La séance est ouverte à onze heures.
À la suite de la demande d'assistance adressée en 2011 par le Comité d'évaluation et de contrôle à la Cour des comptes pour l'évaluation des dispositifs publics d'aide à la création d'entreprises, nous accueillons le Premier président de la Cour des comptes, M. Didier Migaud, pour qu'il nous présente la contribution de la Cour à cette évaluation. Je rappelle que nos deux rapporteurs sur ce thème sont MM. Jean-Charles Taugourdeau, pour l'opposition, et Fabrice Verdier, pour la majorité.
Monsieur le Premier président, vous avez la parole.
C'est la quatrième fois que j'ai le plaisir de présenter devant le Comité d'évaluation et de contrôle de l'Assemblée nationale un rapport d'évaluation produit à sa demande.
Pour cela, je suis accompagné de M. Gilles-Pierre Lévy, président de la deuxième chambre de la Cour et de la formation inter-juridictions qui a mené l'évaluation, de M. Jean-Marie Bertrand, président de chambre et rapporteur général du Comité du rapport public et des programmes, de Mme Michèle Pappalardo, conseillère maître et rapporteure générale de cette enquête, et de M. Olivier Mousson, conseiller maître et contre-rapporteur. Ils m'assisteront pour répondre à vos questions.
La Cour a mis en place de nouvelles procédures et méthodologies de travail pour conduire les évaluations de politiques publiques. Pour la rédaction de ce rapport, un comité consultatif a été constitué et régulièrement réuni tout au long des travaux ; il était formé de trois collèges, regroupant respectivement des représentants des entreprises, des acteurs responsables des dispositifs et des « tiers impliqués », c'est-à-dire divers intervenants dans la création d'entreprises qui ne sont pas directement chargés de la mise en oeuvre des dispositifs. Trois tables rondes réunissant des créateurs d'entreprises ont été organisées, à Paris, à Lyon et à Arras, et deux sondages ont été réalisés, l'un auprès de 800 jeunes en fin d'études supérieures pour mesurer leur « culture entrepreneuriale », l'autre auprès de 800 personnes ayant créé une entreprise entre 2006 et 2009 et dont l'entreprise a depuis disparu, pour mesurer les causes et les conséquences de cette expérience. Le rapport a également été nourri de travaux spécifiques sur les principaux dispositifs, du contrôle de l'Agence pour la création d'entreprise (APCE), ainsi que des rapports des dix chambres régionales des comptes qui ont participé à l'enquête.
Les politiques publiques étant de plus en plus partagées, il est important que les évaluations appréhendent de façon globale les actions de l'État et celles des collectivités territoriales. De récentes dispositions législatives permettent à la Cour de mener ce type d'enquêtes avec le concours précieux des chambres régionales. La Cour a pleinement utilisé cette faculté et vous livre dans le présent rapport un tableau d'ensemble de l'action publique ; les dispositifs de soutien à la création d'entreprises étant nombreux, nous avons été amenés à nous interroger non seulement sur les dispositifs pris séparément, mais également sur l'efficacité, l'efficience et la cohérence de l'ensemble du système.
En outre, comme pour l'enquête sur la politique de lutte contre le tabagisme que nous vous avons présentée en décembre dernier, la Cour s'est attachée à prendre en compte la dimension internationale du sujet, grâce à une étude comparative des dispositifs publics d'aide à la création d'entreprises dans huit pays comparables au nôtre, que nous avons commandée à la direction générale du trésor.
Votre Comité a demandé à la Cour d'évaluer, non pas l'ensemble de la politique publique en faveur de la création d'entreprises, sujet trop vaste qui aurait impliqué une analyse de l'environnement économique, fiscal et social des jeunes entreprises, mais, plus précisément, les dispositifs en faveur de la création d'entreprises – exercice déjà complexe, eu égard au grand nombre de ces dispositifs et des acteurs qui en ont la charge, ainsi qu'à leur instabilité : l'aide aux chômeurs créateurs ou repreneurs d'entreprises (ACRE) a ainsi été réformée à vingt-cinq reprises depuis sa création en 1977.
Je présenterai dans un premier temps les trois principaux constats dressés par la Cour dans ce rapport.
Premier constat, la France souffre, non pas d'un déficit quantitatif de créations d'entreprises, mais d'une difficulté à rendre celles-ci pérennes et à les faire croître. Avec 550 000 entreprises créées en 2011, nous nous plaçons au premier rang européen en nombre de créations annuelles. Si l'institution en 2009 du régime des auto-entrepreneurs a conduit au quasi-doublement du rythme des créations, ce bond se situe dans le prolongement d'une dynamique très favorable depuis 2003, année de l'adoption de la loi pour l'initiative économique. Le régime des auto-entrepreneurs a stimulé la création d'entreprises, mais il a aussi eu des effets perturbateurs sur les statistiques, la moitié des auto-entreprises ne déclarant aucun chiffre d'affaires, et de nombreuses en ayant un très faible.
Avant la création du régime des auto-entrepreneurs, notre pays occupait le cinquième rang en nombre de créations d'entreprises par habitant, à un niveau très proche de celui de l'Allemagne ; il occupe désormais la première place. Selon l'OCDE, la France aurait en la matière relativement moins souffert de la crise que ses voisins, et le sondage réalisé à la demande de la Cour montre que les Français ont une forte envie d'entreprendre. En matière de création d'entreprises, la France souffre d'un problème non quantitatif, mais qualitatif.
Le rapport met en évidence trois faiblesses majeures. Les entreprises françaises nouvellement créées sont en général de petite taille, défaut renforcé par le régime de l'auto-entrepreneur ; ainsi, en 2011, seules 5,7 % d'entre elles avaient au moins un salarié, alors qu'en Allemagne, cette proportion dépassait les 22 %. Leurs moyens financiers sont limités ; on retrouve ce trait dans les pays voisins, le taux d'accès au financement bancaire étant cependant plus faible en France – 49 % – qu'en Allemagne – 60 %. Surtout, les entreprises ont une durée de vie courte : un tiers des entreprises disparaissent au bout de trois ans et la moitié au bout de cinq – le taux de pérennité variant fortement suivant le profil du créateur : les durées de vie des entreprises créées par des chômeurs, des jeunes de moins de trente ans et des personnes peu ou pas diplômées sont plus courtes. La création d'emploi salarié au bout de cinq ans est le fait d'un nombre restreint d'entreprises. La France se distingue de ses voisins par un enrichissement des entreprises en emplois plus lent et plus limité.
La création du régime de l'auto-entrepreneur a renforcé ces fragilités, qui sont peu compensées par les dispositifs publics : la moitié des créations d'entreprises s'effectuent sans recours à une aide publique et, dans deux cas sur trois, sans accompagnement.
Deuxième constat, les aides sont foisonnantes ; elles font intervenir, y compris au sein de l'État, une multiplicité d'acteurs ayant des objectifs différents, sans qu'une coordination minimale ne soit assurée. La liste des principaux dispositifs nationaux de soutien à la création d'entreprises, publiée en annexe du rapport, est impressionnante ; on peut y observer la variété des outils employés – subventions, exonérations, prêts, garanties, dispositifs d'accompagnement et d'hébergement, financement du capital-risque –, ainsi que le nombre d'acteurs qui en ont la charge.
Aucun recensement n'en a été réalisé car il n'existe pas de responsable jouant le rôle de coordonnateur. Trois ministères sont concernés, qui ont chacun des objectifs différents. Le ministère chargé de l'emploi vise à réduire le nombre de chômeurs, en incitant les demandeurs d'emploi à créer leur propre emploi ; les entreprises ainsi créées sont petites et ont pour la plupart une faible durée de vie. Le ministère chargé de la recherche favorise la création d'entreprises innovantes, valorisant la recherche publique. Le ministère chargé de l'économie, et plus précisément la direction générale de la compétitivité, de l'industrie et des services (DGCIS), cherche à soutenir le dynamisme du tissu économique et à assurer la relève des PME « classiques », sans que cela passe nécessairement par une forte croissance des entreprises.
L'action de l'État est éclatée entre une dizaine de programmes budgétaires, ce qui montre que la création d'entreprises apparaît le plus souvent comme un sous-produit d'autres politiques et comme un moyen d'atteindre d'autres objectifs, en particulier en matière d'emploi et de recherche. Cet éclatement n'est pas critiquable en soi, mais il appelle une vision transversale des moyens budgétaires, qui fait actuellement défaut.
En raison de la dispersion des acteurs, le coût global des actions menées est difficile à évaluer ; le flou concerne les petits dispositifs comme les grands. Par exemple, le coût et les bénéficiaires d'un dispositif aussi important que l'aide à la reprise et à la création d'entreprise (ARCE), financé par l'UNEDIC, sont mal connus. Les possibilités de cumul sont multiples et leurs effets peu analysés.
La Cour évalue le coût des dispositifs nationaux à 2,7 milliards d'euros en 2011, dont 240 millions consistent en des prêts et en des participations en capital ayant vocation à être récupérés. Une partie du financement, à hauteur de 110 millions d'euros, est assurée par les collectivités territoriales. S'y ajoutent les dispositifs mis en place par les collectivités locales, dont il n'existe à l'heure actuelle aucun recensement. En extrapolant à l'ensemble des régions métropolitaines les montants relevés dans les dix régions étudiées, la Cour évalue le coût de ces dispositifs d'initiative locale à quelque 150 millions d'euros par an. Au final, les aides à la création d'entreprises ne constituent pas, et de loin, les principales aides aux entreprises ; pour près de 1 milliard, sur un total de 3, elles correspondent à des versements anticipés d'allocations chômage afin que les demandeurs d'emploi puissent créer leur propre entreprise.
Troisième constat, les aides sont trop fortement concentrées sur les demandeurs d'emplois et l'accompagnement dans la durée de tous les entrepreneurs est insuffisant.
Ces défauts de gouvernance suscitent trois risques.
Le premier est une mauvaise allocation des moyens entre les publics, les territoires et les actions. La Cour relève que les moyens ne sont pas répartis de façon équilibrée entre les trois types de créateurs d'entreprise que sont les demandeurs d'emplois, les « innovateurs » liés au monde de la recherche et les entrepreneurs « classiques ». Les quatre cinquièmes des aides directes nationales, soit un peu plus de 1,6 milliard, sont destinées aux seuls demandeurs d'emploi ; il s'agit majoritairement d'aides « guichet », qui ne sont liées ni au potentiel de développement de l'entreprise, ni à la viabilité du projet. Un tel déséquilibre incite les créateurs d'entreprises à passer par le statut de demandeur d'emploi pour pouvoir bénéficier des aides. Il ne permet pas non plus de remédier aux carences de la création d'entreprises en France, ce qui supposerait de privilégier les entrepreneurs susceptibles de créer des entreprises pérennes et, à terme, créatrices d'emploi. Un rééquilibrage des moyens paraît donc nécessaire.
Le deuxième risque est que l'action publique apparaisse aux créateurs d'entreprises comme un millefeuille illisible, qui ne bénéficie qu'à une minorité. Seule la moitié d'entre eux utilise au moins un des dispositifs de soutien public ! Dans ce contexte, il est à craindre que les personnes voulant créer une entreprise n'effectuent des démarches inutiles ou qu'elles ne bénéficient pas des services auxquels elles ont droit, faute d'avoir pu identifier le bon interlocuteur.
Enfin, le troisième risque concerne l'efficience du dispositif, les coûts de gestion ne pouvant qu'être élevés lorsque les financements sont parcellisés et les responsabilités éclatées.
Sur la base de ces trois constats, la Cour appelle à une politique, d'une part, coordonnée, pilotée et simplifiée, d'autre part, davantage tournée vers l'accompagnement et la croissance des jeunes entreprises.
En premier lieu, il conviendrait de définir une stratégie d'ensemble pour la politique en faveur de la création d'entreprises. Il serait nécessaire de mieux prendre en compte les faiblesses des jeunes entreprises, de manière à faciliter leur accès au financement et à les aider à croître et à recruter. Une telle stratégie définirait les objectifs à atteindre dans ces différents domaines, préciserait les types de bénéficiaires attendus, détaillerait les dispositifs à mettre en oeuvre et mesurerait les résultats obtenus.
Pour définir et mettre en oeuvre cette stratégie, il serait utile de désigner un responsable de niveau interministériel, qui assumerait une partie des missions actuellement confiées à l'APCE, en particulier l'observation de la création d'entreprises, l'information et la coordination des acteurs de l'accompagnement. Une telle évolution impliquerait la restructuration de l'APCE – de toute façon nécessaire.
La Cour recommande également à l'État d'agir de manière plus déconcentrée, en s'appuyant davantage sur les préfets, qui seraient chargés de la coordination à l'échelon territorial, sous l'autorité du nouvel acteur interministériel et en partenariat avec les collectivités territoriales. La Cour a d'ailleurs relevé quelques exemples de coopération particulièrement efficace entre des collectivités particulièrement impliquées et l'État, notamment en Nord-Pas-de-Calais. Un rôle pilote devrait être reconnu à la région en la matière, ce qui suppose une clarification de la répartition des compétences entre les collectivités territoriales.
Le nombre des dispositifs de soutien devrait être réduit afin de simplifier et d'améliorer la lisibilité de la politique d'aide à la création d'entreprises. Chaque acteur devrait faire un effort en ce sens et le cofinancement de dispositifs pourrait être un facteur de simplification. Les stratégies nationales et régionales devraient en outre privilégier le point de vue de l'entrepreneur ; ainsi, les exonérations sociales et fiscales de la première année de création diffèrent suivant le statut du créateur d'entreprise, sans que cela soit justifié : un système unique et simplifié d'exonération devrait être instauré.
D'autre part, il conviendrait de privilégier les dispositifs qui s'adressent à tous les profils de créateurs, assurent leur accompagnement, permettent leur accès au financement et favorisent la croissance de l'entreprise. La plupart des dispositifs actuels étant centrés sur la seule phase de création, les entrepreneurs doivent souvent franchir seuls les étapes ultérieures, pourtant cruciales. Le rapport public thématique de juillet 2012 sur l'État et le financement de l'économie avait d'ailleurs souligné la difficulté des entreprises françaises à passer ces premières années, durant la phase dite « d'amorçage », en raison d'un accès insuffisant aux sources de financement. Les dispositifs publics visant à corriger cette faiblesse sont peu nombreux et relèvent d'un trop grand nombre d'acteurs ; en Allemagne, les entreprises sont davantage pérennes.
Dans le cadre de la stratégie nationale précédemment évoquée, il importerait de renforcer ces dispositifs, au détriment des aides « guichet » distribuées sans ciblage – telle l'aide aux chômeurs créateurs ou repreneurs d'entreprise (ACCRE) ou l'aide à la reprise et à la création d'entreprise (ARCE) –, sur la base d'une identification des entreprises à potentiel de croissance, quel que soit le statut du porteur de projet. Priorité serait donnée à l'accompagnement et à l'accès aux financements, via des prêts d'honneur et des garanties de prêts bancaires.
L'accompagnement ne concerne actuellement que 10 à 30 % des créateurs d'entreprises ; il faudrait le développer, en veillant à la qualité des prestations et à la professionnalisation des équipes. Le dispositif d'accompagnement d'un créateur devrait être unique et bien identifié. La généralisation de l'accompagnement passe par une meilleure coordination entre financeur et opérateur, qui devrait être facilitée par des stratégies régionales, élaborées conjointement par les collectivités et l'État.
Les prêts d'honneur et les garanties de prêts bancaires facilitent l'accès au financement bancaire des nouvelles entreprises. Ils sont accessibles et s'adaptent à tous les types de créateurs. Ils ont un effet de levier pour l'accès au financement privé et à d'autres formes d'intervention publique : subventions, prises de participation. Les faibles résultats du nouvel accompagnement pour la création et la reprise d'entreprises (NACRE), qui accapare l'énergie des services déconcentrés de l'État pour des montants limités – 18 millions d'euros en 2011, contre 55 millions de prêts –, appellent une redéfinition de cet outil qui fait double emploi avec les prêts d'honneurs. Quant aux prêts à la création d'entreprise gérés par OSÉO, leurs conditions d'attribution devraient être réexaminées.
En définitive, le message central de la Cour est qu'il conviendrait de recentrer l'aide à la création d'entreprises sur les dispositifs qui affichent les meilleurs résultats en termes de création durable d'entreprises de croissance.
Je souhaiterais, pour conclure, élargir le propos à l'amont et l'aval de la création d'entreprises.
À l'amont, la Cour a constaté que la formation à la culture entrepreunariale dans l'enseignement progressait ; cette tendance devrait être amplifiée, en particulier dans le supérieur : il s'agit d'un levier peu coûteux et susceptible de stimuler la création d'entreprises. En outre, le sondage commandé par la Cour montre qu'en matière de création d'entreprises, l'échec n'est pas nécessairement perçu de façon négative.
À l'aval, la croissance des entreprises pourrait être mieux assurée grâce au développement des fonds d'investissement en capital-risque. Il est frappant de constater que, parmi les quarante capitalisations les plus importantes, les entreprises créées il y a moins de vingt ans sont moins nombreuses en France que dans d'autres pays. Cela est dû à l'insuffisante attention accordée à la phase de croissance des entreprises.
Merci, monsieur le Premier président, pour la qualité de ce travail. En nous appuyant sur les initiatives que vous avez prises – deux sondages, des tables rondes –, nous avons pu, mon collègue Jean-Charles Taugourdeau et moi, mener parallèlement nos travaux sur ce sujet complexe. Notre objectif est clair : il s'agit de soutenir la création d'entreprises.
« Pour arroser quelques parterres de fleurs, on irrigue parfois tout un jardin », avez-vous dit il y a quelques jours, parlant de l'action publique, à l'occasion de la présentation du rapport public annuel pour 2013. En matière de création d'entreprises, il y a trois parterres à arroser : les demandeurs d'emploi, les entreprises innovantes, le tissu économique et territorial ; mais il existe plusieurs jardiniers – l'État, avec trois ministères concernés, les collectivités locales et les organismes consulaires – et une source de financement principale, les fonds de l'UNEDIC. Malheureusement, la moitié des fleurs n'en bénéficient pas, et beaucoup ne poussent pas beaucoup, voire disparaissent.
Nous sommes d'accord avec nombre de vos recommandations visant à améliorer la pérennité de nos entreprises et faire en sorte qu'elles créent plus d'emplois, mais nous souhaiterions vous poser quelques questions afin d'enrichir notre rapport.
La Cour des comptes propose de supprimer le dispositif NACRE et de transférer les crédits afférents aux prêts d'honneur. Concrètement, comment pourrait s'opérer ce transfert ? Si cette mesure était adoptée, tous les créateurs auraient-ils accès à un accompagnement ?
Monsieur le Premier président, votre allusion aux fleurs m'a touché tout particulièrement, puisque j'ai créé, fait croître et transmis une entreprise horticole !
Créer une entreprise est une chose, mais c'est bien souvent après que cela se corse ; on a besoin d'un accompagnement. On déplore qu'il n'y ait pas assez d'entreprises de taille intermédiaire (ETI) en France, mais encore faudrait-il que les entreprises passent la phase d'amorçage : c'est au départ que la vie est la plus fragile.
La Cour des comptes déplore un manque de coordination entre l'État et les régions, qui confine parfois à la concurrence. L'État est-il trop présent ? Faut-il renforcer le rôle de pilote de la région ? Quelles sont les recommandations de la Cour pour parachever le processus de décentralisation ?
Faut-il privilégier les aides remboursables ? Que pense la Cour de la possibilité de demander un retour aux entreprises profitables, à prélever sur les dividendes ?
J'ai toujours été opposé aux subventions directes aux entreprises. Je pense que les aides doivent participer à la création et à la croissance de l'entreprise, mais, dès lors qu'on a la possibilité de prélever des dividendes, il serait normal de remettre au pot. Quant à l'attribution des aides elles-mêmes, peut-être le guichet unique est-il un doux rêve, mais un minimum de centralisation permettrait d'éviter les chevauchements.
Comment améliorer l'efficacité des aides aux entreprises sans les cibler sur les entreprises qui présentent, dès le stade du projet, de solides atouts ? Faut-il concentrer les aides sur les projets les plus prometteurs ou sur les publics les plus fragiles ? Est-il normal que les demandeurs d'emploi aient accès quasi automatiquement à ces aides ?
La Cour a fait réaliser un sondage intéressant sur la perception de l'échec en matière de création d'entreprises. Quelles conclusions en tirer en termes de politiques publiques ?
Le soutien à la création d'entreprises ne se réduit pas aux aspects financiers ; il suppose aussi un accompagnement et un assouplissement des normes. Il est absurde d'exiger qu'une entreprise qui n'a pas encore commencé à gagner un euro soit aux normes ! Les directions régionales de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL) devraient accorder aux entreprises nouvellement créées un délai de quatre à cinq ans pour se mettre aux normes.
La Cour des comptes fait état de l'insuffisance du rapprochement des services de l'emploi et de l'économie au sein des directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE), illustrée par l'échec de la mesure « RGPP 95 ». Pourquoi, en dépit d'une circulaire commune de la direction générale de l'emploi et de la formation professionnelle (DGEFP) et de la direction générale de la consommation, de l'industrie et des services (DGCIS), les préfets et les services déconcentrés n'ont-ils pas joué le jeu ? Comment expliquer que Pôle emploi et les DIRECCTE aient pu mener des démarches autonomes de contractualisation avec les associations d'aides aux créateurs d'entreprises, sur la base de critères distincts ? Qu'ont répondu les ministères de tutelle à la Cour ?
Comme je l'ai souligné en présentant notre rapport public annuel pour 2013, le mauvais ciblage des interventions publiques est, hélas, une constante ! C'est d'ailleurs ce qui nous rend optimistes sur notre capacité à freiner la dépense publique. Le problème de la France, c'est la multiplicité des acteurs et l'insuffisance du ciblage des dispositifs, tant au niveau de l'État que des collectivités territoriales.
Le défaut de coordination entre l'État et les régions ne provient pas d'une plus ou moins grande présence de l'un ou des autres. La Cour constate seulement que, dans de nombreux cas, chacun travaille de son côté, sans chercher à élaborer une stratégie commune ou à coordonner des actions qui concernent pourtant les mêmes acteurs.
Une dizaine de régions seulement ont été étudiées. Dans quelques-unes, comme le Nord-Pas-de-Calais ou la Lorraine, on a constaté l'existence d'une démarche commune, dont l'efficacité a été vérifiée : les dispositifs de soutien sont plus lisibles, les créateurs d'entreprises sont orientés plus vite et mieux vers ceux qui les concernent, les réseaux d'accompagnement sont plus efficaces et le financement des actions est mieux coordonné.
S'il souhaite continuer à agir en faveur de la création d'entreprises, l'État devrait déconcentrer davantage son action, de manière à ce qu'elle soit adaptée aux spécificités des territoires. Les préfets, notamment les préfets de région, pourraient jouer un rôle intéressant en la matière, dans la mesure où ils peuvent élaborer, avec les collectivités territoriales, des stratégies communes adaptées aux besoins régionaux. Si les services de l'État n'ont rien à négocier, qu'ils ne disposent d'aucune souplesse pour orienter les actions sur le terrain, les collectivités territoriales ne verront pas l'intérêt de négocier une stratégie commune.
L'une de nos recommandations est de reconnaître le rôle pilote de la région par rapport aux autres collectivités locales – ce qui renvoie au projet de réforme dont vous allez être saisis. Pour ce faire, la Cour appelle à une clarification de la répartition des compétences entre les collectivités territoriales.
Je ne suis pas sûr qu'il faille tirer du sondage que nous avons fait réaliser des conclusions en termes de politique publique. En revanche, ce sondage permet de combattre une idée fausse : à savoir, que l'échec – relativement fréquent – en matière de création d'entreprise aurait des conséquences négatives à terme, car il découragerait les créateurs potentiels. On constate en effet que, dans leur grande majorité, les créateurs d'une entreprise ayant par la suite disparu ne regrettent pas cette expérience, bien au contraire ; certains ont par la suite créé une nouvelle entreprise, beaucoup ont trouvé un emploi. Bref, le sondage enregistre un état d'esprit positif.
Ce sondage est d'abord un outil de communication : il permet de signifier aux créateurs potentiels, et notamment aux jeunes, que si l'échec est possible, il ne s'agit en aucun cas d'une pénalisation définitive.
Les dispositifs NACRE et prêts d'honneur se ressemblent beaucoup, que ce soit par l'origine des crédits, qui proviennent en grande partie des fonds versés sur les livrets gérés par la Caisse des dépôts et consignations, ou par les destinataires ; ils comprennent à la fois des abondements de crédits et des accompagnements. Plutôt que d'ajouter un intervenant supplémentaire, autant consacrer cet argent au renforcement des réseaux existants ! Notre recommandation est de transférer les crédits au système des prêts d'honneur et aux réseaux d'accompagnement. Nous avons en effet constaté que les taux de réussite des entreprises suivies par des réseaux sont bien supérieurs à ceux des autres – avec peut-être le biais que les réseaux sélectionnent les meilleurs.
Toutefois, cette réforme ne permettrait pas de proposer un accompagnement à tous les créateurs d'entreprises, dans la mesure où les crédits sont limités – 18 millions d'euros aujourd'hui pour NACRE. Si l'on veut accompagner un plus grand nombre de personnes, il faut revoir entièrement la question.
S'agissant des aides remboursables, le bon sens voudrait que, lorsqu'une entreprise fait des affaires, elle rembourse l'argent qui lui a été donné. Pour les prêts d'honneur, normalement, ce remboursement est automatique ; le tout est d'éviter qu'il ne coïncide avec le moment où l'entreprise change de braquet. Je ne pense pas qu'il existe de réponse parfaite. Si l'entreprise traverse une phase délicate, peut-être pourrait-on reporter le remboursement ou, mieux, le combiner avec une entrée de capital dans la phase d'amorçage, en provenance de capitaux-risqueurs, de la Caisse des dépôts ou de la Banque publique d'investissement (BPI).
Pour ce qui est de l'efficacité des aides, tout dépend de l'objectif. S'il s'agit de favoriser la création et le développement des entreprises, il convient de détecter, d'encourager et d'accompagner celles qui ont le plus fort potentiel de croissance. La concentration de l'aide sur les plus fragiles répond au contraire à un objectif social ; mais, même dans cette hypothèse, nous ne sommes pas convaincus qu'il s'agisse d'une bonne solution, car on risque d'inciter les gens à aller dans une impasse.
Le tout est de savoir sur ce que l'on entend par « les plus fragiles ». Par exemple, l'action de l'Association pour le droit à l'initiative économique (ADIE), qui vise les personnes les plus en difficulté mais pas forcément les projets les plus fragiles, est efficace, parce qu'elle passe par un accompagnement précis. Autant je ne pense pas qu'il faille systématiquement aider les projets les plus fragiles, autant on peut soutenir, dans une optique sociale, ceux de personnes en difficulté, même si leurs moyens sont nécessairement réduits et qu'ils se limitent à la création de leur propre emploi.
Quand on contracte un prêt d'honneur, on certifie qu'on va tout faire pour le rembourser. Quant à l'avance remboursable, on sait bien qu'il faudra la rembourser un jour ; le problème est de savoir à quel moment. Il est vrai que chaque seuil peut être aussi difficile à franchir que l'étape de la création, et qu'il peut être compliqué de rembourser une aide quand on est en train de s'attaquer à la marche supérieure. La crise que nous traversons depuis 2009 nous donne une occasion historique de revisiter la fiscalité et la conception même de l'entreprise : s'agit-il d'un patrimoine familial ou d'un outil de travail ? Après tout, on pourrait admettre qu'une entreprise perçoive des aides publiques si elle réinvestit ses bénéfices et verse des salaires raisonnables à l'ensemble de son personnel, direction incluse. C'est quand elle commence à accorder des dividendes que cela fait problème ; elle en a parfaitement le droit, mais je trouverais normal qu'une entreprise qui a bénéficié d'une subvention remette au pot, par solidarité avec sa filière, ou parce qu'elle pourra avoir besoin de cet argent le jour où il lui faudra franchir un nouveau seuil, ou encore, l'activité appelant l'activité, pour permettre à d'autres de créer leur propre entreprise.
En visitant l'incubateur d'entreprises Innov'up, à Alès, dans le Gard, nous avons constaté qu'un produit pouvait être de qualité, que le marché pouvait exister, mais qu'au bout de trois ou quatre ans celui qui avait été accompagné était obligé de se débrouiller tout seul, et qu'il rencontrait alors des difficultés pour lever des fonds. Au cours d'une des tables rondes que nous avons organisées, l'un des intervenants a regretté que l'on ne flèche pas une partie de l'épargne de l'assurance-vie vers le capital-risque, ce qui permettrait de soutenir le développement économique grâce à des projets innovants. Des entreprises rentables, qui disposent d'un marché et créent des emplois peuvent disparaître faute de financements sur deux à quatre ans : quel gâchis !
Vous dressez le constat que la création d'entreprises en France est un problème plus qualitatif que quantitatif. De fait, avec 550 000 entreprises créées en 2011, nous occupons l'une des premières places en Europe. Toutefois, cela est dû à la montée en puissance depuis 2008 du régime des auto-entrepreneurs, qui représente plus de 50 % des créations d'entreprises ; d'où un problème qualitatif, car ce régime ne favorise pas la pérennité et le développement des entreprises. D'autre part, si l'on considère le nombre de créations d'entreprises hors auto-entrepreneurs, on note une légère inflexion au cours de ces trois dernières années.
La Cour des comptes a-t-elle prévu une évaluation du régime des auto-entrepreneurs ? Ne faudrait-il pas encadrer ce statut, voire le limiter dans le temps ? Il constitue, pour beaucoup de nos concitoyens, un complément de revenus ou d'activités, voire, dans certains secteurs comme le bâtiment, une concurrence déloyale ; il a également des effets induits sur nos politiques publiques, notamment en matière de création d'entreprises.
Vous préconisez le renforcement du rôle de chef de file du développement économique de la région. Cela suppose que le préfet de région joue le rôle de développeur économique, ce qui n'est pas le cas partout ; en outre, d'autres acteurs, comme les intercommunalités ou les pôles métropolitains, viennent désormais concurrencer la région sur ces questions, et la BPI va proposer un « guichet unique » pour les PME, les PMI et les ETI, qui sera compétent sur la question, selon vous stratégique, de l'accompagnement. Comment concevez-vous l'articulation de ces trois acteurs que sont les services déconcentrés de l'État, la collectivité régionale et le guichet régional de la BPI ?
Permettez-moi, tout d'abord, de saluer le travail remarquable réalisé par la Cour des comptes et par nos rapporteurs.
Les constats portés par la Cour sur les défauts de coordination et de gouvernance sont malheureusement des constantes dans les différents domaines de l'activité humaine, et plus particulièrement dans notre cher pays…
S'agissant de la création d'entreprises, vous êtes-vous intéressés au mécanisme de la flexisécurité ? Un système analogue au « triangle d'or » danois ne permettrait-il pas, à travers une assurance professionnelle, d'apporter tout à la fois aux travailleurs de notre pays la sécurité qui leur est nécessaire et à nos entreprises une capacité d'adaptation aujourd'hui indispensable, constituant de ce fait un dispositif de soutien à la création qui compléterait utilement les mécanismes financiers évoqués ?
Merci à la Cour des comptes pour ce rapport.
Si l'on étudie l'histoire économique, on remarque que les entreprises françaises les plus compétitives et les plus rayonnantes dans le monde proviennent pour la plupart de l'artisanat. La conversion de l'artisanat vers l'industrie est un phénomène particulièrement intéressant, que l'on peut observer dans les filières de l'agroalimentaire et du luxe, ou dans le décolletage. La création d'une entreprise ne survient jamais ex nihilo : rares sont ceux qui décident à la sortie d'une université, d'une grande école ou d'une expérience de cadre de créer leur entreprise. Il existe dans la salaisonnerie des exemples célèbres, comme Fleury-Michon, de charcutiers devenus industriels parce qu'à un moment, un acteur extérieur, souvent un banquier, a su les convaincre qu'ils étaient en train de franchir un cap, et que, de gros artisans ou gros commerçants, ils pouvaient devenir petits entrepreneurs, avec une courbe d'apprentissage déjà acquise, grâce à des effets de levier financier et marketing. Avez-vous examiné cette question ?
Au cours d'une réunion consacrée il y a quelques semaines à Pôle emploi, les rapporteurs avaient noté un phénomène de reterritorialisation des politiques de l'emploi, dû à des différences de contexte économique. La coordination n'est pas un enjeu en soi : elle ne le devient qu'à partir du moment où l'on met en synergie des éléments comme l'emploi, le développement économique, l'aménagement du territoire et la formation. Celui qui aura la maîtrise de ces différents paramètres devra être le coordonnateur des politiques de développement économique, donc de création d'entreprises.
Enfin, pour résoudre le problème de l'articulation entre subventions, prêts et participations en capital, ne pourrait-on pas s'inspirer du mécanisme des options ? On peut en effet se demander dans quelle mesure une subvention ne pourrait pas être considérée comme une option : en cas de développement de l'entreprise et d'ouverture de son capital, le financeur public pourrait alors exercer son option et la subvention être transformée en capitaux propres – cela se pratique couramment dans les grandes entreprises.
Nous avions émis de nombreuses critiques sur le régime de l'auto-entrepreneur. De fait, vous dites qu'il a bouleversé le paysage, que sa prise en compte perturbe les statistiques, que 55 % des auto-entreprises ne déclarent pas de chiffre d'affaires et que beaucoup ont un chiffre d'affaires très faible. On constate par ailleurs que les créations d'auto-entreprises ont diminué de 19 % en 2011, contre 2 % pour les entreprises « classiques ». Quelles sont vos préconisations pour le régime des auto-entrepreneurs ?
Vous évoquez des dispositifs complexes et déséquilibrés, un pilotage insuffisant, une gouvernance difficile. Pensez-vous que la création de la BPI va changer les choses ? Les régions seront-elles appelées à jouer un rôle pivot en matière de développement économique ? Certaines, comme la région Midi-Pyrénées, attribuent des contrats d'appui, avec un accompagnement sur deux ou trois ans, afin de favoriser la création et le développement des entreprises.
Aux États-Unis, une grande partie des nouveaux emplois sont créés dans des entreprises de moins de cinq ans. Quel est en France l'impact de la création d'entreprises sur la création d'emplois, notamment par rapport aux autres formes d'aides existantes ?
Il semble exister une spécificité française : dans notre pays, les entreprises sont très rapidement rachetées par de grands groupes, ce qui nuit à l'innovation et, peut-être, à la croissance. A-t-on une idée plus précise de ce phénomène ?
Le régime de l'auto-entrepreneur n'étant pas le sujet de cette évaluation, nous n'avons pas étudié en détail le statut et ses conséquences. Il reste que les fragilités que nous avons relevées préexistaient à la mise en place de ce régime, même si celui-ci les a renforcées : les créations d'entreprises étaient déjà nombreuses, les entreprises avaient un taux de pérennité faible, créaient peu d'emplois et souffraient d'un manque d'accompagnement.
Il est vrai qu'en France, la création d'entreprise génère peu d'emplois. Il reste que cela permet à chacun de créer son propre emploi. En outre, cela dépend des secteurs.
La création de la BPI étant récente, il est trop tôt pour en analyser les conséquences.
En effet, nous ne savons pas encore comment son action se coordonnera avec celle des autres acteurs. En revanche, nous avons constaté l'existence de nombreuses initiatives, tant nationales que locales – au niveau de la région, mais aussi du département, de la communauté d'agglomérations et de la commune. De l'étude d'un échantillon de dix régions, nous retirons qu'à l'exception du département du Val-d'Oise, les meilleurs résultats sont obtenus au niveau régional – notamment dans le Nord-Pas-de-Calais et en Picardie : on cherche à coordonner les dispositifs, à engager un dialogue entre les acteurs locaux de la création d'entreprises et à travailler avec les représentants de l'État.
J'en profite pour revenir sur une précédente question des rapporteurs. Le défaut de coordination observée au niveau des DIRECCTE résulte d'une absence de vision stratégique ; chaque service a son objectif – légitime –, sans qu'il y ait d'échanges entre eux. D'où notre recommandation : réaffirmer le rôle de coordonnateurs du préfet de région pour les services de l'État et de la région pour les collectivités, et faire en sorte que tous deux s'entendent sur une action commune ; nous suggérons l'élaboration d'un document stratégique commun pour chaque région.
Monsieur Morange, nous n'avons pas examiné la flexisécurité sous cet angle ; je serais pour ma part tenté de l'envisager comme un mécanisme de lutte contre le chômage – mais vous connaissez sans doute mieux le sujet que moi.
L'option est en effet une formule envisageable, monsieur Fromantin. Dans le secteur de la recherche, il existe des avances remboursables en cas de succès ; on peut imaginer que cela prenne la forme d'une option financière. Beaucoup d'entreprises de haute technologie rémunèrent d'ailleurs leurs salariés sous forme de stock-options.
Nous avons auditionné les représentants de l'Assemblée permanente des chambres de métiers et de l'artisanat (APCMA) et des chambres de commerce et de l'industrie, mais nous n'avons pas fait de réelle distinction entre artisanat et entreprise : une entreprise, au départ, a souvent une taille artisanale ; nous n'avons considéré que le critère de la création.
Monsieur le président, le phénomène de rachat des entreprises pose le problème des étapes successives de leur croissance et de leur pérennisation : pourquoi des entreprises préfèrent-elles être rachetées alors qu'elles sont encore petites, plutôt que d'ouvrir leur capital à des investisseurs et de continuer à croître ? Je n'ai pas de réponse ; sachant qu'il s'agit d'un métier difficile, il est probable que, dans un certain nombre de cas, le chef d'entreprise profite de cette occasion pour s'arrêter tout en récupérant de l'argent. Voilà pourquoi la Cour recommande de développer le capital-risque et le conseil.
Nous avons également constaté un déficit d'informations sur le sujet de la création d'entreprises. Ainsi, bien que nous nous soyons posé la question de son impact sur la création d'emplois, nous n'avons pas pu aller aussi loin que nous l'aurions souhaité dans l'analyse, faute de données. Nous recommandons donc de développer les études statistiques, afin de pouvoir mieux suivre l'évolution des entreprises et évaluer les dispositifs existants.
Sur un total de 2,7 milliards d'aides, les subventions stricto sensu ne représentent que 50 millions : c'est infime ! La catégorie « subventions et assimilé » inclut également les aides aux demandeurs d'emploi créateurs d'entreprise – qui ne sont pas des « subventions » au sens où vous l'entendez. Nous ne disposons pas d'informations sur le nombre de personnes passant par la case « chômage » pour obtenir ces aides.
Il faut aussi considérer que la gestion des avances remboursables est complexe et coûteuse en personnel, surtout si l'on prévoit ces remboursements à relativement long terme. Les montants en jeu doivent être suffisamment importants pour que cela en vaille la peine ; il est aussi envisageable de transformer les avances en options ou en capital-risque. Il reste que le recours à ce type d'outils doit rester limité afin d'éviter les problèmes de gestion.
Je souhaiterais apporter mon témoignage. Dans une entreprise de ma circonscription, d'anciens salariés ont souhaité reprendre une entreprise qui avait cessé toute activité depuis longtemps. Ils se sont heurtés à une jungle de dispositifs, ont eu affaire à des interlocuteurs différents, qui leur ont donné des réponses différentes. Heureusement qu'ils étaient trois et qu'ils se sont soutenus pour arriver à leurs fins !
Vous avez dit que cela marchait mieux lorsque le créateur était accompagné par des réseaux : je confirme que les couveuses et les pépinières d'entreprises aboutissent à de belles réussites.
Nous partageons votre constat, madame ! C'est pourquoi nous mettons en garde contre la multiplicité des acteurs et la complexité des dispositifs – qui résultent, entre autres, des dispositions que vous avez votées, auxquelles s'ajoutent les décisions du pouvoir réglementaire, les règlements européens et notre organisation politico-administrative…
C'est à nos rapporteurs de jouer, maintenant ! On voit la complémentarité qui doit exister entre le travail de la Cour et celui de notre Comité. Il faudrait creuser certains points, comme le rôle de la BPI, celui de la région ou l'articulation entre les différents réseaux d'accompagnement : France Active, Initiative France, Association pour le droit à l'initiative économique (ADIE). Quelle aide va à qui ? Un minimum de coordination serait nécessaire ! Aux rapporteurs de nous faire des propositions, tout en tenant compte des incitations à la modération du Premier président, en évitant de créer une « usine à gaz » pour le contrôle et en limitant la paperasserie.
Simplification, clarification, coordination : c'est en effet ce qui nous a été demandé par l'ensemble des acteurs.
Les réseaux ne sont pas en concurrence ; ils échangent et travaillent régulièrement ensemble. Peut-être ont-ils segmenté l'offre, mais les réponses différentes que l'on obtient auprès de la DIRECCTE ou de Pôle emploi compliquent les choses et peuvent décourager certains porteurs de projets. France Initiative nous a demandé davantage de visibilité, pour pouvoir travailler dans la durée.
On devrait réussir à renforcer la coordination tout en utilisant une formule plus souple que le guichet unique ; on pourrait ainsi organiser, sous la double autorité du préfet et du président de région, une conférence annuelle au cours de laquelle les différents acteurs se rencontreraient et fixeraient, à travers une contractualisation, des perspectives communes. À coûts constants, en jouant uniquement sur l'efficience de la dépense publique, il devrait être possible d'améliorer le dispositif et de répondre aux objectifs de création d'emplois.
Si l'on veut répondre aux attentes du Premier président, à coûts constants, c'est encore trop !
Aux responsables politiques et au Gouvernement de définir les priorités : on peut faire davantage dans certains secteurs, et moins dans d'autres ! Il reste que certaines aides devraient être redéployées et qu'avec le même argent, on pourrait être beaucoup plus efficace par rapport aux objectifs fixés.
D'autant plus que la question ne se réduit pas aux aides financières publiques ! Les entreprises – et les personnes travaillant à leur compte – nourrissent le système économique ; il s'agit d'un monde largement méconnu. Une entreprise a pour vocation de créer, non pas des emplois, mais de la richesse et du travail ; la création d'emploi n'est qu'une conséquence. Il faut donc libérer le travail. Le rapport Gallois estime d'ailleurs, à la page 20, que tout doit être fait pour simplifier les choses ; il préconise notamment de supprimer deux normes à chaque fois que l'on en édicte une nouvelle…
Monsieur le Premier président, nous travaillerons avec plaisir sur la base de votre rapport. Il est difficile de dissocier la création d'une entreprise de sa croissance et de sa transmission. Il serait par conséquent intéressant de prolonger cette évaluation par une étude des freins à la création d'emplois et par une autre sur la transmission des entreprises. Le système de la liquidation est terrible : quand une entreprise tombe aux mains d'un liquidateur qui la dépèce, il est impossible de la reprendre. C'est pourquoi je veux saluer l'action de l'agglomération d'Angers, qui a repris l'usine Technicolor et racheté son matériel ; cela va permettre de prouver qu'une entreprise peut repartir dès lors que l'on conserve les savoir-faire, le personnel et les ateliers !
Nous aborderons dans notre rapport la question de la BPI, qui peut jouer un rôle important en matière de médiation du crédit – certaines entreprises disparaissant à la suite d'une défection des banques.
Monsieur le Premier président, monsieur Lévy, madame Pappalardo, je vous remercie. Il revient maintenant à nos rapporteurs de nous faire des propositions afin d'améliorer l'aide à la création d'entreprises. Le rapport de la Cour des comptes sera publié en annexe du rapport du CEC.
La séance est levée à midi trente.