateurs ; en 2008, ce secteur représentait 17 milliards d'euros et 1 million d'emplois dans l'Union européenne. Le principe de territorialisation de l'aide, c'est-à-dire le conditionnement de l'octroi de l'aide à des dépenses effectuées dans l'État membre ou sur le territoire qui accorde ladite aide, doit donc être garanti à un niveau suffisant pour maintenir l'attractivité du dispositif.
Je salue à cet égard le travail réalisé par Mme Marietta Karamanli et M. Rudy Salles. Les propositions avancées par la Commission européenne ne satisfont pas à l'exigence de territorialisation et mettent en danger les principaux régimes d'aide qui financent une grande partie du cinéma européen, non seulement en France, mais aussi en Allemagne, en Belgique ou en Autriche. Je l'avais indiqué lors du conseil des ministres européens du 26 novembre dernier : revenir sur la notion de territorialisation des aides dissuaderait les autorités publiques, y compris les autorités régionales qui sont très actives en la matière, de mettre en place des politiques culturelles innovantes et favoriserait un dumping social en faveur des États membres offrant les coûts de production les plus bas, au détriment de la diversité culturelle de demain. Ce n'est pas ce qu'attendent nos concitoyens, ni sur le plan culturel ni sur le plan social. Ce qu'ils veulent, c'est une Union européenne porteuse de sens, respectueuse de la diversité culturelle et respectueuse des droits sociaux.
Telle qu'elle est actuellement pratiquée, la territorialisation des aides n'a d'ailleurs été un frein à la création nulle part en Europe. Elle n'a empêché en rien les coproductions. La France, du reste, détient le record en la matière avec cinquante-trois accords de coproduction, dont dix-neuf avec d'autres États membres. En 2012, le Centre national du cinéma a soutenu 129 coproductions, dont cinquante-neuf majoritairement françaises et soixante-dix majoritairement étrangères. Les pays avec lesquels nous réalisons le plus de coproductions sont la Belgique, l'Allemagne, l'Italie et le Luxembourg. De fait, cette production cinématographique est multiculturelle et profondément européenne.
La Commission européenne doit donc prendre le temps d'arriver à un texte satisfaisant. Ce n'est pas le cas du projet actuel, qui n'a l'agrément ni de l'Allemagne, ni de la Belgique, ni de la France. Mon collègue allemand et moi-même avons demandé que le délai fixé aux États membres pour étudier le nouveau projet de communication du commissaire Almunia soit prolongé au-delà du 28 juin, afin que nous affinions notre analyse et que la Commission produise une version plus satisfaisante de ce texte.
Le deuxième outil de soutien au cinéma est le programme MEDIAS, qui va devenir le programme Europe créative. Vous connaissez son importance pour la formation, les festivals, la distribution et la promotion des films.
S'agissant du montant de ce programme, les négociations ne sont pas achevées, mais il devrait être légèrement accru en euros courants. Nous avons également oeuvré à la mise en place d'un dispositif facilitant l'accès au financement bancaire moyennant des garanties. Enfin, la nouvelle programmation consacrera une ligne d'action à l'information et à la formation des professionnels des banques aux enjeux spécifiques du domaine culturel.
En France, je suis très attachée à ce que l'Institut pour le financement du cinéma et des industries culturelles joue un rôle pilote pour les investissements de la Banque publique d'investissement dans le domaine culturel.
Le programme Europe créative doit enfin promouvoir la diversité culturelle. Nous souhaitons donc que l'accès aux financements de ce programme soit conditionné à la ratification de la convention de l'UNESCO sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles.
Le troisième outil de la politique européenne de financement du cinéma est le cadre juridique offert aux soutiens indirects. La directive sur les services de médias audiovisuels de 2010 prévoit, en son article 13, la contribution des services audiovisuels à la production des oeuvres européennes, à l'acquisition des droits pour ces oeuvres, ainsi que la place qui doit leur être réservée dans les programmes proposés. La Commission européenne a lancé le 24 avril dernier une réflexion sur l'adaptation de ce système au nouvel environnement technologique. C'est un débat essentiel dont nous devons nous saisir. Il nous faut vérifier notamment si les dispositifs actuels ne permettent pas d'ores et déjà une adaptation au monde du numérique, sans qu'il soit nécessaire de rouvrir des discussions sur tout un pan de la régulation audiovisuelle européenne. Si révision il devait y avoir, ce ne devrait être que dans un sens plus ambitieux encore pour la diversité culturelle, en confortant les exigences européennes en matière de régulation, de diversité et de qualité du paysage audiovisuel. Détruire au sein de l'Union européenne ce que l'on vient de réussir à préserver à l'échelle internationale serait un comble ! Les dispositions relatives à la promotion des oeuvres européennes, à la publicité et à la protection de l'intérêt général sont essentielles et ne doivent pas être revues à la baisse. En revanche, il nous faut réfléchir à une éventuelle extension du champ d'application de la directive aux plateformes vidéo. S'agissant des acteurs internationaux du numérique, la pertinence du principe du pays d'origine soulève également des interrogations.
Par ailleurs, la discussion entre le Gouvernement français et la Commission européenne sur la nouvelle assiette de la TSTD (taxe sur les distributeurs de services de télévision) se poursuit. Ce qui nous est proposé n'est absolument pas satisfaisant pour le moment. Là encore, nous tenons à préserver un fonctionnement vertueux dans son principe et qui a fait ses preuves, même les propositions que nous avons faites attestent que nous sommes prêts à des évolutions.
Quant à la mission confiée à Pierre Lescure en matière d'amélioration de l'offre légale, de lutte contre la contrefaçon commerciale et de partage de la valeur dans l'univers numérique, il me semble que les propositions formulées doivent être étudiées dans un cadre européen. J'ai d'ailleurs demandé à Pierre Lescure de faire le tour de nos partenaires.
Nous avons deux rendez-vous à ce sujet. Le premier est le conseil informel des ministres de la culture, qui se réunira en Lituanie le 2 octobre. C'est en effet ce pays qui exercera la présidence de l'Union à partir du 1er juillet, et j'ai sollicité mon homologue lituanien pour organiser cette réunion où nous exposerons les conclusions du rapport Lescure. Le second rendez-vous est le Conseil européen d'octobre, consacré à l'économie numérique.
Nous avons remporté une belle victoire, mais le combat ne s'arrête pas. Nous aurons à faire face à d'autres offensives. Aujourd'hui, celles-ci se déplacent sur le terrain médiatique, où l'on essaie de faire passer les industries culturelles pour des secteurs subventionnés, voire assistés, ayant obtenu le maintien d'un régime dérogatoire qui risque de compromettre d'autres secteurs. Nous devons y répondre en mettant en exergue l'apport des secteurs culturels à la croissance et à l'emploi au sein de l'Union européenne.
Qu'on ne s'y trompe pas, notre projet est avant tout politique et citoyen. Avec Erasmus, c'est sans doute la seule base à la construction d'un sentiment d'appartenance à une collectivité européenne. Les citoyens européens en sont fiers et heureux. Nous en avons un grand besoin dans cette période de crise de l'identité européenne.
Mais il existe également un enjeu économique majeur. Nous devons travailler non seulement à l'amélioration des mécanismes de financement du cinéma européen, mais aussi à l'évaluation précise de ce que le secteur culturel apporte à l'économie européenne. Il faut le faire dans le cadre le plus large possible, associant comme aujourd'hui les professionnels de toute l'Union européenne, les parlementaires nationaux, les parlementaires européens et les exécutifs. Ce sera la mère de toutes les victoires dans les batailles futures.
Merci à tous les participants. Nos échanges ont démontré à la fois l'importance que nous attachons à la diversité culturelle européenne et celle d'une démarche concertée dans ce domaine. La culture est l'élément essentiel de la démocratisation de l'Union européenne, thème dont la Commission des affaires européenne débattra dans une autre table ronde cet après-midi.
La séance est levée à douze heures quarante-cinq.