Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Réunion du 30 septembre 2015 à 9h30

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • aire
  • détenu
  • illicite
  • portable
  • prison
  • pénitentiaire
  • renseignement
  • téléphone
  • voyage

La réunion

Source

La séance est ouverte à 9 heures 30.

Présidence de M. Jean-Jacques Urvoas, président.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Trois propositions de loi déposées par le groupe Les Républicains sont inscrites à l'ordre du jour de notre réunion de ce matin. Elles seront examinées le jeudi 8 octobre en séance publique.

La Commission examine d'abord, sur le rapport de M. Yannick Moreau, la proposition de loi visant à modifier les dispositions relatives à l'accueil et l'habitat des gens du voyage (n° 2687).

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

La première des trois propositions de loi porte sur les dispositions relatives à l'accueil et l'habitat des gens du voyage. Elle a été déposée par notre collègue Annie Genevard, et le rapporteur en est Yannick Moreau. Notre commission connaît bien le sujet, puisqu'elle a déjà eu l'occasion d'en discuter longuement.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Nous remettons, en effet, « sur le métier », la question du meilleur équilibre, en matière de droits et devoirs, entre les gens du voyage et ceux qui les accueillent. Cet été a été marqué par des événements graves et inédits, qui n'ont pas tous fait « la une » des journaux. Partout sur le territoire national, et notamment dans les zones proches du littoral, les élus locaux se sont retrouvés confrontés à des difficultés liées à l'accueil des gens du voyage.

En application des dispositions de la « loi Besson » du 5 juillet 2000, les communes et les établissements publics de coopération intercommunale ont engagé de lourds investissements afin d'accueillir ces populations. En contrepartie du respect de ces obligations, le législateur leur a permis d'interdire l'installation de campements sauvages sur les autres terrains, publics ou privés.

Or, au cours des derniers mois, a été observée la multiplication d'installations, sans respect pour les propriétés publiques ou privées et les riverains. Malgré l'existence de sanctions pénales et d'un dispositif administratif d'éviction forcée, les élus locaux se sont retrouvés trop souvent à devoir négocier une date de départ au bon vouloir des occupants. Ces difficultés touchent toute la population et notamment le tissu économique de chacun de nos territoires.

On assiste à une évolution des modes de vie de ces populations, conduisant à une concentration des problèmes dans la période estivale, et notamment dans les espaces littoraux. Les élus et les habitants ont trop souvent le sentiment que l'équilibre des droits et devoirs entre collectivités et gens du voyage a été rompu : il est impossible de défendre l'obligation d'accueil quand les habitants considèrent que certains membres de la communauté du voyage ne respectent pas leurs obligations et les prescriptions locales. Tout se passe comme si les gens du voyage étaient plus égaux que les autres.

De nombreux rapports ont été récemment produits sur ce sujet. Chacun de ces documents s'accorde sur l'apport qu'a constitué la « loi Besson » du 5 juillet 2000 en définissant les droits et devoirs mutuels des collectivités territoriales et des gens du voyage, mais en constate l'application contrastée sur le territoire national.

Le rapport d'information, défendu en 2011 par notre collègue Didier Quentin, était intitulé : Gens du voyage : le respect des droits et des devoirs comme conditions du respect mutuel. Aujourd'hui, le cadre législatif ne permet plus de garantir cet objectif. Le Sénat a tenté d'améliorer cette situation, mais sans que l'examen du texte déposé par M. Pierre Hérisson en 2013 puisse être achevé.

En juin dernier, dans le cadre de l'examen de la proposition de loi déposée par MM. Bruno Le Roux, Dominique Raimbourg et plusieurs de leurs collègues, consacrée avant tout à la suppression du statut spécifique des gens du voyage, la majorité de l'Assemblée a voté quelques mesures allant dans le sens d'une amélioration des procédures applicables en cas d'installation illicite, mais elles ne sont pas à la hauteur des problèmes rencontrés sur le terrain.

La présente proposition de loi, élaborée conjointement avec Annie Genevard, entend rétablir l'équilibre entre droits et devoirs : le régime de sanction pénale et le régime de police administrative réprimant l'installation de campements sauvages sur le terrain d'autrui, mis en place depuis quinze ans, sont en effet la légitime contrepartie à l'obligation d'accueil des gens du voyage par les communes et leurs groupements. Cependant, leur mise en oeuvre ne permet pas d'obtenir une éviction des campements illicites dans des délais satisfaisants, car la voie pénale reste sous-utilisée et la procédure administrative n'est pas assez effective.

Aussi, la présente proposition de loi prévoit-elle de rétablir cet équilibre instauré par la « loi Besson » en renforçant la procédure et les sanctions pénales, en facilitant la mise en oeuvre de la procédure administrative d'éviction forcée, en réaffirmant le rôle de l'État dans la gestion du bon ordre des grands passages, en assurant une juste tarification des aires d'accueil et en favorisant l'intégration scolaire des enfants des gens du voyage.

Faisons un rapide inventaire du droit en vigueur. En contrepartie d'une obligation d'accueil des communes, le législateur a prévu deux régimes réprimant l'installation de campements illicites sur le terrain d'autrui, consacrant ainsi le principe que la liberté des uns s'arrête là où commence la propriété des autres.

Défendue par le secrétaire d'État chargé du logement Louis Besson, la loi du 5 juillet 2000 a recherché un équilibre entre la liberté d'aller et venir, le droit à un logement décent et le droit de propriété, articulant ses dispositions en trois volets. Le premier visait l'aménagement, sur quelques années, d'un nombre d'aires suffisant pour faire face aux besoins, en imposant notamment aux communes de plus de 5 000 habitants un délai pour réaliser les investissements nécessaires et en permettant à l'État de se substituer à elles en cas de carence. Le deuxième prévoyait plusieurs dispositions destinées à soutenir financièrement les communes dans la réalisation et la gestion des aires d'accueil. Le troisième renforçait les moyens juridiques permettant de lutter contre les occupations illicites.

Dans une logique de « donnant-donnant », cette loi a introduit un principe clair : seules les communes respectant leurs obligations peuvent interdire le stationnement sauvage et faire respecter cette interdiction. Toutefois, dans les faits, la complexité des procédures à mettre en oeuvre pour obtenir une évacuation de résidences mobiles rendait cette possibilité largement théorique, ce qui a conduit à la modification de l'article 9 de la loi du 5 juillet 2000 par la loi du 5 mars 2007.

Le préfet s'est vu attribuer le pouvoir de mettre en demeure les propriétaires des résidences mobiles des gens du voyage stationnant irrégulièrement sur des terrains publics ou privés de mettre un terme à cette occupation. Il prend cette décision à la demande du maire, du propriétaire ou du titulaire du droit d'usage du terrain. Sa décision est immédiatement exécutoire, moyennant un délai d'exécution de la mise en demeure qui ne peut être inférieur à vingt-quatre heures. Cette procédure ne peut toutefois être mise en oeuvre que si certaines circonstances sont réunies : le terrain occupé illégalement doit être situé sur le territoire d'une commune respectant ses obligations ; l'occupation illicite doit être de nature à porter atteinte à la salubrité, à la sécurité ou à la tranquillité publiques.

À l'issue du délai fixé dans son arrêté de mise en demeure, le préfet est autorisé à procéder à l'évacuation forcée des résidences mobiles. Toutefois, les occupants, le propriétaire ou le titulaire du droit d'usage du terrain ont le droit de contester la mise en demeure devant le tribunal administratif. Ce recours a un caractère suspensif, mais le président du tribunal administratif ou son délégué doit se prononcer dans les soixante-douze heures de sa saisine.

Un tel régime de police administrative n'a comme objectif que la fin du trouble à l'ordre public et la restauration de la tranquillité publique – résultat obtenu, dans le cas d'installation d'un campement sauvage, par l'éviction ou, le plus souvent, par le départ volontaire des occupants, à l'heure qu'ils choisissent. Il ne donne pas la possibilité de sanctionner les personnes s'étant rendues coupables de ces agissements, notamment en cas de récidive, ni de réparer les dégâts qui ont pu être causés et les préjudices subis par les personnes ayant vu leur bien illégalement occupé.

La sanction et la réparation relèvent toujours du régime pénal. La loi du 18 mars 2003 pour la sécurité intérieure a introduit au sein du code pénal un article 322-4-1 réprimant de six mois d'emprisonnement et 3 750 euros d'amende l'installation en réunion, en vue d'y établir une habitation, même temporaire, sur le terrain d'autrui sans autorisation. L'infraction est constituée lorsqu'elle a lieu sur un terrain privé ou sur un terrain d'une commune, soit non inscrite au schéma départemental, soit respectant les obligations fixées par ce schéma en matière d'installation d'aires d'accueil. Lorsque l'installation s'est faite au moyen de véhicules automobiles, le code pénal prévoit qu'il peut être procédé à une saisie immédiate en vue de leur confiscation, à l'exception des véhicules destinés à l'habitation, et à la suspension du permis de conduire pour une durée de trois ans au plus.

Malheureusement, ce dispositif ne permet pas d'obtenir une éviction des campements illicites dans des délais satisfaisants. Les sanctions pénales sont peu appliquées par le juge pénal – en 2012, cinquante-sept condamnations seulement ont été prononcées sur le fondement de l'article 322-4-1 du code pénal. Cette infraction est plus utilisée à titre de dissuasion, voire de pression pour obtenir un départ volontaire, car les instructions données au parquet en 2003 prévoient que « si l'installation illicite a volontairement cessé avant la date de l'audience, que soient prises des réquisitions tendant au prononcé d'une dispense de peine ». En privilégiant la seule fin de l'occupation à la sanction des auteurs du délit et à la réparation du préjudice, cette instruction introduit une confusion des genres entre cette procédure pénale et la procédure administrative d'éviction.

Par ailleurs, le faible nombre de sanctions recensées peut également s'expliquer par les difficultés rencontrées dans le déclenchement de la procédure pénale. Lors du constat d'une installation illicite, il arrive que certains groupes aient recours à des menaces physiques ou de représailles envers les élus locaux, les propriétaires des terrains concernés ou les riverains qui se plaindraient des préjudices qu'ils subissent ; la presse s'en est fait l'écho tout au long de l'été. Le choix de se porter partie civile n'est donc pas évident, ni sans conséquence pour les victimes et les élus concernés. Mais la procédure administrative d'éviction n'est pas forcément satisfaisante non plus.

Les collectivités ont pris en charge leur part et organisé l'accueil des gens du voyage. En application de la « loi Besson », toutes les communes de plus de 5 000 habitants ont dû mettre en place une aire permanente d'accueil. En outre, en application des prescriptions du schéma départemental, elles ont pu se voir imposer la mise en place d'une aire de grand passage.

Au 31 décembre 2014, 65 % des aires d'accueil et 49 % des aires de grand passage avaient été aménagées. Ces chiffres, en forte progression par rapport au 1er janvier 2011, indiquent qu'une dynamique favorable à l'aménagement d'aires d'accueil est engagée. En confiant cette compétence aux intercommunalités, la loi du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République, dite « loi NOTRe », permettra d'améliorer encore ces statistiques. Un cercle vertueux s'est installé. Même si le taux global de réalisation masque de très fortes disparités territoriales, la récente modification législative donne de meilleures chances à la compétence d'être exercée et aux aires d'être aménagées.

Par ailleurs, émergent de nouvelles tensions liées aux grands passages, d'une nature différente des grands rassemblements votifs, même s'ils sont souvent une manière de s'y rendre. La montée en puissance des grands passages est aussi associée à des motivations commerciales, telles que la vente sur les marchés, voire à des facteurs météorologiques. Ils ont tendance à se concentrer sur les mois d'été et dans des zones où se pressent déjà les touristes.

La procédure administrative d'éviction forcée a montré ses limites. Selon les statistiques que la mission d'information a pu obtenir en 2011, au cours des années 2008 et 2009, 808 mises en demeure ont été prononcées. Elles ont fait l'objet de soixante-quinze recours, qui ont abouti à un rejet dans cinquante-trois cas et à l'annulation de quatorze arrêtés. À quarante-huit reprises, une évacuation forcée a été finalement mise en oeuvre, soit vingt-quatre par an en 2008 et en 2009. Ainsi, c'est avant tout sur la dissuasion et la négociation avec les gens du voyage, afin d'obtenir leur départ volontaire dans un délai raisonnable, que repose la partie répressive de la « loi Besson ».

Cette situation ne peut être considérée comme satisfaisante, ni pour Annie Genevard ni pour les autres cosignataires de cette proposition de loi, notamment lorsque les collectivités territoriales ont joué le jeu, respecté leurs obligations et mis en place, aux frais des contribuables, des aires permanentes d'accueil. On ne peut se contenter du retour à l'ordre public provoqué par le départ des auteurs de l'occupation. Il faut pouvoir plus sérieusement mettre fin à ce système d'occupation illicite, qui dure généralement une semaine et ne trouve aucune réponse pénale ou dissuasive.

C'est pourquoi la présente proposition de loi vise à restaurer l'équilibre proposé par la « loi Besson », tout en rendant son dispositif plus dissuasif, plus rapide à mettre en oeuvre et plus automatique dans son exécution. Elle reprend un certain nombre de dispositions prévues par la proposition de loi sénatoriale de M. Pierre Hérisson, dont le Sénat a entrepris mais jamais achevé l'examen.

Elle poursuit cinq objectifs : renforcer les sanctions pénales et leur application, notamment en doublant les peines prévues en cas d'occupation sans titre d'un terrain appartenant à autrui pour y installer son habitation, en prévoyant une majoration de cette peine d'amende au-delà de trente-six heures d'occupation illégale et la saisie des véhicules concernés ; raccourcir et systématiser la mise en oeuvre de la procédure administrative d'éviction forcée, en prévoyant que l'arrêté d'expulsion puisse s'appliquer non seulement sur la parcelle concernée mais également sur l'ensemble du territoire de la commune ou de l'EPCI afin d'éviter la reconstitution d'un autre campement à faible distance, en introduisant la notion de trouble à l'activité économique, en supprimant le caractère suspensif du recours et en obligeant les préfets à mettre en demeure les occupants dans les vingt-quatre heures à compter de la saisine et à mobiliser les forces de l'ordre nécessaires ; préciser la responsabilité de l'État dans le bon déroulement des grands passages et rassemblements ; assurer que la tarification des aires d'accueil soit juste et équitable ; favoriser l'intégration scolaire des enfants des gens du voyage.

Le Sénat ne s'est pas saisi de la « proposition de loi Raimbourg » que l'Assemblée a adoptée, et n'est pas pressé de le faire, car ce texte ne répond pas aux attentes des élus locaux qu'il représente et qui sont confrontés tous les ans à ce déséquilibre entre les droits et devoirs des gens du voyage et ceux des collectivités. Cette proposition de loi est ainsi un cadre pour parvenir à restaurer cet équilibre, condition nécessaire pour une cohabitation apaisée entre sédentaires et gens du voyage.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

En vous écoutant, monsieur le rapporteur, j'avais le sentiment que le 9 juin 2015 n'avait pas eu lieu et que nous n'avions pas examiné en séance publique la proposition de loi du groupe Socialiste, républicain et citoyen, dont notre collègue Dominique Raimbourg était le subtil rapporteur. Certes, cette proposition de loi ne prétendait pas régler tous les problèmes soulevés par la circulation et l'installation des gens du voyage, mais elle mettait fin à un régime totalement dérogatoire qui les séparait du reste de la communauté nationale, tout en marquant la volonté d'accompagner les communes dans leur action contre les occupations illicites.

J'ai relu le compte rendu des débats pour voir quelles objections vous aviez alors exprimées et comment vous aviez justifié votre vote. Or je n'entends rien dans votre proposition de loi qui réponde aux questions soulevées par nos collègues, y compris du groupe Les Républicains au nom duquel vous présentez aujourd'hui cette proposition, ni aux interrogations exprimées par notre collègue Pierre Aylagas s'agissant des aires de grand passage.

Rien, dans votre proposition de loi, ne relève de l'équilibre ni n'apporte de solution, rien ne facilitera les échanges et n'apportera de solution concrète et durable aux problèmes posés. Lors de l'examen de la proposition de loi présentée en juin, le groupe Socialiste, républicain et citoyen s'était montré très à l'écoute, notamment son rapporteur, pour amender le texte initial. Mais la présentation de votre proposition de loi nie le débat parlementaire qui s'est déjà déroulé en commission et en séance publique. Aussi avons-nous proposé, pour chacun de ses articles, un amendement de suppression. J'indique toutefois que nous retirons d'ores et déjà l'amendement CL32 à l'article 8 ter, relatif aux tarifs des aires d'accueil, pour que puisse avoir lieu en séance publique une discussion sur vos propositions, permettant de rétablir celles de notre collègue Dominique Raimbourg.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Madame Mazetier, nous avons bien en mémoire la discussion qui a eu lieu sur la proposition de loi de Dominique Raimbourg ; nous y avons largement contribué. Mais notre propre proposition de loi avait été déposée un peu avant, et il ne nous a pas semblé qu'il y eût lieu de la retirer. Elle est, en effet, complémentaire de celle-ci. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, vous avez tous deux souligné que nous avions déjà longuement débattu sur le sujet. Mais c'est précisément symptomatique de l'inadaptation partielle de notre droit en matière d'accueil des gens du voyage, et de sa mauvaise application.

Je suis tentée de dire qu'une bonne loi est une loi dont on ne parle plus. La législation s'applique tout simplement et règle les problèmes posés. Or les problèmes, dans le domaine qui nous préoccupe, restent légion. Élus dans les territoires, maires peut-être vous-mêmes, il n'est pas possible que vous n'ayez pas entendu ceux-ci dire les difficultés qu'ils ont encore connues pendant l'été : occupations illégales répétées, dégradations de biens ou de terrains, dédiés ou non à l'accueil des gens du voyage, préjudice économique pour le territoire, voire climat d'insécurité dans les communes du fait de l'occupation, non par tous les gens du voyage, mais par certains d'entre eux.

Parfois, des faits plus graves sont commis, telles que des atteintes aux personnes, et notamment aux détenteurs de l'autorité publique – le maire de Thise, dans ma circonscription, molesté par les gens du voyage, en est encore perturbé. Ailleurs, il y a même eu mort d'homme. Cela nourrit une exaspération générale. Naît ainsi le sentiment d'une justice à deux vitesses et d'une certaine impunité, et avec lui le risque de débordements ou la tentation de se faire justice soi-même. Cela porte préjudice particulièrement aux gens du voyage eux-mêmes, ceux qui respectent les règles, qui sont victimes d'une intolérance épidermique.

La proposition de loi de Dominique Raimbourg posait comme postulat que les gens du voyage étaient victimes de discriminations ; elle voulait ainsi la fin du livret de circulation. Mais laisser impunis les faits que j'ai décrits ne fait que nourrir le sentiment de rejet. Notre devoir vis-à-vis des gens du voyage est de les aider à se débarrasser des auteurs de tels agissements. Car les gens du voyage qui respectent les règles en sont, je le dis derechef, les premières victimes.

La gestion du quotidien est devenue très compliquée pour les maires, qui y passent dimanches et jours fériés – car les occupations illicites s'opèrent souvent lorsque les services municipaux sont au repos. J'en suis, pour ma part, au dixième cas traité depuis le 1er juin. J'ai consacré beaucoup de temps à demander des arrêtés d'expulsion. Pourtant, ma commune remplit les obligations légales, en mettant à disposition un terrain familial et une aire d'accueil. Or celle-ci doit être remise en état chaque année, après le passage d'un groupe qui dégrade beaucoup. Des mois de travaux peuvent être réduits à néant en une semaine d'occupation, si bien que l'aire doit à nouveau être fermée.

Les dispositions actuelles ne sont pas appliquées, car les pouvoirs publics se montrent extrêmement frileux. Le préfet n'intervient que si l'on insiste beaucoup, le procureur s'inquiète de la présence effective d'éléments constitutifs. Tout est fait pour que les maires règlent eux-mêmes les problèmes sans faire de vague et sans que la situation dégénère. Il faut rendre sa force à la loi et au droit. Nos amendements veulent notamment faire mieux en matière de récidive.

Qu'il s'agisse de la proposition de loi de Dominique Raimbourg, de la nôtre, de celle du sénateur Pierre Hérisson ou de qui que ce soit, nous devons aider les maires qui doivent faire face à cette situation d'année en année. Cet été, un épisode grave a fait un mort parmi les membres de la force publique et, au cours de l'année, un jeune de la communauté des gens du voyage est également mort. Aussi est-il impérieux de trouver des dispositions qui règlent les problèmes posés. Pensez seulement aux maires !

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Je souligne le bien-fondé de la proposition de loi qui nous est présentée. L'adopter permettrait de renforcer le rôle de l'État, en redéfinissant le rôle du préfet pour qu'il puisse mieux répondre aux besoins des élus locaux.

Je me contenterai de rappeler des faits qui se sont passés dans une commune voisine de la mienne. En juillet, une communauté de voyage qui était venue une première fois, puis s'en était retourné sur les instances du maire de la commune, est revenue s'installer dans la même commune. Le maire ayant tenté à nouveau de discuter, certains de ses membres n'ont pas hésité à le saisir par les bras et les pieds et à le transporter sur vingt mètres. Et ne croyez pas que je vous livre une version romancée de l'événement ! Le maire a été giflé et ses clefs de voiture lui ont été dérobées, alors que la gendarmerie était présente. Le cabinet du préfet avait donné pour instruction de ne pas intervenir, au motif qu'il fallait éviter des remous et des mouvements de foule.

J'ai eu l'occasion d'intervenir à ce sujet, il y a quinze jours, devant l'assemblée générale de l'association des maires du Bas-Rhin, sur cette situation qui a été très mal vécue par la population. L'État démissionne ! Je trouve que tout cela est très léger, car chacun a des droits et des devoirs. Il faut trouver un équilibre respectueux de chacun. Il ne faudrait pas occulter pareille atteinte au premier magistrat d'une commune, atteinte à sa fonction comme à son intégrité physique. Au contraire, il convient d'y répondre en réécrivant la loi.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Je soutiens totalement ce texte. Je confirme que, dans les Vosges, la colère des élus locaux monte fort. Ils sont désemparés lorsqu'ils voient que les lois de la République ne sont plus respectées. Cela fait naître un climat de suspicion grandissant. Il est difficile de concevoir que certains, dont les ressources financières devraient faire l'objet de plus d'attention, soient autorisés à enfreindre les lois de la République.

Envisageons les choses sous un angle pratique. En montagne, ce sont souvent les meilleurs terrains qui sont accaparés par les occupations illicites. Celles-ci contrarient les activités du territoire, et d'abord l'activité agricole lorsqu'elles ont lieu à des moments cruciaux, comme la fenaison. Elles posent également un problème sanitaire et environnemental, car rien n'est prévu pour la collecte des ordures.

C'est pourquoi j'apporte un soutien inconditionnel à la proposition de loi présentée.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Je voudrais la soutenir à mon tour, car ce qu'a décrit notre collègue Sophie Rohfritsch n'est pas un fait isolé, hélas ! Les trois quarts de la dernière réunion de l'assemblée générale de l'association des maires du Bas-Rhin ont été consacrés à la question des gens du voyage, en présence du préfet. Celui-ci nous a dit être dans l'incapacité de mettre en oeuvre les textes, en appelant les parlementaires à prendre leurs responsabilités. C'est dire qu'il y a un problème !

Le droit ne protège pas efficacement le premier magistrat d'une commune, toujours en première ligne en cas d'occupations illicites. L'ubuesque de la situation, c'est qu'elles se produisent même là où des aires d'accueil existent mais où les gens du voyage ne veulent pas stationner.

Ce texte donnera aux représentants de l'État les moyens d'intervenir là où les maires sont souvent exemplaires au regard du respect de la législation.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Je voudrais rappeler à mon tour que la proposition de loi adoptée par l'Assemblée le 9 juin 2015 est en attente d'un examen par le Sénat. D'après mes dernières informations, celui-ci pourrait avoir lieu en janvier prochain. Une procédure législative est donc déjà en cours.

Vous avez parfaitement raison, chers collègues, les maires sont exaspérés de voir que le droit n'est pas appliqué. Or les mêmes échos nous parviennent des associations de gens du voyage s'agissant de la disponibilité des aires d'accueil. D'ailleurs, les chiffres que vous avez cités les concernant, monsieur le rapporteur, tendraient à justifier cette exaspération. Nous sommes face à un problème de société qui voit le groupe des sédentaires s'opposer au groupe des gens du voyage. Il faut pacifier la situation.

Nous avons besoin que la loi s'applique à tous. Or vous préconisez une solution qui ne correspond pas à cette nécessité, et qui n'est donc pas la bonne. Ni l'aggravation de la répression pénale, qui contribue rarement à l'apaisement, ni l'accélération des procédures d'évacuation, ne sont adaptées. Du reste, si la loi actuelle ne s'applique pas, alourdir la sanction n'y changera rien : le fait est que les forces de l'ordre peinent à intervenir, tandis que les tribunaux minimisent ce qu'ils analysent seulement comme un problème de stationnement illicite, excluant toute considération de dégradation.

L'accélération procédurale que vous promettez, s'agissant des évacuations, me semble ainsi particulièrement difficile à mettre en oeuvre. La législation actuelle a déjà un caractère exceptionnel par rapport au droit commun, comme en ont un les dispositions prévues par la proposition de loi adoptée en juin renforçant les pouvoirs du préfet. Mais les délais d'intervention impartis aux préfets pour intervenir ou aux tribunaux pour se prononcer dans votre proposition ne sont pas tenables. En essayant de répondre à la situation, vous passez, en réalité, à côté du problème. Aussi puis-je dire que vous n'apportez pas la bonne réponse.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

J'ai le sentiment d'un décalage entre l'objectif que vous recherchez et le texte que vous présentez. La solution à une occupation illicite ne dépend pas d'une aggravation des peines prévues par le code, mais de la bonne mise en oeuvre des sanctions. Or elle n'est pas corrélée à l'efficacité de la procédure prévue.

Adoptée en juin dernier, la proposition de loi de notre collègue Raimbourg prévoit déjà une amélioration de la mise en oeuvre, en précisant que les ordres d'évacuation prononcés en cas d'occupation illicite seront valables, non sur le seul terrain occupé, mais sur l'ensemble du territoire de la commune ou de l'intercommunalité concernée, dans le droit-fil de la loi NOTRe. Ainsi, les évacuations pourront être réellement mises en oeuvre.

Vous nous avez raconté des anecdotes terribles. Je n'emploie certes pas ce substantif pour diminuer le préjudice subi par notre collègue maire qui a été malmené. Comme président d'une association d'élus, je condamne, au contraire, ces actes et le fait que des maires aient été mis à mal. Mais il s'agit précisément de voies de fait, de coups et blessures et d'atteinte à personne dépositaire de l'autorité publique, non d'un problème d'occupation illicite.

Enfin, je suis envahi par un sentiment de malaise devant l'utilisation de drames estivaux, des décès d'un membre des forces de l'ordre et d'un membre de la communauté des gens du voyage. Des violences dramatiques ont eu lieu sur une aire d'accueil. Mais, selon les premiers éléments de l'enquête, ce sont l'alcool et la violence qui sont en cause, en aucun cas le caractère licite ou illicite de l'occupation. N'établissons donc pas de lien entre ces drames et le problème de l'occupation.

La sagesse voudrait que le Sénat se penche sur la proposition de loi de notre collègue Dominique Raimbourg et qu'il saisisse cette occasion pour travailler, non pas à l'aggravation des peines, mais à une meilleure mise en oeuvre des procédures, pour que l'État soit vraiment aux côtés des maires.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Je suis sûr que le préfet Fratacci suivra cela avec intérêt…

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Je suis abasourdi d'entendre notre collègue parler d'« anecdotes » pour désigner les troubles se produisant lors de l'arrivée massive et illégale de gens du voyage. Il m'est arrivé de me faire molester par des gens du voyage et, si je n'en suis pas mort, j'ai tout de même du mal à qualifier cela d'anecdotique. Nos conceptions respectives sont radicalement différentes : vous avez une vision totalement irréaliste des choses, reposant sur des présupposés idéologiques, alors que nous avons une vision avant tout pragmatique.

Si je ne cherche aucune excuse aux élus qui ne respecteraient pas la loi, en revanche, à ceux qui font leur devoir, la loi qu'ils appliquent doit apporter toutes les garanties en matière de respect de l'ordre public. Ce n'est pas le cas aujourd'hui : chacun sait qu'il est fréquent qu'à la faveur de regroupements, les gens du voyage jouent sur le nombre pour s'autoriser des débordements, violences et manipulations, et tiennent à l'égard des élus et de la population de notre pays des propos condamnables. Lorsqu'il arrive – trop rarement – que la justice prononce leur expulsion, ils partent d'eux-mêmes quelques heures avant que celle-ci soit effective. Faire preuve d'angélisme en la matière est particulièrement regrettable, car cela conduit à désespérer encore davantage les élus locaux, qui n'ont vraiment pas besoin de ça compte tenu du matraquage dont ils font actuellement l'objet de la part du Gouvernement. Je soutiens donc cette proposition de loi nécessaire, réaliste et crédible.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Je suis très étonnée du débat que nous avons actuellement, car un texte a été débattu et voté dans notre hémicycle le 9 juin dernier dont nous attendons maintenant qu'il revienne du Sénat, où le groupe Les Républicains détient la majorité. Il semble que son examen soit prévu en janvier prochain. N'y a-t-il pas un problème d'harmonie entre les sénateurs et les députés de votre groupe ? À moins que l'inscription à l'ordre du jour de cette nouvelle proposition de loi ne s'explique que par les prochaines élections régionales…

Article 1er (art. 322-4-1 du code pénal) : Doublement des peines encourues pour installation illicite en réunion d'une habitation sur un terrain appartenant à autrui

La Commission est saisie de l'amendement CL20 de Mme Sandrine Mazetier.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Comme nous venons de le dire, le doublement des sanctions pénales nous semble tout à fait inefficace pour résoudre les problèmes concrets auxquels sont confrontés les maires. Nous proposons donc de supprimer l'article 1er.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Si cette proposition de loi a été déposée par Annie Genevard et nos collègues, c'est parce que nous considérons que celle de MM. Raimbourg et Le Roux ne tient pas compte de la réalité de la situation, mais instaure l'impunité pour les gens du voyage qui contreviennent à la réglementation en vigueur.

Je vais vous rappeler la réalité dont vous semblez être déconnectés : on voit souvent un groupe de gens du voyage arriver le dimanche après-midi dans une commune, sur un terrain non prévu à cet effet, alors même que la commune a dépensé de l'argent public pour créer une aire de grand passage. En l'état actuel du droit, quand bien même serait-il modifié par la « proposition de loi Raimbourg-Le Roux », il est impossible d'obtenir l'expulsion de ce groupe avant une semaine. Pendant une semaine, les riverains sont donc confrontés à des personnes en état d'infraction et que l'on ne sanctionne pas, alors qu'eux-mêmes, les sédentaires, ne manqueraient pas d'être immédiatement sanctionnés s'ils commettaient la moindre infraction. Voilà en quoi votre proposition de loi institutionnalise l'impunité, ce qui nous paraît inacceptable.

Si la loi pénale n'est pas appliquée, c'est parce qu'on demande au procureur de ne pas engager des poursuites si le trouble à l'ordre public a cessé, c'est-à-dire si le terrain a été libéré. Le principe d'opportunité des poursuites devrait nous conduire à encourager l'institution judiciaire à poursuivre : il n'y a aucune raison pour que les gens du voyage soient au-dessus des lois et ne soient pas sanctionnés pour les infractions qu'ils commettent. L'objet de l'article 1er est de renforcer les sanctions pénales, mais aussi d'envoyer un signal fort aux magistrats pour leur dire que les infractions commises par les gens du voyage doivent être sanctionnées. Sans sanction, il n'y a pas de dissuasion, et l'on consacre alors une impunité réservée à certains, qui exaspère nos concitoyens. Je suis donc défavorable à l'amendement CL20.

La Commission adopte l'amendement.

En conséquence, l'article 1er est supprimé.

Article 1er bis (art. 322-4-1 du code pénal) : Peine d'amende complémentaire en cas de prolongation de l'installation illicite en réunion de véhicules destinés à l'habitation sur un terrain appartenant à autrui

La Commission examine l'amendement CL21 de Mme Sandrine Mazetier.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

La question est de répondre concrètement aux difficultés qui se posent sur le terrain, et non d'afficher des postures sans efficacité. À notre rapporteur, qui, dans un élan d'optimisme, évoquait des disparités territoriales dans la mise en oeuvre de la « loi Besson », je veux rappeler que quand le département de Paris se conforme à ses obligations en mettant en place une aire d'accueil, les communes limitrophes du bois de Vincennes – Saint-Maur-des-Fossés, Nogent-sur-Marne, Vincennes –, gérées par des maires étiquetés Les Républicains, pétitionnent contre son installation ; tout comme elles protestent contre la mise en oeuvre de la solidarité nationale par le département de Paris, alors qu'elles-mêmes ne satisfont pas aux obligations de la « loi SRU ». Décidément, il est des Français qui se considèrent comme plus égaux que d'autres, et des maires Les Républicains qui refusent d'appliquer la loi !

Je précise que le présent propos liminaire vaudra défense de tous les amendements de suppression que j'ai déposés sur le texte, à l'exception de l'amendement CL32 qui est retiré.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Avis défavorable à l'amendement CL21. Tout d'abord, je ne vois pas en quoi le fait de proposer une disposition légale serait une posture. La loi donne un cadre aux magistrats pour rendre la justice et pour sanctionner les contrevenants et les délinquants. Il s'agit en l'occurrence de revenir sur une instruction donnée au Parquet en 2003 et jamais contredite, une erreur du passé qu'il nous appartient de corriger aujourd'hui. Cette instruction était ainsi rédigée : « Il convient de prendre en compte l'objectif essentiel de cette incrimination, qui est d'éviter les troubles à la tranquillité publique résultant des installations illicites sur les propriétés d'autrui en raison des graves nuisances qu'elles entraînent pour les riverains. En cas de commission du délit, devront ainsi être privilégiées les procédures alternatives aux poursuites de l'article 41-1 – notamment la régularisation de la situation résultant du départ, à bref délai, des personnes en infraction – et ce n'est qu'en cas d'échec de cette procédure que des poursuites pourront être engagées. […] Il est enfin possible, si l'installation illicite a volontairement cessé avant la date de l'audience, que soient prises des réquisitions tendant au prononcé d'une dispense de peine. » Si le législateur ne dit pas clairement que les délits doivent être sanctionnés, personne ne le dira, et nous resterons dans un système d'impunité institutionnalisée.

Quant à mon optimisme sur l'aménagement des aires d'accueil, il est fondé sur l'évolution du pourcentage de dotation : d'année en année, davantage d'aires sont construites. Évidemment, aménager une aire de grand passage dans les zones urbaines en région Provence-Alpes-Côte d'Azur (PACA) ou en région parisienne n'implique pas le même coût ni les mêmes contraintes en matière d'urbanisme que la même opération en zone rurale. Par ailleurs, la « loi NOTRe » prévoit un transfert de compétence, et l'échelle intercommunale sera sans doute plus favorable à la réalisation d'aires de grand passage.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

C'est une erreur de raisonner de façon politicienne sur ce dossier en opposant les bons maires socialistes aux mauvais maires Les Républicains. Ayez l'honnêteté de reconnaître que tous les maires, qu'ils soient de gauche ou de droite, sont confrontés à des problèmes avec certaines communautés de gens du voyage.

Par ailleurs, le raisonnement que vous tenez est étonnant : selon vous, on ne peut pas alourdir les peines, puisque l'on ne peut déjà pas appliquer celles qui sont en vigueur. Autrement dit, continuons à ne pas appliquer le droit. Vis-à-vis de la population, un tel raisonnement est inacceptable !

Je veux dire à Olivier Dussopt que les faits dramatiques que j'ai évoqués dans mon propos liminaire auront à l'évidence des conséquences : je suis sûre que des instructions vont être données aux forces de l'ordre, les incitant à faire preuve d'encore plus de prudence et à intervenir encore moins qu'aujourd'hui. Les problèmes actuels ne risquent pas d'être résolus !

Enfin, si pour vous la dissuasion est inutile, comment expliquez-vous que la proposition de loi de M. Raimbourg ait prévu, à des fins dissuasives, le principe de la consignation des fonds pour la réalisation d'aires d'accueil des gens du voyage ? La dissuasion ne serait-elle efficace et souhaitable que lorsque c'est vous qui décidez d'y recourir ?

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Nous ne pouvons pas accepter les propos scandaleux de Mme Mazetier selon lesquels les maires Les Républicains refuseraient d'appliquer la loi.

La Commission adopte l'amendement.

En conséquence, l'article 1er bis est supprimé.

Article 1er ter : Saisie des véhicules et caravanes en stationnement illicite

Contre l'avis du rapporteur, la Commission adopte l'amendement CL22 de Mme Sandrine Mazetier.

En conséquence, l'article 1er ter est supprimé et les amendements CL9 et CL10 du rapporteur tombent.

Après l'article 1er ter

La Commission est saisie de l'amendement CL2 de Mme Annie Genevard.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Cet amendement vise à prévoir, en cas de récidive d'installation illicite, le doublement des peines encourues et de porter de cinq ans à dix ans le délai durant lequel ce doublement est applicable.

La Commission rejette l'amendement.

Elle examine ensuite l'amendement CL3 de Mme Annie Genevard.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Il s'agit de considérer comme une circonstance aggravante la concomitance d'une installation illicite en réunion sur un terrain avec la commission de dégradations, auquel cas il est proposé l'application d'une peine de cinq ans de prison et de 75 000 euros d'amende.

La Commission rejette l'amendement.

Article 2 (II de l'art. 9 de la loi n° 2000-614 du 5 juillet 2000) : Introduction d'une mise en demeure de quitter la commune ou l'EPCI compétent en cas d'occupation illicite de terrain

La Commission est saisie des amendements identiques CL8 de M. Sergio Coronado et CL23 de Mme Sandrine Mazetier.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Sans remettre en cause la liberté parlementaire d'amender et de proposer des lois, je veux dire la lassitude que nous ressentons à avoir régulièrement le même type de débats en commission des Lois, en raison du choix stratégique de nos collègues de l'opposition de pratiquer une politique d'affichage. Si vous aviez, chers collègues, la volonté sincère de débattre, nous aurions pu le faire dans le cadre de la navette parlementaire, sur le texte déposé par Dominique Raimbourg : étant majoritaires au Sénat, vous aviez la possibilité d'adopter tous les amendements que vous vouliez sur ce texte. Vous avez fait un autre choix, celui d'utiliser notre commission des Lois comme une tribune, ce que je déplore.

J'ai déposé trois amendements de suppression des articles 2, 8 ter et 8 quater, car ces articles sont satisfaits précisément par la « proposition de loi Raimbourg » que nous avons votée avant l'été. Considérez que ces amendements sont défendus, monsieur le président.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Avis défavorable. Loin de participer d'une politique d'affichage, notre souci est celui du bien commun : parvenir à un équilibre qui n'est pas atteint aujourd'hui et régler un problème majeur sur le terrain, que vous semblez vouloir ignorer. Peut-être mesureriez-vous mieux la réalité des choses si vous étiez un élu local.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Je l'ai été, mais j'ai préféré ne pas cumuler les mandats.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

C'est justement le drame de la loi sur le non-cumul des mandats, que vous avez votée, que d'en arriver à vous voir débattre de textes comme celui-là sans posséder la connaissance concrète des réalités du terrain, en l'occurrence de l'impunité dont jouissent les gens du voyage. Nous considérons, pour notre part, que le trouble à l'ordre public doit cesser rapidement : tel étant l'objet de l'article 2, j'émets un avis défavorable à votre amendement de suppression.

J'ajoute que le Sénat n'a pas encore achevé l'examen de sa propre proposition de loi. Il n'y a donc aucune garantie qu'il se saisisse prochainement de celle déposée par Dominique Raimbourg et Bruno Le Roux, d'autant que celle-ci ne correspond pas aux réalités du terrain et ne satisfait pas les élus locaux qui ont régulièrement à connaître de ces problèmes. Or le Sénat est l'assemblée chargée de représenter les élus locaux.

La Commission adopte les amendements identiques.

En conséquence, l'article 2 est supprimé et les amendements CL11 et CL12 du rapporteur, ainsi que l'amendement CL1 de Mme Annie Genevard, tombent.

Article 3 (II de l'art. 9 de la loi n° 2000-614 du 5 juillet 2000) : Encadrement du délai laissé au préfet pour mettre en demeure de quitter les lieux les occupants d'un stationnement illicite

Contre l'avis du rapporteur, la Commission adopte l'amendement CL24 de Mme Sandrine Mazetier.

En conséquence, l'article 3 est supprimé et l'amendement CL4 de Mme Annie Genevard tombe.

Article 4 (II de l'art. 9 de la loi n° 2000-614 du 5 juillet 2000) : Encadrement du délai d'exécution de la mise en demeure de quitter les lieux

Contre l'avis du rapporteur, la Commission adopte l'amendement CL25 de Mme Sandrine Mazetier.

En conséquence, l'article 4 est supprimé.

Article 5 (II de l'art. 9 de la loi n° 2000-614 du 5 juillet 2000) : Réduction du délai d'exécution de la mise en demeure en cas de récidive

Contre l'avis du rapporteur, la Commission adopte l'amendement CL26 de Mme Sandrine Mazetier.

En conséquence, l'article 5 est supprimé.

Article 6 (II bis de l'art. 9 de la loi n° 2000-614 du 5 juillet 2000) : Modification des conditions de recours contre la mise en demeure de quitter les lieux

Contre l'avis du rapporteur, la Commission adopte l'amendement CL27 de Mme Sandrine Mazetier.

En conséquence, l'article 6 est supprimé.

Article 6 bis (II ter [nouveau] de l'art. 9 de la loi n° 2000-614 du 5 juillet 2000) : Mobilisation de la force publique

Contre l'avis du rapporteur, la Commission adopte l'amendement CL28 de Mme Sandrine Mazetier.

En conséquence, l'article 6 bis est supprimé et l'amendement CL13 du rapporteur tombe.

Article 7 (II de l'art. 9 de la loi n° 2000-614 du 5 juillet 2000) : Ajout du trouble à l'activité économique comme critère justifiant une procédure de mise en demeure

Contre l'avis du rapporteur, la Commission adopte l'amendement CL29 de Mme Sandrine Mazetier.

En conséquence, l'article 7 est supprimé.

Après l'article 7

La Commission est saisie de l'amendement CL14 du rapporteur.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Cet amendement vise à permettre au propriétaire d'un terrain affecté à une activité économique dans une commune non inscrite au schéma départemental de demander au préfet de mettre en demeure les occupants d'un campement illicite d'évacuer les lieux, alors que le droit en vigueur ne lui permet que d'avoir recours à une procédure en référé devant le tribunal de grande instance. Une disposition de bon sens, identique à celle-ci, a été adoptée en juin par la majorité de l'Assemblée à l'initiative de M. Raimbourg. La rejeter aujourd'hui consisterait à juger l'auteur, et non le fond de la disposition : ce serait là une discrimination qui m'étonnerait de votre part, mes chers collègues.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Cette disposition ayant précisément été intégrée à la proposition de loi que nous avons votée en juin dernier, il ne paraît pas opportun de l'adopter à nouveau : nos concitoyens y verraient un incompréhensible bégaiement de notre assemblée. Agir rapidement et efficacement, tel est l'objectif du groupe Socialiste, républicain et citoyen.

La Commission rejette l'amendement.

Elle est ensuite saisie de l'amendement CL15 du rapporteur.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Il s'agit d'améliorer l'organisation de l'accueil des grands passages des gens du voyage en mettant en place un système déclaratif permettant aux départements, aux préfets et aux collectivités d'accueil d'anticiper leur arrivée. Subordonner l'exercice de la liberté de circulation des gens du voyage à un régime de déclaration préalable n'est pas une mesure liberticide, mais une simple conciliation avec les nécessités de garantie de l'ordre public. Ce régime est déjà appliqué au droit de manifester dans l'espace public, sans que cela ait jamais choqué ceux qui défilent pacifiquement.

La Commission rejette l'amendement.

Article 8 (art. L.2214-4 du code général des collectivités territoriales) : Responsabilité de l'État en matière de maintien de l'ordre lors des grands passages et des rassemblements traditionnels ou occasionnels des gens du voyage

Contre l'avis du rapporteur, la Commission adopte l'amendement CL30 de Mme Sandrine Mazetier.

En conséquence, l'article 8 est supprimé et l'amendement CL16 du rapporteur tombe.

Article 8 bis (art. 322-4-1 du code pénal) : Appel aux forces de l'ordre

Contre l'avis du rapporteur, la Commission adopte l'amendement CL31 de Mme Sandrine Mazetier.

En conséquence, l'article 8 bis est supprimé et les amendements CL17 et CL18 du rapporteur tombent.

Article 8 ter (art. 2 de la loi n° 2000-614 du 5 juillet 2000) : Uniformisation de la tarification des aires d'accueil

Suivant l'avis défavorable du rapporteur, la Commission rejette l'amendement CL7 de M. Sergio Coronado.

L'amendement CL32 de Mme Sandrine Mazetier est retiré.

La Commission adopte l'article 8 ter.

Après l'article 8 ter

La Commission examine l'amendement CL19 du rapporteur.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Ce serait une erreur que de faire preuve une nouvelle fois d'angélisme et de s'exposer au risque de manoeuvres électorales liées à l'inscription des gens du voyage sur les listes électorales municipales. À titre préventif, je crois prudent d'établir un plafond au-delà duquel les gens du voyage ne peuvent pas s'inscrire sur les listes électorales, et de le fixer à 2 % du corps électoral, autrement dit à revenir à la situation antérieure. Sur ce point, la « proposition de loi Raimbourg-Le Roux » n'allait pas dans le bon sens en supprimant tout encadrement; c'est pourquoi il vous est proposé de corriger cette erreur d'appréciation.

La Commission rejette l'amendement.

Article 8 quater (art. L.131-6 du code de l'éducation) : Scolarisation dans plusieurs établissements des enfants issus de familles itinérantes et de voyageurs

Contre l'avis du rapporteur, la Commission adopte les amendements identiques CL6 de M. Sergio Coronado et CL33 de Mme Sandrine Mazetier.

En conséquence, l'article 8 quater est supprimé et l'amendement CL5 de Mme Annie Genevard tombe.

La Commission rejette l'ensemble de la proposition de loi ainsi modifiée.

La Commission procède ensuite, sur le rapport de M. Philippe Goujon, à l'examen de la proposition de loi visant à garantir l'isolement électronique des détenus et à renforcer les moyens du renseignement pénitentiaire (n° 2571).

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Les attentats de janvier 2015 ont frappé les esprits par la haine qui les inspirait et le mépris pour la vie humaine dont ils témoignaient. Si beaucoup a été dit et écrit sur les motivations de leurs auteurs, on a trop peu insisté, en revanche, sur le fait que deux d'entre eux, Chérif Kouachi et Amédy Coulibaly, avaient purgé des peines d'emprisonnement. Leur cas est loin d'être isolé : on peut également citer ceux de Mohammed Merah, auteur des attentats de Toulouse, et de Mehdi Nemmouche, auteur de la tuerie du Musée juif de Bruxelles, qui avaient été incarcérés pour des délits de droit commun avant de se radicaliser en prison. Nul ne conteste plus que le phénomène de radicalisation s'accentue en milieu carcéral, même s'il demeure difficile à quantifier. Faute d'établissements pénitentiaires en nombre suffisant, et du fait de la promiscuité grandissante, le radicalisme et le prosélytisme progressent.

Les syndicats de personnels pénitentiaires que j'ai auditionnés ont tous pointé le risque lié à l'explosion du nombre de téléphones portables clandestins en possession de détenus, qui mettent en danger les personnels et favorisent tous les trafics. Certains détenus continuent même à harceler leurs victimes depuis la prison, en multipliant les appels malveillants. L'administration pénitentiaire est loin de nier le phénomène : sa directrice, Isabelle Gorce, a elle-même reconnu devant la commission d'enquête sur les filières djihadistes que l'introduction de portables en détention constituait un véritable fléau contre lequel il était difficile de lutter. Dans ces conditions, les préconisations de la Contrôleure générale des lieux de privation de liberté, visant à autoriser les téléphones portables dans les prisons, paraissent tout à fait inadéquates. Si le ministère de la justice a paru tenté, ce printemps encore, d'y céder au moins pour les détenus en régime de semi-liberté, il est à noter qu'aucun des pays voisins de la France ne pratique de la sorte.

Le plus grave est que les smartphones autorisent les détenus à se connecter à Internet sans aucun contrôle. Ces équipements multiplient les accès aux sources radicales avec lesquelles les détenus peuvent entrer en contact, ils permettent les échanges de photos, l'accès aux réseaux sociaux et aux messageries instantanées, la consultation de sites web hébergés à l'étranger. C'est un danger considérable pour les détenus aux personnalités fragiles ou instables.

Le manque de contrôle des parloirs est également préoccupant. Les fouilles systématiques ont été abandonnées et, faute de moyens humains suffisants, les conversations ne sont pas surveillées. Pourtant, dans l'affaire Mehdi Nemmouche, il est prouvé que le terroriste a été approché durant sa détention, puis mis en condition par un ou plusieurs visiteurs, qui ont largement contribué à sa radicalisation.

Face à ces phénomènes, l'administration pénitentiaire et ses personnels paraissent dépourvus des moyens juridiques indispensables à une lutte efficace. Des expériences de regroupement de détenus islamistes radicaux ont été menées sur le terrain afin d'isoler ceux-ci et de protéger les autres détenus, notamment au centre pénitentiaire de Fresnes, où une unité de prévention du prosélytisme a été créée en octobre 2014. Cette expérience tardive semble, de surcroît, résulter d'une initiative individuelle, prise sans l'accord du ministère.

Le 21 janvier 2015, dans le cadre du plan de lutte contre le terrorisme, le Premier ministre a finalement annoncé la création, d'ici à la fin de l'année, de cinq quartiers dédiés au regroupement des personnes détenues radicalisées ou perméables au prosélytisme. Force est cependant de constater que le dispositif proposé échoue à prendre la mesure du phénomène de radicalisation en milieu carcéral. Ce regroupement ne correspond à aucun cadre légal précis. Les modalités et les critères du regroupement sont flous, tandis que le nombre de places se révèle très limité. Il faut rompre avec les attitudes irréalistes face à la menace du terrorisme radical. Je vous propose donc de garantir, par des mesures législatives adaptées, l'isolement effectif des personnes détenues, et de renforcer les moyens aujourd'hui beaucoup trop modestes et limités des services de renseignement pénitentiaire.

L'article 1er de notre proposition de loi donne un fondement législatif à l'interdiction faite aux personnes détenues de disposer de téléphones portables et, plus généralement, de terminaux – téléphones 3G ou 4G, tablettes, ordinateurs – permettant un accès non contrôlé à internet. Il préviendra ainsi toute tentation de modifier sans l'accord du législateur les circulaires et règlements intérieurs qui excluent pour le moment encore l'usage des téléphones portables en détention.

Dans un souci de clarification, l'article 2 précise le régime de protection dont bénéficie, à juste titre, la correspondance échangée entre les détenus et le contrôleur général des lieux de privation de liberté.

L'article 3 complète l'article 1er en prévoyant une exclusion expresse de la correspondance électronique pour les personnes détenues. Il revient à interdire aux détenus les SMS, les e-mails, les messageries instantanées et l'utilisation des réseaux sociaux.

L'article 4 permet de retirer leur permis de visite et d'empêcher l'accès au parloir aux visiteurs ayant des comportements prosélytes, encourageant la violence ou le terrorisme.

L'article 5 vise à permettre à l'administration pénitentiaire de disposer d'outils juridiques pour détecter et lutter contre l'usage des téléphones portables clandestins en prison. Il crée un dispositif ad hoc permettant à l'administration pénitentiaire de recueillir les données de connexion relatives aux appels passés ou reçus grâce à un téléphone portable clandestin.

L'article 6 ouvre le débat sur l'opportunité de modifier la composition du Conseil national du renseignement, et l'article 7 correspond au gage financier de la proposition de loi.

Enfin, mes chers collègues, je vous proposerai plusieurs amendements visant à compléter les outils mis à disposition des personnels pénitentiaires. Je ne me fais guère d'illusions sur le sort souvent réservé à une proposition de loi émanant de l'opposition, mais je pense que la gravité des menaces auxquelles nous devons faire face justifie que nous ne négligions aucun moyen dans la lutte contre le terrorisme radical. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle l'opposition a voté récemment les projets de loi gouvernementaux sur le terrorisme et le renseignement pénitentiaire, en dépit du fait qu'elle n'a pas bénéficié de la réciproque par le passé. En tout état de cause, je vous remercie, mes chers collègues, de bien vouloir examiner cette proposition de loi avec bienveillance.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Cette proposition de loi a pour objet de régler de façon générale et par la loi la question des communications par portable et sur internet des détenus, en invoquant la lutte menée contre le djihadisme en prison. Elle s'inscrit dans un contexte très particulier, puisqu'elle a été déposée en février 2015, quelques mois après la loi sur le terrorisme du 13 novembre 2014, et quelques jours après les attentats de janvier 2015. Inspirée par l'émotion, examinée sept mois après son dépôt, elle est devenue inopérante depuis l'adoption, il y a deux mois, de la solide loi sur le renseignement de juillet 2015, qui a réglé un grand nombre de problèmes sur lesquels votre groupe est d'ailleurs divisé.

Cherchant à occuper le terrain de la lutte contre le terrorisme, vous multipliez les propositions de loi, vous livrant, jour après jour, à un concours Lépine des propositions les plus démagogiques sur un sujet qui devrait tous nous rassembler. Aujourd'hui, vous nous proposez de réinventer l'existant en interdisant par la loi les téléphones portables dans l'enceinte des établissements pénitentiaires, alors même que le décret 2013-368 du 30 avril 2013, cité dans tous les règlements intérieurs et assorti de sanctions allant de la confiscation à une peine de « mitard », interdit aux détenus de posséder un portable.

Vous considérez que la question relève du législateur, nous non : la Constitution prévoit en effet que tout ce qui ne relève pas du législatif est du domaine du réglementaire. Au demeurant, l'interdiction est déjà effective et bien réelle, puisque, en 2014, 27 524 téléphones portables ont été saisis par l'administration pénitentiaire, et 23 495 l'ont été en 2013.

Sur ce sujet, évitons les caricatures. Les contrôleurs généraux des lieux de privation de liberté, Jean-Marie Delarue puis Adeline Hazan, ont une vision pondérée des choses. En tout état de cause, il nous semble essentiel de ne pas limiter, comme vous essayez de le faire, les prérogatives du Contrôleur général des lieux de privation de liberté.

Pour ce qui est des permis de visite, un pouvoir d'appréciation est déjà conféré aux directeurs de prison afin d'assurer la sécurité et le bon ordre de leurs établissements. Dès lors, pourquoi créer une catégorie à part, qui n'apporterait aucun bénéfice juridique mais fragiliserait, au contraire, la décision du directeur, car les avocats introduiraient des recours plus facilement ? Le renseignement pénitentiaire est ici abordé sous l'unique angle de l'IMSI catcher, ce qui n'est d'ailleurs pas très cohérent puisque vous souhaitez collecter du renseignement en prison en mettant les portables sur écoute, tout en affirmant vouloir éradiquer la présence de ces appareils en détention.

Sur le fond, je ne peux qu'être d'accord avec l'utilisation de l'IMSI catcher au sein des prisons. Vous reprenez d'ailleurs quasiment l'amendement que j'avais déposé avec Jean-Jacques Urvoas et fait adopter dans le cadre de l'examen de la loi sur le terrorisme de novembre 2014. Depuis, la loi sur le renseignement a amplement évoqué le sujet et tranché. Vous avez raison de souligner l'importance du rôle du renseignement pénitentiaire, dont le Gouvernement a d'ailleurs annoncé la montée en puissance avec la création de 111 équivalents temps plein (ETP). Nous aurons à très court terme une restructuration importante du bureau du renseignement pénitentiaire, ce qui est sans doute prioritaire avant l'utilisation de telle ou telle technique. Oui, le renseignement pénitentiaire doit être renforcé, comme j'ai eu l'occasion de le dire dans le cadre de l'examen de la loi sur le renseignement, mais de ce point de vue, l'article 6 que vous proposez manque sa cible. Le Conseil national du renseignement n'a rien à voir avec la communauté du renseignement. Aux termes de l'article R. 1122-7 du code de la défense, tous les ministres dont la présence est requise par l'ordre du jour, y compris le garde des sceaux, peuvent y siéger aux côtés des services spécialisés. Il faudrait donc plutôt élargir le second cercle de la communauté du renseignement en y admettant le renseignement pénitentiaire, qui y aurait toute sa place.

In fine, vous nous proposez une loi censée régler d'un trait de plume un problème d'actualité sensible et complexe. Vous en appelez à la fermeté de principe, tout comme nous. Le problème est que votre proposition ne tient compte ni du droit existant ni des règlements pénitentiaires, et affirme l'existence de besoins juridiques que les acteurs de terrain ne constatent pas au quotidien.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Si je rejoins la recommandation de notre collègue Pietrasanta de se garder de toute caricature, je crains fort que son propos ne soit un peu réducteur quant à l'ambition de cette proposition de loi, que le groupe Les Républicains soutient totalement. Vous parlez d'un texte d'émotion tout en précisant qu'il est examiné par notre assemblée plusieurs mois après l'expression de cette émotion, ce qui me paraît un peu contradictoire. En réalité, sans oublier ce qui s'est passé en début d'année 2015, nous disposons désormais du recul nécessaire pour nous pencher sur ce sujet.

Nous avons un fort désaccord sur l'appréciation de la portée – législative ou non – des mesures qu'il convient de prendre en la matière. Ce désaccord se reflète dans les propos des contrôleurs généraux des lieux de privation de liberté – le précédent et l'actuelle – qui, contrairement à ce que nous venons d'entendre, n'ont pas sur le sujet une position pondérée, mais bien tranchée. Ainsi, juste avant de quitter ses fonctions, Jean-Marie Delarue a dit ici même qu'il était totalement favorable à ce que le téléphone portable soit désormais autorisé dans les établissements pénitentiaires. Curieusement, il a argué du fait que, la justice n'étant pas en capacité de mettre en oeuvre une véritable interdiction, mieux valait ne pas interdire – ce que nous avons également entendu tout à l'heure s'agissant des occupations illicites par les gens du voyage. Or la question de la capacité à communiquer, surtout s'agissant d'une personne privée de liberté, me semble relever non pas du domaine réglementaire, selon l'interprétation « en creux » que vous faites de la Constitution, mais bien du domaine législatif, en raison de la nature même du sujet.

Ne pas adopter notre proposition reviendrait à adresser à la population le message que, dans la période très difficile que nous traversons, la majorité et le Gouvernement n'estiment pas nécessaire de faire dire par la loi qu'il est interdit aux détenus de posséder – ou de se faire remettre de manière irrégulière – un téléphone portable. Libre à vous de penser cela, mais il vous revient d'en prendre toute la responsabilité !

Sur le plan du droit constitutionnel, j'affirme que cette proposition de loi est particulièrement fondée, car l'argument selon lequel elle relèverait du domaine réglementaire est trop fragile – il serait d'ailleurs intéressant de connaître l'avis du Conseil constitutionnel sur ce point.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Le message adressé à la population n'est pas celui que vous dites, monsieur Geoffroy. En réalité, il rappelle qu'il existe deux façons d'aborder les problèmes : la nôtre, réaliste, qui consiste à apporter une réponse à une certaine situation sans recourir pour cela à la loi, et la vôtre, purement incantatoire, car voter un texte de loi en la matière ne changera strictement rien à la situation.

J'ajoute qu'il ne faut pas diaboliser les objets et que, dans certains cas, l'interdiction du téléphone portable atteint les sommets du ridicule. Lorsque les détenus bénéficiant d'un régime de semi-liberté reviennent en prison le soir, ils doivent remettre au greffe, en vertu d'un règlement s'appliquant quel que soit le lieu de détention, le téléphone qu'ils ont utilisé toute la journée et qui se trouve encore dans leur poche. Chacun conviendra du caractère ubuesque d'une telle situation.

Plutôt que d'essayer de faire semblant de régler les problèmes, posons-les de façon claire. Disons que, dans certains endroits et dans certains cas, il est absolument impossible qu'il y ait un téléphone portable, et qu'il peut y en avoir ailleurs, et laissons à l'administration pénitentiaire le soin de régler ces questions au cas par cas, établissement par établissement, en traitant les prévenus différemment des condamnés, en traitant ceux dont on soupçonne qu'ils pourraient s'en servir pour se radicaliser différemment de ceux qui téléphoneraient simplement chez eux, à leur famille, ou qui attendent, dans les centres de semi-liberté, une réponse à la suite d'un entretien d'embauche auxquels ils se sont rendus dans la journée. Tenons-nous en à cette démarche rationnelle, n'obscurcissons pas les choses et gardons-nous d'une approche purement incantatoire.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Je veux souligner la pertinence de la proposition de loi déposée par notre collègue Philippe Goujon. Les chiffres ont été rappelés tout à l'heure : 27 524 téléphones portables ou accessoires principaux de téléphonie ont été saisis en 2014 dans les établissements pénitentiaires français. Ce chiffre a été cité par la directrice de l'administration pénitentiaire, Mme Isabelle Gorce, devant la commission d'enquête sur la surveillance des filières et des individus djihadistes, que je présidais et dont Patrick Mennucci était le rapporteur. En lui-même, ce chiffre est déjà effarant. Il l'est encore plus quand on sait qu'il traduit un triplement, depuis 2010, du volume saisi. Ainsi peut-on aujourd'hui parler d'une quasi-liberté d'accès à la téléphonie mobile, avec toutes les conséquences que cela peut avoir en termes de sécurité. On le sait, des filières de délinquance, des réseaux terroristes sont aujourd'hui organisés depuis la prison. Des enquêtes sont en cours, sur le soupçon que certains attentats ont pu être organisés depuis la prison. C'est tout à fait insupportable et intolérable, c'est aussi irrationnel. Mettons un terme à cela, avec beaucoup plus d'énergie que n'en témoigne le Gouvernement, dont je dénonce l'inaction face à une situation qui ne cesse de se dégrader. Faisons preuve de volonté, élaborons des réponses adaptées.

Ce que propose Philippe Goujon me paraît à tout le moins indispensable pour restaurer l'autorité républicaine dans ces lieux qui devraient en être l'incarnation même.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Guy Geoffroy et Éric Ciotti ont rappelé la nécessité absolue d'affirmer une volonté et de renforcer les dispositions pour lutter contre ce que la directrice des prisons qualifie d'ailleurs de véritable fléau – sans rien faire pour y mettre un terme, hélas ! Je ne crois pas que l'on puisse parler, monsieur Pietrasanta, de proposition de loi d'émotion pour occuper le terrain. Si ma mémoire est bonne, le Gouvernement, que vous soutenez, a présenté deux lois sur le renseignement et quelques autres textes depuis que des attentats ont été perpétrés sur notre territoire.

D'ailleurs, vous arguez de la loi relative au renseignement adoptée en 2015 pour dire que cette proposition de loi n'est pas pertinente, mais c'est exactement l'inverse. Je défendrai un amendement dont l'objet est précisément de réécrire l'article 5 de la proposition de loi. Vous vous souvenez sans doute du débat auquel a donné lieu la proposition de création d'un service de renseignement pénitentiaire au sein de la communauté du renseignement. Cette proposition n'a pas abouti, si bien que les dispositions finalement adoptées sont en retrait par rapport à ce que vous-même préconisiez, c'est-à-dire les IMSI catchers en prison. Nous comblons donc cette lacune, et je ne crois pas que le président Urvoas y soit totalement indifférent.

Ensuite, vous dites que le portable est déjà interdit en prison. Oui, il l'est actuellement, mais rien n'empêche un règlement ou une circulaire de revenir sur cette interdiction, puisque c'est par une simple circulaire ministérielle, susceptible d'être modifiée à tout moment, qu'elle a été édictée. Le texte même de cette circulaire indique que des évolutions peuvent être envisagées, la porte est donc quand même largement ouverte. Quant au règlement, c'est loin d'être une loi. En l'occurrence, c'est le règlement intérieur type des établissements pénitentiaires, et plus précisément son article 27. Demain, un autre règlement, une autre circulaire peuvent donc entraîner un changement, d'autant que la Contrôleure générale des lieux de privation de liberté a exprimé, dans cette salle même, le souhait d'autoriser les portables en prison, et qu'au début de l'année des fuites dans la presse faisaient état d'un projet de décret gouvernemental envisageant la légalisation des portables dans les centres et quartiers de semi-liberté.

Je dois, à cet égard, répondre à M. Raimbourg, qui parle d'incohérence. Le problème n'est pas d'empêcher ceux qui, en centre de semi-liberté, peuvent utiliser un téléphone portable pendant la journée de le faire le soir, c'est d'éviter que leurs téléphones circulent une fois que ces détenus ont regagné leur cellule. Des milliers de portables, projetés depuis l'extérieur des prisons, arrivent déjà entre les mains des détenus. Si ceux qui bénéficient d'un régime de semi-liberté peuvent regagner leur cellule avec leur téléphone portable, cela ne fera qu'aggraver le problème.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Ne me désintéressant pas du sujet, j'ai étudié très attentivement votre proposition de loi, cher collègue, et j'ai noté que certains de vos amendements avaient pour objet de corriger votre texte lorsque les dispositions de la loi sur le renseignement ou de la loi du mois de novembre 2014 en avaient rendu la rédaction initiale désuète. Ces lois ont bien contribué, effectivement, à solidifier notre système. Un article relatif aux IMSI catchers a ainsi été réintroduit dans le cadre de la loi sur le renseignement, que nous avons d'ailleurs votée ensemble. Il n'est donc pas pertinent de renvoyer à l'article L. 244-2 du code de la sécurité intérieure.

Sur le renseignement pénitentiaire, dont vous faites un sujet important, je veux dire, après Sébastien Pietrasanta, que le Gouvernement fait quand même des efforts en termes de personnel. Ce sont maintenant 111 ETP qui vont être recrutés : 44 pour les établissements, 3 pour les centrales et le reste pour les directions interrégionales. C'est un progrès, même s'il est vrai que, de mon point de vue, nous n'avons pas abouti sur la question du renseignement pénitentiaire. Je continue donc à y travailler en regardant comment les autres régimes démocratiques l'organisent, au sein de l'Union européenne et ailleurs. Le Canada, le Royaume-Uni et l'Espagne ont créé, notamment au cours des dernières années, des entités particulières qui relèvent de l'administration pénitentiaire. Dans d'autres États, comme l'Allemagne, le Luxembourg, l'Australie, la Norvège ou la Suisse, cela relève du service de sécurité intérieure, qui commence à regarder ces questions avec beaucoup plus d'attention.

Ma réflexion personnelle sur cette question n'est pas terminée. Faisons du benchmarking, cherchons si d'autres pays ont trouvé une solution dont nous pourrions nous inspirer ou s'il faut continuer à avancer sur des terrains qui n'ont pas été défrichés. En tout état de cause, à ce stade, je ne peux pas voter votre proposition de loi, que je trouve encore largement perfectible – mais peut-être l'améliorerez-vous d'ici à son examen en séance. En tout cas, vous posez, monsieur le rapporteur, des problèmes intéressants, notamment en ce qui concerne le renseignement pénitentiaire.

Article 1er (art. 39 de la loi n° 2009-1436 du 24 novembre 2009 pénitentiaire) : Interdire aux détenus les téléphones portables et les terminaux d'accès non contrôlé à Internet

La Commission examine l'amendement CL6 de M. Sergio Coronado.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Je défendrai en même temps les six amendements de suppression que j'ai déposés sur la quasi-totalité des articles.

Avant cela, je voudrais rassurer notre collègue Guy Geoffroy s'agissant de la proposition de la Contrôleure générale des lieux de privation de liberté de légaliser les téléphones en prison : si la parole d'une autorité administrative indépendante avait une portée législative, cela se saurait !

Je m'étonne des propositions du groupe Les Républicains. Ayant participé aux débats sur ces sujets, j'ai l'impression que la droite sénatoriale, tant sur la question du renseignement pénitentiaire que sur celle du statut très particulier des étrangers proposé à l'initiative du président Urvoas, ne partage pas vos positions. J'ai même l'impression qu'elle a contribué à ce compromis qui semble être, pour vous, un motif d'insatisfaction et qui a effectivement permis, selon moi, que les dispositions finalement adoptées ne soient pas trop attentatoires aux libertés.

Pour en venir au texte proprement dit, les articles 1er, 2 et 3 prévoient que les détenus ne sont pas autorisés à disposer d'un téléphone portable ni d'un accès à internet, mais c'est déjà le cas. Votre proposition ne répond donc pas à la nécessité de déterminer, par des enquêtes, comment des téléphones se retrouvent aujourd'hui au sein des établissements pénitentiaires.

Vous abordez également, par le biais de l'article 4, le permis de visite familiale, qui serait refusé ou retiré en cas de prosélytisme avéré ou d'actions tendant à favoriser la violence ou le terrorisme. Je crois savoir qu'il est déjà possible de retirer ce permis en cas de trouble à l'ordre. Est-il nécessaire d'étendre cette possibilité de retrait ? En fait, le caractère un peu général des dispositions en vigueur permet à l'administration pénitentiaire d'agir comme elle le juge nécessaire.

Quant à la question du renseignement pénitentiaire, qui nous renvoie à de précédents débats, notamment à un amendement de mon collègue Christophe Cavard, je crois qu'un compromis a été trouvé, construit patiemment, avec beaucoup d'intelligence, notamment par le président de la commission des lois du Sénat Philippe Bas. Je vous invite donc à vous incliner devant le travail fait par Les Républicains au sein de la commission des lois du Sénat. C'est un bon compromis qui a été trouvé, même si le président Urvoas continue de réfléchir à cette question.

J'ai donc proposé six amendements de suppression. J'estime que les articles de la proposition de loi sont redondants et ne répondent pas aux enjeux.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

M. Coronado se fait rarement le porte-parole de la droite sénatoriale ; il se montre là assez audacieux !

Je rappelle tout d'abord la nécessité d'un fondement législatif pour interdire les téléphones portables et, plus généralement, les terminaux. Il s'agit d'ailleurs plus d'interdire les terminaux ou le recours aux SMS que de simples appels téléphoniques, même si 20 % d'entre eux sont considérés par l'administration pénitentiaire comme malveillants – il y a tout de même 80 % d'appels familiaux.

Vous nous reprochez de faire l'amalgame entre le téléphone portable et la radicalisation, mais le juge Trévidic a cité des exemples très caractéristiques devant la commission d'enquête sur la surveillance des filières et des individus djihadistes. Ainsi, ce détenu, incarcéré pour un crime terroriste, dans la cellule duquel trois téléphones portables ont été successivement retrouvés en l'espace d'un mois. Ou cet autre détenu qui avait, grâce à son téléphone portable, organisé un projet d'attentat devant se dérouler pendant le championnat d'Europe de football.

En France, l'interdiction du téléphone portable en prison repose non pas sur la loi, mais sur des textes de nature réglementaire. Cela nous paraît insuffisant, et c'est d'ailleurs un choix qui, à notre avis, engage la sécurité des établissements et de leur personnel.

La Contrôleure générale des privations de liberté ne voit en aucun cas ses prérogatives réduites. Simplement, nous tenons compte d'une modification apportée par la loi de 2014 à la loi pénitentiaire, en vertu de laquelle « la possibilité de contrôler les communications téléphoniques, les correspondances et tout autre moyen de communication ne s'applique pas aux échanges entre le Contrôleur général des lieux de privation de liberté et les personnes détenues ». Il nous paraît utile d'apporter une restriction en ne visant que les communications téléphoniques et les correspondances. Il s'agit de clarifier le champ de la protection.

Les correspondances électroniques doivent être aussi interdites aux personnes détenues, car lorsque les détenus utilisent des téléphones portables, c'est moins pour avoir des conversations téléphoniques que pour échanger des SMS.

Enfin, l'article 4, que vous voulez également supprimer, a pour objet d'offrir un nouveau moyen de prévenir les phénomènes de radicalisation : la possibilité de refuser un permis de visite en cas de prosélytisme du visiteur. Nous ne faisons là que reprendre un amendement de nos collègues Marie-Françoise Bechtel, Cécile Untermaier et Dominique Raimbourg, que l'Assemblée nationale avait d'ailleurs adopté en première lecture, avec l'avis favorable de notre commission et du Gouvernement. Cet amendement visait à accroître la marge d'action des autorités pénitentiaires dans les cas où la personne détenue a été approchée en détention et mise en condition par plusieurs visiteurs qui ont contribué largement à sa radicalisation. C'était le cas dans l'affaire Nemmouche, et je n'appelle pas cela un amendement d'émotion ni un amendement pour occuper le terrain.

La Commission adopte l'amendement CL6.

En conséquence, l'article 1er est supprimé et l'amendement n° CL10 du Rapporteur tombe.

Article 2 (art. de la loi n° 2009-1436 du 24 novembre 2009 pénitentiaire) : Clarifier les compétences du contrôleur général des lieux de privation de liberté

Contre l'avis du rapporteur, la Commission adopte l'amendement CL5 de M. Sergio Coronado.

En conséquence, l'article 2 est supprimé.

Article 3 (art. 40 de la loi n° 2009-1436 du 24 novembre 2009 pénitentiaire) : Limiter la correspondance écrite des détenus à la seule voie postale

Contre l'avis du rapporteur, la Commission adopte l'amendement CL4 de M. Sergio Coronado.

En conséquence, l'article 3 est supprimé et l'amendement n° CL15 du Rapporteur tombe.

Article 4 (art. 35 et 40 de la loi n° 2009-1436 du 24 novembre 2009 pénitentiaire) : Prévenir le prosélytisme en faveur de mouvements violents ou terroristes

Contre l'avis du rapporteur, la Commission adopte l'amendement CL3 de M. Sergio Coronado.

En conséquence, l'article 4 est supprimé et l'amendement n° CL11 du Rapporteur tombe.

Après l'article 4

La Commission est saisie de l'amendement CL8 du rapporteur.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Il s'agit de donner un cadre législatif au dispositif de regroupement des personnes détenues, radicalisées ou perméables au prosélytisme, qui est expérimenté à Fresnes. Ce regroupement a été mis en place au mois d'octobre 2014, de façon empirique, par la direction de l'établissement, puis, au mois de janvier dernier, le Premier ministre a annoncé sa réplication dans quatre autres établissements. J'y suis sensible mais les modalités et les critères de ce regroupement sont tout à fait flous, et aucune procédure ne permet à un détenu de contester son placement dans l'un des quartiers en question. Le critère retenu à Fresnes est celui de la mise en cause ou de la condamnation pour des faits en lien avec une entreprise terroriste. Cela ne prend pas en compte, par exemple, les cas de personnes détenues pour d'autres motifs qui se radicaliseraient ensuite en détention.

Par ailleurs, les détenus regroupés ne sont nullement soumis à un isolement strict : s'ils n'ont pas accès à la promenade, ils n'en partagent pas moins leur cellule et peuvent participer à des activités socioculturelles ou sportives avec des personnes en situation de détention normale. Nous ne voulons pas les empêcher de se promener à l'intérieur de la prison ni de mener des activités socioculturelles et sportives, mais nous souhaitons qu'ils le fassent de manière isolée.

Ce que nous proposons, c'est de créer un cadre légal adapté, proche de celui du placement en isolement et assorti des mêmes garanties procédurales.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

La question de la création des quartiers dédiés est importante mais je ne pense pas qu'il faille forcément légiférer à ce stade. Le rôle du règlement, l'autonomie et l'initiative des chefs d'établissement, c'est important.

L'expérience de Fresnes a été utile. Elle a effectivement été engagée de façon empirique, mais des conclusions ont été tirées pour faire évoluer le dispositif en vue de la mise en place des autres quartiers dédiés à Fleury-Mérogis, Ancenis et Lille-Annoeullin. S'y ajouteront des quartiers d'évaluation, et je pense que là réside l'enjeu. À Fresnes, le quartier dédié va être transformé en quartier d'évaluation, et Fleury-Mérogis comprendra à la fois un quartier d'évaluation et un quartier dédié.

L'un des points sensibles, à la prison de Fresnes, était le critère du choix des détenus. Étaient essentiellement retenus des condamnés ou des détenus en préventive pour faits de terrorisme, notamment lié à l'islam radical. Toutefois, il se peut que des détenus condamnés soient sous emprise ou influençables, que d'autres soient prosélytes ou que des condamnés ou en préventive pour des faits de droit commun soient également prosélytes ou radicaux. Le critère des faits liés au terrorisme n'est donc pas forcément pertinent.

Par ailleurs, il ne saurait y avoir de quartier dédié sans un accompagnement des détenus, notamment par des programmes de déradicalisation. Les trois nouveaux quartiers dédiés en seront dotés dès le début de l'année 2016. Il faut régler la question de la radicalité et de la violence, car ces détenus sortiront un jour de prison. Leur déradicalisation doit être accompagnée comme il faut.

Enfin, il faut être très prudent sur le choix des détenus concernés. Les quartiers d'évaluation s'avéreront utiles pour ne pas mélanger des prosélytes et des gens sous influence dans un même quartier dédié. Il importe d'avancer de manière empirique. Légiférer figerait les choses et nous empêcherait de disposer du recul nécessaire sur les expériences menées précédemment ou actuellement.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Ce que vient de dire notre collègue Pietrasanta n'est pas du tout en contradiction avec l'esprit de notre amendement, bien au contraire. Cela conforte même l'idée qu'il faut donner un cadre qui puisse protéger l'État et ceux qui décideraient du placement de telle ou telle personne dans ces quartiers de ce qui ne manquera pas de survenir. Nous pouvons faire confiance aux personnes terriblement dangereuses, qui ne reculent devant rien : elles verront dans l'absence d'un cadre législatif pertinent et bien défini l'occasion de contester leur placement et d'empêcher que cette expérimentation se fasse de la manière la plus pertinente.

L'argument selon lequel la loi figerait les choses ne tient pas. Au contraire, la loi apporte des garanties, et cela vaut aussi pour l'expérimentation. Elle permet ainsi d'offrir la plus grande souplesse aux pouvoirs publics, pour qu'ils puissent adapter un même concept à des situations, des détenus, des établissements différents.

De même que vous avez souhaité que la proposition de loi précédente puisse être examinée en séance en laissant prospérer un article, il serait bon, chers collègues, que vous acceptiez cet amendement. En refusant de l'adopter, vous feriez en sorte – involontairement, j'espère – d'empêcher que le débat ait lieu en séance, et vous commettriez une erreur car, en la matière, les intentions du Gouvernement et les nôtres se rejoignent. J'en appelle donc vraiment à une position plus ouverte, qui nous permette de progresser ensemble sur un sujet qui a été soulevé par le Gouvernement. Personnellement, j'estime qu'il est plutôt intéressant et qu'il faudrait sécuriser l'édifice en cours de construction plutôt que de le maintenir dans une situation de flou juridique susceptible de le fragiliser.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Si nous considérons qu'il existe un parallélisme des formes entre les quartiers dédiés et le régime de l'isolement, c'est bien sûr par la loi que tout cela doit être encadré. Peut-être me fais-je un peu l'avocat du diable en disant cela, mais il s'agit d'un dispositif coercitif mis en place par la seule volonté d'un chef d'établissement, et il n'existe absolument aucune possibilité pour le détenu de le contester. Il ne faut donc pas trop tarder à légiférer. Rappelons, par ailleurs, que le régime de l'isolement prévoit une réévaluation trimestrielle, avec un débat contradictoire.

Je me demande si le critère de la condamnation pour acte de terrorisme est bien le plus pertinent. Imaginons le cas d'un condamné pour terrorisme qui revient de Syrie, et qui, en prison, ne se montre pas prosélyte. Finalement, il n'a pas plus de raisons de se retrouver à l'isolement qu'un détenu qui n'a jamais quitté le territoire national mais qui essaierait, lui, de radicaliser les autres détenus. Le critère du prosélytisme me paraît donc plus opportun que celui de la condamnation.

Quant à l'accompagnement de la déradicalisation, il représente des coûts substantiels, et des dispositions en ce sens ne manqueraient pas de se voir opposer l'article 40 de la Constitution.

La Commission rejette l'amendement.

Elle examine ensuite l'amendement CL7 du rapporteur.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Il s'agit de permettre des fouilles avant et après les parloirs. Les fouilles par palpation et les fouilles intégrales sont les seules auxquelles puisse procéder le personnel pénitentiaire. La loi pénitentiaire de 2009 soumet ces fouilles à un double critère de nécessité et de proportionnalité pour éviter les pratiques inutilement vexatoires ou humiliantes. Toutefois, une difficulté se pose concernant les sorties de parloir, puisqu'il n'est plus possible d'organiser une fouille systématique des détenus. Cette situation favorise évidemment l'introduction de substances et d'objets, notamment de téléphones. Nous proposons donc, par cet amendement, d'instaurer une dérogation ciblée afin de permettre aux surveillants de fouiller les détenus ayant eu un contact avec l'extérieur, le recours à une fouille intégrale plutôt qu'à une fouille par palpation restant soumis à une exigence de proportionnalité.

Nous proposons également de rendre systématique la fouille par palpation des visiteurs avant l'accès aux parloirs.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

C'est la loi de 2009, défendue par un Gouvernement que vous souteniez, qui a mis fin à la fouille systématique.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

La fouille systématique de détenus ciblés, notamment des détenus condamnés pour terrorisme ou prosélytes, est possible, à l'initiative du chef d'établissement. C'est l'ensemble des détenus qui ne peut pas être fouillé systématiquement, mais un détenu particulièrement dangereux ou repéré par nos services de renseignement peut être fouillé à l'entrée et à la sortie de chaque parloir.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Nous nous souvenons bien de la loi de 2009, il s'agit simplement de l'actualiser, notamment pour tenir compte du quadruplement du nombre de portables saisis en prison. Vous évoquez les fouilles possibles sur les personnes condamnées pour terrorisme, mais, en l'occurrence, nous visons la totalité des détenus, même les détenus de droit commun, dans la mesure où, si ceux-ci introduisent un portable en détention, rien ne les empêche de les diffuser autour d'eux, éventuellement à des détenus condamnés pour terrorisme.

La Commission rejette l'amendement.

Puis elle en vient à l'amendement CL14 du rapporteur.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Les parloirs constituent l'un des points d'entrée privilégiés des substances et produits interdits en détention. Les syndicalistes que nous avons interrogés nous ont confirmé qu'il était difficile de vérifier qu'aucun objet ou substance n'est échangé entre visiteurs et détenus, que ce soit dans les parloirs communs ou dans les parloirs individuels fermés. Dans un certain nombre d'établissements, des systèmes de caméras ont été installés dans les espaces collectifs des parloirs, c'est-à-dire les salles d'attentes, couloirs, entrées, sorties. En revanche, les parloirs ordinaires ne font pas l'objet de cette vidéosurveillance, faute d'une base légale adaptée. L'objet de cet amendement est précisément de combler cette lacune.

La Commission rejette l'amendement.

Article 5 (art. L. 244-2 du code de la sécurité intérieure) : Permettre l'accès aux données de connexion des téléphones portables illégalement détenus par les personnes incarcérées

La Commission est saisie de l'amendement CL9 du rapporteur.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Cet amendement a pour objet de récrire l'article 5 de la proposition de loi, rédigé avant l'examen du projet de loi relatif au renseignement, pour compléter le dispositif de contrôle des communications téléphoniques des détenus. Les évolutions technologiques, comme la miniaturisation des appareils, rendent de plus en plus difficile le contrôle par des moyens classiques. Certains téléphones sont ainsi de la taille d'une clé de voiture et ne comportent aucun composant métallique – ce sont évidemment ceux-là qui sont introduits en prison.

La mise en place des brouilleurs par l'administration pénitentiaire est une première réponse, et nous souhaitons, par cet amendement, donner une base légale à leur usage dans les établissements pénitentiaires – une telle base fait aujourd'hui défaut. Toutefois, de l'aveu même de l'administration, l'efficacité de ces brouilleurs est aléatoire. Surtout, les brouilleurs ne permettent aucunement de localiser les appareils afin de les saisir. Il nous est donc apparu utile de recourir à de nouveaux outils techniques, comme les IMSI catchers.

Nous proposons donc simplement de reprendre le dispositif proposé par le Gouvernement dans le cadre de son projet de loi relatif au renseignement, qui avait été écarté au profit d'une intégration pleine et entière – que nous avons soutenue, d'ailleurs – du renseignement pénitentiaire dans le deuxième cercle des services spécialisés. Las ! cela a été abandonné dans le cadre de la navette parlementaire.

Ce type de capteur autorise l'interception des données techniques de connexion, pas les conversations. Les données collectées utiles à l'identification du portable, comme le numéro, sont communiquées au procureur de la République, le cas échéant aux services de police et de renseignement, qui peuvent décider de requérir une interception de sécurité, dans le respect des procédures en vigueur. Pour l'établissement, l'avantage est considérable : le recensement du nombre de téléphones portables sur une zone permettrait de décider des fouilles de cellules en fonction des résultats obtenus, plutôt que de les faire à l'aveugle. C'est beaucoup plus efficace, bien sûr, qu'une saisine des opérateurs sous le contrôle de la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité (CNCIS) ou de la future Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR). Les dispositions actuellement en vigueur sont utiles dans le cas où les forfaits sont souscrits par leurs titulaires sous leur propre nom, mais le recours fréquent à des noms d'emprunt rend extrêmement difficile leur identification.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Je voterai contre votre amendement pour les raisons qui m'ont déjà conduit à voter contre l'amendement du Gouvernement lors de l'examen du projet de loi sur le renseignement. Je considère que la prévention est un domaine de police administrative et qu'il ne faut pas demander au procureur de la République de mener une quelconque intervention.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

L'intervention du procureur est déjà prévue par la loi pour le contrôle des téléphones filaires.

La Commission rejette l'amendement.

Puis elle rejette l'article 5.

Après l'article 5

La Commission est saisie de l'amendement CL12 du rapporteur.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Nous proposons de permettre à l'administration pénitentiaire d'écouter directement les appels passés sur un téléphone portable. Cette possibilité n'est pas une nouveauté, puisqu'elle existe déjà pour les appels passés depuis des postes fixes. Je précise, au passage, que ces appels sont coûteux et que les postes fixes sont difficiles d'accès à certaines heures et trop peu nombreux – peut-être faudrait-il les multiplier, par exemple en prévoir dans les cellules.

Il s'agit donc simplement d'élargir ce contrôle pour prévenir les évasions, empêcher les détenus de commanditer des délits à l'extérieur de la prison ou de harceler les victimes. Des faits de harcèlement téléphonique de victimes sont, en effet, recensés plusieurs fois par semaine dans chaque établissement pénitentiaire. C'est un véritable fléau ! Ouvrons donc à l'administration pénitentiaire cette possibilité de saisir la nouvelle CNCTR pour procéder à des interceptions de sécurité.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Je voterai également contre cet amendement. Vous entendez modifier la loi que nous avons adoptée au mois de juillet dernier en ajoutant la prévention des évasions aux finalités des services de renseignement et donc à la liste des intérêts fondamentaux de la nation. Or je ne suis pas certain que cela ait grand-chose à voir.

La Commission rejette l'amendement.

Article 6 : Rapport sur la modification de la composition du conseil national du renseignement

La Commission rejette l'article 6.

Article 7 : Gager la recevabilité financière de la proposition

L'amendement de suppression CL13 du rapporteur est adopté.

En conséquence, l'article 7 est supprimé.

La Commission rejette l'ensemble de la proposition de loi modifiée.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Je précise que ce n'est pas parce qu'aucun article n'est adopté lors de l'examen d'une proposition de loi en commission qu'elle n'est pas examinée en séance publique, contrairement à ce qu'avançait M. Geoffroy. Nous nous retrouverons donc en séance pour continuer ce débat.

Enfin la Commission procède sur le rapport de M. Guy Geoffroy, à l'examen de la proposition de loi visant à rétablir pour les mineurs l'autorisation de sortie du territoire (n° 2960).

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

J'ai l'honneur de rapporter cette proposition de loi au nom de mon groupe et, en particulier, de plusieurs de mes collègues dont Marc Le Fur, afin de réparer par la loi la conséquence involontaire d'une autre loi, votée à l'unanimité par notre assemblée et le Parlement tout entier. Il s'agit de rétablir le dispositif qui soumettait le franchissement des frontières françaises par un mineur à l'autorisation de ses parents.

Ce dispositif a été supprimé en novembre 2012, suite à ce que nous considérons comme une interprétation aléatoire de la loi du 9 juillet 2010 relative aux violences faites spécifiquement aux femmes, aux violences au sein des couples et aux incidences de ces dernières sur les enfants. J'ai de bonnes raisons de croire à une mauvaise interprétation de cette loi : je la connais bien pour compter parmi ses auteurs et en avoir été le rapporteur. Elle avait pour objectif de mettre un terme aux enlèvements d'enfants dans les couples où les choses ne se passent pas comme elles le devraient.

Dès la loi n° 2006-399 du 4 avril 2006 – dont j'étais également le rapporteur –, le législateur a souhaité qu'en matière de violences intrafamiliales, le droit soit conçu pour réprimer non seulement tous les actes de violence commis pendant l'existence du couple, mais également tous ceux perpétrés après sa dissolution et par lesquels se poursuit la violence exercée par un membre du couple sur l'autre.

S'agissant des enfants, nous savons que d'autres types de violences se produisent après la séparation et, éventuellement, après la condamnation des auteurs de violence. D'autres événements très graves peuvent survenir. Des parents séparés, divorcés, qui partagent la charge des enfants dans des conditions douloureuses, peuvent se trouver en situation conflictuelle. Il arrive qu'un parent emporte son enfant à l'étranger, l'autre restant désemparé en France. La justice se trouve elle-même en difficulté parce qu'elle doit compenser avec des institutions locales qui, s'agissant de certains pays étrangers, partagent peu notre conception du droit – il s'agit d'un simple constat de ma part, n'y voyez aucune connotation. C'est pourquoi nous avons créé des procédures d'inscription préventive des enfants concernés au fichier des personnes recherchées pour que la police les arrête à la frontière. Cette procédure, qui fonctionne assez bien, doit être portée au crédit de la loi de 2010.

Le Gouvernement a tiré argument du succès de la mise en oeuvre de ces dispositions pour supprimer l'autorisation de sortie du territoire signée des parents dont devait disposer un mineur quittant seul la France. Il en avait la possibilité, puisque celle-ci reposait sur une circulaire. Or nous avons constaté, à la lumière des événements récents, qu'il s'agissait d'une erreur. En 2010, nous avons traité le cas particulier d'un parent agissant contre l'intérêt de ses enfants, et nous n'envisagions pas que ce dispositif législatif, voté à l'unanimité je le rappelle, soit utilisé dans un cas plus général – celui dans lequel un parent veut le bien de ses enfants. C'est le rôle des parents de déterminer ce que peuvent faire ou non leurs enfants ; l'État se doit de ne pas intervenir, sauf s'il est avéré que les parents s'acquittent mal de leurs responsabilités.

Avant sa suppression, l'autorisation de sortie du territoire était exigée pour le passage de tout enfant quittant la France sans ses parents, qu'il le fasse seul ou en groupe. Elle était visée, suivant les cas, par le maire ou le préfet, ou encore par le directeur d'école ou le chef d'établissement dans le cadre de voyages scolaires à l'étranger. En supprimant cette autorisation, la France a aligné le droit des mineurs sur celui des majeurs. Cela veut dire que pour quitter la France seul et se rendre en Europe ou dans des pays amis de la France, un enfant n'a besoin aujourd'hui que de sa carte nationale d'identité. Cela peut conduire à des conséquences tout à fait aberrantes car il n'y a pas de limite d'âge. C'est possible à dix-huit ans moins deux jours, mais aussi à quinze ans, à dix ans, et pourquoi pas à cinq ans.

Il est facile de comprendre pourquoi mon groupe, dans un esprit qui n'est absolument pas lié à une quelconque actualité ou une volonté de se différencier par rapport à la majorité, a souhaité inscrire cette proposition de loi à l'ordre du jour de notre assemblée.

La situation dans laquelle nous nous trouvons est parfaitement aberrante, j'espère vous en avoir convaincu. Je suis sûr qu'elle est ressentie comme telle par tous ceux qui, au sein de notre Commission, ont des enfants ou des petits-enfants. La loi commande à la police de laisser un enfant partir à l'étranger, sauf si ses parents ont préalablement saisi le juge ou le préfet pour le lui interdire. Or on ne le fait pas : d'une manière générale, il n'y a rien de particulier à craindre dans les familles.

Des pays voisins, tels que la Belgique, ont conservé l'autorisation de sortie du territoire ; on comprend pourquoi. Si le ministre de l'Intérieur estime que cette autorisation n'est pas nécessaire, ce n'est pas tout à fait l'avis de son collègue des Affaires étrangères qui recommande, sur le site internet du Quai d'Orsay, de délivrer une telle autorisation sous seing privé. Il a probablement de bonnes raisons pour cela, de même que la ministre de l'Éducation nationale, qui a donné pour consigne à ses personnels de maintenir la pratique antérieure pour les voyages scolaires. Il faut remettre tout cela en bon ordre, sous la protection de la loi. Ainsi, nous réparerons la conséquence malencontreuse d'un texte qui ne l'est pas.

Pourquoi agir par la loi ? Je réponds par avance à une objection qui a été faite aux propositions de loi précédentes mais qui, je le sais, ne sera pas utilisée contre ce texte qui ne suscite pas les mêmes confrontations idéologiques et politiques. La liberté d'aller et venir est un droit fondamental ; l'altérer ou la défendre est donc du domaine de la loi. C'est la raison pour laquelle l'article 34 de la Constitution me semble s'appliquer. Il s'agit bel et bien d'accorder des garanties fondamentales aux citoyens pour l'exercice de leurs libertés publiques.

J'en viens au contexte. Tout le monde est conscient que la situation internationale est troublée. Si des mineurs ont fugué de tout temps, pour toutes sortes de raisons, la plupart du temps pas très bonnes, il faut aujourd'hui compter parmi celles-ci un sujet qui préoccupe tous nos concitoyens et qui fait l'unanimité entre nous : l'appel au djihad. Nous savons que des réseaux existent pour endoctriner la jeunesse ; ils sont très structurés et sévissent notamment sur internet pour faciliter le départ des victimes que sont, la plupart du temps, les jeunes qui partent faire le djihad au Moyen-Orient.

En n'exigeant pas de formalité légale pour le voyage de ces mineurs, en particulier vers la Turquie, nous abandonnons ces jeunes et leur famille au plus grand désarroi. C'est une des raisons pour lesquelles il me semble absolument nécessaire d'adopter cette proposition de loi qui n'est pas, je le répète, fondée sur une posture mais sur un simple constat de bon sens. J'ai noté avec plaisir que ce souci était partagé par notre collègue Patrick Mennucci, qui a recommandé le rétablissement de l'autorisation de sortie du territoire dans son rapport d'enquête sur la surveillance des filières et des individus djihadistes.

En conclusion, il s'agit tout simplement de protéger des enfants, de combler un vide, d'éviter des drames. Quand tel est le sujet, les querelles politiques sont inutiles. J'en appelle à la conscience de chacun et au bon sens collectif pour que nous puissions, tous ensemble, adopter cette proposition de loi et son article unique.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Comme vous l'avez indiqué, monsieur le rapporteur, la commission d'enquête a proposé à l'unanimité le rétablissement de l'autorisation de sortie du territoire pour des raisons qui sont en grande partie celles que vous avez évoquées à l'instant.

Rappeler que le vote de la loi qui a précédé la circulaire gouvernementale du 20 novembre 2012 a été obtenu à l'unanimité de l'Assemblée nationale devrait permettre d'ôter tout aspect polémique à ce débat. Il ne peut donc pas y avoir dans cette discussion de volonté de mettre certains d'entre nous en difficulté. C'est ainsi que s'est exprimé le rapporteur et je l'en remercie.

Je vais voter en faveur de cette proposition de loi, mais permettez-moi toutefois quelques mots. Il ne faut pas sacraliser l'autorisation de sortie du territoire. Bien d'autres problématiques peuvent malheureusement conduire un mineur à se retrouver hors du champ de l'autorité parentale sur un territoire extérieur, voire sur un territoire ennemi.

Si nous rétablissons l'autorisation de sortie du territoire, nous devons aussi prendre en compte les critiques formulées au moment de sa suppression afin que cette mesure soit applicable et efficace. Tout d'abord, ce document est falsifiable. On raconte que, dans certaines municipalités, les mineurs pouvaient venir eux-mêmes déposer leur dossier. J'ai été maire et je ne l'aurais pas accepté ; j'ai toujours exigé du personnel de l'état civil que le dépôt du dossier se fasse en présence du ou des parents. Nous devons reprendre cette question et peut-être la traiter par voie d'amendement en séance publique.

Rappelons aussi que la détention d'un passeport valait, pour un mineur, présomption d'autorisation permanente de sortie du territoire. Un passeport attribué en 2015 à un mineur de douze ans sera toujours valable en 2020 alors que ce même mineur sera âgé de dix-sept ans. C'est aussi une question sur laquelle nous devrons nous pencher.

Une autre critique porte sur le travail qu'établir cette autorisation représentera pour les personnels habilités des mairies ou des gendarmeries dans les zones rurales. Alors que nous devrions plutôt réduire leur charge de travail, c'est une objection que l'on peut entendre.

Soucieux d'effectuer un suivi du travail de la commission d'enquête, son président Éric Ciotti et moi sommes en discussion avec le ministère de l'Intérieur sur ces questions et d'autres, ainsi qu'avec le ministère du Budget concernant la préparation du jaune budgétaire sur le terrorisme. Depuis la parution de la circulaire en 2012, le Gouvernement a incontestablement travaillé sérieusement sur ce dossier, notamment par l'intermédiaire de la plateforme de signalisation. Cette dernière a permis de faire prononcer par le procureur de la République un certain nombre d'interdictions de sortie du territoire pour des mineurs contre leur volonté, parfois contre celle de leurs parents ou parfois à la demande de ces derniers. De nombreuses statistiques montrent les difficultés de l'exercice. Mais le chiffre est faible : ce dispositif concerne quatre-vingt-sept personnes.

Nos services indiquent qu'aujourd'hui quatre-vingt-dix mineurs environ sont présents dans les territoires à cheval sur l'Irak et la Syrie, la plupart ayant accompagné leurs parents. Quinze mineurs seraient porteurs d'armes, notamment dans une organisation appelée « Lionceaux du Califat » qui entraîne des enfants soldats dans un cadre tout à fait répréhensible. Nous sommes bouleversés de savoir que des enfants français peuvent être soumis à de telles violences, même s'ils pratiquent eux-mêmes la violence.

Je voterai donc votre proposition de loi, non sans répéter que nous ne pouvons pas nous contenter de rétablir l'autorisation de sortie de territoire pour les mineurs ; il faut le faire en évitant les problèmes qui existaient avant son abrogation. Nous devons entrer en dialogue avec le ministre de l'Intérieur Bernard Cazeneuve pour obtenir des réponses aux questions qui ont été posées.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Ayant moi-même participé aux travaux de la commission d'enquête sur la surveillance des filières et des individus djihadistes et voté le rapport de Patrick Mennucci, je soutiendrai aussi cette proposition de loi. Néanmoins, j'insiste sur les remarques qui ont été formulées.

Des raisons à l'évidence fondées nous ont conduits à faire figurer parmi les propositions du rapport d'enquête le rétablissement de l'autorisation de sortie du territoire pour les mineurs. Néanmoins, ces propositions ne constituent pas l'alpha et l'oméga, et ne sont pas sans effets secondaires. Je souhaite, moi aussi que, des précisions soient apportées d'ici au débat en séance publique.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Le groupe Socialiste, républicain et citoyen souhaite que le débat se tienne en séance car, comme l'ont dit Patrick Mennucci, Christian Assaf ainsi que le rapporteur, nous avons besoin de progresser sur ces questions.

Certains d'entre nous voteront en faveur de cette proposition, d'autres vont s'abstenir, de façon à ouvrir le débat sur l'utilité de l'autorisation de sortie du territoire.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Je remercie mes collègues commissaires, qui ont bien compris l'exposé de ma proposition. Je soutiens totalement les remarques de notre collègue Mennucci, mais contrairement à la pratique habituelle, je crois qu'il faut d'abord voter le texte de loi puis, avec l'accord du Gouvernement, immédiatement mettre en place tous les éléments qui permettront à cette nouvelle disposition législative d'entrer en vigueur avec le plus de pertinence et le moins de contraintes supplémentaires.

J'ai noté qu'il n'y aurait pas de vote hostile, ce qui me fait dire que cette proposition de loi devrait prospérer et nous devrions progresser, avec le Gouvernement, à partir de ce texte.

Article unique (art. 371-6 [nouveau] du code civil) : Autorisation de sortie du territoire pour les mineurs

La Commission adopte l'article unique sans modification.

Par conséquent, l'ensemble de la proposition de loi est adopté sans modification.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Je rappelle que ces trois propositions de loi seront examinées en séance publique la semaine prochaine, dans le cadre de l'ordre du jour arrêté à l'initiative du groupe Les Républicains.

La séance est levée à 12 heures 10.