COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES
Mercredi 1er octobre 2014
Présidence de Mme Danielle Auroi, Présidente de la Commission
La séance est ouverte à 17 heures
Table ronde sur la politique européenne de défense de la biodiversité dans la perspective de la Conférence des parties à la Convention sur la diversité biologique de Pyeongchang. Avec la participation de : M. Gilles Boeuf, professeur à l'Université Pierre-et-Marie-Curie ( UPMC, Paris VI ), président du Muséum national d'histoire naturelle ( MNHN ) ; M. Bernard Labat, chargé de mission droit et économie de la biodiversité de l'ONG Humanité et Biodiversité ; M. Aldo Ravazzi Douvan, conseiller mobilisation des ressources pour la biodiversité de la Présidence italienne de l'Union européenne ; M. Guillaume Sainteny, maître de conférences à l'École polytechnique ; M. Xavier Sticker, ambassadeur délégué à l'environnement ; M. François Wakenhut, chef de l'unité Biodiversité de la direction générale Environnement de la Commission européenne
Pour cette table ronde consacrée à la politique européenne de défense de la biodiversité dans la perspective de la Conférence des parties ( CdP ) à la Convention sur la diversité biologique (CDB) de Pyeongchang, je suis heureux d'accueillir : M. Gilles Boeuf, professeur à l'Université Pierre-et-Marie-Curie-Paris VI, président du Muséum national d'histoire naturelle et spécialiste des questions qui nous occupent aujourd'hui ; M. Bernard Labat, chargé de mission droit et économie de la biodiversité de l'organisation non gouvernementale Humanité et Biodiversité ; M. Aldo Ravazzi Douvan, conseiller mobilisation des ressources pour la biodiversité de la Présidence italienne de l'Union européenne, que je remercie tout particulièrement d'être venu de Rome pour se joindre à nous ; M. Xavier Sticker, ambassadeur délégué à l'environnement ; M. Guillaume Sainteny, maître de conférences à l'École polytechnique, engagé de très longue date sur la question de la biodiversité, spécialiste de la fiscalité de l'environnement et qui a présidé, en 2010 et 2011, une commission du Conseil d'analyse stratégique chargée de recenser les dépenses fiscales dommageables à la biodiversité ; et M. François Wakenhut, chef de l'unité Biodiversité de la direction générale Environnement de la Commission européenne, qui nous éclairera sur l'approche de l'Union européenne dans ce domaine essentiel.
Depuis le début de cette législature, notre Commission des affaires européennes a produit plusieurs travaux à propos de divers aspects de la biodiversité : l'accès aux ressources biologiques et le partage des avantages en découlant, l'incidence des projets d'infrastructures sur l'environnement, les espèces exotiques envahissantes ou encore la lutte contre le trafic d'espèces de faune et de flore sauvages menacées d'extinction. Nous nous apprêtons aussi à répondre à une consultation publique de la Commission européenne relative à l'objectif « aucune perte nette de biodiversité ».
Préalablement à l'examen en commission permanente du projet de loi-cadre relatif à la biodiversité, notre commission a également publié un rapport pour observations décrivant l'ensemble des politiques conduites dans ce domaine à l'échelle européenne.
Protéger la biodiversité est en effet essentiel, non seulement du point de vue de la nature elle-même, mais aussi d'un point de vue simplement humaniste, à travers la valorisation des services écosystémiques. La préservation de la biodiversité est vitale pour l'avenir de l'humanité.
À l'échelle planétaire, la perte de biodiversité constitue, avec le changement climatique, la principale atteinte structurelle aux équilibres écologiques. La conservation de la biodiversité est reconnue comme une « préoccupation commune à l'humanité » depuis l'adoption, en 1992, au Sommet de la Terre de Rio, de la CDB. La mise en oeuvre de ce texte fondateur, signé à ce jour par 193 pays, est assurée par une CdP qui se réunit au cours de sessions plénières biennales. La 12e Conférence se tiendra dans quelques jours, du 6 au 17 octobre, à Pyeongchang, en Corée du Sud.
Ce sommet sera essentiellement consacré à l'examen des progrès réalisés dans la mise en oeuvre du Plan stratégique mondial pour la diversité biologique 2011-2020 et de ses vingt objectifs, dits « objectifs d'Aichi pour la biodiversité », avec une double volonté : faire émerger les moyens d'une meilleure sensibilisation de la communauté internationale au rôle essentiel de la biodiversité ; obtenir qu'un accent plus fort soit mis sur ce sujet dans les discussions à propos de l'agenda de développement post-2015.
La 12e CdP sera par ailleurs l'occasion de faire un point à propos du protocole de Nagoya sur l'accès aux ressources génétiques et le partage juste et équitable des avantages découlant de leur utilisation, également adopté au Japon il y a quatre ans.
La question du financement des dispositions de la CDB sera aussi abordée dans ses trois dimensions : fléchage de crédits publics, incitations fiscales et mobilisation de fonds du secteur privé.
Plus de vingt ans après l'adoption de la CDB, la communauté internationale n'est pas parvenue à stopper le mouvement d'érosion de la biodiversité : la main de l'homme fait toujours disparaître les espèces naturelles à un rythme 100 à 1 000 fois plus élevé que la normale. Tout comme en matière de changement climatique, on peut certes considérer que la situation serait plus grave encore si aucun acte collectif global n'avait été posé. Mais comment se satisfaire de cet état de fait ? Quelles décisions attendez-vous de la Conférence des parties de Pyeongchang pour faire vraiment ralentir le mouvement de dégradation de la biodiversité mondiale ?
L'enjeu est similaire au niveau européen, puisque seulement 17 % des habitats et espèces et 11 % des écosystèmes protégés par la législation communautaire se trouvent dans un état favorable. L'action de l'Union européenne en faveur de la biodiversité, fondée depuis 1992 sur le réseau Natura 2000, s'est pourtant considérablement renforcée, ces dernières années, avec l'adoption d'une stratégie ad hoc pour la décennie 2011-2020, partie intégrante de la stratégie Europe 2020, l'intégration du facteur biodiversité dans la conception de la politique agricole commune (PAC), l'accent porté sur la biodiversité dans le programme LIFE + ou encore les textes relatifs à l'accès et au partage des avantages, aux espèces exotiques envahissantes ou à l'encadrement du commerce d'espèces protégées, adoptés récemment ou en passe de l'être. Quelle appréciation portez-vous sur l'efficacité de cet arsenal législatif ? Sur quels points vous semble-t-il perfectible ?
Pour commencer à répondre à ces deux problématiques, j'invite maintenant chacun d'entre vous, messieurs, à vous exprimer pour une intervention liminaire d'environ cinq minutes.
Nous commencerons par M. Ravazzi Douvan, qui devra nous quitter vers dix-huit heures, afin de rejoindre l'Italie ce soir. Outre les fonctions que vous exercez au nom de la Présidence italienne de l'Union européenne, je précise que vous êtes expert auprès de l'Organisation pour la coopération et le développement économiques (OCDE).
Parmi les priorités de la Présidence de l'Union européenne, à côté de l'économie verte, du « verdissement » du semestre européen et de l'objectif de porter le Conseil Environnement au même niveau que les conseils Écofin ou Affaires sociales, nous avons introduit la volonté d'avancer dans la mise en oeuvre de la CDB.
Notre approche part de la situation italienne, relativement favorable. L' Italie compte vingt-quatre parcs nationaux, des centaines de parcs régionaux et de zones de réserve, et nous nous efforçons de protéger la biodiversité, avec l'aide de la Commission européenne. Nous avons ainsi fait avancer notre pays et sommes heureux de partager avec vous des initiatives, dans le parc historique du Grand Paradis, dans le parc du Mercantour ou encore dans celui de la Vanoise. Nous avons réussi à réintroduire l'ours dans les Alpes, à gérer les loups de façon durable, à réintroduire l'ibex, tout en ayant devant nous le défi des abeilles et des lucioles.
Nous sommes en train d'essayer de donner à tout cela une valeur économique et d'identifier un développement de notre production fondé sur les services écosystémiques et de la biodiversité.
S'agissant de la prochaine CdP, la question financière du développement des ressources est très difficile. Dans ce domaine, dans lequel l'Europe joue un rôle d'avant-garde, nous avons trois types d'objectifs.
Premièrement, au plan international, il est prévu de multiplier par deux l'effort de solidarité internationale en 2015 par rapport à 2006-2010. Mais le Danemark, les Pays-Bas et la Norvège, qui consacrent 1 % du PIB à l'aide aux pays en développement, avec une composante biodiversité importante, devraient-ils procéder à un tel accroissement ? Et Pourquoi l'Italie, qui part d'un faible taux de 0,14 %, devrait-elle être soumise à la même règle, ce qui serait pour elle plus facile, même si sa situation économique est délicate ? Nous sommes tous dans une position très défensive vis-à-vis de la biodiversité et beaucoup de pays européens pensent qu'on est déjà allé trop loin, il y a deux ans, en Inde, lors de la CdP précédente, et qu'il ne faut pas en faire davantage.
Deuxièmement, au plan national, les textes sont très vagues, parlant d'« accroissement substantiel » et de mobilisation de toutes les ressources de tous les porteurs d'intérêt, ce qui ne responsabilise ni les pays ni les acteurs. Compte tenu de l'état des négociations internationales, il est probable que nous ne serons pas capables d'aller plus loin. Reste que l'introduction d'un objectif national permet de coresponsabiliser les pays en développement et les pays industrialisés.
Troisièmement, il est nécessaire d'intégrer la biodiversité dans les décisions d'investissement, de planification, de stratégie, de préparation des lois ou des directives européennes, afin de donner une valeur à la biodiversité et aux écosystèmes et de les introduire dans la comptabilité nationale et des entreprises. Nous devons joindre l'effort de la communauté de la biodiversité avec celui des communautés du climat, des statisticiens nationaux, des comptables environnementaux, aux Nations unies et dans l'Union européenne, afin de disposer de meilleurs outils de mesure, de façon que les comptes publics et privés prennent en considération ces valeurs oubliées.
Je vous remercie de votre invitation car il n'est pas si fréquent de pouvoir débattre de ces questions dans les États membres.
En Europe, la situation est critique : lors de notre dernier rapport sur l'état de la biodiversité à partir des directives Habitat et Oiseaux, publié en 2010, nous avons constaté un taux de 17 % de conservation favorable. Malgré certains signaux positifs, le deuxième état des lieux, qui est en cours de finalisation et sera publié en avril ou mai prochain, ne devrait pas aboutir à des conclusions réjouissantes. L'arsenal législatif et politique a pourtant beaucoup évolué ces dernières années en Europe et les changements de perception en cours nous aideront dans les années à venir. En passant d'une logique de protection entravant le développement économique à une logique de protection positive, valorisant les services écosystémiques, l'Union européenne a accompli une révolution. Les initiatives relatives à l'objectif « Aucune perte nette » soulignent que le cadre a changé. Nous travaillons par exemple, avec la Banque européenne d'investissement (BEI), à l'établissement d'un instrument innovant, appelé « facilité financière sur le capital naturel », qui devrait être finalisé dans les mois à venir et portera cette logique d'intégration de la biodiversité bien au-delà du cercle de la conservation.
À l'échelle internationale, nous souhaitons faire reconnaître aussi que l'enjeu de la biodiversité, de la valorisation des écosystèmes et des services qu'ils nous fournissent est essentiel dans le cadre du modèle de développement. Les objectifs de développement durable (ODD) placent au coeur de notre problématique la question des écosystèmes. Ce débat est douloureux car les grands pays en développement réfléchissent dans une logique de compensation. La CDB a surtout vu dialoguer deux grandes entités depuis 1992 : l' Union européenne et le Brésil. Or, depuis 2010, dans l'approche de ce pays comme dans celle du G77, c'est cette logique, alignée sur celle présidant aux négociations sur le climat, qui s'affirme. Cette évolution nous semble inappropriée et nous inquiète car elle conduit à une verticalisation de la biodiversité, reposant sur des fonds propres de compensation, à l'image du fonds vert pour le climat, alors que les enjeux sont horizontaux et qu'il est nécessaire de travailler à des questions de politique industrielle, de développement, énergétique ou de transports. Le grand enjeu de la CdP de Pyeongchang est d'empêcher que cette logique prenne en otage la mise en oeuvre des engagements actés en 2010, lors de la CdP de Nagoya. Il convient d'arriver à un point d'équilibre offrant une garantie de financement suffisante pour que les pays en développement se reconnaissent dans ces objectifs et les honorent, alors que des pertes de biodiversité continue d'être enregistrées sous les tropiques, notamment au Brésil. Il faut éviter une « climatisation » de la CDB : depuis vingt ans, nous sommes dans une logique de négociation plus constructive que celle sur le climat et il serait dangereux que nous nous alignions sur elle, au risque de ne plus discuter que du seul financement. La dimension normative, au coeur des adaptations nécessaires, est en effet un peu occultée par certains de nos partenaires. Mais la réforme de la stratégie Europe 2020, qui sera amorcée dans les mois à venir, tendra à placer la biodiversité au centre de la dynamique de développement. Les intérêts sectoriels sont si forts qu'il s'agit d'une bataille de tous les instants.
Présidence de la Présidente Danielle Auroi.
Je vous prie d'excuser mon absence liée au débat relatif à la transition énergétique en séance publique.
L'humain est profondément inscrit dans la biodiversité : un corps humain comporte au moins dix fois plus de bactéries que de cellules.
Quand, en 2010, les Nations unies ont consacré l'année à la biodiversité, nous avions trois buts : sensibiliser à ce qu'elle était, expliquer pourquoi il fallait s'en préoccuper et entreprendre une action dans la durée.
Or le bilan des actions engagées depuis 2002, présenté à l'Organisation des Nations unies pour l'éducation, la science et la culture (UNESCO) les 25 et 26 janvier 2010 ont mis en évidence l'aggravation de l'érosion de la biodiversité. Alors que la situation est encore pire aujourd'hui, on peut se demander pourquoi nous réussirions entre 2010 et 2020 ce que nous avons échoué à faire entre 2002 et 2010.
On ne peut se passer de la biodiversité. En 2000, les chefs d'État avaient d'ailleurs invité à une réflexion globale. Celle-ci a donné lieu au document Millennium Ecosystem Assessment, publié en 2005, qui a mis au goût du jour la notion de services écosystémiques. Pour un écologue, la valeur de la biodiversité est incommensurable. Il ne s'agit pas d'une liste d'espèces mais de l'ensemble des relations entre les êtres humains ainsi que de celles qu'ils entretiennent avec l'environnement.
Si nos concitoyens ont conscience de son lien avec la question du climat, nous éprouvons du mal à leur faire comprendre combien elle est importante. Ils ont davantage peur d'un dérèglement climatique que d'une perte dans ce domaine. Quand je parle de la disparition du dauphin du Yang-Tsé-Kiang en 2007, à Paris, on me répond que son existence était inconnue ! Or, comme il vivait dans une eau très chargée en particules, il avait inventé le plus fabuleux sonar que la nature ait connu.
Il faut conserver les capacités du système à réagir et à évoluer dans les conditions d' agression créées par l'homme. C'est pourquoi a été fondée à Bonn, il y a deux ans, l' équivalent du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) : l' IPBES (pour Intergovernmental Science-Policy Platform on Biodiversity and Ecosystem), plateforme internationale sur ces questions, en relation étroite avec la CDB.
Cette question ne relève pas d'une approche politique partisane, mais intéresse tout le monde. Chaque fois que l'homme fait quelque chose, il doit réfléchir à ce que cela doit déclencher à terme.
On s'est beaucoup intéressé aux pertes de fonctions des écosystèmes. Le corail, par exemple, qui représente 1 % de la surface des océans et plus du tiers des espèces qu'ils hébergent, est très menacé. Mais comment traduire ces pertes de fonctions en pertes de services ? Cela représente un énorme travail.
Ces pertes viennent des destructions, de la pollution, de la surexploitation, de la redistribution d'espèces invasives et du dérèglement du climat.
Pour sauver ce qui servira à l'humanité demain, encore faudrait-il être capable de savoir ce qui lui servira. C'est dans une étoile de mer que le prix Nobel Timothy Hunt a découvert la molécule clé déclenchant dans une cellule la décision de recommencer à se diviser et par conséquent le processus de cancérisation. Les exemples de ce type sont courants. Il nous faut donc avoir une réflexion écologique en tenant compte du besoin essentiel d'avancer dans les sciences fondamentales en même temps que dans les sciences humaines et sociales.
Je rappelle enfin que l'Italie est le pays d'Europe possédant le plus d'espèces connues.
Merci pour cette initiative, madame la Présidente.
La France souscrit naturellement à la position de l'Union européenne, qu'elle a contribué à forger.
M. Boeuf illustre les atouts dont nous disposons dans le domaine scientifique pour être prescripteur de politiques et de bonnes pratiques en matière de biodiversité. La France apporte à la négociation des caractéristiques propres, au premier chef la force de sa recherche : le Muséum national d'histoire naturelle sera représenté dans la délégation française. Notre pays est aussi un grand donateur et un grand dépositaire dans ce domaine, grâce notamment à ses territoires d'outre-mer, ce qui nous incite à trouver le bon équilibre entre le financement et la normalisation des règles.
En 2013, 227 millions d'euros d'aides publiques ont été consacrés à la promotion de la biodiversité dans le monde. Nous serons au rendez-vous de l'objectif international prévoyant de multiplier par deux l'effort de solidarité internationale en 2015 par rapport à 2006-2010. Et plus d'1,2 milliard d'euros est susceptible d'être attribué par notre pays à la conservation de la biodiversité au niveau national, dont 400 millions d'euros relevant du secteur privé.
Parmi les atouts que la France se propose d'apporter à la CdP, figurent la capacité à nous déployer au service des négociateurs de la Présidence italienne du Conseil de l'Union européenne et de la Commission européenne, ainsi que l'aptitude à activer la francophonie. J'ai d'ailleurs pris des contacts avec l'Institut de la francophonie pour le développement durable de Québec, qui sera représenté à cette CdP, ainsi qu'avec le coordinateur sénégalais, hôte du prochain sommet de la francophonie à la fin du mois de novembre, pour examiner notre capacité à travailler et à trouver des solutions en tant que francophones.
La France sera aussi présente au travers des réseaux Entreprises pour l'environnement ou de la CDC Biodiversité.
Si la France n'a pour seule arme que la francophonie, c'est un peu faible…
Monsieur Sainteny, pouvez-vous nous rassurer en nous confirmant que nous avons les moyens de la fiscalité de l'environnement ?
Je ne sais pas ; vous rassurer est une bien grande tâche… Dans l'objectif d'Aichi A.3, eux sujets peuvent être liés ou séparés : la diminution des subventions publiques dommageables et l'augmentation des moyens.
Le Millennium Ecosystem Assessment de 2005 a effectué une percée conceptuelle fondamentale en légitimant la notion de services écosystémiques : la biodiversité fournit gratuitement des biens et services, sans lesquels un certain nombre d'activités économiques, comme l'agriculture, la pêche, la sylviculture ou le tourisme, ne serait ni possibles ni rentables. Cela permet de passer d'une approche défensive, trop dominante en France, à une approche offensive, conférant une valeur économique à la biodiversité. Le rapport de référence TEEB (pour The Economics of Ecosystems and Biodiversity) estime la valeur des services écosystémiques rendus dans le monde à 24 000 milliards de dollars par an. La pollinisation équivaudrait à 153 milliards d'euros ; dans certains pays où elle ne fonctionne plus naturellement, le travail est accompli par des femmes, ce qui pose le problème de l'évolution de leur condition.
Par ailleurs, aux États-Unis, dix des vingt-cinq médicaments les plus vendus sont directement issus de la biodiversité, ce qui représente 37 % du chiffre d'affaires du secteur pharmaceutique. L'écotourisme produit un chiffre d'affaires de 400 milliards de dollars, en croissance de près de 20 % par an, contre 3 % pour le secteur touristique dans son ensemble.
Le seul chiffre d'affaires de l'observation des oiseaux d'eau aux États-Unis – activité peu développée en France malgré un gros potentiel – s'élève à 10 milliards de dollars, et celui de la grande barrière de corail australienne atteint 6 milliards de dollars.
Comme pour le climat, le coût de l'inaction est supérieur au coût de l'action. La perte des services écosystémiques terrestres est évaluée à 50 milliards d'euros par an alors que les investissements publics sont estimés à 10 milliards. En Irlande, par exemple, les services écosystémiques dégagent plus de 2,6 milliards d'euros par an, pour seulement 280 millions d'euros de dépenses en faveur de la biodiversité.
Il ne faut pas oublier la valeur sociale de la biodiversité, « PIB des pauvres » : moins un pays est développé, plus la biodiversité constitue une part importante du revenu national et leur part dans la consommation des ménages est inversement proportionnelle à l'échelle des catégories sociales.
L'Union européenne a un bilan environnemental très positif, notamment en ce qui concerne la biodiversité. Sans elle, en France, les dates d'autorisation de chasser seraient toujours déraisonnables et nous ne disposerions pas du réseau Natura 2000. Mais plusieurs chantiers restent à approfondir : l'intégration de la biodiversité dans la PAC ; le projet de directive sol, qui a échoué ; le besoin d'une directive sur le littoral, menacé même en France, puisque la loi littoral a une valeur inférieure aux directives européennes, comme la directive ERU (Eaux résiduelles urbaines), qui contraint parfois à artificialiser des côtes.
La France a un rôle international particulier car elle dispose d'une richesse très importante en métropole et outre-mer, avec notamment 10 % des récifs coralliens du monde – dont sont issues une grande partie des substances médicamenteuses contre le cancer. En outre, alors que le bassin de forêt tropicale d'Asie du Sud-Est est pratiquement condamné et que celui de l'Amazonie est entamé, le troisième du monde, celui d'Afrique centrale, zone où nous entretenons des liens politiques importants, reste presque inentamé. Or la manière la plus économique de limiter le changement climatique est la conservation des forêts tropicales.
Mais notre pays est confronté à plusieurs problèmes. Seulement 17 % des sites Natura 2000 sont dans un état favorable de conservation. Les moyens de la biodiversité s'élèvent à 1,8 % de la dépense nationale de protection de l'environnement, ce qui est très peu. On enregistre aussi parfois des reculs : le projet de loi sur la biodiversité prévoit ainsi une quasi-suppression des sites inscrits.
Présidence de Mme Chantal Guittet.
Nous attendons de la CdP une lisibilité des trajectoires, de la transparence et des éléments de compréhension appropriables par la société civile.
Le site Internet de la CdP compte 57 documents officiels et celui présentant les projets de décision comporte 184 pages et ne dispose pas de sommaire introductif, ce qui rend sa lecture difficile, d'autant qu'il n'y a pas d'indication simple sur le nombre de projets de décision. Cette difficulté n'est d'ailleurs pas nouvelle.
Dans quels instruments les indicateurs de suivi pour la mise en oeuvre du plan stratégique, qui font l'objet d'un processus de révision assez complexe, seront-ils employés ? Se pose également la question du contenu de ces objectifs et de leur efficacité. Une note du secrétariat de la CDB indique qu'il existe davantage d'indicateurs de réponse, traduisant l' intensité des efforts de protection, que d'indicateurs de pression sur l'état des écosystèmes, ce qui est préoccupant. Pour certains indicateurs, des avancées techniques sont attendues. Reste aussi à savoir dans quelle mesure ces indicateurs seront de nature à traduire des progrès à l'égard de la réalisation des objectifs d'Aichi, comme l'objectif D.14, concernant la restauration et la sauvegarde des écosystèmes fournissant des services essentiels.
S'agissant des financements, je rappelle que 10 à 12 milliards de dollars sont dépensés chaque année en faveur de la protection de la biodiversité dans le monde, pour un PIB d'environ 63 000 milliards de dollars. Quant à la France, elle consacrerait seulement 0,06 % de son budget public à la biodiversité, même s'il faut tenir compte également des dépenses des collectivités territoriales.
L'article 21 de la CDB prévoit de donner les moyens aux pays en développement. Trois étapes importantes ont été accomplies : la stratégie de mobilisation des ressources à la CdP 8, les engagements de Nagoya et la CdP 11 d'Hyderabad, avec un engagement plus précis des parties et l'objectif intérimaire de procéder à un doublement de l'aide publique au développement consacrée à la biodiversité d'ici à 2015.
Nous saluons l'effort de la France, qui respecte cette trajectoire : pour 2013-2016, le volume annuel des financements passera de 80 à 160 millions d'euros. Mais que finance-t-elle sur le terrain. Certains crédits de l'Agence française de développement (AFD) bénéficient à l'exploitation durable des bassins du Congo ou à la pêcherie durable. Nous essaierons d'être attentifs aux résultats.
Je me réjouis, monsieur Sticker, que plus d'1,2 milliard d'euros soit susceptibles d'être attribués par notre pays à la conservation de la biodiversité au niveau national, dont 400 millions d'euros par le secteur privé. Mais il existe une tendance à la privatisation de l'aide publique au développement : les agences bilatérales de développement disposent d'une banque adossée à leur activité – en France, il s'agit de Proparco – et une partie de leur aide consiste en un transfert du privé vers le privé. Compte tenu de la montée en puissance des financements pour la biodiversité, cette question devient plus complexe à suivre.
N'oublions pas l'enjeu de la biologie de synthèse. Lors de la CdP d'Hyderabad, un groupe de contact avait travaillé sur des thèmes nouveaux et émergents, dont celui-là. Cette technique consiste à introduire un fragment d'ADN dans une bactérie pour induire ou inhiber des comportements, avec pour but d'avoir des bactéries fabriquant du pétrole ou du gaz, ou épurant l'eau. La décision 11-2 de cette CdP demandait aux parties de réunir et synthétiser les informations disponibles et les exhortait à appliquer une approche de précaution. Or la dissémination de ces organismes constitue un danger : il est intéressant d'en programmer certains pour transformer des eaux usées en gaz ou en pétrole, mais que se passe-t-il s'ils s'échappent dans la nature ? Un projet de nouvelle décision a été élaboré pour la prochaine CdP, mais il semblerait qu'il se heurte à l'opposition des États-Unis, qui ne veulent pas entendre parler de l'application d'un principe de précaution, préférant la formule plus floue de « vigilance prudente ». Les ONG seront attentives à cette question.
L'Europe est-elle totalement unie dans la perspective de la CdP, les efforts en son sein étant variables selon les pays ?
Monsieur Boeuf, je pense que la biodiversité préoccupe l'opinion. D'ailleurs, on traite souvent de ces questions à la télévision. À nous aussi, parlementaires, d'en parler.
Par ailleurs, je m'inquiète de la diversité des réglementations sur le littoral en Europe : l'Espagne a par exemple négligé cette question et un de ses ministres de l' environnement a même aggravé la législation dans ce domaine. Y a-t-il un moyen d'édicter une législation européenne en la matière ?
Enfin, il faut en effet contrôler l'action de l'AFD.
Beaucoup de choses se passent en Europe, qui joue un rôle très positif en matière de biodiversité et plus généralement d'environnement. Nous devrions d'ailleurs reproduire un certain nombre de bonnes expériences nationales. La Commission du capital naturel britannique accomplit un excellent travail, avec la participation d'économistes et des meilleurs chercheurs. En Italie, une proposition de loi est en cours d'examen au Parlement et la Présidence italienne a pris l'initiative d'une déclaration ou d'une charte de Rome à propos de la protection du capital naturel. En France, le Conservatoire du littoral et l'étude sur les subventions nuisibles à l'environnement ont été très utiles.
Si nous sommes tous engagés, en vertu du semestre européen, des recommandations de l'OCDE et des accords internationaux, pour une abolition progressive des subventions nuisibles à l'environnement en général, le travail sur la biodiversité produit par la France est particulièrement appréciable. Votre Plan bleu pour la Méditerranée est important et la préparation de la stratégie de développement durable peut nous aider, de même que les conclusions de la Commission Stiglitz-Sen-Fitoussi sur la mesure de la performance économique et du progrès social.
Il est par ailleurs important de soutenir le processus des ODD, en cours d'examen aux Nations unies, qui a reconnu la place de la biodiversité terrestre et marine. Un chef statisticien italien de l'OCDE vient d'ailleurs d'être nommé dans le groupe d'experts Data Revolution for Sustainable Development.
Ne faudrait-il pas faire prendre conscience aux agriculteurs de l'importance de la biodiversité, notamment au travers d'aides spécifiques, la libéralisation de l'agriculture conduisant souvent à des systèmes qui lui sont néfastes ?
Il est inquiétant que la biodiversité, malgré les moyens, certes insuffisants, qui lui sont consacrés, se dégrade au fil des années.
Monsieur Sainteny, je vous rassure : je suis opposée, comme d'autres parlementaires, à la suppression des sites inscrits ; au regard des propositions formulées par le Gouvernement, un équilibre devrait être trouvé au moment du débat au Parlement. Le projet de loi sur la biodiversité, dont je suis rapporteure, devrait être examiné au premier trimestre 2015.
Quelles sont vos réflexions sur la valeur à donner à la biodiversité et la logique de la compensation, qui peut s'avérer dangereuse, tout en étant indispensable pour aller plus loin ?
Monsieur Wakenhut, la loi sur la biodiversité transposera le protocole de Nagoya en droit interne. Où en sont les autres pays européens ?
L'orpaillage en Amazonie est dramatique. La France va-t-elle essayer de trouver, avec le Brésil et le Surinam, des moyens pour y remédier, alors que les rivières sont envahies par du mercure et que les populations amérindiennes, dans quelques années, ne trouveront plus de quoi manger ?
Si l'Europe a fait beaucoup en matière de pêche en eaux profondes, la biodiversité marine et côtière est menacée. Monsieur Sticker, sur quels points entendez-vous intervenir à cet égard ?
Comment protéger les pollinisateurs ?
Sur tous ces sujets, il est impératif de trouver une unité de point de vue au plan européen.
S'agissant du protocole de Nagoya, il est regrettable de voir que tant de bonnes intentions ne donnent pas lieu à des actions efficaces.
Le symbole du lieu de la CdP est important, car celui-ci abritera les futurs Jeux olympiques d'hiver. Si cela conduit aux mêmes dérives qu'à Sotchi, je ne suis pas sûre que ce choix soit opportun…
En Amazonie, j'ai visité le site de Chevron, qui est une catastrophe écologique. Je ne vois pas comment l'Équateur réparerait tout seul ce qui y a été fait. Comment la France entend-elle condamner la multinationale responsable ?
Enfin, je ne comprends pas pourquoi l'Europe a adopté une directive sur la pêche sans rejet. Quelle est la logique de cette mesure vis-à-vis de la biodiversité ?
Lorsque, en 2012, nous nous sommes mis d'accord sur le doublement des crédits d'ici à 2015, l'Union européenne s'est engagée de façon solidaire, sous réserve que cet objectif soit envisagé collectivement, pour l'ensemble des États membres, dont l'engagement individuel est très varié. Entre 2006 et 2010, la contribution de l'Union européenne était d'environ 1,7 milliard d'euros, ce qui fait d'elle, et de loin, le premier bailleur de fonds en matière de biodiversité internationale. Notre trajectoire est conforme aux engagements pris à Hyderabad puisque nous sommes passés d'1,5 ou 1,6 milliard en 2006 à 3 milliards aujourd'hui.
Sur d'autres sujets, nos positions ne sont pas encore définies. Mais nous avons su agir de façon concertée chaque fois que c'était nécessaire, comme lors de l'adoption de l'accord sur les objectifs d'Aichi en 2010, où nous avons joué un rôle moteur.
En matière de biologie synthétique, par exemple, il existe des divergences entre les pays favorables à une application stricte du principe de précaution et d'autres, préférant une approche flexible afin de mettre en valeur les utilisations économiques potentielles ; mais nous devrions parvenir à une position commune.
Concernant l'intérêt du public, j'observe que l'article du Monde faisant état de l' Indice planète vivante est le plus téléchargé. Mais les experts, en général, communiquent mal ; le message devrait être plus clair, sans perdre de vue la complexité des enjeux.
La question du littoral est très sensible : on constate aussi des régressions en Grèce, dans le cadre de la réponse à la crise, car « dynamiser le littoral » revient un peu à le dynamiter ! La Croatie est également à la croisée des chemins en la matière. Une réponse européenne est possible si les États membres le souhaitent. Au vu du débat sur les sols, l'un des freins majeurs au progrès environnemental au niveau européen – alors que la directive proposée était raisonnable –, l'enjeu demeure entier. Reste que nous pouvons utiliser notre arsenal législatif relatif aux sites protégés, au milieu marin et à la qualité de l'eau. Une nouvelle directive sur l'aménagement de l'espace maritime offre par ailleurs quelques pistes, même si la discussion au Conseil et au Parlement européen a été délicate.
Au sujet des agriculteurs, la dynamique du paiement pour service rendu est au coeur du renversement du rapport avec eux. Nous enregistrons des retours d'expérience positifs en la matière mais le dialogue reste parfois sclérosé. La réforme de la PAC est très en-deçà de ce que la Commission européenne avait proposé ; les enjeux de court terme ont dominé la négociation, aux dépens de la transformation de notre modèle agricole. Cela dit, les ouvertures obtenues pourront être exploitées, à condition que les États membres agissent, notamment dans leur stratégie de développement rural.
L'Union européenne a adopté un règlement d'application du protocole de Nagoya et la première réunion des parties à ce texte se tiendra à Pyeongchang. C'est important car il s'agissait d'un des chevaux de bataille des pays en développement, au premier rang desquels le Brésil. Son potentiel en termes de financements innovants est réel et les champs de redistribution en termes d'actions de protection devront être pleinement défendus. La bataille est délicate, certains pays en développement estimant qu'il s'agit d'un retour à la logique de compensation, leur permettant de garder toute latitude sur les financements. À ce jour, trois États membres sont arrivés au bout de leur processus national de ratification : le Danemark, la Hongrie et l'Espagne, qui seront par conséquent parties prenantes lors des discussions, en compagnie de l'Union européenne. Nous souhaitons naturellement que le processus aboutisse au plus vite dans les autres États membres ; c'est une des conditions de notre crédibilité vis-à-vis de nos partenaires.
La pêche en eaux profondes, qui concerne 70 % de la surface de la planète et 90 % du volume des mers, a constitué un des enjeux principaux des CdP de Nagoya et d'Hyderabad. D'ailleurs, à Nagoya, c'est l'Union européenne qui a fait en sorte que le processus, aujourd'hui arrivé à un point crucial de son développement, puisse être engagé. La discussion au sein de l'Union est toujours en cours et des tensions se font jour sur des questions ayant davantage trait à la géopolitique. Nous espérons les régler de manière à ce que l'Union européenne conserve un point de vue offensif.
Des mesures sont nécessaires pour les pollinisateurs. En France, le débat est très actif et nous nous en réjouissons. Votre pays a permis que ce sujet investisse davantage la sphère bruxelloise : des conférences sont régulièrement organisées et mobilisent de plus en plus la société civile, mais ce débat doit être élargi à l'agriculture et aux pollinisateurs sauvages, dont le déclin est inquiétant – comme devrait le montrer une étude scientifique sur laquelle travaille ma direction générale depuis quelques mois et qui arrivera à son terme courant octobre. Ce n'est pas qu'une question de santé animale ; je note d'ailleurs que, lors de l'audition du commissaire proposé pour s'occuper de l'environnement, elle a été posée trois fois.
S'agissant de la compensation, nous travaillons à l'initiative « Aucune perte nette », engagée en 2011 dans le cadre de la stratégie pour la biodiversité 2011-2020. Une consultation Internet se clôturera le 17 octobre. Nous estimons en effet nécessaire d'aller au-delà des engagements pris en matière de conservation et de s'interroger sur l'impact des pertes de biodiversité ordinaire. La France a été pionnière car elle a reconnu ces enjeux dans la loi de 1976, et l'Allemagne a fait de même. On observe aussi des avancées en Espagne, en Suède, aux Pays-Bas et au Royaume-Uni. Le débat est polémique dans certains États, notamment au Royaume-Uni, où les banques de compensation ont suscité des discussions passionnées. Nous souhaitons promouvoir la nécessité d'investir le champ de protection pour couvrir la totalité des enjeux liés aux écosystèmes. Et nous continuons à travailler sur les réponses en termes de compensation, encore mal définies. La difficulté repose sur le système de mesure utilisé, sachant que nous voulons nous prévaloir de principes permettant de ne pas autoriser des instrumentalisations dommageables. Notre proposition d'initiative étant programmée pour fin 2015, le délai de consultation permettra, je l'espère, de faire émerger une solution satisfaisante.
En ce qui concerne le lieu de la CdP, la Corée du Sud n'est pas la Russie ; elle s'est positionnée de façon très offensive en matière d'économie verte. Je pense donc que la situation y est plus favorable.
Par ailleurs, nous avons un dialogue intense avec l'Équateur sur les questions climatiques et environnementales. Ce pays a été l'hôte du processus de Quito, en vue de décrisper le débat sur les financements innovants et la situation est plus sereine aujourd'hui. Cela dit, il existe des tiraillements entre la défense de la biodiversité – le pays faisant partie de l' Alliance bolivarienne pour les peuples de notre Amérique (ALBA) – et l'exploitation des ressources.
Enfin, la pêche sans rejet constitue l'une des causes majeures de perte de biodiversité. L'enjeu consiste à différencier les approches selon que les individus rejetés sont vivants ou morts.
Présidence de la Présidente Danielle Auroi.
Le problème est effectivement que des animaux déjà morts sont rejetés car le sonar ne distingue pas maquereaux, anchois et sardines. Il faut trouver un moyen de différencier les stocks.
Sur plus de 2 millions d'espèces vivantes sur la terre, 250 000 sont des pollinisateurs et, rien qu'en France, il existe plus de 1 000 espèces d'abeilles.
Après avoir tout détruit en mer entre 0 et 400 mètres, on veut aller pêcher à 800, 1 000 ou 1 800 mètres, alors que ces zones sont peu riches en diversité et que les femelles y font souvent des bébés pour la première fois entre dix-sept et trente ans. Cela rend impossible la reconstitution des stocks de pêche, car ces poissons ne se reproduisent pas vite. De plus, c'est inutile. En outre, les bateaux de pêche, très subventionnés par l'Europe, coûtent un prix exorbitant en énergie fossile, ce qui est indéfendable. Quelques kilomètres de chalutage à 1 800 mètres de profondeur détruisent mille ans de constitution d'un écosystème.
Quant au corail, il doit résister à l'augmentation de la température, à l' effondrement de l'acidité, à l'accroissement du niveau de la mer et à la surexploitation, parfois à l'aide de dynamite ou de cyanure. Or, sans le récif corallien, le tsunami de Sumatra en 2002 aurait peut-être tué trois millions de personnes au lieu de 300 000. Je rappelle qu'en Martinique, il reste seulement 1 % du récif.
La Guyane est le seul territoire de l'Union européenne où il reste encore de la forêt d'origine. Mais, pour l'anecdote, sur la carte que le président de la plus grande université scientifique brésilienne a dans son bureau, aucune frontière ne délimite son pays de la Guyane, et des sites Internet brésiliens expliquent qu'il faut aller orpailler dans ce département car le plus grave qui puisse arriver est d'être reconduit à la frontière. La France n'est pas armée pour lutter contre de tels phénomènes.
S'agissant de la biologie de synthèse, ce n'est pas la recherche qui me gêne, mais la philosophie qui l'accompagne. À quoi servirait-il, par exemple, de cloner l'homme de Néandertal ?
Il faut en effet redonner du sens et de la dignité à nos agriculteurs. J'ai d'ailleurs coécrit un livre intitulé Cultiver la biodiversité pour transformer l'agriculture. En 2007, par exemple, alors qu'une grave d'épidémie attaquait les rizicultures en Inde, il a fallu tester 6 000 variétés de riz avant de trouver une espèce, perdue dans l'Himalaya, permettant d'apporter une réponse. La préservation de la diversité biologique est vitale.
Quant au dauphin du Yang-Tsé-Kiang, en France, il aurait été sauvé grâce au monde associatif. Son cas a intéressé le public trop tard.
Je crois beaucoup à l'unité entre la recherche fondamentale, le monde de l'ingénierie et de la recherche finalisée, le monde de l'entreprise, les organisations non gouvernementales, le monde associatif et le monde politique. Cette table ronde constitue à cet égard une opportunité exemplaire.
Ces échanges sont aussi importants pour nous car ils nous donnent des arguments pour convaincre nos collègues.
S'agissant de la mobilisation du secteur privé, les données de mesure dont nous disposons sont lacunaires et doivent être améliorées, d'autant qu'elles sont encore plus fragiles en ce qui concerne la contribution de nos entreprises à des actions favorables à la biodiversité ailleurs dans le monde. Il convient d'évaluer cet effort sur la base de normes fiables, solides et respectant l'intégrité des principes en la matière, à commencer par la hiérarchie d'atténuation « éviter, réduire, compenser ». Il est important également de parvenir à un consensus et de définir une norme de référence internationale, sans doute dans le cadre de la CDB, de manière à ce que les États puissent communiquer des données homogènes. La prochaine CdP pourrait donner lieu à une initiative dans le cadre du Partenariat mondial entreprises et biodiversité.
J'ai rendu visite cette semaine à l'entreprise CDC Biodiversité et rencontré la semaine dernière le réseau Entreprises pour l'environnement. Je poursuivrai mes contacts avec le vice-président de la région Rhône-Alpes, Alain Chabrolle qui sera présent à la CdP, ainsi qu'après celle-ci, avec nos entreprises actives dans ce domaine, comme l'Institut Yves Rocher ou Cosmetic Valley, pour étudier leurs actions dans ce domaine. En France, nous disposons à la fois d'une recherche et d'opérateurs performants, avec notamment la CDC et l' AFD.
Plus généralement, la biodiversité doit être valorisée au travers de l'économie. Nous pouvons faire valoir notre offre en la matière ainsi que l'intégrité de la doctrine française et européenne.
Lors du Congrès mondial des parcs de Sydney, en novembre prochain, nous pourrons ainsi apporter notre expertise dans l'aide publique au développement et l'aide aux espaces naturels dans le monde, mais aussi valoriser nos propres parcs, ce qui pourra avoir des retombées économiques.
Les espaces marins nous tiennent à coeur. Nous souhaitons avancer dans le processus des aires marines d'intérêt biologique (EBSA, pour Ecologically or Biologically Signifiant Marine Areas) et travailler à chaque difficulté identifiée avec nos partenaires de la Méditerranée, de manière à faire approuver le maximum d'EBSA à l'occasion de la CdP.
Plus largement, nous souhaitons élargir la problématique au littoral, au sein de l' Union européenne mais aussi dans le cadre de la Convention de Barcelone pour la protection de la mer Méditerranée contre la pollution, qui réunit l'ensemble des États riverains. J'ai récemment signé, au nom de la France, avec le Programme des Nations unies pour l'environnement (PNUE), un accord sur l'aménagement côtier du département du Var, qui établit un partage de l'usage raisonné de l'espace maritime entre les différents acteurs locaux. Je pense être amené à écrire prochainement aux préfets de nos autres départements méditerranéens pour les encourager à s'inscrire dans cette logique de contractualisation, qui permet d'acquérir une labellisation internationale et de renforcer l'attractivité des territoires en les protégeant.
Par ailleurs, la France a pris l'initiative de renforcer la protection de la haute mer et de pouvoir mettre en oeuvre, dans le cadre de la Convention des Nations unies sur le droit de la mer de Montego Bay, des obligations juridiques amenant les organisations internationales compétentes à se coordonner.
Enfin, l'Amazonie est un enjeu pour l'humanité comme pour l'Union européenne et nous souhaitons que la Guyane fasse l'objet du maximum d'attention de la part de cette dernière.
En ce qui concerne le littoral, la France est vraiment en avance et le sujet, chez nous, est consensuel. Il a fait l'objet de l'instruction Chirac de 1976, de la directive d'Ornano de 1979 puis de la loi littoral de 1986, votée à l'unanimité et qui a relativement bien résisté. Notre pays pourrait donc porter ce sujet.
Dans un premier temps, des pays comme l'Espagne ou la Croatie ont essayé d'adopter des législations inspirées de notre loi littoral, mais, avec la crise, certains pays sont tentés de privatiser leur patrimoine naturel pour le rentabiliser.
Nous sommes confrontés à une inégalité de normes juridiques : les textes législatifs européens primant sur la loi littoral, la directive ERU pousse les maires à aménager des stations d'épuration dans des espaces naturels du littoral, car ne pas la respecter rend passible de pénalités importantes. Une directive littoral serait donc nécessaire.
La Convention de Barcelone constitue à cet égard une bonne mesure, de même que le protocole relatif à la gestion intégrée des zones côtières de la Méditerranée. Il ne faut pas non plus oublier qu'une grande partie des zones Natura 2000 se trouve sur le littoral. Je rappelle au passage que Xinthia n'aurait pas causé de mort d'hommes si la loi littoral avait été appliquée. La bande des 100 mètres, qui avait au départ un objectif visuel, est devenue un objectif de protection contre l'élévation du niveau de la mer liée au changement climatique. L' Union européenne pourrait ainsi avancer par le biais de la protection des populations civiles, ce qui n'empêche pas par ailleurs un renforcement du contrôle de légalité des préfets sur les plans locaux d'urbanisme (PLU).
La réforme de la PAC devrait en effet être plus ambitieuse et rapide. Je rappelle qu'il existe un confit local important à propos du barrage de Sivens : le conseil général finance lourdement cet ouvrage, qui servira uniquement à l'irrigation de la culture du maïs, dont les inconvénients sont connus. C'est un exemple de subvention dommageable typique.
L'Union européenne pourrait agir davantage pour le maintien des prairies, très avantageux pour la biodiversité – dans un hectare de prairie, on dénombre 60 à 80 espèces végétales différentes, contre trois dans un hectare de maïs –, mais aussi en ce qui concerne les réserves d'eau en cas de pluies ou d'inondations, la trames vertes et bleues, le piégeage des nitrates et le stockage du carbone. Or l'écart des primes entre un hectare de prairie et un hectare de maïs continue à être très défavorable au premier. Je préférerais que les agriculteurs français soient rémunérés par l'intégration du prix du carbone stocké dans la prime à l'hectare de prairie plutôt que par une prime triple – sans compter le subventionnement du drainage et de l'irrigation – quand ils le plantent en maïs.
Un des problèmes liés à la directive sol est l'étalement urbain et l'artificialisation des sols. Je rappelle qu'il n'y aura plus d'agriculture en Martinique en 2050 et que 80 000 hectares disparaissent chaque année en France. C'est peut-être la principale cause de disparition de la biodiversité.
Les départements d'outre-mer reçoivent des fonds communautaires sans être soumis à beaucoup de directives européennes environnementales. Les directives Habitat et Oiseaux ne s'y appliquent pas alors qu'ils sont beaucoup plus riches que la métropole en matière de biodiversité. S'il ne faut peut-être pas appliquer ces textes dans ces territoires pour des raisons de sensibilité politique ou de différence écologique, des mesures de protection devraient quand même prévaloir. Quant à l'orpaillage, au-delà de ce que vous avez dit, il n'engendre aucune retombée économique ou fiscale et pose des problèmes d'insécurité, avec assassinats et traite d'êtres humains.
Le problème ne tient pas au subventionnement de la pêche mais à la forme que prennent les subventions, qui conduit à favoriser la pêche intensive et le chalutage, au travers de la défiscalisation du carburant. Mon rapport fait d'ailleurs la distinction entre les subventions favorables, neutres et dommageables dans ce domaine.
En matière de communication, je suis interloqué par le décalage, en France, entre l' attention portée au changement climatique et celle bénéficiant à la biodiversité. Dans les pays anglo-saxons, au contraire, les deux problèmes sont considérés de même importance.
Les aides fléchées sur l'action pour le climat pourraient porter davantage sur l' adaptation que sur l'atténuation, sachant que les projets d'adaptation sont souvent mixtes et également favorables à la biodiversité.
L'écotourisme pourrait également être développé. Une réforme importante a eu lieu récemment en France, avec le passage de ce domaine sous la coupe des affaires étrangères : le ministre a annoncé un plan de développement reposant sur des pôles, dont un consacré à ce secteur. Notre pays pourrait faire beaucoup plus ; ce serait utile économiquement, d'autant que certaines activités pourraient avoir lieu hors saison, comme l' observation des oiseaux.
Enfin, le Centre thématique européen sur la diversité biologique étant une des rares institutions européennes implantées en France, une visite de votre Commission sur place serait intéressante et utile, d'autant que cette localisation est régulièrement mise en cause.
J'appuie cette proposition, sachant que la France n'accueille aucun siège de secrétariat de convention internationale dédiée à la biodiversité.
S'agissant de la valorisation économique des services écosystémiques, la France possède des infrastructures linéaires de transport très développées, et l'usager est plus touché fiscalement que le gestionnaire. Il existe aussi des travaux bien documentés sur la valorisation des services écosystémiques, dont le rapport de Bernard Chevassus-au-Louis. Ne pourrait-on concevoir une taxation au prorata des surfaces artificialisées et des services écosystémiques détruits, sachant que ceux-ci rapportent 970 euros par hectare et par an en forêt tempérée ?
Sur le littoral, nous disposons de deux instruments intéressants : la loi littoral et le Conservatoire du littoral. Les Français ont certes une forte propension à regarder ce qui se fait à l'étranger et à se fustiger, mais ne pourrait-on s'inspirer de la loi littoral pour élaborer une directive européenne ? Pourquoi ne pas créer aussi un Conservatoire européen du littoral ?
S'il convient en effet d'élargir le débat sur la pollinisation au niveau européen, il faut être prudent dans le cadre français. Le plan Écophyto avait pour objectif de réduire quantitativement la diffusion des produits écophytosanitaires à l'horizon 2018, mais ce résultat ne devrait pas être atteint, ce qui pose la question de son prolongement et de la définition de nouveaux objectifs. Par ailleurs, certaines fermes sont supposées servir de centres d'expérimentation pour la diffusion de futures bonnes pratiques. En outre, ce sont les mêmes personnes qui vendent ou diffusent les phytosanitaires et conseillent les agriculteurs sur leur usage : elles n'ont naturellement pas intérêt à ce qu'il soit modéré. Il faut donc développer un conseil indépendant.
Au sujet de la biologie de synthèse, deux étapes ont été distinguées : la recréation en 2002 du virus de la polio, puis celle, en 2005, de la grippe espagnole. Cela suscite pour le moins des interrogations.
Enfin, il est en effet difficile de communiquer sur la biodiversité, plus difficile en tout cas que sur le changement climatique. Bien sûr, certaines annonces frappent – comme l' information diffusée récemment par le WWF, selon laquelle la terre, en quarante ans, a perdu la moitié de ses espèces animales –, mais elles n'ont pas le même effet anxiogène que la publication des rapports du GIEC.
On ne peut pas vivre dans un milieu peuplé essentiellement d'être humains et d'espèces immédiatement inféodées. Mais, alors que les points de rupture climatique se conçoivent aisément, les catastrophes liées à la perte de biodiversité sont impalpables. En outre, la tonne d'équivalent carbone permet de simuler les enjeux alors que nous n'avons pas d'instrument similaire pour la biodiversité.
Merci à tous.
Si la communication sur le changement climatique fonctionne bien, en effet, la prise en compte pratique reste limitée. Du reste, expliquer les problèmes liés à la biodiversité en s'appuyant sur des exemples concrets comme le corail permet de sensibiliser les populations. Encore faut-il que la France veuille bien s'emparer du sujet. Il faudrait en outre parvenir à convaincre les décideurs politiques et économiques à propos de la dynamique écosystémique. Nous avons tous un combat à mener pour montrer que la biodiversité est la condition de survie de l'humanité.
La séance est levée à 19 h 25.