COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES
MISSION D'ÉVALUATION ET DE CONTRÔLE DES LOIS DE FINANCEMENT DE LA SÉCURITÉ SOCIALE
Mercredi 18 mai 2016
La séance est ouverte à neuf heures quarante-cinq.
(Présidence de Mme Gisèle Biémouret et de M. Pierre Morange, coprésidents de la mission)
La Mission d'évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale (MECSS) procède à une table ronde réunissant des syndicats d'infirmiers, ouverte à la presse, sur l'hospitalisation à domicile (Mme Joëlle Huillier, rapporteure), avec la participation de : Mme Ghislaine Sicre, présidente de Convergence infirmière ; M. Philippe Tisserand, président de la Fédération nationale des infirmiers (FNI) ; Mme Élisabeth Maylié, présidente de l'Organisation nationale des syndicats d'infirmiers libéraux (ONSIL), et Mme Anne-Marie Serra, adhérente ; M. John Pinte, vice-président du Syndicat national des infirmiers et infirmières libéraux (SNIIL) ; M. Thierry Amouroux, secrétaire général du Syndicat national des professionnels infirmiers (SNPI), et M. Jérôme Malfaisant, membre du bureau national.
Nous poursuivons nos travaux sur l'hospitalisation à domicile.
Plusieurs circulaires ministérielles portent sur le développement insuffisant de l'hospitalisation à domicile, qui répondrait au souhait des patients et permettrait de réaliser des économies par rapport à l'hospitalisation classique. Or l'HAD ne s'est pas développée comme escompté.
Pour certains patients, l'hospitalisation à domicile ne se justifie pas, car leur cas est trop léger : ils pourraient être orientés en services de soins infirmiers à domicile (SSIAD) ou des infirmiers libéraux. À l'inverse, des patients dont les cas sont trop lourds sont pris en charge en libéral etou en SSIAD, en raison du manque de services d'hospitalisation à domicile. Quel est votre sentiment en la matière ?
Comme on l'entend toujours, le médecin traitant doit être le pivot de l'hospitalisation à domicile. Dans la réalité, ce sont bien souvent les infirmiers qui assurent la coordination. Que pouvez-vous nous dire sur le rôle de l'infirmier en matière de soins à domicile ?
Nous partageons votre constat. Si elle ne faisait que se substituer à l'hospitalisation traditionnelle – plein temps hôpital –, l'hospitalisation à domicile aurait un sens. Ce n'est pas le cas, puisque des patients sont placés en HAD, alors qu'ils n'en relèvent pas car leur cas est trop léger.
Historiquement, 60 % des lits en HAD étaient occupés par les cas de post-partum physiologique uniquement parce que les couches étaient fournies – n'ayons pas peur de mots… L'Assurance maladie a pris des initiatives pour éviter que l'HAD soit érigée en industrie nouvelle et ne devienne une porte de sortie obligatoire de l'hôpital. Mais cette tendance se renforce, avec l'annonce de la ministre du doublement des lits en HAD.
Les infirmiers libéraux peuvent faire beaucoup hors HAD, et ils le font depuis le virage ambulatoire entamé voilà plus de vingt ans – avec de nombreuses perfusions réalisées à domicile pour des chimiothérapies –, et ce sans problème de sécurité. Cette évolution a été possible, non grâce aux organisations et aux systèmes, mais grâce à l'émergence de nouvelles techniques : pour la perfusion, c'est la chambre implantable pour perfusions. Dans ce contexte, l'HAD ne fait que rajouter de la coordination purement administrative.
Les infirmiers libéraux ont le sentiment que les critères d'inclusion en HAD rejoignent de plus en plus la nomenclature générale des actes professionnels infirmiers, par exemple concernant les « pansements complexes ». En HAD, l'infirmier fait la plupart du temps le pansement complexe au prix de la nomenclature – où va le reste ? Et Mme Hubert, présidente de la Fédération nationale des établissements d'hospitalisation à domicile (FNEHAD) conteste les tarifs opposables à la sécurité sociale : elle voudrait descendre en dessous des tarifs de la sécurité sociale…
Nous avons publié le coup de gueule d'une infirmière libérale du Vaucluse, intitulé « Comment se faire jeter comme un Kleenex par l'HAD », où elle témoigne de la façon dont sa patiente a été prise en charge par l'HAD contre sa volonté au moment même où celle-ci requiert une prise en charge beaucoup plus légère. Sur les réseaux sociaux, beaucoup d'infirmières ont confirmé connaître ce genre de situation.
Dans son rapport de 2015 sur l'hospitalisation à domicile, la Cour des comptes a constaté l'existence d'étude médico-économique comparant l'HAD à l'hospitalisation complète, tout en regrettant l'absence d'étude comparative de ce type entre l'HAD et les soins de ville. C'est mal connaître les productions des professionnels. En effet, mon syndicat et le Syndicat national des prestataires de santé à domicile (SYNALAM) ont commandé en 2011 au cabinet Jalma une étude comparant le coût global d'une perfusion pour chimiothérapie selon trois modes de prise en charge : hôpital de jour, hospitalisation à domicile, et professionnels libéraux. Il ne s'agit pas d'une étude réalisée par les pouvoirs publics mais son auteur s'est identifié : il s'agit de Jean-Marc Aubert, directeur délégué à l'offre de soins de la Caisse nationale d'assurance maladie. Cette étude médico-économique, qui prend en compte les frais des prestataires de santé, les honoraires infirmiers, les consultations du médecin généraliste, le transport sanitaire et la biologie, montre que la prise en charge libérale est 60 % moins chère que l'hôpital de jour et 40 % moins chère que l'hospitalisation à domicile. Je tiens cette étude à votre disposition.
Un grand nombre d'infirmières libérales nous ont remonté les problèmes qu'elles rencontrent sur le terrain. Généralement, après l'hospitalisation de leurs patients, ceux-ci ne sont plus pris en charge par l'infirmière libérale, mais sont captés par l'HAD, alors que les soins ne sont pas forcément complexes.
Convergence infirmière a alors diffusé un questionnaire auprès d'infirmières libérales afin de recueillir leur témoignage. Sur les 1 800 réponses reçues, seules 252 ont indiqué que les patients nécessitaient une hospitalisation à domicile pour des raisons techniques – nécessité de matériels particuliers pour les pansements, notamment, comme le traitement de plaies par pression négative. Les autres actes effectués en HAD étaient des injections simples, des perfusions simples, des soins de nursing simples, voire des préparations de piluliers et des pansements pas forcément complexes. Cette enquête, que nous pouvons vous remettre, montre que les infirmières sont très en colère : pour elles, l'HAD vient au pied du lit récupérer des patients, en faisant parfois intervenir des assistantes sociales ; les infirmières libérales ne sont quant à elles jamais contactées ; et le patient a même l'obligation d'entrer dans l'HAD pour pouvoir sortir de l'hôpital, autrement dit, le retour à domicile est conditionné à l'entrée en HAD – ce genre de cas est récurrent. Nous trouvons cette situation inquiétante, car les infirmières libérales peuvent effectuer tous les soins à domicile – et elles le font depuis un grand nombre d'années.
Selon le rapport de la Cour des comptes, la coordination serait un critère pour entrer en HAD : cela nous semble étonnant. En effet, la coordination est possible à condition d'évaluer le patient, et lorsque les services d'hospitalisation à domicile font intervenir des infirmières libérales, comme c'est souvent le cas, ce sont elles qui font l'évaluation du patient et rendent compte à l'HAD. En clair, l'HAD fait de la coordination, mais uniquement administrative.
Au mois de janvier, un de mes patients a été pris en charge en HAD. Or il était simplement en nursing, avec des piluliers à préparer pour la semaine. Le staff de coordination n'a jamais existé, alors qu'une réunion de coordination doit normalement mettre en place l'HAD. Chaque semaine, j'étais appelée par une aide-soignante de l'hôpital pour renouveler le traitement, ce qui est aberrant. Le vendredi, je devais faire une prise de sang pour un bilan complet, et, le lundi, j'en avais une autre tout aussi importante à faire – que d'argent perdu ! Au total, la prise en charge de ce patient a coûté entre 250 et 400 euros par jour, alors qu'une infirmière libérale aurait pu faire le même travail pour seulement 38,50 euros.
Pour éviter la rupture de continuité des soins, est souvent évoqué le fait que la structure HAD est suffisamment puissante pour assurer une surveillance 24 heures sur 24 – ce qui en réalité n'est pas systématique. Sur ce sujet central, quelle est votre réponse en termes organisationnels ?
Les structures HAD travaillent la plupart du temps avec des infirmiers libéraux ; autrement dit, ce sont les infirmiers libéraux qui assurent la continuité des soins. C'est donc un premier problème : l'HAD n'a pas le personnel pour assurer les soins – à Lyon notamment, des infirmières salariées sont employées pour faire uniquement les nuits. En Aquitaine, l'Union régionale des professionnels de santé (URPS) a mis en place une structure pour répondre aux appels de nuit grâce à l'intervention des infirmiers libéraux. Cette initiative intéressante pourrait être reproduite.
Cela existe aussi en Auvergne.
Notre syndicat a la particularité de fédérer des infirmières salariées, dont certaines ont un exercice mixte – clinique et libéral. Nous avons trois attentes.
D'abord, nous aimerions que le rôle des infirmières coordinatrices soit renforcé. La coordination est en effet importante, car elle permet un meilleur suivi du patient.
Ensuite, nous souhaitons que l'identification de l'infirmière libérale habituelle soit facilitée. Actuellement, le médecin référent est identifié, mais le lien hôpital-ville est plus difficile car les patients ne connaissent pas toujours les coordonnées de leur infirmière libérale, qu'ils appellent souvent par leur prénom – ils n'ont pas toujours leur nom ou leur adresse mail. Certes, tous les services hospitaliers ne font pas une transmission vers les infirmières libérales, mais si l'infirmière libérale habituelle était plus facilement identifiée, elle pourrait être associée à la sortie du patient.
Enfin, nous souhaitons que les critères d'inclusion entre HAD, SSIAD et infirmiers libéraux soient revus. En effet, nous constatons, nous aussi, tout et n'importe quoi. De surcroît, les hôpitaux qui gèrent un service HAD font face à une injonction forte : le développement de l'ambulatoire – ils doivent « faire du chiffre » en mettant des gens dans leur structure HAD. Par conséquent, des patients se retrouvent en HAD sans forcément en relever.
Je vous remercie de nous avoir convoqués pour parler de ce sujet brûlant.
Au nom de mon syndicat, je partage tout ce qui vient d'être dit. Mais il faut voir le côté positif de l'HAD : dans certains endroits, on en a besoin dès lors que les critères d'inclusion sont bien acceptés. Dans les Pyrénées, par exemple, je connais des adhérents satisfaits de travailler avec des structures HAD auxquelles ils font parfois eux-mêmes appel. En zone de montagne ou à la campagne, éloignées des structures hospitalières, les infirmières sont heureuses de pouvoir faire appel à l'HAD qui les aide à prendre en charge des patients en soins lourds qui souhaitent rester à domicile. C'est une vraie demande des patients dans ces zones où l'attachement au domicile est très fort.
Par contre, la décision de prise en charge en HAD devrait être du ressort des infirmiers libéraux et du médecin traitant – nous voulons être sollicitées sur le sujet. Ce n'est pas à l'agence régionale de santé (ARS) ni au médecin hospitalier d'en décider. Souvent, le médecin hospitalier fait appel à l'HAD parce qu'il ne nous connaît pas ; pourtant, nous avons le même diplôme que les infirmières exerçant à l'hôpital ! Pourquoi les infirmières libérales ne pourraient-elles pas faire à domicile les mêmes soins que ceux des infirmières à l'hôpital ?
En tant qu'infirmière depuis trente-cinq ans, je sais qu'il est nous est impossible de prendre en charge un patient sans faire de coordination. J'en ai toujours fait, et tous les infirmiers aussi. Certes, elle n'est certainement pas lisible – elle n'est pas facturable –, mais qu'on ne me dise pas qu'il faut mettre en place des dispositifs pour faire de la coordination ! Les personnels de l'HAD ne viennent pas au lit du patient : nous ne les voyons jamais ! Comment faire de la coordination sans connaître le patient, son entourage, son environnement ? La coordination, ce sont les infirmières libérales qui la font !
Les critères d'inclusion devraient être revus, car l'HAD n'est pas justifiée dans certains cas. Souvent, l'HAD est mise en place au mépris du choix du patient de faire appel à son infirmière libérale. Parfois même, les patients sont désinformés sur les possibilités de prise en charge par les infirmiers libéraux habituels. Pis, certains malades subissent un chantage, le retour à domicile leur étant présenté comme conditionné à l'hospitalisation à domicile – un de mes patients a été envoyé en unité de soins palliatifs pour avoir refusé l'HAD. L'hospitalisation à domicile pour des sorties en postopératoire est-elle justifiée ? Les infirmiers libéraux sont tout à fait aptes – nous le faisons depuis très longtemps – à prendre en charge les sorties d'hospitalisation précoces. Le développement de l'ambulatoire devrait s'appuyer sur nos compétences.
Dans la majorité des cas, la coordination HAD reste très administrative. Les équipes médicales font souvent appel à des infirmiers libéraux pour les soins : un patient atteint d'un cancer sera pris en charge en HAD, mais c'est l'infirmier libéral qui assurera la surveillance et la fin de chimiothérapie. Quel est l'intérêt de placer un patient en HAD si toute la coordination est réalisée par les infirmiers libéraux et les services HAD totalement absents durant cette période ? Y a-t-il une économie ?
Enfin, l'hospitalisation à domicile est beaucoup plus lourde et moins réactive qu'une intervention en libéral. Un infirmier libéral appelé pour prendre en charge un patient dans la journée pourra le faire, alors que la mise en place de l'HAD requiert plusieurs étapes. Les infirmiers libéraux étant soumis à la continuité des soins, ils sont sur le terrain sept jours sur sept, y compris la nuit si besoin – notamment pour les patients sous perfusion. En outre, notre secteur étant très limité, nous pouvons nous déplacer plus facilement que les personnels HAD qui doivent souvent faire plusieurs kilomètres pour aller au chevet des malades. Cette réactivité des infirmiers libéraux pour se mobiliser sur le terrain est un élément très important.
Je connais une personne, qui se portait bien avant d'être hospitalisée – elle n'a donc pas d'infirmier habituel –, à qui on a proposé après son opération, soit le domicile, soit des soins de suite et de réadaptation. Elle a choisi son domicile, mais comme elle est sortie de l'hôpital au mois d'août, c'est le conjoint qui est allé chercher le lit médicalisé et qui a téléphoné dans toute la région pour trouver un infirmier pour la piqûre quotidienne – mais pas pour la toilette, que les infirmiers sont de moins en moins nombreux à faire car cela n'est pas assez payé, ce que je conçois. Du coup, le conjoint s'est fait mettre en arrêt maladie pendant un mois pour s'occuper de son conjoint. Ne croyez-vous pas que les choses auraient été plus faciles avec une hospitalisation à domicile, dont les équipes auraient fait venir le lit médicalisé ainsi qu'un infirmier salarié ou un infirmier libéral ? J'ignore si la lourdeur des soins méritait une HAD, mais au moins une coordination aurait été réalisée en amont pour la sortie d'hospitalisation. Ce sont les infirmiers libéraux qui assurent la coordination ; c'est vrai à partir du moment où une organisation s'est mise en place. Mais quand il n'y a pas d'HAD, la sortie d'hôpital peut être très problématique dans certains cas – tout le monde n'a pas un conjoint… Que faut-il inventer pour assurer le passage entre l'hospitalisation complète et le retour à domicile en lien avec le médecin traitant et les infirmiers libéraux du territoire ?
Les professionnels de santé libéraux peuvent avoir le sentiment que leurs patients, dont ils connaissent parfaitement l'environnement, leur sont pris par des structures administratives lourdes et onéreuses. Ces professionnels sont-ils en capacité de développer une prestation similaire à celle assurée par l'HAD, autrement dit une prestation au prix d'un SIIAD, mais également basée sur le partage des informations grâce aux données dématérialisées ?
L'HAD ne fait pas que se substituer à des infirmières libérales entourées d'autres professionnels : elle entraîne aussi des prolongations d'hospitalisation. Dans le cas du patient pris en charge en libéral que j'évoquais, l'infirmière, le médecin généraliste et le prestataire de santé à domicile ont géré le plus lourd de la complexité pendant des mois – sans HAD. Après une intervention hospitalière, ce patient a ensuite été placé en HAD pour rétablir la continuité des soins, mais cinq jours après, il allait parfaitement bien. Et comme il a fallu attendre plusieurs jours pour avoir le lit, cela a représenté dix jours d'hospitalisation en plus : faites vos comptes ! Le Québec, un pays très étatisé en matière de santé, a mis un terme à l'hospitalisation à domicile qui plombait le budget du pays.
D'ores et déjà, les infirmiers libéraux travaillent avec les prestataires de santé à domicile : le rôle des infirmières coordinatrices est d'organiser les sorties d'hôpital, l'installation du matériel, éventuellement l'information auprès de l'infirmière libérale.
Les gens les connaîtront quand ils auront un interlocuteur dédié pour leur expliquer.
Pour relever le défi de la chronicité lié au vieillissement des populations au XXIe siècle, l'Organisation mondiale de la santé (OMS) a préconisé à l'Europe de s'appuyer sur deux concepts : le médecin de famille et l'infirmière de famille. En France, le législateur a transposé dans la loi la notion de médecin de famille, qui est devenue « médecin référent » puis « médecin traitant », mais il a oublié l'infirmière de famille. Et tout le monde s'étonne aujourd'hui que l'infirmière assure la coordination, car elle en a les capacités, mais n'a pas la légitimité pour le faire ! Cette légitimité, nous la demandons depuis des années. Il faut arrêter de faire des États généraux de la santé, il faut arrêter d'organiser des négociations interprofessionnelles sur une année qui coûtent un pognon monstre et se terminent en règlement arbitral ! Il faut inscrire dans le marbre de la loi la notion d'infirmière de famille, comme l'a proposé Claude Greff dans un article additionnel à la loi Touraine, que la ministre a balayé d'un revers de la main. Nous vous demandons d'inscrire la notion d'infirmière référente dans la loi !
D'ores et déjà, nous travaillons avec Yvon Merlière pour alimenter le dossier médical personnel (DMP), et nous mettons au point avec l'Assurance maladie un bilan de soins infirmiers recensant toute la charge en soins sur une journée. Si vous votez la déclaration obligatoire à l'Assurance maladie de l'infirmière référente, le DMP permettra de référencer le médecin traitant et l'infirmière libérale référente, et le tour est joué ! Les infirmières libérales sont très au fait des nouvelles technologies : depuis des années, elles utilisent leur iPhone pour échanger avec les dermatologues des photos de plaies – de façon totalement illégale, parce que le Parlement ne légifère pas assez vite ! Donnez-leur les moyens de valoriser toute la richesse de ce recueil d'observations cliniques qu'elles font au quotidien !
Vous le voyez : les alternatives existent. Inutile de mettre en place une industrie nouvelle avec tous les lobbies et les conflits d'intérêts qui s'y rattachent. On est au coeur d'un conflit d'intérêts majeur actuellement : non seulement Mme Hubert, présidente de la FNEHAD, parle en France pour l'HAD, alors que la Fédération hospitalière de France (FHF) et la Fédération de l'hospitalisation privée (FHP) auraient leur mot à dire, mais sa société, HADFrance, ne devrait pas avoir le monopole sur ce sujet.
Je suis élue du Gers, un département rural. Selon vous, les maisons de santé pourraient-elles être une alternative à l'HAD dans les territoires ?
L'organisation sera très simple quand nos trois demandes seront satisfaites. Quand un patient sortira de l'hôpital, l'infirmière coordinatrice salariée déterminera la prise en charge la plus adaptée – HAD ou libéral – en fonction des critères d'inclusion. Elle pourra contacter une infirmière libérale pour le lit médicalisé, car elle disposera d'un listing. Si le dossier d'admission du patient intègre le nom de l'infirmière libérale habituelle, celle-ci sera identifiée et pourra être contactée en priorité. Dans ce travail de coordination, l'infirmière salariée de l'hôpital n'aura aucun intérêt économique – que le patient soit orienté en HAD ou en libéral, elle aura le même salaire – : elle sera capable de défendre des critères d'inclusion fiables devant la direction de l'établissement.
Quant aux maisons de santé, elles répondent à une demande des jeunes professionnels qui souhaitent, plus que les anciens, travailler ensemble pour être rassurés, échanger des informations et échapper à la lourdeur administrative d'un établissement.
La coordination est actuellement assurée par les infirmiers libéraux, dites-vous. Selon vous, la coordination fait-elle partie de vos missions ? Êtes-vous payés pour cela ?
Vous souhaitez que ce soit les infirmiers libéraux qui décident si le patient doit être pris en charge en HAD ou pas. Il me semble plutôt que cela relève de la responsabilité d'un médecin.
En fait, je faisais allusion tout à l'heure à l'équipe de ville, qui inclut le médecin.
Alors je suis d'accord, car l'infirmier libéral pourrait se référer au médecin traitant pour lui donner son avis, et c'est le médecin traitant qui déciderait.
Dans certains territoires, des médecins traitants ne connaissent pas l'HAD, tout comme des médecins hospitaliers ne la connaissent pas, même quand elle existe dans leur propre établissement.
La coordination est reconnue comme faisant partie de notre rôle. Elle n'est pas rémunérée, vous le savez aussi bien que nous.
M. Amouroux dit que l'infirmière salariée de l'hôpital sera capable de déterminer s'il faut mettre en place l'équipe de ville ou l'HAD, mais le problème est qu'elle ne nous connaît pas. C'est là que le bât blesse : les infirmières salariées et les infirmières libérales ne se connaissent pas, je le constate tous les jours, car elles n'ont pas appris pendant leur cursus comment les unes et les autres fonctionnent. Comme nous ne nous connaissons pas, nous ne nous parlons pas : ce sont les structures qui, de plus en plus, parlent aux structures.
Ensuite, vous proposez que le SIIAD prenne le relais. Mais des SIIAD font appel à nous car ils ne fonctionnent pas les samedis, dimanches et jours fériés !
Notre question porte justement sur la capacité organisationnelle à fournir une réponse à une inquiétude légitime : l'optimisation de la continuité des soins.
Vous vous demandez si l'HAD n'est pas le seul moyen, dans certains cas, de préparer la sortie d'hospitalisation. Si d'emblée, on savait à quel moment le patient peut sortir – et on le sait plus ou moins pour certaines pathologies, notamment en chirurgie –, les praticiens habituels du patient pourraient être contactés, et la sortie pourrait être parfaitement organisée par des équipes libérales de proximité. Le problème actuel est donc le manque d'anticipation de la part des établissements. En France, les sorties sont préparées au mieux la veille, voire le matin même pour le soir, alors que dans certains pays, elles le sont au moment de l'entrée du patient à l'hôpital.
Un patient en sortie d'hospitalisation n'a pas forcément tous les membres d'une maison de santé comme praticiens habituels – il peut avoir l'infirmier, mais pas le médecin. Les maisons de santé n'ont donc pas vocation à remplacer l'HAD contrairement aux équipes de coordination.
La compétence « coordination » nous est reconnue par la nomenclature générale des actes professionnels pour les soins palliatifs et les pansements lourds et complexes : ce sont des choses que nous faisons au quotidien. Nos critères de coordination sont très différents de ceux de l'HAD. Nous contactons le médecin traitant, les autres praticiens, la famille, et sommes en permanence au chevet du patient : nous connaissons son cadre de vie. L'infirmière coordinatrice, elle, est son bureau : elle n'est jamais au pied du lit du malade et ne sait pas forcément où il habite. La coordination HAD est donc essentiellement administrative.
Par conséquent, à partir du moment où nous aurons les outils – et a priori ils vont se mettre en place –, les équipes de proximité, que nous essayons de développer, seront en mesure de coordonner les sorties d'hospitalisation.
J'ai été très étonné de vous entendre dire que nous faisons de la coordination sans rémunération. L'avenant n° 3 à la convention nationale des infirmières et infirmiers libéraux a inscrit une nouvelle lettre clé « majoration de coordination infirmière » qui s'applique, dans un premier temps, aux pansements complexes et aux soins palliatifs. C'est une avancée majeure.
Pourquoi l'Assurance maladie a-t-elle négocié avec les syndicats infirmiers cette majoration de coordination – qui a coûté beaucoup plus cher que prévu initialement pour des raisons de volumes ? Sans trahir les propos du directeur général de l'UNCAM à l'époque, il nous avait été dit très clairement que l'Assurance maladie voulait mettre un frein au développement non contrôlé de l'HAD. Frédéric Van Roekeghem avait eu le même problème avec les soins de suite et les centres de rééducation, face auquel la solution avait été de les mettre sous entente préalable – mais le lobby de l'HAD est tel que l'Assurance maladie n'a pas eu le pouvoir de faire. Elle a donc préféré négocier avec les syndicats infirmiers une majoration de coordination sur les pansements complexes et les soins palliatifs afin de rendre ces prises en charge suffisamment attractives pour les infirmières et les amener à s'en emparer pour concurrencer naturellement l'HAD !
Vous évoquez, madame la rapporteure, la difficulté à trouver une infirmière. C'est vrai, car tout le monde n'a pas une infirmière de famille. Mais l'Assurance maladie a trouvé une solution en proposant le « programme d'accompagnement au retour à domicile après hospitalisation » (PRADO), ce qui évite les orientations vers des soins de suite inadaptés. Le premier PRADO mis en place a concerné le post-partum – à l'époque où 60 % de l'HAD portait sur le post-partum physiologique, ce qui a coûté un pognon montre ! Le deuxième PRADO a été proposé pour les suites d'une intervention en chirurgie orthopédique ; il évite des orientations systématiques en soins de suite et de réadaptation pour des prothèses de hanche dont les patients n'ont pas besoin. Un troisième programme est maintenant accessible pour les patients souffrant de problèmes cardiovasculaires. Le principe du PRADO est simple : un conseiller de l'Assurance maladie propose au patient un accompagnement personnalisé avec les praticiens libéraux de son choix – infirmière, kinésithérapeute, etc. –, mais si le patient n'a pas de praticiens libéraux habituels, le conseiller peut lui en proposer en consultant le répertoire Ameli qui comporte la liste de tous les professionnels avec leurs adresses.
Il serait dommage que, demain, la chirurgie ambulatoire soit prise en charge en HAD. En 2015, la première prothèse totale de hanche a été réalisée en chirurgie ambulatoire grâce au projet monté par des infirmiers libéraux en Picardie : le patient a pu regagner son domicile en fin d'après-midi après l'intervention le matin, et il a été pris en charge par une équipe purement libérale. Depuis, les chirurgiens jouent le jeu et dépassent même la liste des interventions éligibles à la chirurgie ambulatoire tant ils se sentent sécurisés : l'infirmière libérale prend en charge les patients le soir même, et plus aucun patient sorti à dix-sept heures ne revient à l'hôpital à vingt-trois heures parce qu'il a mal ou qu'il a peur.
Bref, les solutions existent – il n'y en a pas une, mais plusieurs. Nous avons des outils, certes perfectibles – il faut rajouter un peu de traçabilité. De belles expérimentations ont été menées : il faut les modéliser en s'affranchissant des considérations idéologiques : le doublement des lits en HAD ne réglera pas le problème de la coordination !
Pour Convergence infirmière, le problème réside dans le manque d'outils de coordination à notre disposition. Certes, nous travaillons sur le DMP, mais nous n'avons même pas ne serait-ce qu'une fiche de liaison entre l'hôpital et la ville ! Je ne compte pas le nombre de fois où nous nous retrouvons devant un patient le vendredi soir sans que l'infirmière ne sache de quoi il souffre – nous lisons le traitement et en déduisons sa pathologie… C'est catastrophique ! Et dans les deux sens : un minimum d'information devrait remonter vers l'hôpital ; des infirmières le font, parce qu'elles ont une certaine conscience professionnelle ou qu'elles ont acquis durant une formation sur le dossier de soins des notions sur la traçabilité au moyen des fiches de liaison. En tout état de cause, les outils informatiques actuels permettraient d'évoluer dans ce sens.
Nous prônons la mise en place d'équipes libérales pluri-professionnelles pour prendre en charge tout type de patient – nous avons un projet en la matière –, ainsi que la mise en place de plateformes d'appui libéral de coordination, sans lesquelles le lien entre l'hôpital et la ville ne se fera pas. Nous récupérons maintenant des patients très tôt après des chirurgies, parfois le jour même – j'en vois régulièrement –, qui cherchent parfois une infirmière : ces plateformes d'appui, en recensant les infirmiers, pourraient assurer ce lien de coordination – elles pourraient être mises en oeuvre par les unions régionales des professionnels de santé (URPS).
À l'image des centres locaux d'information et de coordination (CLIC) pour les personnes âgées.
S'agissant de la livraison du DMP à l'horizon 2017, les contacts sont-ils suffisants à votre sens ?
Lors d'un congrès, les infirmiers libéraux ont abordé la question du déploiement du dossier médical partagé, auquel nous croyons beaucoup. Couplé à la messagerie sécurisée, le DMP permettra le partage des données de santé entre professionnels de santé – domaine dans lequel nous sommes actuellement au degré zéro : quand nous voyons un patient en sortie d'hôpital avec une perfusion « 5FU », nous en déduisons qu'il a un cancer… M. Merlière, directeur du projet DMP, a reçu les quatre syndicats pour faire le tour de nos attentes.
Sur mon secteur, l'association d'infirmières que j'ai créée il y a vingt ans a mis en place une plateforme territoriale, pour assurer le lien entre l'hôpital et la ville. Les infirmières libérales ont de très bons contacts avec l'hôpital, avec lequel elles ont mis au point une fiche de liaison. J'ai également de très bons contacts avec les personnels HAD, qui ont un bureau dans l'hôpital où la liste des infirmières libérales de la région est affichée dans tous les services. L'infirmière coordinatrice peut donc, si besoin, fournir au patient le nom d'une infirmière proche de son domicile.
C'est vrai, le problème se pose de trouver un lit médicalisé pour un patient qui sort de l'hôpital un vendredi soir – quand le médecin traitant n'est plus joignable, que tout est fermé… Mais l'infirmière libérale est là 24 heures sur 24. Depuis vingt-cinq ans que je travaille en libéral, je n'ai jamais vu un médecin coordinateur au chevet de mes patients en HAD, dont les personnels n'assurent ni les permanences téléphoniques ni les permanences de nuit. Un de mes patients, que je connais depuis trente ans, a dû rester dix jours de plus à l'hôpital, car les personnels HAD avaient refusé de passer la nuit pour lui faire des perfusions toutes les quatre heures – si j'avais pu, je me serais occupée de mon patient qui m'a dit après coup : « on m'a demandé de passer en HAD »…
Ainsi, la relation hôpital-ville peut être assurée grâce à des plateformes mettant en contact les hospitaliers et les professionnels de santé de ville – pharmacien, médecin traitant, infirmière : le trio pour garantir une coordination efficace et une bonne sortie d'hospitalisation.
Les réseaux de soins auraient également leur pertinence pour cette coordination entre la ville et l'hôpital. Nous travaillons avec un réseau de soins orienté « douleurs et palliatifs » qui permet de faire appel aux libéraux habituels du patient : nous organisons sur le territoire ou sur la ville avec plusieurs professionnels de santé la sortie des patients – et il y a toujours une infirmière pour le faire, le jour comme la nuit.
Vous dites que le retour à domicile repose sur le trio médecinpharmacieninfirmier. Or les soins à domicile posent la question de savoir si le logement du patient est adapté ou si la famille est capable d'avoir un malade en permanence à domicile. Je pense donc que le retour à domicile doit aussi reposer sur d'autres professionnels : psychologues, ergothérapeutes, assistantes sociales. Comment ces professionnels, qui ne travaillent pas forcément en libéral, pourraient-ils intervenir sans lien avec une structure ? Et sans HAD, quelle structure faudrait-il mettre en place pour des soins exclusivement libéraux ?
Ensuite, que pensez-vous de l'HAD en établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) ou en établissement médico-social pour personnes handicapées ?
Cela fait quinze ans que les infirmières libérales ont été virées des établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes ! L'État est très fautif, car il s'est occupé de faire rentrer l'HAD dans les EHPAD alors que cela a un coût faramineux. Il serait donc bienvenu de faire revenir les infirmières libérales dans les EHPAD.
Quant à l'environnement du patient, quand il a besoin d'une assistante sociale, j'appelle moi-même une assistante sociale, tout simplement !
Quand les équipes HAD nous appellent le vendredi matin pour une sortie d'hôpital le soir même, comme cela arrive souvent, croyez-vous qu'elles se soucient de l'environnement du patient, de l'intervention de l'assistante sociale ou du portage des repas, etc. ? Dans la majorité des cas, non !
Le rapport de la Cour des comptes porte sur les outils à mettre en place pour développer l'HAD. Mais le problème n'est pas là ! Pourquoi développer l'HAD, alors qu'on ne sait pas encore si elle est justifiée et efficiente ? Heureusement que vous nous avez convoqués. Les trois recommandations de la Cour des comptes en 2013 n'ont pas été mises en oeuvre et, deux ans plus tard, on se demande comment doubler le nombre de lits en HAD. Je ne comprends pas !
Vous dites qu'il est difficile de trouver une infirmière au mois d'août. Mais pourquoi cela serait-il plus difficile au mois d'août qu'au mois de janvier ou qu'au mois de décembre ? Nous sommes soumis à la continuité des soins ! Bien sûr, je peux être surchargée si mon associée est partie en vacances, mais nous nous connaissons entre infirmières libérales et nous nous débrouillons toujours pour envoyer quelqu'un.
Je suis très étonnée de vous entendre dire que la coordination ne peut pas fonctionner sans une structure. J'exerce au sein du premier regroupement pluridisciplinaire créé en France en 1975 à l'initiative de trois médecins, dans le cadre duquel douze infirmières travaillent aux côtés de médecins et de spécialistes. Cela facilite beaucoup les choses. Mais cela facilite aussi les choses pour l'hôpital qui peut, s'il n'y a pas de services HAD, appeler le secrétariat du regroupement pluridisciplinaire. Ce regroupement disciplinaire n'a rien à voir avec une maison de santé : nous n'avons reçu aucune subvention, nous travaillons simplement ensemble. Je pense que ce modèle va se développer, car il répond à un besoin. Vous le voyez : des outils sont d'ores et déjà mis en place, y compris dans des endroits reculés, comme le Gers ou les Pyrénées, où Internet ne passe pas…
Quand je parlais de structure, j'évoquais un outil qui permette une coordination entre l'hôpital et le libéral. Cet outil peut être l'HAD si elle est justifiée ; dans les autres cas, on peut l'appeler coordination, structure ou plateforme, peu importe. Il manque un outil, car si certains hôpitaux fonctionnent très bien avec les professions libérales, ce n'est pas forcément le cas pour les très gros hôpitaux.
Vous avez raison : ce sont les outils qui manquent, et pas les structures. Pour le partage d'informations, il faut mettre en place des protocoles, des procédures.
Vous dites qu'il faudrait faire intervenir des assistantes sociales, des ergothérapeutes, etc. Mais pour soigner une femme atteinte d'un cancer du sein, l'infirmière de famille prend en compte sa situation personnelle : est-elle divorcée, en instance de divorce, a-t-elle des enfants, quels sont ses revenus ? Nous l'avons vu avec les CLIC : les assistantes sociales ne sont jamais joignables, car elles sont en RTT, en formation, en staff… ; les ergothérapeutes fraîchement sorties de leur école appliquent des procédures, elles commandent le siège de bain le plus cher dont le patient n'a pas besoin – une petite planche à 25 euros aurait suffi. Bref, le gros bazar de l'ergothérapeute, non seulement nous ne l'utilisons pas parce qu'il n'est pas adapté, mais il grève l'aide personnalisée d'autonomie (APA) de 300 euros dès le premier mois ! Pour ma propre belle-mère, après avoir tout essayé – ADMR, CLIC, etc. –, j'ai fini par virer tout le monde, y compris les assistantes sociales, pour faire appel à deux infirmiers libéraux et à une brave fille payée en chèque emploi service : c'est plus efficace qu'une infrastructure qui fonctionne avec le fric du conseil général, autrement dit avec nos impôts !
La multiplication des intervenants perturbe le patient, ce qui engendre souvent de gros problèmes.
Merci de ces témoignages sincères et spontanés qui nous apportent un éclairage passionnant sur la réalité du terrain.
La séance est levée à onze heures cinq.