La commission des affaires économiques a examiné le rapport d'application de la loi d'avenir pour l'agriculture, l'alimentation et la forêt de MM. Antoine Herth et Germinal Peiro.
Nos collègues Germinal Peiro et Antoine Herth nous présentent ce matin leur rapport sur la mise en application de la loi d'avenir pour l'agriculture, l'alimentation et la forêt du 13 octobre 2014. Outre le grand nombre d'auditions qu'il a nécessité, ce rapport a représenté un travail considérable, à l'image de ce grand texte sur l'agriculture qu'est la loi de 2014, qui comporte 96 articles et a donné lieu à de nombreux décrets d'application. Hier encore, a été publié un décret relatif à la mise en transparence des résultats des contrôles de l'État dans le domaine de la sécurité sanitaire des aliments ; il renforce l'information des consommateurs et permettra la publication sur internet, voire dans les établissements concernés, des résultats des contrôles en matière de sécurité sanitaire réalisés à compter du 1er mars 2017.
Nous avions adopté, dans le cadre de la loi du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, dite « Sapin II », d'autres mesures, mais certaines ont été annulées comme cavaliers législatifs par le Conseil constitutionnel. Ces dispositions, auxquelles avaient travaillé l'ensemble des députés de notre commission, vont être reprises dans la proposition de loi relative à la lutte contre l'accaparement des terres et au développement du biocontrôle, dont M. Dominique Potier vient d'être nommé rapporteur, et qui sera examinée à la rentrée.
La législature qui va s'achever dans quelques semaines a été en grande partie consacrée aux dossiers agricoles. Il serait intéressant, après que notre commission aura autorisé la publication du présent rapport, que nous ayons aussi le point de vue du ministre sur l'application de la loi.
Mon collègue et ami Antoine Herth et moi-même avons le plaisir de vous présenter, deux ans après la promulgation de la loi d'avenir pour l'agriculture, l'alimentation et la forêt du 13 octobre 2014, le rapport d'information sur sa mise en application.
Deux ans après la promulgation d'une loi, on attend du Gouvernement que l'ensemble des décrets nécessaires à son application aient été publiés, dans le respect de l'intention du législateur. Nous nous souvenons tous du parcours de ce projet de loi : déposé en 2013 et initialement composé de 39 articles, il est ressorti de la discussion fort de 96 articles, après qu'aient été adoptés 1 769 amendements en première lecture et 1 340 en deuxième lecture, et cela pour la seule Assemblée nationale. Ces 96 articles nécessitaient 103 mesures réglementaires d'application, dont 72 décrets simples et 31 décrets en Conseil d'État, dont la procédure d'adoption est plus longue. À ce jour, 62 décrets ont été publiés, mettant en oeuvre 70 mesures réglementaires prévues par la loi et 26 mesures réglementaires d'application non explicitement prévues par cette même loi. La plupart de ces décrets ont été publiés dans l'année suivant la promulgation de la loi, certains l'étant le jour même de cette promulgation.
Les textes d'application de la loi ont été publiés à hauteur de près de 75 %, étant précisé qu'à l'exception notable de l'important décret sur le registre des actifs agricoles, l'essentiel des décrets relevant du ministère de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la pêche a été publié. Plusieurs de ceux relevant du ministère des affaires sociales et de la santé manquent à l'appel.
Le rapport est organisé en sept parties, correspondant aux sept titres de la loi. Les trente et une auditions menées de juillet à novembre nous ont permis de cibler notre analyse sur trente-trois thématiques.
En ce qui concerne le titre Ier, relatif à la performance économique et environnementale des filières agricoles et agroalimentaires, sept thématiques sont explorées : les groupements d'intérêt économique et environnemental (GIEE), les groupements agricoles d'exploitation en commun (GAEC), les coopératives, les interprofessions, les relations commerciales, les espaces d'information périodique gratuite pour les interprofessions et les garanties de l'origine et de la qualité.
Ce titre est la traduction législative du fil conducteur de l'esprit de l'ensemble de la loi : la double performance économique et environnementale de la filière agricole et agroalimentaire. Cela passe par le développement des formes collectives d'agriculture, par l'attention à la qualité des productions et aux territoires auxquels elles se rattachent.
La loi prévoit l'adaptation des interprofessions et des rapports entre chacun des maillons de la filière en vue d'améliorer les relations commerciales et la répartition de la valeur ajoutée.
Nous vous renvoyons au rapport pour le détail des décrets publiés mais, pour ce titre, quatre décrets manquent. Le cabinet du ministre a donné le détail de l'avancement de ces mesures réglementaires. Pour trois d'entre elles, le processus est bien avancé. Pour la quatrième, concernant les campagnes d'information périodique gratuite à la radio et télévision publiques pour les interprofessions des produits frais, le Gouvernement a déclaré qu'il y était opposé, et n'a pas prévu de publier ce décret.
Nombre de mesures s'appliquent efficacement, en particulier lorsque les décrets ont été publiés rapidement.
Les GIEE sont un succès : on en compte 311, engageant plus de 4 000 agriculteurs sur une surface agricole utile de plus de 300 000 hectares. Le cadre de leur création est relativement souple et les thématiques retenues très larges. Un effort peut néanmoins être poursuivi sur la communication qui les accompagne et la fréquence des appels à projets régionaux.
Le cadre juridique des GAEC a été sécurisé et ils bénéficient désormais du principe de transparence économique, qui permet à leurs membres de conserver les droits auxquels ils auraient pu prétendre s'ils étaient restés exploitants individuels. On en dénombre 45 000, contre 36 000 lors du dépôt du projet de loi. Il s'agit d'une formule très pertinente qui permet de répondre aux contraintes liées au nombre important de petites exploitations, même s'il est indéniable que la hausse du nombre de GAEC est aussi le résultat de la transformation d'entreprises agricoles à responsabilité limitée (EARL), dont la formule juridique est devenue moins intéressante.
Les coopératives agricoles ont fait l'objet d'un grand nombre de critiques relatives au manque de transparence de leur fonctionnement et, de ce fait, à l'éloignement des associés coopérateurs des organes dirigeants de leur coopérative. Même si les conditions de rémunération des associés suscitent encore des critiques, la transparence s'est accrue. Le conseil d'administration et le directoire transmettent davantage d'informations et l'application des principes coopératifs – valeurs initiales des coopératives – est mieux contrôlée par le Haut Conseil de la coopération agricole et par la nomination d'un médiateur de la coopération agricole, encore peu sollicité toutefois.
Les interprofessions se sont mises en conformité avec le droit européen. Elles ont efficacement amélioré la représentativité de leurs structures, en particulier le pluralisme syndical. Même si quelques recours sont en cours, émanant souvent de la Coordination rurale et de la Confédération paysanne, l'extension obligatoire à l'ensemble d'un secteur des accords professionnels passés au sein de l'interprofession améliore l'ensemble d'une filière.
Plusieurs mesures se sont révélées constituer des progrès encore insuffisants : il en est ainsi des relations commerciales entre des producteurs atomisés face à la concentration de la grande distribution et la force de négociation des industriels de l'agroalimentaire. La contractualisation et les regroupements de producteurs se mettent en place, mais difficilement. Le médiateur des relations commerciales considère que les contrats ne remédient pas aux déséquilibres, en particulier lorsqu'ils sont très longs. Nombre de professionnels appellent de leurs voeux une plus grande souplesse dans la contractualisation. Le problème vient en fait aussi de la faible organisation des producteurs : souhaitée par tous, elle peine cependant à décoller dans certains secteurs. Le processus d'encouragement au regroupement doit se poursuivre et, d'ailleurs, la loi Sapin II, promulguée le 9 décembre dernier, devrait améliorer les relations contractuelles.
En ce qui concerne le titre II, relatif à la protection des espaces naturels, agricoles et forestiers et au renouvellement des générations, l'intention du législateur était non seulement de protéger les espaces agricoles, mais aussi d'étendre la protection aux espaces naturels et forestiers, tout autant menacés par l'artificialisation des terres. Le foncier agricole est mieux géré et protégé par la création d'une nouvelle obligation de compensation des réductions de surfaces agricoles et des externalités économiques qui leur sont liées. Le décret sur cet article n'a été pris que le 31 août de cette année. Il est vraiment trop tôt pour en évaluer les effets, mais on peut d'ores et déjà relever que le nombre de projets concernés sera réduit, puisque trois critères cumulatifs sont requis : les projets doivent être soumis à l'étude d'impact environnementale, ils doivent être situés dans une zone strictement définie et le projet, sous réserve d'une décision du préfet, doit représenter une surface supérieure à cinq hectares. En outre, la portée de l'évaluation est incertaine, en particulier sur la teneur des mesures compensatoires à prendre et leur contrôle.
L'Observatoire des espaces naturels, agricoles et forestiers (OENAF, anciennement ONCEA) renforce les mesures permettant de limiter la consommation des espaces non urbains face à la pression urbanistique. Au niveau local, les commissions départementales des espaces naturels, agricoles et forestiers (CDPENAF, anciennement CDCEA) sont compétentes sur une plus grande partie du territoire et associent de très nombreux acteurs des territoires, notamment les sociétés d'aménagement foncier et d'établissement rural (SAFER) et l'Institut national de l'origine et de la qualité (INAO), qui ne se privent pas de participer à ces commissions. Manque néanmoins l'important décret relatif aux notions de réduction substantielle des surfaces affectées à des productions bénéficiant d'une appellation d'origine protégée (AOP) et d'atteinte substantielle aux conditions de leur production.
Le renouvellement des générations d'agriculteurs est au coeur de la loi : la transmission et l'installation sont favorisées. Ces objectifs guident l'action renforcée des pouvoirs des SAFER et le contrôle des structures. Le droit de préemption des SAFER est étendu et le nouveau schéma directeur régional des exploitations agricoles (SDREA) devient l'alpha et l'oméga des orientations agricoles régionales, en particulier pour la détermination des seuils au-delà desquels une autorisation d'exploiter est requise. Le décret sur les SDREA a été tardivement publié, notamment du fait de la réforme territoriale concomitante. Cependant, seuls deux schémas manquent à l'appel à ce jour.
Il est à noter que les mesures prévues dans la loi d'avenir ont rapidement révélé des faiblesses par la facilité de leur contournement, comme on l'a vu avec des investissements chinois dans l'Indre. La loi Sapin II en tirait les conséquences en prévoyant d'empêcher les montages sociétaires purement spéculatifs – un coup d'épée dans l'eau, puisque le Conseil constitutionnel a censuré ces articles considérés comme des cavaliers législatifs. Cependant, tout n'est pas perdu, puisque le rapporteur Dominique Potier présentera prochainement une proposition de loi reprenant ces dispositifs.
Par ailleurs, les aides à l'installation et à la transmission sont appuyées par des contrats de génération et un parcours d'installation dynamisé, le tout avec l'appui des chambres d'agriculture. La principale source de préoccupation des personnes auditionnées concerne le registre des actifs agricoles qui est au point mort, faute de décret. Il doit permettre de mieux cibler les aides aux agriculteurs en les réservant aux agriculteurs actifs, mais la consultation des professionnels menée par le ministère révèle des divergences d'attentes, et surtout une grande méfiance sur les conséquences économiques et sociales du registre.
La troisième partie du rapport concerne la politique de l'alimentation et la performance sanitaire ; treize décrets ont été publiés et quatre sont en attente.
Les programmes alimentaires territoriaux (PAT) revêtent une dimension économique, environnementale et sociale, car il s'agit de projets collectifs regroupant tous les acteurs d'un territoire. Une soixantaine de PAT en cours ont été recensés. L'Assemblée permanente des chambres d'agriculture (APCA) a contribué à ce que ces initiatives soient réunies autour d'un projet national commun, en mettant en réseau tous les acteurs concernés. Le ministère de l'agriculture espère en compter 500 en 2020, avec une première vague de labellisation au 1er semestre 2017. Des défis restent à relever, dont le financement de l'animation, la participation des acteurs agro-alimentaires et de la distribution, et la question du « juste prix » de l'alimentation.
La lutte contre l'antibiorésistance est controversée. L'objectif chiffré défini à l'article 49 de la loi d'avenir est la réduction de 25 % de l'usage des antibiotiques en médecine vétérinaire en cinq ans. Les vétérinaires ont eu l'impression d'être stigmatisés, alors qu'ils s'étaient déjà investis dans cette diminution : selon l'Agence nationale du médicament vétérinaire (ANMV), la vente d'antibiotiques a diminué de 28 % depuis 2011. Pour Coop de France, cette mesure a également paru constituer une attaque contre les programmes sanitaires d'élevage (PSE). La Fédération des syndicats vétérinaires de France (FSVF) a déploré la perte par la profession de 60 millions d'euros et demandé que tout nouvel effort soit financé par l'État, comme c'est le cas pour les autres professions de santé.
Le décret du 10 juin 2015 relatif à la publicité des médicaments vétérinaires risque de limiter l'usage des vaccins, alors qu'ils permettent de réduire les antibiotiques. Je précise que le Gouvernement est intervenu auprès des instances européennes afin qu'il en soit tenu compte dans la rédaction du futur règlement.
Quant au développement des alternatives aux antibiotiques, il passe évidemment par le renforcement de la recherche. À plus court terme, plusieurs propositions nous ont été faites, parmi lesquelles le développement de la vaccination et des pratiques homéopathiques, une aide pour moderniser les bâtiments d'élevage, ainsi que le développement de la concertation entre les filières par des groupes de travail réunissant les différentes familles professionnelles.
Enfin, nos interlocuteurs ont insisté sur la nécessité d'arrêter toute sur-transposition française de la réglementation européenne, qui entraîne des distorsions de concurrence.
La maîtrise des produits phytosanitaires est prévue par l'article 53 de la loi d'avenir, qui interdit l'utilisation de pesticides dans les lieux fréquentés par des publics sensibles, et subordonne, dans d'autres lieux, l'usage de ces produits à des mesures de protection et des distances d'épandage. Mais c'est surtout un arrêté en préparation qui suscite l'inquiétude : pour la première fois, il est envisagé de réglementer autour des habitations et des jardins des particuliers. La FNSEA a appelé ses adhérents à se mobiliser contre « l'arrêté phyto », dont les dispositions priveraient les exploitants de 4 millions d'hectares de terres, soit 7 milliards d'euros de chiffre d'affaires par an. Coop de France et la Coordination rurale ont fait part des mêmes craintes. Quant à l'APCA, elle considère que l'arrêté va trop loin en oubliant les dimensions économiques du problème.
Les certificats d'économie de produits phytosanitaires (CEPP) ont été institués par ordonnance. Pour Coop de France, ces textes permettent de diffuser les bonnes pratiques, mais c'est aussi « la chronique d'une pénalité annoncée », car les agriculteurs doivent s'adapter à des dispositions très ambitieuses, entraînant de nouvelles charges administratives. Quant à la FNSEA, elle a demandé que la redevance pour pollution diffuse soit versée aux agriculteurs. Sur la performance sanitaire en général, le Mouvement de défense des exploitants familiaux (MODEF) constate une situation aberrante : alors que la réglementation française est une des plus contraignantes – ce qui est positif –, la société française ne tient pas compte de ce qui se passe au-delà de ses frontières et il s'ensuit des distorsions importantes. Un premier progrès consisterait à mettre en place une vraie transparence.
Dans le cadre du transfert des autorisations de mise sur le marché (AMM) à l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSES), le décret du 20 septembre 2015 a mis en place un comité de suivi. Les industriels déposent auprès de l'ANSES une demande d'autorisation de mise sur le marché comportant tous les éléments scientifiques nécessaires à l'évaluation des risques liés à l'usage des produits. Le comité de suivi examine si les produits sont composés de substances autorisées au niveau européen, s'ils sont efficaces et n'exercent aucun effet inacceptable sur la santé ; il contrôle également si la décision est applicable, cohérente avec d'autres décisions et si elle permet d'atteindre les objectifs voulus. Au sein de ce comité, les mesures examinées sont confrontées à la réalité pratique. Cette démarche fait également intervenir les équipes multidisciplinaires d'évaluateurs scientifiques de l'Agence, ainsi que deux comités d'experts spécialisés. Les évaluations réalisées conduisent à un avis défavorable dans un quart des cas. Les avis favorables sont très majoritairement assortis de restrictions d'usage par rapport à la demande initiale du pétitionnaire. Les avis rendus par l'Agence sont publics.
Depuis 2011, L'Union européenne est découpée en trois zones géographiques, la France étant rattachée à la zone sud. L'évaluation réalisée par l'État membre sollicité s'applique aux autres pays de la zone, sauf en cas de particularités locales. Les demandeurs d'AMM ont le choix du pays dit « de référence », qui pilote l'évaluation. L'intervention en tant qu'État membre de référence est l'un des piliers donnant à la France un positionnement incontournable en Europe. Mais après le Brexit, il est probable qu'une partie des dossiers traités par le Royaume-Uni lui revienne. Or, l'ANSES est déjà très en retard dans le traitement des dossiers, qui prend actuellement deux ans. Chaque année, elle examine près de 2 000 dossiers, dont plus de 300 relatifs à une demande d'AMM. La FNSEA déplore que l'ANSES reprenne toutes les recommandations européennes, mais avec une position maximaliste, ce qui introduit une distorsion de concurrence.
L'ANSES est, par ailleurs, confrontée à un problème de moyens. Alors que des missions nouvelles lui ont été transférées, elle dispose de moyens en diminution. L'Agence a bénéficié de quinze postes à titre exceptionnel pour résorber le stock de dossiers, alors que le plafond des équivalents temps plein (ETP) a été réduit de sept postes. Le budget de 138 millions d'euros est assis sur des subventions pour charges de service public, sur des revenus externes prévus par des conventions et sur des redevances et taxes perçues pour l'instruction des dossiers de produits réglementés et affectées à l'ANSES. Ces taxes sont plafonnées par la loi de finances pour 2017. Or elles devraient permettre à l'Agence d'ajuster les moyens qui lui sont nécessaires. Les recettes sont impossibles à transformer en emplois, car un tel mécanisme n'est pas prévu pour les établissements publics administratifs, ce qui la pénalise fortement dans un contexte de forte concurrence européenne. Il est donc indispensable de lever la pression sur le plafond d'emploi et le plafond de masse salariale. Le respect des délais conditionne en partie l'attractivité de la France pour les entreprises concernées. Les droits versés par les industriels devraient correspondre au coût complet du travail effectué.
Afin d'assurer la plus grande transparence possible, il est mis à la disposition du public, sur le site internet de l'Agence, tous les documents relatifs aux modalités d'instruction des demandes, ainsi que les décisions d'autorisation de mise sur le marché.
La loi porte également sur la surveillance sanitaire : si la reconnaissance du rôle des fédérations départementales des chasseurs en la matière paraît légitime à la Fédération nationale des chasseurs (FNC), cette dernière s'insurge contre certaines dispositions de l'article 41, trop coûteuses – notamment les mesures de surveillance, de prévention ou de lutte prescrites par l'autorité administrative. En outre, elle estime « extrêmement pénalisante » l'ordonnance n° 2015-1243 du 7 octobre 2015, prise en application de l'article 55 de la loi et relative aux animaux de compagnie, qui oblige les chasseurs à s'immatriculer en tant qu'éleveurs.
L'article 44 renforce l'arsenal de protection des éleveurs contre les attaques de loups. Mais des difficultés demeurent, et le nombre d'attaques augmente : une trentaine de départements sont touchés, malgré les mesures massives prises par les éleveurs. En outre, celles-ci sont contraignantes, coûteuses et d'une efficacité relative. Même si l'arrêté du 27 mai 2009 précise que le loup n'est plus une espèce protégée menacée d'extinction en France, il reste toujours soumis au principe de protection stricte. Les organisations professionnelles réclament le paiement en temps et en heure des mesures à prendre pour la protection des troupeaux, sans conditionnalité des indemnisations versées en cas d'attaque, et le relèvement du plafond du nombre de loups dont la destruction est autorisée. Nous estimons qu'il faudrait s'inspirer de pays qui, comme l'Espagne, font varier leur réglementation selon les régions.
La quatrième partie du rapport est relative à l'enseignement. Il s'agit de répondre à la nécessaire transition agro-écologique avec l'appui d'un enseignement technique et supérieur dynamique, innovant et ouvert. L'impératif est désormais de produire autant, mais autrement. Il est donc apparu nécessaire de repenser les missions de l'enseignement agricole. Dans ce domaine, neuf décrets ont été publiés et deux sont en attente.
Pour l'application du projet agro-écologique, l'objectif est de ne pas proposer de solutions toutes faites, mais de mener une rénovation en profondeur. Le comité de l'innovation, récemment créé, a examiné les projets de référentiels du ministère. Les référentiels du BTS, du CAP et du bac pro ont été modifiés pour les adapter aux évolutions de l'agro-écologie.
Les nouvelles techniques – drones, robots, et autres – sont incluses dans la formation, notamment pour l'observation de l'exploitation. La mission Agriculture-Innovation 2025 travaille en particulier sur l'agriculture numérique et la collecte des données au niveau national, pour que la profession se les réapproprie. Pour utiles qu'ils soient, ces outils numériques ne remplacent toutefois pas le « tour de plaine » et ne doivent pas s'y substituer.
Les établissements doivent valoriser le rôle des exploitations qui leur sont attachées. Il faut que ce rôle soit en phase avec l'orientation agro-écologique de la loi. L'accent est mis également sur la formation des directeurs des lycées et des exploitants afin que les fondamentaux de l'agro-écologie progressent. Selon la direction de l'enseignement du ministère de l'agriculture, toutes les parties prenantes ont adhéré à l'agro-écologie.
La loi prévoit la possibilité d'acquisition progressive des diplômes, facteur de promotion sociale. Plusieurs diplômes de l'enseignement agricole étaient déjà accessibles par la voie de la formation continue, en unités capitalisables. La loi étend cette possibilité : le décret du 23 novembre 2015 relatif à l'acquisition progressive du CAP agricole, et le décret du 10 juin 2016 relatif à l'acquisition progressive du bac pro prévoient un étalement des épreuves sur cinq ans. Par ailleurs, un programme ambitieux a été mis en oeuvre pour faciliter l'accès des élèves ayant un bac pro aux écoles d'ingénieurs. Il s'agit d'un système expérimental, pour lequel deux classes ont été constituées ; les élèves recrutés reçoivent une formation de BTS, ainsi qu'une formation spéciale, tout en bénéficiant d'un accompagnement avec des professeurs dédiés et d'heures de soutien. En cas d'échec, ils seront titulaires du BTS. Le programme commence à fonctionner, et les résultats en seront connus dans trois ans. Il s'agit donc d'un test, pour un système qui n'est pas simple et ne permettra pas de travailler sur une population nombreuse.
L'innovation pédagogique n'est pas oubliée. Il faut, en particulier, animer les réseaux. Il est institué un Comité national d'expertise de l'innovation pédagogique, chargé d'accompagner innovations pédagogiques et expérimentations. Le schéma stratégique propose, en particulier, la construction d'un système de mutualisation des innovations locales, la mobilisation de l'enseignement supérieur au service de l'enseignement technique, le développement de l'autonomie pédagogique et celui du numérique. Par ailleurs, l'innovation doit veiller à être en phase avec la production locale pour être crédible. Or certaines exploitations fonctionnent toujours sur le mode de la production intensive. Il faut donc faire progresser l'agriculture biologique.
Le médiateur de l'enseignement agricole a été institué par le décret du 21 avril 2015. Depuis le 1er septembre 2016, il a traité au total neuf demandes en provenance du personnel d'établissements d'enseignement agricole et treize saisines d'élèves ; onze recours ont été co-traités avec le Défenseur des droits.
La loi d'avenir a créé l'Institut agronomique, vétérinaire et forestier de France (IAVFF), qui a pour mission la mise en oeuvre de stratégies de recherche et de formation communes aux établissements aux niveaux national, européen et international. Agreenium et l'IAVFF sont le même établissement ; le second a absorbé le premier, qui existait avant la loi d'avenir pour l'agriculture, mais le nom d'Agreenium a été conservé pour capitaliser son début de notoriété internationale. Cet établissement compte actuellement dix-huit membres. Son objectif principal est la présence française sur la scène internationale. Parmi les projets initiés à l'international, il travaille avec le Sénégal, qui se propose de fonder une université francophone agricole de 30 000 étudiants et demande une expertise afin de construire des cursus. Agreenium a, en outre, constitué un début d'université numérique, qui permettra de massifier l'enseignement. Il a déjà engagé différents projets de Massive Open Online Courses (MOOC), ce qui représente un objectif d'une douzaine à l'échéance de la fin de 2017, avec un financement du deuxième programme d'investissements d'avenir. Il se constitue ainsi un campus à l'international.
Agreenium a commencé à avancer sur plusieurs chantiers, inscrits dans la loi d'avenir : il faut intégrer les équipes et les politiques des établissements ; mettre à plat le référentiel des formations vétérinaires ; coordonner l'offre de formation agricole ; articuler enseignement technique et supérieur. Il conviendra également d'identifier l'ensemble de l'offre – ce travail n'a jamais été réalisé, alors que les formations foisonnent.
Quant à l'enseignement privé, la loi affirme le parallélisme entre enseignement public et privé. Nos interlocuteurs ont souligné qu'ils s'étaient ralliés à la politique suivie sans état d'âme.
Dans son titre V, consacré à la forêt, la loi vise à répondre aux besoins d'évolution de la politique forestière et de développement de la filière bois. Elle reconnaît l'intérêt général pour la Nation de la protection et de la mise en valeur des bois et forêts. Onze décrets sont parus et trois sont en attente.
Une nouvelle gouvernance a été mise en oeuvre. Le Conseil supérieur de la forêt et du bois (CSFB) a été rénové. Un projet de programme national de la forêt et du bois (PNFB) a été soumis à son avis, puis à celui du public et doit être définitivement approuvé par décret. La fédération des forestiers privés de France (FFPF) s'est félicitée que le programme national prévoie des actions concertées entre la forêt publique et la forêt privée. Dans chaque région, des programmes régionaux de la forêt et du bois (PRFB) déclineront le programme national. Les commissions régionales de la forêt et du bois (CRFB) ont intégré des représentants de l'aval de la filière. De plus, un comité composé paritairement de chasseurs et de forestiers a été rattaché aux commissions. L'APCA nous a fait quelques critiques constructives : elle estime, en particulier, que la multifonctionnalité de la forêt a été négligée ; la proposition contenue dans le PNFB, très axée sur l'accompagnement des filières longues, pourrait mieux prendre en compte les filières territorialisées ; les filières courtes sont absentes de ce plan.
Le fonds stratégique de la forêt et du bois (FSFB) regroupe l'ensemble des ressources financières afin de donner une visibilité et une cohérence aux interventions financières de l'État. Le décret a été publié le 30 juin 2015. Ses ressources sont les dotations budgétaires du programme 149, les compensations financières de défrichement, les contributions des chambres départementales d'agriculture provenant de la taxe additionnelle à la taxe foncière sur les propriétés non bâties.
La loi a généralisé les compensations aux défrichements. Le bilan en apparaît mitigé. Le ministère déplore que des décisions aient pu être prises en fonction du bénéficiaire, alors que le but est de protéger la forêt, et non le bénéficiaire. Les agriculteurs font part de leur réticence et le syndicat Jeunes agriculteurs, en particulier, s'élève avec vigueur contre ce principe de compensation.
Le fonds a fait l'objet de plusieurs remarques pendant les auditions. Il faudrait notamment créer un compte d'affectation spéciale afin que les ressources soient pérennes. À cet effet, il est souhaité qu'un euro par tonne de CO2 au titre de la taxe carbone soit affecté à la forêt. Il est nécessaire de garder également des financements pour l'animation, car le public a tendance à ne concevoir qu'une forêt sacralisée. L'Assemblée permanente des chambres d'agriculture (APCA) s'insurge sur le traitement des centimes forestiers dans le cadre du projet de loi de finances pour 2017, et un groupe de travail vient d'être créé à ce sujet.
Dans les régions, l'équilibre sylvo-cynégétique est en cours de débat. Il est difficile de parvenir à un vrai dialogue entre forestiers et chasseurs. La FFPF a déploré que la Fédération nationale des chasseurs ait voté contre le décret relatif à la concertation sur la prévention des dégâts sylvicoles de grand gibier – ce décret est actuellement à la signature du ministre. La Fédération nationale de chasseurs estime, quant à elle, que l'équilibre sylvo-cynégétique défini par la loi va créer des problèmes avec les forestiers. Elle déplore le développement de la forêt au détriment de la chasse. Elle a souligné que la représentation des chasseurs en commission régionale de la forêt et du bois, fixée par décret, était déséquilibrée, que les fédérations départementales ou interdépartementales des chasseurs n'étaient pas expressément visées pour représenter les chasseurs au sein du comité paritaire de la commission régionale de la forêt et du bois. Elle craint l'instauration d'une « gestion cynégétique normative » consistant à fixer des objectifs chiffrés de densité de cervidés, par l'intermédiaire des documents de gestion des forêts. Quant au projet de décret relatif à la mise en place d'une concertation locale pour la prévention des dégâts sylvicoles de grand gibier, la Fédération le rejette en totalité. Elle fait, en outre, valoir que l'indemnisation des dégâts est très coûteuse.
Force est de constater que la population des chasseurs vieillit et que, de ce fait, les plans de chasse ne sont pas appliqués. À moyen terme, les chasseurs ne pourront plus payer les dégâts. Vos rapporteurs estiment que valoriser économiquement les produits de la chasse pourrait intéresser les chasseurs, alors que 90 % des produits de la venaison sont importés.
S'agissant de la mobilisation du foncier et de l'utilisation des sols, l'article 78, qui prévoyait le recouvrement triennal de la taxe foncière sur les propriétés non bâties (TFNB) pour les propriétés en nature de bois et forêts pour lesquelles le montant d'imposition est inférieur à 12 euros, afin d'inciter les propriétaires à gérer ou à mettre en vente les parcelles, a été supprimé par la loi de finances rectificative, car jugé difficilement applicable. La FFPF prône une simplification et le déplafonnement du dispositif d'encouragement fiscal à l'investissement en forêt (DEFI), qui permet une réduction de l'impôt sur le revenu. La procédure des biens vacants et sans maître, applicable aux propriétés en nature de bois et forêts pour lesquelles la TFNB n'est pas réglée pendant trois ans, est actuellement lancée.
La loi modifie les règles relatives au droit de préférence et au droit de préemption de l'État et de la commune, afin de remédier au morcellement de la forêt. Selon la fédération nationale des communes forestières, le droit de préemption de la commune devrait s'appliquer à la forêt sectionale, propriété collective gérée par l'Office national des forêts (ONF). La FFPF a, pour sa part, estimé que si une parcelle était à vendre, le propriétaire voisin devrait avoir la priorité afin de restructurer le foncier.
Le département doit élaborer chaque année un schéma d'accès à la ressource forestière et, en parallèle, inclure un itinéraire de desserte des ressources forestières. Le Centre national de la propriété forestière (CNPF) a déploré que ces dispositions soient restées lettre morte.
Le groupement d'intérêt économique et environnemental forestier (GIEEF), institué par le décret du 24 juin 2015, vise à dynamiser la gestion durable des forêts privées. Le décret du 2 juin 2016 porte sur la reconnaissance par l'État de la qualité de GIEEF. Actuellement, un GIEEF a été validé dans le département de l'Ardèche et deux autres sont en cours. Le GIEEF est un outil complémentaire intéressant. Toutefois, d'autres dispositifs fonctionnent, telles les organisations de producteurs, qui approvisionnent régulièrement, sans à-coups, l'industrie française du bois à travers les contrats d'approvisionnement. Il paraît donc nécessaire, selon l'Union de la coopération forestière française (UCFF), d'inciter fiscalement les propriétaires à les rejoindre.
Pour ce qui est de l'outre-mer, tous les décrets et toutes les ordonnances prévus par les six articles du titre VI de la loi d'avenir ont été publiés. La déclinaison de la loi d'avenir s'y fait via les comités d'orientation stratégique et de développement agricole. Ces derniers n'ont pas tous été installés, en partie du fait des élections régionales de décembre 2015, qui ont retardé la procédure.
L'autorité administrative compétente de l'État en matière de reconnaissance et de retrait de la qualité de GIEEF a été désignée par le décret du 24 juin 2015. Les missions confiées aux commissions départementales de la consommation des espaces agricoles ont été élargies aux espaces naturels et forestiers par le décret du 16 novembre 2015.
L'inventaire permanent des ressources forestières nationales doit prendre en compte les particularités des bois et forêts situés outre-mer afin de définir une solution pérenne pour le rapport quinquennal auprès des instances internationales et de répondre aux grands enjeux des politiques publiques actuelles. Une étude est menée par l'Institut national de l'information géographique et forestière, dont les résultats sont attendus pour janvier 2017.
Nous devons être fiers collectivement de l'adoption de la loi d'avenir pour l'agriculture, l'alimentation et la forêt, par laquelle nous avons pris acte des évolutions à porter pour la pérennité de notre modèle agricole dans un monde en constante mutation.
À travers cette loi, nous avons affirmé le concept d'agro-écologie, qui remet la nature et les hommes au coeur de la performance économique dans le domaine agricole. L'agro-écologie est l'aménagement du modèle français au XXIe siècle, à travers la prise en compte d'une triple performance : économique, écologique et sociale. Rappelons que ce concept a été porté par M. Stéphane Le Foll, ministre de l'agriculture à la longévité inégalée, dont je ne saurais oublier de saluer l'action. Sans nier les difficultés qu'ont connues, ces dernières années, nos agriculteurs, et surtout nos éleveurs, reconnaissons que le Gouvernement a oeuvré pour leur permettre de passer au mieux les crises. Si les choses peuvent toujours être améliorées, l'essentiel est que notre agriculture demeure reconnue pour sa qualité et sa capacité à être consommée dans le monde entier.
Permettez-moi de rappeler quelques-uns des éléments qui font de cette loi, avec ses 96 articles couvrant largement les secteurs agroalimentaires et sylvicoles, un véritable enjeu d'avenir, un vecteur de progression pour nos agriculteurs. Je soulignerai, d'abord, les groupements d'intérêt économique et environnemental, par lesquels les agriculteurs qui veulent avancer ensemble peuvent mutualiser les risques des modifications qu'ils mettent en oeuvre dans leurs pratiques. Tout aussi intéressant est le développement des groupements agricoles d'exploitation en commun, qui permettent à des agriculteurs d'exploiter ensemble et de réduire l'exposition de chacun aux aléas économiques, tout en maintenant leur indépendance. C'est une forme d'entreprise d'avenir, encouragée par les accompagnements fiscaux qui ont pu être développés avec l'élargissement de la transparence, c'est-à-dire la possibilité de faire bénéficier les GAEC des dispositifs fiscaux en fonction de leur nombre réel d'adhérents.
Ces deux dispositifs me semblent caractéristiques de cette loi en visant la performance sociale et économique. Quant à la performance écologique, l'effort porte sur la limitation de l'épandage des pesticides, le renforcement des pouvoirs de l'ANSES ou la mise en avant des produits sous signes de qualité ou d'origine.
J'aimerais aussi souligner le travail mené sur le volet de l'enseignement agricole. L'agro-écologie et les nouvelles pratiques agricoles ne se feront pas sur le terrain sans une véritable implication des personnels et des établissements de l'enseignement agricole, publics et privés. Cet investissement, nous devons le faire aujourd'hui pour qu'il soit opérationnel demain.
Si nous ne devons jamais cesser d'être attentifs à la situation de nos agriculteurs et de nos agricultrices qui vivent une crise majeure, nous pouvons nous satisfaire de l'adoption de cette loi-cadre, qui a déjà marqué l'inscription durable de l'agriculture de notre pays dans une voie de développement efficace économiquement, socialement et écologiquement, et respectueuse des producteurs et des consommateurs.
Sans reprendre les chiffres cités dans le rapport, je salue la volonté du ministre de l'agriculture de faire appliquer rapidement les mesures de cette loi. Aujourd'hui, il s'agit d'un premier bilan ; il faudra attendre encore quelques années pour en voir vraiment les effets.
Nous n'avons pas voté ce texte, à l'époque, car nous considérions qu'un certain nombre de sujets n'avaient pas été abordés, comme l'abattage. Comment peut-on parler de circuits courts, de GIEE, d'économie circulaire, si l'on néglige le maillon de l'abattage ?
Le volet d'une modernisation de grande ampleur a été également oublié dans cette loi. Certes, il y a eu un plan de soutien de 100 millions d'euros, mais 100 millions divisés par 100 départements, cela fait 1 million par département, c'est-à-dire que cela n'a aucun effet. Or l'agriculture des grandes exploitations représente 80 % de notre paysage agricole.
Quant au volet fiscal, il est resté bloqué en rase campagne. Il n'est absolument pas adapté à la réalité économique d'aujourd'hui. On ne peut pas, d'un côté, déréguler les marchés et, de l'autre, conserver une fiscalité qui tient plus du colmatage que d'un réel pouvoir fiscal.
L'autre grand oublié de ce texte, qui est peut-être la première cause de suicide dans le monde agricole, c'est la protection du patrimoine privé. Quand les agriculteurs arrivent « dans le rouge », malheureusement, le poids de la dette, des agios, la pression révèlent, au-delà de l'absence de perspectives, toutes les limites de cette loi d'avenir.
En ce qui concerne les GIEE, le rapport est clair. Le ministre les avait présentés comme la pierre angulaire de cette loi. Aujourd'hui, on compte 311 GIEE. Personnellement, je n'en connais pas, ni personne autour de moi. Je pense que le GIEE n'est pas une mauvaise solution, mais j'aimerais avoir l'avis des rapporteurs sur la mise en oeuvre du dispositif.
Concernant l'agro-écologie, dans le même esprit, comment sortir du conceptuel pour passer dans le monde réel ? Je sais que les universitaires sont attachés à cette approche, mais, entre la théorie et la pratique, il y a un écart.
Quant aux relations commerciales, aujourd'hui, rien n'est réglé. Les dernières négociations, en février et lors de la crise du lait cet été, ont montré l'ampleur des tensions qui existent entre les professionnels. Le vrai défi, c'est équilibrer les relations entre tous les acteurs de la chaîne. Dans la loi Sapin II, des dispositions ont été retenues, que notre groupe avait déjà présentées dans le cadre de la proposition de loi en faveur de la compétitivité de l'agriculture et de la filière agroalimentaire. Il s'agissait de mettre en place des indicateurs de prix et une conférence annuelle sur les prix au sein même des filières. D'autres mesures sont très opérationnelles puisqu'elles visent à sanctionner la grande distribution en cas d'abus.
À la lecture du rapport, on constate que la contractualisation est un outil qui mérite d'être amélioré. C'est un vrai sujet qui devrait tous nous réunir dans les années à venir.
Je tiens à dire également, au nom du groupe Les Républicains, que le Gouvernement a voulu rendre la loi de modernisation de l'économie (LME) du 4 août 2008 responsable de la crise agricole. Il aurait pourtant eu la possibilité de la modifier dans le cadre de la loi relative à la consommation dite « loi Hamon », de la loi d'avenir pour l'agriculture ou de la loi dite « Macron ». S'il ne l'a pas fait, c'est qu'elle n'était pas si mauvaise. Sans doute, faut-il simplement la faire évoluer.
Je salue le maintien, voire le renforcement des GAEC.
Les autorisations de mise sur le marché ayant été transférées à l'ANSES, je voudrais savoir pourquoi les moyens n'ont pas suivi pour mener à bien cette nouvelle mission.
Nous sommes tous d'accord que l'agriculture est un fleuron de notre pays. Mais la réalité, aujourd'hui, c'est un tiers des agriculteurs qui touche moins de 350 euros par mois, 3 % d'agriculteurs en moins chaque année, une baisse de 12 % des prix du lait par rapport à la moyenne des quatre dernières années, une baisse de 10 % des prix de la viande, et un taux de suicide record en 2016.
Je tiens à souligner le travail colossal que représente ce rapport. Il est vrai que la loi d'avenir comportait de nombreux articles. Une bonne trentaine d'auditions d'organisations syndicales et professionnelles, et d'institutions en illustrent, par des témoignages précis, la mise en oeuvre.
Le rapport montre que nous avions peut-être sous-estimé l'intérêt de cette loi qui balaie des champs extrêmement larges, même si elle ne règle pas la question fondamentale des prix payés à la production. Certes, ce n'était pas sa vocation, mais elle comporte néanmoins des « accompagnements connexes » pour essayer d'améliorer les revenus des agriculteurs.
Les groupements d'intérêt économique et environnemental constituent l'un des points forts du texte. On en compte 311, qui concernent 4 000 agriculteurs. Vous avez dit qu'il y avait sans doute un problème de communication auprès des agriculteurs. Même si nous ne sommes qu'au début du processus, je pense qu'il serait intéressant d'évaluer la portée des GIEE qui ont été mis en oeuvre
De la même façon, le rapport ne précise pas le nombre de GIEE forestiers ni sur quoi ils portent. Sans doute est-ce trop récent – le décret a été publié le 24 juin 2015.
En matière de protection des espaces naturels agricoles et forestiers, le rapport rend compte des vrais problèmes que le défrichement pose sur les territoires, dont on ne tient pas suffisamment compte des spécificités. Certaines communes ont été considérablement boisées du fait de l'exode rural, souvent avec des épicéas qui ne sont pas forcément des plantations de grande qualité. Or, il est quasiment impossible, ou alors cela coûte très cher, de récupérer des terres pour l'exploitation agricole. Le problème n'est pas réglé par la mise en application de la loi, qui n'est pas adaptée. Elle crée des conflits inutiles, et les jeunes agriculteurs qui ont besoin de terres sur un territoire n'en trouvent pas, alors que certaines communes proches sont sur-boisées.
Enfin, il serait intéressant d'avoir un tableau des rapports qui, bien que prévus par la loi – comme c'est le cas dans toutes les lois – n'ont pas été remis. Je m'inquiète, en particulier, du rapport, qui devait être rendu dans les six mois aux commissions compétentes de l'Assemblée nationale et du Sénat, sur les retraites des salariés agricoles de la Guadeloupe, de la Martinique et de La Réunion. Mes collègues d'outre-mer l'ont réclamé à plusieurs reprises, en vain, alors qu'il y a un véritable problème pour les retraites agricoles dans les départements et territoires d'outre-mer.
Je fais partie de ceux qui, au nom du groupe Union des démocrates et indépendants, ont soutenu et voté cette loi. L'orientation donnée à ce texte, qui s'inscrivait dans le prolongement de l'agriculture « écologiquement intensive » pratiquée par les agriculteurs dans nos régions, me paraissait positive, en particulier sur deux points : l'agro-écologie et la lutte contre l'antibiorésistance. De mon point de vue, la moindre utilisation de médicaments vétérinaires présente un réel intérêt.
Les groupements d'intérêt économique et environnemental viennent compléter ce qui existait déjà en termes de structuration du monde agricole. On compte un peu plus de 300 GIEE, organisés autour de diverses thématiques, comme les systèmes autonomes économes en intrants, la conservation des sols et couverts végétaux, l'autonomie alimentaire, l'autonomie en azote et le développement des légumineuses, la diversification des assolements et l'allongement des rotations. Deux ans après le vote de la loi, les GIEE ont-ils vraiment enclenché une dynamique territoriale agricole ?
Le coeur des difficultés que rencontrent aujourd'hui nos agriculteurs, que le ministre de l'agriculture lui-même n'a pas manqué de pointer depuis 2012, sont les relations commerciales. Le rapport indique, à la page 33 : « Il semble que la loi d'avenir ne soit pas allée suffisamment loin dans le renforcement des pouvoirs des producteurs dans les relations commerciales avec l'aval de la filière ». Le déséquilibre que l'on continue de pointer dans les discussions entre l'amont et l'aval, c'est-à-dire entre les producteurs et les distributeurs, renvoie donc à la question des organisations de producteurs et des associations d'organisations de producteurs. Depuis l'après-guerre, nos amis agriculteurs ont perdu en souveraineté. Les organisations de producteurs, résultant de la désignation démocratique de représentants pour discuter et négocier les relations commerciales, permettraient de leur redonner de cette souveraineté.
Le rapport indique que le médiateur des relations commerciales agricoles appelle de ses voeux des organisations de producteurs plus grandes pour véritablement peser dans les relations commerciales. Prenant l'exemple de Lactalis, il a montré la difficulté qu'avaient à faire face à une entreprise unique 17 000 producteurs de lait représentés par treize organisations de producteurs se concurrençant entre elles. C'était la réalité en 2012, ça l'était aussi en 2014 lorsque nous avons voté la loi, et je crains que cela ne soit encore le cas aujourd'hui.
La loi telle que nous l'avons votée a-t-elle permis une réelle répartition de la valeur ajoutée au profit de l'amont, c'est-à-dire des agriculteurs ? C'est là, avec le revenu agricole, la vraie question qui reste posée pour l'agriculture française. Depuis cinquante ans, les agriculteurs répondent à toutes les attentes de la France et de l'Europe, tant en matière de sécurité sanitaire, alimentaire et environnementale, que de qualité de la production. La loi d'avenir pour l'agriculture a-t-elle apporté les corrections qu'ils sont en droit d'attendre sur le partage de la valeur ajoutée qu'eux-mêmes créent ?
Parmi les préconisations que les membres du Conseil économique, social et environnemental (CESE) ont faites dans leur rapport sur la transition agro-écologique, ils recommandent que soient mentionnés dans le code rural et de la pêche maritime le rôle des sols et l'importance de leur préservation. Ils veulent aussi réorienter les priorités de la recherche sur l'agro-écologie en privilégiant l'indépendance de la recherche publique face à la concentration croissante des acteurs de l'agrochimie, avec les rachats importants de Monsanto par Bayer, et de Syngenta par ChemChina.
Le CESE suggère également d'adapter tous les dispositifs de formation à l'agro-écologie, notamment en plaçant les lycées agricoles et leurs exploitations au centre des partenariats noués avec les acteurs locaux de l'agriculture. Les groupes d'agrochimie ne seraient plus les seuls à fournir des études de cas sur lesquels se forment les lycéens ou les élèves en formation continue.
Enfin, il propose que les agriculteurs soient accompagnés et encouragés à produire de manière agro-écologique. Il faut organiser les outils et les soutiens de la politique agricole commune en fonction de ces objectifs agro-écologiques.
Pensez-vous que la loi d'avenir permet de répondre à cette proposition ?
Selon les souhaits du ministre chargé de l'agriculture, la loi d'avenir visait la performance économique et environnementale des exploitations, dans le respect d'une agriculture riche de sa diversité. Aujourd'hui, l'ensemble des filières agricoles sont en crise, et nous avions déjà pointé, lors de l'examen de la loi, l'absence de vision économique, s'agissant notamment du volet compétitivité.
La contractualisation, initiée par le précédent Gouvernement, restait à parfaire et à finaliser avec les organisations de producteurs. Qu'en est-il réellement sur le terrain ?
Quel retour d'expérience a-t-on aujourd'hui s'agissant des groupements d'intérêt économique et environnemental ?
L'agro-écologie est un concept intéressant, certes, mais reste un concept. Dans la réalité, qu'en est-il concrètement ? Quelles sont les relations entre l'agro-écologie et l'agriculture raisonnée ?
Sur le terrain, nos agriculteurs réclament l'arrêt des sur-transpositions de normes européennes. La mise en application de cette loi se fait-elle en ce sens ?
Enfin, où est la simplification administrative, très attendue par les agriculteurs et par l'ensemble de nos concitoyens, dans la mise en oeuvre de cette loi ?
Le rapport rend compte d'une appréciation plutôt positive de la loi d'avenir. Ce texte dense et travaillé, notamment grâce à de nombreux apports parlementaires, a permis de donner une orientation positive à l'agriculture française en se tournant vers l'agro-écologie, sur laquelle le ministre avait particulièrement insisté. La suite a néanmoins montré qu'une orientation plus franche, notamment par le fléchage de moyens suffisants, aurait permis d'aller au bout de la démarche, de prendre en compte l'environnement et de rétablir la valeur agronomique des sols comme une opportunité économique et sociale, un vrai défi plutôt qu'une charge.
La demande des agriculteurs d'intégrer une dimension sociale aurait mérité d'être mieux entendue, notamment par la prise en compte des coûts de production.
Les manifestations des derniers mois expriment un véritable désarroi du monde agricole, qui aurait besoin d'une orientation plus franche et affirmée, avec un meilleur soutien à la réduction des intrants et aux changements des pratiques agro-écologiques, un fléchage en ce sens des aides aux investissements matériels et immatériels, ainsi que de réelles mesures de contrôle des structures foncières.
Il semble encore trop tôt pour tirer tous les apports de ce texte qui, pour partie, a accompagné des évolutions déjà existantes, s'agissant notamment des antibiotiques. Mais on peut se satisfaire d'une meilleure prise en compte de la diversité des activités agricoles, en particulier en circuit court, qui se traduit par une hausse des installations.
Je suis plutôt satisfaite de voir les GIEE et, bien sûr, les projets alimentaires territoriaux se développer partout sur le territoire. Ils permettent de faire évoluer les pratiques, de retisser des liens entre les agriculteurs qui redécouvrent la notion d'entraide. Cela crée un nouveau contrat entre les agriculteurs et la société, qui favorisera l'agriculture biologique.
Le Réseau national pour un projet alimentaire territorial, porté par les chambres d'agriculture et l'association Terres en ville, est positif. De nombreux autres acteurs interviennent dans l'accompagnement de ces projets, ce qui permet une bonne appropriation par les citoyens.
Il ne me semble pas qu'il soit fait mention des préparations naturelles peu préoccupantes (PNPP). L'article 50 devait faciliter leur reconnaissance. Qu'en est-il ?
Nous avons appris, par un communiqué du ministère de l'économie et des finances, que le rapport d'audit et d'évaluation des effets de la loi de modernisation de l'économie venait de paraître. Ce sera peut-être l'occasion d'évoquer plus concrètement ses effets.
À mon tour, je veux féliciter nos deux rapporteurs pour ce rapport de qualité.
Le nombre d'exploitations dans notre pays ne cesse de diminuer depuis des années, et l'on prédit que ce phénomène va encore se poursuivre, quels que soient les outils mis en place. En Bretagne, par exemple, on attendrait une baisse de 22 % à l'horizon 2025. Le ministre de l'agriculture défend, à juste titre, notre modèle d'exploitation français, qui est plutôt familial. Comment les outils que sont les GAEC, les GIEE et les coopératives, qui ont été mis en place dans cette loi, pourront-ils inverser cette tendance ? L'agro-écologie pourra-t-elle jouer un rôle dans le nombre des exploitations ?
Malgré les promesses, le prix du lait payé aux producteurs peine à atteindre les 300 euros la tonne, et ceux-ci souffrent. On évoque souvent la nécessité d'améliorer le fonctionnement des relations au sein de la filière, au travers de l'interprofession, avec le renforcement des organisations de producteurs et les associations d'organisations de producteurs (AOP). Cet été, au coeur de la crise, les relations entre la première entreprise de France et les producteurs ont été qualifiées de moyenâgeuses. Comment inciter plus encore les producteurs à mieux s'organiser, à développer des AOP qui pourraient rééquilibrer les relations et les négociations commerciales ? La loi d'avenir a déjà fait beaucoup progresser les choses et la loi Sapin II permettra de poursuivre ce travail, mais il y a encore matière à travailler avec les acteurs.
Il faut se réjouir du succès des GAEC. Le fait que la procédure d'agrément ait été confiée au préfet n'a pas ralenti leur création, ce qui est une bonne chose.
Lors des auditions auxquelles vous avez procédé, la nécessité de simplifier la procédure a-t-elle été évoquée ? Même si des avancées ont été obtenues avec les décrets d'application, d'autres sont peut-être encore possibles, comme la réduction des délais ou l'application du « silence vaut accord » pour les nouveaux agréments. Qu'en pensez-vous ?
L'échec des contrats de génération a été souligné par la Cour des comptes. La loi a cependant prévu l'instauration d'un contrat de génération adapté aux exploitations agricoles. Parmi l'ensemble des mesures dont vous notez qu'elles ont conduit à une hausse du nombre d'installations, peut-on dresser un bilan spécifique de ces contrats de génération, en nombre de contrats signés et d'aides versées ?
Bravo à nos deux rapporteurs qui sont passionnés et très engagés sur ce sujet ! En tant que responsable de mon groupe sur ce texte de loi, je garde un bon souvenir de l'examen du projet de loi, au cours duquel nous avons pu améliorer le dessein qui était porté par M. Stéphane Le Foll, dont on peut saluer la pugnacité.
Je tiens à réaffirmer ici que la sur-transposition par la France des directives européennes est largement légendaire et mythifiée. En réalité, notre pays les applique, sans en rajouter. Lorsqu'il le fait, c'est plutôt au bénéfice d'une excellence agricole qu'il veut porter haut et fort. C'est ce qui est affirmé dans cette loi. L'agro-écologie n'est pas le problème, c'est, au contraire, la solution pour nourrir demain toute la planète – avec la régulation, elle a encore été réaffirmée comme telle par des voix venues de tous horizons, lors d'un colloque récent. Le monde est bien l'échelle à envisager, car il n'y a pas de vision agricole française qui ne se situe dans une vision mondiale.
Un autre sujet que nous avons porté avec force est le conditionnement de l'installation et du renouvellement des générations et de la biodiversité à des politiques foncières. Le volet foncier de cette loi d'avenir a été inspiré par une proposition de loi de 2013, consécutive aux dérégulations foncières liées à la montée de l'individualisme paysan, aux failles normatives introduites lors des législatures précédentes ainsi qu'à l'arrivée des fonds spéculatifs. Pour faire obstacle aux importantes dérives constatées, nous avions fait un pas dans le cadre de la loi d'avenir, mais nous ne sommes pas allés aussi loin que nous le voulions. C'est grâce au scandale de l'Indre que nous avons pu, dans le cadre de la loi Sapin II, améliorer les mesures de la loi d'avenir en renforçant le contrôle foncier. Hélas ! le Conseil constitutionnel a considéré qu'il s'agissait d'un cavalier législatif. Pour que cette disposition puisse enfin être adoptée, je l'ai reprise dans une proposition de loi visant à lutter contre l'accaparement des terres, que j'ai déposée.
Finalement, la loi Sapin II et la loi d'avenir fonctionnent un peu comme des poupées gigognes, la première complétant et améliorant la seconde. Elles composent un ensemble législatif que nous devons porter avec beaucoup de fierté.
Monsieur Antoine Herth, je me souviens très bien d'un amendement qui levait le plafond de verre du volume budgétaire de l'ANSES. Vous évoquez à nouveau ce plafond de verre. Cet amendement est-il tombé à l'eau ? Le décret n'est-il pas paru ? C'est pour moi un mystère.
Vous avez indiqué qu'il manquait encore le décret relatif aux notions de réduction substantielle des surfaces affectées à des productions bénéficiant d'une AOP. En réalité, ce décret est prêt puisque nous l'avons examiné en Conseil national d'évaluation des normes (CNEN). Il fait état de seuils qui, à mon avis, sont bien bas. On parle en effet de plus de 1 % de l'aire géographique de cette appellation ou de plus de 2 % de l'aire comprise dans le périmètre communal de l'appellation. Les maires sont souvent les premiers à préserver les appellations d'origine contrôlée (AOC) sur leur territoire et il y a même parfois des secteurs qui sont en AOC mais qui ne sont pas vraiment exploités. Ces seuils particulièrement bas pourraient empêcher des projets et bouleverser des équilibres dans certaines communes lors de l'élaboration ou de la révision des plans locaux d'urbanisme (PLU).
Je salue les avancées qui ont été obtenues sur la protection des appellations d'origine et des indications géographiques protégées, avec le droit d'opposition dont dispose désormais le directeur de l'INAO à la demande d'enregistrement d'une marque auprès de l'Institut national de la propriété industrielle (INPI). Notre collègue Dino Cinieri et moi-même avions présenté un rapport sur les signes d'identification de la qualité et de l'origine (SIQO) et fait différentes propositions.
Dans votre rapport, vous faites le constat que les demandes de reconnaissance sont inférieures aux années précédentes. De fait, il y a actuellement beaucoup de demandes de modification du cahier des charges, procédure quasiment aussi lourde que celle de la demande de reconnaissance. Comment alléger cette procédure ?
Je considère ce rapport très intéressant comme un rapport d'étape, car l'agriculture est en perpétuelle évolution. Avec d'autres rapports sur des thématiques agricoles, telles les conséquences de la fin des quotas sur la filière laitière française et européenne ou l'agriculture biologique, il faut en faire un outil pédagogique et de vulgarisation à destination de tous les acteurs pour porter les missions de l'agriculture – nourrir, aménager, protéger notre santé et celle de la planète.
Je ne reviens pas sur le foncier, tout en précisant qu'il s'agit d'un point important.
Je veux insister sur l'importance de la pédagogie de l'alternance. Les maisons familiales rurales n'ont pas d'exploitations agricoles dédiées, mais un réseau de fermes. Cela va naturellement dans le sens de l'innovation, de l'adaptation de l'agriculture et de la formation des hommes, pas seulement des techniciens et des chefs d'entreprise, pour produire autrement.
Avec l'école vétérinaire telle qu'elle a évolué et le réseau des vétérinaires sur le terrain, nous disposons d'un modèle de santé pour les animaux que j'aimerais bien voir appliqué à la santé humaine. C'est formidable d'avoir des rendez-vous immédiatement quand on a besoin de soigner des animaux !
Le projet de loi de modernisation, de développement et de protection des territoires de montagne, dont la commission mixte paritaire s'est réunie hier et qui sera examiné demain en séance publique, contient des mesures relatives à l'agriculture, comme la reconnaissance de la régulation de la prédation imputable aux loups, et la reconnaissance de l'indemnité compensatoire de handicap naturel (ICHN). Ces dispositions accompagnent et complètent le travail qui a été mené pendant cinq ans, même s'il sera, il est vrai, toujours en perpétuelle évolution.
M. Philippe Le Ray a abordé beaucoup de sujets, dont certains, malgré ses 96 articles, ne figurent pas dans la loi. Elle en embrasse pourtant de forts divers et multiples.
M. Stéphane Le Foll restera comme le ministre de l'agriculture qui s'est battu pour sauver – ce n'est pas rien ! – le budget de la politique agricole commune (PAC), et qui a obtenu 9 milliards d'euros pour notre pays. Il s'est battu également pour réorienter les aides de la PAC de façon plus juste, en « sur-primant » les 52 premiers hectares. C'est également celui qui a introduit la notion d'agro-écologie, la plaçant au coeur de la loi d'avenir.
Au début, je craignais que l'agro-écologie ne soit quelque peu « hors-sol », coupée de la réalité du monde agricole. Le ministre a d'ailleurs été rabroué, conspué, moqué sur le sujet dans certains congrès syndicaux. Pourtant, je suis surpris par la façon dont le monde agricole s'est emparé de la notion d'agro-écologie, ce que j'ai pu constater dans le très grand département agricole de la Dordogne. Passé le temps de l'opposition frontale politique et syndicale, les agriculteurs ont compris qu'il était dans leur intérêt direct de produire à la fois plus et mieux, que performance économique et performance environnementale sont intimement liées. Ils ont même dit combien ce thème faisait aujourd'hui partie de leur vie, lors de l'inauguration de Lascaux 4 au Centre international de l'art pariétal, à l'occasion de laquelle le Président de la République a reçu les présidents départementaux de la FNSEA, de la chambre d'agriculture et des Jeunes agriculteurs. Je crois qu'il n'y aura pas de retour en arrière, que l'agronomie des sols sortira de l'oubli et que l'idée qu'avec de l'eau et des engrais de synthèse, on pourrait tout faire pousser ad vitam aeternam sur n'importe quel support est révolue. Je le dis parce que je ne l'ai pas seulement constaté dans des régions de petites exploitations. Dans la Marne, où j'ai visité l'agropôle de Reims, le secteur du Champagne la pratique depuis plusieurs années.
S'agissant des GIEE, il faut les prendre comme un outil dont les agriculteurs peuvent se servir pour travailler en commun. Le monde agricole a beau avoir inventé la coopération, les coopératives d'utilisation du matériel agricole (CUMA) et les mutuelles, les agriculteurs restent très isolés. L'une des solutions à la déprise agricole réside aussi dans le regroupement et le travail en commun.
Un mot sur les relations commerciales et les prix. Entre 2002 et 2012, 26 % des exploitations agricoles ont disparu dans notre pays, et ce mouvement se poursuit, car, malgré les aides publiques et le soutien économique de l'Europe, de l'État, des régions et des départements, le prix n'est pas au rendez-vous. Si les exploitations continuent de disparaître, c'est parce que les agriculteurs travaillent souvent plus que les autres et gagnent moins. Leurs enfants ne reprennent pas l'exploitation parce qu'ils auront une vie meilleure comme salariés ou fonctionnaires. La loi d'avenir a essayé de faire progresser la contractualisation, comme d'ailleurs la loi de modernisation de l'agriculture, portée par M. Bruno Lemaire en 2010, mais elle n'a pas réglé le problème, lié à un double phénomène.
D'abord, le monde agricole est totalement atomisé par rapport aux acheteurs. Comme les interprofessions, que l'on a voulu renforcer, et les coopératives, que l'on a rendues plus transparentes pour leur donner plus de légitimité, les GIEE concourent à donner plus de poids aux producteurs. C'est un défi énorme.
Ensuite, le second défi, c'est celui du principe de la concurrence qui interdit à des gens de se mettre d'accord pour fixer le prix du lait, par exemple. Le ministre a organisé des tables rondes en indiquant le prix minimum auquel il fallait parvenir, mais cette indication est interdite. Le principe européen de la concurrence que l'on doit appliquer à tous les secteurs se retourne contre le monde agricole. Face à cinq acheteurs, des milliers d'agriculteurs sont totalement démunis. Si nous ne parvenons pas à revoir ce point avec l'Union européenne, les relations ne pourront pas être équilibrées.
Madame Brigitte Allain, je revendique d'avoir réglé la guerre du purin d'ortie avec les solutions que j'ai apportées en tant que rapporteur. Tant que les préparations naturelles peu préoccupantes étaient considérées comme des produits phytopharmaceutiques, on ne pouvait que se conformer à la réglementation européenne ou nationale. On a pu éviter cet écueil majeur en les classant comme biostimulants. C'est la législation espagnole qui m'a montré la voie. Une première liste des préparations naturelles peu préoccupantes a été publiée par le ministère, après qu'elles aient été préalablement testées, car on ne peut pas mettre n'importe quoi sur le marché. Je sais que d'autres demandes de validation de préparations naturelles ont été déposées.
S'agissant de la question de la valeur ajoutée, la loi s'est essentiellement concentrée sur les interprofessions. Nous les avons toutes rencontrées pour examiner leurs atouts en matière d'organisation et les étapes qui restent à franchir. Selon les types de production, ces interprofessions intègrent ou non la distribution, ont un dialogue serein ou non. L'interprofession laitière est probablement la plus en difficulté aujourd'hui, parce que la crise dans ce secteur est particulièrement aiguë.
La simplification administrative n'était pas vraiment le sujet de la loi. La meilleure façon de simplifier, c'est d'abroger des dispositions, mais nous n'étions pas dans ce cas de figure. Certaines parties du code rural et de la pêche maritime ont été complètement réécrites, mais sans volonté de réduire la masse des articles ou leur portée.
Lors de l'examen du projet de loi, j'ai été très critique sur le transfert à l'ANSES de la compétence d'examen des AMM des produits phytopharmaceutiques, au détriment de la direction générale de l'alimentation (DGAL). Aujourd'hui, je constate que le dispositif fonctionne ; il a fait ses preuves, à l'occasion de la chamaillerie interministérielle sur les néonicotinoïdes, et à la suite de certaines initiatives du Parlement. Finalement, c'est le Parlement qui a testé la solidité de l'ANSES. Reste, à notre sens, que davantage de moyens méritent d'être débloqués, l'expertise scientifique de l'ANSES étant sollicitée par l'agriculture, la santé, l'écologie chaque fois qu'un problème se pose, ce qui représente une charge de travail supplémentaire pour l'Agence.
En matière de foncier, le rôle des SAFER a été renforcé par la loi d'avenir puis, après le scandale de l'Indre, la loi Sapin II a encore tenté de consolider leur capacité d'intervention. J'ai bien compris que nous reviendrons sur ce sujet au mois de janvier prochain, à travers une proposition de loi. À titre personnel, je suis plus que sceptique sur la capacité des SAFER à régler tous les problèmes qui pourraient se présenter. Dans le rapport que nous vous présentons, un tableau fait état de l'activité des SAFER : chaque année, au niveau national, elles préemptent 6 000 hectares. Dans l'Indre, l'enjeu était de 1 700 hectares, soit près d'un quart d'activité supplémentaire. Aujourd'hui, les SAFER n'ont pas les moyens de faire ce travail. Si nous voulons leur confier des fonctions nouvelles, il faudra leur affecter des dotations financières supplémentaires, donc voir avec le ministère des finances si l'on peut trouver de l'argent, ce qui n'est pas vraiment dans l'air du temps.
Un groupement d'intérêt économique et environnemental forestier a été créé dans le département de l'Ardèche, et deux autres sont en cours de création.
Pour ma part, je trouve à l'agro-écologie cet intérêt qu'un agriculteur non labellisé bio peut enfin parler d'écologie. Il y a fort longtemps, j'ai été président de la Commission nationale de l'agriculture raisonnée. Lorsque l'on voulait ajouter une dimension environnementale dans l'acte de production agricole, on était soupçonné de vouloir s'occuper de choses que l'on ne comprenait pas et qui ne nous regardaient pas. Désormais, dans les salons parisiens, dans les endroits chics, on a le droit de dire que tous les agriculteurs se préoccupent aussi d'écologie dans leur travail.
Cette loi a un grand défaut, c'est d'être arrivée à un moment où l'agriculture française s'enfonçait dans une crise sans précédent. À travers ce texte, on cherche des solutions à des problèmes de court terme. Or il n'est pas là pour cela, mais pour fixer des orientations, même s'il ne porte pas le nom de loi d'orientation. C'est ce qui fait dire à certains que cette loi n'a pas réglé les problèmes – c'est vrai, en tout cas pour ceux de court terme.
J'indique à M. André Chassaigne qu'il y a bien, dans notre rapport, des tableaux sur les rapports qui ont été prévus dans la loi.
Je veux revenir un instant sur le défrichement. En voulant étendre la protection des espaces naturels sensibles et boisés, je pense que nous nous sommes laissés emporter par notre élan généreux envers la forêt. Notre République devrait être plus avisée et peut-être adapter ses textes aux régions ou départements. Les forestiers qui demandent une compensation après la destruction d'une forêt pensent aux forêts de haute futaie du centre ou de l'est de la France, sans doute pas à un vulgaire taillis de châtaigniers de la Dordogne ou de l'Ardèche ou aux quelques chênes rabougris que l'on trouve sur les causses dans le sud. Lorsque des agriculteurs qui pratiquent la fraisiculture veulent défricher deux hectares de taillis de châtaigniers pour avoir un sol non seulement sablonneux et acide qui convient à la fraise, mais aussi neuf et nourri, ce n'est pas sérieux de leur demander de payer une taxe de défrichement hors de prix. Lorsqu'un castanéiculteur veut transformer un taillis de châtaigniers en verger de châtaigniers, il coupe les arbres et garde ceux qui sont alignés. En les recépant pour créer une châtaigneraie, il passe de la forêt au verger et se voit appliquer la taxe de défrichement, ce qu'il a bien des difficultés à admettre. M. André Chassaigne qui vit dans une zone montagneuse, à 1 000 mètres d'altitude, rencontre les mêmes difficultés. Il devrait être possible de classifier les forêts en fonction de leur intérêt et de leur potentiel en matière de production de bois.
La Commission autorise, à l'unanimité, la publication du rapport d'information sur l'application de la loi d'avenir pour l'agriculture, l'alimentation et la forêt.
Informations relatives à la commission
La commission a nommé M. Dominique Potier rapporteur sur la proposition de loi relative à la lutte contre l'accaparement des terres agricoles et au développement du biocontrôle (n° 4344).
Membres présents ou excusés
Commission des affaires économiques
Réunion du mardi 20 décembre 2016 à 17 h 15
Présents. - M. Damien Abad, Mme Brigitte Allain, Mme Marie-Noëlle Battistel, M. Thierry Benoit, M. André Chassaigne, Mme Karine Daniel, M. Yves Daniel, Mme Marie-Hélène Fabre, M. Olivier Falorni, M. Christian Franqueville, M. Jean Grellier, M. Antoine Herth, M. Jean-Luc Laurent, Mme Annick Le Loch, M. Philippe Le Ray, Mme Marie-Lou Marcel, Mme Frédérique Massat, M. Jean-Claude Mathis, M. Germinal Peiro, M. Hervé Pellois, M. Dominique Potier, Mme Béatrice Santais, M. Lionel Tardy
Excusés. - M. Denis Baupin, Mme Michèle Bonneton, M. Jean-Claude Bouchet, M. Thierry Lazaro, M. Kléber Mesquida, M. Yannick Moreau, M. Jean-Charles Taugourdeau, M. Fabrice Verdier
Assistaient également à la réunion. - M. Guillaume Chevrollier, M. Jean-Pierre Vigier