COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES
Mardi 13 mai 2014
Présidence de Mme Danielle Auroi, Présidente de la Commission
La séance est ouverte à 16 h 40
I. Table-ronde sur les jeunes et l'Europe avec la participation de : Mme Elise Drouet, membre du Conseil d'administration du Forum européen de la jeunesse ; Mme Laure Delaire, vice-présidente de l'UNEF ; Mme Bérénice Jond, membre du Forum français de la Jeunesse et présidente d' Animafac ; Mme Emmanuelle Bertrand, vice-présidente « Europeinternational » du CNAJEP (Comité pour les relations nationales et internationales des associations de jeunesse et d'éducation populaire) ; M. Morgan Marietti, délégué général en charge du développement et des relations publiques de l' ANAF (Association nationale des apprentis de France)
Je vous remercie d'avoir répondu à notre invitation, cette table ronde revêtant à nos yeux une importance toute particulière. Nous évoquons régulièrement l'avenir de l'Europe, notamment sociale, avec des intellectuels et des spécialistes ; mais plusieurs des principaux sujets de l'agenda européen concerne les jeunes ; aussi aimerions-nous savoir, à quinze jours des échéances électorales, comment vous les appréhendez. Nous sommes heureux d'entendre d'autres voix, moins institutionnelles et plus rares, sur des sujets tels que la culture étudiante, l'apprentissage ou l'éducation populaire.
Lorsque l'on évoque les jeunes et l'Europe, c'est le programme Erasmus – notamment popularisé par L'Auberge espagnole de Cédric Klapisch – qui vient à l'esprit ; notre collègue Sandrine Doucet, d'ailleurs, le suit de près. Cela dit, ce programme, même dans la version « Erasmus + », ne concerne pas tous les jeunes ; aussi Philip Cordery s'est-il penché, par exemple et entre autres, sur les stages et sur la Garantie emploi jeunes.
Qu'il s'agisse de ces programmes ou des stages, il faut aussi penser aux nombreux jeunes obligés de quitter leur pays, non par choix, mais parce qu'ils ne peuvent y trouver du travail : en témoigne la poignante mobilisation des jeunes Espagnols en avril 2013 et leur slogan, très éloigné des discours habituels : « On ne part pas, ils nous virent. » Le taux de chômage des moins de vingt-cinq ans, qui s'élève à 23,5 % dans l'ensemble de l'Union européenne, atteint même plus de 56 % en Espagne et plus de 57 % en Grèce. Nous avons collectivement à prendre la mesure de ces chiffres effroyables, afin d'empêcher une génération sacrifiée au sein de l'Union. Les jeunes, dit-on, croient en l'Europe : évitons donc qu'ils divorcent avec elle, d'autant qu'ils incarnent son avenir.
Au-delà d'insuffisances et d'atermoiements nationaux et européens, la formation et l'emploi des jeunes sont au coeur de plusieurs grands programmes de l'Union, et ont fait l'objet de nombreuses mesures adoptées ou négociées à Bruxelles. Je pense, bien entendu, à la Garantie pour la jeunesse, sur laquelle j'aimerais avoir votre sentiment, notamment en ce qui concerne son budget. Je ne doute pas, cependant, que vous évoquerez bien d'autres chantiers.
D'une façon plus générale, quelles sont vos attentes à l'égard de la construction européenne ? Au-delà de cette priorité qu'est l'emploi se pose aussi, dans la crise de défiance traversée par l'Union, la question de l'ancrage démocratique. Celui-ci est-il à vos yeux une priorité ? Comment l'envisagez-vous ?
Le Forum européen de la jeunesse est une plateforme regroupant les quarante-sept pays du Conseil de l'Europe. Il compte quatre-vingt-dix-neuf membres : des conseils nationaux de jeunesse, dont le CNAJEP, le Comité pour les relations nationales et internationales des associations de jeunesse et d'éducation populaire, et les branches européennes des organisations de jeunesse. Auprès de nos interlocuteurs que sont l'Union européenne, le Conseil de l'Europe et l'Organisation des Nations unies (ONU), nous promouvons les droits des jeunes, par exemple en matière d'autonomie et d'inclusion. Nous réalisons aussi des enquêtes incluant des données chiffrées, associons tous nos membres à la rédaction de documents politiques et faisons du lobbying auprès des instances.
Nous nous félicitons que l'Union ait ouvert, en 2009, le chantier de la reconnaissance des compétences acquises dans l'éducation non formelle. Selon l'une de nos enquêtes, 36 % des adhérents des organisations de jeunesse estiment que les contacts qu'ils y ont établis leur ont permis de trouver un travail, sans oublier l'acquisition de nombreuses compétences.
Nous sommes associés aux travaux de la Commission européenne sur le programme « Erasmus + ». Celui-ci, de notre point de vue, va dans le bon sens, s'agissant en particulier des ponts entre l'éducation formelle et non formelle Il constitue également une opportunité pour faire entendre notre voix auprès des politiques, dans le cadre du dialogue structuré.
Sur les stages, les recommandations faites en décembre dernier laissaient espérer des initiatives plus fortes ; la transparence ne suffit pas ; les jeunes veulent avant tout être autonomes et pouvoir faire vivre leurs familles. Il est pour le moins paradoxal que beaucoup d'entreprises appliquent notre charte de qualité sur les stages et sur l'apprentissage, alors que les États membres et la Commission, eux, ne la reconnaissent pas.
Il y a longtemps que certains pays membres de notre Forum, la Finlande et la Suède, appliquent les dispositions de la « garantie jeunesse ». Celle-ci comporte du bon et du moins bon, mais c'est au niveau du financement que le bât blesse : il faut, non pas 6 ou 7 milliards d'euros, mais 21 milliards. Si l'Europe n'investit pas dans la jeunesse, le retour de bâton sera particulièrement douloureux.
Nous demandons, par ailleurs, des emplois de qualité et stables. Selon l'une de nos études, 42 % des jeunes travailleurs de l'Union sont en contrat temporaire, contre 13 % des adultes. La précarité des jeunes se vérifie donc dans les faits.
Nos revendications portent également sur un salaire minimum, ainsi que sur l'égalité des chances, des conditions de travail et de l'accès aux soins.
S'agissant enfin de la mobilité, nous estimons que chaque Européen doit avoir la possibilité de voyager et de travailler dans tous les pays de l'Union, avec les mêmes droits.
La présidente de notre association, actuellement en apprentissage en entreprise, vous prie d'excuser son absence.
L'ANAF réunit quelque mille adhérents, dont le plus jeune a quinze ans et le plus âgé entre trente-cinq et quarante ; tous ont des profils très divers. L'apprentissage mobilise les chambres de métiers et de l'artisanat, les chambres de commerce et d'industrie (CCI) et les différentes filières d'activité, mais aussi l'éducation nationale, à travers les centres de formation des apprentis ( CFA ), et l'enseignement supérieur, avec les CFA intégrés, lesquels dépendent de structures diverses ou, pour les CFA dits « hors murs », d'universités ou de grandes écoles.
Les jeunes apprentis ne sont donc pas sur un pied d'égalité au regard la mobilité en Europe, certains d'entre eux, notamment dans le secondaire et les CFA, étant déjà fort peu mobiles au sein de leur propre région ou département. D'autre part, le programme Leonardo da Vinci ne fait pas l'objet d'une communication commune, si bien qu'il reste un peu flou pour les acteurs : à côté des établissements ou organisations qui en font profiter les jeunes –chambres de métiers et de l'artisanat avec apprentis en Europe ou groupement des CCI avec Movil'App –, des CFA, livrés à eux-mêmes ne peuvent en faire de même, par manque de personnel – souvent une vingtaine de personnes pour plusieurs centaines d'apprentis –, d'informations et de compétences.
Les grandes entreprises, lorsqu'elles signent un accord avec une grande école, anticipent le futur séjour de l'apprenti à l'étranger pendant plusieurs mois ; mais, pour les très petites entreprises artisanales, il est difficile de se passer de leurs apprentis, fût-ce pour deux semaines ou un mois. Se pose donc la question du soutien de ces acteurs. En tout état de cause, les apprentis sont inégaux au regard de l'accompagnement par les CFA.
Par ailleurs, rares sont les universités qui prévoient des séjours à l'étranger pendant le cursus des apprentis : le plus souvent, ces séjours sont proposés à la césure des diplômes, par exemple entre la licence 3 et le master, dans le cadre d'Erasmus.
J'en viens à mon second point, la qualité des formations. En France, le taux de rupture de contrat atteint 25 % en moyenne pour l'ensemble des formations, et il peut monter jusqu'à 45 ou 50 % dans certaines filières. Beaucoup de décrochages s'expliquent par l'insuffisance des liens entre les missions en entreprise et les enseignements reçus. Il faut s'interroger sur la façon dont les CFA et les institutions publiques peuvent faire appel aux fonds européens pour lutter contre ce fléau. On entend souvent dire, dans les médias, que la baisse du nombre de contrats est due la crise mais, dans la majorité des cas, elle tient à la rupture des contrats.
Le CNAJEP, né en 1968, compte plus de soixante-quinze adhérents, associations nationales ou fédérations locales, toutes impliquées dans les questions de jeunesse et d'éducation populaire – ou « non formelle », selon sa dénomination en usage dans le reste de l'Europe.
Pour ce qui concerne la garantie pour la jeunesse, la recommandation de la Commission européenne est ambitieuse et positive, malgré des fonds insuffisants ; le fait qu'elle soit le fruit du dialogue structuré montre que la consultation des jeunes peut aboutir à des idées intéressantes. Toutefois, cette mesure n'est en elle-même pas créatrice d'emplois ; elle doit donc être assortie d'une politique qui le soit sur le long terme.
La Commission européenne recommande aux États d'utiliser les fonds structurels européens (FSE) en complément des fonds alloués dans le cadre du dispositif, et prévoit des investissements au niveau national. Or, en France, l'utilisation des FSE est peu visible et les mesures adoptées restent en deçà des recommandations européennes : le nombre de bénéficiaires de la garantie jeunesse y sera limité à 100 000 par an en période de croisière, alors que la mesure pourrait intéresser plusieurs millions de jeunes ; la cible confine donc à l'échantillonnage. Le plafond de la limite d'âge exclut aussi tous les jeunes qui ne trouvent pas d'emploi à l'issue de leurs études, ou qui prennent plus de temps pour achever leur cursus d'éducation formelle. Enfin, dans sa déclinaison française, la garantie pour la jeunesse accroîtra la précarité des jeunes, car il est recommandé aux entreprises partenaires de n'offrir, dans ce cadre, que des stages ou des contrats à durée déterminée ( CDD ), non des contrats à long terme.
Le CNAJEP préconise un système de formation tout au long de la vie, dans lequel les césures et les réorientations seraient regardées positivement, non comme des indices d'échec mais comme des composantes d'un parcours dont les jeunes ont besoin pour se construire. Nous recommandons que chaque personne dispose d'un crédit de vingt années de formation, utilisable à tout moment de sa vie.
Le CNAJEP est un acteur de l'éducation non formelle. Au sein de nos associations, on peut acquérir beaucoup de compétences organisationnelles, que ce soit à travers la gestion de projets, le travail en équipe, les rencontres interculturelles ou la communication, et ce dès l'âge de treize ans. Ces compétences, que les employeurs aujourd'hui recherchent, sont au demeurant tout aussi utiles dans la vie personnelle que professionnelle ; pourtant, elles sont encore peu reconnues. Des outils existent au niveau européen : les associations informées y ont recours, mais les jeunes, eux, les ignorent et les employeurs les reconnaissent moins encore.
Le fait qu'Erasmus + associe éducation formelle et non formelle est une bonne chose, même si l'on peut regretter la trop grande technicité des dossiers, qui bloque certains projets et rend le recours aux associations spécialisées indispensable.
Il faut rappeler le contexte dans lequel s'inscrivent les politiques dont nous parlons. L'Europe connaît une crise profonde, et les jeunes, depuis plusieurs années, expriment leurs aspirations en matière de régulation et de droits : je pense aux Espagnols, mais aussi aux Anglais ou aux Italiens, qui se sont mobilisés sur le droit à l'éducation et les frais d'inscription.
Le nombre encore faible des recours au programme Erasmus +, qui par ailleurs comporte des avancées positives, soulève la question de sa démocratisation. On peut notamment se demander comment lever l'obstacle des conditions sociales pour certains jeunes. Malgré l'augmentation du périmètre et des financements, il faut agir sur deux volets. Le premier est celui des aides allouées aux jeunes, tant le développement des prêts étudiants nous semble peu opportun dans un climat d'incertitude sur l'avenir ; le second, parfois sous-estimé, a trait à la barrière culturelle : il n'est pas toujours facile, quand on n'a jamais passé les frontières de son pays, d'aller étudier plusieurs mois à l'étranger. Une réflexion doit être menée sur l'accompagnement – qu'il concerne la définition des projets, la composition des dossiers ou la construction du parcours –, voire sur le niveau d'enseignement des langues étrangères dans les universités. Un certain nombre de ces dernières, par exemple, ne proposent aucun cours d'anglais en première année.
Sur les stages, l'attente est forte en matière de réglementation, d'harmonisation des droits, de rémunération et d'intégration au cursus.
Le principe de la garantie jeunesse est intéressant mais celle-ci, outre qu'elle souffre d'un manque de moyens, n'est pas calibrée de la même façon dans les différents pays. Une plus grande cohérence au niveau européen serait souhaitable, par exemple sur l'idée, peut-être spécifique à la France, selon laquelle cette mesure devrait permettre aux moins de vingt-cinq ans d'accéder aux minima sociaux, sachant qu'ils n'ont pas droit au revenu minimum d'insertion (RSA).
Enfin, la garantie jeunesse ne saurait tenir lieu de politique d'emploi. Les jeunes diplômés ne rencontrent pas forcément les mêmes difficultés que les jeunes sans qualification, et sont moins exposés au chômage de longue durée. L'accès à des emplois stables et la construction d'une vie adulte autonome ne sont pas donnés à tout le monde : l'Europe doit aussi s'atteler à résorber ces inégalités.
Le Forum français de la jeunesse regroupe des organisations de jeunes, dirigées par des jeunes ; la moyenne d'âge de son instance dirigeante est inférieure à trente ans. Il va bientôt fêter ses deux ans, et s'est donné pour objectif de faire entendre la voix des jeunes sur un certain nombre de sujets, même s'il ne l'a pas encore fait sur ceux qui concernent la jeunesse. Nous travaillons toutefois en lien avec le CNAJEP, avec lequel nous partageons certaines vues.
J'évoquerai, de façon plus générale, la philosophie des politiques européennes en direction de la jeunesse, politiques qu'il serait intéressant d'axer sur la construction de l'autonomie plutôt que sur les aides. Une plus grande confiance dans la jeunesse se traduit en effet dans les politiques qui la concernent, comme elle favorise leur engagement et leur implication, au bénéfice de leur insertion sociale.
Les compétences acquises dans le cadre de cet engagement sont donc essentielles : il faut se demander comment les valoriser, en se gardant, toutefois, de considérer l'engagement à travers le seul prisme de l'employabilité. On peut aussi se demander comment impliquer, au-delà des organisations structurées, tous les jeunes dans les politiques qui leur sont destinées.
Des dispositifs existent, tels que le dialogue structuré. Les fonds évoluent, mais des progrès restent à faire. La mobilisation de textes existants est une autre piste ; je pense par exemple à la charte sur la participation des jeunes à la vie municipale et régionale, révisée en 2003, et qui évoque une cogestion sur le modèle du Conseil de l'Europe. Je vous invite d'ailleurs à consulter le guide d'application de cette charte, intitulé : « Have your say ! »
Des mesures concrètes, au niveau national et local, ont une origine européenne : il faudrait impliquer davantage les jeunes dans ce processus de transposition territoriale, afin de favoriser leur acculturation à l'objet européen.
Pour lever certaines barrières à la mobilité, il serait intéressant de promouvoir des séjours plus courts. Une durée de six mois, qui est celle du programme Erasmus, est relativement courte au regard d'un cursus universitaire, mais elle est longue pour ceux qui se heurtent à des obstacles socioculturels.
Enfin, une vraie politique d'inclusion passe par la simplification des dossiers et une information plus large auprès des jeunes non adhérents d'organisations.
Merci pour vos exposés, qui montrent toute la richesse des thématiques relatives à la jeunesse au sein de l'Union.
La prise en compte de la jeunesse a souvent été un moyen d'interpeller les autorités bruxelloises, comme en décembre 2013, lorsque plusieurs millions d'euros manquaient à l'appel du programme Erasmus ; en février dernier, Martin Schulz avait parlé, à propos de l'emploi, d'une « génération sacrifiée », et, à la fin du mois dernier, il déclarait encore que « les stages non payés représentent une forme moderne d'exploitation ». Aujourd'hui mardi, plusieurs articles, dans la presse en ligne, évoquent aussi la jeunesse.
Sur la question de l'emploi, bien entendu omniprésente, la mobilité est un enjeu majeur car elle permet de valoriser le diplôme et le curriculum vitae. À cet égard, le programme Erasmus + 2014-2020 est plus ample, non seulement par son enveloppe –14 milliards d'euros –, mais aussi parce qu'il s'adresse à un public plus large : 250 000 apprentis pourront ainsi bénéficier d'une mobilité, ainsi que 800 000 adultes – contre 250 000 avec le programme précédent.
La mobilité est un sujet central – mes rencontres avec des responsables de CFA me l'ont confirmé –, à telle enseigne que la Commission des titres d'ingénieur s'interroge sur l'opportunité de la rendre obligatoire. Pour les jeunes apprentis, les Maisons familiales et rurales, qui effectuent un travail considérable, et les Compagnons du devoir constituent, en matière de mobilité, de véritables pépinières dont il faudrait s'inspirer.
La mobilité est aussi, vous l'avez souligné, un moyen de lutter contre le décrochage, que l'Union s'est donné pour objectif de ramener à 10 % des élèves scolarisés. Au sein des missions locales, notamment en Île-de-France, la réinsertion scolaire des jeunes commence par une mobilité.
La question des stages a été récemment traitée en France à travers une proposition de loi ; mais je laisse Philip Cordery aborder ce point.
L'agence Europe-Éducation-Formation France, dite « 2E2F », installée à Bordeaux, a réalisé une étude d'impact sur l'apprentissage en 2012-2013. Sur plus de 9 000 questionnaires, 60 % des apprentis se déclarent « très satisfaits » de leur mobilité, taux qui monte même à 90 % si l'on inclut les « satisfaits ». À la lumière de cette enquête, le baccalauréat professionnel paraît être le niveau le plus adéquat pour la mobilité : il correspond à une certaine maturité des intéressés, et la durée, de trois semaines, n'implique pas une séparation trop longue avec la famille, tout en étant suffisante pour une expérience significative. La seule difficulté, d'après les récits des intéressés, concerne le réemploi, au sein de l'entreprise, de pratiques observées au cours de leur expérience en Europe.
L'éducation informelle ne l'est pas autant que vous l'avez laissé entendre : elle réside, au fond, dans les expériences professionnelles, le bénévolat et le travail en association, ou encore les séjours à l'étranger hors du cadre des mobilités. Dans la mesure où elle est relativement attendue, on pourrait facilement l'évaluer.
L'un des aspects les plus saillants des récits d'expérience, notamment en Espagne, est le refus des mobilités subies. L'inégalité entre les pays, les régions et même les établissements solaires doit assurément donner matière à réflexion aux autorités européennes. La mobilité a un coût, qui est d'abord celui des droits d'inscription universitaires : ils atteignent de 10 000 à 12 000 euros par an à Londres, et de 800 à 4 000 euros en Espagne. Pour payer de telles sommes, qui continuent de croître du fait du désengagement de l'État, les jeunes doivent s'endetter.
Au niveau national, l'encadrement des mobilités est inégal car il dépend de la formation des personnels dans les établissements ; en principe, les choses devraient s'améliorer sur ce plan avec les dispositions que nous proposons.
Il faudra aussi réfléchir, dans le cadre des nouvelles missions confiées à l'Europe, à une harmonisation des diplômes autres que ceux du LMD – licence-master-doctorat –, car d'une telle harmonisation dépend également la fluidité des mobilités au cours des prochaines années.
Quant aux bourses, la France, sous l'impulsion de Geneviève Fioraso, s'est fortement engagée pour que la solution préconisée, au niveau des masters, soit la plus exigeante possible.
Quoi qu'il en soit, les solutions passent par la définition de nouvelles missions au niveau européen et par une meilleure connaissance du programme Erasmus parmi les jeunes.
La politique en faveur de la jeunesse, au niveau européen, est assez récente ; elle participe de la volonté du Conseil européen de réorienter la politique européenne dans son ensemble, et de faire de l'emploi, notamment des jeunes, une priorité. Sachez également que le Gouvernement et la majorité actuels sont pleinement mobilisés pour que cette question reste à l'ordre du jour de l'Union et du prochain Parlement européen.
La Commission des affaires européennes s'est saisie pour observations de la proposition de loi relative aux stages ; je prépare aussi un rapport plus large sur la politique de l'emploi des jeunes, notamment sur la mise en oeuvre de la garantie jeunesse. Sur ce point, si les crédits alloués dans le cadre des politiques en faveur la jeunesse sont bien utilisés, la garantie elle-même fait souvent défaut, qu'il s'agisse de l'emploi, de la formation ou de l'apprentissage. Avez-vous des propositions pour assurer sa mise en oeuvre effective en France ? C'est là tout l'enjeu de nos discussions avec le Gouvernement. Priorité est donnée, en tout cas, aux jeunes décrocheurs. La Finlande a créé pour eux un guichet unique dont nous pourrions nous inspirer car ces jeunes, bien souvent, ne savent pas à quelle porte frapper ; de plus, la constitution de dossiers est si complexe qu'ils abandonnent très vite. Un meilleur accompagnement serait utile. Je serais heureux de recueillir vos avis à ce sujet.
Les fonds de l'Initiative européenne pour la jeunesse ( IEJ ) ont le mérite d'exister, mais ils ne suffisent pas ; aussi plaiderons-nous pour leur augmentation. Le Président de la République a d'ailleurs proposé qu'une partie du produit de la taxe sur les transactions financières soit affectée à l'IEJ, afin de la proroger ; reste qu'il faudra se pencher sur le bon usage de ces fonds : ils doivent être destinés, non à un saupoudrage, mais à des réformes structurelles.
La mobilité est l'autre grand chapitre de mon rapport. Quid du statut européen de l'apprenti, actuellement en discussion ? Les modèles diffèrent tellement d'un pays à l'autre que la mobilité n'est pas évidente dans toutes les filières.
Il est également essentiel que la mobilité soit choisie et non contrainte. J'ai été choqué de l'accord signé entre le Gouvernement espagnol et le Gouvernement allemand, aux termes duquel des milliers de jeunes apprentis espagnols partent en Allemagne, après avoir appris l'allemand dès le plus jeune âge dans les écoles andalouses. Une telle exportation de main d'oeuvre infantile constitue la limite du système : plutôt que de prendre sa main d'oeuvre à un pays, mieux vaudrait, par exemple, l'aider à la former.
J'en viens à la question des stages, qui pose à l'échelle européenne un problème de terminologie. En effet, la proposition de la Commission européenne ne concerne que les stages effectués en dehors du cursus universitaire, lesquels ne sont pas considérés comme des stages en France, et sont même interdits par notre législation. À cet égard, il n'existe pour l'instant aucune proposition européenne en faveur de l'encadrement des stages au sens où nous l'entendons.
En revanche, la commission des affaires européennes a défendu plusieurs amendements à la proposition de loi, en cours d'examen, tendant au développement, à l'encadrement des stages et à l'amélioration du statut des stagiaires. L'un d'entre eux prévoit que tout stage effectué par un jeune Français à l'étranger fasse l'objet d'une convention fondée sur la loi française. Il s'agit d'une mesure incitative, puisqu'on ne peut pas, évidemment, imposer aux entreprises étrangères l'application du droit du travail français. Un autre prévoit d'informer les jeunes qui partent à l'étranger sur le droit du travail applicable dans le pays d'accueil.
Je partage par ailleurs ce qui a été dit sur le rôle d'Erasmus dans la mobilité ainsi que sur la question des langues.
Il convient également de développer les échanges d'offres d'emploi au niveau européen grâce au réseau EURES. Cela pose le problème de la « portabilité » des aides sociales d'un pays à l'autre. Autant il existe un règlement pour cordonner au sein de l'Union l'application des régimes de sécurité sociale, autant rien n'est prévu en matière d'aide sociale. Par exemple, un Français partant à l'étranger perd ses droits à une bourse étudiante ou à l'aide au logement, et l'aide attribuée par Erasmus ne couvre pas le manque à gagner. Pour un grand nombre de jeunes, ce problème constitue un frein à la mobilité.
La construction européenne se fait par étapes, si bien que la prise en compte de la jeunesse par l'Europe a été tardive. À cet égard, et après la création d'Erasmus en 1987, le traité de Maastricht de 1992, pourtant si décrié, a représenté une étape importante pour la jeunesse européenne.
En tant que maire et président d'une communauté urbaine, je travaille en permanence avec des associations de jeunesse, telles que Concordia, qui organise des chantiers européens de jeunesse. Ces associations, avec l'aide d'une politique européenne qui s'est beaucoup développée, contribuent à créer une atmosphère très positive.
S'agissant d'Erasmus, les deux années de négociation ont permis d'en augmenter le budget, d'étendre le dispositif aux échanges entre écoles et entre enseignants, et d'en faire bénéficier les apprentis.
Nous sommes à quelques jours des élections européennes. Qu'en attendez-vous ? Selon moi, la construction européenne doit se faire pour les jeunes. Les anciennes générations, en France et en Allemagne, qui se souviennent des deux guerres mondiales, nous disent qu'il faut faire l'Europe, mais observe-t-on, chez les jeunes, une mobilisation aussi forte en faveur de l'Union ?
On nous dit que 50 % des jeunes apprécient la mobilité. Mais celle-ci est compliquée. En tout état de cause, elle est plus facile pour les étudiants sortant des grandes écoles que pour les apprentis. J'ai fait l'expérience de mettre en relation les centres sociaux de ma ville avec des centres similaires en Allemagne et en Grande-Bretagne. Les résultats sont très riches. Je rencontre d'ailleurs des jeunes qui aimeraient faire un apprentissage ou travailler à l'étranger, mais qui se heurtent au barrage de la langue.
En tant que représentants d'organisations liées à la jeunesse, qu'attendez-vous, dans les dix ans à venir, de la construction européenne ? Nous, adultes, nous devons nous battre pour les jeunes. Pour ma part, je suis favorable à la mobilité et à l'harmonisation des formations et des diplômes, de sorte qu'un couvreur puisse aussi facilement travailler en Pologne ou en Angleterre qu'en France.
Certains regrettent l'existence d'une mobilité forcée, mais celle-ci a toujours existé ! Elle n'a donc rien à voir avec la construction européenne. Dans les années cinquante, de nombreux Espagnols ont ainsi été contraints de venir travailler en France dans les secteurs du bois ou des travaux publics. Et avant la guerre, les Polonais venaient travailler dans nos mines.
On l'a compris, c'est la mobilité des jeunes qui contribuera à construire l'idée européenne. Ma conviction est toutefois que les politiques macroéconomiques menées aujourd'hui ne sont pas du tout favorables à la jeunesse, dans la mesure où elles n'incitent pas à la création d'emplois comme le feraient des plans de relance. Pour le dire d'un mot, elles sont plutôt favorables à la rente. Heureusement, dès lors, qu'il existe quelques dispositifs destinés aux jeunes.
Je comprends bien les réserves exprimées sur la Garantie jeunesse et son budget insuffisant – 6 milliards d'euros sur deux ans, dont 600 millions pour la France. Pour le moment, il est difficile de savoir comment le dispositif va s'appliquer, mais nous supposons tous qu'il le sera en lien avec la Garantie jeunes. Les deux plans d'action tendent en effet à se rejoindre, et pas seulement à cause de leur presque homonymie. La Garantie jeunes est un dispositif expérimental, doté de 30 millions d'euros par an – pas encore dépensés – et qui doit permettre l'accompagnement de 10 000 à 20 000 personnes. Avec un budget de 300 millions par an, on pourrait passer à une tout autre échelle.
Il convient par ailleurs de rapprocher le montant de l'aide octroyée dans le cadre de la Garantie jeunesse de l'enveloppe budgétaire dont bénéficient les missions locales : moins de 200 millions pour accompagner 1,4 million de jeunes.
J'ai suivi avec d'autant plus d'attention les propos de M. Marietti que je suis président d'un CFA. Bien qu'il ne fasse pas partie du réseau consulaire, et malgré des problèmes de financement, celui-ci mène une action soutenue en faveur de la mobilité européenne. Une telle démarche est certes coûteuse, mais elle est très efficace et doit être encouragée. Un jeune qui part six mois à l'étranger après son cursus peut être considéré comme tiré d'affaire, tant cette expérience lui donne autonomie et ouverture sur le monde.
Quitte à se montrer utopique, on devrait même réclamer que toute formation comprenne, avant l'âge de dix-huit ans, une expérience d'un trimestre dans un pays européen. On pourrait alors vraiment parler de mobilité. En l'état actuel des choses, ce sont les hasards de la vie qui permettent à quelqu'un de partir plusieurs mois, parfois à plusieurs reprises, tandis qu'un autre n'aura jamais l'occasion de quitter le pays.
Je suis par ailleurs surpris de ne pas vous avoir entendu évoquer les dispositifs tels que le service civique ou le service volontaire européen.
Enfin, quel est votre point de vue sur les politiques de l'emploi ? Certains pays préconisent d'appliquer aux jeunes une rémunération inférieure au SMIC – quand il existe – pour faciliter leur embauche, d'autres proposent de supprimer toute charge sociale sur ces salaires. Qu'en pensez-vous ?
En ce qui concerne la question de l'apprentissage des langues, les enquêtes montrent que les apprentis se disent particulièrement gênés par leurs lacunes en ce domaine. De fait, l'enseignement professionnel est celui qui a le plus pâti de la réduction des moyens subie par l'éducation nationale. La barrière des langues est-elle, selon vous, un obstacle à la mobilité ?
Vous avez tous évoqué la nécessité de simplifier les procédures – c'est d'ailleurs, s'agissant de l'Europe, une préoccupation exprimée par toutes les générations. Les missions locales pourraient-elle servir d'interface pour les jeunes souhaitant bénéficier des politiques européennes ?
Par ailleurs, Mme Drouet a d'emblée, et très librement, parlé du lobbying pratiqué par son association. J'ai le sentiment que vous avez moins de préjugés que les générations précédentes à l'égard de cette activité – alors que l'expression est, en France, presque assimilée à un gros mot. Qu'est-ce que c'est, pour vous, faire du lobbying ?
Enfin, ce week-end a eu lieu au Parlement européen de Strasbourg – c'est-à-dire dans les locaux de l'institution de référence pour la démocratie européenne – un rassemblement de jeunes Européens où vos organisations étaient certainement représentées. Pourriez-vous nous en dire quelques mots ?
Plus généralement, et pour en venir à la deuxième partie du débat, quelle Europe attendez-vous ? Est-ce une Europe plus solidaire, réductrice des inégalités ?
Je laisserai à Élise Drouet, qui était sur place, le soin de répondre sur le European Youth Event ( EYE 2014 ), la rencontre des jeunes Européens à Strasbourg.
S'agissant du service civique, compte tenu des difficultés rencontrées pour financer le dispositif, l'objectif de recruter 100 000 volontaires se heurte à la volonté de préserver la qualité des missions et celle de l'accompagnement proposé aux jeunes. Cela se traduit par une importante réduction de la durée moyenne des missions.
Je m'interroge sur la façon d'articuler le service civique et le service volontaire européen, deux dispositifs aujourd'hui complètement séparés, mais fondés sur une logique commune, la découverte de l'engagement et le développement de nouvelles compétences.
Cela me conduit à préciser la notion d'éducation non formelle, qui n'est pas la même chose que l'éducation informelle. Cette dernière est par exemple le produit de discussions menées avec des proches, ce que l'on apprend sans vouloir apprendre. L'éducation formelle est celle qui relève du système classique d'enseignement. Quant à l'éducation non formelle, elle se situe dans un cadre, vise des objectifs, mais ses règles ne sont pas celles de l'éducation formelle : elle recherche l'implication des apprenants et favorise l'échange, dans une logique moins descendante. L'éducation populaire, dont on parle beaucoup en France, c'est de l'éducation non formelle.
En ce qui concerne les missions locales, il est vrai qu'elles pourraient jouer un rôle intéressant en termes de simplification des procédures. Une telle évolution irait en outre dans le sens de l'inclusion d'un plus grand nombre de jeunes, puisque les personnes auxquelles s'adressent les missions locales ne sont pas nécessairement les mêmes que celles que touchent nos associations. Pour autant, au vu des difficultés qu'elles rencontrent dans l'accomplissement de leur tâche, je doute que l'on puisse leur confier de nouvelles missions sans compromettre la qualité de l'accompagnement des jeunes vers l'emploi.
Le lobbying est en effet considéré par certains de nos interlocuteurs comme un gros mot. Il ne s'agit pourtant que de faire entendre un certain nombre d'intérêts, de porter certaines voix. L'expression « plaidoyer » est mieux acceptée, mais pour moi, elle désigne globalement la même chose.
Pour parler de ce que les jeunes attendent de l'Europe, je devrai sortir de mon rôle de représentante du FFJ, car je ne sais pas si ma vision des choses est représentative de celle de nos membres. Il me semble nécessaire de faire de l'Union européenne une vraie force d'impulsion de politiques ambitieuses, comme elle a pu l'être avec la Garantie jeunesse. Elle doit s'emparer d'enjeux d'avenir tels que les problématiques environnementales. En 2015, Paris sera l'hôte de la conférence des parties ( COP ) : comment pourrait-on en faire une étape importante dans la lutte contre le changement climatique ? Les jeunes Français se mobilisent déjà pour créer un mouvement d'ampleur et porter une parole sur ce sujet.
De même, sur la question de l'Europe sociale, comment pourrait-on parvenir, en Europe, à une égalité des conditions, et l'atteindre par le haut ? Typiquement, l'objectif devrait être l'existence d'aides sociales transposables d'un pays à l'autre, l'harmonisation des différents modèles, sans pour autant rechercher l'uniformisation.
Enfin, l'enjeu démocratique est également très important. À l'heure où l'on ne parvient pas à envisager sans une certaine appréhension les résultats des élections européennes à venir, je regrette que la seule réponse des institutions, et en particulier de la Commission, aux critiques sur le fonctionnement démocratique de l'Union soit : « Il faut communiquer. » Le montant du budget que la Commission européenne consacre à sa communication est hallucinant, d'autant que ses campagnes ont tendance à tomber à côté, en ne touchant que les « euroconvaincus ».
Il faudrait renverser la logique : plutôt que de chercher à informer les gens pour les inciter à participer, mieux vaut créer les conditions de leur implication afin qu'ils s'intéressent à la question posée. C'est d'ailleurs ce que j'ai personnellement vécu : je ne me suis pas intéressée aux institutions européennes après en avoir entendu parler chaque année pendant six ans en classe d'histoire-géo, mais parce que mon activité dans le monde associatif m'a conduite à rencontrer de jeunes Européens et à échanger avec eux. Un tel apprentissage est sans doute beaucoup plus long, mais aussi beaucoup plus intéressant, parce que l'on se l'approprie vraiment. Sur ce point, il faut rechercher un changement de paradigme.
On m'a demandé quelle était notre position sur le statut européen de l'apprenti. La question est : pour quoi faire ? Un tel statut laisserait-il aux jeunes la possibilité de faire une partie de leur formation en alternance dans un CFA français et dans une entreprise étrangère ? Quel serait le droit du travail applicable : celui de l'entreprise d'accueil ou celui du centre de formation ? Quels seraient les devoirs de l'apprenti, sachant que les rythmes ne sont pas les mêmes d'un pays à l'autre ? Quelles compétences devront être acquises ? À quel âge pourrait commencer la formation : dès quatorze ans, comme en Allemagne, ou à partir de quinze ans, à l'instar des jeunes Français admis en dispositif d'initiation à l'apprentissage ( DIMA ) ? C'est à tout un processus d'harmonisation qu'il faut s'atteler.
Ainsi, même si je suis favorable à un statut européen, dans la mesure où certains de nos membres réclament la possibilité de signer un contrat d'apprentissage avec une entreprise étrangère dans laquelle ils ont effectué un stage, tout dépend du droit applicable et de l'organisation choisie. Il faudrait commencer par signer des accords bilatéraux avec quelques pays comme l'Allemagne, la Belgique, le Royaume-Uni et l'Espagne.
En ce qui concerne la portabilité des aides, j'ai moi-même eu la possibilité, au cours de mes cinq ans d'apprentissage, du bac au master, de bénéficier en Grande-Bretagne d'une partie des indemnités de chômage, le temps que je trouve du travail. Il est vrai que les apprentis, sur ce plan, sont bien plus avantagés que les étudiants.
S'agissant de la maîtrise des langues étrangères, la difficulté vient surtout de la pédagogie. Dans les CFA comme dans les lycées, on apprend une langue dans un cours spécifique, et cet apprentissage n'est pas lié à la formation suivie. Il serait plus intéressant de suivre un cours de pâtisserie en anglais, par exemple, plutôt qu'un cours d'anglais dans le cadre d'une formation au métier de pâtissier. Cela permettrait de favoriser la mobilité des jeunes, mais cela implique de former en ce sens le personnel des centres de formation, avec toutes les questions qu'un tel projet pourrait susciter.
L'ANAF est un partenaire des missions locales : l'année dernière, elle a accompagné 500 jeunes vers l'emploi, et cette année, dans certaines régions, le nombre de jeunes accompagnés va probablement doubler. Les missions locales pourraient en effet servir d'intermédiaire pour l'accès aux dispositifs européens si on les aide à moderniser leurs outils d'accompagnement vers l'emploi. Elles éprouvent en effet de grandes difficultés à doter les jeunes des armes nécessaires pour rejoindre l'entreprise, dans le cadre d'un contrat d'apprentissage ou dans celui d'un stage, et perdent beaucoup d'énergie et d'argent pour des résultats qui pourraient être meilleurs. Les nouvelles pédagogies d'accompagnement que nous avons développées au sein de nos structures et que nous finançons avec des dispositifs régionaux – notamment en Île-de-France et en Guadeloupe – pourraient leur faire gagner énormément de temps et accroître leur efficacité.
Nous ne pratiquons pas le lobbying auprès de l'Union européenne – j'ai déjà du mal à le faire au niveau national –, parce que notre structure n'existe que depuis quatre ans et ne dispose pas des moyens nécessaires. En outre, nous nous consacrons essentiellement à l'accompagnement des jeunes.
Je me contenterai d'évoquer les nouvelles missions qui pourraient être confiées à l'Union européenne, sans aborder les questions politiques ou d'organisation, même à titre personnel. En effet, non seulement l'ANAF, qui accueille des apprentis de tous horizons, est une association totalement dénuée d'appartenance partisane, mais de tels sujets n'ont pas fait l'objet de discussions au sein de notre bureau national.
Pour ce qui nous concerne, la principale préoccupation des jeunes est de faire en sorte que le temps passé à l'école soit le plus agréable et le plus intéressant possible, de limiter les ruptures dans la scolarité, d'éviter le décrochage. Elle est aussi que le parcours destiné à trouver un contrat d'apprentissage ou un emploi ne soit pas trop erratique, et surtout que l'accès à une activité rémunérée soit tout simplement probable. Nous demandons donc que l'Europe adopte une position plus marquée en termes d'éducation et s'investisse plus dans la pédagogie. Une telle perspective peut en gêner certains, mais il faut prendre le risque, abattre la pédagogie magistrale ultra-dominante dans un certain nombre d'écoles et améliorer le lien entre le savoir et le concret, dont l'absence est souvent la cause du décrochage scolaire. Sans mettre tous les jeunes en entreprise, il faudrait recourir plus volontiers à la pédagogie de l'alternance, c'est-à-dire de faire venir la réalité concrète dans les lieux de savoir pour permettre aux jeunes d'acquérir des compétences.
Au fond, l'enjeu, aujourd'hui, n'est plus tellement l'égalité d'accès à l'enseignement, mais que les jeunes soient égaux devant l'envie d'apprendre.
Je reviens sur la différence entre éducation formelle et non formelle, cette dernière étant le coeur de métier du CNAJEP. Les associations d'éducation non formelle ou populaire ont des objectifs pédagogiques. Leur méthode consiste à mettre l'apprenant au centre de l'apprentissage : on n'est pas dans une salle de classe, la transmission des savoirs ne se fait pas sur un mode descendant. C'est ce que l'on appelle un apprentissage par l'action. Par ailleurs, contrairement à l'éducation formelle, l'éducation non formelle n'est pas sanctionnée par un diplôme ni ne suit un programme national ; chaque association se donne son propre objectif éducatif. Pour autant, elles emploient aussi des éducateurs, même si ces derniers peuvent être de jeunes adultes, parfois de moins de 25 ans. L'objectif est d'accompagner les enfants et les jeunes dans la construction de leur projet.
Comme exemples de telles associations, on peut citer les scouts et guides de France, les centres de vacances, les centres de loisirs, les maisons des jeunes et de la culture, les associations réalisant des « écotravaux », celles qui organisent les échanges entre jeunes, les chantiers de jeunes bénévoles, certaines associations étudiantes comme Animafac, et aussi, bien entendu, les centres sociaux.
En matière de mobilité, les actions de nos associations sont de courte durée. Nous ne parlons pas d'Erasmus ni d'un programme formel, mais d'échanges entre jeunes, de chantiers organisés en Europe ou au-delà, de rencontres ou de partenariats qui peuvent ne durer que deux semaines. Or pour ce type de séjour, la barrière de la langue n'est pas un problème. Certains jeunes partent ainsi dans des pays d'Europe de l'Est dont ils ne parlent pas du tout la langue, et y rencontrent d'autres jeunes ne parlant pas anglais ; cela ne les empêche pas de vivre un séjour extraordinaire. Ils parviennent à communiquer autrement et apprennent plein de choses. Dans le cadre de l'éducation non formelle, la barrière de la langue n'est donc pas un obstacle à la mobilité.
S'agissant de la mise en oeuvre de la Garantie jeunes, je ne connais pas la solution miracle, mais j'ai une suggestion : inclure les associations de jeunesse dans la boucle. Pour l'instant, en effet, ce n'est pas le cas. Les associations de jeunesse et d'éducation populaire travaillent pourtant en permanence avec des jeunes, pas nécessairement scolarisés. La plupart de nos associations ne trient pas les jeunes qu'elles accueillent en fonction de leur inscription ou non dans un cursus scolaire ou selon qu'ils sont ou non décrocheurs : tout le monde est admis, et si une sélection a lieu, c'est plutôt en fonction de l'implantation géographique que de l'appartenance à un milieu social. Dès lors, nous pourrions tout à fait être des partenaires de la Garantie jeunes.
Parmi les actions à promouvoir, j'invite à consacrer plus de moyens à l'accompagnement des jeunes. Comme l'a dit Bérénice, les missions locales ont déjà beaucoup de travail : plutôt que de leur confier des missions supplémentaires, il vaudrait mieux leur accorder les moyens d'accomplir celles pour lesquelles elles ont été créées. Elles ont le savoir-faire, mais il faut les aider.
Le même problème se pose d'ailleurs pour les emplois d'avenir.
En ce qui concerne le service civique, sur lequel on mise beaucoup, je souhaite mettre en garde contre la politique du chiffre. Les associations concernées sont en effet incitées à accueillir le plus grand nombre possible de volontaires, plutôt qu'à délivrer un accompagnement de qualité et à permettre aux jeunes de vivre un engagement porteur de citoyenneté.
Par exemple, je travaille dans une organisation de jeunesse à laquelle on demande de plus en plus d'organiser des missions de neuf mois. Cela nous oblige à recruter les volontaires en décembre, afin qu'ils puissent participer aux camps d'été, alors que la plupart sont plutôt disponibles en septembre. Le résultat de cette logique du chiffre, paradoxalement, c'est que l'on a plus de mal à recruter des volontaires.
Au salon « Jeunes d'avenir », organisé par le groupe AEF, l'un de mes collègues de l'ANAF, également délégué général, a rencontré le représentant de l'Agence civique, qui lui a clairement fait comprendre que celle-ci préférait travailler avec des associations déjà homologuées plutôt qu'avec de nouvelles structures. On nous a ainsi dissuadés de déposer des dossiers, alors que nous avons clairement un potentiel de recrutement de jeunes volontaires. On peut vraiment parler de double discours.
J'étais rapporteure à la Rencontre des jeunes Européens 2014, qui était organisée, outre le Parlement européen, par le Forum européen de la jeunesse. Les réactions des participants sont très positives : les jeunes que j'ai interrogés – dont beaucoup étaient plutôt eurosceptiques – ont apprécié l'initiative parce qu'on les a écoutés, et parce que le contenu de l'événement était intéressant et compréhensible par tous. De plus, il y avait un bon équilibre entre le travail et l'amusement.
La rencontre montre que 70 % des jeunes Européens interrogés pensent que l'Europe est une force, mais que seulement 44 % croient au vote du 25 mai. En effet, les programmes des partis politiques, européens ou nationaux, ne correspondent pas du tout à leurs préoccupations, ou du moins à leur vocabulaire. Et 79 % des jeunes Européens n'ont pas confiance dans les partis politiques, une proportion énorme. Pourtant, des partis figurent parmi nos adhérents, et nous savons que leurs projets peuvent répondre aux attentes des jeunes, mais ils ne savent pas bien les expliquer.
Par ailleurs, un plus grand nombre de jeunes devraient participer aux élections européennes. Lors des dernières élections, seulement 19 % des candidats avaient moins de 35 ans, alors que cette catégorie d'âge représente 26 % de la population européenne. Il faudrait en améliorer la représentation. De plus, nous souhaiterions que l'on vote pour des partis, et non pour des personnes ou des nationalités. On le voit bien en France : les préoccupations nationales prennent trop de place dans la campagne pour les élections européennes. À cet égard, le changement pourrait venir des transfrontaliers vivant à la lisière de la France, de l'Allemagne, de la Belgique et du Luxembourg, où les régions ont déjà l'habitude de travailler ensemble.
En période d'austérité, les jeunes expriment une demande d'espoir, de confiance. Pour cela, il faut investir et assurer la justice intergénérationnelle. Ainsi, la jeunesse ne doit pas faire les frais des « fautes », entre guillemets, commises par les générations précédentes. Il faut plus de solidarité entre générations, y compris sur le plan de la transmission des compétences, et c'est pourquoi la création des contrats de génération était très attendue. De nombreux interlocuteurs, au niveau européen – et jusqu'à l'Organisation internationale du travail –, jugent d'ailleurs ce dispositif extraordinaire, même si son lancement connaît des difficultés.
En ce qui concerne l'élargissement de l'Union, le Forum européen de la jeunesse ne peut qu'y être favorable, dans la mesure où il regroupe des associations issues des 47 pays membres du Conseil de l'Europe.
Une attente forte exprimée ce week-end est que les États membres de l'Union européenne assument leurs choix et ne rejettent pas toujours la faute sur les institutions communautaires. Nous, les lobbyistes, le disons tout le temps, mais cette fois, ce sont les jeunes eux-mêmes qui le soulignaient.
Nous faisons en effet du lobbying en faveur du droit des jeunes. Or faire du lobbying, en matière de droits humains, ne me pose aucun problème. Tout le monde a droit à l'autonomie.
À propos de l'Alliance européenne pour l'apprentissage, à laquelle appartient le Forum européen de la jeunesse, nous ne savons pas très bien quel est son but, bien que nous ayons compris qu'il s'agissait d'un système très allemand. En matière de stages, nous savons ce que nous voulons et nous connaissons nos soutiens. La France en fait d'ailleurs partie. C'est difficile à admettre, mais la situation des stagiaires français, si elle n'est pas toujours simple, est tout de même meilleure que dans les trois quarts des pays de l'Union.
J'en viens à la question des langues. C'est une particularité bien française d'avoir peur de parler anglais quand on ne maîtrise pas très bien la langue. Il faudrait vraiment parvenir à changer ce comportement, qui résulte sans doute du mode d'enseignement adopté par l'éducation nationale. Je ne travaille qu'avec des Européens : certains de mes interlocuteurs ne parlent pas très bien l'anglais, mais ils n'hésitent pas à s'exprimer. Les Français, eux, ont toujours peur de le faire, parce qu'ils voudraient que leur expression soit parfaite. Quand je suis arrivé au Kosovo, où j'ai effectué un service volontaire européen, je ne maîtrisais pas très bien l'anglais – sauf à l'écrit, parce que c'est quelque chose que l'on apprend bien à l'école –, mais je n'ai pas eu le choix : j'ai dû me mettre à le parler.
Je suis donc d'accord avec Morgan Marietti : il faut donner de l'envie aux jeunes. Quand c'est fun, quand c'est intéressant, quand on se sent écouté, on accomplit des choses extraordinaires. Ce week-end, nous avons vraiment senti se lever un vent européen ; cela fait plaisir.
« Qu'attendons-nous de l'Europe ? », nous a-t-on demandé. Et juste après cette question, à ma grande surprise, l'un des intervenants s'est interrogé sur ce que les « adultes » pouvaient faire pour nous, les jeunes. Nous nous sentons pourtant adultes, et nous sommes en tout cas majeurs. Il est amusant de voir ainsi révélée involontairement cette tendance à considérer les jeunes comme, sinon des enfants, du moins des personnes pas tout à fait adultes. C'est peut-être cela, la première chose que nous attendons : une reconnaissance sociale de notre autonomie, qui implique une intégration pleine et entière à la vie politique. Élise Drouet l'a rappelé : les moins de 30 ans voudraient pouvoir se présenter aux élections européennes, ou bénéficier au même titre que n'importe quel adulte des mesures sociales ou politiques, en matière d'emploi, notamment.
De ce point de vue, les politiques en Europe diffèrent fortement d'un État à l'autre. Au Danemark, par exemple, les jeunes peuvent bénéficier d'une aide leur permettant de vivre de façon autonome, tandis qu'en France, il est plus difficile d'accéder à un système d'aide ou de solidarité quand on fait ses études.
Si on veut que les jeunes s'intéressent à la politique, nationale ou européenne, il faut donc les considérer comme des adultes autonomes et leur permettre d'accéder aux mêmes droits que tout le monde.
Cela m'amène à la question du « SMIC jeune », sur laquelle l'UNEF a d'ailleurs déjà réagi. Nous ne jugeons pas cette proposition acceptable : en quoi le fait d'être jeune pourrait-il justifier d'être moins bien payé pour le même travail ? Il en est de même pour la protection sociale, puisque les moins de 25 ans n'ont pas droit au RSA : que change, pour un chômeur, le fait d'avoir 24 ou 26 ans ? Il faut réfléchir à une véritable intégration des jeunes dans les dispositifs sociaux publics.
Je suis préoccupée par la défiance manifestée par la jeunesse à l'égard des institutions. De fait, pour un certain nombre de jeunes, l'Europe équivaut à moins de services publics, moins de protection sociale, moins d'investissement dans l'avenir, parce que la vie et dure, que c'est la crise, qu'il faut réaliser des économies afin de maintenir le déficit dans la limite des 3 %… Or, pour que les jeunes se rallient à la cause européenne, il faut qu'ils comprennent les termes du contrat, et connaissent, certes, leurs devoirs, mais aussi leurs droits. C'est très important.
En ce qui concerne la Garantie jeunesse, il est évidemment nécessaire de renforcer le dispositif et son budget, et d'en étendre le périmètre, de façon à s'adresser au plus grand nombre de jeunes possible. L'objectif serait qu'elle devienne un droit. Mais, même si l'on reste dans le cadre d'un dispositif contingenté, il faut arrêter de classer les personnes dans des cases : jeunes sans qualification, issus de milieux populaires, ayant suivi des études, etc. La jeunesse est, certes, hétérogène, mais doit tout de même faire l'objet d'une politique globale, prenant en compte l'ensemble des publics et permettant de répondre à toutes les aspirations.
Je finirai par une remarque inspirée des manifestations auxquelles nous avons assisté au cours des dernières années, contre l'augmentation des frais d'inscription à l'université ou la réduction du montant des bourses. Nous avons besoin de garantir un accès de tous à l'éducation, et de faire de celle-ci un droit. Or l'Europe peut y contribuer. En procédant étape par étape, on pourrait parvenir à garantir à tout jeune Européen, quelle que soit son origine sociale ou le pays où il vit, l'accès à une formation sanctionnée par un diplôme, afin que son insertion professionnelle se fasse dans les meilleures conditions possibles. Il s'agit d'un énorme chantier, difficile à entreprendre, mais passionnant.
Je remercie nos invités qui nous ont largement donné matière à réflexion. Tout le monde l'a dit d'une façon ou d'une autre : l'une de vos grandes préoccupations, c'est le besoin de reconnaissance, à tous les niveaux, et un accès égal à l'autonomie.
Par ailleurs, le compte rendu que Mme Drouet a fait de la Rencontre des jeunes Européens montre que les jeunes partagent le diagnostic des autres générations vis-à-vis de l'Europe, dont on a l'impression qu'elle ne protège pas, ou plus assez. Quoi qu'il en soit, dans cette commission, nous oeuvrons tous pour que cette Europe existe, et qu'elle soit la plus belle et la plus solidaire possible.
La séance est levée à 18 h 20