La séance est ouverte à 16 heures 20.
Présidence de Mme Catherine Coutelle, présidente.
La Délégation procède à la constitution d'un groupe de travail sur le bilan des mesures adoptées en matière d'égalité femmes-hommes, puis à l'audition de Mme Géraldine Fort, déléguée générale de l'Observatoire de la responsabilité sociétale des entreprises (ORSE), de Mme Lydie Recorbet, chargée des questions d'égalité femmes-hommes à l'ORSE, de Mme Bénédicte Ravache, secrétaire générale de l'Association nationale des directions des ressources humaines (ANDRH), et de M. Michel Miné, professeur de droit du travail au Conservatoire national des arts et métiers (CNAM) et membre du Conseil supérieur de l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes (CSEP), sur l'égalité professionnelle.
Mes Chers Collègues, je vous propose de constituer un groupe de travail afin de dresser le bilan des mesures adoptées au cours de la législature en matière d'égalité femmes-hommes et de leur mise en oeuvre. J'ai proposé aux membres du Bureau de faire partie de celui-ci, et nos collègues Mmes Maud Olivier, Cécile Untermaier et Édith Gueugneau m'ont fait part de leur intérêt pour ces travaux.
C'est une excellente idée de faire ce travail, dans la mesure où de nombreuses avancées sont intervenues au cours de cette législature. Sans faire partie du Bureau de la Délégation aux droits des femmes, je suis également volontaire pour contribuer à ce travail.
Nous en prenons bonne note. Au demeurant, toutes les auditions menées par la Délégation aux droits des femmes sont ouvertes à l'ensemble des parlementaires, indépendamment des travaux complémentaires susceptibles d'être menés par ce groupe de travail.
Nous en venons à présent à l'audition de responsables de l'ORSE, de l'ANDRH et de M. Michel Miné sur l'égalité professionnelle. La Délégation aux droits des femmes a constitué un groupe de travail pour faire le bilan des mesures adoptées en matière d'égalité femmes-hommes depuis 2012. L'égalité entre les femmes et les hommes est un champ très vaste ; Maud Olivier vient de rendre un rapport sur les études de genre. Comme nous l'a indiqué Mme Najat Vallaud-Belkacem, il faut attaquer les inégalités sur tous les fronts : place des femmes dans les entreprises, nominations des femmes aux postes à responsabilité, lutte contre les violences, promotion de l'égalité professionnelle.
Les lois sur l'égalité professionnelle ont quarante ans, mais les progrès sont lents. Le mouvement Les Glorieuses indiquait d'ailleurs sur son site que « si les femmes étaient payées autant que les hommes, elles pourraient s'arrêter de travailler le 7 novembre à 16h34 ». Ce genre d'action contribue à rendre visibles les inégalités.
Les chiffres diffèrent sur l'inégalité salariale entre les hommes et les femmes. Cet écart est de 27 % en comptant la totalité des emplois femmes hommes tout type de contrat. Comme les femmes sont majoritairement à temps partiel, l'inégalité est importante. En comparant tous les salariés à temps plein, l'écart de rémunération serait de 19% parce que des femmes occupent des postes moins qualifiés et qu'elles ne bénéficient pas de promotions lorsqu'elles sont en congé parental – les femmes sont nombreuses à s'arrêter assez longuement à l'arrivée du troisième enfant. Dernier chiffre, inexplicable : un écart salarial de 10 % à compétence égale et poste égal, sachant que le différentiel est le travail de valeur égale. Je rappelle qu'une entreprise a été condamnée car sa directrice des ressources humaines était moins payée qu'un directeur financier.
Depuis 2012, on constate des progrès : les lois sont appliquées depuis la possibilité des sanctions. Des entreprises ont en effet été sanctionnées, faute de plan ou de démarche active.
Mesdames, messieurs, l'égalité hommes-femmes est-elle en bonne voie ? Que faudrait-il faire de plus selon vous ?
Créée en 1947, l'ANDRH est une association sans but lucratif qui vise à représenter les professionnels des ressources humaines (RH) à titre individuel. Elle a la particularité d'avoir un fort ancrage territorial en s'organisant autour de 80 groupes locaux. Notre association est représentative des petites et moyennes entreprises (PME) de tous secteurs d'activité et de toutes tailles, structures publiques et privées.
Notre commission nationale sur l'égalité professionnelle et la diversité a été extrêmement active au cours des dernières années, en travaillant sur les questions d'égalité professionnelle, de lutte contre les discriminations et de promotion de la diversité. Les réponses que je vais vous apporter aujourd'hui sont principalement celles que nous avons préparées avec cette commission, notamment grâce à l'expertise d'Aline Crépin, dont je reprendrai la plupart des propos.
Je rappelle l'engagement de très longue date de l'ANDRH sur la promotion de la diversité, et notamment de l'égalité réelle entre les femmes et les hommes, avec quelques actions emblématiques.
En particulier, l'association a été le véhicule de formations à l'égalité à destination des ministres – dont M. Bernard Cazeneuve – et de la haute fonction publique. La prise en compte de la problématique égalité est importante à tous les niveaux de l'État, sachant que les budgets dédiés à la promotion de l'égalité entre les hommes et les femmes sont pour le moins limités. Nous avons également décliné cette formation auprès des institutions publiques qui nous l'ont demandé, notamment des municipalités. Cette formation a consisté principalement en une sensibilisation et en la mise en évidence des stéréotypes.
L'ANDRH a aussi été à l'initiative du « label diversité » ; elle a été très active en ce qui concerne le « label égalité professionnelle » entre les femmes et les hommes ; elle a également promu l'alliance des labels. Nous pensons important de ne pas diluer les deux objectifs : diversité et égalité professionnelle. Nous valorisons énormément la notion de label, seule façon d'avoir une démarche à la fois quantifiée et pérenne. En effet, la grande difficulté est l'inscription dans la durée de la promotion de l'égalité réelle. Cette action dans la durée, qui doit être visible, implique une volonté très forte pour sensibiliser les cadres dirigeants.
Le label, dans sa première version, impliquait nécessairement la signature d'un accord avec les partenaires sociaux ; maintenant, un plan d'action peut faire office d'action. Pour nous, l'essentiel est qu'une action soit sérieuse et pérenne – la nécessité d'un accord n'est pas forcément un prérequis. À propos de la loi du 17 août 2015 relative au dialogue social et à l'emploi, dite « loi Rebsamen », encore très récente, le regroupement des négociations est une simplification relative : regrouper plusieurs sujets peut avoir comme effet de retenir une négociation dans un domaine et de privilégier un enjeu plutôt qu'un autre. Aux dires de certaines entreprises, il n'est pas toujours plus simple de gérer une négociation groupée.
Il est important de sensibiliser les organisations syndicales au fait que l'égalité professionnelle est un sujet aussi important que les autres : quand plusieurs thèmes sont sur la table des négociations, il faut s'assurer que ce sujet ait l'importance qu'il mérite. L'exemplarité des organisations syndicales n'est pas homogène : il y a un fort tropisme sur la question de la rémunération, tandis que les responsables de ressources humaines (RH) sont attentifs à la prise en compte de l'ensemble des points qui doivent permettre d'atteindre une égalité réelle, notamment grâce aux promotions.
Vous nous demandez, après l'adoption des lois Rebsamen et El Khomri, où en est la négociation sur l'égalité professionnelle entre les hommes et les femmes. Globalement, le mouvement est fort, même si majoritairement les petites et moyennes (PME) ne sont pas couvertes. C'est pourquoi nous travaillons, sous l'impulsion de la Délégation générale à l'emploi et à la formation professionnelle (DGEFP) et en lien avec le Laboratoire de l'égalité, à la finalisation d'un guide à destination des très petites entreprises (TPE).
En effet, comme l'ont montré les derniers chiffres de la séance plénière du 4 octobre 2016, moins de 30 % des entreprises de 50 à 300 salariés sont couvertes, et 77 % des mises en demeure pour défaut de plan d'action au 15 avril 2015 concernaient les entreprises de 50 à 300 salariés. Néanmoins, ce n'est pas parce qu'elles ne sont pas couvertes par un accord que ces entreprises n'ont pas des pratiques vertueuses. Le guide, en cours de finalisation, vise à donner aux TPE-PME des éléments pratiques et précis – reste à trouver le canal qui leur permettra de s'en saisir.
Vous nous interrogez également sur la BDES. Pour notre commission sur l'égalité professionnelle et la diversité, il s'agit là d'une simplification relative qui aurait plutôt tendance, de l'avis des professionnels qui gèrent les accords, à entraîner une dilution de la question de l'égalité professionnelle hommes-femmes. Ces derniers soulignent également que la quantification implique souvent pour les ressources humaines une forme d'empilement de données qui sont parfois difficiles à produire. En l'occurrence, le délai entre deux promotions est un chiffre extrêmement difficile à produire, y compris pour de très grands groupes. Il faut donc, selon nous, se méfier de l'empilement des indicateurs, car ils nécessitent du temps à produire la donnée au détriment du plan d'action.
De plus en plus d'accords prennent en compte l'articulation des temps de vie, exigence clairement affirmée par les collaborateurs. Il existe des bonnes pratiques dans les entreprises. À cet égard, il nous semble important de prendre en compte la monoparentalité, avec notamment la prise en charge des frais de garde ; à titre d'exemple, une structure peut prendre en charge les frais de garde quand les collaborateurs sont en formation. Il est important également de prendre en compte la situation des aidantes salariées.
Vous nous demandez quelles mesures sont prises dans les entreprises pour prévenir les agissements sexistes. La loi El Khomri est très récente. Après la définition donnée dans la loi Rebsamen de 2015 et la nécessité de prévoir ce sujet dans les règlements intérieurs des entreprises, celles-ci sont encore dans l'attente pour agir de façon concrète. La campagne en cours « Sexisme, pas mon genre » contribue à relayer cette question.
Nous considérons qu'il y a là une piste pour résoudre des difficultés qui parfois sont posées autrement ; je pense au fait religieux en entreprise. Le droit est précis sur l'exécution du contrat de travail et la non-discrimination, mais le problème est de savoir si une personne discrimine une femme ou a un comportement irrespectueux vis-à-vis d'elle. En général, le problème n'est pas religieux, il est d'apprécier une attitude irrespectueuse à l'égard d'une femme. Par conséquent, traiter le sexisme permettrait de limiter les situations anormales. C'est un travail de longue haleine.
Vous nous demandez quelles sont les principales avancées intervenues en matière d'égalité professionnelle depuis 2012. Le congé parental, y compris partagé, recueille des échos très favorables.
À ce stade, je ne peux pas vous répondre, mais c'est une question que nous pourrons étudier plus avant.
À propos de votre question sur une entreprise modèle, nous vous renvoyons aux entreprises ayant obtenu le label égalité professionnelle et diversité.
Je termine par nos propositions visant à faire avancer l'égalité professionnelle.
D'abord, nous proposons la diffusion large du guide pour les PME-TPE, qui sont une des cibles prioritaires.
Il faut poursuivre la sensibilisation de la fonction publique, au plus haut niveau de l'État, en espérant qu'il y aura toujours un ministère aux Droits des femmes. Dans la mesure où les institutions publiques sont engagées par l'obligation de mise en place du label égalité professionnelle, il faudra que les moyens continuent à être alloués pour que ce plan soit effectif et que la volonté ne faiblisse pas.
Par ailleurs, il est important de clarifier les attentes, avec des indicateurs peut-être moins nombreux, mais mieux utilisés. Il faut éviter l'empilement des contraintes qui sont un frein à l'action. Il convient également de s'assurer de l'exemplarité des organisations syndicales et des corps intermédiaires.
Enfin, nous tenons à attirer votre attention sur une question très pratique : les obligations liées aux vestiaires dans les PME. Pour une entreprise qui fait entrer une apprentie afin de féminiser un poste, la contrainte d'un vestiaire est parfois compliquée ou avancée comme telle. Il faudrait éventuellement des aménagements pour que ce point ne soit pas évoqué comme une contrainte.
Dans une entreprise de transports que je connais, l'un des freins avancés pour embaucher des femmes était la création de vestiaires. Pour moi, c'est un faux argument : il y avait une très forte réticence des chauffeurs à travailler avec des femmes. Demander à une jeune apprentie d'aller dans un vestiaire d'hommes signifie qu'on n'a pas envie de féminiser la profession… Comme pour le handicap et l'accessibilité, il faut appliquer les normes de façon intelligente, avec souplesse.
Cela renvoie aux « accommodements raisonnables » qui existent au Canada.
L'ORSE est une association regroupant 80 grandes entreprises et des organisations syndicales. Nous accompagnons ces entreprises et ces organisations sur les questions de la responsabilité sociétale des entreprises (RSE). Le 10 novembre, nous avons publié un Guide sur l'égalité professionnelle, cosigné par les organisations syndicales – cet ouvrage a été coconstruit avec ces dernières tout au long de l'année.
Quelles sont les missions de l'ORSE ? Nous anticipons les dynamiques émergentes de la responsabilité sociétale des entreprises (RSE) ; nous fédérons autour de ces questions toutes les fonctions dans les entreprises et les organisations ; nous mettons à disposition des guides de bonnes pratiques, comme ce guide sur l'égalité professionnelle.
Dix chapitres constituent ce guide : pourquoi et comment mettre en oeuvre une politique d'égalité professionnelle ; la base de données économiques et sociales (BDES) ; les acteurs de l'entreprise ; le dialogue social ; les enjeux dans les PME ; les outils et les instances de pilotage ; la mixité des métiers ; les processus des ressources humaines (RH) ; les conditions de l'organisation du travail ; la communication sur l'égalité professionnelle.
Nous ne sommes pas un centre d'étude ; nous co-construisons avec les entreprises et les organisations syndicales. Nous n'avons donc pas forcément de données chiffrées à vous donner ; nous remontons les bonnes pratiques. Ce sont ces bonnes pratiques qui permettent aux entreprises d'être plus vertueuses et d'avancer en matière d'égalité professionnelle.
La mise en place de la BDES peut engendrer un coût pour les entreprises – achat d'un logiciel, mise à disposition d'une personne – et implique une nouvelle organisation.
Concernant l'articulation des temps de vie, si nous nous n'avons pas de statistiques, nous remarquons une augmentation des accords. L'articulation des temps de vie est un facteur de fidélisation, d'attractivité et de compétitivité pour l'entreprise.
Les entreprises sont attentives à la mutation des structures familiales – familles monoparentales, divorces.
Dans nos entreprises membres, les cadres dirigeants arrivent davantage à montrer l'exemple : les jeunes hommes souhaitent s'impliquer davantage sur les questions d'égalité professionnelle. Il faut les soutenir dans leur démarche : c'est une façon d'arriver à une meilleure égalité entre les femmes et les hommes.
Concernant le temps partiel, nous pensons qu'il est trop souvent subi par les femmes.
Sur les agissements sexistes, certaines entreprises ont édité des guides ; les campagnes gouvernementales ont été relayées. Dans les formations sur les stéréotypes, les questions de sexisme sont abordées.
Nous pensons qu'il faut décomplexer les hommes et aider les femmes à accéder à des métiers techniques dès la formation. Les évolutions se feront par l'équilibre entre vie personnelle et vie professionnelle. Nous travaillons beaucoup sur ce sujet.
Enfin, il faut aider les salariés sur toutes les questions de la vie familiale : la petite enfance, les adolescents, les aidants familiaux.
Nous n'avons effectivement pas de données chiffrées.
Vous nous avez demandé si l'on assiste à un rattrapage des salaires entre les hommes et les femmes dans les entreprises. Notre prisme est celui des grands groupes du CAC 40 ; les informations sur les PME nous sont remontées essentiellement par les organisations syndicales. Nos membres mettent en oeuvre un rattrapage salarial, les écarts résiduels se situant en règle générale à moins de 5 %, pour celles qui nous les communiquent.
Par ailleurs, si les comités d'entreprise recourent fréquemment à des experts pour préparer les négociations – là aussi, ce sont les organisations syndicales qui nous remontent l'information, et le recours à un expert est une possibilité qui est connue –, les experts sont en revanche moins sollicités dans le cadre de la négociation sur l'égalité professionnelle et la qualité de vie au travail (QVT). En effet, on se réserve cette possibilité sur les sujets plus macroéconomiques, plus techniques, que sont la négociation sur la stratégie de l'entreprise.
Au titre de la Délégation, nous avions demandé la possibilité pour les syndicats de solliciter un expert sur le sujet de l'égalité professionnelle, car nous savions que le passage du RSC à la BDES pouvait compliquer les choses en termes de recherche dans une base de données.
Comme nous l'ont remonté les organisations syndicales, la possibilité de recourir à un expert sur le sujet de l'égalité professionnelle est une information transmise aux représentants syndicaux, mais solliciter un expert sur ce sujet n'est pas un réflexe pour l'instant.
Les organisations syndicales vont vous dire oui ; les entreprises vont vous dire non. Force est de constater que sans le « bâton », les choses n'avancent pas. Cela renvoie au débat plus global sur la RSE entre le droit dur et le droit mou (soft law) ; au sein de l'ORSE, les débats sont loin d'être concluants sur ce point.
Vous nous avez demandé comment les entreprises se saisissent de la BDES. Le plus souvent, les entreprises transposent dans la BDES les indicateurs qu'elles avaient déjà en s'équipant d'un logiciel idoine. En revanche, les entreprises qui n'en ont pas les moyens doivent faire face à des coûts en termes d'outils et de moyens humains. Les organisations syndicales utilisent le terme de « confusion » pour les PME, car il y a une dilution du sujet au milieu de multiples indicateurs qu'il faut compiler – que doivent-elles faire de ces indicateurs, comment les analyser ?
Nous constatons que de plus en plus d'accords sur l'égalité professionnelle comportent des articles qui traitent de l'articulation entre la vie privée et la vie professionnelle. Sans doute parce que ce sujet est connexe à celui de la qualité de vie au travail et, ainsi, un élément de fidélisation et d'attractivité pour les entreprises, au même titre que les différentes actions en matière de rémunération, d'organisation du temps de travail, de flexibilité du temps de travail, de télétravail. Sur les rémunérations, il y a toujours des articles assortis d'une méthodologie sur la réduction des écarts, l'établissement d'un diagnostic, etc.
En revanche, tout ce qui concerne l'accès à la formation – qui conditionne l'accès à la promotion et l'évolution des rémunérations – reste assez pauvre depuis plusieurs années, alors que ce sont le plus souvent les femmes qui sont pénalisées pour des raisons évidentes : congé maternité, congé parental, temps partiel.
Des entreprises ont mis en place des bonnes pratiques, notamment pour faciliter et contribuer aux modes de garde, afin de faciliter l'accès à la formation pour les femmes. Autre exemple : des accords relatifs à l'égalité professionnelle prévoient qu'au moment de la « revue des talents » (people review) et à tous les niveaux au moment des entretiens d'évaluation, dans la perspective de promotion, il soit possible de proposer deux candidatures, celle d'un homme et celle d'une femme.
Sur la question des temps partiels, nous n'avons pas de données. Mais ce sujet important est à mettre en lien avec l'accès aux formations, les mobilités, les promotions. Trop souvent, le temps partiel des femmes est subi. On nous dit que ce sont les femmes qui demandent à prendre le congé parental fractionné ou un temps partiel au retour de leur congé maternité, mais en réalité subsiste le stéréotype selon lequel c'est à elles qu'incombent les responsabilités familiales et qu'il vaut mieux sacrifier le plus petit salaire du foyer. Pour l'ORSE, il est clair que le temps partiel des femmes est subi.
Une grande partie des femmes à temps partiel subi souhaiteraient travailler à temps complet. Les entreprises ont l'obligation de proposer un poste à temps plein en cas de poste vacant ou de promotion aux salariés qui veulent travailler à temps plein. Le font-elles ?
À ma connaissance, les entreprises ne le font pas systématiquement – cette possibilité doit être connue du manager. Je pense aussi que le frein vient des femmes. Il y a donc une sorte de carcan : le manager d'équipe n'y pense pas et toutes les femmes ne le demandent pas, car elles n'ont pas intégré le fait qu'elles peuvent assumer autrement vie privée et vie professionnelle.
Nous constatons que les entreprises qui ont mis en place des actions contre le harcèlement et qui sensibilisent leurs équipes aux questions d'agissements sexistes sont celles qui ont déjà intégré dans leur formation à l'égalité professionnelle des actions sur les stéréotypes. Elles ont donc anticipé la loi.
Pour conclure sur nos propositions, nous sommes très attachés au travail sur l'articulation entre vie privée et vie professionnelle, en ciblant tous les salariés, hommes et femmes. Autre bonne pratique : les entreprises ont maintenant une vision globale des responsabilités familiales – petite enfance, adolescence, prise en charge de parents âgés ou de personnes atteintes de maladie grave. Cet axe de travail décloisonne le sujet de l'égalité professionnelle, sans créer d'inégalité.
Je suis professeur au Conservatoire national des arts et métiers, établissement fondé en 1794. J'ai le plaisir d'avoir comme auditeurs des personnes qui travaillent : salariés, gestionnaires, chefs d'entreprise, etc. Mon dernier ouvrage, sur Le droit des discriminations dans l'emploi et le travail, présente le droit français applicable en matière de discriminations et d'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes ainsi qu'un état de la jurisprudence sur ces questions.
Vous l'avez dit : l'égalité professionnelle progresse, mais très lentement. Point positif : ces dernières années, la question de l'égalité entre les femmes et les hommes n'agite plus seulement quelques acteurs ou des femmes qui ont pris conscience des inégalités, mais elle est devenue une question sociétale.
Aujourd'hui, nous allons parler des entreprises d'au moins cinquante salariés, c'est-à-dire où existe une représentation du personnel et se déroulent des négociations collectives, mais n'oublions pas que ces entreprises regroupent moins de la moitié du salariat, notamment du salariat féminin.
Concernant les chiffres, je vous communiquerai des rapports de la direction générale du travail (DGT). Au 15 août 2016, 40 % des entreprises étaient couvertes par un accord d'entreprise ou un plan d'action avec de grandes différences suivant la taille des entreprises, selon les données de la DGT : 85 % des entreprises de plus de 1 000 salariés sont couvertes. On peut donc s'étonner que 15 % des entreprises de plus de 1 000 salariés ne soient pas couvertes. Évidemment, les autres chiffres sont moins bons au regard de la taille de l'entreprise.
Certes, le mouvement est positif, puisque de plus en plus d'entreprises sont couvertes ; néanmoins, de nombreux accords montrent un contenu assez faible.
En dépit des bonnes intentions affichées, le contenu des accords publiés, pour nombre d'entre eux, est faible, notamment concernant la suppression des écarts de rémunération entre les femmes et les hommes – le terme de « suppression » figure bien dans la loi. Il s'agit pour l'essentiel du recopiage de dispositions du code du travail.
Avec la loi du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels, tous les accords devraient figurer dans une base de données, ce qui rendra le travail d'analyse plus aisé.
Dans ces accords est souvent mentionné ce chiffre qu'évoquait Mme Recorbet de 4 à 5 % d'écart de salaires entre femmes et hommes. Il est amusant, si l'on peut dire, de constater que ce chiffre figure dans l'accord national interprofessionnel (ANI) signé en 2004. La reprise de ce dernier s'explique par l'absence dans de nombreuses entreprises d'un véritable diagnostic de la situation initiale en matière de rémunération. Très souvent, les négociations s'appuient sur des données partielles, sans un état des lieux complet de la politique salariale, en particulier sur le travail de valeur égale effectué par les femmes et par les hommes. Or, c'est là que viennent se nicher les inégalités et les discriminations – au sens juridique du terme, dénué de toute connotation morale. L'entreprise peut discriminer sans le savoir et sans le vouloir pour de nombreuses raisons que je vais évoquer plus loin.
Des entreprises qui ont signé des accords sur l'égalité professionnelle sont condamnées de manière définitive en raison de discriminations à l'encontre des femmes en matière de rémunération. Je ne serai pas cruel en citant leur nom puisque cette audition est publique mais vous les retrouverez aisément. Ces entreprises ne sont pas plus mauvaises élèves que les autres ; elles sont l'illustration de l'absence de diagnostic préalable à la suppression des écarts de salaire.
Il faut dissiper une confusion : la loi impose une négociation en vue d'atteindre l'égalité professionnelle, elle n'impose pas que l'accord qui en résulte supprime les discriminations. Autrement dit, un accord peut être parfaitement conforme à la loi, tout en maintenant les discriminations à l'encontre des femmes. Ce n'est pas parce qu'un accord a été conclu que la situation dans l'entreprise est licite au regard de l'égalité entre femmes et hommes. C'est un point important qui est source de confusion.
S'agissant de l'expert chargé d'aider à préparer les négociations, qui doit être désigné par le comité d'entreprise en accord avec l'employeur dans les entreprises d'au moins 300 salariés, les échos ne sont pas très bons : les personnes que j'ai interrogées, y compris celles occupant des postes à responsabilité, ont bien souvent découvert cette obligation à l'occasion de notre échange. Nous avons donc besoin de temps en la matière.
Le contenu des synthèses publiées sur les plans d'action des entreprises, qui se trouvent sans difficulté sur internet, est déconcertant. Ces dernières comportent souvent l'engagement de réaliser des études en vue de vérifier la bonne application de l'égalité salariale. Or, cette mesure, qui correspond pourtant à une étape très préliminaire, y est présentée comme l'action à mettre en oeuvre dans les années à venir.
L'intégration du rapport de situation comparée des femmes et des hommes (RSC) dans la base de données économiques et sociales (BDES) risque de se traduire par un énorme tableau Excel, dépourvu des éléments d'analyse prévus par la loi, concernant en particulier les écarts salariaux et de déroulement de carrière suite à la loi de 2014. Or, dans un certain nombre de bases de données que j'ai pu consulter, qui ne sont pas forcément représentatives, cette analyse fait défaut : il s'agissait simplement de chiffres.
Si la loi de 2014 avait marqué un progrès très sensible en matière de négociation et de consultation, malheureusement, un certain nombre des avancées qu'elle contenait ont été rognées par la loi du 17 août 2015 relative au dialogue social et à l'emploi. Je ne donnerai que quelques exemples : la loi ne mentionne plus l'obligation de consultation du comité d'entreprise au cours des négociations, ni la possibilité pour les négociateurs de demander les informations nécessaires pour négocier en connaissance de cause. Il ne faut évidemment jamais confondre la règle et l'usage de la règle : selon le climat social dans l'entreprise, les modifications législatives pourront ne pas avoir d'incidence négative. Mais, dans un certain nombre d'entreprises, la nouvelle loi a fait disparaître la base juridique permettant aux organisations syndicales de se voir communiquer des éléments d'information.
Il en est de même de l'intégration de la négociation sur l'égalité professionnelle entre hommes et femmes dans la négociation sur la qualité de vie au travail (QVT). Cela peut être la meilleure comme la pire des choses. Dans certaines entreprises, l'égalité femmes-hommes est complètement noyée parmi d'autres sujets. Les négociateurs ont du mal à appréhender la complexité de ces questions. Dans d'autres entreprises, cela peut permettre d'aborder la question de l'égalité de manière transversale.
Nous avions demandé, afin d'instaurer un garde-fou, que le sujet de l'égalité professionnelle soit discuté dans les trois blocs de négociations obligatoires dans l'entreprise – rémunération et temps de travail, égalité professionnelle et qualité de vie au travail (EP-QVT), gestion des emplois et des parcours professionnels –, alors que dans le texte initial du projet de loi, elle était prévue uniquement dans le cadre de la négociation sur la qualité de vie au travail. Qu'en est-il aujourd'hui ?
On peut remercier le législateur pour cette articulation intéressante : si la négociation sur l'égalité professionnelle entre femmes et hommes dans le cadre de la négociation sur la qualité de vie au travail aboutit, et notamment si des mesures visant à supprimer les écarts de rémunération entre les femmes et les hommes sont prévues, cette question sera ensuite suivie dans la négociation sur les salaires. En revanche, si dans le cadre de la négociation EP-QVT, un accord n'a pu être trouvé sur l'égalité professionnelle, notamment sur la suppression des écarts de salaires, cette question est ensuite reprise dans le cadre de la négociation sur les rémunérations. Le système me paraît cohérent et lisible. J'ajoute que dans toute négociation obligatoire dans l'entreprise, le sujet de l'égalité femmes-hommes doit être abordé.
La question des informations communiquées par l'entreprise aux délégations syndicales en vue d'aboutir à une négociation loyale continue d'être posée. Dans nombre d'entreprises, des progrès restent à accomplir, mais nous sommes en train de changer de culture en matière de relations sociales. Il me semble que de très nombreuses entreprises n'ont pas encore très bien compris ce que veut dire « négocier ». « Négocier », cela ne signifie pas que l'employeur arrive à la table de négociation avec un projet, dont il informe les délégations syndicales qui peuvent seulement l'amender à la marge. « Négocier », c'est construire ensemble un accord en vue de régler certaines questions. Dans certaines entreprises, l'employeur et les représentants syndicaux possèdent un savoir-faire, mais celui-ci n'est pas encore largement répandu parmi les partenaires sociaux. Si on veut réduire le poids de la loi dans l'élaboration du droit du travail, et en donner plus à la négociation collective, il faut s'intéresser beaucoup plus au processus de négociation.
En s'appuyant sur de simples données brutes, on ne peut pas négocier. Il faut partir d'un état de la situation, s'accorder sur un diagnostic. Ensuite, la négociation peut faire apparaître des désaccords entre les négociateurs. Il faut faire avancer la culture de la négociation.
On peut supposer que les entreprises qui avaient pris l'habitude de travailler sur un rapport de situation comparée (RSC) le reprendront dans la base de données économiques et sociales (BDES).
Ceux qui ont déjà de l'expérience en la matière connaissent moins de difficultés ; ils peuvent retrouver un certain nombre de paramètres dans la base de données.
La question du processus de négociation est essentielle. Le droit du travail est extrêmement riche s'agissant du contenu des accords et de leur articulation, mais il est rudimentaire concernant les méthodes et les processus de négociation. Or la négociation suppose un minimum de confiance entre les acteurs et de la transparence, en particulier sur les rémunérations. Dans de nombreuses entreprises, les négociations vont porter sur les salaires minima, mais pas sur les rémunérations réelles, qui comprennent les avantages en nature et les primes.
Une entreprise à Marseille, que je ne citerai pas, a été condamnée, car au même niveau hiérarchique, les femmes n'avaient pas de véhicule de fonction ou avaient des véhicules plus petits que les hommes. Les stéréotypes ont la vie dure !
Concernant la mise en oeuvre du dispositif de mises en demeure et de pénalités, je reprends les chiffres de la DGT : au 15 août 2016, plus de 2 000 mises en demeure ont été adressées à des entreprises et plus d'une centaine de sanctions financières prononcées. À près de 90 %, ces sanctions concernent des entreprises qui n'avaient signé aucun accord, ni présenté aucun plan d'action. De manière plus limitée, ont été sanctionnées des entreprises dont les accords ou les plans d'action n'étaient pas conformes à la loi. La mise en oeuvre monte en charge lentement : sont d'abord visées les entreprises qui ne veulent rien faire, puis progressivement les exigences seront plus qualitatives. La répartition régionale des mises en demeure et des sanctions fait apparaître la passivité de certaines administrations régionales : certaines directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE) se sont investies, quand d'autres ont laissé ce sujet de côté pour le moment.
S'agissant de la BDES, le décret publié le 29 juin 2016 vient compléter son contenu par deux nouvelles rubriques : la santé et la sécurité, d'une part, et le déroulement de carrière, d'autre part. Sur le premier sujet, apparaît un indicateur en matière de maladie. Certaines études de l'Agence nationale pour l'amélioration des conditions de travail (ANACT) font le lien entre les arrêts maladie et des situations de travail difficiles, notamment pour les femmes.
Je regrette que ne figurent pas parmi les indicateurs les inaptitudes. Cette donnée, qui existe dans le bilan social, n'a pas été reprise pour les entreprises de moins de 300 salariés. On manque donc de données sexuées sur les inaptitudes dans l'entreprise, partielles ou complètes. Dans de nombreux cas, ces inaptitudes aboutissent à des ruptures du contrat et à d'importantes difficultés pour les personnes concernées à retrouver un emploi.
J'en viens au travail à temps partiel. Je ne ferai pas la distinction entre temps partiel choisi et subi puisque celle-ci n'existe pas en droit. En revanche, j'exprime un regret extrêmement fort : le législateur avait prévu un certain nombre de dispositions qui marquaient un véritable progrès, en particulier le socle minimum de vingt-quatre heures hebdomadaires prévu par la loi de sécurisation de l'emploi de 2013. Que s'est-il passé ? On a fait confiance à la négociation collective – ce qui ne veut pas dire qu'il ne faut pas le faire – et, dans la plupart des branches, ont été négociés des accords qui prévoient des durées minimales inférieures à vingt-quatre heures. De nombreuses branches prévoient ainsi une durée minimale allant de seize à deux heures.
Ce fut vraiment un combat. Nous pensions avoir obtenu une avancée avec la fixation de la durée de vingt-quatre heures regroupées. Vous nous aviez alertés par un de vos articles sur les conventions collectives de branches qui mettent en place des dérogations. À l'époque, vous évoquiez une quinzaine de conventions collectives. Qu'en est-il aujourd'hui ?
Dans le bilan 2015 de la négociation collective, l'analyse porte sur 51 accords qui ont fait l'objet d'un arrêté d'extension du ministère du travail.
Aux termes de la loi du 8 août 2016, ce sont les accords qui doivent déterminer la durée minimale d'emploi. S'ils ne le font pas, la loi, dans une disposition supplétive, prévoit que celle-ci est fixée à vingt-quatre heures. L'architecture a été modifiée, mais ce sont les mêmes dispositions qui s'appliquent.
J'ajoute deux autres sujets de préoccupation : le premier porte sur le taux de rémunération des heures complémentaires. Ce taux est resté pour les premières heures supplémentaires à seulement 10 % alors que pour faire disparaître toute discrimination, il devrait être au moins de 25 %. Nous sommes en présence d'une discrimination indirecte au regard de la jurisprudence européenne, notamment l'arrêt Ursula Voβ de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE). Un nombre très limité d'accords ont supprimé cette inégalité injustifiable : de très rares conventions collectives appliquent la majoration des heures supplémentaires à 25 % dès la première heure.
Second sujet, peut-être plus important encore : la loi prévoit que par convention collective étendue, il est possible dans certaines branches d'activité de faire signer aux salariés des avenants individuels sur l'augmentation de la durée de leur travail qui peuvent prévoir une majoration de ces heures. Les avenants peuvent donc ne pas prévoir de majoration. Autrement dit, certaines conventions collectives prévoient que des salariés vont effectuer des heures complémentaires qui seront rémunérées sans majoration. C'est tout à fait choquant que le code du travail prévoit ainsi des dispositions ayant pour effet une discrimination indirecte pour des salariés à temps partiel – et donc principalement à l'encontre de femmes à temps partiel.
Ces informations figurent dans le rapport 2015 de la DGT.
Rappelons-nous que ces méthodes avaient été jugées discriminatoires par la Cour de cassation. Il n'y a aujourd'hui aucun contentieux en cours sur ces questions. Mais, en examinant les branches d'activités concernées, on s'aperçoit que les salariés victimes de ces discriminations se trouvent souvent dans des situations difficiles.
Sur un autre sujet sur lequel le droit français ne respecte pas le droit européen – le forfait jours –, on constate que de nombreux salariés saisissent les tribunaux : plus de douze conventions collectives ont ainsi été jugées par la Cour de cassation non conformes au droit. Mais les salariés en forfait jour ne relèvent pas des mêmes catégories socioprofessionnelles que celles des personnes occupant un emploi à temps à partiel.
Sur la classification des métiers – chantier très important –, le groupe de travail du Conseil supérieur de l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes (CSEP), qui est animé par Mme Marie Becker, avance bien. Une note méthodologique améliorée devrait être publiée en début d'année prochaine. Le projet, qui semble faire consensus, présente des éléments de méthodologie mais aussi des exemples de conventions collectives pour illustrer les difficultés dans la pesée des postes – des emplois majoritairement occupés par des femmes apparaissent comme n'étant pas reconnus à leur juste valeur. Il serait intéressant que vous puissiez entendre Mme Becker ou la secrétaire générale du CSEP, Mme Brigitte Grésy.
Sur les agissements sexistes, je n'ai rien à ajouter à ce qui a été dit précédemment. J'attire l'attention sur des affaires concernant de jeunes apprenties victimes d'agissements sexistes qui ont donné lieu à l'intervention de l'inspection du travail ayant conduit à mettre fin au contrat d'apprentissage. Les jeunes femmes se trouvent ensuite en grande difficulté pour retrouver un autre employeur. Cette question n'est absolument pas réglée. Il faut évidemment intervenir pour préserver leur santé et leur dignité, mais c'est leur formation qui est ensuite remise en cause.
Quant aux principales avancées intervenues en matière d'égalité professionnelle, je relève deux textes sont très intéressants : la loi du 4 août 2014 pour l'égalité réelle entre les femmes et les hommes – qui comporte notamment des dispositions sur l'évaluation des risques professionnels sexués, le contenu de la négociation, et les classifications – et la loi du 6 août 2012 sur le harcèlement sexuel – qui réintroduit dans le droit interne une définition pertinente –, complétée par les dispositions législatives adoptées en 2015 et 2016 sur les agissements sexistes.
Je tiens cependant à vous faire part d'une très vive déception, avec la loi du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXe siècle, qui comporte notamment des dispositions sur l'action de groupe dont le contenu est très minimaliste.
Je terminerai par une proposition. Le code du travail comporte une faille concernant la protection des femmes enceintes qui sont exposées à des conditions de travail pénibles. Il prévoit des dispositions très pertinentes en matière de travail de nuit et au regard de risques particuliers – plomb, benzène, agents toxiques pour la reproduction – mais il ne contient pas de dispositions si la salariée doit soulever des charges. J'ai été saisi d'une affaire qui concerne un supermarché en région parisienne dans lequel une salariée qui était occupée à ce type de tâches a donné naissance à un enfant mort-né – je ne dis pas qu'il y a un lien direct. Depuis, j'ai reçu un certain nombre de témoignages de salariées ayant travaillé dans des conditions difficiles pendant leur grossesse et qui avaient fait des fausses couches. Aucune disposition ne prévoit la suspension du contrat avec garantie de rémunération. Le législateur s'honorerait à combler cette lacune.
Cela me désole que nous en soyons réduits à devoir légiférer sur ce type de problème ! Nous sommes en pleine contradiction puisqu'on ne cesse de nous enjoindre de laisser plus de place à la négociation. J'étais persuadée que les femmes enceintes étaient protégées. Il faudrait presque légiférer pour dire qu'une femme enceinte a droit à un banc ou un tabouret quand elle travaille dans un commerce ! Et on prétend que les entreprises sont très attentives à la qualité de vie au travail et à l'articulation entre vie professionnelle et vie familiale…
Je souhaite revenir sur l'articulation entre vie personnelle et vie professionnelle. Cette préoccupation, importante pour les femmes, reste un frein dans leur parcours professionnel en termes d'évolution de carrière, de rémunération, de formation ou d'accès à des postes de responsabilité.
Les divorces et les séparations reposent la question de l'égalité puisque femmes et hommes doivent assumer séparément l'organisation familiale. L'articulation entre vie familiale et vie professionnelle devient une préoccupation partagée, ce qui peut peut-être aider à accélérer les évolutions. De nombreux pères se battent encore pour assumer pleinement leur rôle. Constatez-vous une augmentation des demandes des pères portant sur l'organisation du temps de travail pour concilier leur vie personnelle et leur activité professionnelle ?
Observez-vous une hausse du recours au télétravail ? Peut-il être une réponse à la problématique de la conciliation entre vie privée et vie professionnelle, et à quelles conditions ?
On observe clairement une demande plus forte de la part des hommes et des pères de voir les contraintes familiales prises en compte.
Lors de la discussion sur la mise en place de prélèvement à la source de l'impôt sur le revenu, nous avons soulevé le problème du taux neutre et de la prise en compte du revenu net en cas de changement rapide de situation familiale qui se traduit souvent par une baisse de revenus – je pense également au problème du paiement des pensions.
Quant à la conciliation entre vie professionnelle et vie personnelle, lorsqu'on met en place des règles de saine gestion – des réunions ni trop matinales, ni trop tardives –, tout le monde en bénéficie.
De manière plus générale, avec l'évolution de la cellule familiale, on observe aussi un taux plus élevé de départs en retraite retardés car les foyers recomposés impliquent aussi d'assurer un revenu sur une plus longue durée. Il faut tenir compte dans la gestion des carrières de ce que les temps de vie s'allongent et se complexifient.
Le télétravail peut être un moyen de concilier vie professionnelle et vie familiale à condition que le poste le permette. Les organisations syndicales font valoir que de nombreux métiers ne peuvent pas donner lieu à du télétravail. Nous avons de très beaux exemples de télétravail, mais il ne faut pas négliger que de nombreux travaux ne sont techniquement pas réalisables à distance. Le télétravail ne doit pas être une double peine, en ajoutant au travail à distance l'isolement du salarié. Il ne peut pas non plus être utilisé pour surveiller les enfants en même temps qu'on travaille. Les conditions de la mise en place sont importantes. Cette question se pose aussi pour le droit à la déconnexion. Un autre sujet nous préoccupe : l'immixtion de la vie privée dans la vie professionnelle, qu'il s'agisse des femmes élevant seules leurs enfants ou des aidants. Sur ces sujets, nous essayons d'identifier les pratiques qui sont adaptées aux contraintes de ces publics.
Les entreprises ont l'obligation de négocier ou de mettre en place un plan d'action à partir de janvier 2017.
Le télétravail exige un encadrement si l'on veut éviter qu'il soit un travail à façon à la maison. Les femmes, qui font l'expérience du télétravail toute la semaine, se plaignent de l'absence de vie sociale. Il faut mettre en place le télétravail avec prudence, et certainement pas sur la totalité du temps de travail.
Le télétravail est un sujet sur lequel l'ORSE travaille depuis plusieurs années. Nous continuons de mobiliser les entreprises sur ce sujet car la culture du présentéisme, qui caractérise la France, explique pour une part la stagnation du télétravail.
Mme Ravache a raison de le rappeler, tous les postes ne peuvent faire l'objet de télétravail. Il faut faire attention lors de sa mise en place à ne pas générer des inégalités par ailleurs. Nous sommes toujours confrontés aux idées reçues sur la difficulté à « manager » à distance alors même qu'aujourd'hui les employeurs fixent aux salariés des objectifs à atteindre. Aucun manager n'est derrière ses collaborateurs toute la journée pour savoir comment il occupe sa journée de travail. Il faut déconstruire les stéréotypes sur le télétravail et renforcer l'accompagnement.
Le télétravail est un fort levier pour la conciliation de la vie privée et professionnelle. Les salariés sont très en demande de ce type d'aménagement.
J'ai observé récemment que les entreprises s'emparent de plus en plus de ce sujet, alors qu'elles étaient jusqu'à présent réticentes. Depuis un an environ, les entreprises franciliennes ou dans les grosses agglomérations qui réorganisent leurs espaces de travail – elles relocalisent ou concentrent leurs bureaux – sont enclines à proposer du télétravail plus facilement. Quand les entreprises se recentrent sur un seul site, elles proposent du télétravail aux salariés qui voient leur temps de trajet allonger. La volonté de l'entreprise rejoint le souhait du salarié, ce qui constitue un véritable levier.
Si je comprends bien, c'est pour économiser des bureaux ! Cette même préoccupation est à l'origine des open spaces dont je pensais qu'ils avaient disparu. Or, on assiste à un retour de ces lieux qui n'offrent pas des conditions de travail agréables aux salariés. On peut se poser des questions si la réorganisation des bureaux est la seule justification du télétravail.
C'est la raison pour laquelle nous allons devoir encore une fois inciter les entreprises à réfléchir sur la mise en place du télétravail et les mettre en garde lorsque celle-ci est dictée par la réorganisation de l'entreprise, plus que par le souci de la qualité de vie au travail. Il faut voir avec un peu de recul si c'est vraiment pertinent.
Je ne reviens pas sur la question de l'isolement sur laquelle nous devons être vigilants.
Les entreprises qui ont une longue expérience du télétravail limitent le nombre de jours de travail à domicile à deux par semaine au plus. Certaines proposent aussi des forfaits à l'année, qui ne sont pas forcément accompagnés d'un avenant, mais font l'objet d'un simple accord : la possibilité est donnée au salarié, dont le poste a été identifié comme « télétravaillable », de bénéficier d'un contingent de jours à l'année où il peut, moyennant un délai de prévenance suffisant, demander à travailler à domicile. Cette demande est soumise à l'approbation du manager. Les entreprises qui sont matures sur ces questions ont fixé une journée par semaine au cours de laquelle l'ensemble de l'équipe doit être présente dans l'entreprise pour une bonne coordination. La question de la cohésion sociale est donc prise en compte. C'est une piste de travail à distance qui me semble intéressante à suivre car, malgré l'absence d'avenant au contrat, elle donne au salarié plus de flexibilité pour concilier vie professionnelle et familiale.
Les salariés sont demandeurs de pouvoir reporter leur travail, une fois qu'ils ont fini de s'occuper de leurs enfants ou de la personne qu'ils aident, avec tous les risques afférents, pour le salarié en termes de stress accumulé – la charge de la personne aidée s'ajoute au travail et aux responsabilités familiales – et pour l'employeur – un salarié qui envoie son dossier fini à vingt-deux heures. Cette solution représente un risque pour l'entreprise, ce qui constitue un frein à son développement. Mais si le salarié et le manager s'entendent sur les horaires de travail, elle peut être relativement facile à mettre en oeuvre.
On constate que les demandes de réorganisation du travail et d'ajustement des horaires formulées par des hommes sont très souvent le fait de pères divorcés. En revanche, nous ne notons pas de demande de temps partiel. De fait, pour un homme, un temps partiel, cela ne se demande pas.
Les hommes disent de plus en plus que les réunions tardives sont incompatibles avec leurs obligations familiales – la marge de progression est encore importante puisque l'on part de très bas. La demande de limitation des déplacements est très rare de la part des hommes.
Une étude que nous avons réalisée pour une entreprise qui souhaitait mettre en place le congé parental nous a permis d'identifier trois motifs pour lesquels les hommes prennent le congé parental : en premier lieu, quelques hommes admettent prendre le congé parce qu'ils ont envie de partager ce temps avec leur enfant, notamment ceux qui en ont déjà eu un qu'ils regrettent de n'avoir pas vu grandir. Deuxième motif, les hommes prennent leur congé lorsque leur salaire est équivalent ou inférieur à celui de leur femme. Troisième motif, les hommes mettent à profit ce temps hors de l'entreprise pour repenser leur orientation professionnelle.
Le télétravail est un sujet qui mériterait que nous l'approfondissions, tout comme l'articulation entre vie familiale et vie professionnelle. J'ai entendu cette réflexion d'un chef d'entreprise : « je ne comprends pas pourquoi les femmes regardent leur montre à dix-sept heures »…
L'idée qui sous-tend le congé parental partagé est la suivante : plus les hommes seront nombreux à prendre le congé parental, plus on luttera contre les stéréotypes et l'assignation des rôles.
Outre la question des locaux, il ne faut pas sous-estimer l'évolution des outils de communication qui offre des solutions nouvelles pour l'organisation du temps de travail.
Je souhaitais attirer votre attention sur deux points : si l'on considère que le lieu et le temps sont deux éléments importants du contrat de travail, le salarié n'est pas censé faire autre chose qu'exercer son activité professionnelle lorsqu'il travaille à domicile, sinon on accrédite le stéréotype sur le salarié à la maison ne travaille pas. Plusieurs éléments doivent donc être réunis pour que le salarié puisse travailler dans des conditions satisfaisantes.
Second point, un sujet monte fortement, celui des doubles carrières. En effet, l'accélération, encore relative, des mobilités géographiques pose la question de la double carrière. Lorsqu'il y a une opportunité ou une contrainte professionnelle – la mobilité n'étant pas forcément choisie –, quid de l'autre ? Comment le choix va-t-il s'opérer ? Comment prend-on en compte les conséquences de cette mobilité ?
Nous avons travaillé sur ce sujet, en particulier sur la date de nomination des préfets. On ne sait pas pourquoi les préfets sont mutés du jour au lendemain. On pourrait imaginer que les mouvements aient principalement lieu pendant l'été. Au lieu de cela, des préfets font ce qu'ils appellent du célibat géographique. Dans les ambassades, il me semble que le mouvement est programmé, ce qui laisse le temps de s'organiser.
Aujourd'hui, la mobilité, qui n'est plus seulement un choix de carrière, devient problématique dès lors que les deux personnes au sein du couple travaillent pour assurer des revenus suffisants au foyer. La question devient : quelle est la contrainte qui pèse sur celui qui est obligé d'abandonner son travail ? C'est un point important car c'est un problème d'attractivité pour les entreprises.
C'est aussi un problème d'attractivité pour les villes de taille moyenne. Les couples sont plus attirés par les grandes villes dans lesquelles ils ont plus de chance de trouver tous les deux un travail.
Nous sommes convaincus que la gestion des ressources humaines n'est pas hors sol et qu'elle dépend notamment de la performance des territoires.
Dernier point, la flexibilité en matière d'horaires achoppe sur la durée impérative de repos entre deux journées – d'au moins onze heures consécutives. La question se pose pour une personne salariée qui souhaite partir du bureau de bonne heure pour s'occuper de ses enfants et se remettre ensuite au travail après le dîner. Cet aménagement du temps de travail ne permet pas de respecter les onze heures de repos consécutives.
J'invite l'ANDRH à travailler avec les collectivités territoriales qui ont à présenter à leur conseil et à rendre publics des rapports de situation comparée, et qui commencent à s'y atteler.
Cette audition a permis d'identifier les progrès accomplis et les freins qui restent à lever. Nous espérons de la continuité et une volonté commune dans ce combat pour l'égalité. On sait que dès qu'on relâche la pression, l'égalité n'est plus la priorité. On l'a vu en temps de crise.
Vous avez abordé un sujet, le prélèvement à la source, sur lequel la Délégation a publié un rapport, qui souligne que la fiscalité ne devrait pas se mêler de la situation des ménages. Je suis personnellement favorable à la fin du quotient conjugal. Le prélèvement à la source peut être un moyen d'aller plus vite qu'on ne le pense vers l'individualisation de l'impôt sur le revenu ; c'est du moins ce que j'espère.
Je vous remercie pour le travail que vous effectuez et qui contribue à la mise en application des lois que nous votons.
Informations relatives à la Délégation
La Délégation a désigné :
– Mmes Marie-Noëlle Battistel, Catherine Coutelle, Édith Gueugneau, Maud Olivier, et Cécile Untermaier, membres du groupe de travail sur le bilan des mesures adoptées au cours de cette législature en matière d'égalité femmes-hommes et leur mise en oeuvre ;
– Mme Catherine Coutelle, rapporteure d'information sur le bilan des mesures adoptées au cours de cette législature en matière d'égalité femmes-hommes et leur mise en oeuvre.
La séance est levée à 18 heures 15.