Délégation de l'assemblée nationale aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes

Réunion du 2 avril 2013 à 17h30

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • complicité
  • excision
  • excisée
  • fille
  • force
  • incitation
  • lutte
  • mutilation
  • pratique

La réunion

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La Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes a procédé à l'audition de Maître Linda Weil-Curiel, avocate au Barreau de Paris, accompagnée de Mme Nathalie Almada, juriste, membre de l'Association Commission pour l'abolition des mutilations sexuelles (CAMS).

L'audition débute à dix-sept heures trente.

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Nous accueillons Maître Linda Weil-Curiel, avocate au Barreau de Paris, qui est accompagnée de sa collaboratrice Mme Nathalie Almada.

Notre Assemblée examinera le 18 avril le projet de loi portant diverses dispositions d'adaptation dans le domaine de la justice en application du droit de l'Union européenne et des engagements internationaux de la France.

Nous auditionnerons demain à 17 heures 30 notre collègue Marietta Karamanli, rapporteure de la commission des Lois sur ce projet qui devrait permettre deux avancées importantes. Il permettra d'abord à notre pays de ratifier la convention du Conseil de l'Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l'égard des femmes et la violence domestique, signée à Istanbul le 11 mai 2011. Si mes informations sont exactes, la France serait le deuxième pays à ratifier cette convention après la Turquie, sachant qu'il en faut dix – dont huit membres du Conseil de l'Europe – pour qu'elle entre en vigueur.

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Maître Linda Weil-Curiel, avocate au Barreau de Paris

Le Portugal l'a ratifiée il y a quelques semaines.

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Cette convention vise à lutter contre les violences faites aux femmes et aux filles, en particulier toutes les mutilations génitales féminines. Le projet de loi transpose également la directive du Parlement européen et du Conseil du 5 avril 2011 (201136UE ) concernant la prévention de la traite des êtres humains et la lutte contre ce phénomène ainsi que la protection des victimes. Nous devrions déposer prochainement une proposition de loi permettant de lutter contre la traite et la prostitution des femmes victimes de réseaux.

Maître, vous êtes une avocate réputée dans le domaine de la lutte contre les mutilations génitales féminines et les violences envers les femmes. Nous entendrons donc avec intérêt votre point de vue.

La transposition de la directive concernant la prévention de la traite des êtres humains vous paraît-elle complète ?

S'agissant de la lutte contre les mutilations génitales, un point pose plus particulièrement problème. Il n'est pas possible de « sexuer » les dispositions du code pénal, pas plus que notre droit en général, celui-ci devant rester neutre sous peine de voir la loi portée devant le Conseil constitutionnel au motif qu'il y a discrimination. Aussi le texte sera-t-il assez protecteur pour les victimes de mutilations génitales, de mariages forcés ou d'avortements forcés ? La commission des Lois a examiné le projet de loi : il semble qu'il améliorera notre cadre juridique puisque ceux qui incitent à ces mutilations seront incriminés au même titre que ceux qui y procèdent.

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Maître Linda Weil-Curiel, avocate au Barreau de Paris

Je n'approuve pas du tout l'expression de mutilations génitales féminines – bien qu'il figure dans un certain nombre de textes. C'est un anglicisme. L'Académie de médecine a d'ailleurs entériné en 2004 celle de mutilations sexuelles féminines. En effet, les actes dont il est question ne s'attaquent pas à la fonction reproductrice, mais à la vie sexuelle et au plaisir féminin procuré par le clitoris, qui est un organe sexuel, et non génital. Je suis donc irritée que même en France, on parle de mutilations génitales féminines. Nous devrions mieux défendre notre langue ! On ne parle qu'anglais dans les forums internationaux ; il faut souvent plusieurs mois pour que les textes soient disponibles en français. Par exemple, le dernier rapport de l'Institut européen pour l'égalité entre les hommes et les femmes (EIGE), qui porte sur les mutilations sexuelles – genital dans le texte – féminines, n'est disponible qu'en anglais. Alors que la France est pionnière en matière de lutte contre les mutilations sexuelles féminines, mais aussi de prévention, pas un seul Français ou une seule Française n'a contribué à cette étude, qui aborde la question des poursuites pénales.

Mon expérience en la matière remonte à 1982. À l'époque, nous n'avions pas tous ces textes, qui sèment la confusion dans la mesure où ils peuvent être contradictoires et offrent la possibilité d'ergoter sur leur application. La mutilation est reconnue comme un acte de nature criminelle par le code pénal ; et selon le dictionnaire, l'excision est une mutilation. J'ai donc pu plaider que l'excision devait être jugée par la cour d'assises, et qu'il n'y avait pas lieu de distinguer entre la mutilation de tel ou tel organe et la mutilation sexuelle infligée à une petite fille noire. S'il s'agissait d'une petite fille blanche, il n'y aurait aucune hésitation : ce serait un scandale et un crime. C'est ainsi que j'ai commencé il y a trente ans. Les textes sont explicites. Je dois dire que le code pénal, tel qu'il existait avant la réforme de 1994, se lisait et se comprenait aisément.

Le projet de loi dont vous me parlez introduit dans le code pénal un nouvel article 227-24-1 ainsi rédigé : « Le fait de faire à un mineur des offres ou des promesses ou de lui proposer des dons, présents ou avantages quelconques, ou d'user contre lui de pressions ou de contraintes de toute nature, afin qu'il se soumette à une mutilation sexuelle est puni, lorsque cette mutilation n'a pas été réalisée, de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende. »

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Il permet de poursuivre l'incitation à la mutilation, donc les membres de la famille ou les autres personnes qui emmènent les petites filles au pays pour les faire exciser.

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Maître Linda Weil-Curiel, avocate au Barreau de Paris

C'est l'exemple type d'un texte inutile, qui méconnaît la façon dont les choses se passent réellement. Tout cela est en fait d'une extrême brutalité. Les parents n'en parlent pas à leurs petites filles : elles sont empoignées par des femmes, maintenues par terre les jambes écartées ; on prend la lame et on coupe. Je vous ai apporté le DVD qui a été réalisé dans une optique de prévention au Burkina Faso. Il s'intitule « Boîte à images pédagogiques pour mettre fin à l'excision ». Vous comprendrez en le visionnant – si vous avez le coeur bien accroché – qu'il n'est question ni d'incitation, ni de promesses.

Nous avons commencé à réprimer cette pratique en France, et à faire de la prévention dans le cadre de la protection maternelle et infantile (PMI), qui est un lieu privilégié pour cela puisque les enfants y bénéficient gratuitement d'un suivi médical de qualité de la naissance à six ans. Lorsque les familles l'ont compris, elles ont cherché à contourner la loi. La mère part au pays pour y passer des vacances ou rendre visite à la grand-mère mourante, en emmenant sa fille – mais pas son fils. Au retour, la PMI ne peut que constater que l'enfant a été excisée et faire un signalement. Interrogée, la mère explique le plus souvent qu'elle était en visite au village voisin lorsque cela s'est produit et qu'elle a été mise devant le fait accompli.

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Je ferai part de votre opinion à Mme Karamanli, qui se félicitait de cette nouvelle incrimination. Dans mon esprit, le fait d'inciter un mineur à subir une mutilation sexuelle recouvrait celui de l'avoir emmené au pays, que la mère ait été présente au moment de l'excision ou pas.

Il est vrai que les filles et parfois leur mère subissent une terrible pression de la part des membres de la famille : je connais à Poitiers une femme djiboutienne dont la mère est députée et lutte contre l'excision. C'est elle qui a envoyé sa fille à Poitiers, de crainte que l'autre grand-mère de ses petites-filles ne profite de son absence pour les faire exciser – alors même que leurs parents ne le veulent pas.

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Maître Linda Weil-Curiel, avocate au Barreau de Paris

Je me suis fait mon opinion à partir de tous les dossiers que j'ai plaidés en cour d'assises.

La mère explique donc que ce n'est pas de sa faute si sa fille a été excisée, et qu'elle était absente lorsque cela s'est produit. Mais quand l'enfant est en âge de parler devant la Brigade de protection des mineurs, on découvre le plus souvent qu'en réalité, elle était là ! Le père n'est jamais incriminé ; il n'y est jamais pour rien. Mais qui a payé les billets d'avion ? Qui a envoyé sa fille au pays sans assurer sa protection ? D'ailleurs, vous pouvez me croire : il lui suffirait de dire qu'il n'enverra plus un sou au village si on touche à sa fille pour que celle-ci revienne intacte.

Dans un autre dossier que j'ai plaidé, une enfant de six ans et trois mois est partie au pays avec ses deux grandes soeurs respectivement âgées de treize et quatorze ans, qui n'avaient pas été excisées en France. On pouvait donc penser que la prévention et la répression avaient porté leurs fruits, que les familles avaient compris. Que nenni ! Les aînées ont été séquestrées, mutilées, coupées, et même mariée pour la plus âgée – je dis violée, car le mariage forcé se traduit par des relations sexuelles obligées. Le père a fait valoir qu'au Mali, la majorité sexuelle était fixée à quinze ans. Le procès-verbal est cauchemardesque : la jeune fille explique qu'elle était obligée de dire oui pour pouvoir espérer rentrer en France. C'est cela – la complicité de mutilation et de viol – qu'il faut punir, et non une quelconque incitation, qui n'existe pas.

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J'avais compris que l'adaptation de notre législation à la convention d'Istanbul par l'article 16 du projet de loi permettrait d'incriminer non plus seulement celui qui fait l'acte, mais celui qui incite, c'est-à-dire notamment celui qui accompagne l'enfant au pays, même lorsque cette incitation n'a pas été suivie d'effets. Selon vous, ce ne serait donc pas le cas ?

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Maître Linda Weil-Curiel, avocate au Barreau de Paris

Non. Nous parlons de complicité. Or il n'y a pas d'incrimination qui puisse tenir s'il n'y a pas un acte matériel de complicité – par exemple l'achat des billets d'avion. En réalité, les parents savent bien à quoi s'en tenir. Lorsqu'on les interroge, ils reconnaissent d'ailleurs que l'excision est pratiquée dans leur famille et dans leur village. Qu'ils n'y envoient donc pas leur fille – sauf s'ils peuvent démontrer qu'ils ont pris toutes les précautions nécessaires pour assurer sa protection. Les parents qui ont été condamnés l'ont tous été pour complicité : lorsque cela se passe en France, ce sont eux qui se mettent en quête d'une exciseuse, qui lui amènent l'enfant et qui la payent. Nous avons ici des actes matériels qui sont directement liés à l'excision, et c'est ce qui m'a permis d'obtenir la condamnation. Celui qui se rend coupable d'un délit de complicité est en effet puni par notre droit et notre jurisprudence des mêmes peines que l'auteur principal de l'acte, c'est-à-dire celui qui tient la lame.

En droit, la tentative est punissable si elle est interrompue par le fait d'une volonté ou d'un facteur extérieur à la personne. L'arrêt spontané, lui, n'est pas punissable. Ce sont des dispositions qui datent du code Napoléon, et qui sont applicables. Le projet de loi prévoit de réprimer l'incitation à la mutilation « lorsque celle-ci n'a pas été réalisée ». En tant que praticienne, je vois mal comment cette disposition pourra être mise en oeuvre concrètement. La seule façon de le faire – mais elle supposerait une autre rédaction – serait de pouvoir incriminer les prêcheurs pour incitation verbale. On pourrait ainsi envisager de modifier l'article 24 de la loi du 19 juillet 1881 sur la presse – qui réprime les provocations – ou de s'en inspirer pour créer un délit spécifique relatif aux mariages forcés et aux mutilations sexuelles.

S'agissant des mariages forcés, je vous suggère d'inclure dans l'article 2-3 du code de procédure pénale la constitution de partie civile des associations lorsque l'union est imposée à une mineure. C'est en effet cet article que j'ai utilisé pour « m'infiltrer » dans les procès dans les affaires d'excision, en tant que partie civile au nom d'une association.

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Vous considérez que la rédaction de l'article 227-24-1 – qui parle de faire des offres ou des promesses, de proposer des dons, des présents ou des avantages quelconques, d'user de pressions ou de contraintes de toute nature – n'est pas assez large pour appréhender toutes les situations, notamment le fait d'emmener l'enfant au pays en ayant connaissance du risque qu'elle encourt. Est-ce à dire qu'il faudrait compléter la liste des incitations ? L'étude d'impact explique bien l'objet de cet article : si l'incitation est suivie d'effets, les faits peuvent être poursuivis pénalement sur le fondement de la complicité de mutilation ; en revanche, l'incitation non suivie d'effets n'est pas réprimée par le code pénal, puisque la complicité suppose la commission d'une infraction pénale – d'où l'intérêt de cet article.

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Maître Linda Weil-Curiel, avocate au Barreau de Paris

Je dis simplement que cette rédaction méconnaît la façon dont se déroulent les faits. On n'incite pas une enfant à se faire exciser : on la prend, on coupe et c'est tout.

D'autre part, nous avons déjà dans le code pénal un article qui sanctionne la complicité. Jusqu'à présent, tous les parents qui ont été condamnés l'ont été pour faits de complicité, puisque ce sont eux qui amènent l'enfant à l'exciseuse et qui la payent.

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L'article 227-24-1 serait donc contre-productif, puisqu'il suppose d'apporter la preuve de l'incitation – en l'occurrence la violence.

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Maître Linda Weil-Curiel, avocate au Barreau de Paris

Je ne vois pas son intérêt : il laisse supposer que l'on peut demander son avis à l'enfant.

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Avez-vous souvenir de cas dans lesquels vous n'avez pas réussi à plaider cette complicité des parents devant les tribunaux ?

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Maître Linda Weil-Curiel, avocate au Barreau de Paris

Non. La police mène ses investigations et entend les parents. En pratique, cela ne se passe jamais sans leur accord. Ils ont longtemps invoqué la religion. Nous avons donc fait un effort de pédagogie pour faire comprendre que l'excision n'était pas un impératif religieux. Désormais, ils invoquent leur tradition et leurs coutumes. L'excision répond donc bien à une volonté des parents. Il arrive certes qu'elle se fasse à leur insu, mais ce sont eux qui ont laissé leurs enfants « à disposition ». Les parents qui ne veulent pas que leur fille soit excisée ne l'envoient pas au pays sans garantir sa sécurité !

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D'autant que l'excision peut se faire tardivement, comme dans le cas que vous citiez tout à l'heure.

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Maître Linda Weil-Curiel, avocate au Barreau de Paris

Il existe plusieurs stratégies de contournement de la loi. Le plus grave est que ces enfants sont détruites par leur séjour sur place. S'il se prolonge quelques années, elles oublient le français. Souvent, elles ne rentrent en France que pour accoucher. C'est pourquoi il serait souhaitable de sensibiliser les cliniques et les hôpitaux sur les accouchements de mineures – car le plus souvent, elles n'osent pas parler de ce qui leur est arrivé. Même si elles sont en colère, elles savent en effet que cela peut se retourner contre leurs parents. Elles ravalent donc leur souffrance.

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Le médecin ou la sage-femme qui les accouche constate bien qu'elles sont excisées. Le corps médical ne peut-il rien faire ?

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Maître Linda Weil-Curiel, avocate au Barreau de Paris

Il devrait y avoir un signalement. Je me permets d'ailleurs de vous suggérer d'auditionner le Docteur Emmanuelle Piet, qui mène la campagne de prévention en Seine-Saint-Denis depuis 1984. Son expérience de terrain vous serait précieuse.

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L'incrimination du discours des prêcheurs ne pourrait bien sûr se faire que pour ceux qui résident sur le territoire français. Selon vous, les parents sont-ils influencés par ce discours-là, ou plutôt par celui de prêcheurs de leur pays d'origine ?

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Maître Linda Weil-Curiel, avocate au Barreau de Paris

Influencer, c'est beaucoup dire. Rien n'empêchera des parents de faire exciser leur fille si cela se pratique dans leur famille et qu'ils y sont décidés. Mais ils peuvent y être encouragés par des prêches – qui ne sont pas toujours en français, ce qui complique la tâche. Nous savons en effet que certains appellent les fidèles à ne pas abandonner leurs traditions et à ne pas se laisser assimiler. Il y a quelques années, les Maliens de France avaient adressé à M. Toubon, alors ministre de la Justice, une lettre le priant de faire cesser l'intervention des assistantes sociales dans leurs familles : ils estimaient qu'elles semaient la perturbation en encourageant les femmes à prendre conscience de leurs droits et à les revendiquer.

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Comment faire en sorte que le droit français soit appliqué aux jeunes filles nées et vivant en France, qui sont mariées de force dans le pays d'origine de leur famille ?

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Maître Linda Weil-Curiel, avocate au Barreau de Paris

Là encore, il y a une question de vocabulaire. C'est une facilité de parler de mariage forcé. Employer ce terme pour une enfant qui a été mariée au pays, alors qu'elle est née en France et donc française, c'est en quelque sorte légitimer la contrainte à laquelle elle a été soumise. Non, ses parents ne l'ont pas mariée : ils ont organisé les conditions de son viol. Ce n'est pas un mariage, mais une « union » contrainte et forcée, menant au viol. Employer le terme de mariage forcé revient à atténuer cet acte.

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Comment peut-on les protéger, qu'elles soient ou non Françaises ?

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Maître Linda Weil-Curiel, avocate au Barreau de Paris

La protection de la loi s'applique aux personnes dont la résidence principale est en France. Mais il ne faut pas se méprendre, les mariages forcés se font aussi en France. C'est en 1995 que Madina Diallo – qui a été mon mentor – a attiré mon attention sur ces filles de treize, quatorze ou quinze ans qui allaient à l'école, mais que leurs parents enfermaient le week-end dans une chambre avec le « mari ». Je le répète, cela se passait en France ! Aujourd'hui, on trouve plus simple de les envoyer au pays. Lorsqu'elles reviennent en France, le « mari » demande à venir aussi ; et c'est là qu'a lieu le mariage à la mairie.

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Nathalie Almada

Les jeunes filles mariées de force au pays ont les plus grandes difficultés à revenir en France, puis à parler de ce qu'elles ont vécu, car elles sont détruites. C'est un long chemin à parcourir pour elles.

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Comment ces cas arrivent-ils à la connaissance des associations ?

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Nathalie Almada

Souvent par le bouche-à-oreille, parce qu'elles ont prévenu une camarade de lycée. Mais il y a hélas des jeunes filles que nous n'arrivons pas à faire revenir du Maroc ou du Mali, alors que nous sommes alertées de leur situation depuis un an.

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Maître Linda Weil-Curiel, avocate au Barreau de Paris

J'ai l'exemple d'un cas où le chef d'établissement a eu vent de la rumeur et a pu faire un signalement. Les parents des adolescentes ont été convoqués au commissariat, et ont dû prendre l'engagement que leurs filles ne reviendraient ni excisées, ni mariées.

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Maître Linda Weil-Curiel, avocate au Barreau de Paris

Oui, car les parents ont peur d'être vraiment sanctionnés – même si pour ma part, j'estime que les cours d'assises sont parfois d'un laxisme coupable. Pour marquer les esprits, les premières sanctions doivent être exemplaires. Or il y a eu des demi-mesures, et même du sursis dans certains cas. La Commission pour l'abolition des mutilations sexuelles (CAMS) qui est une association, a une antenne au Havre. Il y a quelques années, elle avait constaté que les femmes africaines, par ailleurs très dynamiques et très investies dans les associations, ne renoncent à l'excision que par crainte de la prison.

Le code pénal réprime déjà les violences contre une personne en raison de son refus de contracter un mariage ou de conclure une union. Il n'est pas besoin d'en dire davantage.

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Peut-il arriver qu'un parent s'oppose à un départ au pays et que la volonté de l'autre s'impose ? Le qualificatif de rapt d'enfant peut-il s'appliquer à ce cas et à celui des grands-parents – et notamment des grands-mères – qui organisent le voyage ?

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Maître Linda Weil-Curiel, avocate au Barreau de Paris

Cela supposerait que le parent opposé au départ porte plainte pour enlèvement. Mais un enlèvement est difficile à prouver : les deux parents ont le droit d'emmener leur enfant en vacances. Cela étant, j'ai vu des maris polygames porter plainte contre leur femme qui avait fait exciser leur fille pour se débarrasser d'elles…

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Et si des mères s'élevaient contre cette pratique et voulaient s'y opposer ?

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Maître Linda Weil-Curiel, avocate au Barreau de Paris

Il faudrait qu'elles vivent sous un autre toit, que cela se passe à leur insu, que l'enfant soit enlevée de force… Cela fait beaucoup de conditions ! Je n'ai encore jamais eu connaissance de tels cas.

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Est-il possible de faire la part de l'économique, c'est-à-dire du lucratif, et celle du culturel dans la pratique de l'excision ?

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Lors du Forum mondial des femmes francophones, qui a eu lieu récemment, l'ambassadrice du Burkina Faso m'a demandé comment la France pourrait aider son pays à lutter contre l'excision. Elle a insisté sur la dimension économique de cette pratique : au Burkina Faso, les exciseuses vivent de l'excision – c'est un métier. Cela pose le problème de leur reconversion.

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Maître Linda Weil-Curiel, avocate au Barreau de Paris

Il ne s'agit pas seulement d'argent dans ces pratiques, mais aussi d'avantages, parmi lesquels – je parle ici des mariages forcés – la nationalité française ou le droit au séjour.

En France, être exciseuse est très rémunérateur. Mais c'est aussi un statut social. Ces sociétés sont encore organisées en castes – les tisserands, les pêcheurs… Les forgerons sont investis d'un grand nombre de pouvoirs. Ce sont eux qui manient le métal. Les hommes circoncisent donc les garçons, tandis que les femmes – celles qui ont été initiées – ont le devoir social d'exciser. J'ai été surprise, au début de mon combat, d'entendre les parents – qui ne dénoncent bien sûr jamais l'exciseuse – expliquer que c'était pour elle un devoir social. Elle leur « doit » ce service. En 1999, lors d'un procès retentissant en cour d'assises – il y avait 24 parents dans le box des accusés – l'exciseuse, qui avait été dénoncée par une jeune victime, s'est défendue en expliquant qu'elle « devait ce service à ces nobles parents ». De fait, c'est son rôle, sa fonction sociale. On peut certes faciliter la reconversion de ces femmes, mais cela ne les dispensera pas de ce devoir aux yeux de leurs compatriotes. Pour l'anecdote, l'exciseuse dont j'avais obtenu la condamnation à huit ans de prison lors de ce procès, Hawa Gréou, a aujourd'hui rallié notre cause. Elle a le courage de s'exprimer dans les médias, alors qu'elle a été exclue de sa famille et de son cercle social. C'est moi qui l'ai défendue face à son mari pour lui obtenir une pension alimentaire qui lui permet de survivre. Elle a réfléchi : la prison lui a fait du bien.

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N'est-elle pas menacée de représailles ?

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Maître Linda Weil-Curiel, avocate au Barreau de Paris

Bien sûr que si. On lui a déchiré son livre, et elle a été rouée de coups. Tout cela pour vous dire qu'il y a des exciseuses sur le territoire français, mais qu'elles sont difficiles à identifier autrement que par leur nom, qui reflète la catégorie sociale à laquelle elles appartiennent.

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La pratique de l'excision concerne-t-elle aussi certains pays d'Asie ?

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Maître Linda Weil-Curiel, avocate au Barreau de Paris

Oui. Je pense notamment à l'Indonésie.

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En Égypte, 80 % des petites filles sont excisées, et il semble que la pratique gagne du terrain au lieu de reculer.

Au début de mon mandat de députée, j'ai eu à demander des papiers pour des mères qui n'avaient plus le droit de rester en France, mais ne pouvaient pas non plus être renvoyées dans leur pays, car elles avaient des petites filles de trois ou quatre ans, placées sous mandat de protection parce qu'elles risquaient d'être excisées. Nous appelions ces femmes des « ni-ni ». Mais le gouvernement français estime parfois que la politique de lutte contre l'excision est assez développée dans le pays d'origine – je pense à la Côte d'Ivoire ou au Burkina Faso – et qu'il n'y a pas lieu de placer les enfants sous protection. Or le fait que le pays mène cette lutte ne suffit pas à éradiquer la pratique.

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Maître Linda Weil-Curiel, avocate au Barreau de Paris

La Côte d'Ivoire et le Burkina Faso ont voté des lois. En Côte d'Ivoire, ce sont les peuples du nord – qui sont les mêmes qu'au Mali ou au Burkina Faso – qui excisent. Au Burkina Faso, des exciseuses ont été emprisonnées ; mais les familles se rendent au Mali pour faire exciser leurs enfants.

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A-t-on une idée de l'ampleur de la pratique de l'excision – et des mariages forcés – en France ?

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Maître Linda Weil-Curiel, avocate au Barreau de Paris

Notre pays ne s'est pas doté des instruments nécessaires. Le seul moyen de connaître le nombre des femmes excisées – et des enfants à risque – est de faire appel aux professionnels de la naissance et aux gynécologues. La PMI effectue désormais ce suivi – au moins à Paris et en région parisienne. Je ne sais pas ce qu'il en est ailleurs. Le dernier procès auquel j'ai participé avait lieu devant la cour d'assises de Nevers : c'était la première fois depuis 1982 qu'un tel procès se tenait en province.

La levée du secret professionnel des médecins et des autres professionnels de la santé ou de l'action sociale – c'est l'article 226-14 du code pénal – nous a cependant beaucoup aidés. Chaque fois que je suis sollicitée pour me rendre à l'étranger, j'insiste sur l'importance de la constitution de partie civile des associations et de la levée du secret professionnel dans la lutte contre l'excision.

Pour mémoire, l'article 226-14 prévoit que « l'article 226-13 – qui pose le principe du secret professionnel – n'est pas applicable dans les cas où la loi impose ou autorise la révélation du secret. En outre, il n'est pas applicable : 1° à celui qui informe les autorités judiciaires, médicales ou administratives de privations ou de sévices, y compris lorsqu'il s'agit d'atteintes ou mutilations sexuelles, dont il a eu connaissance et qui ont été infligées à un mineur ou à une personne qui n'est pas en mesure de se protéger en raison de son âge ou de son incapacité physique ou psychique (…) ». Cela couvre un champ très large, mais on pourrait ajouter, à la suite des mots « y compris lorsqu'il s'agit d'atteintes ou mutilations sexuelles », les mots : « de violences physiques ou psychologiques exercées dans un contexte d'incitation à contracter une union maritale ». Cela permettrait de créer comme vous le souhaitez une incrimination particulière pour les mariages forcés. Pour l'excision, cela me paraît plus difficile.

S'agissant des mariages forcés, je suggère à nouveau d'inclure dans l'article 2-3 du code de procédure pénale la possibilité de se constituer partie civile pour les associations. Le texte ne doit bien sûr pas préciser que ces mariages ont lieu à l'étranger, puisque cela se passe aussi en France.

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Un maire ne peut refuser de célébrer un mariage, sauf s'il a des doutes sur la sincérité de l'union, auquel cas il doit saisir le procureur de la République.

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Maître Linda Weil-Curiel, avocate au Barreau de Paris

Le problème est que la famille « reprend possession » de la jeune fille, même lorsque celle-ci l'a dénoncée. J'ai reçu une jeune fille que ses parents avaient « mariée » pour se débarrasser d'elle. Elle était obligée d'aller à l'hôtel chez son « mari ». Elle en était détruite, mais elle a eu le courage de porter plainte. Il y a eu une enquête ; les parents et le « mari » ont été inquiétés. Mais ils ont repris la main : je n'ai plus de nouvelles de la jeune fille ; sans doute a-t-elle renoncé à sa procédure.

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Mais dans les affaires de violences faites aux femmes, la procédure doit se poursuivre même lorsque la femme retire sa plainte. La surcharge de travail des parquets et des juges du siège est hélas bien connue.

Nous vous remercions de votre témoignage et de votre réflexion d'avocate, que l'on sent nourrie d'une expérience qui nous sera précieuse.

Nous aurons l'occasion de travailler à nouveau sur ces sujets dans le cadre du projet de loi sur le droit des femmes que défendra Mme Vallaud-Belkacem, ministre des Droits des femmes. N'hésitez donc pas à nous alerter sur tout point qui vous semblerait le mériter.

L'audition s'achève à dix-huit heures quarante-cinq.