COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES ET DE L'ÉDUCATION
Mercredi 25 juin 2014
La séance est ouverte à neuf heures trente.
(Présidence de M. Patrick Bloche, président de la commission)
La commission entend Mme Maud Olivier sur la présentation de son rapport co-rédigé avec M. le Sénateur Jean-Pierre Leleux, au nom de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, intitulé : « Faire connaître et partager les cultures scientifiques, techniques et industrielles : un impératif » (n° 1690).
Le rapport que notre collègue Maud Olivier nous présente ce matin traite d'un sujet – la diffusion des cultures scientifiques, techniques et industrielles (CSTI) – que nous avons souvent évoqué, notamment lors du débat sur le projet de loi pour la refondation de l'école de la République.
Pour mémoire, en septembre 2012, j'avais, à la suite d'une décision du bureau de notre commission, saisi l'Office d'une demande de rapport sur ce sujet.
Dans une économie de la connaissance, il est en effet essentiel que l'ensemble de nos concitoyens puisse bénéficier d'un accès optimal à la science et à la technologie, notamment afin de susciter le plus grand nombre de vocations de chercheurs et d'ingénieurs chez les jeunes. C'est là un enjeu fondamental pour notre société.
C'est pourquoi le bureau de la Commission a souhaité que l'Office évalue l'adéquation des dispositifs destinés à diffuser les cultures scientifiques et techniques à ces enjeux, notamment celui de la démocratisation, qui doit viser à l'établissement d'une confiance durable entre les pouvoirs publics et la communauté scientifique, ainsi qu'entre cette dernière et la société civile, pour favoriser une approche apaisée et efficace de questions controversées ou de domaines émergents.
Chère Maud Olivier, le rapport particulièrement dense que vous avez rédigé avec notre collègue le sénateur Jean-Pierre Leleu – qui ne pouvait malheureusement pas être présent ce matin – a été déposé en janvier dernier sur les bureaux des deux Assemblées. Vos collègues, membres de la commission, ont été destinataires de la synthèse de ce rapport, ainsi que de vos préconisations. Je vous laisse donc tout de suite la parole pour que vous puissiez nous présenter de vive voix les principaux axes de votre réflexion ainsi que vos préconisations d'actions.
J'ai travaillé pendant plus d'un an avec notre collègue sénateur, M. Jean-Pierre Leleu, effectuant avec lui de nombreuses auditions et quelques déplacements. Ce partenariat a été très fructueux et je suis heureuse de pouvoir vous présenter une synthèse de notre travail, le rapport ayant été adopté à l'unanimité par l'OPECST le 8 janvier dernier.
J'en profite pour souligner le rôle joué par l'Office dans le partage des cultures scientifique, technique et industrielle (CSTI), depuis sa création en 1983. Composé de dix-huit sénateurs et dix-huit députés, l'Office est présidé alternativement par un sénateur et par un député. Il est assisté par un conseil scientifique formé de personnalités choisies en raison de leurs compétences.
Née du constat que les représentants de la Nation n'avaient pas toujours les moyens d'apprécier la portée de la politique et des projets gouvernementaux dans des domaines très techniques, cette délégation inter-assemblée s'est vue confier le rôle d'éclairer l'action du Parlement en matière scientifique et technologique. Fort de cette mission, l'OPECST a publié plus de 150 rapports depuis sa création, abordant ainsi des sujets extrêmement variés et d'intérêt public, comme en témoignent, entre autres, ses études sur l'évolution du secteur de la micronanoélectronique ou les risques et dangers, pour la santé humaine, de substances chimiques d'usage courant.
Nous avons substitué le pluriel – les cultures scientifique, technique et industrielle – au singulier qui était utilisé jusqu'à présent, car celui-ci présentait deux inconvénients majeurs : d'abord, celui de gommer les spécificités respectives de la science, de la technologie et de l'industrie ; ensuite, celui de ne pas inclure clairement et totalement dans « la » culture ces trois composantes, réduites à n'être que des « appendices » des cultures littéraire et artistique.
Nous avons également préféré le terme de « partage » à celui de « diffusion », afin de coller davantage à l'objectif premier des CSTI, la démocratisation des savoirs. Notre rapport s'intitule donc « Faire connaître et partager les cultures scientifique, technique et industrielle : un impératif ».
Un impératif, car si un nombre considérable de rapports ont insisté, au cours des trente dernières années, sur l'enjeu de politique publique que représentent les CSTI et leur partage et si une dotation de 100 millions d'euros leur est consacrée dans les investissements d'avenir, les insuffisances de cette politique sont constatées de façon récurrente.
Il ne s'agit pas là d'un aveu d'impuissance mais de la reconnaissance du fait que, malheureusement, les CSTI et leur partage ne sont pas encore considérés à la hauteur de ce qu'ils devraient être, à savoir une priorité nationale.
Avec l'appui de notre comité de pilotage, composé de personnalités importantes dans le domaine du partage des CSTI, nous avons auditionné un grand nombre d'experts et de praticiens et sommes allés en Allemagne, au Québec et au Royaume Uni afin de nous renseigner sur les dispositifs mis en oeuvre par nos partenaires. En outre, de nombreuses personnalités étaient présentes à l'audition publique de l'OPECST du 13 juin 2013, qui a précédé l'écriture de notre rapport. Celle-ci a rassemblé plus de cent participants et a été clôturée par la ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche.
En ce qui concerne le contenu du rapport, celui-ci montre, dans un premier temps, comment le développement du partage des savoirs a été le fruit de la volonté de multiples acteurs. Puis, dans un second temps, face aux très nombreux chantiers qui restent à mener, il souligne l'urgence qu'il y a à donner une nouvelle impulsion aux CSTI, en proposant des mesures concrètes qui visent à toucher cinq types d'acteurs : les jeunes, les parents, les citoyens, les médias et les responsables politiques.
Concernant le premier point, le développement du partage des savoirs, il devrait répondre à deux objectifs : la démocratisation de l'accès au savoir et l'impératif d'excellence des systèmes d'éducation et de recherche.
En ce qui concerne le premier objectif, je rappelle ce que Condorcet disait à ce sujet : « Il n'y a pas de démocratie du pouvoir sans démocratie du savoir ».
C'est bien un tel propos qui inspire les acteurs de l'éducation informelle et de l'éducation formelle.
S'agissant des acteurs de l'éducation informelle, il existe une spécificité française, évoquée tout au long des auditions. Elle réside dans les actions de trois catégories d'acteurs : les associations, les centres de culture scientifique, technique et industrielle (CCSTI) et Universcience.
Les associations, par leurs actions de terrain – que ce soit dans les lieux les plus isolés ou dans les quartiers populaires – sont parvenues à tisser un maillage très dense et, de ce fait, à ancrer l'idée des CSTI dans les territoires, malgré le contexte financier difficile auquel elles sont confrontées.
Les CCSTI, comme les associations, ont contribué à l'ancrage territorial des CSTI, notamment grâce, dans de nombreuses régions, aux actions conjuguées du milieu académique et des collectivités territoriales, mais aussi, dans certains cas, des entreprises. En outre, l'existence d'un corps de professionnels spécialisés a également facilité le rayonnement régional de ces centres, même si d'importantes inégalités de moyens existent entre eux.
Universcience, à la fois comme pôle national de référence et centre régional de sciences, s'est imposé comme un acteur central tout en suscitant des malentendus.
Par ailleurs, la loi du 22 juillet 2013 relative à l'enseignement supérieur et à la recherche a prévu le transfert des crédits destinés aux actions en faveur des CSTI – soit 3,6 millions d'euros – aux régions. Universcience et les CCSTI ont en outre montré leur capacité à coopérer à travers les programmes « ESTIM gouvernance » (Égalité d'accès aux sciences, aux technologies, à l'innovation et aux multimédias) et « inmediats » (pour Innovation, médiation, territoires).
Du côté de l'éducation formelle, l'enseignement des sciences a été modernisé, en particulier à travers le recours à des expérimentations, comme l'a illustrée, de façon emblématique, « La main à la pâte », tandis que la technologie et la pédagogie de projets ont été introduites ou renforcées dans les programmes. En outre, les réformes récemment mises en oeuvre ont conduit l'éducation nationale à « s'ouvrir » davantage sur l'extérieur, y compris en direction des acteurs de l'éducation informelle.
Sur ce point, le rapport insiste sur le fait qu'il est important d'éviter toute opposition entre les deux types d'éducation. Une telle attitude serait d'ailleurs totalement improductive, la révolution numérique affectant les deux systèmes d'éducation – formelle et informelle – et renforçant les liens entre eux. De plus, grâce à l'action des associations ou des CCSTI, des personnes qui étaient éloignées du système d'éducation formelle peuvent s'en rapprocher via les technologies numériques. À l'inverse, ces mêmes technologies peuvent – comme le montre l'exemple des cours en ligne « ouverts et massifs », les fameux Massive Open Online Courses ou MOOC selon leur acronyme anglais – contribuer à diffuser l'éducation formelle à une très large échelle.
Quant au second objectif – à savoir la poursuite de l'excellence des systèmes d'éducation et de recherche – il comporte deux aspects : la lutte contre l'échec scolaire et universitaire et le souci de la cohésion sociale.
La capacité des systèmes éducatifs et de recherche à démontrer qu'ils peuvent être compétitifs a été remise en question ces dernières années, notamment en raison de la pression exercée par les classements internationaux, singulièrement ceux PISA et de Shanghai. Les réactions à l'égard de ces évaluations sont d'ailleurs contrastées.
En effet, d'une part, si PISA continue de susciter quelques critiques en France, il n'est pas exclu que les résultats médiocres des élèves français provoquent, comme cela a été le cas en Allemagne, un choc et un sursaut, d'autant que, lors de la dernière enquête de l'OCDE, notre pays a été taxé de « champion des inégalités ». Il est d'ailleurs significatif que l'annexe de la loi du 8 juillet 2013 pour la refondation de l'école considère que de tels résultats mettent à mal la « promesse républicaine », qui est de permettre la réussite de tous.
D'autre part, en ce qui concerne le classement de Shanghai, M. Jean-Pierre Leleu et moi-même avons critiqué le fait que les critères retenus se limitent au nombre de publications, de prix Nobel et de médaille Fields, sans prendre en compte les débouchés professionnels.
À la pression des classements internationaux s'ajoutent les orientations proposées par l'Union européenne à travers le nouveau programme de financement de la recherche et de l'innovation, lancé en décembre 2013 et appelé Horizon 2020.
Ces orientations sont en effet fondées sur le renforcement de l'excellence scientifique de l'Union européenne. De surcroît, les États membres doivent prendre en compte, dans leur politique scientifique, le programme européen, ce que fera la France par le biais de la stratégie nationale de la recherche (SNR), prévue par la loi du 22 juillet 2013 relative à l'enseignement supérieur et à la recherche.
À propos d'Horizon 2020, le quatrième sommet européen sur l'égalité, intitulé « Europe 2014, des idées aux marchés ; l'excellence dans l'intégration du genre dans la recherche, l'innovation et la politique » et qui se tiendra du 30 juin au 1er juillet 2014 à Bruxelles, a pour objectif principal de promouvoir la mise en application des normes de genre dans le processus de recherche et d'innovation, une dimension qui doit conditionner la qualité de la conception des projets de recherche. Ce sommet devra donc formuler des recommandations pour améliorer la pratique de la recherche par l'attention portée au rôle du genre, l'article 15 du programme Horizon 2020 stipulant que ce dispositif « doit veiller à la promotion effective de l'égalité des sexes et la dimension du genre dans la recherche et le contenu de l'innovation ».
La seconde partie du rapport détaille les recommandations et les cadres d'actions que M. Jean-Pierre Leleu et moi-même avons souhaité proposer en vue, d'une part, d'améliorer le partage des savoirs et, d'autre part, de promouvoir une meilleure gouvernance des CSTI.
Le premier axe de nos recommandations vise à inscrire de façon systématique et transversale le partage des CSTI dans le système éducatif.
Cette idée de partage devrait être intégrée dans la formation initiale et continue des enseignants afin qu'ils puissent sensibiliser les élèves à la pratique de l'expérimentation et développer leur goût des sciences et de la technologie. Or cela passe par l'amélioration de la qualité des formateurs des étudiants, l'intégration d'un module spécifique dans le cursus de ces derniers, une plus grande attention accordée à l'évaluation de leurs compétences pédagogiques et le renforcement de leur formation en informatique.
Pour les élèves, nous proposons de promouvoir une pédagogie au service des CSTI aux différents niveaux d'enseignement. Il convient, dans les écoles maternelles, d'encourager l'initiation à la science et à la technologie par l'expérimentation et les arts, et, dans les écoles élémentaires, d'inclure des programmes de partage des CSTI dans les projets éducatifs territoriaux – la réforme des rythmes scolaires et le développement des activités périscolaires pouvant être un levier pour les CSTI –, de systématiser la sensibilisation aux sciences de l'ingénieur et aux métiers de techniciens, sur le modèle du concours européen inGenious, et de développer le recours aux dispositifs tels que « La main à la pâte ».
Dans les collèges, il faudrait généraliser l'enseignement intégré de science et de technologie (EIST) jusqu'en troisième, inclure un module consacré au volet industriel des CSTI dans les thèmes de convergences des programmes, transformer le cours d'histoire des arts en cours d'histoire des arts et des techniques et faciliter les stages de découverte de troisième dans les domaines scientifiques, techniques et industriels. Dans les lycées, il serait intéressant de généraliser les travaux pratiques encadrés (TPE), de renforcer l'enseignement de l'informatique et d'initier les lycéens à la recherche, avec l'appui des organismes de recherche spécialisés dans les matières de leur série.
Plus généralement, afin que davantage d'élèves soient sensibilisés aux CSTI, il serait souhaitable de structurer les initiatives, notamment en nommant dans chaque établissement un « référent » en charge de coordonner les actions de partage des CSTI. Le rapport propose également d'organiser, autour d'un thème annuel, des « conférences citoyennes » associant les élèves et les parents et de transposer en France les dispositifs québécois et allemands qui reposent sur des concours ludiques de sciences et techniques.
Améliorer le partage des savoirs, c'est aussi le rendre accessible au plus grand nombre. Il s'agit ainsi de corriger les effets pervers de ce que les spécialistes appellent la « démocratisation ségrégative » du système éducatif français. Pour lutter contre les inégalités sociales, le rapport formule plusieurs propositions en matière d'orientation scolaire et professionnelle. Les choix d'orientation pourraient être notamment « décalés » après la seconde ou la conception des voies générale, technique et professionnelle revue.
Quant aux inégalités entre les femmes et les hommes, le rapport constate que celles-ci rencontrent toujours des difficultés pour accéder aux carrières scientifiques et techniques. Nous avons cité, à titre d'illustration, l'étude publiée par la revue Nature le 11 décembre 2013, qui analyse l'ampleur de ces inégalités dans la recherche et insiste sur le fait qu'aucun pays ne peut se permettre de négliger la contribution intellectuelle de la moitié de sa population.
Conformément à l'esprit de notre démarche, qui vise à proposer des solutions aussi concrètes que possible, nous avons recommandé l'introduction, dans le cahier des charges des éditeurs de manuels, d'une obligation, celle de s'abstenir de publier des « clichés » sur les femmes et des hommes. Nous avons aussi proposé de former les acteurs de l'orientation scolaire et professionnelle à la mixité des métiers ou encore de conditionner une partie de la dotation publique aux universités et aux organes de recherche à l'adoption de mesures en faveur de l'égalité entre les femmes et les hommes, un rapport annuel devant être publié sur le sujet par ces différentes structures.
Améliorer le partage des savoirs passe ensuite par le développement d'une culture du « dialogue apaisé » sur la science, la technologie et l'industrie, une responsabilité que devraient assumer ceux qui détiennent le pouvoir – décideurs, médiateurs de la science et industriels – mais aussi les citoyens. Dans cette perspective, les actions de médiation devraient obtenir une reconnaissance institutionnelle dans la carrière des chercheurs. Nous avons obtenu des avancées en la matière au moment de l'examen de la loi du 22 juillet 2013 relative à l'enseignement supérieur et la recherche, grâce à l'adoption de trois grandes dispositions :
– la CSTI fera partie de la stratégie nationale de recherche et sera donc prise en compte dans la mise en oeuvre de ce cadre d'action ;
– les conseils académiques des universités pourront par ailleurs adopter des mesures qui permettront aux étudiants de développer les activités de diffusion de la CSTI ;
– enfin, le Haut Conseil à l'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur aura pour mission de veiller à la valorisation des activités de diffusion de la CSTI dans la carrière des personnels de l'enseignement supérieur et de la recherche.
Nous avons retenu d'autres propositions sur cette thématique, comme l'ouverture des laboratoires de recherche, l'importation du concours « Thèse en trois minutes », la création d'un module de médiation scientifique en troisième année de licence, le regroupement par territoires des acteurs locaux des CSTI pour mutualiser les outils ou encore l'incitation au recrutement d'administrateurs de recherche et au développement de cellules d'ingénierie de projets.
En ce qui concerne les médias, le rapport préconise l'instauration d'un lieu-ressources pour faire le lien entre journalistes et chercheurs, par exemple dans le cadre de l'Institut des hautes études pour la science et technologie (IHEST). M. Leleu et moi-même avons renoncé à instaurer un dispositif analogue au Science Media Center de Londres. Outre le fait que la directrice de ce centre, que nous avons rencontrée, nous a indiqué que celui-ci ne comprenait pas de spécialistes des sciences humaines et sociales, il apparaît, comme plusieurs internautes français l'avaient relevé lors de l'affaire Séralini, que certains de ses contributeurs ne sont pas exempts de conflits d'intérêts.
Par ailleurs, nous avons jugé nécessaire que les futurs journalistes soient mieux informés des spécificités des CSTI et qu'à cette fin des modules de méthodologie et d'histoire des sciences et des techniques puissent être intégrés dans le cursus des écoles de journalisme. Nous avons également proposé de développer des émissions analogues à d'Art d'Art sur la recherche ou des feuilletons « grand public » mettant en scène les métiers de l'industrie, puisque, dans un tout autre domaine, une telle formule rencontre, avec Les experts, un grand succès.
En ce qui concerne la place des citoyens dans le débat public, l'OPECST devrait réitérer et développer son expérience d'« organisateur » des conférences de citoyens. En outre, le niveau régional nous a semblé être le bon échelon pour s'assurer de la participation du public. C'est pourquoi nous avons proposé d'inciter chaque région à instituer un lieu de débats permanents et un observatoire des sciences et technologies.
Les décideurs devraient être aussi mieux formés aux enjeux des CSTI, qu'ils soient économiques, cadres de l'administration ou responsables politiques, notamment à travers la formation initiale délivrée par les grandes écoles, la promotion des formations de l'IHEST auprès des élus ou la création d'« un café des sciences » dans les assemblées parlementaires.
S'agissant de la gouvernance des CSTI, il importe de renforcer la coordination des politiques au plan national, notamment en confiant un rôle pilote au ministère en charge de la recherche. Cette orientation répond au souhait, exprimé par nombre de nos interlocuteurs, de voir s'affirmer un État stratège. Par ailleurs, ce dernier devant s'appuyer sur les ressources et besoins des territoires, le rapport propose qu'une conférence annuelle rassemble l'État et les acteurs locaux, afin de débattre des questions touchant à la stratégie des CSTI et d'échanger sur les bonnes pratiques.
Il faudrait également simplifier la gouvernance en séparant la présidence du Conseil national de la culture scientifique, technique et industrielle de celle d'Universcience et prévoir, au sein de ce conseil, une représentation plus importante des régions, des musées et du monde associatif. Il conviendrait également de conforter financièrement les têtes de réseaux, notamment dans leur rôle de coordination des acteurs et de mutualisation de leurs actions.
Au niveau local, M. Leleu et moi-même avons jugé pertinent le transfert des crédits destinés aux actions en faveur des CSTI aux régions, mais avons proposé qu'en contrepartie, ces collectivités puissent définir, en lien avec l'État, des stratégies territoriales. Nous avons également pensé qu'il est important d'impliquer les collectivités territoriales dans l'administration des Maisons des sciences.
Ces recommandations tentent de répondre à la demande des acteurs favorables à une gouvernance régionale forte, qui respecte l'autonomie et la diversité, tout en favorisant la cohérence de leurs actions et la mutualisation de leurs travaux. Sur ce point, un membre de l'OPECST a souligné la très forte responsabilité que les régions auront à exercer en la matière, compte tenu des crédits qui leur seront transférés mais aussi, et surtout, du rôle crucial qu'elles auront à jouer dans la mise en oeuvre de nos recommandations.
Nous avons aussi voulu insister sur le fait que connaître et partager les cultures scientifique, technique et industrielle constituait un objectif politique majeur, dont on ne peut faire l'économie, sous peine de vider la « société de la connaissance » de toute substance et de prendre le risque de mettre en péril l'impératif de la cohésion sociale, en creusant davantage le fossé entre « sachants » et « non-sachants ».
De nombreux rapports ont porté sur la culture scientifique technique et industrielle, une notion apparue il y a plus de trente ans. Cette dernière vise plusieurs objectifs : la démocratisation ou la vulgarisation des savoirs et l'excellence des systèmes d'éducation.
Votre rapport montre aussi que le développement du partage des CSTI a été le fruit du volontarisme d'une multitude d'acteurs. Il souligne l'urgence qu'il y a à donner une nouvelle impulsion à leurs actions. Il propose également des cadres d'action en termes de gouvernance ou de stratégie nationale à la hauteur des besoins en matière de diffusion de ces cultures.
Cet objectif est d'abord porté par l'éducation formelle et informelle.
En ce qui concerne l'éducation formelle, je ne peux que partager les constats que vous établissez. Néanmoins, dans les recommandations que vous formulez, vous vous intéressez à toutes les strates de l'éducation – école primaire, collège, lycée et enseignement supérieur. J'ai été surprise de ne pas voir cités les lycées professionnels, les centres de formation des apprentis (CFA) ou les lycées agricoles. Quelle place accordez-vous à ces types d'établissement dans votre travail ? Sont-ils concernés par les propositions 27 et 28 relatives aux établissements d'enseignement primaire et secondaire ? Élue d'un territoire où l'enseignement agricole occupe une place importante, je ne peux que m'étonner que ces filières, qui sont celles qui souffrent le plus de la démocratisation ségrégative du système éducatif, ne fassent pas l'objet d'une étude approfondie.
En ce qui concerne la simplification et l'amélioration de la gouvernance, il est essentiel de bâtir un consensus sur les enjeux des diverses composantes des CSTI. Encore faut-il qu'il existe un cadre permettant d'y parvenir de manière optimale. Se trouve ainsi posée la question cruciale de la gouvernance. Vous identifiez les faiblesses de cette dernière et les moyens d'y remédier. Vous préconisez le maintien d'un État stratège à l'heure où la décentralisation tend à s'accentuer. Comment voyez-vous la coordination entre les différents ministères concernés : ministère de la culture et de la communication, ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche ? Lequel de ces ministères doit, selon vous, jouer le rôle de pilote ? Envisagez-vous la nomination d'un délégué interministériel en charge des CSTI ?
Eu égard à la liste des projets lauréats du programme des investissements d'avenir, vous avez souligné, à juste titre, la richesse du gisement d'inventivité et de talents que les acteurs territoriaux sont en mesure d'exploiter. Comment identifier davantage les innovations qui sont encore malheureusement trop mal connues ? Comment favoriser les échanges au niveau interrégional ? Vous évoquez la création d'un lieu de débat permanent au niveau des régions, pouvez-vous nous en dire davantage ?
Je salue la qualité de ce rapport. La nécessité de donner une nouvelle impulsion à la CSTI est un constat partagé par tous. Ce rapport a d'ailleurs été adopté à l'unanimité par les membres de l'OPECST, ce qui montre bien que vos préconisations font consensus.
Ce sujet nous ramène aux origines de la République et souligne la place que la science doit légitimement occuper dans nos sociétés modernes. Il me rappelle l'hommage rendu par la République à la science le 27 décembre 1892, lorsque le monde scientifique et le monde politique se sont réunis en Sorbonne pour le jubilé de Louis Pasteur. Ce moment a été immortalisé par un très beau tableau de Jean-André Rixens représentant Louis Pasteur entrant dans le grand amphithéâtre de la Sorbonne au bras de Sadi Carnot.
Par ailleurs, dans Le Savant et le politique, Max Weber analysait le désenchantement du monde. Vous montrez comment la science peut contribuer à « ré-enchanter » nos sociétés contemporaines. Vous appelez de vos voeux une discussion apaisée autour de la science, une valorisation des actions de médiation scientifique. Il y a un gros travail à effectuer pour valoriser la médiation scientifique dans la carrière des enseignants-chercheurs.
Vous parlez de responsabilité partagée en ce qui concerne l'insuffisante diffusion des CSTI. On peut en particulier regretter la faible place accordée à la science à l'École nationale d'administration même si l'école a créé un module consacré aux politiques publiques de recherche. Ce constat vaut pour toutes les formations en sciences politiques.
L'Académie des sciences a mis en place un dispositif, « La main à la pâte », qui permet de diffuser la culture scientifique auprès de nos jeunes élèves et d'améliorer le partage des savoirs. Que peut-on faire pour développer et diffuser davantage ce type de dispositif au sein de l'éducation nationale ? Quel lien établissez-vous entre la diffusion des CSTI et la stratégie de Lisbonne qui vise le développement d'une économie de la connaissance dans l'Union européenne ? En effet, comme vous l'indiquez dans votre rapport, les États bien classés dans l'enquête PISA confirment l'existence d'un lien fort entre un taux élevé de croissance du PIB et un niveau élevé de formation. Enfin, que peut-on faire pour diffuser les CSTI auprès des décideurs politiques ?
Votre travail, précieux, s'inscrit dans la perspective du développement d'une économie de la connaissance qui nécessite un accès le plus large possible à la science et à la technologie d'une part, et la construction d'une relation de confiance entre les pouvoirs publics et la communauté scientifique d'autre part.
Il est d'autant plus utile que le constat est véritablement alarmant. En effet, selon la dernière enquête PISA, en sciences, la performance des élèves français est très moyenne en bas comme en haut de la hiérarchie scolaire. Ainsi, 18,7 % des élèves sont en dessous du niveau minimal de compétences pour participer effectivement à la vie courante, ce qui place la France au vingt et unième rang de l'OCDE. En outre, 8 % des élèves seulement peuvent être considérés comme de bons ou de très bons élèves, ce qui place la France au quinzième rang.
Je souhaite, au nom du groupe UDI, saluer la qualité du travail qui nous est aujourd'hui présenté et vous interroger plus particulièrement sur trois points.
Vous recommandez de réduire les inégalités d'accès au savoir scientifique et technologique. Vous préconisez à cet effet de prévenir les choix irréversibles d'orientation en réduisant le nombre des options en voie générale, en facilitant les changements de parcours entre les voies générale, technologique et professionnelle et en accordant le bénéfice d'une année supplémentaire d'études aux bacheliers de chacune des trois voies. Si une telle réforme apparaît nécessaire, elle risque toutefois de s'avérer insuffisante. Comment entendez-vous, en parallèle, revaloriser les métiers techniques et de l'industrie afin de les rendre plus attractifs ?
Pour promouvoir et diffuser les CSTI, il est nécessaire de créer davantage de connexions et de passerelles entre le monde de l'éducation, celui de la recherche et celui du développement économique et industriel. Jusqu'où faudrait-il, selon vous, pousser cette logique ? Pensez-vous qu'il soit nécessaire de rapprocher l'université et les entreprises qui possèdent un véritable savoir-faire en matière scientifique, technique et industrielle ? Considérez-vous que la même démarche puisse être pertinente à tous les niveaux d'enseignement ?
Enfin, vous entendez favoriser une culture du dialogue apaisé entre les acteurs de la science, de la technique et de l'industrie et le public, qui serait le vecteur de construction d'un savoir démocratique plus large et qui renforcerait la place du citoyen dans les grands débats scientifiques, techniques et industriels. Quelles sont les mesures concrètes que vous proposez en ce sens ?
Je vous remercie à mon tour pour cet excellent rapport, très complet, sur les cultures scientifiques, techniques et industrielles. Les soixante-dix-neuf recommandations qu'il présente ont des ambitions très diverses qui concernent un nombre très important de domaines, de l'éducation aux médias en passant par les entreprises et la gestion des universités. Le groupe écologiste se retrouve dans un certain nombre d'entre elles, notamment celles concernant la formation des formateurs recrutés dans les écoles supérieures du professorat et de l'éducation, la formation continue des enseignants, la généralisation des travaux pratiques encadrés en classe terminale, l'organisation dans les établissements primaires et secondaires de débats sur le modèle des conférences de citoyens et les nombreuses recommandations qui prônent la reconnaissance de l'informatique comme matière à part entière, en particulier le soutien aux logiciels libres, mentionné en page 45, ou encore la systématisation des enseignements interdisciplinaires.
De manière plus générale, nous nous retrouvons toutefois dans l'analyse de François Jarraud qui critique dans le Café pédagogique la volonté de redessiner toute l'éducation nationale sous cette seule perspective. La lecture du rapport donne en effet l'impression que très peu est fait dans l'éducation nationale en faveur des projets de sciences et de technologie alors que de nombreuses initiatives existent déjà et que les CSTI font partie intégrante d'un des cinq piliers du futur socle de connaissances, de compétences et de culture. Et d'ailleurs, le rapport donne parfois l'impression que le législateur veut se substituer au Conseil supérieur des programmes, et plus largement, aux éducateurs, en entrant trop dans le détail des programmes scolaires.
Le rapport prétend intervenir dans des pans entiers de la société, que ce soit l'école, de la maternelle à l'université, en passant par les établissements d'enseignement supérieur fréquentés par les décideurs – il serait, d'ailleurs, très intéressant de connaître la liste de ces établissements pour pouvoir y inscrire nos enfants –, sans oublier le monde de l'entreprise.
Nous reconnaissons vraiment l'intérêt de recenser les bonnes pratiques, qu'elles soient françaises ou étrangères, mais nous nous interrogeons sur la logique des recommandations adressées aux acteurs. Ne serait-il pas préférable de favoriser les initiatives locales dans une logique de « bottom up », plutôt que d'édicter d'en haut une liste de grands principes et de recommandations ? À titre d'exemple, le collège de la Mine au Molay-Littry dans le Calvados organise régulièrement un festival de la culture scientifique et technique, avec un concours pour les élèves des classes du collège, mais ce succès vient d'une initiative de l'équipe pédagogique et n'est pas reproduit à plus grande échelle dans l'académie.
Pour réellement encourager les bonnes pratiques, ne vaudrait-il pas mieux accroître la liberté d'action des intervenants et revoir les financements, comme par exemple, augmenter les budgets de soutien aux initiatives, sortir de la logique d'appel à projets qui favorisent les plus grosses structures, etc.? Et ne vaudrait-il pas mieux soutenir les réformes déjà initiées pour pouvoir ensuite en faire un bilan en vue de leur potentielle amélioration ? Globalement, encourageons plus largement l'expérimentation tout en ayant ensuite un retour, une évaluation, afin de diffuser les bonnes pratiques nationalement, voire au-delà !
Il est également crucial d'ouvrir plus largement l'éducation à l'usage des logiciels libres – cela est évoqué dans le rapport – car aujourd'hui, Microsoft a une stratégie d'infiltration très bien rôdée, et les enseignants sont trop souvent ses meilleurs agents commerciaux par manque d'alternative officielle, alors que le logiciel libre, qui restera utilisable par les élèves au-delà de leur parcours scolaire, devrait être une évidence.
Par ailleurs, nous avons toujours reconnu le rôle de la science pour éclairer les débats de société. L'environnement ou l'énergie constituent d'excellents exemples de l'apport des scientifiques pour éclairer la décision publique et démocratique. Il faut donc que les citoyens puissent s'emparer des résultats de la recherche, comprendre la teneur des grands débats qui animent la science ; cela passe, comme vous l'avez mentionné dans votre introduction, par le partage de la culture scientifique. En effet, les scandales à répétition, notamment dans l'agro-alimentaire ou dans l'industrie pharmaceutique, ont jeté un discrédit sur le discours scientifique. Si nous souhaitons des débats apaisés, nous devons favoriser l'implication des citoyens au coeur de la culture scientifique, technique et industrielle. C'est d'ailleurs le travail mené par l'Alliance Science-Société qui organise un grand colloque sur le sujet au Sénat en janvier prochain ; c'est aussi la mission sur les sciences citoyennes qui a été confiée à Marc Lipinski par le président du CNRS.
Il faudrait aussi, et ce point n'est pas évoqué dans votre rapport, favoriser les universités populaires dont le succès montre l'engouement des citoyens pour l'éducation tout au long de la vie, et le dialogue avec les chercheurs.
Nous regrettons, enfin, que ce rapport ne parle pas de l'indispensable revalorisation du doctorat et, plus largement, de la recherche publique et de l'université qui a été si malmenée ces dernières années.
Pour conclure, plutôt qu'une longue liste de recommandations, nous aurions préféré que le rapport insiste davantage sur quelques mesures qui peuvent avoir un véritable effet « levier », comme celles que j'ai évoquées précédemment – logique de bottom up dans le soutien aux bonnes pratiques, développement de la science participative ou revalorisation véritable de la recherche publique et soutien à la refondation de l'école pour qu'elle puisse aller jusqu'au bout en réformant réellement le contenu des enseignements.
Je voudrais saluer l'intitulé même de ce rapport qui associe les cultures scientifiques aux cultures techniques et industrielles et accorde à ces dernières leur juste place. Ce rapport fait écho à celui sur l'enseignement des sciences au primaire et au collège que j'ai présenté en octobre 2013. Dans ce rapport, j'abordais l'écueil majeur de cet enseignement en crise qu'est l'accumulation des notions sans que les savoirs soient construits. Il est en effet urgent de faire converger les disciplines scientifiques et de sanctuariser les démarches d'investigation et les travaux pratiques, évidemment en complément de l'acquisition des fondamentaux. L'objectif est de permettre aux enfants issus de milieux très éloignés de la culture scolaire d'aimer l'école et d'acquérir le goût des sciences.
Dans votre rapport, je relèverai plus particulièrement trois préconisations qui me semblent incontournables : la formation des enseignants, d'abord, l'apprentissage dès la maternelle, ensuite, et la prévention des choix d'orientation que vous qualifiez d' « irréversibles » en favorisant les changements de parcours entre voie générale et voie professionnelle. Comment envisagez-vous leur mise en oeuvre ? Ces préconisations ont-elles reçu un accueil favorable de la part du ministère concerné ?
Je vous remercie pour ce rapport très complet qui conclut une série de réflexions visant à appréhender, organiser et coordonner le domaine de la culture scientifique, technique et industrielle. Je ferai deux observations parmi toutes les questions que ce rapport suscite.
La première sur le rôle nouveau des conseils régionaux. Depuis le 1er janvier 2014, ce n'est plus Universcience qui va attribuer aux territoires les crédits nationaux comme il le faisait depuis plusieurs années, via les délégations régionales à la recherche et à la technologie (DRTT), mais les conseils régionaux, et les crédits vont être directement versés aux régions par la dotation générale que l'État français alloue aux collectivités. Comment les régions vont-elles les affecter ? Selon quelle stratégie ? La situation peut être très différente d'une région à l'autre, d'où de nombreuses inquiétudes parmi les acteurs, sans parler des dérapages de calendrier. Aujourd'hui, ni les services de l'État en régions, ni les services régionaux ne savent encore comment ils vont concrètement attribuer ces crédits alors que l'année est déjà bien entamée.
Ma seconde observation concerne les universités et les centres de recherche, qui sont appelés à une mobilisation accrue. À l'heure de l'autonomie des universités, au moment où elles doivent élaborer leur stratégie en tenant compte de leur implantation territoriale et de leur impact socio-économique, on peut s'étonner de l'absence de recommandations à leur égard en matière de gouvernance de la CSTI. Comment expliquez-vous l'absence de telles recommandations ? Considérant les nombreuses réflexions et initiatives prises en matière de CSTI par les organismes de recherche, il aurait été intéressant de réfléchir avec eux et avec les autres parties prenantes au rôle qu'ils peuvent jouer dans cette nouvelle gouvernance.
Merci à notre collègue non seulement pour le contenu de cet excellent rapport, mais aussi pour son titre qui marque davantage le faire-connaître et le partage.
Vous développez une approche différente de celle des nombreux rapports précédents qui se sont contentés de souligner les insuffisances de la diffusion de la culture scientifique, technique et industrielle et vous définissez deux séries d'objectifs majeurs, la démocratisation de l'accès au savoir et l'excellence des systèmes d'éducation et de recherche.
L'amélioration du partage des savoirs et la démocratisation de l'accès au savoir passent par le chantier de la réduction des inégalités entre les femmes et les hommes, chantier auquel je suis très attachée. Le rapport souligne que les avancées ne sont pas négligeables, s'agissant, en particulier, de la réussite scolaire des jeunes filles. Mais ces évolutions ne se traduisent pas par une meilleure application du principe d'égalité entre les femmes et les hommes. Ainsi, en 2010, les femmes représentaient 34,5 % des chercheurs du secteur public alors que ce taux était de 32,6 % il y a dix ans, soit une progression de deux points seulement. En outre, la situation varie d'une discipline à l'autre. Ainsi, en sciences du langage et de la culture, la part des chaires détenues par les femmes est de 30 %. En revanche, dans les sciences de l'ingénieur, en sciences physiques et en mathématiques, le taux est le plus faible de toutes les disciplines et s'établit à 10 %.
Vous formulez un certain nombre de propositions : conditionner le montant des subventions versées aux associations des CSTI à leur action en faveur de l'égalité femmes-hommes pour développer le goût des sciences et susciter les vocations scientifiques autant chez les filles que chez les garçons ; conditionner une partie de la dotation aux universités et aux organes de recherche à la prise de mesures en faveur de l'égalité femmes-hommes, les universités et les organes de recherche devant présenter sur ce sujet un rapport annuel ; former les professeurs, les médiateurs et le service public de l'orientation afin qu'ils encouragent les jeunes filles et les femmes à se diriger vers les métiers de la recherche et les sciences de l'ingénieur ; introduire dans le cahier des charges des éditeurs de manuels scolaires l'obligation d'éviter, comme vous l'avez rappelé, les clichés de genre ; inviter la mission contre les discriminations entre filles et garçons du ministère de l'éducation nationale à s'assurer du respect de cette disposition et instituer au sein des établissements de recherche un référent égalité femmes-hommes chargé de prévenir les discriminations.
J'en prends bonne note et souhaite vivement que nous parvenions à les mettre en oeuvre ! Mais comment intervenir le plus en amont possible pour que les petites filles ne craignent pas ou plus de se tourner vers les métiers scientifiques, techniques et industriels ? Ne pourrait-on pas utiliser à cette fin le temps périscolaire dégagé par la mise en place des nouveaux rythmes scolaires ?
Je souhaiterais à mon tour féliciter notre collègue pour la précision et le caractère très documenté de son rapport. Sans revenir sur les préconisations, je poserai trois questions.
Ne pensez-vous pas qu'il est quelque peu paradoxal de constater la faiblesse de la culture technique et scientifique en France, alors même que depuis trente ans au moins notre système éducatif s'est délibérément orienté vers la prééminence des filières mathématiques, scientifiques et techniques ?
Ma deuxième interrogation concerne l'orientation. S'il semble nécessaire de développer la culture scientifique, technique et industrielle, pour autant tous les jeunes ne vont pas s'orienter vers ces filières. Or, dans notre pays et depuis très longtemps, il y a une vraie faiblesse de notre système d'orientation. Ne pourrait-on pas faire des préconisations en matière d'orientation afin que les choix faits par les uns et les autres soient mieux réfléchis, mieux muris et, en définitive, plus opportuns ?
Enfin les recommandations que vous formulez ne seraient-elles pas mieux mises en oeuvre dans le cadre d'une plus grande autonomie des établissements scolaires ? Dans un tel contexte, en effet, les établissements pourraient peut-être profiter davantage de l'environnement scientifique, technique et industriel de telle ou telle ville, tel ou tel département, telle ou telle région, en passant des accords avec des centres de recherche, des entreprises et plus généralement avec tous les organismes publics ou privés qui pourraient concourir au développement de la culture scientifique, technique et industrielle ?
Votre rapport, très exhaustif, met l'accent sur la diffusion de la culture scientifique et industrielle. À la lecture de ce rapport, je souhaiterais vous poser deux questions, la première portant sur l'éducation à l'environnement.
Nous avons auditionné, le 14 mai dernier, conjointement avec la commission du développement durable, MM. Allain Bougrain Dubourg et Antoine Dulin, auteurs d'un rapport consacré à l'éducation à l'environnement et au développement durable, qui, d'après eux, devrait être conçue comme un module transversal de l'enseignement.
Selon vous, dans quelle mesure la dilution de l'éducation à l'environnement signale-t-elle une forme de régression ? Nécessaire à la formation citoyenne, cette éducation porte, avant tout, sur la compréhension de l'implication des enjeux scientifiques, industriels et techniques. Vous insistez, du reste, dans votre rapport, sur la place des citoyens et de la commission nationale de débat public (CNDP), qui dispose, en son sein, de formations spécifiques – par exemple sur les transports – qui ont des aspects industriels, techniques et environnementaux. Vous soulignez également le piège du « tout numérique », l'affectation des crédits budgétaires étant essentiellement gouvernée par l'impératif numérique, au détriment de l'éducation à l'environnement. L'ouvrage de MM. Michel Callon, Pierre Lascoumes et Yannick Barthe, intitulé « Agir dans un monde incertain. Essai sur la démocratie technique », avait d'ailleurs souligné l'importance de bénéficier d'une éducation à l'environnement pour comprendre les enjeux techniques et scientifiques.
Par ailleurs, en ce qui concerne les cours en ligne – les MOO – sur lesquels vous émettez certaines réserves, et leur généralisation, pourrait-on envisager d'accentuer la culture scientifique par le biais de certifications délivrées à la suite de ces cours ? Il s'agit en effet d'un enjeu de compétitivité au plan international.
Ne pensez-vous pas souhaitable de donner une initiation aux problématiques scientifiques à tous les niveaux et dans tous les domaines, notamment dans des disciplines qui ne sont pas, à proprement parler, scientifiques, comme le droit ou l'économie ? Par ailleurs, M. Claude Birraux, ancien président de l'OPECST, s'est longtemps ému qu'il y ait très peu de journalistes spécialisés dans le domaine scientifique, conduisant à la diffusion d'informations aléatoires. Ne pourrait-on pas favoriser, sur les chaînes publiques, sans alourdir leur cahier des charges, déjà bien rempli, le recrutement de journalistes réellement formés à la chose scientifique ?
Vous présentez, à la page 48 de votre excellent rapport, la genèse du programme de « La main à la pâte », considéré comme « le plus célèbre des programmes de rénovation de l'enseignement des sciences dans le cycle primaire ».
Sous l'impulsion de George Charpak, prix Nobel de physique et de l'Académie des Sciences, le projet de « La main à la pâte » a été développé à partir de 1996 par le ministère de l'éducation nationale. La méthode retenue s'est inspirée de l'opération Hands On présentée en 1992 par Leon Lederman, autre prix Nobel américain. Cette opération, mise en pratique en 1986 dans les écoles défavorisées de Chicago, visait à développer les connaissances scientifiques des élèves en mettant l'accent sur l'observation et l'expérimentation. Le dispositif de « La main à la pâte » a adapté ces principes en France et s'appuie sur le développement de la curiosité scientifique par l'observation des phénomènes du monde réel. Les questionnements des élèves sont suivis d'expérimentations en groupe pour tenter d'y répondre, ce qui favorise les échanges et les argumentations.
Cette expérimentation concernait initialement 344 classes, réparties dans cinq départements. À l'heure actuelle, le programme est appliqué par près de la moitié des classes des écoles élémentaires. Or, au vu des nombreuses personnalités qui ont rendu hommage à la clairvoyance de Georges Charpak – tel que M. Pierre Léna, délégué permanent à l'éducation et à la formation au sein de l'Académie des Sciences – et face à un programme qui a fait ses preuves, près de vingt ans après son lancement, ce chiffre paraît encore faible. Vous proposez donc, à juste titre, de développer le recours à ce dispositif. Quelles sont les mesures qui pourraient être mises en place afin d'inciter les enseignants de primaire à s'y engager ?
Votre proposition n° 38 vise à réformer les filières scientifique, littéraire, économique, sociale et technologique, notamment en initiant les lycéens à la recherche, en liaison avec les organismes de recherche correspondant à leurs filières. Comment envisagez-vous, concrètement, d'initier les lycéens à ces processus de recherche ? Par ailleurs, vous évoquez la pénurie de journalistes formés à la culture scientifique et esquissez plusieurs pistes d'évolution concernant les média. Quelles sont celles qui ont votre préférence ? Enfin, plus généralement, vous évoquez aussi des propositions que vous n'avez pas souhaitez retenir de manière formelle. Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur les raisons de ce choix ?
La qualité de ce rapport et de ses propositions m'amène à soulever la question de leur application. Comment comptez-vous suivre l'application de ce rapport ? Nous produisons ici quantité d'excellents rapports ; je ne voudrais pas que celui-ci connaisse le même sort qu'eux, à savoir remplir les étagères de l'Assemblée nationale ! Le contrôle des politiques publiques fait partie des prérogatives constitutionnelles du Parlement et, à ce titre, nous devons nous tenir informés des suites qui sont données aux rapports. D'ailleurs, le président de notre Commission a présenté, en 2012, un rapport sur les recommandations faites par celle-ci depuis dix ans et leur mise en oeuvre. Nous avons aussi fait usage de ce « droit de regard » pour la loi du 8 juillet 2013 relative à la refondation de l'école, à travers la mise en place d'un comité de suivi.
Je m'associe pleinement aux propos très pertinents de notre collègue Yves Durand. Si nous devons faire des rapports, il faut également que nous nous assurions de leur application. Pour prendre un sujet d'actualité, le rapport d'information de notre collège Jean-Patrick Gille sur les métiers artistiques, paru en 2013, a connu une nouvelle vie, mais avec, si j'ose dire, un an de retard, ce qui n'a pas été sans conséquences…
L'ambition de ce rapport, vous l'avez compris, est de faire des propositions visant à ce que l'ensemble des acteurs se rassemblent pour mettre en place des politiques partagées.
En ce qui concerne les lycées agricoles et professionnels, ils sont évoqués indirectement à travers les propositions relatives aux procédures d'orientation et aux filières.
En matière de gouvernance, nous souhaitons que le ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche soit le pilote de la mise en oeuvre des actions en faveur des CSTI, puisqu'il en gère les crédits. Si les CSTI relèvent, pour l'heure, du ministère de la culture et de la communication, le ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche n'est pas opposé à un éventuel partage entre les deux ministères. Plutôt qu'une délégation interministérielle, nous souhaitons qu'il y ait, au sein de chaque ministère, un référent sur ces questions.
Nous souhaitons également qu'il existe des lieux de débat permanent au niveau des régions, puisqu'elles gèrent une partie des crédits. De la sorte, les citoyens se sentiraient plus concernés par ces sujets. Cela permettrait aussi à l'ensemble des acteurs et partenaires d'échanger. L'État aura la responsabilité de définir la stratégie nationale et les régions auront pour tâche de la mettre en oeuvre, mais également de coordonner les initiatives locales et de formuler des propositions.
« La main à la pâte » est une forme d'apprentissage que nous souhaitons voir généralisée. Actuellement, cette expérimentation n'est appliquée que dans la moitié des écoles primaires : il est dommage que toutes les écoles ne se soient pas emparées de ce dispositif. C'est pourquoi nous recommandons que, dès la formation des formateurs et des futurs professeurs des écoles, il y ait une sensibilisation aux cultures industrielle, scientifique et technique. Bien souvent, les professeurs des écoles sont issus de filières littéraires et ne sont pas sensibilisés à ces matières-là. Il est donc nécessaire de développer leur appétence pour les CSTI dès l'université.
Nous avons également souhaité que les décideurs politiques soient clairement associés. L'OPECST pourrait ainsi développer la tenue de « cafés des sciences ». L'une de nos propositions consiste en effet à confier à l'OPECST le soin d'organiser ces débats, pourquoi pas, par exemple, à la buvette de notre Assemblée.
En ce qui concerne la dimension européenne de notre problématique, c'est le programme Horizon 2020 – et non la Stratégie de Lisbonne – qui est visée. Celui-ci insiste sur l'excellence scientifique et technologique des États membres et la France y participe.
Vous avez évoqué l'Institut des hautes études pour la science et la technologie (IHEST). Nous proposons qu'il devienne l'Institut des hautes études pour la science, la technologie et l'industrie (IHESTI), afin d'être plus incitatif sur l'aspect industriel de la culture scientifique.
Pour répondre à M. Rudy Salles, il conviendrait en effet de réfléchir plus en avant sur les filières et les changements de filières en cours d'année ; mais ce n'était pas l'objet premier du rapport.
En ce qui concerne les passerelles avec le monde économique industriel, nous souhaitons effectivement développer les liens entre des universités, ou des centres éducatifs, et des industries implantées sur le même territoire, comme cela existe déjà. Des visites de découverte pourraient notamment être organisées pour mieux faire connaître le patrimoine industriel et susciter les vocations. De même, la production de programmes télévisés, notamment des séries, mettant en scène l'industrie pourrait donner une image plus positive du monde industriel et avoir un impact important sur l'appétence pour les carrières scientifiques. La mise en place des concours centrés sur l'innovation participerait également de l'ouverture entre l'université et le monde économique industriel.
Pour répondre à la question de Mme Isabelle Attard sur les initiatives locales, j'indique que le terme « diffuser » a été remplacé par les termes « faire connaître et partager », précisément pour insister sur la nécessité d'une initiative ascendante de diffusion de la culture scientifique.
Nous avons également souhaité encourager l'expérimentation, en intégrant cet aspect à la formation des maîtres. C'est en effet un moyen de faire toucher du doigt aux plus jeunes ce que sont la science et la technologie.
La revalorisation de la recherche, quant à elle, est prévue par la « loi Fioraso » du 22 juillet 2013 qui met en place des instruments nouveaux, comme la stratégie nationale de la recherche.
Pour répondre à Mme Julie Sommaruga, j'ai rencontré M. Benoît Hamon il y a une dizaine de jours ; il s'est montré ouvert à nos propositions. Nous avons également vu Mme Geneviève Fioraso, qui a été tout à fait favorable à nos recommandations. Nous veillerons à ce que l'application de celles-ci soit suivie auprès de chaque ministère, leur entrée en vigueur ne pouvant qu'être échelonnée en fonction de leur degré d'importance. Nous souhaitons également qu'un débat ouvert à tous soit organisé d'ici un an par l'OPECST pour mesurer les effets de nos recommandations. Un certain nombre de propositions sont de facto déjà mises en oeuvre, notamment en ce qui concerne les MOOC.
En ce qui concerne les vocations scientifiques des jeunes filles, je pense qu'il revient notamment aux médias de s'emparer de la question afin de lutter contre les stéréotypes – par exemple, en évitant de montrer des « blouses blanches » toujours masculines –, mais aussi aux professeurs et aux familles de s'impliquer dans l'orientation de ces élèves, qui ne doit plus être prédestinée. Plus largement, je crois qu'il faut que toute la société s'y mette, afin de travailler sur l'image que les filles se font d'elles-mêmes et sur les freins qu'elles se créent.
Je prendrais l'exemple des manuels scolaire pour illustrer mon propos. J'ai été particulièrement choquée par un manuel de mathématiques pour les élèves de terminale scientifique, édité par Hachette en 2012 – donc récemment ! -, dont l'introduction au chapitre sur les nombres complexes commence par un dessin représentant un homme « complexe » qui s'adresse à une femme « réelle », laquelle explique qu'elle fait un « complexe » parce qu'elle a grossi… C'est quelque chose que nous ne voulons plus voir !
S'agissant de la gouvernance et de la représentation des organismes de recherches, je vous indique que l'Agence nationale de la recherche est membre du Conseil national de la culture scientifique, technique et industrielle et donc que le monde de la recherche y est représenté, même si je partage l'avis selon lequel cette représentation doit être renforcée.
Nous souhaitons introduire la recherche dans toutes les séries de l'enseignement secondaire, non seulement dans celles qui sont scientifiques et techniques et mais aussi dans celles qui se consacrent aux sciences humaines et sociales. C'est d'ailleurs cette même idée qui a fondé l'expérimentation de « La main à la pâte » : il faut donner plus largement l'envie de faire de la recherche.
Je partage le jugement qui a été émis sur la formation des journalistes scientifiques. J'ai été frappée de voir qu'en Allemagne la presse scientifique est importante et très lue ; cela n'a pas d'équivalent en France, où seulement une poignée de journalistes disposent de compétences scientifiques très poussées. C'est pourquoi nous recommandons d'introduire un volet scientifique dans la formation des journalistes, qui ont, je le rappelle, un rôle très important à jouer, non seulement pour se situer sur le terrain de la controverse mais aussi – et surtout – dans le partage de la connaissance. Pourquoi n'avons-nous pas retenu le modèle du « Science Media Center » ? De prime abord, l'idée nous avait paru séduisante, mais le mode de financement de la structure, qui s'appuie sur les industriels, laisse planer une suspicion sur les informations qu'elle pourrait donner et nous a conduits, par conséquent, à ne pas retenir cette piste.
J'ai également été interrogée sur les questions d'environnement. L'enseignement de la culture scientifique, technique et industrielle permet le développement d'un regard critique sur les différents enjeux de société liés à la science et à l'environnement – transition énergétique, nucléaire ou OGM, notamment – et apporte aux citoyens des clefs pour se faire un avis sur ces sujets. Si le rapport ne s'est pas focalisé sur l'éducation à l'environnement et au développement durable de manière spécifique, c'est qu'il est contenu dans les enseignements de découverte que nous évoquons tout au long du rapport.
Pour répondre à M. Huet, je rappelle notre préconisation sur le « fil rouge », ce sujet d'étude scientifique, technique ou industrielle qui pourrait être déterminé en début d'année scolaire dans les classes de collège et creusé tout au long de l'année, permettant la présentation de métiers par des professionnels et, le cas échéant, associant les parents. Quant à l'expérimentation « La main à la pâte », nous avons suggéré que des personnalités, notamment des retraités, puissent assister les professeurs des écoles, ce qui permettrait de faire davantage entrer les citoyens dans les établissements et de faire partager leurs connaissances.
Enfin, en réponse à M. Yves Durand qui m'interrogeait sur les suites de notre rapport, je rappelle ce que j'indiquais précédemment : nous avons l'intention d'organiser, sous l'égide de l'Office, un débat un an après la publication du rapport afin de mesurer l'état de mise en application des préconisations et de les mettre à jour.
Je tiens à vous remercier, madame la rapporteure, pour le souci que vous avez eu d'apporter une réponse précise à tous nos collègues, mais aussi pour cette matinée qui a permis aux membres de la commission de creuser une question sur laquelle nous serons inévitablement amenés à revenir.
La séance est levée à onze heures cinq.