Comité d'évaluation et de contrôle des politiques publiques

Réunion du 9 décembre 2014 à 17h00

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • autonomie
  • domicile
  • exonération
  • fragile
  • généraux
  • perte d'autonomie
  • âgée
  • âgées en perte

La réunion

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La réunion commence à dix-sept heures.

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Je vous prie d'excuser l'absence du président Claude Bartolone, qui m'a demandé de le suppléer pour présider cette réunion consacrée à l'examen du rapport, demandé par le groupe socialiste, républicain et citoyen (SRC), sur l'évaluation du développement des services à la personne. Cette évaluation a fait l'objet d'une demande d'assistance à la Cour des comptes dont l'étude a été présentée par son Premier président, M. Didier Migaud, le 10 juillet dernier. Le rapport a été rédigé par Mmes Martine Pinville et Bérengère Poletti, dans le cadre d'un groupe de travail qui comprenait également Mmes Joëlle Huillier et Isabelle Le Callennec et M. Denys Robiliard.

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Je regrette que la presse ait eu connaissance d'une partie du contenu de notre rapport avant même notre réunion d'aujourd'hui. Il est en effet d'usage que les rapporteurs ne communiquent qu'après l'autorisation de publication du rapport.

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Je crois comprendre que vous faites allusion à l'article récent paru dans Les Echos. Si tel est le cas, j'en suis désolée, mais il me faut préciser que l'article fait état d'opinions et de propositions que j'avais émises lors de la discussion du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS).

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Mes chères collègues, je vous donne maintenant la parole pour présenter, à deux voix, votre rapport.

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Dans la perspective de l'examen du projet de loi relatif à l'adaptation de la société au vieillissement, qui a commencé au mois d'octobre 2014, nous avons demandé à la Cour des comptes de procéder à une étude générale sur l'ensemble du champ des services d'aide à la personne, incluant un volet plus ciblé sur les services aux personnes âgées en perte d'autonomie.

De janvier à juin 2014, ma collègue Bérengère Poletti et moi-même avons conduit nos travaux, centrés sur la tarification des services d'aide à domicile intervenant dans le cadre de l'allocation personnalisée d'autonomie (APA) à domicile.

Nous avons interrogé par voie de questionnaire les conseils généraux sur leurs pratiques en tant qu'autorité de tarification au sens de l'article L. 313-1 du code de l'action sociale et des familles. L'objet de cette enquête a été d'appréhender la diversité des pratiques tarifaires selon les situations départementales et de mieux connaître les innovations tarifaires faisant suite à l'instauration du cadre de l'expérimentation ouverte par l'article 150 de la loi de finances pour 2012. Le résultat de cette enquête, conduite auprès de vingt conseils généraux, fait l'objet d'une annexe à notre rapport.

Dans le même temps, nous avons consacré un premier cycle d'auditions et de déplacements à cette problématique essentielle pour le maintien à domicile des personnes âgées, en nous rendant sur le terrain dans des départements représentatifs de la variété des pratiques et des situations : la Seine-Saint-Denis, la Sarthe et le Pas-de-Calais.

Pendant son enquête, la Cour des comptes avait cherché à savoir si la politique de soutien aux services à la personne, qui s'appuie aujourd'hui sur environ 6,5 milliards d'euros, pouvait contribuer à répondre aux besoins croissants représentés par le soutien à domicile aux personnes âgées.

Elle a formulé dans son rapport douze recommandations, reposant sur quatre constats principaux : les deux principaux objectifs visés par la politique de développement des services à la personne – le soutien à l'emploi et la solidarité avec les personnes fragiles – se juxtaposent sans être articulés ; l'impact des aides consenties sur l'emploi reste limité ; la professionnalisation et la structuration des activités représentent des enjeux clés pour assurer une plus grande attractivité du secteur ; face au coût croissant de la politique menée, un ciblage des aides sur certaines activités et certains publics apparaît nécessaire.

À partir de juillet 2014, nous avons mené un deuxième cycle d'auditions et de tables rondes, sur la base des constats et des recommandations de la Cour des comptes. À l'issue de ces travaux, auxquels ont été associés des chercheurs en sciences sociales, des représentants des administrations concernées et des parties prenantes, nous sommes parvenues à un constat commun et à une quinzaine de propositions partagées.

La question du ciblage des aides publiques fait cependant l'objet d'un débat, dont le présent rapport tente de montrer les enjeux.

Nous allons maintenant vous présenter le résultat de nos travaux qui, nous l'espérons, contribueront à renforcer et à perfectionner la politique de développement des services à la personne, et également, à donner plus d'attractivité aux professions concernées.

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La politique de développement des services à la personne concerne aujourd'hui un vaste champ composé de 23 activités diversement soutenues par des mesures de trois types : des exonérations de charges sociales pour un montant total de 1,8 milliard d'euros ; des avantages fiscaux pour un montant total de 4,2 milliards d'euros ; des réglementations spécifiques destinées à garantir la qualité des services destinés aux publics fragiles, ainsi que des mesures de simplification comme le chèque emploi-service universel ou le site Pajemploi, mises en oeuvre par les caisses de sécurité sociale.

Les 23 activités du champ des services à la personne sont encadrées et soutenues à des degrés divers, les activités soumises à agrément n'étant pas forcément assimilables aux activités destinées aux publics fragiles.

La Cour des comptes porte un regard sévère sur la cohérence des variations qui déterminent le degré de soutien aux activités du secteur. On observe en effet de nombreuses distinctions. Les exonérations de cotisations sociales et le taux de TVA varient en fonction du public visé : personnes dépendantes, jeunes enfants, enfants de plus de six ans etc. Le crédit d'impôt et la réduction d'impôt dépendent, pour leur part, de la situation fiscale ou professionnelle du particulier bénéficiaire. Enfin, certaines aides sont liées à la modalité de recours au service : particulier employeur, prestataire, entreprise, association, structure publique... Tout cela est naturellement source de complexité et mériterait une clarification, ne serait-ce que pour uniformiser dans nos différents codes les notions de « public fragile », de « personne dépendante » ou de « personne en perte d'autonomie ».

L'ensemble du plan de soutien aux services à la personne représente aujourd'hui une dépense de 6,5 milliards d'euros. Toute tentative pour mieux orienter ou mieux cibler cette dépense se heurte à des difficultés, que notre rapport met en lumière.

Premièrement, le soutien des services à la personne répond à une double logique, car il relève en réalité de deux politiques publiques : une politique de solvabilisation des besoins des publics fragiles, dans un contexte de forte tension entre l'offre et la demande ; une politique de création d'emplois par la lutte contre le travail dissimulé. Cette logique duale est au coeur des difficultés de l'évaluation, au point qu'elle a inspiré le titre de notre rapport.

Bien que le soutien des services à la personne contribue à deux politiques publiques, les interactions entre les mesures bénéficiant à ce secteur et les mesures plus générales relevant des politiques de l'emploi et des politiques sociales sont très insuffisamment évaluées. Aucune étude ne permet de dire s'il est plus efficace de revaloriser les exonérations de charges sociales ou les prestations sociales. Le résultat du cumul des exonérations propres au secteur des services à la personne avec d'autres allégements, tels que les allégements « Fillon » ou le crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE), n'a pas été évalué non plus. Il existe probablement des redondances coûteuses pour nos finances publiques, ainsi que des distorsions de concurrence entre organismes de services à la personne du fait des possibilités de cumul, mais aucune étude ne permet de l'affirmer.

Deuxièmement, nous souhaitons insister sur la question du coût net. À l'instar de nombreuses fédérations de services à la personne et du ministère de l'économie, nous sommes persuadées que le soutien aux services à la personne, pour coûteux qu'il soit, est la source de grands bénéfices. C'est à l'aune de ces bénéfices qu'il conviendrait de redéfinir le contour de nos aides publiques. Je citerai deux exemples qui figurent dans le rapport.

Cas numéro 1 : un salarié de particulier employeur paye des cotisations sociales, mais donne également lieu à des cotisations patronales, d'autant que les exonérations de « Fillon » sur les bas salaires ne lui sont pas applicables. En retenant l'hypothèse d'une rémunération horaire de 10 euros, chaque heure travaillée coûte 5 euros à l'État, engendre 2,30 euros de cotisations salariales et 4,20 euros de cotisations patronales. Ce salarié fait donc rentrer dans les comptes de la sécurité sociale plus d'argent qu'il n'en sort des comptes de l'État.

Cas numéro 2 : celui d'un salarié au service d'un public fragile, employé par un prestataire qui, lui, a droit aux allégements « Fillon ». Les cotisations salariales sont toujours de 2,30 euros, mais les cotisations patronales ne sont plus que de 1,20 euro. Dans cet exemple, le salarié fait donc rentrer dans les caisses de la sécurité sociale moins d'argent qu'il n'en sort de celles de l'État.

La Cour des comptes nous invite à réduire les dépenses en faveur du secteur, mais avec quelles conséquences sur l'emploi déclaré ? Cette question est au coeur de nos divergences.

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Notre premier débat a porté sur le champ des services à la personne éligible aux aides publiques. Ce champ est très vaste, et même unique en Europe : actuellement, n'importe quel couple d'actifs peut, par exemple, bénéficier d'un crédit d'impôt pour des cours de yoga à domicile ! Nous ne pouvons plus nous permettre de dépenser l'argent public de façon aussi indifférenciée. Je propose donc de mieux cibler les aides publiques, en réservant les services de confort, dont le taux de TVA est aujourd'hui de 20 %, aux personnes dépendantes. Il s'agit : des petits travaux de jardinage et débroussaillage à domicile ; des cours à domicile ; de l'assistance informatique et internet à domicile ; de la maintenance, de l'entretien et de la surveillance temporaire du domicile, que la résidence soit principale ou secondaire.

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Pour ma part, j'estime que restreindre cette liste d'activités est une décision de principe dont je peux comprendre la logique, mais qui n'aura aucune efficacité. D'après le ministère de l'économie, ce sont justement ces services « de confort » qui rapportent le plus au budget de l'État, notamment grâce à la TVA ! Les exclure ne représentera donc pas un gain important pour les finances publiques, et peut même, au contraire, favoriser le recours au travail dissimulé. Cela va à l'encontre des souhaits des organismes de services à la personne, qui nous demandent de raisonner, non en termes d'activités, mais de publics cibles, à qui ils veulent offrir des bouquets de services innovants.

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Notre deuxième désaccord porte sur le ciblage des avantages fiscaux liés à l'impôt sur le revenu. L'article 199 sexdecies du code général des impôts institue en en effet, d'une part, une réduction d'impôt sur le revenu pour l'emploi à domicile, pour les contribuables inactifs ou les couples monoactifs, et, d'autre part, un crédit d'impôt pour les contribuables exerçant une activité professionnelle.

Il en résulte que 22 % des personnes qui déclarent des dépenses de services à la personne n'ont droit à aucun avantage fiscal. Parmi eux, il y a des retraités non imposables, c'est-à-dire des personnes aux revenus modestes, dont certains sont pourtant en perte d'autonomie et ont des besoins importants d'aide à domicile. Ne faudrait-il pas leur permettre de bénéficier du crédit d'impôt ?

Les économistes ont des avis divergents sur ce point : les uns estiment qu'élargir le bénéfice du crédit d'impôt aux inactifs non imposables permettra de solvabiliser un public fragile, les autres jugent la mesure coûteuse et peu créatrice d'emplois, les ménages concernés n'étant de toute façon pas assez solvables, même avec un « coup de pouce » fiscal.

Faut-il, pour financer l'éventuel élargissement de ce crédit d'impôt, abaisser le plafond des dépenses éligibles ? Il est aujourd'hui fixé à 12 000 euros, mais peut atteindre 18 000 euros pour une famille avec quatre enfants à charge et 20 000 euros pour une personne invalide.

Je considère que le ciblage actuel des avantages fiscaux et du niveau des plafonds est injuste et inefficace. Les avantages fiscaux sont concentrés sur les ménages les plus aisés, tandis que des retraités modestes en sont privés. Or, ces retraités non imposables seront bientôt plus nombreux, car nous avons voté, dans la loi de finances pour 2015, un nouveau barème de l'impôt sur le revenu, en vertu duquel seront désormais non imposables des retraités dont les revenus leur permettraient d'avoir davantage recours à des services d'aide à domicile. Je propose donc d'élargir le bénéfice du crédit d'impôt à tous les bénéficiaires de l'APA, c'est-à-dire aux personnes en GIR 1 à 4. Pour financer cette mesure, nous abaisserions à son seuil d'efficacité, c'est-à-dire 7 000 euros, le plafond des dépenses éligibles, tandis que les autres plafonds spécifiques seraient abaissés de façon homothétique. Cet ajustement a recueilli l'assentiment de tous les experts que nous avons entendus. La création d'un plafond différencié pour la garde d'enfants de moins de trois ans à domicile pourrait également être mise à l'étude.

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Pour ma part, je ne suis pas opposée à un élargissement du crédit d'impôt, mais je ne suis pas favorable à ce que cet élargissement se fasse au détriment des familles et de l'emploi. L'abaissement des plafonds, en réduisant les aides accordées aux ménages les plus « consommateurs » de services à la personne, pourrait avoir des conséquences néfastes sur l'emploi. Veut-on vraiment prendre ce risque dans le contexte économique actuel ?

Pour les publics fragiles eux-mêmes, je ne peux soutenir ce qui s'apparente à une rustine fiscale destinée à compenser le manque d'ambition de la réforme de l'APA présentée par le Gouvernement.

Enfin, le ciblage sur les personnes âgées en perte d'autonomie méconnaît les besoins de publics tels que les personnes handicapées, les personnes isolées qui sortent d'hôpital, ou encore les parents de jeunes enfants, qui peinent à trouver des assistantes maternelles dans les zones immobilières tendues et ont recours à un important volume d'heures de garde d'enfants à domicile.

Troisième et dernier débat : la Cour des comptes préconise de remettre en question l'exonération de cotisations patronales du seul fait de l'âge – actuellement fixé à soixante-dix ans –, prévue à l'article L. 241-10 du code de la sécurité sociale. Ce même article prévoit par ailleurs une exonération totale de cotisations patronales pour les personnes dépendantes, les personnes invalides et les parents d'un enfant handicapé. L'exonération du fait de l'âge date de 1948, date à laquelle l'espérance de vie en bonne santé n'était pas aussi grande qu'aujourd'hui. Les associations de services à la personne sont fortement opposées à une suppression, arguant des fragilités temporaires que peuvent avoir des personnes âgées à partir de soixante ans, sans pour autant être en GIR 1 à 4. Pour conserver au dispositif son caractère préventif, nous proposons à la fois de repousser l'âge pris en compte à quatre-vingts ans et d'étendre le bénéfice de cette exonération aux personnes en perte d'autonomie, c'est-à-dire évaluées en GIR 5.

Mais préparer les conditions du vieillissement à domicile, c'est aussi appréhender les besoins qui vont apparaître ou s'accentuer, et les moyens d'y répondre. Les métiers de l'aide à domicile sont ceux qui créeront le plus de postes dans les dix années à venir ; or, aujourd'hui, de nombreux postes à pourvoir le sont difficilement. Ces métiers sont en effet peu attractifs et ne permettent pas de bonnes évolutions de carrière. De nombreuses mesures seraient à prendre pour mieux structurer et professionnaliser ces métiers, certains progrès ayant toutefois déjà été réalisés.

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Le secteur de l'aide à domicile est en effet peu attractif. Selon les données de la direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques (DARES) du ministère du travail pour 2011, plus des deux tiers des salariés de la branche de l'aide à domicile travaille à temps partiel – dont un quart en temps partiel subi – pour une moyenne hebdomadaire de 26 heures, condamnant ces salariés à la pluriactivité.

En outre, l'absence de mesure salariale générale dans la branche depuis 2009 a entraîné une baisse du pouvoir d'achat, ramenant les salaires au niveau du SMIC alors qu'ils le dépassaient de 10 % en moyenne. Les conditions de travail et la qualité des emplois, par ailleurs, sont mal appréhendées. Il s'agit d'un secteur difficile à réguler, du fait des horaires décalés, des lieux de travail multiples, des conditions de travail variables selon le domicile de l'usager. Les salariés sont de surcroît plus fortement exposés à des facteurs de risque professionnel physique – troubles musculo-squelettiques notamment – ou psychique – stress, fatigue morale. Il s'agit, selon les données de la Caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS), d'un secteur parmi les plus « accidentogènes ».

Quelle évaluation est faite du service rendu et des postes de travail eux-mêmes ? Si l'évaluation ex post de la qualité de l'emploi et du service est préconisée par l'administration, les chercheurs constatent qu'elle est encore balbutiante et se limite à des indicateurs de volume – en termes d'emploi essentiellement. L'employeur a en effet des difficultés à observer la qualité de l'intervention de son salarié et la charge de travail qui lui incombe.

C'est pourquoi il conviendrait de mettre en oeuvre un processus d'évaluation sur la base d'indicateurs, ainsi qu'un accompagnement des salariés pour apporter des améliorations des conditions de travail et du service rendu.

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Peu d'entreprises anticipent les besoins en recrutement et les départs à la retraite. Ceux-ci sont majoritairement non remplacés, les directeurs préférant dans un premier temps augmenter le nombre d'heures des intervenants déjà présents dans la structure. Des démarches de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC) ont eu lieu dans quelques régions à l'initiative de la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE). Les résultats positifs conduisent à souhaiter leur généralisation.

Dans ce contexte de faible attractivité des métiers, nos propositions ont aussi pour ambition de permettre à chacun de se réapproprier la formation professionnelle.

Les intervenants au domicile des personnes fragiles sont, dans leur grande majorité, peu qualifiés. Près d'un tiers d'entre eux n'ont pas été scolarisés au-delà du collège. En 2008, 21 % des aides à domicile possédaient le diplôme d'État d'auxiliaire de vie sociale (DEAVS) ou le certificat d'aptitude aux fonctions d'aide à domicile (CAFAD), selon l'enquête réalisée auprès des intervenants à domicile (IAD) citée par la Cour des comptes. Les salariés des services à la personne accèdent moins fréquemment à la formation que les autres salariés : la moyenne de l'accès à la formation pour l'ensemble du secteur a été de 7,6 %, selon les données de la DARES pour 2012. Quant à la qualification, elle s'effectue souvent par la voie de la validation des acquis de l'expérience (VAE) : 2 538 DEAVS ont été délivrés par cette voie en 2012, soit 40 % du total. Enfin, le secteur est caractérisé par l'émiettement des certifications professionnelles : 59 certifications recensées fin 2012, dont 19 pour le seul niveau V. Cette multiplicité a pour conséquence un manque de lisibilité pour les salariés.

Ces données nous conduisent à émettre un certain nombre de propositions tendant à la refonte de la carte des formations et des qualifications, afin de surmonter les cloisonnements et assurer une transversalité permettant le passage d'un emploi à domicile à un emploi en établissement. Nous préconisons aussi le rapprochement entre les qualifications de niveau V et le diplôme d'aide-soignant. Il est également indispensable d'instaurer des équivalences de diplômes entre secteur sanitaire et médico-social et de créer des passerelles entre les métiers. Un stage dans un service d'aide à domicile devrait être inclus dans tous les cursus de niveau V. Enfin, il conviendrait de permettre qu'un certain nombre d'actes courants, même considérés comme médicalisés, soient réalisés par les auxiliaires de vie sociale ou des aides médico-psychologiques, afin de mettre le droit en accord avec les faits.

Notre rapport présente brièvement, en outre, les projections relatives au vieillissement de la population, à son espérance de vie sans incapacité, ainsi que les évaluations du nombre de personnes âgées en perte d'autonomie qui devront être aidées à moyen et long terme.

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À politique inchangée, la progression de la part des personnes âgées en établissement serait plus rapide que celle des personnes vivant à domicile, ce qui entraînera des coûts élevés. La mise en oeuvre d'une politique volontariste en faveur du maintien à domicile est donc une condition de l'évolution des facteurs de décision des personnes et des familles : elle est indispensable pour réduire le besoin de places d'hébergement pour les personnes âgées dépendantes.

Le coût global de la perte d'autonomie est en outre un enjeu important pour les finances publiques. En euros constants, la dépense publique consacrée à la prise en charge de la perte d'autonomie passerait d'environ 21 milliards d'euros en 2011 à 24,6 milliards en 2025 et à plus de 80 milliards en 2060. En euros 2011, la dépense publique serait de 35 milliards environ en 2060, selon le Haut Conseil du financement de la protection sociale. Le nombre de bénéficiaires de l'APA s'élèverait à 2 millions en 2040, la durée de perception passant de quatre ans aujourd'hui à cinq ans environ en 2020 et à six ans en 2040.

Nous avons également abordé la question des aidants, afin d'appréhender comment évoluera leur disponibilité. Cette disponibilité ira plutôt s'amenuisant, ce qui appelle une réflexion sur les types de soutien qui pourraient être leur être apportés et sur les coûts qui en résulteraient. L'amélioration de l'information disponible et la meilleure structuration locale des initiatives devraient faire partie des actions à conduire rapidement, à l'échelle du département, sous l'égide de la direction départementale de la cohésion sociale ou de l'antenne de l'agence régionale de santé (ARS).

Les travaux de la direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (DREES) du ministère des affaires sociales et de la santé mettent en évidence la modification de la proportion de personnes dépendantes susceptibles de recevoir l'aide d'un proche. On prévoit, jusqu'en 2025-2030, un rajeunissement des aidants ; on peut donc penser que, à court terme, l'entourage sera disponible. Mais, à partir de 2030-2040, les générations des baby-boomers arrivant aux âges de la dépendance auront moins de ressources dans leur entourage familial. La démographie entraînera une dégradation du ratio entre le nombre de personnes âgées dépendantes et le nombre d'aidants potentiels, la hausse de l'activité féminine aura des conséquences sur la disponibilité des aidantes potentielles, de même que le recul de l'âge du départ à la retraite.

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Les travailleurs sociaux observent un taux important de non-recours aux droits chez certains publics, qui peut être dû à l'absence de diagnostic et au manque d'information. Ces intervenants comme les experts constatent que les dispositifs d'articulation entre secteur médico-social et secteur sanitaire sont lacunaires. Il peut arriver, notamment en milieu rural, que des personnes vivant à domicile en situation de grande fragilité, voire atteintes de démence sévère, échappent au diagnostic que pourrait formuler un médecin gériatre.

De telles situations posent la question de l'incitation au médecin traitant à faire appel aux intervenants médico-sociaux afin qu'une aide soit mise en place au domicile de la personne.

Il est donc important de généraliser les équipes mobiles de gériatrie présentes dans les centres hospitaliers, et qui sont encore très peu nombreuses. Le plan Alzheimer 2008-2012 n'a pas prévu de suivi à domicile du malade sous l'angle gérontologique. L'intervention d'un assistant de soins en gérontologie (ASG) à domicile remédierait à cette lacune. C'est pourquoi nous proposons l'extension au domicile des missions des ASG travaillant en institution.

Une autre solution, éventuellement complémentaire, serait de former les auxiliaires de vie à domicile à la capacité de repérage des prémices du déclin cognitif. Une adaptation de la formation prévue pour l'obtention du DEAVS pourrait être conçue, intégrant un module de formation sur la prise en charge des personnes atteintes de la maladie d'Alzheimer et vivant à domicile.

La demande de services, tant de la part de la personne aidée que de la part des acteurs publics, est en évolution : elle doit prendre en compte les politiques de prévention visant à différer ou éviter la perte d'autonomie, les possibilités offertes par le progrès technologique, la nécessité de maîtriser la dépense publique et la perspective du phénomène de vieillissement de la population, les plus grandes exigences des personnes âgées ou de leurs proches en ce qui concerne le contenu de l'offre, ainsi que la qualité des services rendus.

La mise au point de bouquets de services nous paraît une solution prometteuse : elle conférerait une nouvelle responsabilité au prestataire, en passant d'une culture de moyens à une culture de résultat. Le prestataire bénéficierait d'une plus grande souplesse pour organiser, assurer et adapter les prestations d'aide et d'accompagnement, mais rendrait compte de la conduite de ses prestations sur la base d'indicateurs définis par le financeur. Le contrôle changerait donc de nature et porterait sur des éléments qualitatifs, aussi pertinents que la comptabilité des heures d'intervention.

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La coordination des acteurs est une question essentielle pour les personnes âgées en perte d'autonomie. Notre rapport revient sur deux problématiques essentielles : la coexistence d'une offre planifiée aux tarifs conventionnés et d'une offre aux tarifs libres ; la coordination des secteurs de l'aide à domicile et du soin.

Sur le premier point, les conseils généraux, liquidateurs de l'APA, ont aussi un pouvoir de tarification. Ils assurent une planification de l'offre au moyen d'appels à projets. Les services retenus au titre de l'appel à projet sont dits « autorisés » et font l'objet de cette tarification. En permettant à de nouvelles structures privées aux tarifs libres d'intervenir auprès des personnes dépendantes, le plan Borloo de 2005 a suscité de nouvelles difficultés. Dans certains départements, l'arrivée des acteurs privés a déstabilisé le tissu associatif existant. Certains conseils généraux ont dès lors pratiqué des tarifs plus bas pour les services non autorisés, ce qui pourrait poser problème au regard du droit de la concurrence.

L'objet des contrats pluriannuels d'objectifs et de moyens (CPOM) est de dépasser la dualité entre les deux régimes d'autorisation et d'agrément. Les CPOM permettront de mettre en rapport les tarifs avec les contraintes de service quasi-public que devront assumer les organismes de services, qu'ils soient agréés ou autorisés. Il est souhaitable, par exemple, qu'ils permettent de mieux rémunérer les organismes de services à la personne qui interviennent en zones rurales, auprès de personnes isolées.

Sur le deuxième point, la solution passe également par un CPOM. Nous souhaitons voir se développer les services polyvalents d'aide et de soins à domicile (SPASAD), qui proposent une offre intégrée autour de la personne âgée mais font face à une complexité réglementaire et financière. Réunissant des services d'aide à domicile financés par le conseil général et des services de soins infirmiers à domicile financés par l'ARS, les SPASAD s'inscrivent dans un cadre réglementaire et conventionnel complexe. Pour dépasser la complexité administrative, d'autres CPOM permettront de définir les missions et les financements conjoints des conseils généraux et des ARS.

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Dernier point au coeur de nos travaux : la tarification. Nous avons conduit une enquête auprès de vingt conseils généraux, enquête annexée à notre rapport. Cette enquête révèle la grande diversité des pratiques départementales, avec des écarts de tarifs très importants. La contrainte budgétaire amène les conseils généraux à modérer les tarifs des services à la personne pour permettre de financer une demande croissante avec un plafond d'APA constant, d'où des déficits récurrents dans les organismes de services à la personne. D'autres facteurs de coût agissent de façon plus insidieuse. Ainsi en est-il de la politique de fragmentation des temps d'intervention mise en oeuvre par certains conseils généraux pour maîtriser la croissance des heures d'aide à domicile programmées. Dans l'un des départements que nous avons visités, les interventions de moins d'une heure représentent 40 % à 45 % de l'ensemble des interventions réalisées par certaines associations d'aide à domicile.

Fin 2011, le Parlement a ouvert la voie à la mise en oeuvre de nouvelles modalités de tarification en autorisant, dans le cadre de la loi de finances pour 2012, des expérimentations par les conseils généraux qui le souhaitent, pour une durée limitée à trois ans. D'après notre enquête, treize conseils généraux expérimentent aujourd'hui une tarification alternative. Certains ont substitué aux tarifs horaires une dotation globale, dans le cadre d'un CPOM. D'autres, dans le cadre du modèle préconisé par l'Assemblée des départements de France (ADF), ont mis en place une forfaitisation sur la base de prestations programmées : un système d'abonnement qui introduit de la souplesse dans la consommation des heures, répondant au problème des heures perdues en cas d'hospitalisation ou départ en vacances du bénéficiaire de l'APA.

Nous préconisons d'introduire des éléments d'information obligatoire dans la nomenclature des CPOM pour éviter un certain nombre d'effets pervers. Il s'agit par exemple de plafonner le nombre d'interventions inférieures ou égales à une demi-heure, de tenir compte de l'éloignement géographique du bénéficiaire ou encore d'ouvrir la possibilité d'un tarif différencié pour les dimanches et les jours fériés.

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Merci, chères collègues, pour la qualité de ce rapport ainsi que pour les nombreuses propositions que vous avez formulées. Plusieurs d'entre elles ont trait à la formation des personnels et aux passerelles entre les différents métiers. Vous êtes-vous interrogées sur les moyens de développer, dans le cadre des politiques sociales menées par les conseils généraux, la polyvalence des personnels ? Se pose et se posera de plus en plus, en effet, la question des personnes en perte d'autonomie ou en situation de dépendance, mais aussi celle des personnes handicapées vieillissantes.

D'autre part, vous envisagez de porter de soixante-dix ans à quatre-vingts ans l'âge requis pour bénéficier de plein droit de l'exonération de charges sociales patronales pour l'emploi de salariés à domicile, et d'étendre celle-ci aux personnes en GIR 5. Avez-vous pu chiffrer la portée financière de chacune de ces deux mesures ?

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S'agissant des formations, une réflexion globale doit être menée sur les passerelles à créer entre l'exercice au domicile et l'exercice en établissement et entre les emplois auprès des différents publics fragiles. Pour que ces métiers deviennent attractifs, il faut offrir aux personnes qui les exercent des perspectives d'évolution, et également de formation, même non diplômante, car un cloisonnement demeure entre le travail en établissement et le travail au domicile, de même qu'entre les différents types de qualifications.

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On constate que certaines associations se spécialisent dans l'assistance aux personnes handicapées et d'autres dans l'assistance aux personnes vieillissantes, et que seules quelques-unes tentent de faire les deux. Il est vrai que nous avons nous-mêmes orienté nos travaux vers la problématique du vieillissement et de sa prise en charge, et vers les perspectives de création d'emplois qui en découlent.

Concernant les diplômes, il est indispensable de faire progresser la formation. Les métiers du domicile, qui sont situés au plus bas de l'échelle, sont les plus éprouvants, non seulement physiquement, mais aussi mentalement, du fait notamment qu'ils sont pratiqués dans l'isolement. Ceux et celles qui les exercent cherchent donc à évoluer dans leur qualification afin de pouvoir travailler en établissement. Nous avons donc beaucoup réfléchi à la simplification des formations et à la possibilité de créer des passerelles pour offrir des perspectives professionnelles plus valorisantes.

Nous avons étudié, Martine Pinville et moi, les questions de tarification. C'est un sujet que je connais bien, pour y avoir consacré un rapport à la demande de Mme Roselyne Bachelot. J'y proposais, déjà, de porter à quatre-vingts ans l'âge de l'exonération de plein droit des cotisations patronales, mais les associations comme les travailleurs sociaux s'y étaient opposés, au nom de la prévention. Je crois, toutefois, que les choses ont évolué et que l'on est encore en forme, généralement, à soixante-dix ans, alors que c'était loin d'être le cas au lendemain de la guerre, lorsque cet âge avait été retenu.

Ce passage de soixante-dix à quatre-vingts ans dégagerait 80 millions d'euros, ce qui n'est pas considérable, mais permettrait de financer l'extension de l'exonération aux personnes en GIR 5 ; initialement, nous comptions même aller jusqu'au GIR 6, mais nous avons appris, au cours de nos investigations, que toute personne âgée de plus de soixante ans était éligible au GIR 6 et qu'il suffisait d'en faire la demande !

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Dans son rapport, la Cour des comptes estime que l'abaissement du plafond de la déduction et du crédit d'impôt à 7 000 euros permettrait d'économiser 260 millions d'euros qui pourraient ainsi être réaffectés au financement de l'extension du crédit d'impôt aux personnes bénéficiaires de l'APA.

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Nous avons choisi d'intituler le rapport « Les services à la personne : entre le soutien à l'emploi et l'accompagnement des personnes fragiles » car nous avons été tiraillées, tout au long de notre travail, entre ces deux problématiques.

Par ailleurs, une des difficultés rencontrées provient du manque d'information sur les coûts et les recettes. Qu'il s'agisse d'une niche sociale ou d'une dépense fiscale, le coût indiqué par la Cour des comptes est toujours le coût brut, jamais le coût net, c'est-à-dire tenant compte des cotisations sociales ou des rentrées fiscales supplémentaires liées aux emplois créés. Or, le risque existe, si l'on supprime telle ou telle dépense par souci d'économie, de faire disparaître ces emplois, ou de les transformer en emplois non déclarés ou partiellement déclarés.

Si nous avons eu, Martine Pinville et moi, des divergences sur plusieurs points, nous sommes accordées, en revanche, sur d'autres, comme le passage de soixante-dix à quatre-vingts ans, mais nous avons trop souvent manqué d'évaluations chiffrées fiables. Ce fut le cas, par exemple, pour les quelque 23 activités ouvrant droit à réduction d'impôt ou de cotisations : on ignore en effet jusqu'au nombre d'heures de travail que représente chacune d'entre elles, l'employeur n'étant pas tenu de détailler l'activité concernée. Si des données plus fines étaient disponibles, cela permettrait de prendre en toute connaissance de cause des décisions concernant l'emploi à domicile.

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Nous avons eu, tout au long de nos travaux, le souci de favoriser le meilleur accompagnement possible du public fragile que sont les personnes âgées ou vieillissantes, mais aussi des familles, et ce dans un cadre budgétaire contraint et un périmètre bien défini.

Le Comité autorise la publication du rapport sur l'évaluation du développement des services à la personne.

La réunion s'achève à dix-sept heures cinquante.

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