La Commission procède à l'audition de M. Didier MIGAUD, Premier président de la Cour des comptes, M. Raoul BRIET, président de la 1re chambre, M. Jean-François LEQUOY, délégué général de la Fédération française des sociétés d'assurances (FFSA), et M. Pierre MINOR, président du comité juridique de la Fédération bancaire française (FBF), sur le rapport d'enquête réalisé par la Cour des comptes, en application du 2° de l'article 58 de la loi organique relative aux lois de finances, sur les avoirs bancaires et les contrats d'assurance-vie en déshérence.
La Commission procède tout d'abord à l'audition de M. Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes, et de M. Raoul Briet, président de la première chambre.
Nous accueillons M. Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes, accompagné du président de la première chambre, M. Raoul Briet : ils viennent nous présenter le rapport qu'a préparé la Cour à la suite de la demande d'enquête que la commission des Finances lui avait adressée le 13 décembre 2012 sur les avoirs bancaires et les contrats d'assurance-vie en déshérence.
Cette demande vous avait été adressée, monsieur le Premier président, en application des dispositions du 2° de l'article 58 de la loi organique relative aux lois de finances. Le même jour, nous vous avions également saisi d'une demande sur les péages autoroutiers : mercredi prochain, vous viendrez nous présenter avec la présidente de la septième chambre les résultats de cette autre enquête de la Cour.
Dans un premier temps, nous entendrons la présentation de l'enquête de la Cour par le Premier président et nous lui poserons des questions. Puis, après le départ du Premier président, mais avec la participation de M. Briet, nous pourrons entendre les observations des représentants des assurances et des banques et dialoguer avec eux. Je salue d'ores et déjà M. Jean-François Lequoy, délégué général de la Fédération française des sociétés d'assurances, et M. Pierre Minor, président du comité juridique de la Fédération bancaire française, accompagné de M. Alain Gourio, directeur du département juridique de la FBF : ils me rejoindront tout à l'heure à la tribune.
Monsieur le président, je vous remercie d'avoir organisé cette audition pour me permettre de présenter à votre Commission le rapport qu'elle a commandé à la Cour, sur les avoirs bancaires et les contrats d'assurance-vie en déshérence. Je suis accompagné de M. Raoul Briet, président de la première chambre, et de Mme Catherine Julien-Hiebel, conseillère référendaire et rapporteure. Sont également présentes Mme Monique Saliou, conseillère maître, contre-rapporteure, et les autres rapporteures de l'enquête, Mmes Stéphanie Cabossioras, Aude Buresi et Constance Braye.
Ce rapport est le fruit non seulement d'un contrôle auprès des services de l'État, mais surtout d'une enquête menée auprès des fédérations professionnelles des secteurs de la banque et de l'assurance et d'un échantillon représentatif de leurs adhérents. La Cour a été amenée, dans le cadre de cette enquête et de manière plutôt inhabituelle, à examiner les pratiques d'organismes, pour la plupart d'entre eux privés, sur lesquelles elle ne dispose pas de compétence directe. Tous les établissements consultés ont pleinement coopéré.
La situation actuelle des avoirs bancaires inactifs puis en déshérence ainsi que des contrats d'assurance-vie non réclamés soulève de réels enjeux de protection des épargnants. Le client – ou son héritier – qui ne se serait pas manifesté auprès de son établissement de crédit pendant une longue durée n'est, en l'état actuel, pas assuré de pouvoir récupérer les sommes qu'il y a déposées sans que le capital ait été largement entamé par des frais de gestion. S'il a souscrit un contrat d'assurance-vie, il n'est pas toujours assuré du versement rapide des sommes dues aux bénéficiaires qu'il a désignés, en particulier lorsque ces derniers ne sont pas informés de l'existence d'un tel contrat à leur profit. Cette situation est d'autant plus préjudiciable que les personnes les plus susceptibles d'être touchées par la déshérence sont celles qui détiennent de petits dépôts bancaires ou des contrats d'assurance-vie de montants modestes.
La gestion des avoirs non réclamés soulève également des enjeux budgétaires pour l'État. En effet, les avoirs non réclamés par leur propriétaire ou bénéficiaire auprès de l'établissement de crédit dépositaire ou de l'organisme d'assurance sont acquis à l'État au bout de trente ans. Les montants qui lui reviennent sont toutefois, dans la situation actuelle, assez peu significatifs : 49,3 millions d'euros en 2012 au titre des comptes bancaires prescrits et 6,4 millions d'euros, entre 2008 et janvier 2013, au titre des contrats d'assurance-vie prescrits.
Les constats formulés par la Cour diffèrent entre le secteur bancaire et celui des assurances.
S'agissant des avoirs bancaires en déshérence, le cadre juridique est lacunaire. La seule obligation légale à la charge des banques concernant ces avoirs est celle de leur reversement à l'État au terme de la prescription trentenaire. La Cour a d'ailleurs relevé des défaillances dans le respect par les établissements de crédit de cette obligation. Le code monétaire et financier ne comprend pas, en revanche, d'obligations particulières concernant les comptes inactifs, c'est-à-dire non mouvementés à l'initiative du client et pour lesquels ce dernier ne s'est pas manifesté.
Il découle de ce cadre juridique incomplet une série de conséquences préjudiciables.
En premier lieu, les banques n'ont aucune obligation de rechercher si les titulaires des comptes ouverts dans leurs livres sont décédés. En pratique, l'absence de connaissance du décès du client par les banques est pourtant l'un des facteurs principaux de déshérence des comptes au sein des établissements de crédit. Elle est en partie liée au fait que les notaires n'ont pas de droit propre à consulter, lors des successions, le fichier des comptes bancaires – FICOBA –, qui recense l'ensemble des comptes bancaires ouverts en France. Actuellement, et seulement depuis 2011, ils n'ont qu'un accès indirect au FICOBA, sur mandat d'un héritier. Ils n'ont donc pas toujours une vision exhaustive du patrimoine détenu en banque par les personnes décédées.
En deuxième lieu, les avoirs bancaires inactifs font l'objet d'une gestion hétérogène par les établissements de crédit, chacun ayant son interprétation de ce qu'est un compte inactif et de ses modalités de gestion.
En troisième lieu, l'application de frais de gestion annuels sur les comptes courants inactifs pendant plusieurs années, voire jusqu'au terme de la prescription trentenaire, peut conduire les banques à prélever une partie importante des sommes qu'ils contiennent, et parfois la totalité lorsque le montant de ces sommes est réduit.
En quatrième et dernier lieu, l'Autorité de contrôle prudentiel – ACP –, faute de textes précis s'imposant aux banques dans ce domaine, n'est pas en situation de veiller à leur respect.
S'agissant du secteur de l'assurance, la situation est différente. Plusieurs textes législatifs récents, en 2003, 2005 et 2007, ont introduit de nouvelles obligations à la charge des assureurs, afin de réduire le nombre de contrats d'assurance-vie non réclamés, en particulier l'obligation de s'informer du décès éventuel d'un assuré et de rechercher les bénéficiaires des contrats d'assurance-vie.
Les assureurs ont cependant tardé à mettre en oeuvre ces obligations, dont ils ont eu, par ailleurs, une interprétation restrictive.
La loi du 17 décembre 2007 n'est pas intégralement appliquée par eux, alors même que son entrée en vigueur date de plus de six ans, qu'il s'agisse de l'obligation de consulter les données relatives au décès des personnes inscrites au répertoire national d'identification des personnes physiques – RNIPP – pour identifier les assurés décédés, ou de celle de rechercher les bénéficiaires de contrats d'assurance-vie, une fois le décès de l'assuré connu. S'il va de soi que la mise en oeuvre technique a nécessité une montée en charge progressive du dispositif, il n'en reste pas moins que les organismes d'assurance n'ont manifestement pris conscience que tardivement des nouvelles responsabilités que leur confiait la loi.
En outre, s'appuyant sur des engagements professionnels de la Fédération française des sociétés d'assurances – FFSA – et du Groupement des entreprises mutuelles d'assurance – GEMA –, les entreprises d'assurance ont appliqué des critères restrictifs pour la consultation du RNIPP, qui ne figurent pas dans le texte de la loi. De manière générale, elles ne consultent le fichier des décès que pour les assurés âgés de plus de quatre-vingt-dix ans ou dont le contrat est supérieur à 2 000 euros. En conséquence, les bénéficiaires d'assurés décédés à moins de quatre-vingt-dix ans ou les bénéficiaires de petits montants ont fort peu de chance de recevoir les prestations qui leur sont dues s'ils ne se manifestent pas auprès de l'assureur. L'enjeu est important dans la mesure où l'âge moyen des décès s'élève à quatre-vingts ans dans les entreprises interrogées et que les contrats de moins de 2 000 euros représentent entre 20 % et 30 % de l'ensemble des contrats.
Au vu de ces constats, la Cour a tenté d'estimer l'encours des avoirs bancaires et des contrats d'assurance-vie non réclamés.
L'encours des avoirs bancaires non réclamés pourrait être estimé à quelque 1,2 milliard d'euros. Ce chiffrage résulte de la combinaison de deux approches complémentaires : d'une part, une estimation de l'encours, au sein des réseaux distributeurs historiques du livret A, des avoirs détenus par des clients centenaires mais décédés depuis une longue période, évalué à 918 millions d'euros ; d'autre part, les données transmises par cinq des sept groupes ou établissements bancaires consultés par la Cour concernant l'encours des comptes bancaires – hors livrets A pour certains réseaux – identifiés comme inactifs depuis dix ans. Cet encours s'élevait, fin 2012, à 298 millions d'euros. Cette estimation repose sur des données partielles et hétérogènes, donc fragiles. Elle a toutefois l'avantage de montrer que l'enjeu est significatif, même s'il comporte un aspect historique et non reconductible lié aux livrets A distribués par les réseaux qui en avaient, à l'origine, le monopole.
L'exemple des centenaires a surtout retenu l'attention de la presse, bien qu'il ne s'agisse que de la partie la plus visible du sujet. Nous relevons, dans notre rapport, que ceux ayant un compte ouvert sont 674 014, alors que la France compte seulement 20 106 personnes de cet âge. Même si des phénomènes de double détention ne peuvent être exclus, l'ampleur de l'écart conduit à penser que nombre de ces titulaires sont aujourd'hui décédés, dont certains depuis une longue période. Une partie de ces comptes correspond donc à des avoirs bancaires non réclamés.
S'agissant des contrats d'assurance-vie et de capitalisation non réclamés, leur encours représente, sur la base de l'enquête non publiée menée par la FFSA et le GEMA, au minimum 2,76 milliards en 2011. Il s'agit là encore d'une estimation basse, dans la mesure où sont exclus les capitaux pour lesquels les assureurs ne consultent pas le fichier des décès, en contradiction avec ce que prévoit la loi depuis 2007.
Le caractère lacunaire du cadre juridique applicable au secteur bancaire en matière de gestion des comptes inactifs montre que ni l'État dans son rôle de régulateur – en l'espèce la direction générale du Trésor – ni la profession bancaire n'ont tiré les conséquences de la mission d'étude sur la spoliation des Juifs de France, dite mission Mattéoli, qui avait fait émerger dans la société française un débat sur les avoirs en déshérence à la fin des années 1990.
En outre, l'État, en l'occurrence la direction générale des finances publiques, se désintéresse, en pratique, tant du contrôle que de l'encaissement des sommes et valeurs prescrites. Les contrôles de l'administration fiscale dans ce domaine sont rares, en raison notamment de l'imprécision du cadre juridique actuel de ces contrôles. Ces éléments ne sont vraisemblablement pas sans lien avec le faible montant des reversements à l'État.
Au vu de ces lacunes juridiques et de ces défaillances opérationnelles susceptibles de porter préjudice à l'épargnant, la Cour s'est attachée à définir un ensemble de mesures de nature à renforcer sa protection dans le cadre d'un dispositif offrant une plus grande sécurité. Alors qu'elle recommande la mise en place d'un nouveau cadre juridique concernant les comptes bancaires inactifs, dans le domaine des assurances, en revanche, l'enjeu est principalement de compléter le cadre existant.
Afin de renforcer la protection des épargnants en matière d'avoirs bancaires non réclamés, il est indispensable de mettre en place un cadre juridique des comptes bancaires inactifs qui les définirait avec précision, fixerait les obligations à la charge des banques, notamment pour informer et reprendre contact avec le client, et emporterait une compétence de contrôle de l'ACP sur le respect des obligations qui pèseraient sur les établissements de crédit. Des propositions concrètes figurent dans le rapport.
À titre préventif, il conviendrait, par ailleurs, de renforcer le rôle des notaires pour prévenir l'apparition d'avoirs bancaires non réclamés, en rendant obligatoire la consultation par ces derniers du FICOBA dans le cadre d'une succession.
Afin de rendre pleinement efficace le cadre législatif adopté par le Parlement pour lutter contre le phénomène des contrats d'assurance-vie non réclamés, la Cour recommande de le compléter sur certains aspects.
Il est important de renforcer encore l'information des assurés afin de prévenir la non-réclamation des contrats, par exemple en étendant l'obligation d'information annuelle du contractant aux contrats inférieurs à 2 000 euros. Il est également indispensable d'inciter davantage les assureurs à mettre en oeuvre les diligences nécessaires en matière d'identification des assurés décédés et de recherche des bénéficiaires. À cette fin, la Cour recommande notamment d'imposer que la revalorisation du capital après le décès de l'assuré s'effectue dans les mêmes conditions que celles prévues au contrat avant ce décès, ce qui serait de nature à inciter encore davantage l'assureur à effectuer rapidement des recherches pour retrouver les bénéficiaires des contrats.
Au-delà de ces recommandations de base, la Cour recommande également une option plus ambitieuse : le transfert obligatoire des avoirs non réclamés à la Caisse des dépôts et consignations au terme de délais définis par la loi.
Pourquoi la Caisse des dépôts et consignations ?
En premier lieu, ce rôle s'inscrit dans ses missions traditionnelles de maniement et de conservation des fonds pour compte de tiers. Une telle obligation de transfert permettrait, en outre, au terme d'un certain délai, aux titulaires de comptes ou à leurs ayants droit, ainsi qu'aux bénéficiaires de contrats d'assurance-vie, de disposer d'un interlocuteur unique pour les recherches de comptes ou de contrats en déshérence. Par ailleurs, elle serait de nature à garantir la sécurité des avoirs bancaires au bénéfice de leurs titulaires ou de leurs ayants droit. En effet, l'introduction d'un tel transfert s'accompagnerait d'une obligation, pour la Caisse des dépôts, de ne pas entamer le capital des avoirs bancaires transférés mais de préserver sa valeur nominale. Les avoirs bancaires concernés seraient les suivants : les comptes identifiés comme inactifs depuis dix ans, dans le cadre de l'approche « client » – et non compte par compte – retenue par les banques, et les fonds non réclamés deux ans après le décès du titulaire d'un compte et n'ayant fait l'objet d'aucune manifestation d'ayants droit pendant ce délai. Le transfert des comptes inactifs à la Caisse des dépôts et consignations au bout de dix ans ne concernerait donc, si les banques ont effectué les diligences nécessaires, que des situations résiduelles, dans lesquelles le titulaire ne manifeste plus d'intention de maintenir sa relation contractuelle avec l'établissement bancaire. Ce transfert n'interviendrait qu'après une information complète du client par son établissement.
Pour les contrats d'assurance-vie et de capitalisation non réclamés, un tel transfert, qui pourrait intervenir dans un délai de cinq à dix ans après le décès de l'assuré ou le terme du contrat, aurait un caractère incitatif à l'égard de l'assureur en matière de recherche de bénéficiaires, dans la mesure où les sommes ne seraient plus susceptibles d'être réinvesties auprès de lui. Les bénéficiaires de contrats non réclamés feraient en conséquence l'objet de recherches plus actives de la part des organismes d'assurance. Le transfert à la Caisse des dépôts et consignations permettrait, par ailleurs, de lever une ambiguïté juridique relative à la prescription applicable aux contrats d'assurance-vie. Actuellement, le bénéficiaire d'un tel contrat ne peut réclamer le versement des prestations à l'assureur que dans un délai de dix ans après le décès de l'assuré, sauf s'il prouve qu'il n'avait pas connaissance du décès. Or, en cas de transfert à la Caisse des dépôts et consignations, le bénéficiaire pourrait réclamer de manière certaine le versement des sommes qui lui sont dues jusqu'à trente ans après le décès de l'assuré.
Dans les deux cas – avoirs bancaires comme d'assurance-vie –, la Caisse des dépôts et consignations serait dépositaire des sommes jusqu'à ce que les ayants droit ou bénéficiaires se manifestent, et, à défaut, jusqu'à leur reversement à l'État au terme de la prescription trentenaire. S'agissant des contrats d'assurance-vie, dans la mesure où la Caisse n'a pas vocation à réaliser des opérations d'assurance, ce sont bien des dépôts et non des contrats qui lui seraient transférés.
Cette perspective est envisagée de manière positive par la Caisse des dépôts et consignations elle-même, qui a indiqué que, dans l'hypothèse où le transfert en sa faveur deviendrait obligatoire, elle serait en mesure de recevoir les sommes en question d'ici environ un à trois ans, selon la nature des avoirs concernés.
Le sujet dont vous avez saisi la Cour n'appartient donc pas seulement au passé, mais représente également un enjeu d'avenir. Des facteurs d'accroissement du risque d'une hausse des avoirs en déshérence ont été identifiés, tels que l'augmentation du patrimoine financier des ménages ou certains phénomènes sociologiques appelés à s'accentuer dans les années à venir : la « multibancarisation », conjuguée à la mobilité géographique, qui peut s'accompagner de l'oubli d'un compte, ou l'éclatement des familles, qui peut conduire à l'ignorance, lors d'un décès, de l'existence d'un ou de plusieurs comptes de la personne décédée par ses héritiers.
Ces éléments plaident, nous semble-t-il, en faveur d'une réponse structurelle et institutionnelle à la problématique des avoirs bancaires et d'assurance non réclamés, d'autant que cette problématique, qui concerne des encours importants, pourrait s'amplifier à l'avenir.
Je tiens à remercier le Premier président de la Cour des comptes et le président de la première chambre du travail effectué par la Cour. J'avais déjà appelé l'attention sur cette question à plusieurs reprises et souhaité que cette mission, qui ne devait à l'origine traiter que de l'assurance-vie, soit étendue à la question des avoirs bancaires.
Nous sommes en cours d'examen de la loi bancaire, à laquelle le Parlement – Assemblée nationale et Sénat réunis – a apporté des précisions relatives aux contrats d'assurance-vie. J'ai moi-même déposé un amendement d'appel sur la question des contrats d'assurance-vie non réclamés et des avoirs bancaires en déshérence : le ministre de l'Économie, dans l'attente des conclusions du rapport de la Cour des comptes, m'a laissé entendre qu'il ne serait pas défavorable à une proposition de loi sur le sujet si le rapport de la Cour mettait en évidence la nécessité d'évolutions législatives. J'ai d'ailleurs commencé de travailler à partir des propositions qui figurent dans ce rapport. J'espère que d'ici à quelques mois, l'ordre du jour de l'Assemblée permettra de traiter cette question dont vous avez, monsieur le Premier président, souligné l'ampleur – la presse a relayé cette préoccupation.
S'agissant du transfert des contrats d'assurance-vie à la Caisse des dépôts, celle-ci nous a indiqué n'être en situation de recevoir que du numéraire, ce qui pose la question des comptes titres et des contrats d'assurance-vie dont les supports seraient diversifiés – assurances-vie en unités de compte notamment. Nous devrons donc répondre à la question très technique et délicate de la liquidation éventuelle de ces comptes titres, qui peut poser une difficulté au regard du droit de propriété, notamment en cas de pertes éventuelles actées au moment d'une liquidation qui ne serait pas ordonnée par le bénéficiaire.
Par ailleurs, la Cour a-t-elle réfléchi à la question des comptes bancaires détenus par les personnes morales ?
Vous avez évoqué la possibilité d'inscrire dans la loi l'obligation pour les notaires de consulter le FICOBA pour le règlement d'une succession : je suis favorable à une telle disposition. Il conviendra toutefois d'interroger la Commission nationale de l'informatique et des libertés – CNIL – sur la compatibilité de cette mesure avec les libertés individuelles.
Je souhaiterais également évoquer la question des frais perçus par les organismes bancaires sur la gestion des comptes inactifs ou en déshérence, dont on comprend assez difficilement qu'ils puissent faire l'objet de frais de gestion élevés.
Je rejoins vos analyses sur la nécessité de compléter la législation sur les comptes bancaires et souhaite évidemment consulter les organismes et les fédérations concernés par la préparation d'un texte sur le sujet. Probablement conviendra-t-il de demander au Conseil d'État son avis sur la proposition de loi évoquée, une fois celle-ci déposée, en raison des questions complexes qu'un tel texte est susceptible de poser.
La loi du 17 décembre 2007 permettant la recherche des bénéficiaires des contrats d'assurance-vie non réclamés et garantissant les droits des assurés n'est toujours pas pleinement appliquée par l'ensemble des sociétés d'assurance. Outre les difficultés techniques relevées dans le rapport, les assureurs n'ont manifestement pas affecté les moyens nécessaires à la recherche des bénéficiaires. C'est ainsi que, page 20, le rapport de la Cour des comptes révèle que « l'équipe de recherche de bénéficiaires dans une compagnie de taille moyenne était constituée d'uniquement deux personnes ».
L'ACP a, de plus, procédé à un nombre très peu élevé de contrôles alors même que, comme l'indique le rapport aux pages 143 à 145, elle était informée des défaillances des assureurs. Ainsi, « des manquements à la loi du 17 décembre 2007 constatés dans des organismes d'assurance en 2011 ou 2012 ont perduré quatre à cinq ans sans faire l'objet ni de mesures de police administrative ni de l'ouverture de procédures disciplinaires par le collège de l'ACP ni, par conséquent, de sanctions de la part de la commission des sanctions ». Ce constat appelle à prévoir des sanctions suffisamment lourdes pour que les assureurs soient incités à appliquer de façon effective les nouvelles dispositions législatives qui pourraient être adoptées.
Les notaires font-ils correctement leur travail ? N'y a-t-il pas défaillance de leur part ? Ont-ils du reste les moyens de rechercher, en cas de succession difficile, la situation bancaire de leurs clients ?
La lenteur de la réaction de l'ACP n'est-elle pas liée au fait que le prélèvement rapide des sommes des avoirs non réclamés pourrait faire courir un risque aux bilans de certains établissements bancaires ou d'assurance ? Avez-vous évalué, ne serait-ce que pour prévenir tout lobbyisme, les conséquences des mesures que vous préconisez sur l'évolution du bilan des organismes concernés ?
De nombreuses compagnies d'assurance vendent des contrats de capitalisation comme des produits discrets pour le souscripteur et le bénéficiaire – celui-ci, en effet, peut ne pas faire partie du cercle familial et il s'agit souvent de fonds particuliers. Il est possible que ces compagnies d'assurance finissent réellement par perdre tout contact avec eux. Cela a été vrai en tout cas durant une longue période : j'ignore si tel est encore le cas aujourd'hui.
Vous avez souligné que les banques et les compagnies d'assurance procèdent régulièrement à des prélèvements sur les comptes inactifs, ce qui implique qu'elles les aient préalablement identifiés. Comment garantir que les nouvelles dispositions législatives seront mieux appliquées que les précédentes afin de briser le cercle vicieux d'une gestion des fonds qui ne serve qu'à améliorer les résultats des banques et des compagnies d'assurance ?
Monsieur le rapporteur général, l'objectif du transfert obligatoire à la Caisse des dépôts des avoirs non réclamés est de garantir leur sécurité au bénéfice de leurs titulaires ou de leurs ayants droit. L'introduction d'une telle obligation s'accompagnerait évidemment, pour la Caisse, de celle de ne pas entamer le capital des avoirs transférés mais d'assurer la préservation de sa valeur nominale.
La Caisse, dans le cadre des échanges que nous avons eus avec elle, nous a indiqué que les avoirs bancaires qui lui seraient transférés auraient le statut de dépôts réglementés libératoires. Les comptes les plus importants pourraient faire l'objet d'une rémunération spécifique tout en se voyant appliquer des frais de gestion dans la limite des intérêts versés, tandis que les comptes modestes ne donneraient pas lieu à de tels frais mais ne seraient pas rémunérés – le capital étant toutefois préservé. Le dispositif serait identique s'agissant des sommes dues au titre des contrats non réclamés.
Ma question porte également sur les frais de gestion appliqués par les banques sur les comptes inactifs au cours du délai précédant le transfert.
Nous proposons de plafonner ces frais de gestion.
Il faut savoir qu'en matière de comptes inactifs, les banques ne sont actuellement pas soumises à des dispositions législatives précises, contrairement aux assurances, même si celles-ci mettent du retard à appliquer leurs obligations légales ou procèdent à une interprétation restrictive de celles-ci. Cette obligation de transfert concernerait tous les comptes bancaires, y compris les comptes titres.
Il serait en effet illogique de prévoir le transfert des comptes courants pour éviter le prélèvement de frais de gestion tout en maintenant les autres comptes – comptes d'épargne ou comptes titres – dans les livres des banques, celles-ci ayant elles-mêmes une définition de l'activité ou de l'inactivité tous comptes confondus. Il conviendrait donc de conserver l'approche « client ».
S'agissant, monsieur le rapporteur général, de la liquidation des titres, nous ne prétendons pas avoir expertisé dans le détail tous les aspects juridiques de la question : aussi ne vous donnerai-je que des lignes directrices.
À nos yeux, la liquidation des titres négociables devrait intervenir mécaniquement le jour de l'expiration du délai de trente ans : il nous paraît en effet difficile de demander à la Caisse des dépôts de prendre des décisions en matière de gestion de ces comptes, ces décisions pouvant porter atteinte au droit de propriété de l'épargnant ou entraîner des conséquences fiscales désagréables pour lui. D'ores et déjà, la Caisse reçoit et gère des actifs détenus autrement qu'en numéraire.
Il nous paraîtrait en revanche souhaitable que la liquidation des titres non négociables intervienne avant le transfert à la Caisse, c'est-à-dire à la date à laquelle la banque s'en dessaisirait à son bénéfice, parce que nous ne voyons pas comment celle-ci pourrait accomplir des actes de gestion, ce qui serait le cas si elle était amenée à décider de les céder à telle ou telle date. Notre objectif n'est pas de transformer la Caisse en gestionnaire ni en société d'assurance-vie. Les contrats en euros ne posant aucune difficulté particulière, leur capital devrait être liquidé au moment de leur transfert à la Caisse qui, à son tour, opérerait la revalorisation de ce capital selon les modalités qu'elle applique à l'ensemble de ses dépôts.
La question des supports en unités de compte est plus délicate, même si elle doit statistiquement se révéler résiduelle. Des expertises complémentaires sont évidemment nécessaires.
Oui, monsieur le rapporteur général, les règles que nous préconisons ont également vocation à s'appliquer aux personnes morales, compte tenu des ajustements qui se révéleront nécessaires.
Nous avons consulté la CNIL sur l'ouverture aux assureurs de la possibilité d'utiliser le numéro d'inscription au répertoire – NIR : elle n'a exprimé aucune objection de principe. Mais cette mesure suppose une disposition législative et une consultation officielle de cette autorité, à laquelle il appartiendrait alors d'apprécier si la finalité de l'identification des assurés décédés et de la recherche des bénéficiaires des contrats d'assurance-vie justifie l'utilisation du NIR. Je tiens à rappeler que les organismes d'assurance sont déjà fondés à utiliser le NIR dans le cadre de leurs activités, notamment d'assurance maladie complémentaire – maternité, invalidité, vieillesse – lorsqu'ils interviennent en complément des régimes sociaux de base ou dans le cadre de relations avec les professionnels de santé.
S'agissant, monsieur Grandguillaume, de la prudence de l'ACP, constatée dans le rapport, s'il pouvait être utile de laisser un délai aux sociétés d'assurance pour leur permettre de prendre toute la dimension de la législation, il serait effectivement souhaitable que l'ACP se saisisse désormais de la plénitude de ses prérogatives. Les organismes de contrôle doivent pleinement jouer leur rôle.
Madame Berger, au vu du montant des encours concernés, comparé à celui des dépôts bancaires ou des assurances-vie, l'enjeu financier ne saurait être considéré comme décisif pour les banques comme pour les assurances. Aussi l'ACP n'a-t-elle pas cet élément en vue. Il faut savoir que, de manière générale, elle préfère l'approche pédagogique à l'approche répressive. Nous lui adressons régulièrement des critiques à ce sujet et le faisons de nouveau à l'occasion de ce rapport. Ses contrôles en matière d'assurance-vie n'ont pas encore donné lieu à des sanctions. Deux dossiers ont fait l'objet de mesures de police administrative et un seul a provoqué l'ouverture d'une procédure disciplinaire.
Les avoirs bancaires non réclamés représentant moins de 0,2 % du bilan des banques, leur liquidation n'attenterait en rien à la sécurité financière ou au ratio de celles-ci – au sujet desquelles, du reste, aucune remarque ne saurait être faite à l'ACP puisque, je le répète, elles ne sont pas soumises à des règles en matière de comptes inactifs. L'ACP ne peut donc vérifier l'application ni sanctionner la non-application de règles qui n'existent pas ! C'est pourquoi nous préconisons, dans un premier temps, l'établissement de règles afin qu'elle puisse, dans un second temps, en vérifier la bonne application.
S'agissant, monsieur Goua, de la discrétion, voire de l'anonymat qui caractériserait les contrats de capitalisation, les représentants de la profession de l'assurance pourront mieux s'exprimer sur le sujet que moi. Toutefois, les exigences actuelles encadrant la clause bénéficiaire devraient permettre de réduire le halo d'incertitude entourant ce point.
Je m'associe à cette question : la prescription trentenaire doit-elle demeurer intangible ? Son objectif est de couvrir une génération…
Nous avons évoqué ce sujet avec la direction des affaires civiles et du Sceau du ministère de la Justice. Nous pensions nous attaquer à un principe très fort alors que, pour la Chancellerie, il n'est pas question de statufier la prescription trentenaire. Le sujet est donc ouvert. Nous l'avons évoqué page 66 du rapport sans faire aucune recommandation, n'ayant pas procédé à l'expertise nécessaire.
Vous n'avez donc pas expertisé l'incidence financière ou budgétaire d'un passage de trente ans à vingt ans…
Ne serait-il pas possible de recourir en la matière à une procédure qui s'inspirerait de celle visant les biens vacants et sans maître ? Elle a été améliorée ces dernières années. Si les biens sont présumés vacants et si aucun recours n'a été déposé six mois après la publication les concernant, ils deviennent biens d'État ou communaux – lorsque les communes ont lancé les procédures.
Un délai de six mois me paraît bien court en matière d'avoirs bancaires ou de contrats d'assurance-vie en déshérence. Toutefois, il appartient aux législateurs que vous êtes d'en décider.
S'agissant du rôle des notaires, il faudra, comme l'a rappelé le rapporteur général, avoir l'accord préalable de la CNIL avant de les autoriser à accéder au FICOBA.
Le propre de l'activité du notaire est de procéder aux diligences nécessaires pour régler une succession. Il doit donc pouvoir accéder aux fichiers lui permettant de remplir sa mission. Ce serait la solution la plus simple !
La CNIL, dans la réponse qu'elle nous a donnée sur le sujet, ne voit que des avantages à cette solution.
Il n'existe pas encore d'équivalent au FICOBA pour les contrats d'assurance-vie, que pourrait constituer un « FICOVIE ». Nous savons que le Gouvernement y réfléchit – tel est le sens de sa réponse dans l'hémicycle à une question sur le sujet. La Cour des comptes pourrait-elle faire des recommandations sur ce que pourrait être un tel fichier, lequel permettrait de résoudre le problème des contrats d'assurance-vie en déshérence ? À l'heure actuelle, il est notamment difficile d'identifier les destinataires finaux : ils pourraient figurer dans un tel fichier.
Nous n'avons pas expertisé un tel fichier dans la mesure où nous ne nous sommes penchés que sur les dispositifs en vigueur.
Après le départ de M. Didier Migaud, la Commission procède ensuite à l'audition de M. Jean-François Lequoy, délégué général de la Fédération française des sociétés d'assurances (FFSA), et de M. Pierre Minor, président du comité juridique de la Fédération bancaire française (FBF), accompagné de M. Alain Gourio, directeur du département juridique de la FBF, avec la participation de M. Raoul Briet, président de la première chambre de la Cour des comptes.
M. Jean-François Lequoy, délégué général de la Fédération française des sociétés d'assurance – FFSA –, et M. Pierre Minor, président du comité juridique de la Fédération bancaire française – FBF –, vont maintenant nous faire part de leur position sur le rapport que viennent de nous présenter MM. Migaud et Briet.
Je vous remercie de me donner l'occasion d'exprimer le point de vue de la Fédération bancaire française.
Le rapport qui nous a été présenté est très bon et contient des propositions intéressantes. La situation des avoirs en déshérence nécessite incontestablement une clarification juridique. Nous sommes favorables à la mise en place d'un cadre juridique cohérent et sécurisé, dans l'intérêt partagé des établissements de crédit et des clients.
La loi actuelle est en effet « lacunaire » : elle est à la fois imprécise et incomplète sur bien des aspects. Fondée sur une approche compte par compte, actif par actif, elle traite des avoirs en déshérence par le biais de la prescription acquisitive de trente ans, mais ne comporte que peu ou pas de dispositions sur le point de départ de la prescription et les obligations des établissements de crédit. Elle est en outre dépassée dans la mesure où elle fait toujours référence aux valeurs mobilières, aux titres et aux dépôts de titres, sans que l'on connaisse très bien le périmètre de ces notions. La Cour de cassation, dans un arrêt de la chambre commerciale du 27 mars 2012, a par exemple exclu les bons de caisse de ces catégories et considéré qu'ils étaient soumis à la prescription de droit commun, alors qu'ils constituent des titres négociables et pouvaient donc être assujettis à la prescription trentenaire.
Nous préconisons une approche « client », celui-ci ayant généralement plusieurs comptes, dont des comptes et des produits d'épargne réglementés n'ayant pas vocation à faire l'objet de mouvements. En effet, les comptes d'épargne réglementés sont très souvent inactifs.
Nous sommes favorables à une définition législative des comptes en déshérence – ce qui permettrait d'unifier toutes les pratiques liées à la détermination des comptes inactifs, puis en déshérence – et du point de départ précis de la prescription, qui est un élément fondamental. La nouvelle législation devrait être applicable, non seulement aux établissements de crédit, mais aussi aux établissements de paiement, de monnaie électronique et aux prestataires de services d'investissement. Il serait souhaitable que ce sujet fasse l'objet d'une harmonisation européenne, des disparités importantes existant entre plusieurs États membres de l'Union européenne. Il serait également nécessaire de prendre en considération des situations spécifiques, comme les comptes gelés du fait de réglementations particulières – liées aux embargos, voies d'exécution ou séquestres – échappant au régime de la déshérence.
Cependant, nous avons plusieurs réserves.
D'abord, nous ne sommes pas favorables au caractère obligatoire du transfert à la Caisse des dépôts et consignations des avoirs inactifs au bout de dix ans. Les banques sont en effet en mesure de gérer ces comptes – c'est leur métier –, d'autant qu'existerait un cadre juridique clair et précis prévoyant notamment des conditions d'information spécifiques des clients et un renforcement des contrôles. Cette solution permettrait aux clients de conserver la même relation commerciale ; en outre, ils n'auraient pas à subir les inconvénients de la clôture de leurs comptes – laquelle entraînerait une perte des droits acquis pour les produits d'épargne réglementés ou poserait des difficultés particulières s'agissant des comptes titres dont la liquidation pourrait s'avérer nécessaire.
Deuxièmement, le délai de deux ans suivant le décès est trop court pour faire état d'une succession en déshérence : le fait qu'il ne se soit rien passé pendant cette période n'implique pas nécessairement une déshérence ! Il faut en effet des délais importants pour accomplir les recherches et formalités, notamment pour des successions internationales, des litiges sur succession ou la recherche d'un héritier supplémentaire. Les textes aujourd'hui applicables aux successions en déshérence nous paraissent suffisants. Je rappelle que l'État doit demander l'envoi en possession conformément aux dispositions du code civil.
Troisièmement, la consultation obligatoire du RNIPP pour les comptes des clients inactifs et des clients âgés ne nous paraît pas appropriée. Les banques ont déjà mis en oeuvre des dispositifs dans le cadre de leur contrôle interne pour veiller au respect de leur obligation de connaissance du client et de prévention des cas de fraude. La création d'une obligation légale supplémentaire n'est donc pas nécessaire. En outre, ce fichier ne comprend que les personnes nées en France. De plus, sa consultation nécessitera une adaptation des systèmes informatiques pour permettre notamment le croisement des données et la détection des homonymies.
Par ailleurs, la profession bancaire ne souhaite pas être associée à la liquidation de certains actifs de ses clients, comme ceux des coffres-forts, qui font l'objet de plusieurs mentions dans le rapport de la Cour des comptes. Si nous sommes favorables à ce qu'une législation règle le sort de ces coffres, les banques ont aujourd'hui l'obligation de conserver leur contenu au-delà de trente ans. Une procédure à la charge des banques, similaire à celle des objets abandonnés – laquelle est régie par une loi de 1903 –, serait lourde et coûteuse et irait au-delà de leurs attributions.
En ce qui concerne les titres en général et les titres non négociables en particulier – comme les parts de SCPI ou l'or papier se trouvant sur les comptes titres –, nous ne souhaitons pas être associés à leur liquidation. Cela irait au-delà de nos attributions. La liquidation de titres, surtout lorsqu'ils ne sont pas négociés sur un marché réglementé, nécessite la mise en oeuvre d'une procédure lourde, supposant un coût et une responsabilité qu'il n'appartient pas à la banque de supporter.
Enfin, je rappelle que les comptes inactifs ne sont pas morts : il faut les surveiller pour éviter tout risque de fraude interne ou externe, ainsi que faire attention aux mouvements non autorisés et les rejeter. Leur suivi et leur gestion nécessitent de nombreuses interventions humaines qui ont un coût. En outre, ces comptes exigent un stockage informatique et doivent être isolés pour être inscrits dans une rubrique spéciale. Cela étant, leur coût est assez raisonnable dans la mesure où il se situe entre 0 et 100 euros par an – sachant que la matière n'est pas réglementée.
Les assureurs souhaitent trouver une solution au problème des contrats d'assurance-vie non réclamés et accueillent très favorablement l'ensemble des recommandations émises par la Cour des comptes à ce sujet.
Ces contrats représentent un peu moins de 0,1 % des encours d'assurance-vie selon nos estimations et 0,2 % selon celles de la Cour. Il s'agit en effet de cas exceptionnels.
Nous y avons été confrontés dans deux cas de figure : soit lorsque nous n'avions pas connaissance du décès de l'assuré et que le bénéficiaire ne se manifestait pas auprès de l'assureur, soit lorsque nous avions connaissance de ce décès mais que nous ne parvenions pas à identifier et à retrouver le bénéficiaire.
Depuis 2003, une succession de mesures législatives nous a permis de nous doter d'outils pour résoudre ces situations ou en diminuer le nombre. Deux outils importants nous ont notamment été donnés par la loi, respectivement en 2005 et 2007, et ont fait l'objet de dispositifs de place par les assureurs : d'une part, AGIRA 1, qui donne lieu à plusieurs milliers d'interrogations par an et permet à chacun de demander à ceux-ci s'il n'est pas bénéficiaire d'un contrat souscrit par une personne dont il apporte la preuve du décès ; d'autre part, AGIRA 2, qui permet aux assureurs d'interroger le RNIPP afin de savoir si leurs assurés sont ou non décédés.
En pratique, ce dernier outil n'a pu être utilisé qu'à partir de 2009, après autorisation de la CNIL. Si la montée en charge de celui-ci aurait peut-être pu être plus rapide, elle n'en a pas moins été réelle, sachant que cela a demandé aux assureurs de mettre en place des circuits d'interrogation informatique : le nombre d'interrogations est ainsi passé de 6 millions en 2010 à 15 millions en 2011 puis 31 millions en 2012.
Certaines entreprises d'assurance ont sans doute été plus longues que d'autres à consulter ce fichier. Mais la question de savoir pour quels assurés et avec quelle périodicité il faut conduire ces interrogations a trouvé sa solution dans la loi de séparation des activités bancaires, puisqu'une disposition impose maintenant une interrogation annuelle du fichier pour l'ensemble des contrats. Cela étant, même avec ces outils, on continue à rencontrer quelques difficultés, tenant notamment à des problèmes d'homonymie. D'où notre demande – formulée auprès de la Cour des comptes – d'un outil supplémentaire : l'accès au NIR.
Au-delà des mesures recommandées par la Cour, notre profession travaille aujourd'hui à un dispositif de place qui aurait vocation à identifier les bénéficiaires et à régler les contrats non réclamés dans les cas les plus difficiles, avec l'appui d'équipes spécialisées mutualisées. Celles-ci pourraient avoir accès à ce numéro ou à des fichiers pouvant leur être utiles, comme les fichiers d'état civil, le FICOBA ou les fichiers de sécurité sociale.
Si la FFSA est plutôt favorable aux propositions de la Cour des comptes, je n'ai pas bien compris quels étaient les points d'accord de la FBF à cet égard…
La FBF devrait nous remercier puisqu'elle dit que la gestion des avoirs en déshérence lui coûte beaucoup d'argent ! Prévoir leur transfert devrait lui permettre de faire des économies.
S'agissant des frais de gestion, la Cour des comptes indique, aux pages 45 et 46 de son rapport, que l'une des banques étudiées prélève des frais de tenue de comptes inactifs de 35 à 500 euros par an ! Par ailleurs, une d'entre elles a transféré 1 025 000 euros à l'État en 2012 à l'issue de la prescription alors qu'elle a perçu 605 670 euros, soit plus de 50 % du transfert ! En 2010, pour une somme versée à l'État de 722 000 euros, elle a perçu 518 000 euros. Ces montants ne correspondent pas à ceux que vous nous avez indiqués.
Par ailleurs, au sujet du délai de deux ans, le transfert des avoirs à la Caisse des dépôts et consignations ne dépossède pas un propriétaire qui se ferait connaître ultérieurement, puisqu'il s'agit de sommes consignées. Cela permet au contraire de protéger l'épargnant, notamment dans l'hypothèse de la disparition d'une banque. D'autant que la Caisse est prête à assumer cette mission.
Certes, des ajustements peuvent être effectués sur les durées et les plafonnements et nous vous consulterons sur le texte que nous préparons. Mais ce sujet doit être traité car il soulève des problèmes récurrents. Il faudra d'ailleurs renforcer les missions de l'ACP à cet égard.
Faut-il modifier la règle de la prescription trentenaire, qui a été conçue pour protéger le droit de propriété ?
Je ne comprends pas la difficulté rencontrée par les banques pour identifier les titulaires de comptes bancaires décédés, alors que leurs outils devraient leur permettre de signaler des comptes tout à coup inactifs – de la même manière qu'ils leur permettent de signaler des mouvements anormaux dans le cadre de leurs obligations de contrôle du profil des comptes, notamment pour lutter contre la fraude.
Par ailleurs, en quoi les assureurs, qui ont accès au RNIPP – qui est un registre d'état civil comportant notamment la date de naissance – sont-ils confrontés à des problèmes d'homonymie ?
Enfin, dans la perspective de la création d'un fichier des assurances-vie, il y aurait peut-être des rubriques à prévoir pour que l'identification des ayants droit soit plus facile pour les assureurs : avez-vous des suggestions à cet égard ?
Lors du débat sur le projet de loi de séparation et de régulation des activités bancaires, vous nous avez indiqué qu'elle concernerait moins de 3 % des activités, ce qui nous a incités à amender largement ce texte pour prendre en compte toutes les configurations.
Combien représentent exactement les encours d'assurance-vie sur lesquels ont été calculés les 0,2 % de contrats non réclamés ?
On voit que les dispositions législatives adoptées pour les contrats d'assurance-vie n'ont pas été bien appliquées : on nous dit qu'il faut plusieurs années pour les mettre en oeuvre, alors que les banques et les assurances sont capables de beaucoup de réactivité par ailleurs. Cela pose la question des moyens mis en place à cet effet, qui ont été très faibles – pour des résultats limités –, et des coûts de gestion. Quels efforts déployez-vous pour appliquer les dispositions existantes et que préconisez-vous pour mettre en place efficacement les nouvelles mesures qui pourraient être adoptées ?
S'agissant des frais, j'ai simplement voulu rappeler que la gestion des comptes inactifs et en déshérence entraînait des coûts : elle nécessite en effet un suivi particulier et des interventions régulières à des fins de surveillance pour éviter des fraudes internes ou externes. Si certaines banques ont des tarifications supérieures à 100 euros, ce n'est pas le cas de la majorité d'entre elles.
Concernant le délai de prescription, je n'ai pas d'opinion arrêtée : il revient au législateur de le fixer.
Enfin, je ne crois pas que les établissements bancaires aient des difficultés pour déterminer les comptes inactifs, qui font l'objet d'un suivi particulier. Des procédures sont mises en place dans nombre d'entre eux pour les détecter, de même que l'on surveille les mouvements suspects sur les autres comptes.
La Cour des comptes a bien fait la distinction, dans les encours d'avoirs en déshérence, entre ce qui relève des réseaux distributeurs historiques du livret A et ce qui relève des autres réseaux bancaires. Sur les 1,2 milliard d'euros correspondant au total des avoirs bancaires non réclamés, environ 900 millions proviennent de la première catégorie. Le régime appliqué jusqu'en 2009 avait pour conséquence de faire jouer la prescription trentenaire au profit des deux distributeurs historiques de ce livret que sont La Poste et les caisses d'épargne : au bout de trente ans, il n'y avait en effet pas de transfert de ces avoirs à l'État, comme c'est le cas maintenant. Cela explique probablement que la gestion des comptes en déshérence n'ait pas été très précise, l'argent restant dans les comptes de ces deux distributeurs historiques. Depuis, les textes ont évolué et les établissements concernés sont en train de remettre bon ordre à cette situation. Quant à la seconde catégorie des avoirs non réclamés, ils représentent environ 300 millions d'euros.
Certes, mais on retrouvera peut-être cette proportion si l'on poursuit les investigations.
Si l'on met donc de côté cette part historique que j'évoquais, qui appartient maintenant au passé, on voit que les banques sont en mesure de gérer pendant trente ans les avoirs bancaires non réclamés : elles ont non seulement tous les moyens de veille pour ce faire, mais aussi des obligations de surveillance considérables – au titre de la lutte contre le blanchiment, le terrorisme ou la corruption, ainsi que de tout ce qui concerne la distribution des produits financiers. La directive européenne « MIF » sur les marchés d'instruments financiers, qui a été intégrée dans notre code monétaire et financier, nous impose ainsi de réaliser des profils financiers de nos clients et de les tenir à jour. Cela se traduit par une surveillance quasi constante de la situation de ceux-ci, ce qui devrait limiter les problèmes rencontrés jusqu'ici.
Les problèmes d'homonymie viennent de ce que nous n'avons pas forcément, dans nos propres bases de données, notamment pour les contrats les plus anciens, la totalité des informations nécessaires, telles que la date ou le lieu de naissance. L'utilisation du NIR simplifierait donc les démarches pour rechercher les assurés décédés et les bénéficiaires.
En pratique, avec AGIRA 1, toute personne peut gratuitement savoir si elle est bénéficiaire d'un contrat d'assurance-vie souscrit par une personne décédée.
Il va de soi que les assureurs entendent appliquer la loi – dans un secteur qui est d'ailleurs très réglementé – et mettre en oeuvre les moyens nécessaires à cet effet.
Cela dit, la loi de 2007 n'a pas précisé la façon ni la fréquence avec laquelle les assureurs devaient s'enquérir que les assurés étaient ou non décédés, ce qui a pu donner lieu à des interprétations différentes d'une entreprise d'assurance à une autre. Mais, comme je l'ai dit, ce problème a été réglé par la loi de séparation et de régulation des activités bancaires.
On peut penser en effet que les avoirs au sein des réseaux distributeurs historiques du livret A ont vocation à se réduire. S'agissant des autres avoirs, nous précisons que notre évaluation, de l'ordre de 300 millions d'euros, est a minima, dans la mesure où nous n'avons pu mener une enquête complète : en dépit de nos relances et de la coopération incontestable des établissements bancaires, les informations qui nous ont été communiquées sont hétérogènes. Nous avons donc préféré être prudents et faire état d'une évaluation minimale solide plutôt que de citer des chiffres plus élevés mais plus fragiles.
Par ailleurs, le plafonnement légal des frais de gestion qui est proposé vaut pour les avoirs bancaires comme pour l'assurance-vie. En effet, on a souvent à faire à un grand nombre de petits dépôts ou de petits contrats : des frais de gestion apparaissant modestes mais appliqués pendant de longues années à des dépôts eux-mêmes modestes finissent par rendre la matière transférable à l'État inexistante. Il nous semble donc important d'adopter un tel plafonnement.
Le rapport de la Cour suggère par ailleurs de rendre obligatoire une revalorisation post mortem des contrats d'assurance-vie équivalente à celle s'appliquant ante mortem. En effet, si une telle revalorisation peut exister en pratique, elle n'est pas systématique. Il s'agit d'une mesure d'équité qui pourrait en outre inciter les assureurs les moins empressés à rechercher activement les bénéficiaires.
Enfin, nous n'avons pu analyser que tardivement – cela était d'ailleurs à la limite de nos compétences et du délai qui nous était imparti – la question des dépôts en coffres-forts, qui est redoutable et délicate pour la profession bancaire comme pour la direction générale des finances publiques et le service des domaines, qui ne sont pas désireux de se retrouver destinataires au bout de trente ans de tous les objets, biens, souvenirs ou lettres contenus dans ces coffres. Si nous n'avons pu être en mesure de proposer une solution clefs en mains sur ce point, nous avons attiré l'attention du législateur sur le fait qu'il devrait donner lieu, après une analyse complémentaire et une concertation, à une solution satisfaisante.
Les problèmes soulevés par l'ouverture d'un coffre-fort se posent de la même manière pour certaines maisons abandonnées. Or, on arrive à récupérer les biens que contiennent ces demeures sans maître. Nous devons donc voir comment rapprocher ces deux situations sur le plan législatif, de manière à régler ces problèmes beaucoup plus vite que ce qui est suggéré dans le rapport de la Cour des comptes.
La Commission autorise la publication du rapport d'information du rapporteur général relatif aux avoirs bancaires et aux contrats d'assurance-vie en déshérence, auquel sera annexé le rapport d'enquête de la Cour des comptes.
Membres présents ou excusés
Commission des Finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire
Réunion du mercredi 17 juillet 2013 à 11 heures
Présents. - M. Éric Alauzet, M. Dominique Baert, M. Jean-Marie Beffara, Mme Karine Berger, M. Étienne Blanc, M. Olivier Carré, M. Gilles Carrez, Mme Marie-Christine Dalloz, Mme Carole Delga, M. Jean-Louis Dumont, M. Christian Eckert, M. Henri Emmanuelli, M. Alain Fauré, M. Jean-Louis Gagnaire, M. Marc Goua, M. Laurent Grandguillaume, M. Régis Juanico, M. Jean-François Lamour, M. Jean Launay, M. Marc Le Fur, M. Jean-François Mancel, Mme Sandrine Mazetier, M. Patrick Ollier, Mme Christine Pires Beaune, Mme Monique Rabin, M. Alain Rodet
Excusés. - M. Guillaume Bachelay, M. Christophe Castaner, M. Gaby Charroux, Mme Annick Girardin, M. Thierry Robert, M. Camille de Rocca Serra