La Commission examine d'abord la proposition de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête sur les conséquences de la baisse des concours de l'État aux communes et aux EPCI sur l'investissement public et les services publics de proximité (n° 2851).
Lors de la Conférence des présidents du 9 juin dernier, il a été annoncé que le président du groupe de la Gauche démocrate et républicaine avait fait savoir qu'il exerçait son « droit de tirage » annuel sur la proposition de résolution de M. Nicolas Sansu et de plusieurs de ses collègues tendant à la création d'une commission d'enquête sur les conséquences de la baisse des concours de l'État aux communes et aux EPCI sur l'investissement public et les services publics de proximité.
Je rappelle que, suite à la réforme du Règlement de novembre dernier, lorsque le président d'un groupe demande à exercer ce droit de tirage, le rôle de la commission saisie de la proposition de résolution se borne désormais, en application de l'article 140, alinéa 2, à vérifier que les conditions requises pour la création de la commission d'enquête sont réunies, sans se prononcer sur son opportunité. Aucun amendement n'est recevable et le texte ne fait pas ensuite l'objet d'un examen en séance publique. En application de l'article 141, alinéa 2, dès lors que les conditions de la création de la commission d'enquête sont réunies, il revient simplement à la Conférence des présidents d'en prendre acte.
Les motifs qui inspirent la proposition de résolution tendant à la création de cette commission d'enquête sont simples : il s'agit de savoir si l'impact négatif de la baisse massive et programmée des concours financiers de l'État aux collectivités territoriales sur les investissements, l'activité économique et in fine la croissance a été convenablement évalué et pris en compte. Il n'est que de constater la situation préoccupante qui a résulté de la première diminution de 1,5 milliard d'euros pour s'en inquiéter, puisque, selon une récente note de l'INSEE, en 2014, l'investissement local a diminué de 9,6 % par rapport à l'année précédente. Même si cette évolution s'explique en partie par une traditionnelle baisse des investissements au lendemain d'élections municipales, la tendance n'en est pas moins notable ; elle est plus fortement marquée qu'en 2008, par exemple.
Je rappelle que, pour l'année 2015, le bloc communal doit supporter 56 % de l'effort imposé aux collectivités territoriales au titre de leur contribution au redressement des finances publiques, sachant que cette contribution est répartie entre les trois catégories de collectivités au prorata des recettes totales. Au sein du bloc communal, la clef de répartition est la suivante : 70 % pour les communes et 30 % pour les EPCI.
Les associations d'élus ont alerté le Gouvernement sur les graves difficultés que rencontrent d'ores et déjà un certain nombre de collectivités, mais le pire est, selon nous, à venir pour les finances locales, car cette tendance est appelée à se poursuivre au moins jusqu'en 2017, la baisse totale des dotations de l'État devant atteindre 11 milliards d'euros sur trois ans. En 2017, leur baisse cumulée représentera ainsi 29,8 milliards d'euros, soit une diminution de 30 % par rapport au montant global de l'enveloppe de 2013.
L'Association des maires de France – AMF – a notamment expliqué avoir dressé un « constat d'alerte rouge » sur l'impact de la baisse des dotations versées par l'État aux collectivités. Selon elle, un millier de communes françaises seraient bientôt dans l'incapacité d'assumer leurs dettes. Elle estime en outre que, si l'objectif d'une baisse de 11 milliards d'euros était maintenu, l'investissement public pourrait reculer de 25 % à 30 % d'ici à 2017, soit 0,6 point de croissance.
Les premières victimes de la chute drastique des investissements sont les entreprises de travaux publics, qui dépendent à 70 % de la commande publique, et celles du bâtiment. Les organisations patronales du secteur estiment entre 60 000 et 80 000 le nombre d'emplois menacés. L'AMF craint également pour l'avenir des services publics de proximité, qu'il s'agisse des piscines, des garderies ou des cantines, ainsi que pour le financement des festivals et des associations et pour le fonctionnement des services publics culturels locaux.
Au prétexte de rendre plus soutenable la baisse des dotations pour les collectivités les plus défavorisées, les enveloppes des dotations de péréquation verticale ont fortement progressé ces dernières années ; ces mécanismes de péréquation risquent cependant de s'en trouver dévoyés car ils n'ont pas été conçus pour atténuer l'impact de la baisse des dotations pour les collectivités les plus fragiles et fonctionner comme des instruments de partage de la misère, mais pour corriger les inégalités de charges et de richesses.
Parallèlement, le Gouvernement entend conduire, comme nous le verrons ultérieurement, une réforme globale de la dotation globale de fonctionnement – DGF –, avec pour objectif de favoriser la simplicité, la transparence et la justice du dispositif, et de renforcer l'équité et la solidarité entre les territoires. C'est là une troisième source d'inquiétude pour les élus locaux. En effet, si les réformes précédentes, intervenues en 1985, 1993 et 2004, avaient permis, grâce à une augmentation de l'enveloppe globale, de dégager des marges de manoeuvre, la réforme actuellement envisagée, qui entend conjuguer baisse des dotations et remise à plat des mécanismes de péréquation, ne permettra pas de résoudre les difficultés des communes, notamment les plus fragiles d'entre elles.
Enfin, il convient de rappeler qu'à cette diminution des dotations s'ajoute une augmentation des charges due à la hausse des taux de la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales et de la TVA, ainsi qu'à la réforme des rythmes scolaires, qui a un impact important sur les finances communales.
En définitive, les collectivités sont placées face à une alternative intenable : soit augmenter l'impôt local, soit réduire l'offre des services rendus à la population et les investissements. De tels choix sont d'autant plus inacceptables qu'ils ne sont justifiés ni par l'évolution du poids de la dette des collectivités territoriales – celle-ci est, au regard des critères européens, d'une remarquable stabilité – ni par une dérive de leurs dépenses puisque, contrairement à celles de l'État, elles doivent être financées par un montant équivalent de recettes.
Le travail de la commission d'enquête que je propose de créer devrait s'articuler autour de deux axes : estimer la soutenabilité de la trajectoire financière des collectivités du bloc communal d'ici à 2017 et évaluer l'impact de la baisse des ressources sur les décisions d'investissement et sur le fonctionnement des services publics de proximité.
En ce qui concerne la recevabilité de cette proposition de résolution, toutes les conditions prévues par notre règlement pour la création d'une commission d'enquête sont réunies : aucune mission d'information ni aucune commission d'enquête consacrée à ce sujet n'ont été créées au cours des douze derniers mois. En outre, la garde des sceaux nous a indiqué – mais elle doit le confirmer – qu'aucune procédure judiciaire n'était en cours sur les faits sur lesquels nous souhaitons enquêter. Je vous propose donc, mes chers collègues, d'accepter la création de cette commission d'enquête, en attendant que nous parvienne le courrier officiel de la garde des sceaux.
Je comprends les motivations des auteurs de la proposition de résolution. Toutefois, je m'étonne qu'il soit fait référence, dans son exposé des motifs, au « constat d'alerte rouge » dressé par l'AMF, car celle-ci n'est pas composée que de blanches colombes. De fait, son président, François Baroin, qui est certes un homme de valeur fort courtois, a été associé, en tant que ministre du Budget puis ministre de l'Économie et des finances, à la grave agression contre les finances locales qu'a constituée, en 2010, la réforme de la taxe professionnelle. Il ne faudrait donc pas que cette proposition de résolution soit l'occasion de lui décerner un satisfecit.
Les conditions prévues par notre Règlement pour la création d'une commission d'enquête sont réunies. Sur la forme, le groupe UDI n'a donc aucune remarque à formuler ; quant au fond, nous en discuterons dans le cadre de la commission d'enquête. J'ajoute cependant qu'il s'agit d'un véritable sujet, notamment pour ceux qui, comme moi, siègent au Comité des finances locales, où une éventuelle réforme de la DGF, notamment, fait depuis plusieurs mois l'objet de nombreux débats.
Je rejoins les préoccupations exprimées par Nicolas Sansu et j'approuve le rappel historique d'Alain Rodet. La baisse des concours financiers de l'État aux collectivités territoriales est l'une des quatre raisons pour lesquelles je me suis prononcé contre le budget pour 2015, car il me semblait que ses conséquences seraient très néfastes. Je constate, hélas ! chaque jour, sur le terrain, que tel est bien le cas : ma circonscription compte 223 petites communes, que la réduction des dotations de l'État prive de toute marge de manoeuvre. Je suis donc favorable à la création de cette commission d'enquête, dont j'espère qu'elle aboutira à des corrections.
Le groupe Socialiste, républicain et citoyen constate que les conditions requises pour la création de cette commission d'enquête sont réunies. Je crois qu'elle contribuera utilement à mettre à plat l'ensemble de ces sujets. Elle permettra notamment de replacer la baisse des dotations de l'État dans le cadre de l'évolution globale des ressources des collectivités locales et de la dynamique de leurs dépenses. Elle permettra également d'inscrire la question de l'investissement des collectivités dans le cadre de l'évolution à moyen et long terme de l'investissement public en France. Je crois savoir, à ce propos, qu'un chapitre du rapport de la Cour des comptes sur la situation des finances publiques est consacré à cette question. Un certain nombre d'éléments devront donc être soumis à la réflexion de la commission d'enquête. Je pense notamment au fait qu'en France, l'investissement public est supérieur à ce qu'il est dans les autres pays européens et qu'il est resté plus stable dans notre pays que chez nos voisins. Le débat existe donc, et il aura lieu de manière approfondie et contradictoire au sein de la commission d'enquête, ce qui permettra peut-être précisément d'identifier les faux débats.
Quant à moi, je suis assez inquiet de la situation actuelle. Je crois, monsieur Sansu, que la commission d'enquête devra étudier en particulier l'effet de la baisse des dotations de l'État sur l'investissement et sur le secteur du bâtiment et des travaux publics. Selon les chiffres dont disposons, l'investissement des collectivités locales a baissé de 5 % en 2014 – qui fut certes une année électorale –, repassant sous la barre des 50 milliards d'euros. Les prévisions fondées sur la consolidation des budgets primitifs de 2015 laissent penser que cette baisse sera de 10 % cette année, et d'aucuns craignent que ce ne soit encore pire en 2016.
En la matière, ma position n'a jamais varié. Lorsque j'étais rapporteur général de la commission des Finances et président du CFL, j'étais favorable à un gel des dotations. Je regrette que ce gel ne soit pas intervenu plus tôt, car le Gouvernement a été conduit à prendre des mesures que j'estime beaucoup trop brutales. Une baisse des dotations de l'État de 11 milliards en trois ans n'est en effet pas soutenable.
Aussi serait-il bon que la commission d'enquête réalise une analyse objective de la situation et propose éventuellement un étalement. Il est en effet évident, monsieur Sansu, que le budget de l'État ne pourrait, compte tenu de la situation des finances publiques, supporter une augmentation des dotations. Mais il est sans doute possible de parvenir à un équilibre car, si l'on ne rectifie pas le tir dans le budget pour 2016 – il faudrait que les travaux de la commission d'enquête puissent nous éclairer lors de la préparation de ce budget –, nous devons nous attendre à subir de graves déboires, notamment dans le domaine de l'emploi.
Quant aux solutions qui sont évoquées, comme la création d'un fonds d'investissement doté d'un milliard d'euros, elles ne me paraissent pas adaptées. En effet, le problème n'est pas celui du financement – le contexte n'est pas le même qu'il y a quatre ans : aujourd'hui, on peut emprunter à un peu plus de 1 % –, mais plutôt celui de la capacité d'autofinancement des collectivités. Les travaux de la commission d'enquête nous seront donc utiles.
La commune dont je suis maire souffre ; elle figure parmi les 100 communes qui perçoivent la dotation de développement urbain – DDU. Cela étant, deux rapports de la Cour des comptes indiquent que, depuis dix ans, les effectifs des collectivités territoriales, notamment du bloc communal, ont augmenté de 50 % hors transferts de compétences. Il va bien falloir que nous nous posions les véritables questions !
Par ailleurs, je crois que le système fiscal actuel est arrivé à son terme. Il nous faut en effet réformer non seulement la DGF, mais aussi les bases fiscales. Dans ma commune, qui compte 28 % de demandeurs d'emploi et dont près d'un tiers du budget est consacré à l'action sociale, un couple propriétaire d'une petite maison et disposant d'un salaire moyen consacre 10 % de son revenu annuel au paiement des impôts locaux, alors que, dans une commune voisine appartenant à la même intercommunalité, le même couple n'y consacre que 1 %. Tant qu'on ne se sera pas attaqué à ces inégalités, on aura de graves problèmes. On pourrait, par exemple, à l'instar de ce qui a été fait pour la taxe professionnelle, harmoniser progressivement les taux des impôts auxquels sont assujettis les ménages et abonder ainsi un fonds de péréquation.
Plutôt qu'une commission d'enquête, il me semble qu'il eût été plus judicieux d'un point de vue technique de proposer la création d'une mission d'information.
Mais l'objet de la commission d'enquête me paraît encore plus contestable. Tous les élus locaux savent que nous arrivons au terme d'un dispositif qui nous place tous dans une situation inconfortable. Toutefois, lorsqu'on évoque la baisse des dotations à l'investissement, de quelles collectivités parle-t-on ? Les intercommunalités n'ont pas vu baisser leurs capacités d'investissement ces dernières années. En revanche, pour les départements, c'est une réalité. Les situations sont très différentes d'une collectivité à une autre. Si une véritable évaluation du dispositif doit être menée, incluons-y la fiscalité. La DGF varie de 1 à 10 selon les collectivités : où est l'équité ? Un certain nombre de départements ne disposent plus de l'épargne, nette ou brute, nécessaire pour réaliser des investissements : dans ce cas, disons les choses clairement et revoyons leurs compétences !
Je regrette que l'objet de la commission d'enquête soit limité à l'investissement, alors que tant de sujets auraient pu être évoqués dans ce cadre.
J'approuve la création de cette commission d'enquête. On ne cesse de vanter l'industrie touristique française, mais on ne fait rien pour l'aider ! Or, sachez que les stations classées touristiques réalisent des investissements considérables dans les infrastructures – et ce n'est pas Pascal Terrasse qui me démentira puisque la grotte Chauvet a coûté très cher au département de l'Ardèche et à sa commune.
Nous verrons à la fin de l'année...
Quoi qu'il en soit, l'encours de ma commune s'élève à 30 millions d'euros. Or, la baisse de la DGF représente 1,6 million. Ce que l'État m'a pris, je l'ai compensé par une augmentation des impôts de 16 % ! J'ajoute qu'il serait intéressant que la commission d'enquête se penche sur la manière dont sont gérées les communes qui perçoivent la dotation de solidarité urbaine – DSU – ou la dotation de solidarité rurale – DSR. Certaines petites communes touristiques comptent 5 000 habitants l'hiver et 40 000 l'été. Comment les gère-t-on ? C'est bien beau de vanter le tourisme, mais il faudrait regarder de près les budgets des communes !
Comme l'a dit Marc Goua, nous arrivons au terme d'un mode de fonctionnement. Il nous faut désormais raisonner à l'échelle du bassin de vie : les habitants sont indifférents aux frontières des communes. Comment ne pas s'interroger sur un système dans lequel l'impôt peut varier de 1 à 10 d'une commune à l'autre ? Il nous faut donc réfléchir à une intégration complète des communes dans les intercommunalités. Par ailleurs, comment expliquer que les recrutements aient explosé dans les communes alors même qu'elles sont censées avoir de moins en moins de compétences ? Nous devons nous poser les bonnes questions. Alors, la commission d'enquête permettra peut-être de faire apparaître certains dysfonctionnements.
Je crois que cette commission d'enquête sera utile, mais il me semble que la question que nous devons nous poser est moins technique que politique. Elle est la suivante : le pouvoir local doit-il rester soumis au pouvoir d'État, et donc continuer de dépendre de ses dotations, ou faut-il aller au bout de la logique de la décentralisation ? Je rappelle qu'au début des années 1990, certains membres de la commission des Finances de notre assemblée, qui avaient pressenti la fin des dotations de l'État, s'étaient prononcés en faveur d'une plus grande autonomie fiscale des collectivités locales. Encore une fois, il s'agit d'un problème d'orientation politique, et il me semble que les travaux de la commission d'enquête peuvent être intéressants à cet égard.
Si certains souhaitent la création d'une commission d'enquête ou d'une mission d'information sur les recettes réelles de fonctionnement des collectivités locales ou sur la fiscalité locale, libre à eux de la proposer. Mais tel n'est pas l'objet de cette commission d'enquête. Celui-ci a été défini par le groupe de la Gauche démocrate et républicaine dans le cadre de l'exercice de son « droit de tirage » et il porte sur l'investissement local, dont toutes les études montrent qu'il risque de s'effondrer, ce qui aurait des conséquences majeures sur les territoires, en particulier ceux où il est à l'origine d'un nombre important d'emplois.
Le président a eu raison de rappeler que le problème qui se pose aujourd'hui est, non pas celui de l'accès au crédit, mais celui de la capacité d'autofinancement de nos communes et, contrairement à ce qui a été dit, de nos intercommunalités. Je ne nie pas les difficultés des départements, mais, compte tenu de l'importance du bloc communal pour le maillage du territoire, l'emploi, les investissements et l'entretien du patrimoine, il nous a semblé important que cette commission d'enquête évalue les effets de la baisse des dotations de l'État aux communes et aux EPCI. Nous ne pouvons pas traiter toutes les questions, comme celles du mode d'élection des conseillers communautaires ou de la fusion des communes et des intercommunalités, par exemple. Si je mentionne ce point, c'est parce qu'il me paraît invraisemblable que les intercommunalités, que l'on présente comme merveilleuses, puissent lever l'impôt sans que leurs conseillers soient élus au suffrage universel sur une liste unique.
Mais ni cette question ni la réforme de la fiscalité locale ne sont l'objet de la commission d'enquête. Il s'agit, ici, de se demander si une baisse des dotations de 11 milliards en trois ans et de 29 milliards au total est soutenable ou non et quelles en sont les conséquences. Nos travaux permettront ainsi de confirmer ou d'infirmer les études réalisées par un certain nombre d'associations d'élus.
Je ne comprends pas que le groupe de la Gauche démocrate et républicaine n'ait pas élargi l'objet de la commission d'enquête aux autres collectivités territoriales. La baisse des dotations de l'État, sur trois ans, au département du Jura se traduira par une diminution de 270 emplois équivalents temps plein.
Se prononçant en application de l'article 140, alinéa 2 du Règlement, la Commission estime que sont réunies les conditions requises pour la création d'une commission d'enquête sur les conséquences de la baisse des concours de l'État aux communes et aux EPCI sur l'investissement et les services publics de proximité.
La Commission entend ensuite Mme Christine Pires Beaune sur les travaux de la mission que lui a confiée M. le Premier ministre sur la réforme des concours de l'État aux collectivités territoriales.
Je remercie Christine Pires Beaune de prendre le temps de venir nous présenter, comme elle l'a fait au Sénat, l'état d'avancement des travaux qu'elle mène sur la réforme de la dotation globale de fonctionnement – DGF – dans le cadre d'une mission qui lui a été confiée par le Premier ministre.
J'ai souhaité faire ce point d'étape devant la commission des Finances car j'espère pouvoir repousser de quelques semaines la remise de mon rapport – qui est fixée, dans la lettre de mission que m'a adressée le Premier ministre, à la fin du mois de juin – afin de la faire coïncider avec les conclusions des travaux menés par le Comité des finances locales – CFL. Toutefois, à ce jour, ma demande n'a pas reçu de réponse.
Je rappelle en préambule que l'objectif de la mission qui m'a été confiée consiste à remettre à plat l'ensemble des dotations de l'État aux collectivités afin de les simplifier et de les rendre plus justes. À ce propos, je veux dire à Nicolas Sansu qu'il aurait, certes, été plus simple et plus confortable de réformer la DGF il y a quelques années, lorsque son enveloppe augmentait, mais que l'on ne peut pas, selon moi, prendre prétexte de la baisse actuelle des dotations pour s'abstenir d'agir dans ce domaine.
Si l'on partage le constat que je vais vous présenter – et à ce jour, personne ne l'a contesté –, deux solutions s'offrent à nous : soit nous décidons de ne rien faire, soit nous tentons de changer les choses en introduisant davantage d'équité dans le dispositif.
La DGF doit, tout d'abord, être plus juste. Pour cela, il nous faut réduire les écarts injustifiés afin que la dotation tienne compte de la situation réelle des territoires et qu'elle ne soit plus une « rente » justifiée par l'histoire. La DGF doit, ensuite, être plus simple, afin d'offrir aux élus davantage de visibilité sur leurs financements. La plupart de ceux que nous rencontrons ne comprennent en effet ni son mécanisme ni son mode de calcul, de sorte qu'ils se trouvent dans l'incapacité de contester le financement qu'ils perçoivent et de comparer leur situation à celle des autres collectivités.
En ce qui concerne le bloc communal, nous devons tenir compte du contexte. La carte intercommunale devrait en effet être achevée au 1er janvier 2016. La situation a donc changé : du fait du développement de l'intercommunalité, les compétences exercées aujourd'hui par les communes ne sont pas forcément les mêmes qu'il y a vingt ans.
Enfin, la réforme doit être soutenable, ce qui suppose de prévoir des mécanismes transitoires afin que ses effets soient lissés dans le temps.
Par ailleurs, bien que la lettre de mission inclue l'ensemble des collectivités, nous avons volontairement limité nos travaux au bloc communal. En effet, compte tenu non seulement du temps qui nous est imparti mais aussi de la réforme régionale en cours et des récentes élections départementales, il ne nous a pas paru raisonnable de proposer une réforme de la DGF des régions et des départements – ces derniers feront néanmoins l'objet de quelques propositions dans notre rapport.
J'en viens maintenant à la synthèse des constats dressés par la mission.
Réformer la DGF suppose de s'interroger au préalable sur ses finalités. La dotation globale de fonctionnement a été créée pour compenser la suppression de ressources fiscales et elle a continué à jouer ce rôle au fil des réformes, ce qui explique le poids des composantes historiques. Aujourd'hui, elle a vocation à compenser les charges de fonctionnement qui résultent du transfert des compétences de l'État. Par ailleurs, la péréquation prend une part de plus en plus importante puisqu'elle s'est accrue, toutes collectivités confondues, de 3 milliards d'euros entre 2004 et 2014.
Dans la mesure où la DGF constitue un prélèvement sur les recettes de l'État, elle est nécessairement libre d'emploi. Le respect de l'autonomie locale doit donc nous inciter à la prudence face aux tentations, qui s'expriment parfois, de lui assigner de nouvelles finalités. Je pense par exemple aux propositions, qui ont été faites dans le cadre de la loi sur la transition énergétique, de la moduler en fonction des économies réalisées en matière d'éclairage public. Je crois que nous devons nous en tenir aux finalités actuelles de la DGF.
Celle-ci a fait l'objet, ces dernières années, de nombreuses modifications, qui loin d'avoir clarifié le dispositif, ont au contraire contribué à le compliquer, notamment en sédimentant les injustices.
Ainsi, les critères d'éligibilité et de répartition sont très nombreux – trente pour le bloc communal, quinze pour les départements et neuf pour les régions –, mais leur diversité permet de tenir compte des spécificités de nos territoires. C'est pourquoi il me paraît utopique de vouloir limiter leur nombre à trois. En revanche, il importe que ces critères soient robustes, donc pérennes, et facilement recensables.
La DGF des communes s'élève, en 2015, à 14,5 milliards d'euros. On s'aperçoit que les écarts-types de DGF par habitant sont importants dans l'ensemble des strates démographiques, y compris dans celle des plus petites communes, puisqu'il est de 103 euros, par exemple, dans les communes de moins de 500 habitants. Ce constat a été une surprise pour beaucoup, car on entend souvent dire que les communes rurales sont pénalisées par rapport aux communes urbaines, en raison notamment du coefficient logarithmique. Or, si celui-ci joue un rôle, on observe que les écarts de DGF par habitant sont davantage marqués entre les communes d'une même strate démographique.
Comment expliquer de tels écarts ? Il se trouve qu'ils sont principalement liés aux compléments de garantie. Ceux-ci peuvent en effet varier de 10 euros à 200 euros par habitant pour les communes de 100 000 à 300 000 habitants, et de zéro euro – à Tassin ou à Martigues par exemple – à 392 euros par habitant – à Vichy – pour les communes de 20 000 à 50 000 habitants.
Les dotations de péréquation ont énormément augmenté ces dernières années, sans que cette augmentation se soit accompagnée d'une rationalisation alors même que la péréquation, que ce soit dans le cadre de la dotation de solidarité urbaine et de cohésion sociale – DSU – ou de la dotation de solidarité rurale – DSR –, est extrêmement saupoudrée : 97 % des communes de moins de 10 000 habitants sont éligibles à la DSR, 75 % de celles de plus de 10 000 habitants sont éligibles à la DSU, et 66 % des communes sont éligibles à la dotation nationale de péréquation – DNP. Tout le monde est bénéficiaire, et il n'est dès lors plus permis de parler de péréquation.
Le même constat peut être fait pour les établissements publics de coopération intercommunale – EPCI. Il existe des écarts-types pour tous, petits ou grands, dont l'origine se trouve également dans les compensations, c'est-à-dire les composantes figées.
La DGF des EPCI représente 6,5 milliards d'euros, contre 14,5 milliards pour les communes. Les critères de répartition de la dotation d'intercommunalité sont largement insuffisants pour appréhender le niveau réel d'intégration d'un établissement. Cela pouvait se comprendre il y a dix ans, lorsque nous avions une carte intercommunale à trous, mais, dès lors que nous aurons au 1er janvier 2016 une carte de France couverte en intercommunalités, cela ne peut rester en l'état. En tout cas, la catégorie juridique de l'EPCI n'est plus suffisante pour apprécier la réalité des compétences exercées. Le rapport des inspections générales de l'administration et des finances sur la mutualisation tire la même conclusion.
La DGF des EPCI n'est pas autonome mais étroitement imbriquée avec celle des communes. Cela ne contribue pas à la lisibilité du système, et c'est pourquoi nous proposerons une DGF autonome.
J'en viens précisément aux pistes de réforme du rapport, actuellement à l'étude par les groupes de travail du CFL. Plutôt que de présenter des scénarios clefs en mains, la mission a préféré proposer différentes pistes, selon différents leviers, dont certains peuvent se combiner entre eux, tandis que d'autres sont exclusifs les uns des autres.
La première piste porte sur la dotation forfaitaire des communes. En 2014, cette dotation se composait d'une dotation de base appliquant le fameux coefficient logarithmique, d'une dotation de superficie, avec un bonus pour les zones de montagne et un plafonnement pour la Guyane, d'une dotation pour parcs naturels et parcs marins, d'une dotation de compensation ainsi que d'un complément de garantie. Soit cinq composantes. En loi de finances pour 2015, nous avons consolidé le dispositif, avec une dotation forfaitaire n-1 et une partie assise sur la variation de la population. Le système est ainsi bien plus simple, puisque nous sommes passés de cinq composantes à deux, mais cela a consolidé les inégalités et les a rendues plus opaques.
La mission propose donc une dotation forfaitaire à quatre composantes. La première serait une dotation universelle – le nom ne plaisant pas au président du CFL, elle pourrait être appelée autrement – suivant l'idée présentée dans le rapport de Jean Germain en 2013 au Sénat, sur la proposition de loi tendant à l'égalité des territoires. C'est ce que Mme Marie-France Beaufils avait appelé le « minimum à vivre », M. Charles Guené le « minimum vital ». Il s'agit de donner un minimum à chaque commune, la même somme pour toutes. Cela équivaut à la dotation de base.
À quoi s'ajouterait une dotation pour « charges de centralité » ou « charges d'urbanisme ». C'est là que se situe le point le plus épineux, car nous buttons sur les critères servant à déterminer ces charges.
Une troisième enveloppe serait une dotation pour charges de ruralité, qui fait, quant à elle, consensus, les critères étant bien identifiés : longueur de voirie, densité, nombre d'enfants scolarisés.
Enfin, une dotation de transition permettrait de lisser la réforme dans le temps. Sa masse serait fonction des autres enveloppes, dans un dispositif en cascade.
Deuxième piste : il existe un consensus pour recentrer la péréquation. Nous proposons de réaliser une simulation de la suppression des deux catégories démographiques existant aujourd'hui dans la DSU, avec un resserrement des conditions d'éligibilité ainsi qu'une suppression de la cible, dont les effets de seuil sont terribles, et son remplacement par un coefficient de majoration pour les communes les plus défavorisées.
Nous proposons de même un resserrement des conditions d'éligibilité à la DSR. Nous proposons en outre d'étudier la fusion de la fraction péréquation et de la fraction cible, et, comme pour la DSU, de supprimer la cible et de la remplacer par un coefficient de majoration. L'Association des maires ruraux de France, que nous avons auditionnée tout à l'heure, propose de fusionner les trois parts de la DSR, alors que nous pensions plutôt à une fusion de deux parts conservant la part « bourg-centre ».
Nous proposons par ailleurs la suppression de la DNP, pour répartir entre les deux péréquations DSU et DSR les 795 millions d'euros qui lui sont consacrés dans la part forfaitaire. Sur nos 36 800 communes, seules quatre-vingt-deux ne touchent que la DSR ; les autres touchent soit la DSU soit les deux. En supprimant la DNP, nous ne changerions rien à la masse mais nous simplifierions grandement le système. En outre, la DNP est la dotation la moins péréquatrice puisqu'elle n'est fondée que sur des critères de ressources et non de charges. Nous proposons par ailleurs de rendre plus péréquatrice la dotation d'aménagement des communes et circonscriptions territoriales d'outre-mer – DACOM.
Enfin, il faut absolument se doter d'une vision consolidée des péréquations verticale et horizontale afin d'analyser les effets contre-péréquateurs et sur-péréquateurs.
Un mot sur l'effet de la DSU cible. Alors que la deux cent cinquantième commune touche 144 464 euros, la deux cent cinquante et unième ne perçoit rien. L'effet de seuil est terrible, et c'est exactement la même chose pour la DSR. Concernant cette dernière dotation, nous pourrions prévoir un plancher, comme pour la DNP, sachant qu'il existe une commune touchant seulement 73 euros au titre de la DSR.
La troisième piste serait de travailler à une DGF des EPCI distincte de celle des communes. L'architecture en serait la suivante : une dotation universelle pour tous les EPCI, plus une dotation de péréquation – les communautés urbaines et les métropoles, dont le nombre est appelé à croître, n'ont aujourd'hui aucune péréquation – et une dotation d'intégration et de mutualisation, sous réserve de trouver le bon critère – les effets pervers de l'actuel coefficient d'intégration fiscale – CIF – sont bien connus, et nous avons voté, dans la loi de modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles, un coefficient qui n'est pas opérationnel aujourd'hui et ne le sera pas plus demain, mais la mission des inspections générales propose, sans toutefois l'avoir testé, un coefficient de mutualisation. Enfin, une dotation de transition permettrait de lisser la réforme dans le temps.
La quatrième piste, la plus contestée, concerne la création d'une « DGF locale ». Si les associations d'élus se montrent très réticentes, j'insiste néanmoins pour que cette piste soit étudiée. Elle ne signifie la disparition des communes, bien au contraire. Il s'agit simplement de tenir compte du fait intercommunal. Entre une commune ayant un CIF de 0,9 et une autre un CIF de 0,2, entre la commune de Verdun qui a tout transféré à son intercommunalité et une autre qui a encore quasiment tous les services à charge, la situation est bien différente. La DGF locale est le seul système qui permettrait de tenir compte de cette différence.
Cette DGF locale pourrait être mise en place selon différents scénarios. Il est tout d'abord possible d'en territorialiser une partie seulement, soit la péréquation, soit la part forfaitaire. Un scénario plus ambitieux serait de territorialiser l'ensemble. Une autre solution, à laquelle je n'avais pas pensé et qu'a évoquée la direction générale des collectivités locales, serait de territorialiser la seule dotation de transition, puisque c'est elle qui centralise les compléments de garantie, donc les inéquités.
La cinquième et dernière piste est transversale et concerne les critères. Le critère de la population n'est pas en cause, même si certains maires, notamment de grandes villes, nous disent que le décalage temporel du recensement pose problème. Le critère des logements sociaux devrait être amélioré en harmonisant le périmètre avec celui de la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains. Le critère du revenu moyen est disponible, ce qui n'est pas certain pour le revenu médian, en tout cas pas pour toutes les collectivités : nous attendons une réponse de la direction générale des finances publiques à ce sujet. Le critère de l'effort fiscal fait beaucoup débat : de nombreux élus demandent qu'il en soit tenu compte de manière plus importante. Enfin, la question du potentiel fiscal et du potentiel financier est liée à l'obsolescence des bases. La réforme des valeurs locatives est elle aussi indispensable. Si nous prévoyons une réforme de la DGF, il ne faudra pas omettre une clause de revoyure au moment de la révision des valeurs locatives.
Sans aucun esprit polémique, nous nous interrogeons sur la capacité à mener de front toutes les réformes : loi portant nouvelle organisation territoriale de la République (« NOTRe »), refonte de la DGF, réforme des valeurs locatives, baisse des dotations. Une pause de la péréquation verticale ne serait-elle envisageable si nous parvenons à réforme la DGF de façon qu'elle soit d'emblée plus péréquatrice ?
Je dois enfin souligner que nous avons été quatre à travailler sur cette mission : Jean Germain et moi-même, ainsi que Mme Clémence Olsina, du Conseil d'État, et Mme Hélène Martin, de l'Inspection générale de l'administration, que je remercie vivement.
Merci pour cette analyse très complète, non seulement dans le diagnostic mais aussi les propositions.
Je vous apporte, madame Pires Beaune, mon soutien. Pour avoir vécu au CFL la réforme de 1985, puis celle de 1993, ici, puis, à nouveau ici, celle de 2004, je pense que la territorialisation de la DGF est la seule option pertinente. Trouver des critères qui satisfassent 36 000 communes et 4 000 EPCI, avec des disparités liées à l'histoire, à des rapports de force, me semble impossible. Il faut conjuguer le développement de l'intercommunalité prévu par les textes et la mise en place de moyens financiers globalisés, et de même parier sur l'intelligence des élus et leur capacité à régler le mieux possible, au plus proche du terrain, les questions de péréquation.
C'est sur le bloc communal que nous rencontrons véritablement un problème, car nous nous heurtons à une opposition des associations d'élus. L'AMF, notamment, est depuis longtemps opposée à une territorialisation de la DGF. Avec une territorialisation portant sur deux mille territoires, nous pourrions objectiver davantage ces disparités qui deviennent insupportables.
En faisant l'archéologie de la DGF, nous voyons que c'est la taxe locale qui explique toutes les aberrations actuelles. En région parisienne, les communes qui sont devenues les plus riches fiscalement, telles que Courbevoie ou Issy-les-Moulineaux, touchent la DGF la plus importante. Les réformes que j'ai citées ont tenté, de façon assez consensuelle, de resserrer les écarts en ouvrant la voie d'un « minimum à vivre » commun, mais ce n'est toujours pas satisfaisant. La territorialisation serait une vraie réforme. Il est certain qu'elle bousculerait les habitudes. Recueille-t-elle votre préférence, madame Pires Beaune ?
Je reste prudente et je veux des simulations macro et microéconomiques. Il faut pouvoir comparer les écarts-types aujourd'hui, sans réforme, et demain, avec les réformes, et les simulations devront tenir compte de la trajectoire des baisses de dotations. Cela dit, intuitivement, la DGF locale me semble la meilleure solution.
Les villes de banlieue comptent entre 50 et 60 % de jeunes scolarisés en plus par rapport aux autres communes de même population et supportent donc des coûts scolaires supérieurs dans les mêmes proportions. Or, alors que la couverture des frais de personnel par la DGF était de 100 % il y a quinze ans, elle est de 30 % aujourd'hui.
Quand les simulations paraîtront, ce sera explosif. Et ce d'autant plus que les taux de baisse de dotations peuvent varier de zéro – du fait des compensations certaines collectivités échappent à ces baisses – à 15 %.
La seule piste possible est celle de la territorialisation. Si la classe politique avait un peu de courage, elle engagerait la réforme du bloc communal de façon que les communes deviennent des sections d'intercommunalités. La DGF serait ainsi appliquée à la seule entité existant encore : l'intercommunalité devenue collectivité territoriale. L'ensemble des moyens seraient mutualisés et nous n'aurions plus les discussions que nous avons encore eues ce matin au CFL sur les malheureux pauvres qui se sont mariés avec les riches et supportent les prélèvements – des collectivités pauvres que nous essayons de soulager en réfléchissant à leur exclusion de l'exigence de solidarité interne à la communauté de communes pour que la charge repose sur les seuls riches, mais tout cela n'est que du bidouillage.
Je fais partie de la minorité au comité directeur de l'AMF. L'AMF est dominée par des conservateurs qui considèrent que l'intercommunalité est au service des communes, mais les intercommunalités, comme les communes, sont au service de nos concitoyens. Tant que prévaudra cet état d'esprit de l'AMF, nous n'avancerons pas.
Avant toute réforme de la fiscalité locale, la question qu'il faut se poser est celle de la gouvernance des collectivités territoriales. Quand on ne veut rien faire, on parle de tout changer, et il ne se passe rien. La question de la territorialisation de la fiscalité appelle le sujet des EPCI. On ne maîtrise pas, aujourd'hui, le mode de gouvernance de l'intercommunalité. Ces structures sont vues comme des banquiers qui doivent répondre aux exigences communales. D'où l'intérêt de prendre à bras le corps le problème de notre organisation territoriale : c'est l'objet de la loi « NOTRe », en dépit du fait que je la trouve trop timide.
Le contexte européen nous impose, que cela plaise ou non, des contraintes financières. Le troisième poste de dépenses de l'État, après l'armée et l'éducation nationale, ce sont les dotations aux collectivités territoriales. Dans la mesure où nous avons annoncé que nous ne toucherions pas à l'éducation nationale, et où l'armée, pour les raisons que nous connaissons, sera plutôt préservée, c'est ce poste qui va être impacté. Je suis de ceux qui considèrent, et je le disais déjà quand j'étais président de conseil départemental, qu'il faut un système d'autonomie financière pour les régions et les départements, dont les dépenses sont sanctuarisées. Qu'une telle autonomie bénéficie aussi à des EPCI, je n'y suis pas défavorable : c'est la démocratie locale de proximité et les élus doivent prendre leurs responsabilités.
Une réforme des dotations, avec un socle universel accompagné de dotations de compensation, ne peut aboutir que dans la durée – cela demande au moins sept ou dix ans – et il ne faut donc surtout pas changer de cap au gré des alternances politiques. C'est pourquoi le consensus est important.
Enfin, puisque les dotations de l'État sont appelées à diminuer, ne peut-on envisager des baisses différenciées, de façon à rééquilibrer les dotations ?
Alors que je suis souvent critique vis-à-vis de la majorité, j'ai trouvé le travail de Christine Pires Beaune très intéressant ; j'ai beaucoup appris.
De 2004 à 2015, la DGF du bloc communal a progressé de 2,2 %, celle des départements a diminué de 7,1 %, celle des régions a augmenté de 0,8 %. Ce sont des chiffres éclairants quant au traitement imposé depuis des années aux départements, qui, avec les dépenses obligatoires qui sont les leurs, perdent ainsi en autonomie et réactivité.
Vous avez raison, cela figure dans le rapport, mais j'ai indiqué oralement qu'il y avait un biais sur l'évolution pour les départements, lequel est dû aux services départementaux d'incendie et de secours. Nous sommes en train de vérifier ce point.
À plusieurs reprises, ces dernières années, il a été procédé à des compensations directes entre des charges transférées et des baisses de DGF. La DGF a été utilisée pour réaliser des ajustements. Les comparaisons, ici, ne sont donc pas à structure constante. En revanche, la DGF a trois enveloppes étanches les unes par rapport aux autres, avec un taux d'évolution unique ; il n'y a donc pas eu de distorsion d'un bloc vis-à-vis d'un autre.
Même si la DGF a progressé de manière égale pour chaque bloc, les compensations progressent moins vite pour les départements.
La consolidation de 2015 a été une erreur majeure, car c'est une consolidation de disparités qui avaient vocation à disparaître. C'est acter des effets de seuil exorbitants au niveau de la DGF communale.
Que ce soit en ce qui concerne les effets du changement de seuil pour les intercommunalités, notamment en milieu rural, de 5 000 à 20 000 habitants, de la création des communes nouvelles, de la clause de revoyure des valeurs locatives des locaux professionnels – dans le département du Jura, j'ai assisté à la commission de révision de ces valeurs locatives : si l'on reste sur la même masse globale de perception, la modification de la répartition aura un impact considérable sur certaines filières professionnelles –, nous sommes dans le flou, et à défaut de simulations et d'études d'impact nous ne pourrons adopter une position pertinente.
Ce travail résulte d'une initiative de Jean Germain, et à l'origine nos collègues de droite n'avaient pas souhaité y participer. Si nous parvenons à un consensus, cela effacera ce mauvais souvenir. Cette réforme mérite l'unanimité.
Il conviendrait de dire d'emblée que la réforme sera lissée sur huit ou dix ans, comme, en son temps, pour la taxe professionnelle unique, et nous ne pourrons réussir que si un fort consensus se dégage autour de ce rapport, ce qui permettra aux collectivités, en dépit des alternances, de compter sur une véritable visibilité.
La territorialisation existe déjà dans certains départements qui pratiquent la contractualisation avec les EPCI. En Loire-Atlantique, la recette redistribuée aux collectivités est calculée en fonction de la richesse globale du territoire. Les communes pauvres contribuent à l'arrivée d'une richesse plus importante sur un territoire plus large, alors que les dépenses sont occasionnées par les communes riches. C'est paradoxal.
Enfin, alors que je ne vois nulle part évoqué le revenu des habitants, il me semble fondamental qu'il reste un critère. Il faut construire des crèches là où les gens n'ont pas les moyens de payer une aide à domicile.
Les objectifs de la mission sont la justice, car l'injustice est avérée, et la simplification, car le système dysfonctionne : des communes reçoivent des dotations puis, dans le cadre d'organisations intercommunales, sont obligées de reverser des sommes.
Nous pourrions appeler la dotation universelle une « dotation républicaine territoriale ». Elle tiendrait compte des disparités existant sur un territoire. Les idées de simplification suggérées par le rapport sont à retenir.
Le groupe Les Républicains demande des diminutions d'impôts de plusieurs milliards, qui auront pour conséquence évidente des baisses de dotations bien plus substantielles que les nôtres. Il faudra qu'ils expliquent où et quand, pour que les choses soient bien claires en 2017.
Je souhaite remercier les différents intervenants, qui ont tous parlé en dehors de toute posture afin d'étudier toutes les pistes qui ont été évoquées, à l'image d'ailleurs de ce qui s'était passé lors de l'audition au Sénat. Je remercie tout particulièrement le président Gilles Carrez pour sa prise de position en faveur de la DGF territoriale, car je crois intuitivement que c'est bien là que se situe la vraie réforme.
Marc Goua a cité le critère du nombre d'enfants scolarisés dans les communes urbaines : ce critère est présent dans le cadre des charges de ruralité mais pas au titre des charges de centralité. Il s'agit toutefois d'une question intéressante car cette donnée est disponible et peut être utilisée.
En ce qui concerne les sections d'intercommunalité, je considère que ma mission est déjà assez vaste et je m'en tiendrai donc à ses limites. Je rappelle toutefois que, si j'ai défendu les communes nouvelles aux côtés de M. Jacques Pélissard, c'est parce que cette forme de collaboration renforcée repose sur le volontariat. Je ne crois pas en effet que l'heure soit à la disparition des communes au profit des sections, contrairement à ce qui s'est passé pour la refonte des régions. Je crois en revanche au volontariat et la loi relative à l'amélioration du régime de la commune nouvelle a nettement amélioré la loi de 2010 : il y a aujourd'hui 260 projets signalés à l'AMF.
La mission a proposé de simuler une imputation de la contribution au redressement des finances publiques sur la dotation de transition qui comprend les sources de l'inégalité. J'espère que le CFL va se saisir du sujet et ne va pas renouveler une baisse uniforme pour 2016. Il a été choisi d'appliquer une diminution péréquée en matière de DGF des départements et une telle solution mériterait d'être appliquée au bloc communal afin de réduire progressivement les écarts.
J'ai auditionné l'Assemblée des départements de France dans le cadre de ma mission : ses priorités portent sur le financement des allocations de solidarité, et notamment du revenu de solidarité active, et non sur la réforme de la DGF. Les départements sont confrontés à la montée en charge des aides à l'insertion et aux perspectives de compensation de ces dépenses.
La révision de la valeur locative des locaux d'habitation a été repoussée d'un an car les simulations donnaient des résultats contraires à l'objectif recherché.
Le lissage de la réforme de la DGF est impératif pour permettre sa soutenabilité. La question qui est débattue au sein du CFL est de savoir qu'elle doit être la durée de ce lissage : dix ans, quinze ans... ?
Le critère du revenu par habitant est un critère solide que nous souhaitons conserver ; les interrogations portent sur l'importance que doit revêtir ce critère dans les calculs et sur la prise en compte du revenu moyen ou du revenu médian, sachant que cette dernière donnée n'est pas disponible sur tout le territoire en raison du secret fiscal. Je précise que les données sur les revenus médians sont disponibles à l'échelon des EPCI, ce qui résoudrait la question si l'on choisissait la DGF territorialisée.
J'indique enfin que le CFL va continuer à discuter de ces propositions de réforme de la DGF jusqu'à la mi-juillet, date à laquelle je souhaite également remettre mon rapport.
Informations relatives à la Commission
La Commission a nommé M. Nicolas Sansu rapporteur sur la proposition de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête sur les conséquences de la baisse des concours de l'État aux communes et aux EPCI sur l'investissement public et les services publics de proximité (n° 2851).
Membres présents ou excusés
Commission des Finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire
Réunion du mardi 16 juin 2015 à 16 heures 30
Présents. – M. Éric Alauzet, M. François André, M. Gilles Carrez, M. Gaby Charroux, M. Charles de Courson, Mme Marie-Christine Dalloz, M. Alain Fauré, M. Marc Francina, M. Marc Goua, M. Régis Juanico, M. Jérôme Lambert, M. Dominique Lefebvre, Mme Véronique Louwagie, Mme Christine Pires Beaune, Mme Monique Rabin, M. Alain Rodet, M. Nicolas Sansu, M. Pascal Terrasse, M. Michel Vergnier
Excusés. – M. Guillaume Bachelay, M. Dominique Baert, M. Alain Claeys, M. Jean-Louis Gagnaire, M. Yann Galut, M. David Habib, Mme Valérie Rabault, M. Camille de Rocca Serra, M. Éric Woerth
Assistait également à la réunion. – M. Lionel Tardy