Mes chers collègues, depuis près de deux mois, notre commission d'enquête entend le témoignage de personnes qui ont joué un rôle dans le déclenchement ou la gestion par les services de l'État de ce qu'il est convenu d'appeler « l'affaire Cahuzac ». Il était logique qu'elle entende également le principal intéressé.
Je tiens cependant à souligner que l'objet de nos travaux est de faire la lumière sur d'éventuels dysfonctionnements dans l'action du Gouvernement et des services de l'État dans la gestion de cette affaire et que, comme la garde des Sceaux l'a rappelé dans son courrier adressé au président Claude Bartolone le 9 avril 2013, notre enquête « ne doit pas conduire à mener des investigations sur des aspects relevant de la compétente exclusive de l'autorité judiciaire et des services de l'État ayant pu intervenir à [sa] demande dans ce dossier ». Je vous demande donc de respecter ces principes lorsque vous poserez des questions à M. Jérôme Cahuzac ; à défaut, je me verrais dans l'obligation de vous les rappeler.
(M. Jérôme Cahuzac prête serment)
Avant de poser mes questions à M. Jérôme Cahuzac, je voudrais revenir sur ce que vient de dire le président de notre commission.
Le champ de nos investigations est strictement limité par le principe de la séparation des pouvoirs, en vertu duquel il est interdit aux travaux d'une commission d'enquête de porter sur des faits donnant lieu à des poursuites judiciaires, aussi longtemps que celles-ci sont en cours. L'ouverture par le parquet de Paris, le 8 janvier dernier, d'une enquête préliminaire, puis, le 19 mars, d'une information judiciaire, enfin l'annonce le 2 avril de la mise en examen de M. Jérôme Cahuzac interdisent à notre commission de s'intéresser au volet judiciaire de cette affaire.
C'est pourquoi, depuis le début de nos travaux, j'ai axé nos investigations sur trois questions principales : les services de l'État disposaient-ils, avant le 4 décembre 2012, d'éléments matériels qui auraient permis de caractériser une fraude fiscale de la part de M. Jérôme Cahuzac ? Après la révélation de l'affaire, les services du ministère de l'économie et des finances ont-ils procédé aux vérifications nécessaires avec la diligence requise et convenait-il d'y procéder ? Des membres de l'exécutif ou leurs collaborateurs ont-ils été informés de la véracité des faits allégués par Mediapart avant les aveux du 2 avril et si oui, y a-t-il eu des tentatives d'entrave à l'exercice de la justice ? Il est évident que toute question qui s'éloignerait de ces trois axes excéderait le champ d'investigation de la Commission d'enquête.
J'en viens à mes questions.
Monsieur Cahuzac, pouvez-vous préciser le rôle que vous avez joué dans la rédaction de l'instruction connue sous le nom de « muraille de Chine », datée du 10 décembre 2012 ? Qui en a pris l'initiative ? A-t-elle été scrupuleusement respectée ?
Je n'ai pas eu l'initiative de cette disposition. Je crois que le mérite en revient au directeur général des finances publiques, M. Bruno Bézard, lequel m'en a informé via ma directrice de cabinet, Mme Amélie Verdier ; j'ai immédiatement donné mon accord pour que toutes les dispositions permettant l'érection de cette « muraille de Chine » puissent être prises dans les meilleurs délais. Si j'ai bonne mémoire, j'ai signé les instructions à cet effet le 10 décembre.
Non, je n'ai pas parlé de ce principe avec Pierre Moscovici. L'instruction que je donnais avait pour conséquence mon déport immédiat et systématique de toutes les questions relatives à cette affaire. En conséquence, le ministre de l'économie et des finances en avait dorénavant la charge.
Avez-vous informé le ministre de l'économie et des finances que l'administration fiscale vous avait adressé un formulaire « 754 », afin d'obtenir des informations sur les comptes et les avoirs que vous auriez détenus à l'étranger ?
M. Bruno Bézard a indiqué, lors de son audition du 28 mai, que vous aviez « tenté d'entrer dans le débat sur la demande d'assistance administrative et de voir par exemple comment cette demande était rédigée ». Il vous avait répondu que cela était impossible, et vous n'aviez pas insisté. Est-ce exact ?
Oui. Cet échange n'a duré que quelques secondes. J'ai su – car je crois que le texte de la convention le prévoit – par mes avocats suisses qu'une demande était soit en cours, soit faite. J'en ai dit quelques mots à M. Bruno Bézard, qui m'a répondu qu'il n'était pas envisageable que je puisse m'en mêler ; je lui ai donné raison et ne lui en ai plus jamais reparlé.
Je n'ai pas souvenir de la date précise, mais ce sont mes avocats suisses qui m'en ont informé.
Aussi surprenant que cela puisse paraître, je n'ai pas eu de relations très suivies avec mes avocats suisses. Cela ne fait pas partie des questions que j'ai pu leur poser.
Est-ce que vos avocats ou vous-même avez été avertis par les autorités suisses – ou par d'autres – du contenu de leur réponse du 31 janvier ?
Pas du contenu précis, mais du sens de la réponse, oui. J'ai appris par mes avocats suisses qu'il revenait de la Confédération helvétique une réponse négative aux questions posées.
J'ai en effet été informé de la démarche et du sens de la réponse – si j'ai bonne mémoire, une dizaine ou une quinzaine de jours après.
Avez-vous informé, directement ou indirectement, le Journal du Dimanche, ou d'autres journalistes, du contenu de cette réponse ?
Je me suis longuement demandé qui avait pu faire cette démarche dont je ne jugeais pas à cet instant qu'elle pouvait m'aider. Je n'ai pas de réponse.
La prochaine question peut être aux frontières du champ d'investigation de notre commission d'enquête et de celui de la procédure judiciaire en cours ; à vous de voir ce que vous pouvez répondre. Notre commission se demande pourquoi les autorités suisses ont répondu par la négative à la question posée par l'administration fiscale française sur l'existence d'un compte à l'UBS de 2006 à 2012. L'une des explications pourrait être un transfert des avoirs du compte à d'autres dates ou à d'autres établissements que ceux dont a parlé la presse. Pourriez-vous préciser ce point ?
Votre question se situe en effet aux frontières de la procédure judiciaire et des travaux de votre commission.
Il me semble que les personnes que vous avez précédemment auditionnées ont évoqué deux possibilités : la première est que la banque UBS aurait menti – ce qui me paraît peu plausible, vu les risques que cette banque encourrait ; la deuxième est que la banque UBS a dit la vérité, à savoir que je ne disposais pas de compte à l'UBS durant la période visée par la demande française.
Vous vous êtes entretenu avec M. Rémy Garnier le 26 octobre dernier, à l'occasion d'un de vos déplacements à Villeneuve-sur-Lot. Depuis quand le connaissiez-vous ?
Je l'ai rencontré pour la première fois il y a un peu plus d'un an : il était venu assister à une réunion publique que j'avais organisée dans le cadre de la campagne législative. Je ne l'avais jamais vu auparavant.
Je l'ai revu une deuxième fois, à sa demande : il avait pris rendez-vous. Il faut dire qu'au cours de cette réunion publique, j'avais pris l'engagement de le recevoir s'il le souhaitait. Durant quelque trois quarts d'heure, il m'a exclusivement parlé de son dossier administratif et des procédures qu'il avait engagées contre son administration. Je pense qu'au bout de ce temps, nous n'avions pas examiné le quart ou même le cinquième des actions en cours ! J'ai dû lui dire que je ne pouvais pas rester plus longtemps. Lorsque je l'ai raccompagné, il m'a dit qu'il souhaitait qu'en tant que ministre, je demande à l'administration que j'avais sous ma responsabilité de cesser toute procédure à son encontre et de reconnaître le caractère erroné des actions engagées contre lui. Je lui ai indiqué que je ne pourrais pas faire cela. Il m'a regardé et a dit : « Dommage ! ». Ce n'est que plus tard que j'ai compris le sens de ce propos.
Je n'y ai pas donné suite. Comme je l'avais dit à M. Garnier, je ne voyais pas comment, au seul motif qu'une personne habitait dans ma circonscription, je pourrais demander à une administration de faire fi de toutes les procédures engagées contre lui – je ne porte pas de jugement sur leur légitimité. Il m'a indiqué qu'il allait en justice ; je lui ai fait remarquer que, pour restaurer ou laver son honneur d'agent du fisc, cette dernière était mieux placée que son ministre de tutelle.
Connaissiez-vous avant la publication du premier article de Mediapart l'existence du mémoire en défense rédigé par M. Garnier en juin 2008 et son contenu ?
À aucun moment je n'avais eu connaissance de ce mémoire. Mais, puisque vous m'interrogez sur mes relations avec M. Rémy Garnier, peut-être un bref rappel historique serait-il utile.
Entre 1997 et 2002, je suis député de la troisième circonscription du Lot-et-Garonne. Les dirigeants de France Prune viennent un jour me signaler qu'ils font l'objet d'une vérification fiscale qui se conclut par deux demandes de redressement : l'une au titre de l'impôt sur les sociétés, l'autre au titre de la taxe professionnelle.
Après avoir étudié les deux dossiers – ce qui m'a pris dix à quinze jours, car ils étaient complexes –, je les rencontre à nouveau. Je leur indique que le dossier relatif à l'impôt sur les sociétés me paraît plaidable, que je comprends les risques économiques pour leur entreprise si d'aventure les mises en recouvrement étaient opérées et que je me ferai leur porte-parole auprès du cabinet du secrétaire d'État au budget afin de voir comment les choses pourraient s'arranger. Il me semble n'avoir fait là que mon travail de parlementaire. En revanche, pour ce qui est de la taxe professionnelle, je réponds aux dirigeants de France Prune que l'affaire me paraît sérieuse et que je ne suis pas techniquement en mesure de plaider l'annulation de la procédure.
Sur le premier dossier, le secrétaire d'État au budget donne gain de cause à la coopérative à une condition : que celle-ci modifie radicalement ses structures juridiques et commerciales, de sorte que plus jamais à l'avenir il n'existe d'ambiguïtés susceptibles d'occasionner une procédure fiscale. France Prune a tenu ses engagements.
Quant au contentieux relatif à la taxe professionnelle, la coopérative a décidé de contester en justice les conclusions de M. Rémy Garnier et elle a obtenu gain de cause.
Dans les jours qui ont suivi la publication de l'article de Mediapart. Lorsque je reçois M. Fabrice Arfi le mardi matin 4 décembre, il m'indique ne pas comprendre pourquoi – je le cite de mémoire – « Éric Woerth a reçu en 2008 un courrier de Rémy Garnier l'informant que je disposais d'un compte non déclaré à l'étranger ». Dans l'après-midi, je demande à M. Éric Woerth s'il a reçu un tel courrier. Il m'assure du contraire, soulignant que si tel avait été le cas, il aurait immédiatement diligenté une enquête.
Oui, je suis allé le voir après la séance des questions au Gouvernement.
Comme il n'a pas souvenir de ce courrier et qu'il n'y a aucune trace d'enregistrement, je me demande de quoi il peut s'agir. C'est alors que les services « retrouvent », non pas un courrier ni un rapport, mais un mémoire adressé par M. Rémy Garnier à sa hiérarchie afin de contester les décisions administratives dont il fait l'objet. Ce mémoire comprend une douzaine de pages, dont une m'est consacrée ; d'autres sont dédiées à certains de ses collègues : il en accuse un d'avoir sous-estimé la valeur d'un bien reçu par héritage en Dordogne, un autre de ne pas avoir payé à temps la taxe professionnelle sur un bien détenu à Agen, un troisième de déduire de ses revenus ses frais de transport lors même qu'il « pratique le covoiturage » ; il affirme des choses très désagréables pour sa hiérarchie et certains de ses collègues, mettant en doute à l'occasion leur honorabilité. En ce qui me concerne, il m'accuse de disposer d'une villa à Marrakech, d'un appartement à La Baule et d'un compte non déclaré à l'étranger, sans jamais apporter le moindre commencement de preuve, ces assertions étant introduites par des propositions du type « j'ai ouï dire que… », « on m'a dit que… » ou « je crois savoir que… ». Je ne découvre ce mémoire que dans les jours qui suivent l'article princeps de Mediapart.
Selon vous, ce mémoire avait-il été porté à la connaissance de la direction générale des finances publiques (DGFiP) ?
C'est elle qui a reçu ce mémoire, mais j'ignore à quelle sous-direction il a été adressé et qui a pu le lire. Je n'ai pas eu l'impression que beaucoup l'avaient fait.
Le jour où Mediapart a décidé de le mettre en ligne. Je n'en avais jamais entendu parler auparavant.
Comme vous, je n'ai aucune preuve me permettant d'affirmer que tel ou tel aurait remis cet enregistrement. À la lecture des comptes rendus des précédentes auditions, il me semble que seules deux personnes peuvent l'avoir fait : M. Michel Gonelle ou M. Jean-Louis Bruguière. Tous deux vous ont déclaré sous serment n'y être pour rien. M. Gonelle a même ajouté qu'il n'avait pas souhaité en faire état auparavant afin de ne pas « pervertir » le débat politique. Soit.
Est-il exact que M. Alain Zabulon, directeur de cabinet adjoint du Président de la République, vous aurait informé le 15 décembre du contenu de l'entretien téléphonique qu'il avait eu le jour même avec M. Michel Gonelle ?
Il m'a informé d'un contact téléphonique – le contenu, je n'en suis pas certain, mais la date est exacte.
Que voulez-vous que je lui réponde ? J'ai pris acte de ce qu'il m'indiquait, et nous avons convenu que la démarche était curieuse et que si M. Gonelle avait des choses à dire, il devait saisir en priorité la justice.
À compter de l'ouverture de l'enquête préliminaire, le 4 janvier, le parquet général a informé la chancellerie de l'avancement des investigations. Avez-vous eu des contacts avec la garde des Sceaux ou avec son cabinet à ce sujet ?
De même, les policiers chargés de l'enquête préliminaire ont rendu compte de l'avancée de leurs investigations. Avez-vous eu des contacts avec M. le ministre de l'intérieur ?
Quelques questions complémentaires.
Pourquoi ne pas avoir répondu au formulaire 754 ? Avez-vous informé Pierre Moscovici de cette non-réponse ?
Je n'ai informé Pierre Moscovici, ni que j'avais reçu le formulaire, ni que je n'y avais pas répondu.
Pourquoi ne pas y avoir répondu ? Il y a tout de même deux tabous que je n'ai pas transgressés. Premièrement, contrairement à ce qui a été écrit, je n'ai jamais juré sur la tête de mes enfants ne pas détenir de compte. Deuxièmement, il m'a semblé impossible de mentir par écrit à l'administration dont j'avais la charge.
Avez-vous transféré votre compte chez Reyl & Compagnie durant la période 2006-2012 – puisque vous avez dit au rapporteur que vous aviez fermé votre compte à l'UBS avant 2006 ?
Monsieur le président, je n'ai pas dit cela. J'ai indiqué au rapporteur qu'il n'y avait que deux solutions possibles – en me gardant bien, car cela empiéterait sur les prérogatives de l'autorité judiciaire, de préciser laquelle me semblait la bonne.
Quant à la question que vous me posez, je suis au regret de vous dire qu'elle me semble empiéter sur l'information judiciaire en cours. Je ne peux donc pas vous répondre.
Certains ont reproché à l'administration fiscale de ne pas avoir formulé la demande d'assistance administrative de manière plus large, en faisant porter l'interrogation non seulement sur l'UBS, mais aussi sur Reyl & Compagnie. Si vous nous confirmiez que vous aviez bien détenu entre 2006 et 2012 un compte dans cet établissement, cela signifierait que si la demande avait été élargie, elle aurait peut-être reçu une réponse positive. Monsieur Cahuzac, aviez-vous, oui ou non, un compte chez Reyl & Compagnie entre 2006 et 2012 ?
Je comprends votre raisonnement, monsieur le président, mais j'espère qu'à votre tour vous comprendrez que je ne peux pas répondre à cette question.
Pourriez-vous alors répondre à cette autre question : à quelle date le compte a-t-il été transféré, soit depuis UBS, soit depuis Reyl & Compagnie, vers une filiale à Singapour du même établissement ?
Vous rendez-vous compte qu'en refusant de répondre à cette question, vous mettez notre commission d'enquête en difficulté, puisque l'une des questions que nous nous posons est de savoir pourquoi l'administration fiscale n'a pas saisi les services fiscaux de Singapour pour leur demander si vous y possédiez un compte ?
J'ai lu avec attention les comptes rendus des auditions des responsables d'administrations fiscales. Il m'a semblé que leurs réponses étaient assez convaincantes ; manifestement, elles ne vous ont pas convaincu, et je le regrette.
Je prends acte que vous ne répondez pas à ces questions.
Il nous a été dit que vous auriez effectué au moins un déplacement en Suisse à la fin 2009 ou au début 2010. Pourriez-vous préciser la date et l'objet de ce ou de ces déplacements ?
Je le souhaiterais, mais je ne le peux pas, monsieur le président – pour les mêmes raisons que précédemment.
Monsieur Cahuzac, vous avez déclaré que pour un déplacement au moins vous aviez pris vos billets de train à l'Assemblée nationale – autour du 20 octobre, semblerait-il. Le confirmez-vous ?
Il m'a semblé lire dans un précédent compte rendu que vous aviez la certitude que je m'étais déplacé en février 2010 ; s'agirait-il, maintenant, d'octobre 2009 ?
Nous savons – vous l'avez reconnu publiquement – que vous avez fait au moins un déplacement en Suisse, mais nous ignorons quand. De manière à éclairer la commission, pouvez-vous, monsieur Cahuzac, nous préciser la date du ou des voyages que vous avez effectués en Suisse à la fin 2009 ou au début 2010 ?
Je vais tenter de vous répondre en veillant à ne pas empiéter sur l'information judiciaire en cours. Je comprends que vous ayez moins le souci que moi du respect de cette information judiciaire, mais j'espère que, réciproquement, vous comprendrez que j'y sois particulièrement attentif.
Il a été dit – j'ignore par qui – que des déplacements en Suisse avaient été organisés afin de ne pas compromettre mon éventuelle élection à la présidence de la Commission des finances. Or, à la date que vous indiquez, Philippe Seguin n'était pas décédé et Didier Migaud n'avait pas encore été nommé à la Cour des comptes ; si cette date était la bonne, j'aurais disposé d'une capacité d'anticipation surprenante !
Vous avez publiquement reconnu début avril que vous aviez un compte à l'UBS. Pourriez-vous nous indiquer si vous aviez d'autres comptes, soit comme titulaire, soit comme mandataire ?
Il ne me semble pas avoir jamais dit ou écrit que j'avais un compte à l'UBS.
Ce n'est pas ce que je viens de dire. Vous me demandez de confirmer que j'ai dit ou écrit le 2 avril que j'avais un compte à l'UBS. Or, je n'ai rien dit ou écrit de tel.
Si vous entendez par là que vous aviez un compte à Singapour, il faut le dire à la Commission, et préciser quand ce compte a été transféré de la Suisse vers Singapour, puisque cela conditionne une partie de nos conclusions concernant l'efficacité de la mise en oeuvre de la convention fiscale franco-suisse !
Votre question, formulée sur un ton affirmatif, me prêtait des propos que je n'ai pas tenus ; maintenant, vous évoquez le nom, non plus d'une banque, mais d'un pays. Or, je n'en ai cité aucun le 2 avril. Et tout ce qui concerne la chronologie de cette affaire sera réservé aux juges d'instruction Roger Le Loire et Renaud Van Ruymbeke.
Merci de cette non-réponse.
Quel rôle M. Stéphane Fouks a-t-il joué dans votre communication durant toute cette période ? L'aide qu'il vous a apportée était-elle gratuite ou rémunérée ? Dans ce dernier cas, s'inscrivait-elle dans le cadre du contrat signé par le ministère de l'économie et des finances et celui du budget avec l'agence Havas Worldwide ?
Monsieur le président, je vous informe que nous venons de recevoir du ministre de l'économie et des finances le texte des conventions qui liaient cette agence de communication au ministère, ainsi que les factures qui lui ont été payées.
M. Stéphane Fouks n'a joué aucun rôle dans ma communication. D'abord, aux termes du contrat signé entre le ministère et l'agence, ce n'était pas lui qui était chargé de cette mission. Ensuite, il était un ami très proche ; ne lui ayant pas dit la vérité, je vois mal comment il aurait pu m'aider dans ma communication ! M. Fouks n'a joué aucun rôle institutionnel dans cette affaire.
Monsieur Cahuzac, je vous ai interrogé le 5 décembre dans l'hémicycle. Vous m'avez alors répondu que vous n'aviez pas de compte en Suisse. Ce mensonge a eu des conséquences considérables, tant dans l'opinion publique que sur le fonctionnement de nos institutions. Aujourd'hui, le regrettez-vous ?
Vous auriez dit également, en visant François Hollande : « C'est moins grave de mentir pendant quinze secondes devant 577 députés que depuis un an sur l'état de la France ». Confirmez-vous avoir tenu ces propos ?
Comment expliquez-vous que l'Élysée, informé le 15 décembre par Michel Gonelle, qui vient confirmer les révélations de Mediapart, n'ait pas réagi autrement que par un coup de fil de M. Zabulon renvoyant M. Gonelle à l'institution judiciaire ?
Comment expliquez-vous qu'après les révélations de la fin janvier, quand on annonce à la suite d'une enquête en Suisse que vous n'avez pas de compte, l'Élysée ne réagisse pas ? Pensez-vous que la question posée à la Suisse avait été orientée dans le but de vous blanchir ?
Les dysfonctionnements sont aujourd'hui avérés. Le problème est de savoir pourquoi ils ont eu lieu : s'agit-il d'une simple négligence, d'une forme d'inconscience, ou a-t-on voulu délibérément « sauver le soldat Cahuzac », et avec lui le général Hollande ? Il existe des rumeurs faisant état d'autres comptes et de liens avec le financement de partis politiques. Sont-elles exactes ? Cela pourrait expliquer l'attitude du général Hollande depuis le 15 décembre… (Exclamations sur les bancs de gauche.)
Monsieur Fasquelle, jusqu'à présent, les réunions de notre commission se sont toujours déroulées dans de bonnes conditions, et chacun a pu s'exprimer à sa guise. Mais si vous souhaitez parler du Président de la République, nommez-le par sa fonction !
Monsieur Fasquelle, je vous demande d'être concis et de respecter les institutions de notre République.
Mais je les respecte, monsieur le président ! Il s'agissait d'une simple formule ; je parlais, bien entendu, du Président de la République : nul besoin de se crisper sur ce point…
Monsieur Cahuzac, on peut lire cette semaine dans la presse que le compte était alimenté par des chèques et qu'il y a eu des retraits – alors que vous aviez dit qu'il était dormant. Qu'en est-il exactement ?
Pour être le plus scrupuleux possible, je précise que lorsque nous l'avons auditionné, M. Alain Zabulon, directeur de cabinet adjoint du Président de la République, nous a déclaré qu'à la suite de l'appel téléphonique de M. Gonelle, il avait informé le secrétaire général de l'Élysée et le Président de la République. La réponse de ce dernier, telle que M. Zabulon nous l'a transmise, aurait été : « Si M. Gonelle a des documents, qu'il les transmette à la justice ». Pour votre information, ni la Présidence de la République ni notre commission ne disposent des documents que M. Gonelle devait transmettre.
Monsieur le député, ayant déjà exprimé par écrit le 2 avril le sentiment que j'éprouvais, il ne me semble pas indispensable de me répéter – ce qui n'enlève rien à la sincérité de ce sentiment.
Quant aux raisons pour lesquelles je vous ai menti, eh bien c'est tout simplement parce que dans les heures précédentes, j'avais déjà menti au Premier ministre et au Président de la République !
S'agissant des faits qui concernent l'Élysée, je ne crois pas avoir qualité pour les interpréter, et encore moins pour les juger ou les expliquer.
Quant à vos autres questions, soit elles relèvent clairement de la procédure judiciaire et je ne peux vous répondre, soit elles comportent des critiques à l'encontre de l'administration fiscale et je les crois injustes : l'administration fiscale a fait tout ce qu'elle pouvait, sans jamais m'en informer, et en conscience ; il me semble que les propos que M. Bézard et ses collaborateurs ont tenus devant vous étaient convaincants. Je pense qu'ils ont bien agi et qu'il leur était difficile, sinon impossible, de faire davantage – non pas que des instructions leur auraient été données en ce sens – mais eu égard aux textes en vigueur, notamment ceux qui régissent les relations entre la France et la Confédération helvétique.
Quant aux faits entrant dans le périmètre de la procédure judiciaire en cours, comme votre rapporteur l'a rappelé dans son propos liminaire, je ne peux pas les aborder devant vous. Je comprends votre déception, peut-être votre frustration ou votre agacement, mais je ne peux pas le faire.
De même, je ne peux pas élever de protestations concernant les présupposés factuels inclus dans certaines de vos questions. Je voudrais donc qu'on n'applique pas pour autant l'adage « Qui ne dit mot consent ». Vous voudrez bien considérer, mesdames et messieurs les députés, que mon abstention ne vaut pas approbation du libellé des questions. Le silence m'est imposé par ma situation judiciaire.
Après l'annonce le 5 décembre par Mediapart de l'existence d'un enregistrement, vous avez porté plainte en diffamation contre le site d'information, mais en n'utilisant pas la bonne procédure, ce qui a nécessité une requalification. Avez-vous été conseillé en la matière ? Avez-vous eu un contact à ce sujet avec la garde des Sceaux ou ses services ?
Vous avez évoqué un entretien avec le Président de la République et le Premier ministre. Pensez-vous que vos dénégations concernant l'existence du compte ont convaincu les intéressés ?
S'agissant de la procédure en diffamation, je n'ai eu personnellement aucun contact ni avec la garde des Sceaux, ni avec ses collaborateurs. Deux procédures ont successivement été engagées, la première n'ayant pas été considérée comme valable. Je crois que mes avocats avaient pris contact avec les services du procureur et que la première procédure avait été engagée sans qu'on leur signale qu'elle était erronée. Il s'agit d'un travail assez classique entre les avocats et les services du procureur – mais je ne peux vous en dire davantage car je ne me suis guère occupé de la question.
Quant à ce que vous qualifiez d'« entretien », je me suis contenté de répondre à M. Daniel Fasquelle que j'avais menti à l'Assemblée nationale quelques heures après avoir menti au Président de la République et au Premier ministre.
Madame la députée, il est compliqué de faire référence à un sentiment à tant de semaines de distance. Il semble – je ne m'en félicite pas, au contraire, j'ai plutôt tendance à le regretter amèrement – que j'aie pu mettre dans mes dénégations une force de conviction qui en a convaincu plus d'un.
Quelques heures avant les questions au Gouvernement, donc le mercredi 5 décembre.
Vous aviez un mois pour répondre au formulaire 754, et vous ne l'avez pas fait, pour la raison que vous avez donnée. C'est à partir de là que votre ministre de tutelle, M. Pierre Moscovici, décide d'interroger la Suisse par le canal administratif. Il s'agit d'une démarche étonnante, et sans précédent, comme nous l'a confirmé le procureur de Paris, M. François Molins, lors de son audition ; en effet, en application du principe de la séparation des pouvoirs, lorsque la justice enquête, l'administration ne peut faire de même de son côté.
Cher collègue, nous avons examiné ce point : en droit, c'est possible ; le procureur nous a simplement dit qu'il n'existait aucun précédent, et qu'il n'y avait eu aucune concertation entre la DGFIP et lui-même sur cette affaire.
J'ajoute qu'à la suite de l'audition du procureur, M. Bruno Bézard a écrit à la Commission. Nous vous donnerons ultérieurement connaissance du contenu de cette lettre.
Même s'il n'y a pas d'impossibilité légale, il y a quand même des principes – et la séparation des pouvoirs en est un. D'ailleurs, souvenez-vous de ce qu'Edwy Plenel avait déclaré ici même : le tort de Bercy est d'avoir diligenté une enquête administrative en parallèle d'une action judiciaire.
Chacun sait que la question posée, sous l'autorité de Pierre Moscovici, par l'administration française aux autorités suisses était mal formulée ; la preuve en est que la justice obtiendra, elle, une réponse positive, alors que l'administration était en train de blanchir M. Cahuzac – à tel point que le procureur de Paris nous a confié qu'à la lecture de l'article du Journal du Dimanche, il a eu des doutes sur la réalité de ce compte en Suisse.
Monsieur Cahuzac, après le 14 janvier, date d'expiration du délai de renvoi du formulaire 754, le ministre de l'économie et des finances vous a-t-il informé qu'il allait directement interroger la Suisse malgré l'existence d'une enquête judiciaire en cours ? Dans cette hypothèse, vous a-t-il soumis le contenu et le libellé de cette question ? Votre réponse est importante, car elle nous permettra de déterminer si le ministre de l'économie et des finances a cherché délibérément à vous blanchir ou commis une imprudence.
M. Pierre Moscovici ne m'a jamais informé de cette procédure. A fortiori, il ne m'a pas communiqué les termes de la demande formulée par l'administration française à son homologue helvétique.
Je vais essayer de poser une question à laquelle M.Cahuzac pourra répondre ! Après la publication de l'article de Mediapart qui révélait que vous déteniez depuis de longues années un compte à l'étranger, pourquoi ne pas avoir démissionné pour mieux assurer votre défense ? Auriez-vous jugé que la fonction que vous occupiez vous permettait de vous protéger et d'avoir un oeil sur les enquêtes en cours et les investigations de l'administration puisque vous saviez que les allégations de Mediapart étaient vraies ?
Comme je l'ai indiqué, à la suite de cet article princeps, une décision est prise qui me déporte systématiquement de toutes les questions relatives à l'affaire. Elle m'est presque immédiatement suggérée par l'administration, via ma directrice de cabinet, et j'y donne mon accord sans délai. Je ne crois donc pas que vos suppositions soient fondées.
Quant à mes sentiments sur les décisions que j'ai pu prendre, peut-être accepterez-vous que je les garde pour moi.
Monsieur Cahuzac, vous avez récemment déclaré : « Je suis le bouc émissaire idéal de toutes les turpitudes politiques ». Que voulez-vous dire par là ? Faut-il sous-entendre qu'il existerait des ramifications de nature politique à votre affaire, qui pourraient conduire la Commission d'enquête à élargir ses investigations ?
Mediapart a publié un certain nombre d'informations le 4 décembre et M. Zabulon a indiqué que l'Élysée était au courant dès le 15 décembre. Pourquoi être resté au Gouvernement jusqu'au 19 mars 2013 ? Cela pouvait-il servir vos intérêts personnels ou ceux de votre famille politique ?
La Commission pour la transparence financière de la vie politique vous a-t-elle interrogé sur votre situation fiscale ou patrimoniale ?
Vous faites référence à ce qui est présenté comme une interview, mais je n'ai pas le souvenir d'en avoir donné une ces derniers jours. Quant à l'expression « bouc émissaire », peut-être a-t-elle été utilisée, non pas de façon générale ou à propos de cette affaire, mais à l'occasion de l'élection législative partielle dans la troisième circonscription du Lot-et-Garonne. Il peut sembler excessif de faire porter la responsabilité des résultats de cette élection à une seule personne.
Je répète que si je suis resté au Gouvernement, ce n'est évidemment pas pour me protéger, puisque, m'étant déporté quasi immédiatement de cette affaire, je n'ai plus eu autorité sur l'administration dès lors que celle-ci s'intéressait à moi.
Vous avez pourtant déclaré sur Le Monde.fr : « Je suis le bouc émissaire de toutes les turpitudes politiques » !
C'était à l'occasion de l'élection législative partielle – qui ne me semble pas être le sujet de votre commission d'enquête.
Mais qu'entendez-vous par « turpitudes » ? Voilà ce que souhaiterait savoir notre collègue – comme beaucoup d'autres qui ont découvert avec étonnement ces propos dans la presse.
Pas davantage que d'avoir accordé une interview à Europe 1, je n'ai eu conscience de donner une interview au Monde.fr, monsieur le président.
Comme tout élu, j'ai eu à transmettre un document à cette commission. Dès lors que ce document était « incomplet » – si vous me permettez cet euphémisme –, je me suis efforcé de le compléter.
Qu'est-ce à dire ? Que vous avez écrit une lettre pour dire : « J'ai oublié telle et telle chose » ?
Je ne crois pas avoir employé l'expression : « j'ai oublié ». J'ai tenté de faire état de la totalité de mon patrimoine auprès de cette commission.
Quel est votre sentiment aujourd'hui sur cette affaire ? Avez-vous le sentiment d'avoir été « lâché » ?
La situation est suffisamment difficile pour que je ne me livre pas à l'étalage de mes sentiments personnels. J'espère que vous le comprendrez.
En tant qu'ancien ministre du budget, quel regard portez-vous sur la convention fiscale entre la France et la Suisse ?
Les statistiques vous ont été données par le directeur général des finances publiques : le nombre de réponses positives obtenues dans le cadre de l'entraide administrative est extraordinairement faible.
Il y a eu 6 % de réponses, mais qui n'ont permis de détecter que quatre affaires. Mais poursuivez.
J'ignore ce que vous attendez de moi ; je connais comme vous le pourcentage incontestablement très faible de succès dans ce type de démarche.
Pour être précis, M. Bruno Bézard a dit : « Au 15 avril 2013, les autorités françaises avaient formulé 426 demandes de renseignement au sujet des banques suisses. Nous n'avons reçu que 29 réponses, soit 6,5 % du total, les autres demandes étant jugées non pertinentes par nos collègues suisses. L'administration fiscale a jugé que six d'entre elles seulement étaient satisfaisantes. »
Avez-vous reçu une lettre de relance de la part de l'administration fiscale lorsque celle-ci a constaté que vous n'aviez pas rempli le formulaire 754 dans le délai imparti ?
Avez-vous une explication sur la raison pour laquelle MM. Michel Gonelle et Jean-Louis Bruguière n'ont pas saisi la justice au titre de l'article 40 du code de procédure pénale ? M. Bruguière n'a pas été très clair, mais il a évoqué une conception de la politique qui lui faisait interdiction de l'utiliser ; M. Gonelle a fait état de sentiments partagés, d'un mélange de crainte et de respect à votre endroit. Qu'en pensez-vous ?
L'existence d'un compte non déclaré à l'étranger et la crainte, depuis 2001, qu'elle puisse être révélée à l'opinion publique ont-elles eu une influence sur l'exercice de vos fonctions publiques, notamment en tant que président de la Commission des finances ou ministre du budget ?
Je ne suis pas certain que lui-même ait su que ce formulaire m'avait été envoyé.
Quoi qu'il en soit, je n'ai reçu aucune lettre de relance et personne ne m'en a parlé.
Concernant la mise en oeuvre de l'article 40, M. Jean-Louis Bruguière a fait état de sa considération pour le débat politique pour justifier le fait qu'il n'ait ni écouté, ni, a fortiori, donné cet enregistrement à la justice ; dont acte.
J'ai cru comprendre, en lisant le compte rendu de son audition, que M. Michel Gonelle avait avancé deux arguments pour justifier le fait qu'à aucun moment il n'ait jugé bon de saisir un procureur de cette situation : le premier, que vous avez repris, est qu'il craignait une réponse politique de ma part ; le second, qu'il souhaitait garder au débat politique une certaine dignité. Sachez que nous n'avons peut-être pas la même conception du débat politique. Et pour bien mesurer la valeur des propos que M. Gonelle a pu tenir devant votre commission, je voudrais rappeler quelques faits qui, s'ils sont ignorés à Paris, sont bien connus à Villeneuve-sur-Lot et dans le Lot-et-Garonne.
Tout d'abord, M. Michel Gonelle avait par le passé procédé à un enregistrement audio à l'insu de la personne qui s'exprimait ; il a ensuite fait écouter le document à un tiers, ce qui a provoqué dans les années 1980 une crise politique au sein de la municipalité de Villeneuve-sur-Lot et des élections anticipées. Cela procède-t-il d'une conception élevée du débat politique ?
Ensuite, je crois que c'est lui qui, en 2006, a saisi le procureur de Paris, après avoir reçu, m'a-t-il dit, une lettre anonyme m'accusant d'employer de façon non déclarée une salariée en situation irrégulière. Cela était exact : avec mon épouse, nous avions croisé une jeune femme dans une détresse rare et nous avions décidé de l'aider, d'abord en lui permettant de vivre, ensuite en acquittant pour elle des frais d'avocat afin de régulariser sa situation – ce qui fut fait, par suite de quoi un contrat à durée indéterminée a été signé. Cette démarche m'a valu à la fin 2007 une procédure devant le tribunal correctionnel de Paris, lequel m'a déclaré coupable tout en me dispensant de peine et d'inscription au casier judiciaire. Là encore, cela procède-t-il d'une conception élevée du débat politique ?
Quant à la transmission de l'enregistrement, il s'en est lui-même expliqué : il l'a fait passer à un ami qui l'a fait passer à un autre ami, à la suite de quoi une procédure compliquée a été conduite au sein de l'administration fiscale, mais n'a débouché sur rien. Depuis que j'ai appris ces faits – car je les ignorais –, il m'est arrivé de regretter qu'ils n'aient pas débouché à cette époque.
Quant à mon action comme président de la commission des finances, je l'ai conduite sous le contrôle de plusieurs parlementaires qui siègent désormais à vos côtés, monsieur le député. Je ne crois pas qu'ils aient jamais eu le sentiment que mes actes ou mes paroles soient restés, si peu que ce soit, en arrière de la main, bien au contraire. Les faits sont là.
Si vous faites référence à certaines accusations qui, à ma connaissance, ne sont pas susceptibles de donner lieu à l'ouverture d'une enquête judiciaire – la supposée protection dont aurait bénéficié mon frère lorsque j'étais président de la commission des finances –, je peux vous répondre très simplement : le scandale au sujet de la liste de HSBC Private Bank Suisse a éclaté à un moment où mon frère n'exerçait aucune responsabilité au sein de HSBC Private Bank France. Les services de Bercy s'étaient saisis de cette affaire et le procureur Éric de Montgolfier enquêtait sur elle depuis déjà bien longtemps avant qu'il arrive à HSBC. De plus, à ce jour, HSBC Private Bank France n'a nullement été incriminée. Je n'ai pas protégé mon frère : il n'y avait pas à le faire. On a tenté de le salir, c'est douloureux pour moi.
Le 4 décembre 2012, Mediapart a fait les révélations que nous connaissons. La veille, en séance publique, nous avions examiné un projet de loi de finances en nouvelle lecture et nous avions bien senti qu'il y avait un problème. Du 3 décembre 2012 au 19 mars 2013, différentes procédures ont été engagées : les services fiscaux vous ont adressé le formulaire numéro 754 ; vous vous êtes déporté de tous les sujets ayant trait à cette affaire au moyen de la fameuse « muraille de Chine », sur laquelle il y aurait beaucoup à dire ; l'administration centrale a interrogé les autorités helvétiques. Comme beaucoup de Français, j'ai le sentiment d'un certain flottement dans le fonctionnement de l'État et de l'ensemble des ministères entre ces deux dates. Le 19 mars, avez-vous démissionné de votre propre initiative ou le Président de la République vous a-t-il demandé de le faire ?
Comme tous mes collègues, j'ai participé, le 19 mars, à la séance des questions au Gouvernement, au cours de laquelle je n'ai pas été interrogé. Lorsque je suis sorti de l'hémicycle à seize heures ou peu après, un de vos collègues m'a alors dit avoir été interrogé par des journalistes sur une nouvelle enquête que la justice aurait lancée contre moi et m'a demandé de quoi il retournait. Je n'ai pas compris ce dont il me parlait. En consultant ensuite mon téléphone portable, j'ai appris que le procureur de la République de Paris avait ouvert une information judiciaire contre moi. J'ai immédiatement compris que ma situation au sein du Gouvernement devenait intenable. J'ai cherché à joindre le Premier ministre, qui était en déplacement. Lorsque nous sommes parvenus à entrer en contact, je lui ai indiqué que j'allais remettre immédiatement ma démission du Gouvernement.
Il m'est arrivé de penser que les plus hautes autorités de l'État avaient peut-être été informées de la décision du procureur avant qu'il ne publie son communiqué et, donc, que je l'apprenne. Je suppose, dès lors, que le Président de la République et le Premier ministre étaient déjà arrivés à la même conclusion, évidente, que moi. Comme leur charge le leur impose, ils ont dû se demander très vite qui nommer pour me remplacer. Je vous fais part là non pas d'une information précise, mais d'une impression, que les faits postérieurs ont plutôt confirmée. J'ai essayé de faire en sorte que ma démission se déroule de la manière la plus correcte possible.
Vous avez dit que le Président de la République et le Premier ministre vous avaient interrogé sur l'existence d'un compte et que vous aviez démenti de manière catégorique, avant de répondre à M. Fasquelle lors de la séance des questions au Gouvernement le 5 décembre. Votre ministre de tutelle, M. Moscovici, vous a-t-il posé la même question, ce jour-là ou un autre ?
Je n'ai pas employé le qualificatif « catégorique ». J'ai indiqué tout à l'heure à M. Fasquelle que j'avais menti à la représentation nationale quelques heures après avoir menti au Président de la République et au Premier ministre. Je n'ai plus en mémoire le moment précis où M. Moscovici et moi avons abordé cette affaire mais, je suis sûr que, pas plus qu'au Président de la République et au Premier ministre, je ne lui ai dit la vérité.
Je reviens sur le terme « bouc émissaire » : signifie-t-il que vous vous sentez aujourd'hui une victime, compte tenu de l'évolution du dossier ?
Si je suis une victime, madame la députée, je le suis de moi-même, et de personne d'autre.
Je vais essayer – ce n'est pas facile – de poser des questions qui n'empiètent pas sur l'enquête judiciaire.
En 2010, une primaire est organisée au sein du parti socialiste pour désigner le successeur de M. Migaud à la présidence de la commission des finances. Vous êtes, à ce moment-là, dans une dynamique politique intéressante, mais vous êtes conscient que votre situation peut nuire à votre carrière, en particulier si vous obtenez ce poste. Avez-vous envisagé alors de retrouver une virginité fiscale ? Avez-vous essayé de le faire ? En effet, si l'affaire Cahuzac se résume à un compte en Suisse avec 600 000 euros non déclarés, vous l'avez payé bien cher et la France aussi ! Dans ce cas, il conviendrait d'ailleurs de tourner la page rapidement. Ou bien, comme certains le prétendent, la situation était-elle à ce point complexe que vous n'aviez plus de porte de sortie ?
Le site Mediapart – dont on se demande comment il a pu obtenir l'enregistrement, M. Gonelle déclarant ne pas le lui avoir remis et M. Bruguière disant l'avoir détruit – évoque un scénario selon lequel vous vous apprêtiez, dans une période budgétaire difficile, à tailler dans le vif, notamment dans le budget de la défense, qui serait passé, selon l'une des hypothèses, de 1,5 à 1 % du PIB. Cela aurait déplu à une certaine catégorie de personnes, qui seraient intervenues. Or, aujourd'hui, de manière assez étonnante, le budget de la défense dérape. D'autre part, M. Bruguière nous a indiqué que son directeur de campagne lors de l'élection qui vous a opposés tous les deux en 2007 était un général en retraite – nous avons d'ailleurs prévu de l'auditionner. Avez-vous eu des contacts avec lui ? A-t-il pu être informé de votre situation à ce moment-là ou ultérieurement ?
À ce stade de l'enquête, seules vos déclarations constituent une preuve que vous avez détenu un compte à l'étranger. Vous avez souhaité participer à la rédaction de la question adressée aux autorités suisses afin d'obtenir une réponse convenable. Si vous aviez effectivement été chargé de ce dossier, quelle question leur auriez-vous posée afin que la situation de M. Cahuzac soit connue ?
La désignation du candidat socialiste à la présidence de la commission des finances a fait l'objet non pas d'une primaire au sein du parti, mais d'un vote au sein du groupe parlementaire.
Pour le reste, vous me demandez de vous livrer et, à travers vous, à la France entière, des sentiments – souvent de honte –, des craintes, des peurs qui ont pu m'agiter. Permettez-moi, monsieur le député, de les garder pour moi. En faire état ne vous satisferait en rien, ni ne faciliterait le travail du rapporteur.
Avez-vous eu des relations avec le directeur de campagne de M. Bruguière ? Il a également pu être informé de votre situation par M. Bruguière lui-même.
Aucun élément ne me permet de penser, premièrement, que M. Bruguière ait écouté l'enregistrement ; deuxièmement, qu'il en ait parlé à d'autres personnes ; troisièmement, qu'il l'ait évoqué en particulier avec son directeur de campagne, général de réserve ; quatrièmement, que celui-ci aurait pu m'en parler.
J'ai naturellement eu des contacts avec lui lorsque M. Bruguière et moi nous sommes opposés lors des élections législatives de 2007, notamment à l'occasion d'un débat entre les deux tours, mais ils ont été très brefs et superficiels. J'ai débattu avec M. Bruguière, non avec son directeur de campagne.
Quelle question auriez-vous posée aux autorités suisses afin de clore, enfin, l'affaire Cahuzac ?
Je vous réponds moins dans mon intérêt propre que dans celui de l'administration fiscale, à laquelle on fait, je le répète, un procès très injuste : au regard des informations dont elle disposait objectivement, elle ne pouvait pas mieux poser la question que la façon dont elle l'a effectivement fait. Les accusations portées contre elle, notamment par M. Plenel, sont excessives et injustes.
Je reviens, monsieur Cahuzac, sur votre réaction le 4 décembre 2012 et les propos que vous avez tenus au Président de la République et au Premier ministre. Que leur avez-vous dit « les yeux dans les yeux » ce jour-là ? Que vous ont-ils répondu précisément ?
De mémoire, j'ai employé l'expression « les yeux dans les yeux » non pas avec le Président de la République et le Premier ministre, mais avec un journaliste célèbre – j'espère qu'il me le pardonnera un jour. Je leur ai menti à tous les deux. J'ai eu le sentiment qu'ils prenaient acte de mes propos.
Avec le Président de la République, nous nous sommes vus souvent lors de réunions ou de séminaires de travail. Le sujet a-t-il été abordé au cours d'une conversation personnelle à l'une de ces occasions ? Je ne le crois pas ; en tout cas, je n'en ai pas le souvenir.
Avec le Premier ministre, nous n'avons jamais abordé le fond de l'affaire. Dans la mesure où une question avait été posée et qu'une réponse y avait été donnée, j'imagine qu'il estimait, comme le Président de la République, que l'affaire était réglée entre nous. En revanche, constatant, comme beaucoup d'ailleurs, que l'affaire m'affectait – c'est le moins qu'on puisse dire –, il me demandait régulièrement, de manière compréhensible d'un point de vue humain, si cela allait. Je lui répondais que, bien sûr, cela allait.
Qu'avez-vous dit exactement au Président de la République et au Premier ministre le 19 mars ? Que vous ont-ils répondu ? Quelle conclusion en avez-vous tirée ?
Comme je l'ai indiqué, l'information judiciaire étant lancée, nous avons jugé, d'un commun accord ou en tout cas par un raisonnement simultané, que mon appartenance au Gouvernement n'était plus possible. J'ai dit au Premier ministre que je devais démissionner. Il m'a dit que c'était effectivement le cas. Nous n'avons pas de désaccord. Les seuls points que nous avons abordés, dans ces circonstances évidemment peu plaisantes, ont été des détails pratiques : l'heure à laquelle la lettre de démission devait parvenir ; le moment où le communiqué devait être publié. Ce sont là des questions classiques lorsqu'un membre du Gouvernement doit, pour une raison ou une autre, présenter sa démission au Président de la République, sous couvert du Premier ministre.
Avez-vous éprouvé, pendant tout ou partie de la période sur laquelle porte la commission d'enquête – c'est-à-dire à partir du 5 décembre 2012 –, un sentiment relatif ou absolu d'immunité, tenant au fait que vous déteniez des informations sur la situation fiscale de personnalités de l'opposition ? Avez-vous pensé que vous étiez protégé par la possession de telles informations ? Dans l'affirmative, quand avez-vous cessé de le penser ?
Les informations fiscales dont je disposais ne concernaient qu'un nombre très limité de cas les mêmes que ceux auxquels j'avais été amené à m'intéresser lorsque j'étais président de la commission des finances.
Je tiens d'ailleurs à apporter quelques précisions à cet égard. Se saisir spontanément d'un dossier fiscal et se plonger dans son étude seul – le secret fiscal ne pouvant, selon moi, être partagé – n'est pas la chose la plus intéressante, ni la plus excitante que j'ai faite en qualité de président de la commission des finances ou de ministre délégué chargé du budget : je n'ai jamais eu le goût d'entrer dans la vie privée des gens.
J'ai cependant eu à le faire, pour une raison simple : lorsque le ministre de l'économie et des finances ou le ministre du budget du gouvernement Fillon étaient interrogés par des parlementaires de l'opposition sur tel ou tel cas et qu'ils répondaient qu'ils ne comprenaient pas leur suspicion, qu'ils agissaient sous le contrôle du président de la commission des finances, élu de l'opposition, lequel avait tout loisir de vérifier la véracité de leurs propos, j'étais évidemment obligé de le faire. J'entendais d'ailleurs toujours cette réponse-là avec un grand déplaisir : cela signifiait que j'allais à nouveau devoir examiner un dossier. Fort heureusement, les cas n'ont pas été si nombreux.
Lorsque j'ai été nommé ministre délégué chargé du budget, j'ai emporté avec moi les dossiers que j'avais eu à connaître en tant que président de la commission des finances et les ai déposés dans un coffre. Lors de la passation de pouvoirs avec Bernard Cazeneuve, j'ai ouvert le coffre, lui en ai donné la combinaison et lui ai indiqué que ces dossiers étaient désormais à sa disposition.
J'entre dans ces détails pour bien préciser les choses : à aucun moment je n'ai pensé que la connaissance de la situation fiscale de tel ou tel pouvait constituer un levier pour je ne sais quelle fin ou quel but.
Vous avez confié à M. Terneyre, professeur à l'université de Pau et des Pays de l'Adour, une mission d'évaluation de la vente de l'hippodrome de Compiègne, dans laquelle M. Woerth est mis en cause. Vous lui aviez d'ailleurs déjà demandé d'autres travaux. Il a conclu dans son rapport à la légalité de la cession, alors que plusieurs autres experts parvenaient à des conclusions inverses. Pourquoi avez-vous demandé ce rapport, alors même que la Cour de justice de la République était saisie de l'affaire ?
Certains ont considéré cette demande de rapport comme la preuve d'une collusion entre un ancien ministre du budget, M. Woerth, et moi-même. Comme je l'ai indiqué tout à l'heure, M. Woerth n'a été destinataire d'aucun courrier de dénonciation me concernant. D'autre part, lorsque j'ai estimé, en ma qualité de président de la commission des finances, que le comportement de M. Woerth ne me paraissait en rien répréhensible dans l'affaire Bettencourt, je l'ai dit non pas parce que j'aurais eu à lui adresser un quelconque remerciement pour je ne sais quelle complaisance à mon égard, mais parce que je le pensais. Bien que je lise peu ou pas la presse ces dernières semaines, j'ai d'ailleurs cru comprendre que le parquet était sur le point de renoncer à toute incrimination à l'encontre de M. Woerth dans l'affaire Bettencourt.
Lorsque j'étais ministre délégué chargé du budget, un syndicat de l'Office national des forêts (ONF) m'a adressé un recours hiérarchique, me demandant de prononcer l'illégalité de la vente. Je connaissais un peu ce dossier, et beaucoup estimaient que la vente était probablement litigieuse. La Cour de justice avait effectivement été saisie. Une autre procédure avait été engagée à l'encontre d'agents de l'administration.
Trois solutions s'offraient à moi : ne pas répondre, mon silence valant décision ; donner une suite favorable à ce recours ; y donner une suite défavorable. Il ne m'a pas paru correct de ne pas répondre et de laisser les choses se décider dans le silence. J'ai donc indiqué à mes collaborateurs que je souhaitais répondre et leur ai demandé des éléments à cette fin. L'analyse de la direction des affaires juridiques a conclu que je devais plutôt donner une suite favorable à ce recours hiérarchique, mais que les conséquences de cette décision seraient d'une redoutable complexité sur le plan administratif : pour litigieuse qu'elle fût, la cession avait créé des droits. Je pouvais dès lors donner une réponse défavorable, mais telle n'était pas la solution que je privilégiais : il m'avait semblé, comme parlementaire, que cette vente était effectivement litigieuse, et je n'avais guère changé d'avis comme ministre.
À ce point de mon raisonnement, il m'a été suggéré de demander une étude juridique au professeur Terneyre. Contrairement à ce que certains journalistes ont pu dire, celui-ci était non pas un professeur anonyme d'une obscure faculté, mais un expert faisant autorité en droit administratif, consulté par de nombreuses collectivités territoriales sur des problèmes administratifs compliqués et connu pour les solutions satisfaisantes qu'il y avait apportées. En outre, il m'avait été présenté par un ami alors très proche, dans lequel j'avais toute confiance. Je n'avais donc aucune raison de rejeter la proposition qui m'était faite, bien au contraire. Lorsque j'ai demandé cette étude au professeur Terneyre, j'étais convaincu qu'elle conclurait que je devrais donner une suite favorable au recours hiérarchique. Il se trouve qu'elle a conclu que je devais le rejeter. Or, il eût été absurde de demander un rapport et de ne pas suivre sa conclusion. J'ai donc rejeté le recours.
Le syndicat de l'ONF a contesté ma décision devant la juridiction administrative. Mais il a été considéré comme dépourvu d'intérêt à agir, et sa requête a été rejetée pour une raison de forme.
Avez-vous conclu, à un quelconque moment, un accord avec vos prédécesseurs au poste de ministre du budget, en particulier avec M. Woerth, afin de vous protéger ou de cacher des informations contenues dans tels ou tels dossiers fiscaux, ou sur certaine liste ? La presse évoque souvent la possibilité d'une telle collusion. Mme Bechtel vient d'ailleurs d'évoquer le rapport sur la vente de l'hippodrome de Compiègne.
Sur le dossier HSBC, j'ai moi-même usé, en tant que rapporteur général, des prérogatives dont vous disposiez en qualité de président de la commission des finances. Je présenterai prochainement un rapport sur le sujet devant ladite commission.
Ces rumeurs sont sans fondement. Vous pouvez, tout comme le président Gilles Carrez, avoir accès à ce qu'on appelle la « liste HSBC ». Il vous est donc assez simple de vérifier ce qu'il en est.
À entendre les différentes personnes auditionnées par cette commission d'enquête, y compris vous, nous avons l'impression que cette affaire a été très peu évoquée au sein du Gouvernement et des services de l'État depuis le 4 décembre, alors que toute la France ne parlait que de cela. Votre directrice de cabinet nous a déclaré qu'elle vous avait interrogé une fois et que l'affaire n'avait jamais été abordée en réunion de cabinet. Elle ne l'a pas davantage été au sein du cabinet de M. Moscovici, ni au cours des réunions de directeurs de cabinet à Matignon.
Vous avez dit que le Président de le République et le Premier ministre vous avaient posé une question de confiance le 5 décembre – détenez-vous ou non un compte ? – et que vous aviez menti en leur répondant par la négative. M. Le Borgn' vous a demandé s'ils vous avaient posé à nouveau la question, mais vous n'avez pas été très précis dans votre réponse : ils vous auraient juste demandé si cela allait. Au fur et à mesure du feuilleton qu'ont constitué les révélations et les publications de documents ou de témoignages par Mediapart, le Président de la République, le Premier ministre ou votre ministre de tutelle vous ont-ils à nouveau clairement interrogé sur l'existence de ce compte ?
Je suis évidemment un peu « juge et partie », s'agissant du travail des journalistes de Mediapart, que vous semblez apprécier. Pour ma part, je suis convaincu que la vérité a éclaté moins grâce à leur action qu'à celle des services du procureur. Si vous vous donnez la peine de relire les articles, vous constaterez que les journalistes n'ont fait que répéter pendant des semaines ce qu'ils avaient dit d'emblée. Mediapart estimait disposer d'un faisceau de trois éléments de preuve, dont je ne peux malheureusement pas parler. Le procès montrera ce qu'ils valaient en réalité.
Dans la mesure où l'enquête a été menée par les services du procureur – qui ont, je le dis objectivement et sans aucune amertume, très bien travaillé –, je ne juge pas choquant qu'aucun membre du Gouvernement n'ait évoqué l'affaire avec moi : le procureur et ses services n'avaient pas à en parler à d'autres. Quoi qu'il en soit, ni la garde des Sceaux ni le ministre de l'intérieur ne m'ont jamais rien dit. Je ne peux naturellement pas savoir ce qu'ils auraient éventuellement pu dire à d'autres.
Mme Dalloz a fait allusion à des « flottements », nous nous interrogeons pour notre part sur des « dysfonctionnements ». Or, il aura suffi de 117 jours – entre le 4 décembre 2012 et le 2 avril 2013 – pour que la vérité éclate dans cette affaire. On voudrait qu'il en fût ainsi d'autres affaires politico-judiciaires.
Vous nous avez fait part d'un élément nouveau, monsieur Cahuzac : votre rencontre avec M. Woerth. Vous avez déclaré avoir parlé directement avec lui du rapport de M. Garnier. Pouvez-vous préciser la date et le contenu de cet entretien ? A-t-il eu lieu avant l'ouverture de l'enquête préliminaire le 4 janvier ? M. Woerth vous a-t-il répondu immédiatement ou ultérieurement ? A-t-il dû faire appel à ses souvenirs ?
Même si je cherchais à voir M. Woerth, je l'ai rencontré de manière fortuite, après une séance de questions au Gouvernement. Je l'ai interrogé non pas sur le rapport de M. Garnier, mais sur un courrier que celui-ci lui aurait adressé pour me dénoncer comme titulaire d'un compte non déclaré à l'étranger. Ce sont les journalistes de Mediapart qui m'avaient parlé d'un tel courrier ; nous savons désormais que leur affirmation était, à tout le moins, très imprécise. M. Woerth m'a répondu dans l'instant et très clairement qu'il n'avait jamais reçu de courrier de cette nature et que, si tel avait été le cas, il aurait immédiatement lancé une enquête me concernant. Notre conversation a dû avoir lieu au tout début du mois de décembre.
Après ma rencontre avec les journalistes de Mediapart, qui m'ont affirmé que M. Woerth avait reçu un courrier de M. Garnier.
J'ai rencontré les journalistes de Mediapart le matin du mardi 4 décembre. C'était donc l'après-midi soit du 4, soit du 5 décembre, après la séance des questions au Gouvernement.
Je propose, monsieur le président, que la commission d'enquête auditionne M. Woerth afin de vérifier ces informations auprès de lui.
Pour prolonger la question de M. Le Borgn', avez-vous eu des contacts directs sur cette affaire avec le Président de la République, le Premier ministre ou un autre membre du Gouvernement entre le 19 mars et le 2 avril ?
Depuis ma démission du Gouvernement, je n'ai eu aucun contact avec le Président de la République.
S'agissant du Premier ministre, j'ai reçu un jour un coup de téléphone de Matignon sur mon portable. Je ne sais plus si c'était entre le 19 mars et le 2 avril ou après cette date – cette période est un peu troublée pour moi. On m'a indiqué que le Premier ministre souhaitait me parler. J'étais, naturellement, à sa disposition. Je l'ai alors entendu me dire : « Allô, Bernard ? » Je lui ai répondu que j'étais non pas le nouveau ministre délégué chargé du budget, mais l'ancien. Il s'est alors excusé de sa méprise. C'est, je crois, le seul contact que j'ai eu avec lui après le 19 mars.
Je suis étonné moi aussi par la passivité des autorités de l'État : entre les mois de décembre et de mars, elles n'ont pas essayé d'en savoir plus. Le directeur de cabinet de M. Moscovici dit ne s'être jamais intéressé à l'affaire. Ni le Président de la République ni le Premier ministre ne vous en ont parlé. Le patron de la direction centrale du renseignement intérieur n'a mené aucune enquête. C'est en quelque sorte un hommage rendu à la force de votre parole, monsieur Cahuzac !
Selon M. Gonelle, l'industrie pharmaceutique a financé beaucoup d'associations ou de manifestations culturelles et sportives dans votre ville ou votre circonscription. À quelle date vos relations, notamment de conseil, avec l'industrie pharmaceutique s'arrêtent-elles ?
L'accusation – ou plutôt l'affirmation, dans la mesure où cela n'a rien d'illégal – selon laquelle l'industrie pharmaceutique aurait financé « beaucoup d'associations ou de manifestations culturelles et sportives » est imprécise au point d'être erronée. Deux laboratoires pharmaceutiques ont financé de manière tout à fait transparente, l'un un club de rugby à quinze, l'autre un club de rugby à treize. J'ai bien eu conscience, à l'époque, que cela pouvait agacer certains de mes opposants. Après ma défaite aux élections législatives en 2002, ces sponsorings ont d'ailleurs été arrêtés. Considérez-vous que l'aide apportée sous forme de subventions par deux laboratoires pharmaceutiques à des clubs de ma circonscription constitue « des relations avec l'industrie pharmaceutique » ? Si tel est le cas, ces relations ont cessé en 2002.
Le laboratoire Pierre Fabre pour le club de rugby à quinze, le laboratoire UPSA, installé à Agen, pour le club de rugby à treize. Ces financements revêtaient un caractère on ne peut plus officiel et public. Ils étaient assez appréciés des dirigeants des clubs.
À quelle date avez-vous mis fin à vos fonctions de conseil de l'industrie pharmaceutique ?
J'ai cessé de conclure des contrats avec l'industrie pharmaceutique à partir de mon élection comme député en 1997. De mémoire, les derniers contrats ont été purgés en 1998. Ma société de conseil est en sommeil depuis 2002.
Notre commission se pose une question centrale : le travail de la justice a-t-il été entravé ? M. Morin dit qu'il ne s'est rien passé entre les mois de décembre et de mars. Or, je souhaite rappeler quatre dates : le 16 janvier 2012, M. Gonelle a remis l'enregistrement à la police ; le 24 janvier, le laboratoire a indiqué au procureur que l'enregistrement n'était pas trafiqué et pouvait permettre une comparaison de voix ; le 18 mars, les experts de la police technique et scientifique ont transmis leur rapport sur l'enregistrement à l'autorité judiciaire ; le lendemain, le parquet a ouvert une information judiciaire. J'en retire un enseignement : à partir du moment où la justice a été saisie de cette affaire, elle a fait son travail et n'a pas été, jusqu'à preuve du contraire, entravée.
J'ai bien entendu. Je réagissais à la remarque selon laquelle rien ne s'était passé. Nous pourrions au moins nous mettre d'accord sur le fait que la justice a pu travailler correctement. Nous en débattrons ultérieurement.
Je ne conteste pas que la justice a fait son travail. Toutefois, je trouve assez curieux que personne ne se soit préoccupé davantage d'une affaire aussi lourde de conséquences pour le fonctionnement de l'État.
Je reviens sur ma réponse précédente : mes derniers contrats avec l'industrie pharmaceutique ont été purgés en 1998 ou en 1999. Les faits sont trop anciens pour que je m'en souvienne précisément. Bien que la question de M. Morin n'entre pas de manière évidente dans le champ de la commission d'enquête, je ne m'abrite pas derrière la procédure judiciaire en cours et m'efforce d'y répondre.
Ma question a un lien avec la commission d'enquête : elle concerne les conflits d'intérêts, dont nous avons débattu pendant trois jours et trois nuits la semaine dernière à l'Assemblée nationale.
Entre le 4 décembre et le 19 mars, à qui vous êtes-vous ouvert : amis, membres de votre famille, avocats, journalistes, collègues, collaborateurs ? À qui avez-vous avoué détenir un compte à l'étranger ?
Je n'ai dit la vérité à personne : ni à mes amis, ni à mes collègues, ni à mes collaborateurs. C'est ainsi. En particulier, je ne l'ai pas dite à mon avocat, qui était aussi un ami et a donc été en droit de s'en formaliser de manière assez vigoureuse, ce que je dois désormais assumer, avec tout le reste.
Compte tenu de vos déclarations devant la représentation nationale au tout début du mois de décembre et des propos que vous avez tenus au début de la présente audition, selon lesquels il y a deux tabous que vous n'auriez pas transgressés pendant toute la durée de l'affaire – « je n'ai jamais juré sur la tête de mes enfants » ; « il m'a semblé impossible de mentir par écrit à l'administration dont j'avais la charge » –, qu'est-ce qui peut empêcher notre commission de mettre en doute vos déclarations de ce jour ?
À la différence des mensonges prononcés dans l'hémicycle, ceux qui le sont devant notre commission d'enquête peuvent faire l'objet de sanctions pénales, à l'initiative du président. Je ne manquerais pas de faire usage de cette prérogative dans le cas où nous considérerions que l'une des personnes auditionnées nous a menti.
M. Cahuzac étant venu avec l'intention de ne pas répondre aux questions de la commission, leur intérêt s'émousse.
Les éditions Robert Laffont ont déclaré que vous alliez publier, à la rentrée de septembre, un livre donnant votre version de l'affaire qui porte votre nom. Est-ce exact ?
Je ne crois pas que les éditions Robert Laffont aient dit cela, mais je ne veux pas vous contredire, monsieur le député. Quoi qu'il en soit, si j'ai bien l'intention d'écrire un ouvrage, je n'ai signé aujourd'hui de contrat avec aucun éditeur. J'imagine donc mal que les éditions Robert Laffont puissent affirmer que tel serait le cas. Ceux qui ont diffusé cette information ont cru possible d'indiquer le montant d'un à-valoir sur les droits d'auteur. Ce montant est farfelu.
Je prends note que, d'une part, vous n'avez signé aucun contrat, mais que, d'autre part, vous avez le projet – c'est naturellement votre droit – de donner votre version de l'affaire dans un livre. Cependant, en quoi seriez-vous autorisé à le faire dans un livre et non pas devant notre commission d'enquête ? Vous répétez sans cesse que vous ne pouvez pas répondre en raison de la procédure judiciaire en cours. Or, cela est inexact : aux termes de l'article 11 du code de procédure pénale, la personne mise en examen n'est tenue à aucune forme de secret ; elle a même le droit de mentir !
Vous semblez préjugez, monsieur le député, de ce que je souhaite écrire dans ce livre. Si je parviens à mener ce projet à terme, j'espère que vous serez un de mes lecteurs et que vous changerez alors d'avis.
Monsieur Cahuzac, M. Gonelle parle de l'existence de votre compte depuis plusieurs années. Pourquoi cette affaire a-t-elle éclaté en 2012 et non pas lorsque vous étiez président de la commission des finances ? Avez-vous une explication à ce sujet ?
Je n'ai que des hypothèses. Si j'en crois les déclarations faites sous serment, l'enregistrement a été réalisé à la fin de l'année 2000 et n'a été finalement rendu public qu'à la fin de l'année 2012. Entre-temps, de nombreuses élections se sont déroulées à Villeneuve-sur-Lot, comme ailleurs : municipales, cantonales, législatives. Des propos tenus par l'administration fiscale, je retiens qu'il y aurait eu plusieurs tentatives d'activer ou de réactiver cette affaire : en 2001, en 2006, peut-être même en 2011 ou en 2012. Je regrette sincèrement qu'elles n'aient pas abouti plus tôt. Cela vous aurait évité d'avoir à constituer cette commission d'enquête, monsieur le président ! Mais c'est ainsi : personne n'en a parlé publiquement jusqu'à la publication du premier article de Mediapart signé par Fabrice Arfi, le 4 décembre 2012. Pourquoi à ce moment-là ? Incontestablement, si l'on examine la chronologie des faits de novembre 2000 à décembre 2012, l'affaire a éclaté au moment où elle devait faire le plus mal.
Vous avez reconnu publiquement détenir un compte à l'étranger. Pourriez-vous expliquer son montage juridique à la commission ? D'après les réponses de la DGFIP, plusieurs montages pourraient expliquer l'inefficacité de la procédure engagée dans le cadre de la convention fiscale franco-suisse : le compte omnibus – un chargé d'affaires ouvre un compte comprenant plusieurs sous-comptes dont les détenteurs ne sont pas identifiables – et le système plus sophistiqué du trust.
Je ne vous en dirai rien, monsieur le président. Je dois ces réponses d'abord aux deux juges d'instruction, quelle que soit l'interprétation de M. Houillon. Cela étant, d'un point de vue général, les explications fournies par les responsables des différents services fiscaux de Bercy m'ont semblé intéressantes, voire convaincantes : telle qu'elle a été formulée, la demande d'entraide administrative permettait d'éviter que de tels artifices juridiques ne masquent la vérité.
Ce n'est pas ce que nous a dit l'adjoint du directeur général des finances publiques. Il a formulé les trois hypothèses que vous avez rappelées tout à l'heure : soit la banque UBS a menti – et vous partagez l'opinion que ce soit très peu vraisemblable ; soit un montage juridique a empêché d'identifier le compte – d'où la question que je vous ai posée.
Ce point intéresse la commission d'enquête au regard des conclusions qu'elle rendra sur l'efficacité de l'administration fiscale. La commission a été troublée que l'on trouve un compte à votre nom deux mois après la réponse négative des autorités suisses. Vous ne voulez donc pas répondre à cette question et aider ainsi la commission ?
Vous ne posez pas de question, vous faites un constat – l'administration helvétique a fait une réponse négative à l'administration française – et vous vous étonnez qu'il ne soit pas compatible avec la vérité révélée in fine. Quand elle sera connue, la procédure judiciaire fournira une explication qui n'est probablement pas celle à laquelle vous faites référence, monsieur le président.
Ce n'est qu'une hypothèse. Je constate que vous ne répondez pas.
Reconnaissez-vous que la voix sur l'enregistrement réalisé à la fin de l'année 2000 et détenu par M. Gonelle est bien la vôtre ?
Je ne l'ai moi jamais reconnue. La police technique et scientifique a estimé que c'était ma voix à 60 %.
Et vous ? Le confirmez-vous ou l'infirmez-vous ? Vous avez fait des déclarations peu claires à ce sujet.
J'aimerais, monsieur le président, que l'on ne confonde pas la période antérieure au 2 avril et celle qui l'a suivie. Je vous donne acte que les propos que j'ai pu tenir avant le 2 avril n'ont pas toujours été convaincants, encore qu'ils semblent l'avoir été pour beaucoup. Depuis le 2 avril, les choses ont changé. Je n'ai tenu aucun propos sur cet enregistrement depuis cette date et n'ai pas l'intention d'en tenir, tant que la justice n'aura pas fait toute la lumière sur cette affaire.
Vous ne voulez pas répondre. Pourtant, d'après ce que le procureur a déclaré à la commission, l'enregistrement est la pièce qui l'a convaincu d'ouvrir une enquête préliminaire, puis une information judiciaire. Reconnaissez-vous, oui ou non, qu'il s'agit bien de votre voix sur l'enregistrement qui a été à l'origine de toute cette affaire ?
La police technique et scientifique a identifié ma voix à 60 %. C'est tout ce que je peux vous dire.
Vous n'avez pas répondu à l'une de mes questions. Est-il exact que vous ayez prononcé la phrase suivante : « Il est moins grave de mentir quinze secondes devant 577 députés que depuis un an sur l'état de la France… » ?
En outre, avez-vous renoncé à la vie politique ? On vous a prêté des intentions de retour à l'Assemblée nationale et de participation à l'élection législative à Villeneuve-sur-Lot.
Ces questions sortent du champ de notre commission d'enquête.
Je vous remercie, mes chers collègues, de votre forte participation à cette séance – plus des deux tiers des membres de la commission étaient présents – et des nombreuses questions que vous avez posées.