COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES
Mardi 16 décembre 2014
Présidence de Mme Danielle Auroi, Présidente de la Commission
La séance est ouverte à 17 h 45
I. Audition de Mme Danielle Nouy, présidente de l'Autorité européenne de supervision bancaire
Nous avons le plaisir d'accueillir Mme Danielle Nouy, présidente de l'Autorité européenne de supervision bancaire, que je remercie d'avoir répondu à notre invitation. Nous sommes très heureux de vous recevoir, madame, Française qui occupez ce poste européen de forte responsabilité portant sur des sujets essentiels pour notre avenir collectif, économique et financier mais aussi politique, tant la question bancaire est au coeur d'un développement économique et social durable de l'Union.
Depuis le début de la législature, notre commission s'est beaucoup investie dans le chantier de l'approfondissement de l'Union économique et monétaire, plus particulièrement dans son volet relatif à l'union bancaire, qui est celui qui a le plus progressé ces deux dernières années. Nous avons adopté plusieurs résolutions portant sur ce sujet, sur la proposition de nos rapporteurs Christophe Caresche et Didier Quentin.
Alors que le premier pilier de l'union bancaire, le mécanisme de surveillance unique, est opérationnel depuis quelques semaines, nous souhaitons poursuivre nos travaux en vous interrogeant sur les conditions de mise en oeuvre de la supervision bancaire européenne, qui constitue une grande première.
Pourriez-vous préciser comment la Banque centrale européenne (BCE) s'est préparée à l'exercice de cette nouvelle mission ? Quels recrutements ont été effectués et pour quel coût ? Des réductions d'effectifs ont-elles eu lieu en parallèle dans les autorités de supervision nationales, en particulier à l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution ? Comment la BCE s'est-elle organisée pour prévenir d'éventuels conflits d'intérêts entre ses missions de supervision et ses missions de politique monétaire ? Comment s'articulent vos relations avec les superviseurs nationaux ? Comment vos travaux sont-ils coordonnés ? Des équipes mixtes associant superviseur européen et superviseurs nationaux ont-elles été créées ? Qu'en est-il de vos relations avec l'Autorité bancaire européenne ?
Avant que le mécanisme de surveillance unique n'entre pleinement en vigueur, vous avez procédé, en lien avec l'Autorité bancaire européenne, à l'évaluation des actifs des banques entrant dans votre champ de compétence ainsi qu'à des tests de résistance – mais l'on a vu les limites des tests de résistance qui avaient été conduits par l'Autorité il y a quelques années. Selon quelles modalités les nouveaux contrôles ont-ils été menés ? Garantissent-ils davantage la fiabilité des banques ? Qu'ont fait les banques qui n'ont pas réussi l'exercice ?
Ma dernière série de questions concerne les deuxième et troisième piliers de l'union bancaire. S'agissant du deuxième pilier, quelle appréciation portez-vous sur le mécanisme de résolution unique qui a été créé ? Le mécanisme européen de stabilité vous semble-t-il constituer un filet de sécurité adéquat ? Pour ce qui est du troisième pilier, la création d'un système unique de garantie des dépôts vous paraît-elle pertinente ?
Pour introduire notre discussion et commencer à répondre à vos questions, madame la présidente, je souhaite revenir sur la création du mécanisme de surveillance unique (MSU), ses responsabilités et la façon dont il s'inscrit dans le cadre général de l'union bancaire.
Le mécanisme de surveillance unique est chargé de la supervision des banques de la zone euro depuis le 4 novembre dernier. Il est le résultat d'un processus législatif lancé à l'initiative du Conseil européen en juin 2012. La Commission européenne a ensuite formulé une proposition de règlement qui a été discutée, amendée puis adoptée par le Conseil de l'Union européenne puis par le Parlement européen. À compter de l'entrée en vigueur du règlement, le 3 novembre 2013, nous avons eu un an pour mettre le MSU sur pied et conduire l'évaluation complète du bilan des banques.
Comme l'a indiqué M. Herman Van Rompuy, président du Conseil européen lors de l'inauguration du MSU, le processus a été extrêmement rapide : il n'aura fallu que 15 ans après la création de l'euro pour établir une supervision bancaire commune, alors que 150 ans ont été nécessaires aux États-Unis après la création du dollar. La crise a rendu nécessaire cette accélération de l'histoire en soulignant la dimension transfrontière du risque systémique pouvant résulter des problèmes affectant les banques. Les crises bancaires ne s'arrêtent en effet pas aux frontières.
L'union bancaire, dont le mécanisme de surveillance prudentielle est le pilier central, accroît notre contrôle des risques bancaires, non seulement en instituant des règles et en créant des institutions européennes qui renforcent nos moyens d'actions et donc notre crédibilité, mais aussi en améliorant la protection des citoyens et des entreprises en tant que déposants, emprunteurs et contribuables.
Créer le mécanisme de surveillance prudentielle sur une période aussi courte tout en conduisant l'évaluation complète du bilan des banques représentait un défi considérable. Nous l'avons relevé grâce aux efforts de l'ensemble des superviseurs et, pour l'évaluation des bilans des banques, des auditeurs externes engagés pour cet exercice. C'est un succès collectif pour les institutions composant le mécanisme de surveillance prudentielle, y compris la BCE et l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution, mais ce n'est que le premier pas. Identifier les risques au sein du système bancaire et prendre les mesures nécessaires pour protéger l'économie d'une crise bancaire sera notre préoccupation quotidienne et demandera une attention permanente. Notre objectif est de ne jamais baisser la garde.
L'évaluation complète des banques offre des fondations solides au mécanisme de surveillance prudentielle. Nous l'avons conduite en collaboration avec les superviseurs nationaux et l'Autorité bancaire européenne (ABE). Elle nous a fourni une information détaillée sur les banques qui sont désormais sous notre surveillance, et elle a aussi permis de rendre publique une grande quantité d'informations, ce qui est un élément clé pour renforcer la confiance des investisseurs dans le système bancaire européen.
Cette évaluation complète a consisté en un examen de la qualité des actifs des banques et en un test prospectif de leur résistance. L'exercice a porté sur les 130 groupes bancaires les plus importants de la zone euro au 31 décembre 2013, qui représentent 82 % des actifs bancaires de la zone. Six mille experts ont vérifié que les actifs inscrits aux bilans des banques étaient valorisés de façon adéquate, en utilisant des définitions communes et une méthodologie unique. Le test de résistance a été réalisé en coopération avec l'ABE, qui a conçu la méthodologie du test, le scénario adverse étant mis au point par le Comité européen du risque systémique en coopération avec les autorités compétentes nationales, l'ABE et la BCE. Les banques étaient tenues de maintenir un ratio de fonds propres de la meilleure qualité d'au moins 8 % dans le scénario de référence et d'au moins 5,5 % dans le scénario adverse. Les informations recueillies grâce à l'évaluation de la qualité des actifs ont été intégrées dans les bilans de départ des banques et utilisées pour les projections du test de résistance – là est la grande différence avec les tests de résistance conduits précédemment.
L'annonce de l'exercice avait conduit les banques de la zone euro à adopter des mesures de renforcement de leurs bilans de plus de 200 milliards d'euros depuis juillet 2013 et, compte tenu de ces mesures déjà prises, les tests ont révélé un déficit de fonds propres de 25 milliards d'euros concernant 25 banques. Les banques dont les fonds propres étaient insuffisants ont dû établir des plans de renforcement dans les deux semaines suivant l'annonce des résultats. 12 de ces 25 banques ont déjà résorbé leur déficit par des augmentations de leurs fonds propres à hauteur de 15 milliards d'euros en 2014. Les 13 autres disposent de six ou de neuf mois, selon l'origine de l'insuffisance, pour la couvrir. Elles doivent pour cela recourir en priorité à des capitaux privés. Une aide publique peut néanmoins être sollicitée si les fonds privés sont insuffisants. Cette aide publique est alors soumise au régime des aides d'État, qui impose que les actionnaires et les créanciers subordonnés des banques soient mis à contribution pour absorber les pertes.
L'évaluation de la qualité des actifs a montré que la valeur des actifs bancaires à fin 2013 devait être réduite de 48 milliards d'euros ; c'est en train d'être répercuté soit dans les comptes des banques pour la partie comptable de ces ajustements, soit dans les exigences prudentielles qui leur sont adressées. En outre, l'examen a révélé que les expositions non performantes des banques – pour lesquelles les intérêts ne rentrent pas de façon régulière –devaient être augmentées de 136 milliards d'euros, un montant tout à fait significatif.
Cet exercice fournit des fondations solides au mécanisme de surveillance prudentielle, et il a permis à la BCE, aux autorités compétentes nationales et à l'ABE de renforcer leur coopération. Il pose aussi les fondements d'une culture de surveillance prudentielle européenne fondée sur l'indépendance, la cohérence et la rigueur de l'analyse.
Parallèlement à l'évaluation des actifs bancaires, nous avons mené à bien les préparatifs nécessaires pour que le mécanisme de surveillance unique soit opérationnel dès son démarrage, et je puis confirmer que la BCE est pleinement en mesure d'assumer ses nouvelles missions.
Le conseil de surveillance prudentielle que je préside réunit au moins deux fois par mois depuis janvier un représentant de chaque autorité nationale compétente – pour la France, il s'agit de M. Robert Ophèle, sous-gouverneur de la Banque de France, dont M. Edouard Fernandez-Bollo est le suppléant en tant que secrétaire général de l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) – ma collègue allemande Sabine Lautenschläger, qui est aussi membre du comité exécutif de la BCE, et quatre représentants désignés par la BCE. Le règlement relatif au MSU fait obligation à chacun des membres du conseil de surveillance d'agir dans l'intérêt européen ; que cette autorité de contrôle ait un mandat européen est très important.
Le recrutement des équipes a été une tâche très importante : nous avons reçu 24 000 candidatures pour les 1 000 postes offerts dans les quatre directions générales chargées de la supervision et dans les services transversaux de la BCE.
Au cours des mois passés, nous avons également adopté les actes juridiques qui définissent notre approche prudentielle et notre organisation interne : un règlement établissant le cadre de la coopération au sein du MSU entre la BCE et les autorités nationales de surveillance prudentielle de la zone euro ; la décision relative à la mise en oeuvre de la séparation des fonctions de politique monétaire et de surveillance prudentielle au sein de la BCE ; la liste des 120 groupes bancaires considérés comme « importants », qui représentent 1 200 banques, les quelque 3 500 autres banques de la zone euro étant dites « moins importantes » ; le règlement sur les redevances annuelles qui seront recouvrées auprès des banques soumises à la surveillance prudentielle de la BCE. Nous prévoyons d'adopter début 2015 un règlement sur les informations transmises par les banques à leur superviseur – le reporting prudentiel ; cela fait suite à une consultation publique qui s'est tenue entre le 23 octobre et le 5 décembre.
La surveillance prudentielle des grands groupes bancaires est conduite par des équipes conjointes comprenant des membres du personnel de la BCE et des autorités nationales de surveillance – cela répond, madame la présidente, à l'une de vos questions. Les banques dites moins importantes restent soumises au contrôle direct des autorités nationales de surveillance prudentielle, mais la BCE a la responsabilité d'établir et de surveiller l'application des normes en cette matière. Elle peut à tout moment décider de superviser directement l'une des banques dites moins importantes si elle le juge nécessaire pour assurer l'application cohérente de normes de surveillance. Il ne faudra pas nécessairement en arriver là, mais s'il le faut, nous le ferons.
Nous sommes intrusifs dans notre surveillance et déterminés dans la mise en oeuvre des règles que nous avons à faire appliquer, tout en respectant les principes de proportionnalité et d'égalité de traitement.
Nous nous efforçons également d'être transparents ; c'est pourquoi nous avons publié un guide de nos pratiques de supervision, qui expose nos procédures et nos méthodes. Nous publierons également un rapport annuel sur les activités du MSU, qui sera transmis aux Parlement européen et aux parlements nationaux. Enfin, je participe à des auditions régulières et à des échanges de vues avec le Parlement européen et avec l'Eurogroupe.
Il reste à finaliser la mise en oeuvre de l'union bancaire pour protéger les citoyens européens, qu'ils soient contribuables, déposants ou emprunteurs. Comme vous le savez, l'union bancaire comporte trois piliers complémentaires : le mécanisme de surveillance unique, le mécanisme de résolution unique et l'harmonisation des systèmes de garantie des dépôts, qui pourrait évoluer à terme vers une garantie européenne des dépôts. Il est important de mettre en oeuvre l'ensemble de ces éléments. C'est à cette condition que nous pourrons protéger citoyens et entreprises du coût économique et social des crises bancaires.
La protection apportée par l'union bancaire a trois dimensions. Elle protège les contribuables, qui ont supporté le coût très important des restructurations bancaires pendant la crise. Des règles plus justes et plus efficaces ont été définies pour que les coûts induits par la résolution des crises bancaires soient assumés en priorité par les banques, leurs actionnaires et leurs créanciers. L'union bancaire protège les déposants : les dépôts sont assurés jusqu'à 100 000 euros et, au-dessus de ce seuil, ils bénéficient d'un traitement préférentiel en cas de défaillance d'une banque. Enfin, l'union bancaire protège les emprunteurs en restaurant la confiance dans la stabilité du secteur bancaire, ce qui lui permettra d'assurer pleinement son rôle de financement de l'économie.
Pour conclure, permettez-moi d'insister sur le progrès majeur que représente l'union bancaire. Le succès de ce projet est un enjeu pour la stabilité de nos économies. Nous avons franchi avec succès les premières étapes, mais nous ne pouvons en rester là. Il nous faut maintenant mettre en oeuvre le nouveau mécanisme de résolution bancaire. D'autre part, des progrès restent encore à accomplir pour que les banques européennes évoluent dans un cadre réglementaire parfaitement harmonisé. Pour ce qui concerne par exemple la définition du capital, il y a encore trop d'options nationales dans la directive CRD4 et le règlement européen CRR. Or, l'exercice d'une supervision européenne harmonisée exige une réglementation européenne harmonisée.
L'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (APCR) participe au Conseil de surveillance prudentiel en lui apportant son expertise et sa connaissance du système bancaire français et de celui des autres États de la zone euro. Nous lui apportons surtout une contribution opérationnelle très forte dans le cadre du MSU puisque les institutions fédérales reposent en grande partie sur la force de travail des autorités nationales et de leur expertise du cadre juridique et de la situation économique dans laquelle se développe l'activité des banques. Le système bancaire français étant très concentré, l'importance relative des grandes banques est très grande pour l'économie française, et les tâches à accomplir au niveau national le sont donc tout autant. Deux chiffres vous en donneront une idée : à la BCE, 9 personnes travaillent à l'évaluation de chacune des grandes banques, mais 30 à l'APCR.
Au-delà de l'analyse précise de la situation de chaque grand groupe bancaire, l'APCR contribue aussi, par ses compétences, à l'approche européenne nouvelle visant à faire converger vers les meilleures pratiques la surveillance des 120 groupes bancaires en supervision directe comme celle de tous les autres – soit, en tout, plus de 4 500 établissements européens. Il est de la première importance pour la France et pour l'Europe, si l'on veut construire un système fédéralisé comme l'est le MSU, que toutes ses composantes fonctionnent bien et que l'on apporte au niveau national la contribution nécessaire au bon fonctionnement de l'ensemble. C'est l'une de nos très grandes priorités, l'APCR demeurant bien entendu chargée d'autre part de missions nationales.
, n'aurait pas manqué de dire le poète, eût-il été présent… Indépendamment des mécanismes eux-mêmes, les termes utilisés pour les décrire sont difficilement intelligibles pour le grand public. Vous expliquez, madame, que le nouveau mécanisme protège citoyens, déposants et emprunteurs. Fort bien, mais comment mieux faire comprendre de quoi il s'agit ? La question, lancinante, se pose pour tous les sujets traités à l'échelon européen. Sur un autre plan, est-il avisé d'avoir jugé 3 500 banques « moins importantes » ? L'une de celles-là ne peut-elle être à l'origine du risque systémique ? Et encore : le rapport entre crédits et fonds propres des banques défini dans l'accord « Bâle III » n'est-il pas fixé à un niveau tel qu'il a pour effet de freiner l'accès au crédit alors que la croissance est atone ? Enfin, considérez-vous que la crise financière que connaît la Russie peut avoir des conséquences pour les banques de la zone euro ?
Je vous remercie, madame, pour cet exposé synthétique et précis, et pour le travail considérable, complexe et politiquement difficile déjà accompli. Cependant, certains s'interrogent sur le fait que le champ d'investigation de l'Autorité que vous présidez soit limité aux 120 groupes bancaires les plus importants et se demandent non seulement ce qu'il en est des autres mais aussi comment il est tenu compte dans la surveillance prudentielle du fait que dans certains systèmes bancaires fédéraux, notamment le système allemand, les caisses d'épargne assurent une part très importante de la distribution du crédit. Comment s'exerce la surveillance des engagements des caisses d'épargne allemandes ?
Le contrôle de la qualité des actifs bancaires est au coeur de votre tâche. Aussi, j'aimerais en savoir davantage sur les critères qui président à vos choix, sur leur définition et sur la manière dont vous parvenez à un consensus sur ce point, tant les approches nationales diffèrent. Ainsi, pour les prêts immobiliers, certains pays font porter le risque sur la valeur de l'immeuble, référence volatile, et d'autres sur les emprunteurs, référence un peu moins volatile. Comment mesurez-vous les engagements relatifs à des crédits immobiliers dont les assiettes sont aussi différentes ? De même, pour les collectivités territoriales, les exigences ou les garanties d'équilibre budgétaire sont extraordinairement différentes selon les États ; comment appréciez-vous leur solidité relative ou le risque pris ? On sait ce qu'il est advenu en Espagne ; le passé nous a-t-il instruit ?
Certes, la matière financière est ardue, mais le désamour pour l'Union européenne gagnant du terrain, les institutions européennes qui mettent ces politiques en oeuvre gagneraient à les rendre plus immédiatement intelligibles. Cela vaut particulièrement pour le mécanisme de surveillance unique, auquel les citoyens européens peuvent se rallier. J'étais membre du Parlement européen à l'époque où l'on débattait de l'union bancaire et de l'union monétaire, et j'ai constaté qu'un moment vient où les élus supposés relayer les décisions prises auprès de l'opinion publique et les superviseurs ne se comprennent plus. C'est une esquive de dire que ces choses sont complexes : il est nécessaire et urgent de s'appliquer à expliquer de manière compréhensible vers quoi l'on tend au lieu de se complaire dans un langage technocratique dont on sait qu'il a contribué à éloigner les citoyens de l'idée européenne. Je ne critique pas ce que vous faites, madame, j'en appelle à ce que des mécanismes compliqués soient expliqués clairement et de ce point de vue, votre exposé m'a quelque peu troublée.
Sur un autre plan, certains observateurs considèrent que lors du G20 qui s'est tenus en Australie, les Européens se sont fait hara-kiri pour ce qui est des critères définissant la capacité d'absorption des pertes des banques défaillantes. Je n'ai pas tout compris des explications à ce sujet, peut-être parce que ma maîtrise de l'anglais n'est pas suffisante, tout cela étant rédigé en cette langue. De ce point de vue aussi, il est véritablement indispensable de tout faire pour rendre intelligible ce qui ne l'est pas, singulièrement quand on parle d'un sujet qui pourrait susciter l'enthousiasme de nos concitoyens.
Je salue la création d'un organe technocratique coupé des enjeux politiques réels et dont je pense, comme Mme Grelier, qu'il accélérera l'éloignement des citoyens de l'idée européenne. Indépendamment du fait que l'anglais règne en maître, ce qui permettra à Goldman-Sachs de lire plus aisément les bilans des banques françaises et qui est inacceptable, il faut regarder la réalité en face. Conformément à l'accord Bâle III, vous avez tenté de déterminer le rapport entre les fonds propres et les en-cours de 130 grands groupes bancaires ; or, ce n'est pas un grand groupe bancaire qui a déclenché la crise de 2007-2008 mais un processus de titrisation abscons mis au point par une petite banque. Autant dire qu'il est illusoire de penser que l'action que vous menez permet de véritablement contrôler le risque systémique puisque vous ne l'aurez pas mesuré s'il découle de la faillite d'une banque de moindre importance qui n'est pas vraiment contrôlée.
De surcroît, vous avez indiqué qu'au terme de votre évaluation de la qualité des actifs, 25 banques doivent se recapitaliser à hauteur de 25 milliards d'euros. Mais des analystes pointent que certaines obligations à risque détenues par les établissements contrôlés n'ont pas été prises en compte, si bien qu'en réalité le rapport entre fonds propres et en-cours est bien moindre que prévu dans l'accord Bâle III, et plus proche de 2 à 3 % que de 8 %.
Enfin, le Fonds de résolution unique sera abondé à hauteur de 55 milliards d'euros, ce qui, en cas de krach, n'est rien, vous ne l'ignorez pas.
En bref, on amuse la galerie en prétendant contrôler les banques européennes alors que le système bancaire est totalement transnational, l'Allemagne ayant obligé à ce que les traités prévoient la libre circulation des capitaux sur la planète. Le nouveau mécanisme n'est pas à la hauteur ; c'est un château de cartes, et le risque systémique n'est nullement écarté, non plus qu'une nouvelle crise internationale. Sans être opposé à des contrôles prudentiels, je considère que les fragilités du système international demeurent, si bien que nous pouvons toujours être saisis à la gorge.
Au terme des premières évaluations auxquelles vous avez procédé, quelles pistes d'amélioration procédurales entrevoyez-vous ? Comme mes collègues, je m'inquiète de savoir comment vous pourrez mieux expliquer aux Européens ces sujets complexes dans des termes intelligibles par tous. Chaque secteur d'activité a son vocabulaire propre, mais la pédagogie s'impose sur ces sujets qui concernent tous les citoyens et qui influent sur la confiance dans le système européen ; c'est indispensable au moment où l'on semble malheureusement être passé de l'euroscepticisme à l'euro-hostilité.
Nous devons effectivement relever le défi consistant à expliquer ce que nous faisons. Les textes qui régissent notre institution et l'agrément signé entre le Parlement européen et le MSU nous font d'ailleurs obligation de rendre des comptes aux citoyens européens qui souffrent d'une crise économique largement déclenchée par la crise financière. Je suis auditionnée par le Parlement européen tous les trimestres environ, et nous répondons à un grand nombre de questions posées par les parlementaires, principalement européens, mais je parle aussi, comme je le fais aujourd'hui à votre commission, avec les parlementaires nationaux – et vous constaterez qu'il est encore tout à fait possible de parler français. La France occupe des positions importantes dans les mécanismes européens de supervision et de résolution bancaire ; ce matin encore, le Parlement européen a approuvé les candidats pressentis au conseil de résolution unique et j'ai noté qu'un collègue français nous rejoindrait vraisemblablement. Pendant que nous mettions le MSU sur pied, le Parlement européen nous a demandé des rapports trimestriels sur l'avancement des travaux, que nous avons fournis avec plaisir ; la prochaine étape sera notre rapport annuel. Nous nous efforçons donc, avec les instruments qui sont les nôtres, de communiquer avec le Parlement européen et avec les parlements nationaux, nous participons à des conférences, et nous répondons à des interviews pour expliquer ce que nous faisons dans les termes les plus simples possible.
Plusieurs questions ont porté sur la distinction faite entre les 120 groupes bancaires les plus importants, qui rassemblent 1 200 établissements, et les quelques 3 500 banques de moindre taille. L'organisation mise en place traite bien de ces deux catégories. Pour les plus grandes banques, nous pensons avoir le meilleur des deux mondes. Nous disposons d'une part de l'expérience et de l'expertise de l'ACPR pour ce qui est des banques françaises. Les personnes qui travaillaient sur la BNP Paribas, le Crédit agricole, la Société générale ou la BPCE continuent de travailler sur ces dossiers ; comme l'a indiqué Edouard Fernandez-Bollo, elles sont une trentaine pour chacun de ces dossiers, et neuf seulement à la BCE. C'est pourquoi l'essentiel de la supervision est faite à la BCE par des équipes conjointes qui comptent un très fort pourcentage de superviseurs nationaux, et c'est aussi pourquoi les effectifs des superviseurs nationaux ne diminueront pas : précisément parce qu'ils participent à cet effort, tout en préparant les dossiers de M. Robert Ophèle, qui devra voter au conseil de supervision bancaire sur le cas, par exemple, du Banco Santander ou de la Deutsche Bank. Et si j'ai parlé du meilleur des deux mondes, c'est aussi que lorsque le Conseil de supervision bancaire – dont la France est membre mais l'un des membres seulement – prend des décisions, il le fait avec une distance de bon aloi pour des sujets difficiles.
Pour les banques de taille moindre, nous avons, à la BCE, quatre directions générales, 800 superviseurs et 200 personnes dans les équipes support. Un quart des 800 superviseurs travaillent précisément au suivi et au contrôle de qualité de la surveillance faite par les autorités nationales des établissements moins importants. Je confirme qu'ils peuvent bien sûr présenter un risque systémique, soit que leur taille les place immédiatement au-dessous du seuil qui les aurait définis comme entrant dans la catégorie des grands établissements – un bilan de 30 milliards d'euros par exemple – soit qu'ils appartiennent à un groupe de banques qui présentent les mêmes caractéristiques et qui, si elles sont en mauvaise santé, font que le groupe dans son entier présente un risque d'importance systémique.
La diversité des banques est effectivement grande selon les pays considérés. Vous avez évoqué l'Allemagne. On y trouve de très grandes banques, telle la Deutsche Bank, de très petites, et aussi des caisses d'épargne, des banques coopératives et mutualistes, le plus souvent regroupées comme le sont les mutuelles françaises, mais qui ont des profils différents. Il nous appartient d'abord de fixer les règles de la supervision, qui valent pour toutes les banques et qui sont appliquées en respectant le principe de proportionnalité. Nous surveillons l'évolution des secteurs bancaires nationaux et des établissements bancaires moins importants, et nous contrôlons que les règles que nous avons définies sont, par tous, bien appliquées.
Certaines banques européennes ont des engagements en Russie, mais le faible montant de leur engagement n'est un facteur de risque important ni pour les systèmes bancaires concernés ni pour les établissements considérés.
Il est exact que les caractéristiques des crédits immobiliers aux particuliers sont très différentes selon les pays : taux fixes ou taux variables, durée moyenne des prêts, règles relatives au rapport entre le prêt et la valeur du bien ou le prêt et le revenu de l'emprunteur… Aussi étudions-nous en ce moment en détail ces dix-huit – bientôt dix-neuf avec la Lituanie – marchés pour cerner leurs forces et leurs faiblesses respectives et leurs vulnérabilités potentielles afin d'exercer une supervision de bonne qualité ; ainsi, il est évident qu'une hausse rapide des taux d'intérêt sera un facteur de vulnérabilité pour une banque qui offre des crédits immobiliers à taux variables. Les collectivités territoriales, dont les forces et les faiblesses diffèrent pareillement selon les États, requièrent la même analyse. Mais nous ne partons pas de rien : nous nous appuyons sur l'expérience et l'expertise de nos collègues nationaux, et c'est elle qui nous permet de bâtir un diagnostic au niveau européen.
Plusieurs orateurs ont dit que la matière dont nous traitons est compliquée ; elle ne l'est peut-être pas autant qu'il y paraît, et nous devons effectivement faire des efforts pour nous faire comprendre en évitant de jargonner. Cela étant, à cause de la crise, tout le monde, contraint et forcé, a beaucoup lu à ce sujet et je pense que le niveau de compréhension de ces questions a augmenté. Je continuerai, comme je le fais aujourd'hui avec plaisir, d'expliquer ce que nous faisons pour permettre aux citoyens européens d'appréhender cette matière. Les parlements nationaux sont le canal privilégié pour faire comprendre ce que nous faisons, et c'est à eux que nous pouvons rendre compte.
Vous avez mentionné la décision prise à Brisbane au sujet du TLAC ou « total loss absorbing capacity », c'est-à-dire l'obligation pour les grands groupes bancaires d'avoir un matelas de fonds propres et de dettes subordonnées suffisant pour absorber leurs pertes en cas de faillite – en d'autres termes, pour payer leur enterrement. Cette mesure s'applique uniquement aux groupes présentant un risque systémique ; dans la zone euro, elles ne sont que neuf dans cette catégorie. Pour sa part, l'Union européenne a mis au point le MREL, acronyme anglais pour « exigence minimale de fonds propres et passifs exigibles » qui met l'accent sur l'exigence de fonds propres de la meilleure qualité – actions, capital contingent ou dette subordonnée – également utilisables soit en cas de poursuite de l'activité après une mauvaise passe soit en cas de résolution ordonnée. Le mécanisme du MREL concerne toutes les banques européennes. Il n'est pas certain que TLAC et MREL se superposent parfaitement ; des frottements peuvent se produire qui appelleront des corrections. D'ailleurs, l'accord conclu en Australie n'est pas définitif : une étude d'impact est prévue, dont les conclusions conduiront, si nécessaire, à des rectifications.
Il se dit que le niveau du « matelas de sécurité » retenu par le G20 ignore les fructueux travaux des institutions européennes qui se sont traduits par l'accord Bâle III, et que les États-Unis ont gagné. Est-ce votre avis ?
Je ne pense pas que les États-Unis aient « gagné », ni que la décision prise soit contraire à l'accord Bâle III ; c'est la continuité de Bâle III, et la même représentation de pays. Ce qui est certain, c'est que le choc sera de beaucoup atténué pour les banques américaines, qui ont une holding de tête. Mais, je le redis, cet accord n'est pas définitif et l'étude d'impact permettra de l'apprécier. D'autre part, je pense que si les banques européennes voient un avantage à réviser leurs structures, elles le feront. Elles sont obligées de les revoir, de manière générale, pour permettre la résolution.
À ce sujet, que pensez-vous du principe de la scission, dans les groupes bancaires, entre banque de détail et opérations de marché pour compte propre ?
Il s'agit de permettre une résolution simple et rapide – en gros, de pouvoir se couper un bras si la situation se détériore. La question doit être envisagée comme un tout : plus la résolution rendue possible dans le cadre du mécanisme de surveillance unique est convaincante, pratique et opérationnelle, moins il est besoin de pousser la scission à fond. La loi française, dont le législateur allemand s'est inspiré, me paraît équilibrée car elle tient compte de ce qu'entre le bloc des activités spéculatives de marché et l'activité de détail – les crédits immobiliers et à la consommation pour les particuliers et les crédits aux entreprises – il y a un bloc d'opérations de marché au service du financement de l'économie : la tenue de marché, le placement des actions des entreprises, le marché secondaire des titres d'entreprises… Dans une économie européenne qui, au contraire de ce qui vaut aux États-Unis, est financée pour 75 % – et même à 95 % en France – par les banques et pour 25 % par les marchés, il serait aventureux de restreindre ces opérations qui aident les entreprises à accéder aux marchés et s'y maintenir quand elles le peuvent. Dans son avis sur la séparation des activités bancaires, la BCE, sans donner de bons points à une loi en particulier, dit précisément qu'il faut traiter convenablement la tenue de marché, activité importante pour le financement de notre économie.
Je ne pense pas que l'Autorité européenne de supervision bancaire soit un organe technocratique éloigné des citoyens européens. La preuve en est que je suis devant vous pour vous rendre compte de ce que nous faisons. L'anglais règne-t-il en maître ? La question linguistique complique de fait les choses au niveau européen, mais les traités établissent que les citoyens peuvent écrire aux institutions européennes dans la langue qu'ils souhaitent et qu'il leur sera répondu dans la même langue. Pour ce qui nous concerne, nous rendons nos décisions en anglais et dans la langue de l'établissement bancaire concerné. Une banque peut accepter de travailler avec nous en anglais, et dans ce cas la décision sera rendue en anglais seulement ; mais l'établissement concerné peut changer d'avis à tout moment. Ces dispositions protègent les banques et les citoyens européens.
J'en viens à la dotation du fonds de résolution. C'est un début, et le montant alloué au fonds – 1 % des dépôts, soit de 55 à 60 milliards d'euros – est déjà relativement important. De plus, ce fonds doit être envisagé, dans le dispositif d'ensemble mis en place par la directive relative au redressement et à la résolution des établissements de crédit. Le texte prévoit qu'à partir de 2015, la contribution au sauvetage des banques sera liée aux dettes subordonnées et aux produits de fonds propres ou de quasi fonds propres, montant déjà très important. Puis, à partir de 2016, tout ce qui n'est pas dépôt pourra, à hauteur de 8 % du bilan bancaire, se trouver mis à contribution ; au cours de la crise, il n'aurait fallu aller au-delà et solliciter éventuellement le fonds que dans un seul cas. C'est donc un très bon début.
En premier lieu, la solidarité ne sera pas immédiate. Sur le fond, il ne me semble pas choquant qu'il y ait solidarité, au terme de plusieurs années, après que le MSU aura permis une supervision européenne telle que la France, avec 17 autres États et les 6 représentants de la BCE, aura voté les décisions qui s'imposeront aux banques européennes, dont les banques grecques, décidant ainsi de leur avenir. En faisant converger, ensemble, les meilleures pratiques de chacune des autorités nationales – et toutes sont perfectibles – on rehaussera mécaniquement la qualité de la supervision tout en créant une cohésion, chacun s'étant senti respecté et ayant contribué à ce système. Ainsi, très progressivement, la solidarité deviendra effective, et cela me paraît être une très bonne chose.
Un mot des possibilités d'amélioration des évaluations que nous menons. Une évaluation comporte trois volets : la révision de la qualité des actifs, celle de leur valorisation et celle de la valorisation du collatéral. Cela a été très bien fait, avec une méthodologie unique, et la définition des actifs « non performants » a été publiée. Nous avons couvert en moyenne plus de 60 % des actifs de chaque banque évaluée, et nous pouvons contrôler sur place les 40 % d'actifs restants des banques pour lesquelles les corrections nécessaires ont été particulièrement marquées.
Nous avions, pour mener ces nouveaux tests de résistance, des pouvoirs que la BCE n'avait pas au moment de conduire les premiers, et nous avons pu corriger les prévisions trop optimistes des banques en fonction de notre propre modèle. Un travail de qualité a été fait en ce domaine également ; d'ailleurs, les tests de résistance ont écrasé 4 points de fonds propres – soit un peu plus qu'aux États-Unis.
Ce qu'il faut maintenant, c'est mettre en relation fonds propres et risques – mais l'accord de Bâle III, auquel plusieurs d'entre vous ont fait référence, n'est malheureusement, pas encore appliqué. Il serait plus simple que les choses aillent plus vite mais, précisément pour éviter que les dispositions de Bâle III ne pèsent trop sur le financement de l'économie, une longue période de transition a été décidée, et la totalité des effets bénéfiques de cet accord indispensable ne se feront pas sentir avant 2018. Malheureusement, en cette phase de transition, les options nationales sont nombreuses et les progrès vont plus vite dans certains États que dans d'autres – en France, ils sont plutôt rapides. En conclusion, les efforts ne se relâchent pas pour les banques qui ne sont pas encore complètement aux normes de Bâle III.
Le système de supervision directe concerne 85 % des bilans bancaires de la zone euro et même 95 % en France. La probabilité que le risque systémique surgisse de la partie qui n'est pas en supervision directe est relativement faible. De plus, qu'une banque ne soit pas en supervision directe ne signifie pas qu'elle n'est pas dans le MSU – en particulier, le mécanisme de traitement des difficultés et les retraits d'agrément impliquent de remonter systématiquement au niveau européen.
Les actifs de nos banques, rapportés à notre PIB, sont très importants – ceux de BNP Paribas représentent ainsi l'équivalent du PIB français. On admettra que diviser par cinq la taille de ces banques n'est pas la solution que tout le monde préférerait adopter, mais décider d'absorber ce choc ensemble, à vingt, est de bon sens : la surface ainsi acquise pour gérer le risque financier est, de beaucoup, plus importante que si l'on agit séparément.
Je rappelle enfin que, conformément au MREL, les 55 milliards d'euros du fonds de résolution ne seront appelés que dans un deuxième temps, après que plus de 1 500 milliards d'euros auront été mobilisés, non pas auprès des contribuables mais auprès des actionnaires des établissements défaillants et des personnes qui ont souscrit à des titres éligibles et à de la dette subordonnée.
Grâce, précisément, au nouveau système européen, il n'y a pas d'argent à trouver. Les actions servent à supporter les pertes à hauteur de 1 500 milliards d'euros avant que ne soient mobilisés les 55 milliards d'euros du fonds de résolution et les autres ressources prévues dans la directive. Ces nouveaux instruments créent un matelas de sécurité considérable qui sera utilisé avant que ne soient appelés les fonds publics et – jamais, je l'espère – les fonds des déposants.
Si l'on mutualise au niveau européen le mécanisme d'alerte et de prévention du système financier, il est normal que s'ensuive, à terme, la solidarité en matière de redressement des établissements. On est évidemment plus forts à 20 – et un jour peut-être à 28 – qu'isolément pour prévenir et guérir les difficultés d'un énorme système bancaire que nous souhaitons tous en bonne santé, afin qu'il finance l'économie.
Le rôle des autorités de supervision nationales est justement de faire valoir les spécificités du système de chaque État – en soulignant, par exemple, que les prêts accordés sont solides car ils sont à taux fixes et qu'ils tiennent compte de la situation de l'emprunteur. Mais, in fine, c'est une responsabilité solidaire et globale qui s'exerce, et c'est donc au niveau européen qu'il convient de déterminer la véracité des informations données et d'établir si les propositions faites par les parties nationales servent l'intérêt commun – car tel est bien le but du renforcement de la solidarité bancaire européenne.
Madame, monsieur, je vous remercie. Nous devons faire comprendre ces sujets complexes à nos concitoyens. Nous serons certainement appelés, pour y parvenir complétement, à vous inviter à revenir dialoguer avec nous à mesure que les dispositions adoptées seront appliquées.
II. Communication de la Présidente Danielle Auroi et MM. Jérôme Lambert et Michel Herbillon sur la réunion de la COSAC à Rome des 1er et 2 décembre
La cinquantième-deuxième COSAC s'est déroulée à Rome les 1er et 2 décembre dernier. Jérôme Lambert, Michel Herbillon et moi-même y représentions notre commission.
Au cours de cette réunion de la COSAC, la politique économique menée par l'Union a été au coeur de tous les débats.
Le Premier ministre italien Matteo Renzi qui inaugurait cette plénière a appelé avec force à « réveiller l'espérance et changer les règles du jeu », dans un véritable plaidoyer pour une inflexion de la politique économique de l'Union européenne. Il a jugé que le plan d'investissement présenté par Jean-Claude Juncker allait dans la bonne direction mais restait insuffisamment ambitieux.
Les divergences d'appréciation sur ce plan d'investissement et sur les conditions de la relance de la croissance européenne sont apparues de manière assez nette lors du débat sur la stratégie Europe 2020, au cours duquel je suis intervenue en tant que rapporteure pour présenter la communication que nous avions adoptée en octobre dernier.
Mais les clivages sur ces sujets se sont surtout cristallisés au moment de l'adoption de la contribution finale de la COSAC.
En effet, le texte proposé par la présidence italienne demandait que « la dépense publique liée à la mise en oeuvre de programmes cofinancés par les Fonds structurels et d'investissements européens » soit exclue du calcul des 3 % de déficit budgétaire. Cette proposition rejoignait la proposition que j'avais formulée lors de ma présentation sur Europe 2020.
La délégation estonienne a présenté un amendement de suppression de cet article, considérant que la réalisation des objectifs d'Europe 2020 « ne devrait pas agrandir les déséquilibres macroéconomiques » ni « remplacer la réalisation des réformes structurelles ». Après des discussions vives, cet amendement de suppression a été rejeté de justesse.
Nous avons pu constater la formation de deux groupes sur ce sujet, le premier autour de la présidence italienne et de la France, composé en grande partie des pays du « Sud », et le deuxième autour du Bundestag, des pays du Nord et des pays Baltes.
Sur le renforcement de l'implication des parlements nationaux dans le jeu décisionnel européen, les débats ont été plus consensuels.
Le Premier vice-président de la Commission européenne Frans Timmermans, en charge « d'une meilleure réglementation, des relations interinstitutionnelles, de l'État de droit et de la Charte des droits fondamentaux », a plaidé pour un nouveau tournant dans les relations entre la Commission européenne et les parlements nationaux, qui devraient se « détacher des questions de procédure » pour se « focaliser sur les questions de fond ». Pour cela, les commissaires européens devraient se rendre dans les parlements nationaux lorsque des textes dont ils ont la charge font l'objet de débats majeurs. Cette orientation nous a semblé aller tout à fait dans la bonne direction, et correspondre, à mon sens, très directement à l'orientation principale des travaux de notre commission, tendant à agir comme une force de proposition sur le fond, une capacité d'influence, plutôt que de privilégier une capacité de blocage.
Lord Timothy Boswell a présenté le rapport sur le rôle des parlements nationaux dans l'Union européenne adopté par la Chambre des Lords dont il est le président.
Il a déploré que le « carton jaune » de la procédure de subsidiarité, encadré par des délais trop stricts, place les parlements nationaux dans une position purement réactive et défensive. Un « carton vert » permettrait aux parlements nationaux de proposer des actes législatifs à la Commission européenne. Cette proposition très intéressante a été reprise par plusieurs délégations, et, là aussi, est en phase avec notre approche partagée. Je rappelle qu'il y a presque un an, les parlementaires néerlandais étaient venus nous présenter cette idée de « carton vert ».
M. Gunther Kirchbaum, président de la commission des affaires européennes du Bundestag, a dénoncé le recours massif aux trilogues depuis l'entrée en vigueur du traité de Lisbonne. Les accords informels entre le Parlement européen, le Conseil et la Commission européenne en amont de l'adoption en première lecture sont en effet devenues monnaie courante. Cette pratique peu transparente doit nous préoccuper : si le droit européen se fait dans une « boîte noire », que reste-t-il du pouvoir de contrôle des parlements nationaux ?
Les débats n'ont pas seulement porté sur le processus législatif mais également sur la qualité de la législation. La nouvelle Commission européenne a fait de la réduction des charges bureaucratiques qui pèsent sur les petites entreprises son cheval de bataille, et souhaite améliorer les études d'impact ainsi que l'évaluation « ex-post » des textes européens.
Ces propositions ont reçu un accueil positif, mais elles ont été l'occasion pour certains parlementaires – je pense notamment à la délégation britannique – d'associer ce « mieux légiférer » à un « moins légiférer », et in fine, à un « moins d'Europe ».
L'action de l'Union européenne à ses frontières a été très présente pendant ces deux jours de débats.
Comme sur la question de la politique économique, une forte division Nord-Sud a pu être observée sur ces sujets lors de nos discussions.
La présidence italienne a longuement insisté sur la nécessité de construire une politique d'asile et d'immigration intégrée, rappelant le fardeau supporté par l'Italie, la Grèce et Chypre. J'ai également fait une mission il y a quelques mois en Bulgarie, et je tiens à souligner que la pression migratoire est également très importante à la frontière bulgaro-turque.
Elle a également exprimé ses fortes inquiétudes quant à la situation dans le monde arabe, et sa volonté de mener une politique de voisinage en Méditerranée forte, fondée sur un pilier « culturel et amical » et un pilier « économique et commercial ».
Mme Lolita Cigane, présidente de la Commission des affaires européennes du Parlement Letton, a demandé à ce que les deux fronts de la politique de voisinage ne soient pas opposés, rappelant que tous les États membres, aussi éloignés soient-il du Proche Orient, doivent se sentir concernés par l'émergence de Daech.
Toutefois, les relations avec la Russie et avec les pays du partenariat oriental restent une priorité affichée pour la Pologne et les Pays Baltes, qui souhaitent qu'une perspective d'adhésion soit offerte aux voisins de l'Union. Ces questions seront au centre de la présidence lettone le semestre prochain.
Au cours du débat sur la politique européenne de voisinage, j'ai souligné que les difficultés de cette politique sont liées à un manque de solidarité mais également à un manque de compréhension historique et culturelle de nos voisins. J'ai également rappelé notre attachement à la construction d'une Europe de la défense et à la définition d'une politique étrangère ambitieuse et distincte de celle des États-Unis.
Comme l'a très justement relevé la présidence italienne, la politique de voisinage ne peut pas être un patchwork représentant les positions des différents États membres et doit gagner en cohérence : au vu des positions exprimées par les différentes délégations, un chemin important reste à faire.
En marge de la réunion de la COSAC, j'ai eu entretien avec le commissaire Timmermans. Cet échange particulièrement satisfaisant a permis d'aborder la question du rôle des parlements nationaux dans l'Union européenne et de la relation entre ceux-ci et la Commission européenne. Le commissaire, ancien parlementaire de la Tweede Kamer néerlandaise, s'est montré très allant sur ce sujet, dans un français absolument parfait.
Par ailleurs, le commissaire Timmermans est en charge du « mieux légiférer ». L'affichage de cet objectif n'est pas sans danger, sur le fond. En effet si l'on ne peut que partager l'idée que l'Europe doive se concentrer sur les sujets pour lesquels elle a une véritable valeur ajoutée, cela ne doit pas aboutir à un retrait de l'action européenne dans des domaines essentiels pour nos concitoyens. Je pense en particulier aux sujets d'environnement, puisque nous avons appris en fin de semaine dernière que le projet de programme de travail de la Commission européenne pour 2015 prévoyait notamment l'abandon des propositions relatives à la qualité de l'air et à l'économie circulaire. Deux sujets qui sont donc des sujets de santé publique pour l'un et de création d'emplois pour l'autre. Ce « grand ménage » législatif ne doit pas se faire au détriment des sujets environnementaux et sociaux, ce qui risque de faire monter encore une fois les nationalismes en donnant l'impression que l'Europe s'intéresse aux questions budgétaires et à rien d'autre.
J'ai saisi par courrier le commissaire Timmermans dès mon retour de Lima pour souligner auprès de lui notre vive inquiétude à ce propos, à la lumière des échos diffusés sur le projet de programme de travail.
Le programme de travail lui-même doit être présenté par la Commission cette semaine. Je ferai en janvier une communication sur le programme de travail de la Commission pour 2015, qui sera l'occasion pour nous de prendre position vis-à-vis de ce programme.
Nous avons par ailleurs longuement échangé à Rome avec le commissaire sur le sujet du respect des droits de l'homme et du recours à l'article 7 du traité, en évoquant notamment le cas de la Hongrie. Le commissaire a indiqué vouloir privilégier une approche fondée sur le dialogue, et souhaite organiser tous les ans un colloque sur l'état des droits fondamentaux dans les États membres avec les organisations de la société civile.
Je suis donc sortie de cet entretien avec une impression très positive et l'image d'un commissaire connaissant bien les élus et percevant les attentes des citoyens, mais je crains désormais que la Commission Juncker ne soit au contraire une commission qui s'éloigne encore un peu plus des citoyens. C'est notre rôle d'interpeler le commissaire Timmermans pour que ce ne soit pas le cas.
Enfin, je tiens à dire que l'ambiance de cette COSAC a été caractérisée par un très bon dialogue entre les parlementaires. On voit bien que les rencontres interparlementaires ayant eu lieu dans l'intervalle, comme le triangle de Weimar, sont très précieuses pour faciliter ces échanges, même en cas de désaccord. Je tiens également à souligner que les interventions entre les deux chambres de notre Parlement ont été très complémentaires.
J'ai en effet connu des COSAC plus tendues. Bien sûr nous avons des divergences. À la COSAC il y a peu de populistes « purs et durs », soit parce qu'ils ne sont pas représentés dans leurs parlements soit parce qu'ils le sont de manière très minoritaire et donc ne représentent pas leurs parlements dans ces instances, mais on sent tous la pression et le danger, et on voit émerger la conscience qu'une Europe plus efficace et plus harmonieuse sera peut-être le rempart contre la montée de ces extrémismes.
C'est même plus que de l'euroscepticisme, c'est de l'eurodéfiance. Il faut en effet que les « europhiles » se serrent les coudes, mais pour cela il faut aussi que la Commission européenne nous aide. C'est pour cela que nous devons être très vigilants.
La séance est levée à 19 h 10